Les grèzes - Philippe Laval - E-Book

Les grèzes E-Book

Philippe Laval

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Beschreibung

« Lapi, un policier déterminé, défie tous les obstacles pour découvrir la vérité sur la mort tragique de trois enfants. À travers ce récit palpitant et inspiré de faits réels, explorez les rouages du pouvoir, de la corruption et de toutes ses bassesses. Préparez-vous pour une lecture qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page, vous invitant à réfléchir sur la condition humaine et les dilemmes moraux qui la jalonnent. »

À PROPOS DES AUTEURS

Philippe Laval et Aurélie Laval, ensemble, dans "Les Grèzes", unissent leurs plumes pour immortaliser dans la mémoire collective les trop courtes vies de Yves, de Jean-Noël et de Gabriel, disparus dans des circonstances cachées, et respectivement âgés de 8, 7 et 4 ans au moment de leurs décès.

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Philippe Laval & Aurélie Laval

Les Grèzes

© Lys Bleu Éditions – Philippe Laval & Aurélie Laval

ISBN : 979-10-422-2788-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la mémoire de Yves,

de Jean-Noël et de Gabriel.

Préface

Un secret de famille est un poison lent.

Philippe Laval, après une vie d’Avocat bien remplie, et Aurélie Laval, sa plus fidèle collaboratrice vont chercher à travers un roman à faire revivre trois petites victimes innocentes.

Partant d’un fait réel, ce livre, écrit comme un script de cinéma, est un roman policier dont on ne peut se défaire avant de l’avoir fini.

Dans un pays rude, minéral, avec des habitants méfiants et noueux tant physiquement que moralement, le drame se déroule après la Deuxième Guerre mondiale, période où la séparation justice, police et politique n’est pas clairement établie.

Face à un père militaire proche des politiques, une mère au caractère incernable, et des enfants dont l’agonie et la mort ont été considérées comme un accident mineur, les auteurs vont chercher qui peut-être le coupable.

À côté de ces personnages réels, les auteurs campent des personnages secondaires qui ne sont que le reflet de nos qualités ou de nos défauts, mais qui permettent l’analyse de ce drame.

Lors de la lecture de ce roman, les lecteurs deviennent les enquêteurs qui, page après page, échafaudent des hypothèses.

Un premier roman aux multiples niveaux de lecture, écrit au scalpel.

Thierry Soisson,

Médecin neurologue

Ce matin-là, il faisait froid.

Chaque pas devenait de plus en plus lourd, de plus en plus pénible, de plus en plus fatigant.

La nouvelle avait ému toute la ville, et moi, la première.

J’avais ressenti une douleur profonde venant de je ne sais où.

Après tout, ces enfants n’étaient pas les miens.

Aucun lien familial ne nous unissait.

Ils étaient les enfants de celui qui avait été durant, un temps, mon gendre.

Nous étions le 24 novembre 1959, et, il allait porter en terre ses trois fils : Yves, 8 ans, Jean-Noël, 7 ans, et Gabriel, 4 ans.

La colère me faisait perdre toute raison, et pourtant je savais qu’au bout de la rue, la cathédrale allait apparaître, et que nécessairement, il serait là, parmi une foule immense venue honorer la mémoire de ses trois garçons.

La seule pensée qui me venait à l’esprit était : « assassin », et je pense que nous étions nombreux à envisager ce drame comme tel et non pas comme un simple accident.

Holinda Lescure

Ce 24 novembre 1959

Trois jours déjà que l’enterrement a eu lieu.

Trois jours déjà que nous avons tous été transportés par des sentiments différents, macabres, haineux, honteux, et que, quel que soit l’adjectif qui les définissait, nous savions tous que nous venions d’enterrer trois innocents de la vie prétendument morts par accident, et plus précisément par l’ingestion « malencontreuse » de champignons mortels appelés amanites phalloïdes.

Je n’avais pu m’empêcher au passage des cercueils, accompagnés des parents, de crier à mon gendre : « assassin ! »

Celui-ci m’a regardé comme s’il ne comprenait pas, et a poursuivi l’accompagnement des cercueils, comme si de rien n’était, entretenant lui et sa femme, une larme de circonstance bien exagérée par leurs mouchoirs.

Et moi, moi qui n’avait jamais pleuré, ni pour Dieu, ni pour le diable, moi qui avait vu partir toute ma famille durant les deux guerres mondiales, moi qui n’avais jamais versé une larme à la mort de ma fille, je me suis surprise, ce 24 novembre 1959, à pleurer comme une enfant ; pourquoi ?

Celui des trois que je connaissais le mieux, c’était Jean-Noël.

Il m’était arrivé de le garder à la demande de sa mère, Denise, qui avait épousé mon ex-gendre, quelques années après le décès de ma fille Julienne.

Cette démarche m’avait surprise, mais s’agissant, à l’époque, d’un bébé, je n’avais pas refusé.

Je ne comprenais pas pourquoi cet enfant était mort, et j’avais le sentiment persistant et envahissant que son père était à l’origine de ce décès, comme du décès de ses frères.

Le drame avait ému toute la ville. Les habitants s’étaient cotisés afin d’offrir un caveau de marbre blanc pour inhumer ces pauvres créatures.

Durant l’enterrement, et dans ce froid hivernal où nous étions tous là pour pleurer et ne ressentir aucune belle émotion, le soleil n’avait eu de cesse de se refléter sur les parois de ce monument, faisant éclater la lumière en mille éclairs de feu, que la nature, outrageusement, venait nous offrir comme un crachat à la raison.

Je me souviens que là encore, je pleurais pour compenser, peut-être, l’absence totale de larmes pour l’enterrement de ma propre fille, il y a presque vingt ans.

Roger, quant à lui, était reparti en garnison.

Moi, j’avais regagné mon hôtel, ce lieu chargé de souvenirs précieux puisque j’y ai élevé mon petit-fils Léon, né du premier mariage de Roger avec ma fille.

J’adorais cet enfant, depuis devenu adulte, que j’ai élevé seule, après le décès de sa mère, alors qu’il n’était âgé que de six ans.

Ce sentiment de tristesse était pour moi étrange.

Je me souvenais trop de l’enterrement de Julienne. Je n’y avais ressenti strictement aucune souffrance. Tout au contraire, je me disais que j’avais presque inconsciemment souhaité sa mort pour pouvoir m’accaparer, dans l’antre de ma vie, son fils Léon.

Cet enfant était devenu le mien, grâce au décès de sa mère, et en réalité, pour moi, la mort de ma fille n’avait servi qu’à me donner son fils.

Mais, aujourd’hui, je souffrais de la disparition de ces trois enfants qui n’étaient même pas de mon sang… Absurde situation.

Roger Louviac

« Comment ai-je pu me tromper ? »

Depuis des années je les ramassais toujours au même endroit.

Ce sont des rosés des prés que je ramasse.

Nul doute, les enfants adorent cela ; je devrais dire, adoraient ceux-ci.

Ce drame-là est une erreur de la nature.

Je sais à leurs regards à tous qu’ils ne me croient pas.

Je ne pouvais pas envisager qu’à cet endroit-là, ce serait des amanites phalloïdes qui pousseraient aux lieu et place des rosés des prés dont nous nous régalions depuis des années.

Et dire que Denise a trempé du pain dans la sauce pour faire goûter le plat au plus jeune.

C’est comme l’autre qui me regarde avec haine alors même qu’elle a laissé mourir sa fille, et ce sans jamais lui apporter la moindre aide financière la sachant pourtant gravement malade.

Elle a ainsi pu récupérer notre fils Léon.

Dans cette famille, il y a trop de non-dits ; je ne sais pas ou je ne sais plus.

Moi, j’ai fait toutes les guerres, et me voilà reparti en poste à Montauban, pour retourner, très certainement sur le terrain des opérations militaires en Algérie.

Avant mon départ, Denise m’a annoncé qu’elle était à nouveau enceinte.

Elle va redonner la vie, alors que nos trois premiers enfants ne sont plus. Ils sont morts et c’est peut-être mieux ainsi. Ils souffraient trop, hurlaient trop, et d’un seul coup, le silence.

Le médecin me l’a dit : « Ils reposent maintenant en paix. »

C’est un drame que de raisonner méthodiquement, et ce alors même que je viens de perdre trois enfants, mais, je pense aux Grèzes.

L’acquisition de ces terres représente l’avenir puisqu’il faut bien admettre qu’il y a toujours un avenir fusse après un drame terrible tel que la perte de trois enfants.

Mon fils aîné Léon a grandi.

Lui aussi me regarde curieusement.

Je n’ose penser qu’il croit que j’ai empoisonné ses frères.

Le chaos après ce repas a été total.

Avec Denise, nous nous sommes privés de notre part pour que les enfants puissent bénéficier de portions plus importantes de ces champignons, que le diable avait mis sur notre chemin et qui allaient tuer nos garçons.

Un policier m’a dit que j’allais être convoqué au commissariat très rapidement.

Pourquoi me convoquer ?

Tout cela est ridicule.

C’est une erreur, une faute, aussi grave soit-elle, et il n’y a jamais eu, de ma part, une volonté d’empoisonner mes enfants.

Je n’avais rien à y gagner.

Pourtant, ils me regardent tous en oubliant que moi aussi je souffre puisque c’est moi qui ai perdu mes enfants !

Denise Louviac

« Je n’ai rien fait que comme d’habitude »

Roger m’a apporté des champignons comme il le fait souvent en pareille saison.

Il les ramasse, selon lui, toujours au même endroit, au pied des Grèzes.

Il y en avait un peu moins que d’habitude.

Comme à chaque fois, je les ai préparés de la même façon.

Ils n’avaient pas d’odeur particulière, pas de couleur particulière.

Ils étaient blancs et n’avaient aucune corolle sur le pied.

Mes souvenirs se bousculent trop. Ces champignons, ils étaient comme les autres que je cuisine souvent.

C’étaient des rosés des prés, Roger me l’a dit.

Depuis des années, et depuis deux mois, nous en mangions régulièrement jusqu’à la survenue des premières gelées.

Je ne comprends pas. J’ai perdu mes trois enfants.

Pourtant, je me dis que la vie continue.

Ce drame nous a frappés d’un coup.

Roger m’a informé que nous allions être entendus par les forces de police.

Que vais-je pouvoir leur dire ?

Je n’ai rien fait que comme d’habitude.

J’ai préparé des champignons comme je le fais depuis très longtemps, c’est tout.

Je me suis même privée pour mes enfants, et, dans la nuit, nous étions déjà tous malades à en vomir nos entrailles.

Je n’ai rien compris. Roger non plus.

Pourtant, Dieu sait que lui et moi, nous n’en avons pas mangé beaucoup, tellement nous étions heureux de les voir se régaler. Pour que Gabriel en profite, j’ai trempé un quignon de pain dans la sauce, puisque du haut de ses quatre ans, il n’arrivait pas à manger les champignons comme ses frères.

Je me souviens maintenant de tous ces cris à l’hôpital.

Ils sont morts en quelques jours.

D’abord Gabriel, puis Jean-Noël, puis Yves.

Il faut que je pense à pleurer. Tout le monde me regarde et attend cela, c’est évident, jusqu’à cette vieille, qui fut la belle-mère de Roger, et qui semble me maudire alors même que je ne la connais pas ou très peu, car c’est vrai, parfois, elle gardait Jean-Noël.

C’est un jour de grande douleur et de grande délivrance aussi.

Je ne supportais plus la souffrance de mes fils.

Je ne la comprenais pas et leurs cris résonnent encore dans ma tête.

Une seule question demeure : pourquoi ?

Léon Louviac

« Mais que s’est-il passé ? »

Cela faisait plusieurs mois que je n’avais pas vu mon père.

La dernière fois, il était entouré de toute sa famille : mes frères, ou plutôt mes demi-frères, et sa femme Denise.

Tout semblait aller bien.

Il parlait sans cesse de sa pleine satisfaction d’avoir pu acheter les terres des Grèzes.

Il y a quelques années, il avait convaincu l’ancien propriétaire de les lui vendre.

Je m’apprêtais à rejoindre mon casernement de Cazaux lorsque la nouvelle est arrivée : mes frères étaient entre la vie et la mort suite à l’ingestion de champignons vénéneux.

C’est incompréhensible.

Les trois auraient été empoisonnés ainsi que mon père et son épouse.

D’après ce que m’a dit mémé, il semblerait que les parents soient hors de danger.

Elle était bouleversée lorsqu’elle m’a annoncé cette nouvelle, mais, je l’entendais à peine, la communication téléphonique passait mal.

Il paraît que mes frères souffrent beaucoup et qu’ils hurlent de douleur.

Je vais demander à mon chef de corps de pouvoir prendre quelques jours de permission pour aller les voir.

Il faut dire qu’avec ce qu’il se passe en Algérie, les permissions exceptionnelles sont très difficiles à obtenir, mais là, ne s’agit-il pas de la vie de trois enfants ?

Cela tombe mal que je sois obligé de demander une permission alors que j’attends une réponse du ministère des armées à ma demande de classification comme soutien de famille pour m’éviter de partir en Algérie.

Je dois avouer, au fond de moi-même, que cette réponse est beaucoup plus importante que l’état de santé de mes frères prétendument empoisonnés par des champignons.

Quelques jours d’hôpital et ils regagneront leur maison en pleine santé.

Je suis dans une telle situation, entre mes études et cette menace qui pèse sur moi d’être envoyé en Algérie, que je n’apporte que peu d’importance à ce qui n’est, pour moi, qu’un évènement mineur qui ne devrait avoir aucune incidence sur ma vie.

Ma grand-mère m’a indiqué qu’elle m’avait trouvé un emploi chez un avoué près du Tribunal de Grande Instance de La Rochelle.

Elle m’a également précisé qu’elle avait des choses importantes à me dire pour l’avenir, mon avenir, ainsi que celui de ma femme, que j’ai épousé il y a maintenant un an et demi.

Non, décidément, cette nouvelle n’en est pas une, mais elle m’oblige à affaiblir ma demande de classement de soutien de famille pour m’éviter de partir en Algérie.

Un copain m’a indiqué que là-bas c’est la guerre. Or, celle-ci ne me concerne nullement.

Je ne suis pas comme mon père, je n’ai pas l’âme d’un héros.

Léon Louviac

« Incroyable ! »

Je n’en reviens pas.

Mémé m’a téléphoné.

Le plus jeune de mes frères, Gabriel, est mort, et d’après ce que les médecins lui ont indiqué les deux autres vont également mourir.

L’empoisonnement est tel qu’il n’y a aucune chance de survie.

Le poison qu’ils ont ingéré va détruire leurs foies et les amener à la mort dans d’horribles souffrances.

Il faut être honnête, je ne ressens aucune douleur particulière puisque je ne les connaissais que très peu.

J’ai été élevé par ma grand-mère maternelle, seule, ma mère étant décédée alors que je n’avais que six ans.

Je ne me souviens pas du tout d’elle.

Pour moi, la seule mère que j’ai c’est ma grand-mère.

Elle m’a élevé et grâce à elle, aujourd’hui, j’ai pu entreprendre des études qui vont m’amener à la profession d’avoué, et je vais ainsi avoir une vie matériellement heureuse.

Il faut toutefois que je me rende sans délai à Montauban où sont hospitalisés mes deux frères encore en vie, et qui luttent, semble-t-il, contre la mort.

Je n’éprouve aucune douleur sentimentale, c’est vrai, mais qui puis-je ? Je n’ai jamais eu que peu de contacts avec eux et mon père. En fait, pour moi, ils étaient des étrangers, des frères inconnus en quelque sorte.

Fort curieusement, ma grand-mère veut que j’aille les voir à Montauban, dans leur chambre d’hôpital.

Ce problème ne devrait pas impacter ma vie, et à la réflexion, il devrait, finalement, m’aider à obtenir mon statut de soutien de famille. Je vais perdre mes frères.

Je parlerai de tout cela avec ma hiérarchie.

L’inspecteur principal Francis Lapi

« Je n’ai pas de chance »

J’ai été muté à Souillac, un trou perdu situé dans le Lot, à la limite de la Corrèze, suite, notamment, à un différend avec mes supérieurs directs.

Me voilà à peine arrivé dans ma nouvelle affectation que mon nouveau commissaire me charge d’un dossier, selon ses dires, extrêmement délicat, puisque serait suspecté de trois homicides volontaires, le Colonel Roger Louviac, compagnon de la libération et proche du Président de la République.

Ce dernier serait plus précisément suspecté d’avoir empoisonné volontairement trois de ses enfants à l’aide de champignons vénéneux.

Mais, il s’agit d’enquêter surtout sans faire de vagues, m’a-t-il précisé.

Le Parquet lui-même aurait déjà reçu des instructions : surtout pas de poursuites.

À quoi va donc servir mon travail puisque, lors de mon premier interrogatoire à l’hôpital de Montauban, le colonel Roger Louviac m’a indiqué qu’il pensait que les champignons qu’il avait ramassés étaient des rosés des prés. Il m’a précisé qu’il les avait d’ailleurs cueillis, comme il le fait toujours depuis des années, au même endroit.

Pas de témoin, pas de mobile, pas de preuve.

Je n’ai qu’une envie, faire classer immédiatement sans suite ce dossier ou du moins informer le Parquet de la situation telle qu’elle se présente.

Cependant, l’émoi de la population est tel qu’on m’a demandé, en haut lieu, de donner l’air d’enquêter sans toutefois le faire vraiment.

Je ne suis qu’un petit inspecteur principal muté à Souillac, et me voilà déjà pris dans un lacis qui fait que je ne peux pas faire mon travail sérieusement.

Mais après tout, quel intérêt d’enquêter vraiment sur ces décès qui n’ont ému que la population locale, et que la famille semble se contenter de l’erreur involontaire de cueillette.

J’ai beau me creuser la tête, je ne vois pas pourquoi et sur quel mobile ce Roger Louviac aurait tué volontairement ces gamins, puisque si les faits étaient démontrés, il s’agirait alors d’un triple assassinat sur ses trois garçons.

Le commissaire Chabert, proche de la retraite, m’a bien fait comprendre en me confiant l’enquête qu’il ne voulait pas s’impliquer dans ce dossier.

En questionnant quelques villageois, j’ai tout juste réussi à apprendre d’un souillagais que Roger Louviac avait acquis, il y a quelques années, des terres dénommées « Les Grèzes. »

Il m’a expliqué que ces terres étaient des causses où rien ne poussait et qui ne présentaient aucune valeur marchande réelle.

Mais quel rapport avec les enfants ?

Décidément, je n’ai pas de chance puisque muté ici sous prétexte d’une promotion, mais en réalité, je le sais, pour des raisons disciplinaires, je me trouve investi d’une enquête sur un dossier qui excite tout le monde, mais dont personne ne comprend le pourquoi du comment.

Je me le redis sans cesse : pas de mobile, pas de preuve, et voilà de surcroît les habitants de Souillac et des environs qui jasent et réclament des explications puisque les victimes sont âgées de quatre à huit ans.

Je vais aller voir le préfet le plus rapidement possible.

Je reconvoquerai Monsieur Louviac au commissariat puisque, selon les dernières nouvelles, il va bientôt sortir de l’hôpital, et je proposerai au Parquet un classement sans suite.

L’affaire sera ainsi expédiée ; Faudrait-il encore qu’il y en ait une.

Certes, trois enfants sont morts, mais c’était leur destin… Un destin inutile.

Pourquoi devrais-je faire du zèle alors même que ma hiérarchie souhaite que j’enterre tranquillement ce dossier ?

Qu’est-ce qui me pousserait à m’interroger autant sur quelque chose qui n’est qu’un fait divers, une erreur monstrueuse, c’est vrai, mais une simple erreur.

Non, vraiment, je n’ai pas de chance, à peine arrivé, que me voilà déjà pris dans le tourbillon des influences locales, voire nationales.

Retour en arrière

Chapitre 1

Le docteur Charles Lamarque

« La chambre 15 »

La chambre 15 est devenue pour moi un enfer de jeune médecin.

Trois enfants ont été placés dans celle-ci.

Trois enfants qui hurlent de douleur d’une façon insoutenable.

Leurs cris sont continuels, profonds et arrachent le cœur de tout le personnel du service qui y travaille.

Je suis le dernier arrivé dans cet hôpital, et on m’a bien sûr donné le soin de m’occuper d’eux et de les soigner.

Ils auraient mangé des amanites phalloïdes.

C’est sûrement le cas puisque leurs symptômes ressemblent à ceux provoqués par le poison de ce calice de la mort.

Ils ont été admis vendredi, après avoir ingéré, la veille, ces champignons.

Ils sont arrivés avec des vomissements affreux, des diarrhées aqueuses très abondantes, et des crampes abdominales insupportables, hoquetant de douleurs à travers leurs cris.

Et moi, que puis-je y faire ?

Aucun antidouleur ne semble agir sur eux.

Je me suis renseigné.

Théoriquement, au bout de 48 heures après l’ingestion, nous allons avoir un mieux, pour 24 heures plus tard, plonger dans un véritable enfer.

J’ai appelé mes professeurs de la Faculté de Toulouse.

Ils ne semblaient que très peu concernés par ce problème devant lequel ils se sentaient impuissants.

Je ne le dirai jamais à personne, mais j’ai alors fait fi de toutes mes études pour appeler un vieil homme du village où j’avais grandi, surnommé le sorcier des causses du Lot, dont, enfant, j’entendais vanter les mérites, par les uns et les autres.

Je contactais ma mère par téléphone.

D’abord étonnée de ma demande, elle me confirma, néanmoins, que celui-ci était toujours en vie et me transmettait ses coordonnées téléphoniques.

Je réussis à le contacter. Il se souvenait de moi, petit.

Après lui avoir exposé la situation, il m’indiqua que, quoi que l’on fasse, ces enfants étaient perdus, mais que si je voulais amoindrir leurs souffrances, il fallait que je leur donne des foies de lapins crus.

« Des foies de lapins crus ? »

Je demeurais dubitatif, mais, en désespoir de cause, j’ai quand même envoyé Madeleine, l’infirmière en chef, m’en chercher au marché.

Comment les faire manger à ces enfants qui vomissent dès qu’on leur donne un verre d’eau ?

De toute façon, ils vont mourir.

Nous n’avons pas, à notre époque, les moyens médicaux pour soigner un empoisonnement aux amanites phalloïdes.

Et puis, quelle est cette curiosité, cette absurdité de l’histoire, cette anomalie qui m’interpelle et inquiète beaucoup Monsieur Lapi, inspecteur principal à la police de Souillac, puisque les enfants ont, en effet, avalé une dose mortelle alors que les parents n’ont que très peu mangé de champignons.

On dirait que tout a été calculé : la mort pour les enfants, la vie pour les parents.

Je l’ai dit à mon chef de service.

Il m’a répondu :

« Mon petit Charles, tu es là pour soigner. Tu n’es pas là pour résoudre les énigmes. Laisse la police faire son travail. »

Il fuit, comme tout le monde.

Même l’inspecteur Lapi semble hésitant pour trouver la clé du mystère de cet empoisonnement.

Et moi, me voilà jeune médecin avec bientôt trois enfants à mettre dans des cercueils.

C’est inacceptable !

Mon métier, je l’envisageais non pas pour gérer la mort, mais pour la combattre et guérir les malades.

Aujourd’hui, l’alternative n’est pas possible.

Aucun des trois ne survivra.

D’ailleurs ma décision est prise, je dormirai à l’hôpital autant que possible et demanderai à Madeleine, si elle accepte de me relayer certaines nuits, afin que jusqu’à leur dernier souffle, l’un de nous deux soit là pour les rassurer et ne pas les abandonner.

Leur père, un dénommé Roger Louviac, ne vient que très peu les voir, et quand il vient, il pose des questions complètement idiotes, qui n’ont rien à voir avec leur état de santé.

Il semble se désintéresser d’eux ; c’est du moins ce que je ressens.

Cette affaire ruine ma santé mentale.

Personne ne s’en aperçoit, mais il est extrêmement difficile pour un jeune médecin de voir ses trois premiers patients, qui plus est des enfants, voués à une mort certaine.

J’ai bien vu que Madeleine aussi était affectée par le sort de ces petits et qu’elle avait continuellement les yeux humides.

Elle a compris, mieux que moi peut-être, que ces trois enfants allaient mourir dans des conditions épouvantables.

Elle vient d’ailleurs de me poser une question :

« Docteur, si on les endormait pour les empêcher de souffrir ? »

Je n’ai pas su quoi répondre puisqu’en réalité je n’ai aucun pouvoir au sein de l’hôpital.

Je ne suis qu’un simple interne, et je l’avoue, je ne sais même pas si une anesthésie aurait un quelconque effet sur leurs douleurs tant celles-ci semblent enracinées dans ces trois petits corps, comme si le diable y avait établi sa maison.

Le diable, précisément, vient peut-être de rentrer dans la chambre.

« Bonjour docteur Lamarque. »

« Bonjour Monsieur Louviac. Je souhaiterais vous parler. Sortons de la chambre. »

J’invitais Monsieur Louviac à me suivre dans mon bureau.

Madeleine nous y rejoignait pour me déposer et actualiser des dossiers concernant de nouveaux patients que j’allais devoir suivre.

J’indiquais à Monsieur Louviac :

« Je vais être franc avec vous, l’état de vos enfants est critique. Leur pronostic vital est très sombre, et j’ai malheureusement peur d’une issue fatale rapidement. »

Je faisais exprès de lui parler en des termes abrupts pour provoquer, en lui, une réaction et voir quelle attitude il allait prendre en lui annonçant la mort prochaine de ses enfants.

Il dodelina de la tête, semblant comme absent, à peine embêté par un problème qui le gênait tout au plus.

J’insistais donc en lui disant :

« Monsieur Louviac, avez-vous conscience que je suis en train de vous indiquer que vos enfants vont mourir ? »

Il me répondit laconiquement :

« Je ne comprends pas. Ce devait être des rosés des prés, et non pas des amanites phalloïdes. Moi-même, j’en ai mangé et je n’ai pas été très malade. Pourquoi eux le sont-ils autant ? Ce n’est pas normal. Vous me cachez quelque chose. »

« Je ne vous cache rien du tout, et que voulez-vous, d’ailleurs, que je vous cache ! Je suis médecin, mon but est de les sauver, et précisément, je ne m’explique pas pourquoi, eux vont perdre la vie, alors que vous et votre épouse êtes en bonne santé. »

Il se mit alors à rugir des propos incompréhensibles à mon encontre, m’insultant, me traitant de bon à rien, puis, furieux, il quitta la pièce.

Nous nous regardâmes avec Madeleine.

Je hochais la tête et lui dis : « Allons voir les enfants. »

Madeleine alla chercher les morceaux de foies de lapins qu’elle avait fait préparer, puis nous nous dirigeâmes vers la chambre 15.

La pièce était sombre. On entendait des gémissements sans pouvoir discerner si les trois garçons étaient en train de gémir ou si seul un ou deux exprimaient de la douleur.

Je m’avançais vers le lit du plus petit presque en titubant, comme si j’avais bu, ne sachant plus ce que je devais faire en ma qualité de professionnel puisque, à cet instant précis, la présence d’un médecin était parfaitement inutile.

C’est leur mère ou leur père qui aurait dû être présent à côté d’eux.

Je pris la main de Gabriel.

Il réagit à peine. Il était dans un état pseudo comateux.

J’ai regardé Madeleine.

Nous nous sommes compris du regard.

Nous savions que cet enfant de quatre ans allait bientôt nous quitter alors que sa vie avait commencé il y a très peu de temps.

Madeleine était effondrée.

Elle lui caressa le front et m’indiqua qu’il transpirait beaucoup.

Je lui ai alors expliqué que, du fait de l’empoisonnement, il était, tout comme ses frères, dans une phase de déshydratation, et que son état n’irait que de mal en pis.

Je me suis avancé vers Jean-Noël.

Il semblait plus apaisé que Yves, son grand frère.

Il avait réussi à s’assoupir, mais il transpirait également fortement et semblait avoir du mal à respirer.

Madeleine profita de cet instant pour lui changer les draps tout en préservant son sommeil délicat.

Manifestement, l’issue fatale de celui-ci serait postérieure à celle du plus jeune de ses frères.

C’est Yves, l’aîné, qui souffrait le plus.

Il se plaignait de douleurs insupportables au ventre et se mit à pleurer.

Je dois avouer que j’ai moralement baissé les bras puisque j’étais certain que je ne pourrai sauver aucun des trois et qu’ils partiraient, les uns après les autres, de plus jeune au plus vieux.

Il me fallait uniquement gérer la fin de leur vie.

Une colère profonde m’animait contre leur père, leur mère et toute cette famille qui avait mis à mort ces enfants.

Je ne pouvais croire à un accident.

Je pensais, et cela me révoltait, que cet empoisonnement avait été prémédité, préparé, et parfaitement exécuté.

Je me disais que les doses données aux enfants l’avaient été en fonction de la quantité mortelle qui avait été nécessaire, et cela, j’allais le dire à l’inspecteur de police qui viendrait m’interroger pour qu’il y ait, au moins, une trace dans le dossier, de ce dont j’étais intimement convaincu.

Avec Madeleine, nous n’avons même pas eu le cœur à essayer de leur faire ingérer les foies de lapins crus tant les morceaux nous paraissaient écœurants.

De toute façon, cette médicamentation n’était pas officielle.

J’ordonnais à Madeleine d’augmenter les doses d’antalgiques autant que cela serait nécessaire pour que leur souffrance soit la moins forte possible.

Au moment où nous nous apprêtions à sortir de la chambre, une femme, qui m’a précisé être un membre de la famille des enfants, arriva, en m’indiquant vouloir passer un peu de temps avec eux.

Je n’ai pas eu le courage de lui parler ni même de m’opposer à ce qu’elle reste dans la chambre, puisqu’enfin, un membre de la famille se trouvait à leurs chevets.

Je n’avais jamais envisagé que l’exercice de ma profession allait débuter dans de telles conditions.

Je pensais alors à ma femme, parce qu’il fallait penser à autre chose.

Nous savions depuis une semaine qu’elle attendait un enfant.

C’était l’espoir de la vie contre la réalité de la mort qui régnait dans cette chambre.

La vie, la mort, tout cela semble un étrange jeu puisque la vie finit toujours par la mort, et que la mort appelle la vie.

Je n’avais pas très bien compris cette phrase qui m’avait été dite par mon frère, professeur de philosophie et qui parlait, pour moi, un langage étranger auquel je ne comprenais pas grand-chose.

Il était l’heure d’aller déjeuner, même si je n’avais pas faim.

J’ai refermé la porte de la chambre 15 en étant sûr que ces trois enfants allaient mourir et que leur mort était inutile et n’apporterait rien à personne.

Chapitre 2

Francis Lapi – Monsieur le Préfet de région

Il était sept heures lorsque le réveil se mit à sonner.

Lapi sortait difficilement de son sommeil.

Un pot avait été organisé, hier soir, pour fêter l’anniversaire d’un collègue de travail.

Il était rentré chez lui complètement ivre, et ce matin, il pensait qu’il avait mal aux cheveux…

Une belle gueule de bois, se dit-il, et des souvenirs évasifs.

Il pensa à la journée qui l’attendait, et finit par s’avouer que le drame qui avait touché ces trois enfants, le perturbait.

Il utilisait le terme « drame » puisqu’il ne savait pas si ce fait était un accident ou un acte criminel volontaire.

Avant tout véritable interrogatoire, il avait reçu l’ordre, de sa hiérarchie, de déférer à la convocation que le Préfet de Cahors, Monsieur Guillaume Morel, lui avait signifiée.

Il but un grand verre de jus de tomate puisqu’il avait l’habitude d’en boire tous les lendemains, où, la veille, il avait forcé sur l’alcool, et retourna s’allonger.

Au fond de lui-même, il savait que si la veille, il avait exagéré sur la boisson c’était pour, aujourd’hui, avoir la tête dans le cirage et être, de facto, moins arrogant, moins combatif et beaucoup plus soumis aux ordres du Préfet.

Il savait qu’il ne pouvait pas déroger aux demandes de ce haut fonctionnaire ou alors autant démissionner tout de suite et aller faire du fromage de chèvre qu’il vendrait le samedi, au marché de Souillac.

Il y avait déjà réellement pensé et s’amusa encore de cette idée en se disant, que oui, il pourrait toujours élever des chèvres sur les Grèzes puisque les premiers renseignements qu’il avait eu sur ce lieu acquis récemment par Roger Louviac, faisaient état de ce que cet endroit était essentiellement constitué de terres incultes où seules les chèvres pouvaient s’aventurer.

Après tout, c’était peut-être là sa destinée : faire du fromage avec des bêtes qu’il laisserait gambader en toute liberté.

De toute façon, il pensait qu’il ne valait pas mieux. À chacun son dû en définitive. Lui, le dernier chevrier de Souillac ; du Pagnol façon lotoise.

Pour finir de se réveiller, Lapi se dit à voix haute : Arrête de délirer Francis, la réalité est tout autre. Aujourd’hui, tu dois aller à Cahors et ne surtout pas louper ce rendez-vous qui semble être de la plus haute importance.

C’est ainsi que presque trois quarts d’heure après que son réveil ait sonné, il réussit à se convaincre de quitter son lit.

Il enfila très vite son costume d’apparat d’inspecteur de police, écouta quelques informations à la radio, puis, il quitta son appartement et prit son véhicule pour se rendre à Cahors.

Il regarda l’heure à sa montre et se dit qu’il devrait être arrivé aux environs de dix heures quarante-cinq, pour un rendez-vous prévu à onze heures.

Il prit soudainement conscience qu’il aurait mieux fait de partir la veille pour ne pas être assujetti à un quelconque incident sur la route, qui au mieux, lui occasionnerait du retard, et au pire, lui ferait manquer sa convocation, mais hier, il avait envie de boire.

Or, on ne fait pas faux bond à un Préfet. La secrétaire de ce dernier le lui avait d’ailleurs bien dit au téléphone : « Inspecteur Lapi, soyez à l’heure, Monsieur le Préfet déteste les gens en retard. »

Il roula sans rencontrer de difficultés, et se trouva rapidement à Lamothe-Cassel.

Comme il était un peu en avance, il s’arrêta prendre un café dans un bar, puis, reprit la route.

Il arriva à la Préfecture de Cahors à dix heures trente, et, il comprit au visage réjoui de la secrétaire que, pour sa ponctualité au moins, il n’y aurait aucune difficulté.

Lapi s’installa dans la salle d’attente.

Une heure après son arrivée, il y était toujours…

Enfin, à onze heures quarante-cinq, la secrétaire s’adressa à lui :

« Inspecteur, Monsieur le Préfet vient de m’appeler pour repousser votre rendez-vous à quatorze heures. Il m’a chargé de vous dire que vous pouvez avoir accès au restaurant de la Préfecture pour votre repas de midi. »

« Peut-être accepteriez-vous de déjeuner avec moi ? », répondit-il à la secrétaire.

Il est vrai que celle-ci n’était pas déplaisante à regarder, bien qu’elle soit engoncée dans une tenue ridicule et étriquée qui révélait qu’elle était très certainement psychorigide et peu ouverte à la communication.

Aussi, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il l’entendit accepter l’invitation avec un grand sourire !

Elle se présenta à lui : « Élise Vallais. »

« Enchanté », lui dit-il, puis, guidé par celle-ci, ils se rendirent, tous deux, au restaurant.

Arrivés sur place, et après avoir commandé, pour elle, un Martini, et pour lui, un Ricard, il lui fit part de son étonnement qu’un Préfet puisse convoquer un petit inspecteur de police pour une affaire qui relevait plus d’un fait divers que d’une affaire importante.

« Détrompez-vous, Inspecteur. Monsieur le Préfet est très attaché à ce dossier. Il semblerait que le père des enfants, un dénommé Roger Louviac, soit très en vue dans les hautes sphères de l’État. En ce moment, Monsieur le Préfet reçoit, plusieurs fois par semaine, des appels du Ministre de l’Intérieur, Monsieur Raymond Gabard. »

« Savez-vous pourquoi Monsieur le Ministre s’inquiète tant de ce dossier ? »

« Je n’en ai aucune idée. Tout ce que j’ai entendu, c’est Monsieur le Préfet dire : “Ah bon, Monsieur Louviac tutoie le Président de la République”. »

Lapi répondit alors humoristiquement :

« Ceci explique cela. Je craignais qu’il ne tutoie personne. »

« Ne croyez pas que ce dossier soit à négliger » chuchota-t-elle, « Je vous indique, mais je ne devrais pas vous le dire, que Monsieur Louviac a demandé et obtenu, séance tenante, un entretien avec Monsieur le Préfet. Il semblerait que ce monsieur soit quelqu’un de très important. »

Suite à ces révélations, Lapi estima qu’il valait mieux fuir le débat et repositionna donc sa discussion sur un terrain plus classique en demandant à la jeune femme si elle était mariée et si elle avait des enfants.

Il put ainsi apprendre qu’elle avait vingt-cinq ans, qu’elle n’avait pas d’enfant et qu’elle ne cherchait manifestement pas l’âme sœur.

Lui-même en avait trente-deux et était célibataire.

Ils discutèrent ainsi pendant presque deux heures puis tombèrent d’accord sur une heure pour dîner ensemble, le soir même, au domicile de la jeune femme.

Ils quittèrent le restaurant de la Préfecture à treize heures quarante-cinq, et se rendirent vers les bureaux du Préfet.

Celui-ci était déjà là.

Il fustigea aussitôt sa secrétaire en lui disant qu’elle l’avait mis en retard, que cela était inacceptable, tout en poussant Lapi vers son bureau, plus qu’en le priant d’y entrer.

Très vite, l’homme se mit sur la défensive et commença à annoncer à Lapi ses certitudes. Fort de celles-ci, il indiqua à ce dernier, ce qu’il devait faire :

« Monsieur Lapi, il s’agit d’un accident. Aussi dramatique que ce soit, il faut clôturer ce dossier le plus rapidement possible. Je ne veux pas que Monsieur Louviac soit interrogé. Cela est absolument inutile. Je veux que vous sollicitiez du Parquet un classement en l’état de ce dossier. »

Ce à quoi Lapi répondit immédiatement :

« Monsieur le Préfet, seul le Procureur a le pouvoir de procéder au classement sans suite d’un dossier judiciaire. Ce n’est pas à vous que je vais rappeler le principe de la séparation des pouvoirs, à savoir, qu’il y a, d’un côté, l’exécutif dont vous dépendez, et de l’autre, le judiciaire dont relève les juges. »

Cette observation fit entrer le Préfet Morel dans une rage folle. Il en appela alors au Ministre de l’Intérieur, Monsieur Raymond Gabard, qui mettait un point d’honneur à ce que ce dossier soit immédiatement classé sans suite, et, il rappela fermement à Lapi qu’il était son supérieur direct.

Francis comprit, à ce moment-là, que sa carrière risquait de se terminer avec ce dossier.

Il existait d’évidentes présomptions d’assassinats, et pourtant, le Préfet lui demandait de classer sans suite ce dossier alors même que ce pouvoir ne lui appartenait pas, et qu’il n’avait même pas commencé à auditionner les personnes gravitant autour de ce drame.

L’échange entre les deux hommes ne dura que très peu de temps puisque Lapi n’avait aucun espace de discussion, et que, pour le Préfet, l’essentiel était de clore ce dossier.

Après avoir été décontenancé par cette altercation, Francis reprit rapidement ses esprits et asséna au Préfet :

« Je mènerai l’enquête jusqu’au bout et je n’hésiterai pas, si besoin était, à vous convoquer dans mon bureau, en qualité de témoin, dans ce dossier, lequel, que vous le vouliez ou non est peut-être criminel. »

La réponse de Monsieur Morel fut cinglante :

« Monsieur Lapi, vous ne resterez pas longtemps à votre poste d’inspecteur de police à Souillac. Il vous faut comprendre que ces enfants n’intéressent personne et qu’il plaît aux plus hautes instances que ce dossier soit classé sans suite. »

Un peu par défi, Lapi renchérit : « Et les Grèzes, je les classe sans suite aussi ? »

Le Préfet pâlit à l’évocation de ce lieu-dit avant de se mettre à hurler sur Lapi :

« Qui vous a parlé des Grèzes ? »

« Tout, Monsieur le Préfet me parle des Grèzes. Les champignons qui poussent dessus, mon supérieur, Monsieur Chabert, ou encore l’acquisition de celles-ci par votre ami, Monsieur Roger Louviac. »

Pour Lapi, indiquer au Préfet qu’il était ami avec cet homme était une provocation puisqu’il savait parfaitement que tel n’était pas le cas, et qu’il subissait, tout comme lui, la pression de sa hiérarchie.

Ils se quittèrent sur ces mots sans même se saluer.

Lapi passa, une nouvelle fois, par le bureau de la secrétaire du Préfet.

Celle-ci lui donna son adresse, son numéro de téléphone, et lui indiqua comment accéder à son appartement.

En sortant de la Préfecture, Lapi décida de faire un saut à l’hôpital pour prendre des nouvelles de l’évolution de la situation des enfants, et voir les informations qu’il pourrait glaner dans le service où ils étaient hospitalisés.

Chapitre 3

L’inspecteur Francis Lapi

Le docteur Charles Lamarque

Lapi prit la direction de l’hôpital de Montauban situé à environ soixante kilomètres de Cahors.

Il était tourmenté.

Il avait parfaitement conscience qu’il risquait sa carrière s’il poussait trop loin les investigations.

Le Préfet avait été très clair, il fallait un classement sans suite.

Il sentit comme un sentiment de révolte en lui à l’idée qu’il ne pouvait pas exercer son métier correctement, et ce d’autant plus que si criminel il y avait, il avait sur la conscience la mort de trois enfants, et pour cela, il devait payer ; Lapi aimait que la Justice soit juste.

D’un autre côté, il se demandait pourquoi il devrait sacrifier sa carrière et se retrouver sans revenu alors même que sa hiérarchie n’attendait que cela, à savoir, trouver la moindre excuse pour pouvoir l’exclure de la police nationale.

Il arriva à Montauban sur le coup des seize heures, tout en pensant qu’il lui faudrait repartir assez vite pour le dîner qu’il avait, le soir même, avec Élise Vallais.

On lui indiqua rapidement le service où se trouvaient les enfants.

En s’y rendant, il croisa dans le couloir le docteur Lamarque.

« Bonjour docteur. Comment allez-vous et, surtout, comment vont les enfants ? »

Francis fut étonné de la réaction du médecin qui lui lança froidement : « Inspecteur, ne vous faites aucune illusion, ces enfants sont perdus. »

« Pensez-vous, en votre qualité de médecin, à une erreur tragique ? »

« Cela me paraît absolument aberrant. Comment agréer l’idée que seuls ces enfants aient été empoisonnés avec ces champignons alors que c’était le plat principal de la famille, et que les parents ont avalé une dose qui allait les indisposer, mais qui n’était pas mortelle ? »

« Seriez-vous prêt, un jour, à dire cela devant un tribunal si des poursuites étaient éventuellement engagées ? »

« Non, je ne le pense pas. »

« Bel exemple de courage… » dit-il au médecin d’un ton désabusé.

Ce dernier tenta alors de se justifier :

« Comprenez-moi bien Inspecteur, ce n’est pas l’envie que me manque, mais ce poste de médecin est mon premier poste et on m’a largement fait comprendre que Monsieur Louviac avait le bras long et qu’il connaissait beaucoup de personnes très influentes. Le directeur de l’hôpital m’a indiqué très clairement que mon seul rôle était de soulager les douleurs de ces enfants, et de ne pas chercher le pourquoi du comment sur les faits qui les ont amenés à manger ces champignons. »

« J’en déduis donc que vous ne vous déplacerez pas pour porter votre témoignage. Remarquez, je ne peux pas vous en vouloir puisque moi-même, je sors de chez le Préfet et qu’il m’a demandé de classer purement et simplement ce dossier. »

Le docteur Lamarque ajouta amèrement :

« Ces enfants vont mourir et nul ne les regrettera puisque je n’ai vu personne se soucier réellement d’eux. »

Puis, le médecin eut alors une réaction assez curieuse. Il empoigna le bras du policier et lui dit :

« Écoutez-moi, mon travail c’est de les soigner. Vous, c’est de trouver l’assassin, si assassin il y a. »

« Certes », lui répondit Lapi, « Vous avez raison, mais si tout un chacun réagit comme vous, je ne vais pas avoir grand monde pour soutenir mes thèses, et d’ailleurs, tout se résume à une question : quel pourrait-être le mobile qui amènerait un père ou une mère à empoisonner ses propres enfants ? Je n’en vois aucun qui pourrait justifier que Monsieur Louviac ou Madame Louviac ait pu assassiner froidement les enfants et faire cette mise en scène. Il n’y a pas de mobile financier, et de notoriété publique, le couple passe pour un couple tout à fait normal qui s’occupait bien de ses enfants. »

Le docteur Lamarque acquiesça brièvement :

« Effectivement, je suis d’accord avec vous. Je ne vois aucun mobile apparent à ce crime, si crime il y a. Toutefois, je voudrais vous montrer quelque chose, suivez-moi s’il vous plaît. »

Le médecin emmena Lapi jusqu’à son bureau. Une fois à l’intérieur, le docteur Lamarque se dirigea vers un placard duquel il sortit un appareil en disant à Lapi :

« Il faut que je vous indique que peu de temps après l’admission des enfants à l’hôpital, j’ai été pris de nausées. Je n’ai pas compris pourquoi. J’ai été à leur contact quatre jours consécutifs, et pendant quatre jours je ne me suis pas senti bien. Puis, pendant mes deux jours de repos, durant lesquels je n’ai plus été à leur contact, ces envies de vomissements ont cessé. Je me suis interrogé, et j’ai pensé au mémoire que j’avais établi à la fin de mes études, dont le thème portait sur les radiations et leurs effets sur le corps humain. Je me souvenais avoir lu, en consultant divers ouvrages consacrés à la matière, que la radiation pouvait générer notamment, chez l’être humain, d’importantes nausées. J’ai, chez moi, un radiomètre que de bons amis de la faculté de médecine m’avaient offert à l’issue de nos études, pour plaisanter sur le thème de mon mémoire, et surtout comme souvenir. Aux termes de mes deux jours de repos, j’ai décidé de l’emmener avec moi, au travail, par curiosité, pour voir comment cet appareil réagirait en présence des enfants. »

Le docteur Lamarque d’ajouter à Lapi : « Venez avec moi ».

Durant leur passage dans les couloirs de l’hôpital, le médecin fit observer que l’appareil était silencieux. Mais une fois dans la chambre 15, il se mit à crépiter.

Lorsqu’ils approchèrent des lits des enfants, l’objet se mit à crépiter plus fort.

Les trois garçons dormaient en gémissant.

Le docteur Lamarque fit alors signe à Lapi de quitter la chambre.

Celui-ci, qui ne comprenait pas où voulait en venir le médecin, lui demanda :

« Qu’est-ce que cela signifie ? »

« Cela signifie que les enfants ont été exposés d’une façon prolongée à des radiations et que je sache, les amanites phalloïdes n’émettent pas de radioactivité. »

« Soyez clair docteur, ces enfants sont-ils en train de mourir d’empoisonnement ou de radioactivité ? »

« Non, non, ces enfants sont en train de mourir des amanites phalloïdes. L’appareil est clair, de la radioactivité est bien présente sur eux, mais pas à un niveau mortel. »

« Docteur, vous aurez compris que vous me compliquez davantage la tâche. Vous me dites que ces enfants vont mourir d’empoisonnement, et en même temps, qu’ils ont subi des radiations non mortelles, mais certaines. Que voulez-vous que je fasse de tout ça ? Vous ne voulez rien faire, et le Préfet me demande sèchement d’arrêter mon enquête sur instruction du Ministre de l’Intérieur. Ma hiérarchie, elle-même, n’attend qu’une chose : que je fasse classer le dossier. Je ne vois pas pourquoi, vous et moi, nous nous inquiétons pour ces enfants. Laissons-les mourir, enterrons-les, oublions vite cette histoire, et surtout, oublions-les. »

« Inspecteur, moi, je ne pourrai pas les sauver, mais vous, vous pouvez arrêter le ou les assassins. Alors, si je suis, pour ma part, dans l’impossibilité de faire mon travail, vous pouvez faire le vôtre pour au moins voir punir judiciairement le ou les responsables. »

Lapi ne répondit rien. Il salua le médecin et quitta l’hôpital très perturbé et désemparé sur la suite à donner à cette affaire.

Il reprit la direction de Cahors où l’attendait la secrétaire du Préfet.

Il allait peut-être y retrouver la vraie vie, car il devait bien se l’avouer, Élise Vallais ne lui déplaisait pas.

Somme toute, pour l’instant, il vaut mieux que je pense à moi, se dit-il.

Chapitre 4

Élise Vallais

Mademoiselle Vallais habitait avenue Gambetta à Cahors, un très bel endroit de cette commune.

Lorsque Lapi arriva devant la porte de son immeuble, il fut surpris par la beauté et le côté imposant de la bâtisse.

Sans penser à mal, il se demanda comment cette jeune femme pouvait s’offrir une telle location alors qu’elle n’était que secrétaire. Elle en était même, peut-être, la propriétaire.

Il se dit qu’elle était possiblement issue d’une famille aisée et qu’elle pouvait donc avoir beaucoup d’argent à titre personnel.

De toute façon, peu lui importait, il n’était pas venu là pour faire le compte de ses actifs, mais pour passer une belle soirée, voire même une bonne nuit.

Il avait d’ailleurs pris le soin de prendre un bouquet de onze roses rouges pour qu’elle comprenne très vite ses intentions.

Élise Vallais accueillit Lapi très chaleureusement sans faire aucune réflexion sur la couleur des roses et leur signification éventuelle.

Elle l’installa dans le salon et lui proposa de boire l’apéritif.

Lapi en acceptait bien évidemment l’augure malgré sa gueule de bois.

La jeune femme disparut alors quelques minutes pour revenir apprêtée.

« Que souhaitez-vous boire ? Un whisky, un Ricard ou du champagne ? » lui demanda-t-elle.

Lapi lui répondit : « Je dois vous faire l’aveu que j’ai abandonné la consommation du whisky, mais je prendrai bien volontiers une coupe de champagne. »

« Aucun problème », dit-elle, avant de revenir avec une bouteille très fraîche.

Lapi en conclut que, soit elle aimait le champagne et qu’elle en avait donc toujours une bouteille au réfrigérateur, soit, elle avait mis une bouteille, plusieurs heures avant, en vue de sa visite…

Il fut toutefois coupé dans ses songes lorsque celle-ci lui indiqua :

« Je ne sais pas ce que vous avez dit à mon patron, mais il était très en colère après vous. Il a téléphoné à Monsieur le Ministre de l’Intérieur. Leur discussion a duré plus d’une heure. Il m’a indiqué que vous n’étiez qu’un petit flic très vaniteux, “un fouille-merde”, que vous cherchiez des histoires là où il n’y avait pas lieu d’en faire, et que cet accident arrivé aux enfants était parfaitement regrettable, mais que malheureusement une erreur dramatique pouvait arriver. Il m’a demandé de lever l’état hypothécaire d’un lieu-dit Les Grèzes qui appartient à Monsieur Roger Louviac. »

Francis s’autorisa à l’interrompre pour lui dire :

« Nous allons passer une excellente soirée et je vous propose de ne plus rien aborder sur ce drame. »

Élise Vallais lui sourit, et très vite, ils se retrouvèrent en train de siroter du champagne, tandis que se dégageait de la cuisine l’odeur d’un rôti ou d’un gigot dont le fumé était très appréciable.

Après la première coupe, elle en resservit une seconde, puis une troisième, et, à la quatrième, Lapi se surprit dans les bras de la jeune femme, en train de l’embrasser.

Tout cela allait très vite, trop vite. Elle l’invita à passer à table et commença à lui poser plein de questions sur sa vie. À quel endroit il avait été en poste avant, s’il était marié ou s’il fréquentait quelqu’un, s’il avait des enfants… Des questions parfaitement indiscrètes, mais auxquelles Lapi répondit bien volontiers puisqu’il n’avait rien à cacher, sa vie était squelettique.

Il profita de cette discussion pour lui indiquer qu’elle avait un superbe appartement et qu’elle devait payer cher de loyers.

À sa grande surprise, la jeune femme lui indiqua qu’elle ne payait rien du tout et que la location était un prêt d’usage.

Lapi n’alla pas plus loin dans ses demandes, et, ils finirent la soirée, comme il se devait, se retrouvant, au petit jour, dans le même lit.

Jolie femme, pensa Lapi, mais zéro au lit. C’était comme si elle accomplissait un travail.

Pendant qu’Élise Vallais était en train de prendre sa douche, Lapi ouvrit un coffret à bijoux qui était posé sur la table de chevet.

Sans être un grand spécialiste des pierres, il put remarquer qu’elle disposait de superbes diamants, émeraudes, rubis, ou encore de saphirs.

Il ouvrit alors les tiroirs de cette table de nuit, et, dans le dernier, il découvrit que celui-ci était rempli de billets… de gros billets…

Aucun doute, je suis avec une pute, se dit-il.

Il referma le tiroir et se mit dès lors à tout imaginer.

Il se demanda si cette femme n’avait pas été envoyée en mission, par son supérieur direct, le Préfet Morel, pour lui ramener un maximum d’informations sur sa personne et sur sa vie.

Peut-être avait-elle même été chargée de l’inciter à classer sans suite ce dossier.

Élise Vallais revint dans la chambre, et, tout en s’habillant, elle dit à Lapi :

« Francis, j’ai passé une nuit merveilleuse avec toi. Tu me plais beaucoup. Je pense que ces quelques heures sont peut-être les premiers pas d’une aventure sérieuse. J’ai vingt-cinq ans, je vis seule, et nous pourrions, si tu le veux, parcourir un bout de chemin ensemble. Nous sommes libres tous les deux. Tout pourrait aller très vite. Nous pourrions emménager ensemble si notre histoire dure. »

Lapi prit, au départ, ces propos pour anecdotiques. En effet, il ne voyait pas comment, après une nuit, on pouvait s’enfoncer aussi profondément dans le futur, à moins que…

Il ne la laissa cependant pas aller plus loin dans ses divagations : « Je te rappelle que je suis en poste à Souillac, et que de toute façon, la route est trop longue pour travailler sur cette commune et vivre à Cahors. »

« Tu sais », lui dit-elle, « Je pourrais te faire muter à Cahors, et peut-être même à un poste plus important. Monsieur le Préfet a le bras long, et j’ai la chance d’avoir son écoute. »

« Et que me vaudrait une telle gratification, ou plus précisément, que me coûterait-elle ? »

Francis savait très bien où la secrétaire voulait en venir, et il s’amusait d’elle comme un chat avec une souris.

Il prit conscience que celle-ci lui avait offert son corps pour arriver à l’indubitable demande qu’elle allait lui formuler.

Il lui dit :

« Tu ne trouves pas que la vie est belle ? On se rencontre hier, on passe la nuit tous les deux, et aujourd’hui, tu me dessines un avenir ensemble, une mutation avec promotion… Bref, le bonheur planifié, à portée de mains, et bien entendu, pour presque rien, mais ce presque rien, c’est quoi au juste ? »

La jeune femme n’avait pas froid aux yeux, cela était évident. Leur courte aventure le démontrait.

Elle lui répondit très directement : « Classe l’affaire Louviac. »

Lapi ne s’énerva pas et lui dit simplement :

« Je n’en ai pas le pouvoir, seul le Procureur peut le faire, et puis, en plus de cela, il existe différents recours possibles que je ne t’expliquerai pas. Élise, je te remercie pour ce bonheur photogénique de l’avenir que tu m’as fait partager : un amour pour la vie, et, un bien-être matériel pour agrémenter tout ce bonheur, mais tu vois, je te dis non tout simplement parce que je ne te crois pas, et plus précisément, parce que tu ne m’aimes pas. Ce n’est pas un reproche, comment pourrait-il en être autrement ? Tu es là avec moi, à la demande de ton Préfet, pour me pousser à classer sans suite l’affaire Louviac. »

« Tu te trompes, je n’en ai rien à faire du Préfet. Je ne t’aurais pas donné les informations que je t’ai livrées hier, sinon. J’éprouve pour toi un sentiment que je ne peux pas expliquer, mais qui est très présent, et si je te demande de laisser tomber l’affaire Louviac, c’est parce que, du peu que j’entends, elle ne sent pas bon et elle pourrait se retourner contre toi, ce que je ne veux pas. Francis, donne-nous la possibilité de nous laisser une chance. Réfléchis à ce que je viens de te dire. Tu sais, le destin prend parfois des tournures inattendues, et notre rencontre en est la preuve. »

Lapi était un peu déstabilisé. Après tout, elle disait peut-être la vérité, au moins sur un avenir possible, et lui, comme souvent, était parano et ne voyait que le côté noir des choses.

Il faut dire que l’image de ces enfants mourant et agonisant le hantait.

Il clôt alors la discussion en lui disant : « Nous verrons tout ça ultérieurement. Il te faut aller au travail, et moi-même, je dois repartir à Souillac. »

Elle regarda sa montre et lui dit :

« Tu as raison, je vais être en retard. Je file. Quand tu partiras, tu auras juste à claquer la porte derrière toi. »

Elle enlaça Francis, l’embrassa comme pour lui donner l’envie d’une nouvelle nuit, et lui dit :

« À bientôt. »

Puis, elle partit tout de suite.

Par curiosité, Lapi téléphona à son second, un dénommé Alain Perreire pour lui demander de se renseigner auprès de la conservation des hypothèques afin de connaître le nom du propriétaire de l’appartement occupé par Élise Vallais, et surtout prendre tous les renseignements utiles sur la propriété des Grèzes acquise par Roger Louviac.

Celui-ci lui répondit : « D’accord Francis, mais je vais devoir m’en occuper discrètement, car le commissaire Chabert me surveille sans cesse depuis ton départ à Cahors. »

« Merci Alain, j’attends avec impatience le fruit de tes recherches ! »

Chapitre 5

Francis Lapi – Holinda Lescure

Lapi récupéra sa voiture pour rentrer à Souillac, mais sur la route, il changea d’avis et décida de se rendre au troisième régiment d’artillerie de Montauban, où le père des enfants avait été en garnison.

Il voulait savoir si celui-ci avait laissé une bonne ou une mauvaise impression au sein de l’armée.

Revenir aux sources, c’est toujours important pour savoir à qui on a affaire, pensait-il. D’ailleurs, quand lui-même avait eu des ennuis sur Paris avec sa hiérarchie, son passé à l’école de police n’avait-il pas été épluché ?

Francis eut cependant la certitude que cette visite ne resterait pas confidentielle, et que Roger Louviac serait très vite informé de sa démarche.

Il arriva sur le campement et sollicita une entrevue avec le colonel qui dirigeait celui-ci.

Il s’attendait à une fin de non-recevoir, car l’armée n’est pas une administration comme les autres. Elle ne coopère que très difficilement avec la police.

Contre toute attente, il fut accueilli courtoisement par le peloton de service.

Le colonel sortit même de son bureau pour le recevoir immédiatement.

Il se présenta à lui :

« Colonel Gustave Rivière. Que puis-je pour vous ? »

Lapi lui répondit : « Je souhaiterais que vous me parliez du Colonel Roger Louviac. »

« Ah, Roger, un homme exceptionnel, mieux encore, un soldat exceptionnel ! Deuxième guerre mondiale, Indochine, Algérie, il les a toutes faites dans la gloire et l’honneur. Il a été fait commandeur de la Légion d’honneur pour une succession d’actes héroïques notamment durant la bataille de Bir Hakeim. Il a aussi été un des rares survivants de Diên Biên Phu. Un vrai camarade. Il n’a laissé ici que de bons souvenirs. J’ai entendu parler du sort tragique de ses enfants. Croyez-moi, il ne peut que s’agir d’une erreur dramatique et affreuse. Il m’a téléphoné effondré, le pauvre homme. J’ai essayé de lui remonter le moral. Je lui ai assuré l’aide de tous ses compagnons d’armes en lui faisant part de notre profonde amitié et de notre soutien total dans cette horrible épreuve. Inspecteur, cela me fait plaisir de vous recevoir, car comme tous les héros de guerre, “les petits” n’ont de cesse de vouloir détruire les images glorieuses que ces vaillants soldats laissent derrière eux. Je peux vous assurer que si le Colonel Louviac dit qu’il a commis une erreur dramatique c’est que c’est vrai. Sa parole n’est pas contestable. Il doit porter en lui une souffrance terrible. »

Lapi comprit rapidement que ce n’était pas ici qu’il trouverait un avis objectif sur Roger Louviac. Le discours protocolaire de l’homme qu’il avait en face de lui était manifestement préparé. Il ne servait donc à rien d’essayer d’approfondir la situation avec celui-ci. Il ne changerait pas d’avis et ne lui dirait strictement aucun mal de Louviac. La leçon semblait avoir bien été apprise.