Les mœurs de mon pays - Alain Didier - E-Book

Les mœurs de mon pays E-Book

Alain Didier

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Beschreibung

"Les mœurs de mon pays" est réparti en neuf nouvelles qui proposent une plongée captivante dans la société gabonaise, explorant avec acuité les comportements, les mentalités et les traditions qui la définissent. Alain Didier dissèque avec finesse la légèreté et la cupidité des jeunes femmes, la corruption endémique des autorités, l’influence omniprésente de la sorcellerie et la sagesse profonde des aînés, offrant ainsi une fresque riche en contrastes et en réflexions sur la vie sociale et individuelle.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après de brillantes études en économie, soutenues par une bourse de l’État gabonais, et une riche carrière en finance, en France, Alain Didier rentre au pays où il s’investit dans l’écriture, son rêve de toujours, pour témoigner de son vécu et dénoncer les injustices. "Les mœurs de mon pays" est son premier recueil de nouvelles.


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Alain Didier

Les mœurs de mon pays

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Alain Didier

ISBN : 979-10-422-3768-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Merci, Dieu Éternel, mon succès est ta gloire

Du même auteur

Ma vision Pour un Gabon développé, essai, L’Harmattan, 2020 ;

Les prémices de la brume, roman, Les Impliqués Éditions, 2024.

Sentence d’un sage

Depuis le temps de la colonisation, Allarmintang n’avait jamais été honoré par la nomination d’un de ses fils comme chef de canton jusqu’au jour qui marqua l’avènement de Tare Ngnigone à la chefferie de Ntanga Louli, au début des années 1990.

Il était tailleur de métier, jouissait d’une grande réputation à cause de son aisance dans la langue du pays dont il connaissait tous les rouages. Les gens venaient de toutes les localités du canton et au-delà pour l’entendre parler et tenir des raisonnements fins. Il avait auparavant, rempli sa tâche de chef de village dans une conscience de la justice comme peu d’humains ne peuvent s’en approcher. En le cooptant parmi ses pairs, l’administration pouvait également compter sur son sens du devoir et la sagesse qu’il reçut des Anciens. Assurément, tout Makokou savait qu’il était taillé pour ce rôle. En tout cas, les serviteurs du Bien s’en réjouirent, quand les brigands, les escrocs, les charlatans et tous les sophistes se sentirent menacés.

Hollywood aurait pu en faire une star, tant son élégance frappait le regard. Il apparaissait en public toujours dans un beau pantalon, soutenu par des bretelles, différentes à chaque fois, et une chemise tirée à quatre épingles. Un chapeau melon noir, à l’anglaise couvrant sa tête chenue, venait clore ce décor unique dans notre paysage. Le soir, avant la tombée de la nuit, on pouvait le rencontrer, faisant sa ronde autour du village. Il inspectait tous les abords d’Allarmintang, main gauche dans la poche, main droite tenant un sceptre, les épaules relâchées vers l’arrière, sifflotant ou fredonnant un air des temps anciens sur un pas majestueux comme un seigneur faisant le tour de son fief.

Cibeleux, son hameau de quelques cases, au centre de toutes les attentions, dominait Allarmintang, tel un château Ford dans un village médiéval. Enfant, je me rendais souvent dans ce petit territoire retranché du bourg, à la lisière de la ville pour jouer avec mon ami Baute, le petit-fils du maître des lieux. Nous jouions dans le jardin touffu d’arbres fruitiers, nous jouions à la grande cour, entre deux tombes protégées par l’ombrage d’un grand avocatier. Nous prîmes l’habitude de nous arrêter quand un procès avait lieu dans la grande maison. Parfois, nous allions prendre place dans le public pour assouvir notre curiosité.

Comme chef de canton, tare Gnigone disposait de tous les pouvoirs, en contradiction avec les principes fondamentaux édictés par Montesquieu dont il ignorait probablement l’existence. Par son autorité, il incarnait la police, par sa sagesse, il faisait la loi et par son sens aigu de la justice, il arbitrait les conflits. Fin connaisseur des us et coutumes, il promettait l’équité à ses administrés et garantissait l’acceptation du verdict par toutes les parties en cause, personne n’en contestait les termes. Chaque plaignant repartait convaincu du jugement prononcé : le coupable, convaincu de sa faute, l’innocent disculpé et la victime dédommagée.

Un jour, alors que nous nous amusions dehors, mon ami Baute et moi, nous vîmes des groupes d’adultes entrés dans la grande maison par vagues successives, signe que l’affaire qui allait être soumise au grand chef impliquait au moins une haute personnalité du canton. Nous délaissâmes notre distraction et nous nous faufilâmes à l’intérieur de la salle.

Une femme vint se plaindre, en dernier ressort auprès du chef de canton après avoir porté l’affaire devant le chef de son village qui lui donna tort. Elle affirma d’emblée :

— Je porte depuis sept mois l’enfant de Nganga, ici présent. Il a abusé de moi lors de mon passage dans la vraie réalité. Il était mon guide, c’est lui qui m’a donné l’iboga pour faciliter ma rencontre avec mes aïeux en vue de ma guérison. Mais au lieu d’être guérie du mal qui me ronge depuis quelques années, je suis revenue de ce voyage enceinte.

Un bruit sourd traversa la salle et se dissipa rapidement sous le regard autoritaire de tare Gnigone.

La jeune femme était formelle, le guide l’avait violée pendant la traversée et elle demandait au chef de canton qu’il prononçât la condamnation de son bourreau. Après l’avoir écoutée attentivement, le juge donna la parole à l’accusé, un certain Neumé, le Nganga des Ngangas.

— Je reconnais avoir traité cette jeune femme, entama le vieil homme. Elle se plaignait d’un mal que personne n’avait réussi à soigner jusque-là. J’ai accepté de lui apporter mon savoir-faire. Après consultation des esprits, j’ai eu la certitude qu’elle pouvait guérir de son mal. Et après tous les rites habituels, je l’ai accompagnée dans l’autre monde. Mais c’est elle qui va à la rencontre de ses parents et qui doit donc les voir et recevoir de leurs mains le médicament approprié pour ses soins. Elle doit juste m’informer de ce qu’il faut faire. Au retour, elle ne m’a rien dit, sauf ce qu’elle me reproche aujourd’hui. Et je le nie avec force. Je ne reconnais pas les faits qu’elle me reproche.

Le Nganga fit valoir ses années d’expérience et sa réputation irréprochable dans l’exercice de son art. Aucune femme n’avait jamais porté de telles allégations contre lui. Mais il était de notoriété publique que ce tradipraticien épousait les femmes qu’il jugeait à son goût après les avoir guéries de leur mal. Il mettait en place un stratagème assez sordide. Il imposait un prix prohibitif aux soins apportés, une somme d’argent que ni la femme soignée ni sa famille ne pouvait apporter pour la sortir de cette captivité. Elle finissait par accepter le deal proposé par le malin sorcier. Lui, homme de quatre-vingts ans passés, avait jusqu’à vingt femmes, de toutes tranches d’âge et de toutes les catégories sociales.

Puis vint le temps de la délibération. L’illustre grand-père de mon ami prit la parole et s’adressa en premier à la plaignante :

— Ne trouves-tu pas qu’il est étrange qu’une grossesse qui serait à deux mois du terme ne se voie pas ? demanda tare Gnigone à la jeune femme. En général, poursuivit-il, lorsqu’une femme est à ce stade de la grossesse, tout le monde l’observe, tout le monde peut voir qu’elle a un gros ventre. Or en te regardant, j’observe que le tien est plat comme une planche.

Il eut un murmure et quelques ricanements dans la salle. Tous les yeux se rivèrent sur la plaignante, épiant son ventre. Mais elle n’en démordait pas, elle persistait :

— Tare Gnigone, je suis vraiment enceinte, je sens l’enfant bouger en moi. Il me donne quelquefois des coups de pied. Comme vous le savez, j’ai déjà eu des enfants, ceci n’est pas donc ma première grossesse. Je sais quand je porte un enfant dans mon ventre.

— Soit, fit le chef de canton. Où a donc eu lieu le méfait dont tu te plains ? interrogea-t-il à nouveau.

— L’affaire s’est produite à l’arrivée à l’autre monde, au monde dont celui-ci est l’image et où on trouve les solutions aux problèmes que nous rencontrons ici. Précisa la plaignante.

Le chef de canton se tourna vers le mage et lui demanda :

— Un tel monde existe-t-il vraiment ?

Le Nganga des Ngangas se voulut affirmatif en joignant sa parole par un signe de tête pour bien marquer son affirmation et dit :

— Oui, c’est une réalité. Elle est aussi vraie que toi et moi le sommes en ce moment.

— Est-il possible de s’y rendre pour qui le souhaite ?

— Toute personne qui le souhaite peut s’y rendre, mais à condition qu’elle soit accompagnée. Je suis le seul habilité à conduire les gens dans cette réalité surnaturelle.

— Est-ce qu’il peut y avoir des différends entre les gens vivants ou de passage dans cette réalité ? Demanda encore, le grand chef, l’air innocent.

— Cela peut arriver comme dans toute société d’hommes et de femmes. Répondit le tradipraticien avec assurance.

— M’avez-vous déjà vu ou croisé dans ce monde ? questionna encore le chef de Ntang Louli sous les airs de Socrate.

— Jamais vu, jamais croisé, lui répondit sans détour le Nganga des Ngangas.

— C’est ici-bas que vous reconnaissez mon autorité et à laquelle vous vous soumettez, n’est-ce pas ?

— Oui, chef de canton.

— Les choses étant ainsi établies, n’y a-t-il donc pas d’instances là-bas pour régler les différends de ce monde-là ? Pourquoi venez-vous me voir, moi, qui n’y suis jamais allé et qui ne connais ni les règles ni les principes qui gouvernent ce monde ? Je ne peux donner satisfaction ni à l’une ni à l’autre. Aux choses de ce monde, je m’emploie par la vertu à les régler de la manière la plus juste possible. J’œuvre à rendre l’homme complice de l’homme pour le bien de l’homme. Je cherche à réconcilier les hommes distancés par leurs différends, quels qu’ils soient. Je cherche à les persuader de gérer aux mieux la contradiction générée par les intérêts égoïstes pour le bien de toute la société. C’est ce que j’essaie de faire dans cette réalité, la seule que je connaisse. Celle dont je connais les traditions, les usages, les habitudes, les coutumes, les règles et les principes. Aux choses de l’autre monde, j’ignore tout, et le comment et le pourquoi, et cela me convient.

Je regardai mon ami et remarquai le bonheur et la pointe d’orgueil qui faisait jour sur son visage d’adolescent.

Il eut un remous dans le public qui approuva la déclaration du chef de canton. Celui-ci renvoya les deux querelleurs chez eux, chacun acceptant cette décision. La jeune dame n’enfanta pas cette année-là ni les années qui suivirent.

Abus de pouvoir et racket

Un vendredi, je me réveillai tard, pour avoir travaillé toute la nuit. J’eus faim, j’ouvris le frigidaire, il était vide, les étagères du placard l’étaient aussi. Je sortis pour m’approvisionner dans le quartier, mais toutes les épiceries de Bizango étaient fermées sauf celle de Lookman et son ami Abdoulaye, où je me rendis sans délai.

C’était un vieux conteneur, astucieusement transformé et aménagé pour accueillir un stock limité de marchandises. On y trouvait des denrées alimentaires de première nécessité : du pain, du sucre, du sel, des pâtes, des œufs, des boîtes de conserve, de l’huile, des sodas, des paquets de couches pour bébés, quelques friandises pour appâter les enfants…

Les deux détaillants proposaient aussi, dans un coin à l’extérieur, de la braise d’ailes de poulet, communément appelées « Nikes », leur principal commerce d’où ils tiraient l’essentiel de leur revenu.

Ils étaient tous deux originaires du Burkina Faso, voisins de village, parlant la même langue. Ils vinrent au Gabon, comme la plupart des frères ouest-africains, pour se trouver un moyen de survivance pour eux et leurs familles restées au pays. Les « Ouest-Afs » sont chauffeurs de taxi, tenanciers de boutiques, de cafétérias et s’activent dans toutes les petites affaires qui révulsent « un bon Gabonais chez lui ».

Lookman avait les muscles saillants comme un lutteur sénégalais et un teint clair à faire douter la paternité de son père, noir charbon. Il arriva à Libreville après avoir travaillé pendant deux ans chez une haute personnalité de la ville d’Oyem. Il s’associa avec son ami Abdoulaye, alias Cojac, pour mettre en place leur petit négoce.

Abdoulaye avait des yeux maculés de sagesse, cette sagesse que seules dévoilent les longues années d’expérience passées sur terre. Il posa ses valises sur le sol gabonais dix ans plutôt. Il avait fière allure, sa taille, dans un autre cadre, aurait imposé le respect à tous, tant il était grand et bien proportionné. Mais il avait le talent d’accepter comme une femme soumise et maltraitée toutes les humiliations que lui infligeait la clientèle gabonaise, hautement capricieuse.

Ils arrivèrent tous les deux au Gabon, cet eldorado en perte de vitesse, dans les mêmes conditions, clandestinement, et ne sachant ni lire ni écrire, raisons des quelques complexes qui turlupinaient l’esprit ballotté du jeune Lookman, âgé de vingt-trois ans seulement. Ils durent travailler dur pour se constituer un petit capital qui leur permit de créer cette entreprise.

Lookman avait tort de se sentir inférieur aux jeunes collégiens qui venaient souvent encombrer son petit local, il les impressionnait, sans qu’il ne le sache par sa facilité à calculer rapidement et mentalement sans faire d’erreurs. Il avait, sans aucun doute, un don pour les chiffres.