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Mahowentica dépeint un monde où la Nouvelle Ère incarne l’ultime espoir de la Terre pour une vie en paix et en harmonie. Pourtant, ce rêve fragile est en péril. La faune et la flore, révoltées et puissantes, n’ont qu’une mission : éradiquer les derniers humains confinés dans une unique ville fortifiée. Dans cette cité froide et sans âme, Pearl, une jeune fille courageuse, se bat pour survivre. Face à des épreuves titanesques et à des choix déchirants, elle se découvre un destin capable de bouleverser l’humanité. Chaque jour est une lutte, chaque décision cruciale. L’avenir de l’espèce humaine pourrait bien dépendre d’elle.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Depuis toujours,
Elodie F. cultive un univers fantastique et parfois déjanté dans un coin de son esprit. Aujourd’hui, après des années de réflexion, elle vous invite à découvrir ce monde unique.
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Elodie F.
Mahowentica
Roman
© Lys Bleu Éditions – Elodie F.
ISBN : 979-10-422-4009-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
«Paékatotounpat’.Nakémioua,nakégadé,nakétrébi.Pakétozingachéjavi,kitigabo. Outenka Mahowentica. Liga hum briki, perta vili péjaam. Mahowentica pakéto tiwiaté kibrili.»
Extrait de « ParolesAnciennesSacrées »
Umana-Nayma
Jamais je ne me suis posé la question de savoir comment j’allais mourir. Vais-jerendremonderniersouffleseuleoubienentouréedemesproches?
Est-cequejevaissouffriroualorsm’endormirpaisiblementpournejamaisplusouvrirles yeux ?
Sijepouvaischoisir,peuimportelamanièredontlamortviendramechercher,laseule chose que j’espère, c’est pouvoir l’affronter sereinement et dans l’acceptation.
Oui,jepensequecequicompteleplusàmesyeuxestdemouriravecdignité.
Quelque chose se pose sur mon épaule. Je ne m’y attendspaset manque de tomber de ma chaise, tousles sensenalerte.Jenesaisplusdutoutoùje suiset je doisfaireau plusvite pour trouver des repères. Très vite même. Mes yeux balaient l’espace environnant : une petite salle décrépie où l’air est suffocant ; de jeunes gens assis derrière des tables qui me regardent avec mépris, agacement, ou qui ricanent. Debout, à côté de moi, un homme en uniforme brun orangé où cinq bandes rouges parfaitement dessinées, descendent verticalement de son épaule droite jusqu’au bas de sa blouse. Il semble avoir été sculpté danslapierretantsacarrureestimpressionnante.Entémoignentlescouturesquimanquent de craquer à chacun de ses gestes.
Monesprits’éclaircitetlesidéesseremettentenordreinstantanémentlorsquejecroiseson regard. Je baisse la tête, car il m’est impossible de soutenir l’ambre de ses yeux.
Jemesuisendormieencoursd’histoiredelaNouvelleÈre.Unefoisdeplus.
— Est-cequetuvasbien,Pearl?medemande-t-ilapparemmentsoucieux.
Àcetinstant,jesenslefeumonterdansmesjouesetmesmainsdeviennentmoites.Des effets secondaires à l’opprobre que je me suis sciemment jeté toute seule. La journée s’annonce particulièrement longue !
Samaintoujoursposéesurmonépaulesecrispelégèrement.Unfrissonmeparcourtledos, carjel’imaginebroyermesosd’unesimplepression.Maisaulieudecela,ilsetourneversla classe, semblant chercher quelque chose ou quelqu’un.
Le désigné proteste en basculant lourdement sur sa chaise tout en donnant un coup de pied dans sa table. Monsieur Williamson le regarde alors froidement et, sans dire un mot, pointe son index vers mes affaires, puis la porte. Nul besoin de s’exprimer pour que le message soit compris et exécuté. Octavio, les joues empourprées, remet sa table en place tout en s’excusant à voix basse, se lève et se dirige vers ma table pour rassembler mes livres.
Affolée, je regarde les autres comme pour chercher de l’aide, mais je ne croise que des regardsméchantsetaccusateurs.Jesensleslarmesacidesmonterdanslefonddemagorge, elles ne doivent en aucun cas se manifester. Cela serait me condamner à une humiliation définitive.
Le professeur retire sa main de mon épaule. La chaleur qui en émanait laisse place à un froidglacialquiserépanddanstoutmoncorps.Unebouleauventreetlagorgenouée,je melèveàmontour,poursuivreOctavioverslasortie.Ilouvrelaporteets’engagedansle couloir sans un mot.
Avant de refermer la porte, je ne peux m’empêcher de regarder une dernière fois le professeur,espérantqu’ilchanged’avisetnousfasserevenir.Maisaulieudecela,l’homme s’estmuéenunestatuedepierre.Lefrontdroitcommel’ontlesgensavisés;levisageetles mâchoires carrées sont immobiles ; le nez droit et les lèvres fines qui d’habitude apportent une certainedouceur ne font qu’accentuer la beauté froide de cet hommebien trop jeune pour être instructeur ; les muscles parfaitement dessinés ne menacent plus ses vêtements. Seule l’ombre marquée sous ses yeux par le léger enfoncement des orbites fait ressortir l’éclat des iris, pareil à des feux ardents.
Unefoisdanslecouloirfroidetsilencieux,uneangoisses’emparedemoi.Lecœurbattantà tout rompre, le souffle court, je sens la panique m’envahir. Je n’arrive pas à en déterminer l’origine.Est-ced’êtreexclueducoursoubiendemeretrouverseuleavecOctavio?Àmoins que cela ne soit l’idée des prochaines affectations qui vienne sournoisement m’assaillir. Je secoue la tête comme sicela pouvait lesfaire partir et je me précipite derrière le jeune homme. Une fois arrivés au bout du couloir, nous devons pousser de tout notre poids pour ouvrir les portes battantes solaires. Parfois, il leur arrive de dysfonctionner même avec de l’ensoleillement.Lebâtimentestvétuste,laVillenerénoveplusriendepuisbienlongtemps. Maistant que nous avons un toit et de la nourriture, ilfaut être reconnaissant envers les Grands Sages et la Cité pour leur bienveillance. L’obstacle franchi non sans difficulté, nous descendonslesescaliers.Jenepeuxm’empêcherderegardermonsac à doscognerchaque marche. J’aimerais dire à Octavio de faire un minimum d’effort et de ne pas maltraiter mes affaires,mais à quoi bon, dans une semaine, ces livres seront rendus et je serai loin des bancsdel’institutioninstructivesupérieure.Alors,jelaissemonsacseheurteràchaquepas, dansle plus grand des silences. Il est préférable parfois de ne rien dire. On évite ainsi bien des situations inconfortables. C’est ce que j’ai fini par apprendre avec le temps.
Les trois étages descendus, nous restons au niveau du sas d’entrée, dans l’ombre de l’encadrementdelaportedéjàouverte,commesilesoleilpouvaitnousbrûler.Jem’avance prudemment, lève les yeux et scrute le ciel.
La colère monte soudainement et je ressensle besoin vital de lui donner une gifle. Mais je meraisonne,carsesmots,mêmes’ilssontprobablementvrais,meblessentprofondément.
Jeleregardependantqu’ilmecaricatureentraindepleureretmefrotterlesyeuxcomme pourraitlefaireunnouveau-né,toutendéblatérantdesproposimmondes.Jesuisfurieuse et pourtant d’une voix calme et posée, lui dis :
C’esttotalementfaux,carjevoudraisêtrelapremièreàluienfaire.Maisjetented’être modérée.
Legarçoncontinuesesgrimaces.Jevaispourluiarrachermonsacdesmains,maisiltrouve bon de se reculer pour m’en empêcher.
Jeleregardesansbouger.J’analysefroidementcequiestentraindesepasser:ilm’humilie ouvertement. Je pourrais le féliciter d’autant de courage, pour une fois que les choses se fontenface-à-face.Maisaulieudeça,prised’unepulsion,jemejetteenavant,luidécoche unegifleterriblesurl’oreilleetluireprendsmonsac.Iltitubefortementenarrière,secogne l’épaule dans le mur et après quelques instants de grande désorientation, repart tant bien que malvers les escaliersqu’il gravit en s’aidant de sesmains.Oui, on peut me dire des méchancetés autant que possible, mais on ne touche pas à la mémoire de mes parents.
Je regarde Octavio remonter le long serpent enroulé que forme l’escalier dans le cœur du bâtiment. Une fois que le bruit de ses pas arrête de me parvenir, je recommence à respirer normalement. La peur revient par la même occasion. Maintenant, il va falloir traverser la cour, sans courir évidemment, mais assez rapidement tout de même. Je regarde une nouvellefoisle cieldégagé, inspire, souffle etme jettedansla lumière.Passerd’un édifice à l’autre, neprésente aucune difficulté en soi. Le danger n’est pas dans la cour ou dans les rues, mais plutôt dans le ciel et contre l’enceinte de la ville. Régulièrement, on déplore des habitantsemportésparlesoiseaux.Silesvolatilessontdangereux,cesontlesrapacesdontil faut principalement se méfier, car ils volent haut avec, en général,le soleildans le dos pour mieux fondre sur leurs proies. En l’occurrence, nous les humains. Près des enceintes, il y a peu,cesontdesenfantsquiontétéemportéspardesvégétaux,desracinesàcequ’ilsedit. Mais ce que je constate, c’est que les attaques, quoique quotidiennes et faisant partie intégrante de notrevie, ont augmentédemanière significative ces dernierstemps. Le règne animal et le règne végétal n’ont jamais aussi bien porté leur nom. Ligués entre eux pour anéantir les humains depuis toujours, d’accord, mais ont-ils décidé de passer à la vitesse supérieure ? Pour quelle raison ?
C’estenpensantàceschoses-làquejemeretrouveàtraverserlacour.J’entredanslesasdu bâtimentopposé.Délaissantl’escaliersurmagauche,jeprendsunpeud’élanpourenfoncer la porte battante solaire du rez-de-chaussée qui, comme toutes les autres, est fermée ; je parviens à me faufiler tant bien que mal et me retrouve dansle couloir noir et calfeutré qui mène à l’infirmerie. Le son de mes pas résonne de manière terrifiante, malgré les semelles souplesdemeschaussures.Lecouloirdessertdeuxgrandessallesderétentionoù,encasde dangerimminent,l’ensembledesélèvesdoitserendre.Ellessontactuellementinoccupées. Lefaitdepasseràcôtéaccentuemonmal-êtreetcetteimpressiondesolitudeécrasante.Je traverse le long couloir comme une proie qui se saurait surveillée par un prédateur. Je ne quitte pas des yeux la porte de sortie dont la lumière extérieure découpe le contour. Une fois parvenue là, je dois denouveau en pousser une de toutes mes forces les battants pour déboucher sur un ultime petit couloir. S’offrent à moi une porte en face et une sur ma droite. Je me dirige tout droit, là où est représentée une croix rouge.
Jetapedoucement,espérantdetoutcœurquepersonnenerépondra.Maisunevoixlégère se fait entendre :
J’entre donc, contre mon gré, dans l’infirmerie. Après avoir refermé doucement derrière moi, je m’avance jusqu’au bureau positionné en plein milieu d’un petit corridor. Il permet d’accueillir les personnes en évitant qu’elles ne se dispersent sans consentement dans les différentes petites salles d’examen. Je patiente debout malgré la chaise mise à disposition. Finit par arriver une petite femme, aussi ronde que souriante. Probablement du même âge quemamère,ellealeteintpâle,maislesjouesroséesetdesyeuxnoirspétillantsdemalice. Il nefait aucundoute quela gentillesse est sa qualitépremière. Pourtant il ne faut pas se laisserprendreaujeudeladouceuretdelabienveillance,carellecacheunegrandefermeté quifaitd’elleunefemmedeconfiancequetoutlemonderespecte.MadameBaycottesourit en me voyant, dévoilant des dents un peu tordues et d’un blanc peu éclatant.
En effet,cela devient récurrent, maissurtout beaucouptrop régulier.
— Allez, suis-moi,nous allonsdanslasalledufond.Jetelaissetedéshabiller…enfin,tuconnaislaprocédure.Jeme change et je te rejoins.
L’infirmière se lève de derrière son bureau et m’invite à la rejoindre. Sans même avoir besoin d’être dirigée, j’entre dans la salle demandée. Après avoir posé mon sac ainsi que meschaussuresentoileépaisse,jeretirelehautdematuniqueau tonbrun-jaune,dontle manque d’éclat naturel a laissé place à la fatigue et l’usure. Je retire le large et difforme pantalonenpensantquetrèsbientôt,jeneporteraiplusjamaiscettecouleurattribuéeaux élèves de Dernier Cycle.
Unefoisencore,jepatiente,vêtueuniquementd’unebrassièrenoireavecculotteassortie.Je suis malà l’aise de laisser apparaître autant mon corps. De plus, je lui en veux de n’avoir jamaisquittésesformesdepetitefille,alorsquejesuisàl’aubedemaseizièmeannéeetpar conséquent,prochainementreconnueetdéclaréecommecitoyenneadulteparles Autorités. Madame Baycotte arrive enfin dansla salle d’examen. Elle prend quelques mesures, me fait ouvrir la bouche, tirer la langue, lever lesbras,regarder dans tous les sens,examine mes oreilles… Je pourrais presque faire mon bilan seule tant j’y suis habituée !
Jerougis,rienqued’yrepenser.
Ellearrêtebrusquementsonexamen,seplaceenfacedemoietprendunairexagérément offusqué :
Ellebasculelatêteenarrièreetsemetàrireàgorgedéployée,cequin’apoureffetquede renforcer le malaise.
— Mercidevousmoqueraussiouvertement,grommelé-jelesjouesempourpréesetlesyeux baissés sur mes mains jointes.
J’aihonte!Peut-onvéritablementenmourir?Carsic’estlecas,jesouhaitequemavie cesse immédiatement. Quand cette journée va-t-elle se finir ?
Jem’enfermedansunebulledeprotectioninsonorisée,oùjetented’échapperauxmotsde l’infirmière. Mais rien n’y fait. Je continue à entendre ses remarques gourmandes sur mon instructeur qui, je dois l’admettre, n’a que peu de tors.
C’est dans cette ambiance somme toute particulière que madame Baycotte finit mon examen. Elle ne relève rien de spécifique, hormis un teint qu’elle qualifie de blafard, alors qued’habitudeellesecontented’un« pâleàfairepeur ».Pourlereste,toutsemblecorrect. Mais juste avant que je ne remette mes vêtements, elle ne peut s’empêcher de passer un doigt sur mon épaule et plus précisément, sur la partie centrale de l’épine de l’omoplate.
Comment une tache de naissance peut-elle être propre ? Car en plus du reste, j’ai une marque qui s’accentue au fil du temps. Si enfant, elle était à peine perceptible, depuis quelquetempslapigmentations’intensifie,àtelpointqu’aujourd’huiellesembleavoirété dessinéeaucharbon.Maisleplussurprenantn’estpastantlacouleurquiévolue,maisbien le motif. Souvent, je l’ai regardé dans le miroir. Longtemps, j’ai tenté de comprendre comment pouvait se dessiner le plusnaturellement du monde, une flèche transperçant un cercle. Mes parents étaient chercheurs au Secteur IV. Ils l’ont montrée à certains de leurs confrères, mais également à des spécialistes du Pôle Santé, ainsi qu’au Pôle Altération en Secteur III. Personne n’a pu donner d’explication. On m’a uniquement demandé d’en surveiller l’évolution et ne pas hésiter à retourner les voir. Oui, sauf que si l’on peutse rendreaupôlesanté,ilestrarederessortirdupôlealtération.Alors,depuiscetemps,jela masque autant que possible. Ce qui n’est pas une difficulté en soi puisque nous avons l’obligation de porter des uniformes.
MadameBaycottemeregardeavecinsistance,expireexagérémentfortparlenezafindeme témoigner sa désapprobation :
— Jecontinueraiàlesappelermesparents,àparlerdenouscommed’unefamille,peuimporte les conséquences. Ça m’est bien égal ce qu’ils peuvent me faire.
« La Ville protège ta vie, donne ta vie à la Ville ! » Ce sont les premiers motsque doivent apprendrelesnouvellesgénérations,avantmêmedesavoirprononcerleurpropreprénom… D’accord !
— Je reformule ma réponse : oui, madame Baycotte, tout se passe pour le mieux avecleshôtesmerecevantgracieusement,letempspourmoidefinirletroisièmeetdernier cyclede Formation Instructiveenqualitéd’élève;avantdemeprésenterd’icisixjourspleins àlaTourdes Affectationsoùjeprendraiconnaissancedemonfuturetdéfinitif secteur,ainsi que du travailquim’y sera attribué,et ce, jusqu’à la fin de ma vie… Chose pour laquelle je me réjouis d’avance… Avez-vous une autre question, madame ?
L’infirmièremeregardeavecundemi-sourire.Siletonemployépourrépondreestironique, ellesedouteparfaitementquelapeurdel’affectationplaneau-dessusdenostêtes.Etpour cequi est de moncas,la situation est pire, carsi j’aieuunjour des aptitudes pourintégrer desmilieuxspécifiques,aujourd’hui,oudevrais-jedire,depuisladisparitiondemesparents, je n’ai fait que subir les jours, les uns aprèsles autres,dans un désintérêt absolu, total et significatif.
Alors,effectivement,àl’aubedemaseizièmeannée,commeill’aétédécrétéparlesGrands Sages, je vais devoir vivre avec la conséquence de mes actes. Et j’en aitrèspeur,en toute franchise.
— Audispensaire,dis-jesanshésitation,unmonstreparmilesmonstres,voilàquim’irait parfaitement.
MadameBaycottesembleattristéeparmaréponse.Elles’approchedemoi,poseledosde sa main contre ma joue. Je détourne immédiatement la tête.
Là-dessus,jemelèveprécipitammentetsaisismeschaussuresquej’enfilerapidement.Je récupère à la volée ma veste ainsi que mon sac et me dirige vers la porte.
Lesyeuxrivésverslesol,jen’oselaregarder.Lesmotsseplantentenpleincœur.Jenepeux queremuerlatêteenguisederéponse,maispastropfortsinondeslarmess’échapperaient. Je sors de la salle d’examen et m’engouffre dans la petite pièce principale. Je me précipite vers la sortie. J’ai besoin de respirer, d’aller à l’air libre, mais aussi d’extérioriser cette journée particulièrement insupportable. J’ai envie de hurler, taper, courir.
Jesaisislapoignée,latireetmejettepresquedansl’ouverture,lorsquemoncorpspercute un mur vivant.
Jeviensdepercutermonprofesseur,monsieurWilliamson!Ilestlà,m’empêchantainside fuir. Madame Baycotte en profite pour nous rejoindre. Elle ne cache pas le plaisir que lui procure la visitedel’instructeur. Jeles regardetourà touravec lanetteimpression d’être prise au piège.Deuxprédateurs sur une proie ! Ils vont jouer avec moi pour me dévorer ensuite. Je dois calter au plus vite ! Lesyeuxremplisdelarmes,jebousculel’hommepourpouvoirm’échapperetprendrela fuite. Loin. Très loin.
Je traverse de nouveau le couloir assombri, franchis les portes battantes solaires sans m’en rendrecompte.J’aibesoindemettredeladistanceaveccelieuquiglorifiemahonteetmon déshonneur. Je traverse la cour en marchant aussi vite que mesjambespeuvent le faire. Je franchis le portail du Centre Éducatif Supérieur.
Mevoilàdehors!Àl’airlibre!
Machinalement, je regarde le ciel bleu dégagé, mais mon esprit n’analyse aucunement les informations. Je suis dans un état second, habitée entre colère, honte, frustration, peur… Tout se mélange en moi, je ne saisplusvraiment ce queje dois faire,nioùaller. Alors,sans quejem’enrendecompte,jelaisseglissermonsacparterreetmemetsàcourir.J’aibesoin de ressentir mes muscles brûler, mes poumons s’enflammer.
Jetraverselarue,sousleregardéberluédesquelquespassants.Jenesaispasoùjevais,car sij’ai prétendu être attendu au dispensaire, ce n’est pas vrai. Pas cette fois en tout cas.
Jefinisparm’arrêternet.Suis-jeenfincalméeoubienest-celepaysagesinistrequis’offreà moi qui me paralyse ? Les deux probablement. J’ignore combien de temps il m’a fallu pour traverserlaVillepartiellementenruinespourarriverdevantl’immensepont.Lavuesurl’île, le cœur même dela Citéest à lafois magnifiqueet terrifiant. Àcet instant, je repenseà tout ce que l’on nous a enseigné sur notre histoire. Comment a pris fin l’Ancienne Ère et comment est née la nouvelle, ici même, là où je me trouve.
Jetented’imaginerleressentidenosancêtreslorsqu’ilsontvuapparaîtreau-dessusdeleurs têtes ce rocher immense. Ils l’ont regardé colorier le ciel et letraverser pour se dirigerdroit sur eux. Quepeut-onressentirà cet instant ?Arrive-t-onàaccepter la mort si vite, ou bien restons-nous fascinés et tétanisés par la beauté de l’horreur à venir ? Pour ma part, aujourd’hui descendante de cette poignée de survivants, je regarde avec effroi le bloc de pierre énorme, posé aumilieuducratèregigantesque qu’il aformé il y abienlongtemps. Je tente d’imaginer cette même cavité remplie d’eau, et qui a assuré la survie des rescapés pendant des générations.
Puisj’imaginelesGrandsSagesimposerleursuprématieetordonnerlaconstructiondeleur palaissur l’astre échoué. Comme pour signaler auxcieux et à la natureque rien ne pourra lesarrêter.Quelesloisdelanaturenes’appliquentpasàeux.Maisquisont-ilspouraffirmer avec autant de ferveur cette domination ? Je me pose souvent cette question, mais je n’ai jamais de réponse,car on ne parle pas des Grands Sages. On leur doit tout, notamment le respect. Ils sont nos pères, nos protecteurs. Trois personnes que l’on dit immortelles et qui ont connu l’Ancienne Ère pour y avoir survécu. Troisêtres qui ont eu la force de rassembler les quelques survivants de ce monde, rendu apocalyptique. Trois pères qui ont, de leur propre main, réuni les fragments de notre civilisation restante, pour reconstruire par leur seule détermination et leur seul courage une nouvelle et unique ville, tout en veillant à la sécurité des personnes contre les attaquesde la faune et de la flore. Car en plus d’une destructionmassive, sicertainshommes ont survécu, il en est de même pour lanature.À la seule différence que celle-ci a décidé de se venger du mal que nouslui avions fait. Elle s’est rapidement modifiée pour devenir plus grande, mais surtout prête à tout pour nous exterminer.
Voilà ce à quoijepense lorsque je regardelecratère évidé, le morceau de lunenoirci où trôneavecarroganceunemyriadedetoursfinesetétroites,enchevêtrées.Danscettefinde journée rougie par le soleil couchant, le scintillement et les lumières de la demeure des Grands Sages est d’autant plus arrogante, malgré son impressionnante beauté.
J’ignoresitoutceciestvrai.Personnen’ajamaisvuunseuldecestroishommes.Personne ne les rencontre. Mais nous savons qu’ils sont là, quelque part, dans cette forteresse grandiose et somptueuse qui domine la Ville en son cœur.
Le vent fraisse lève. Je réalise qu’il est tard,la nuit va bientôt pointer. Je doisregagner l’appartementauplusvite.Cars’ilnenousestpasinterditdesortirlanuit,iln’estquepeu conseillé de croiser les milices et les troupes armées des gardes.
Ilfautdirequ’ilestassezrare,quelesgensprennentdutempspourflâner.Nonpasquecela ne soit pas autorisé, mais nous avons appris de nos erreurs passées.
Dutempsdel’AncienneÈre,lesgensévoluaientdansunesorted’égoïsmeabsolu.Personne ne tenait compte des autres. Il n’y avait que leurs propres intérêts qui étaient pris en considération. C’est ainsi qu’avec le temps, les guerres, les évolutions scientifiques et technologiques, l’homme a envahi la terre. Il l’a détruite, épuisée, dévastée, acidifiée, desséchée et asséchée, arrachée, modulée, modifiée, colonisée, perturbée, polluée… C’est sur cette partiedel’anthropocènequel’homme par sa prétention et son arrogancea réussi à modifier les courants marins et modifier les vents de manière irrévocable. Doucement, le noyau de la Terre s’est refroidijusqu’à se solidifier. Elle a ensuite arrêté de tourner sur elle-même, exposant ainsi son corps épuisé aux attaques solaires. Les choses auraient pu s’arrêter là, mais un malheur n’arrivant jamais seul, la lune a elle aussi stoppé sa rotation. Les deux astres se sont asséchés,fissurés, affaiblis. Et c’est dans ce contexte catastrophique qu’une météorite venue des confins de l’espace nous a percutés. En vérité, elle a heurté la lune, la pulvérisant en grande partie et projetant un morceau directement sur nous, avant de finir elle-même sa course sur l’autre partie de la terre. Notre planète fut frappée de part etd’autre.Lescontinentsontéclaté,lesdifférentescouchesterrestressesontsoulevées,les mers et les océans ont profondément été touchés et n’ont eu d’autre choix que de submergerlessols,ainsiquelespopulations…presquerienn’yasurvécu.Etpourtant,lavie est dotée d’une force immense et elle a repris doucement ses droits, plus rapide et plus forte.Surtoutpourlafauneetlaflore,victimescollatérales denotreégoïsme.Lavengeance n’estpasqu’uneémotionhumaine.LaNouvelleÈreenestlapreuve.Maisquandbienmême notresurvieestprécaireàcaused’elles,commentleuren vouloir?Jelescomprends,onles a détruites, elles veulent leur vengeance. C’est un juste retour des choses, je pense.
En tout cas, si la nature a réussi à reprendre vie rapidement après cette extinction massive, c’est aussi parce que les hommes ont survécu, dont les Grands Sages. Ils ont parcouru longtemps le seul morceau de terre restant. Ils ont cherché partout des traces de vie humaine. Ils ont trouvé des hommes, des femmes et des enfants, les ont rassemblés en un point considéré comme le moins dangereux pour eux. Ils ont assemblé ce qu’ils ont pu afin de reconstruire de leurs mains une nouvelle et unique Ville fortifiée, protégeant ainsi les hommes. Les Grands Sages ne sont pas tout à fait comme nous, personne aujourd’hui ne pourraitlesdécrire,carpersonnenesaitàquoiilsressemblent.Cequiestcertain,c’estqu’ils semblent être dotés d’une capacité à la vie inépuisable. Si au fil du temps, des générations d’hommes se sont succédé, eux sont toujours là. Ils se sont servis de cette capacité extraordinairepourapprendredessurvivants,denotrehistoirepassée.C’estainsiqu’ontété posées les bases de notre Ville : connaître le passé pour éviter la répétition des erreurs. Mais si j’en crois la bienveillance initiale, aujourd’hui j’ai un peu de mal à la retrouver lorsquejeregardeleursomptueusedemeure,poséepresqueavecarrogancesurceboutde lune noirci lors de sa traversée de notre atmosphère.
Chaqueformedevieenasubilesconséquencesdirectes.Maisl’hommeaencorefaitpreuve d’ingéniositéetaréussiàtrouverdessolutionstemporairespoursesauver,luiuniquement. Les animaux et les végétaux ont dépéri. Mais tant que l’humain subsistait, il se débrouillait.
Il a créé des animaux et des plantesartificielles pour se nourrir.Il a créé desvents pour se refroidir. Il a inventé desespèces pour se dédouaner. Il a repoussé la mort en faisant vivre lesgenspluslongtemps.Maisiln’arienpufairelorsquenotrelunedesséchéeetarrêtéen’a pu éviter un astéroïde.L’impact a été si fort que la lune s’est brisée. Les morceauxsont venus sur nous, sans autre forme de procès. Le choc a été tel que lesterres ont été pulvérisées, les eaux ont tout recouvert. La Terre a changé de visage en quelques jours.
Aujourd’hui, face à ce morceau de lune sur lequel vivent les Grands Sages, je ne peux que me demander si les leçons tirées de l’extinction de l’Ancienne Ère sont véritablement les bonnes ? L’énergie est uniquement solaire. Il n’y a plus de soins lorsque les gens sont malades.Pouréviterl’égoïsme,onfavoriselescomportementsetlesinteractionscollectives, en commençant par la « famille » quidisparaît au détriment des « associations volontaires de reproducteurs »…
Bien loin de nous les émotions et lessentiments. La vie étant devenue plus dure et très nettementréduite,noussommesdéclarésadultesànotreseizièmeanniversaire.Aprèsavoir été suivis à distance par les Recruteurs signalant nos capacités, nous nous voyons attribuer une fonction.
Iln’yaplusdechangementpossibleaprèscela.
Etjetremble,carilestbientôttempspourmoidedevoiraffrontercepointculminantdema vie.
La nuit est tombée lorsque je regagne l’appartement de mon oncle et de ma tante. Arrivée devant le pas de la porte, je regarde l’entrée du logement d’à côté, avec une certaine hésitation.Carsiaujourd’huijefranchisceseuil,pendantlongtempsjepassaisceluid’àcôté. Mon père et Gus ont presque été collaborateurs pendant très longtemps. À force de passer de longuesjournéesde travailensemble, unlien fraternel s’est crééentre euxdeux. Le comble de cette histoire, c’est que ma mère et Daniella se connaissaient très bien de par leur engagement volontaire régulier au dispensaire.
Alorscesoir,jenesaispassij’aienviedemesentirentouréeoubiensijepréfèrem’isoleret profiter encore un petit peu du droit qui m’est accordé, en occupant l’appartement de mes parents. Dans quelques jours, les nettoyeurs viendront vider les lieux, le désinfecter, et y placerune« associationvolontairedereproducteurs »avecleurprogénituresûrement…Une autre famille va balayer les derniers souvenirs de mon passé, en somme.
Pendant que mon regard se perd dans les cicatrices de ma mémoire, la porte s’ouvre brusquement,etavantmêmequejen’aieeuletempsd’ouvrirlabouche,jesuistiréesans ménagement vers l’intérieur.
— Alors ! Raconte-moi ! C’est vrai ce qu’il se dit ? Monsieur Williamson t’a fait quitter son cours et qu’ensuite, il est venu te voir à l’infirmerie ! Je veux tout savoir, s’il te plaît !
Jenepeuxquesourirefaceàcettepetitebouled’énergie,toujourspleined’entrainetde curiosité.
Plusjeunequemoidetroisannées,Lanyestunejeunefillepétillante.Sescheveuxbruns,où parfoisapparaissentdesrefletscouleurfeu,sontcoupésauniveaudumenton.Ilsencadrent merveilleusement bien son beau visage délicat. Sa peau dorée fait ressortir l’éclat pétillant deses yeux noirs. Et simon corps portelesstigmates de l’enfance, le sien au contraire, est déjà celui d’une femme, tout comme la maturité de son esprit. Sauf ce soir apparemment ! Jelaregarde,avecautantd’amouretderespectquesinousavionslemêmesang,lamême chair,lesmêmesparents.Ellesautilletoutautourdemoicommeunepetitefilleexcitéepar les joies de l’innocence.
Lajeunefilleprendunemouedéçue,maisavantdes’éclipser,ellemeglisseàl’oreille:
Puiselledisparaîtdanslepetitcouloirquimèneauxchambresetlasalled’eau.
Daniellas’approchedemoietposesesmainssurmesépaules.Ellemeguidejusqu’ausalon pour me faire asseoir dansl’un des fauteuils. Elle fait de même, après avoir positionné le sien de manière à ce que nous soyons l’une en face de l’autre.
Nousrestonsunpetitmomentdanslesilenceleplustotal,lesyeuxrivéssurlabaievitrée.À l’extérieur, la nuit est totale. Même les étoiles se cachent.
Maisriennevient.Ellenemeregardemêmepas,préférantriverlesyeuxsursespiedsnus, posés à plat sur le sol froid.
Nosregardssecroisentenfin.Ellemesourittristement.
Sesyeuxsemettentàbrillersousl’effetdeslarmesqu’elletentederetenir.
De nouveau, le silence reprend ses droits. Si elle tourne de nouveau la tête vers l’extérieur, pour mapart je nepeux laquitterdes yeux. Lany en est sa copie conforme, avec lamême douceuretlamêmebeauté.J’essaiedel’imagineràmonâge,ensalledeclasse,auxcôtésde ma mère. Car c’est à cette époque qu’elles se sont connues. Toutes les deux ont été affectées au Secteur III, l’une en Recherche alimentaire, l’autre en Recherche végétale. Si Daniella a eu pour mission toute sa vie de trouver des substances comestibles afin de subvenir aux besoins de la ville, Jennifer, ma mère, devait travailler sur l’abolition du gène défaillant des herbacées. Ce même gène qui, à l’Ancienne Ère, servait couramment pour l’agriculture. Si actuellement le Secteur Aquarural, dit « Secteur II » arrive à faire pousser du blé sans trop de difficulté, il n’est pas rare que des accidents mortels se produisent avec le maïs. Et si celui-ci continue à être agressif, nous devrons arrêter, comme cela a été le cas avecletournesol.Bientropdetravailleursontfiniétranglésparlestiges,certainsontmême périàcausedesmouturesproduites.Ilyaeubientropdemalaisesrespiratoiresvirulentset fatals. C’est pour toutes ces raisons, que les chercheurs tentent de trouver des solutions alternatives pour que la Ville puisse continuer à s’alimenter. Nous avons opté pour la lyophilisation en attendant. Même pour l’eau. Surtout pour l’eau ! Car depuis la Nouvelle Ère,il nepleut presque jamais. Auparavant, nous puisionscetteinestimable denrée vitaleau centredelaville,danslecratèrequialongtempsétéunsomptueuxlacsombreetscintillant. Le pôle « Aquavie » du Secteur II est en charge de recueillir les eaux matinales, celles produites par la condensation. Les chercheurs du Secteur III ont, depuis, trouvé l’ingénieux moyen de la réduire à l’état de poudre qui, sous l’effet de la chaleur d’un feu, redevient liquide.
C’est dans ce contexte de travail que les deux femmes ont rencontré leurs partenaires respectifs.GuspourDaniella;Jamespourmamère.Lesdeuxhommesétaientaffectésau génome humain. Ils ont longtemps collaboré ensemble, paillasse contre paillasse. Leur mission était de trouver une solution génétique pour que les prochaines générations naissent immunisées contre les maladies. Chose où j’ai du mal à positionner mon avis, partagée entre les avantages et les inconvénients, mais surtout sur la déontologie. Avec mes parents, il nous arrivait de parler de leur travail, à l’appartement. Ils étaient fascinés par ce qu’ils faisaient. J’ai grandi en écoutant leurs avancées, leurs réussites, mais également leurs déceptions. Quand un jour, ils ont émis l’idée que les végétaux pouvaient communiquer entre eux par un langage unique ; les animaux également ; que ces deux espècesviventconjointement,avecpourseulbutdedétruirel’homme,alorsildevaityavoir un code entre eux. Si telétait le cas, nous pouvions, noushumains,le déchiffrer et l’utiliser pour leur expliquer que nous n’étions plus les êtres destructeurs de l’Ancienne Ère. Mes parents pensaient que l’on pouvait trouver un terrain d’entente avec la faune et la flore.
Faireunetrêve.
C’estainsiquesontnéslesprojets« trans-communication »et« communicationinter- espèces ».
Si Gus et Daniella voulaient participer au projet, il a rapidement été conclu qu’un binôme devaitassurerlaprotectiondel’autre.Etc’estcequemononcleetmatanteontfaitdurant des cycles solaires entiers. Ils ont travaillé double, pour que mes parents puissent avancer leurs projets dans le secret le plus absolu sans que cela n’impacte leurs obligations officielles.
Mais tout a volé en éclat quand les Hautes Autorités sectorielles ont découvert la clandestinité du projet de mes parents. De suite, ils ont été assimilés à des traîtres, des renégatsàbannir.Lorsquelamiliceestvenueleschercheraulaboratoire,ilsavaientdisparu. Ils étaient introuvables. Le soir, quand j’ai pu regagner l’appartement, tout avait été mis à mal. De ce jour,j’ai vécu chez Guset Daniella pour ma sécurité. Personne n’a jamaisrevu mesparentsettoutlemonde ignore ce quia puleur arriver.Mêmeleursdeuxplusproches amis.
S’ils avaient été jugés par les hautes comparutions du tribunal de la sagesse, les cors auraientretentitroisfoisdemanièresinistreetdanstoutelaville,poursignalerledébutdu Conseilexceptionnel.Siunepeineavaitétéprononcée,elleseseraittraduiteuncoupdecor pour l’acquittement, deux pour le bannissement en forêt, trois pour la peine de mort. La Ville entière a voulu entendre résonner trois sons graves et terrifiants.
Maislescorsn’ontjamaishurléleurslonguesplaintes.Etiln’yajamaiseudeprocès. Lamiliceforestièreaplusieursfoisfaitletourdevilleparlaforêt.Tousleshommesnesont pasrevenusetjem’enréjouissilencieusement.Maisilsn’yontpastrouvénonpluslescorps de mes parents.
Depuis ce jour, je paye le prix de ce mystère. Des hypothèses cyniques parlent d’une cachetteen ville.Maisbeaucoup envisagent unefuiteavecgrandelâchetéenforêt etqu’ils ensontmorts.Cars’iln’estpasinterditdequitterl’enceinteprotectrice,nouslesavonstous depuis notre plus jeune âge, la forêt vous tue sans pitié. Elle n’attend que ça d’ailleurs !
Aucune exception. Les animaux gigantesques, les sèves toxiques, les feuilles qui vous tombentdessusetvousasphyxient…Ilsveulentnotremortpoursevengerdetouslesmaux qu’on leur a infligés à l’Ancienne Ère. Alors on se protège, confiné dans la ville, sous la sécuritédehautsmurs,oùsedressentàintervallerégulier,lesToursdeContrôlequiluttent contre les tentatives intrusives.
C’estainsiqu’estnotremondeaujourd’hui:ilstententd’entreretyparviennentsouvent.On tente de survivre…
NousnousregardonsavecDaniellaetrionsnerveusement,avantderedevenirsérieuses.
Jelaregardeenfaisantdemême.Maisjesaispertinemmentquelesrecruteursmevoient commeétantl’incarnationdelasupposéelâchetédemesparents.Etellelesaitaussibien que moi. Jel’espèrevraiment,mens-jesansconviction.
Nousregardonsdenouveaulesol.Laconversationestcompliquéecesoir.
Ungrincementsefaitlégèremententendre:laportedelachambredeLany. Sa mère me regarde en souriant franchement, lorsqu’elle perçoit le bruit.
Je hoche la tête. L’allusion à mes parents est claire.
Ellemeregarde,selèveetvientversmoi.Elleentouremonvisagedesesmainsfraîcheset me dépose un tendre baiser sur le front. Puis elle s’écrie :
Pas le temps pour elle de me lâcher que Lany déboule dans le salon, sautant presque par-dessusletroisièmefauteuil,celuideGus.Ellesejetteàmespieds,posesescoudespointus sur mes genoux et place ses mains sous son menton, les yeux écarquillés :
Jenepeuxcontenirunfourireenvoyantsatêteexagérémentcaptivéeparlesmotsqueje n’ai pas encore prononcés.
***
Lasoiréesedéroulesansheurt.Gusrentretardcommebiensouvent.Ilestfatigué,sestraits sont tirés même si les logements sont proches des zones de travail, iln’est pasanodin de parcourirlesruesparunenuitsanslune.Lesanimauxguettent.Bienmieuxquelesmiliceset les gardes armés, pourtant nombreux. JesaisqueDaniellaatenusonconjointinformédel’incidentenclasse.Detoutefaçon,jene peuxpascomptersurladiscrétiondeLany,lesyeuxperdusdansdesrêvesoùelleseraitune héroïne délivrée par un beau et jeune instructeur d’histoire. Nous la laissons faire, car son attitude apporte la légèreté dont nous avons tous besoin.
Lerepasestléger.Jenesaismêmepascequej’aiavalé.Lereconstituén’aplusvraimentde saveur. Il réchauffe, c’est tout.
Commesouvent,nousnousréunissonsdanslesalonunefoisledînerfini.Chacunracontesa journée,cequ’ilafait.Iln’yariendetranscendant,maisnoustentonsdeperpétuerunlien familial pour nous rappeler que nous ne sommes pas des machines au service de la ville, mais bel et bien despersonnes dotées d’un cœur et d’une pensée. Pour ce qui est du libre arbitre, pour le coup, nous en avons fait notre deuil depuis bien longtemps.
Avantdesaluertoutlemondepourallermecoucher,Gusmedemandedeluiaccorderune très courte conversation. Je soupire, même si je m’y attendais. Une fois seuls, il me fait prendreplacedanslesalon.Avecuneimpressiondedéjàvu,jem’installeànouveaudansle fauteuil. Si échanger des mots avec Daniella ne me pose pas de soucis, je dois reconnaître qu’avec Gus,il n’en est pas de même.Il a beau être adorable, son physique,associé à son attitude,laissetoujourspenserqu’ilvavousréprimanderpourquelquechose.Àchaquefois quej’aieudroitàunentretienaveclui,jenepeuxm’empêcherdemedemandercequej’ai bien pu faire de grave. Sauf que ce soir, j’en connais les raisons. Je regarde son petit corps trapu et trop arrondi, prendre sa place de prédilection. Coudes bien ancrés sur les accoudoirs, sesmainslarges et épaissescroisent leursdoigtsen avant duvisage et les deux index joints par la pulpesont posés contrela bouche. Je n’aimepasce qui va arriver,car je vois bien qu’il a déjà entamé silencieusement son discours. Il réfléchit aux mots à dire et ceux à éviter.
Je le regarde,perdu dans son flot de pensées, et je ne peux m’empêcher cette remarque comparativeentremononcleetmatante.SiDaniellaestunebellefemme,Gusenestson antithèse. Un visage rond aux joues rouges laisse penser qu’il est toujours fatigué ou essoufflé. Ses cheveux sont coupés courts afin de ne pas montrer l’étendue de son crâne devenu stérile à toute forme de repousse capillaire. Sesyeux d’un bleu pur, presque gris, sont perdus quelque part sous une broussaille de sourcils grisonnants. Si sa bonhomie prêteàsourire,onréaliserapidementquec’estunhommeintelligentetbienloindel’image qu’ilrenvoie.Carsisagentillessepeutlaisserpenseràdelafaiblesse,iln’enestrien.C’estle genre de personne à éviter lorsqu’ilest en colère,et pour l’avoir vu danscet état une seule fois, j’en tremble encore. J’ai la sensation que ce soir je vais réitérer l’expérience.
Le silence est pesant. Lui,assis et immobile, les yeuxperdus quelque part dans ses pensées et moi quiattends la sentence. Je finis par tourner la tête vers la baie vitrée.D’où nous sommes situés, nous pouvons voir une partie de l’enceinte, mais principalement la forêt. À l’époque de la construction de la ville, les GrandsSages ont voulu que le lac où siège leur demeure en soit le cœur. Tout autour s’est établi le reste par secteur. Le Secteur I au sud-est, consacré à la construction de la Cité lorsqu’il en était encore question. Aujourd’hui, les travailleurs qui y sont affectés s’occupent des réfections. Mais privé de moyens et de matériaux,cesecteurestdevenuunezonedestockagehumainavecdesmissionsingrateset inutilestelles que refaire une portion de rue détruite en allant casser une autre rue pour en récupérerlespierres…UneaffectationenSecteurIestàfortementéviter.Toutcommel’est leSecteurII.Certesbeaucoupplusutile,maisdangereux.Ysontaffectésdesgenscourageux, maisquin’ontpasunegrandeespérancedevie.Là-bas,onestchargéd’arrachertouteforme devégétauxtentantdepénétrerlaville.Pourunebrèchedansunmur,leSecteurIIarrache, le Secteur I colmate. Mais compte tenu de l’agressivitédela forêt,il est courant de voirdes personnes sectionnées par des lianes poly-épineuses, ensevelies vivantes par des racines.
Avant la végétation poussait lentement, mais depuis la Nouvelle Ère, une graine le matin peut devenir un arbre grand comme un bâtiment de deuxétages à la nuit tombée. Alorsle Secteur I a beaucoup de travail. Et au nombre des pertes humaines, les effectifs y sont renouvelésrégulièrement,enfaisantpasserlestravailleursduSecteurIdansceluid’àcôté.Il n’y a que là où une affectation peutévoluer. Mais autant se considérer comme condamné.
Aunord-ouest, ily a leSecteurIII. Celui-ci est destiné àsoigner, sitant est que l’on puisse utiliser ce terme. Depuis que nous avons connaissance d’être les seuls humains enfermés danscetteville,quelquepartsurleseulboutdeterredenotreplanète,nousneportonsplus d’intérêt vital aux soins de longue durée.Pour le dire autrement, iln’y a aucun traitement faceaux maladies. Ne pouvant étendre la ville,c’est àlapopulation deseréguler. Lesdécès prématurés, accidentels et autres maladies permettent de garder un nombre constant d’hommesetdefemmes.Sionyajoutela perte d’identité familiale,l’abolition desplaisirs, autantdirequenotrepassagesurterreestasseztristeetsinistre.Ehbien,loindenousl’idée de vivre longtemps dans ces conditions !
Mais, il y adesremèdes acceptés. Composésdeplantes rendues inoffensives, de terre,letoutmélangéaveclaforteenvied’ycroire.Cestechniquesdesoinsontlargement déployées au dispensaire. En dehorsd’une aide physique,c’est uniquement en ce lieu que nous trouvons une once d’âme et d’humanité. Là-bas, on trouve des êtres humains, on oublie les secteurs, les affectations, la dureté du quotidien. C’est à cet endroit également que l’on trouve parfois des sourires. Mais surtout un peu de répit.
Enfin, il y a le Secteur IV, celui de la recherche et de l’enseignement. Mes parents, Gus et Daniella y étaient, et pour ma part, c’est en ce même lieu que j’ai fait mon éducation instructive.
UnefoisquelesGrandsSageseurentfaitbâtirleurforteressesurlerocherlunaire,ainsique les quatre ponts des servants chacun un secteur, ils ordonnèrent la construction des logements.Iln’yeut qu’un seulmotd’ordre:quechacun voitlaforêtdechez lui,afindelui rappeler que la Ville le protège et que par-delà l’enceinte fortifiée, la mort nous accueille à bras ouverts.
Sienjournéelaforêtnoussembleclémente,lesoiràlanuittombée,elledevientterrifiante. Surtout lorsque les animaux rôdent aux pieds des murs, hurlant leurs menaces, clamant leur supériorité.
Mais ce soir, les portes vitrées du salon sont fermées. Nous ne les entendons pas. Pas plus que Gus qui n’a toujours pas dit un mot.
Ilsursautepresque,surprisd’êtreainsiextraitdesespensées.
JeregardeGusavecgratitude,maissurtoutuneprofondetristesse.Carilfautêtrehonnête, jen’aiaucuneaptitudedansceservice.Illesaitparfaitementbien.Leseuletuniquebutde cettedémarcheestdemepréserverd’uneaffectationquimeconduiraitàneplusjamaisles revoir. J’en suis bien consciente. Alors je lui offre le plus beau de mes sourires tristes.
Les larmes montent d’un coup. Surprise, je ne peux retenir les premières. Je me lève pour m’approcher de mon oncle et le serre dans mes bras. C’est probablement la première fois que j’ai un contact physique avec lui. Il se raidit, pris au dépourvu, mais finit par me rendre la pareille. Il passe même sa main dans mes cheveux, comme pour me consoler. Car il ne fait aucun doute que dans quelques jours, malgré toutes les requêtes et autres rapports positifs me concernant, la Ville voudra sa vengeance pour la trahison de mes parents. Ils le savent. Je le sais. Je vais devoir le payer par une vie de servitude.
Tout autour de moi règne un silence total. Rien ne me parvient, pas même le son de mes pas foulant la terre fraîche de ce sentier. Il m’a fallu du temps pour ne plus avoir peur de ce décor, de nombreux rêves pour oser avancer au travers de cette forêt. Mais aujourd’hui, si j’ai peur de m’endormir, je ne crains plus ces sorties imaginaires. Une fois de plus, j’avance sur ce chemin étroit au milieudelavégétationgéanteetétouffante.Jenesaispasoùjevais, car mes piedsseposent l’undevant l’autre, maisjamais jeneparcoursla moindre distance. Sauf que ce soir, cette nuit, mon esprit en a décidé autrement : j’avance !