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Les mesures restrictives imposées par le gouvernement incitent
Pierre Sonne à rompre avec les attaches qui le retiennent à la société et à entreprendre un pèlerinage de la France vers la Grèce. Cherchant une évasion sociale, il s’engage dans une exploration intérieure profonde et une quête minimaliste. Chaque pas est ponctué de surprises et de rencontres qui lui enseignent des leçons précieuses sur la société contemporaine et sur sa propre vie.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Les périodes d’isolement imposées par la pandémie de COVID-19 ont accentué le sentiment de déconnexion de
Pierre Sonne avec la société occidentale contemporaine et ses valeurs. Chaque moment de solitude a renforcé son désir de mener une vie différente et lui a offert une précieuse opportunité d’exploration introspective. Cela l’a finalement conduit à entreprendre un voyage en solitaire à pied débuté le 1er avril 2021.
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Pierre Sonne
Marche vers la liberté
Livre I
De la France à la Grèce à pied
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre Sonne
ISBN : 979-10-422-3586-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
1er avril 2021, loin d’une blague, je quitte tout. Travail, logement, famille, amis, à l’annonce de nouvelles mesures restrictives, je prends mon sac prêt depuis plusieurs mois et j’entame mes premiers pas sur le GR3.
Je veux m’extraire de notre système devenu malade et comprendre qui et pourquoi je suis. Je m’aventure sur un chemin que j’attends depuis très longtemps, mes proches ne connaissent ni l’entièreté de mon projet ni la destination que j’ambitionne.
Au départ de Chabreloche, entre Clermont-Ferrand et Lyon, je me dirige grâce aux marquages blanc et rouge du sentier de la Loire. Mon sac de vingt-trois kilogrammes contient tout le matériel nécessaire afin d’être au maximum autonome pour un maximum de temps et dépendre le moins possible de toute aide extérieure.
Loin des dix kilomètres autorisés par le gouvernement, je me retrouve rapidement immergé seul au milieu de paysages naturels, entouré par les forêts du Massif central dans lesquelles je me fraye un passage sur un chemin très peu emprunté et déjà bien encombré par la Nature qui reprend ses droits. Là, au centre d’une forêt où coule une rivière reluisante d’où jaillit l’eau qui scintille sur les rochers et le flanc d’une montagne abrupte, je me sens libre comme on le ressent rarement dans une vie de conformé social. Je sais qu’ici, je peux m’arrêter pour une heure ou même deux jours, je peux élire domicile à cet endroit plus magnifique qu’aucun des jardins sans rien devoir à personne. À cet instant, je comprends que ce jour marque le début d’une expérience de vraie liberté et je ressens une puissante reconnaissance face au privilège de ma situation.
J’ai très envie d’établir mon premier campement en ce lieu qui semble béni par Dieu ou la Nature mais je viens seulement de parcourir sept ou huit kilomètres et je dois poursuivre mon chemin afin d’avancer vers mes objectifs. J’ai planifié l’itinéraire de mon chemin sur mon lieu de travail lors de mon dernier jour avant d’annoncer à mes supérieurs que je ne reviendrai pas à l’issue de cette période de confinement. Mon parcours en France est construit selon deux contraintes : je ne peux pas franchir de frontière durant cette période d’isolement et je dois rester discret car je ne suis pas en droit de quitter mon domicile sur une si longue distance. Je prévois donc de traverser le Puy-de-Dôme, l’Allier, la Nièvre et l’Yonne par le GR3 en passant par le Morvan et de continuer sur le sentier européen E3 jusqu’à Avalon d’où je rejoindrais la Suisse par la voie de l’Allemagne en passant par Dijon et Belfort. Après environ un mois et les mesures restrictives interrompues, je traverserai la Suisse et rejoindrai l’Italie par le Trans Suisse Trail, d’où j’irai de Lugano à Trieste sans avoir idée de l’itinéraire que je suivrai pour ensuite traverser la Slovénie, la Croatie par le sentier E12 et rejoindre le Monténégro, l’Albanie et enfin retrouver la Grèce.
Après une première journée de vingt-cinq kilomètres, j’installe précautionneusement ma tente proche d’une source entourée de forêts de pins avant d’aller chercher du bois accompagné par les aboiements d’un chevreuil à quelques centaines de mètres puis je mangerai au coin du feu, avant d’aller dormir et rêver d’un itinéraire semblant fantastique mais bien réalisable.
Réveillé à cinq heures du matin, nous sommes le 2 avril 2021 et le gel m’a contraint à dormir en dent de scie. À la fois difficile et réconfortant, c’est l’aventure que je recherche, je me lève, emmitouflé, dans ma polaire et les bûches flamboyantes de la veille sont maintenant figées comme par le froid. Quant à moi, je me sens survivant, combattant le gel qui s’installe sur mes mains au contact des arceaux glacés de ma tente que je replie. Les étoiles sont resplendissantes dans l’obscurité de la forêt et m’offrent un spectacle d’une beauté qui réchauffe mon être au point de ne plus ressentir le moindre frisson. Étincelantes, elles semblent assistées au réveil d’un pèlerin déconstruisant minutieusement son campement avant de quitter les lieux sous le regard bienveillant d’une Lune éclatante. Avec le poids de mon sac sur les épaules, les sensations de froid cessent très rapidement et mes différentes couches de vêtements se réduisent progressivement. Le chant de chaque oiseau commence à se diffuser au travers des feuillages de la forêt qui m’entoure et la lumière du soleil débute son apparition à l’Est. Ce jour-là, l’éclosion du soleil marque un arrêt dans ma marche et pour le restant de mon voyage, chaque jour fut ponctué par une pause pour contempler ce ballet astral.
Sorti de la forêt, je rejoins un premier village dont le calme constant donne aux sifflements du vent le plus intense des sons. L’atmosphère semble appartenir à une époque plus ancienne, oubliée, qui resta figée comme glacée dans le temps. Les volets vieillis cachent la totalité des fenêtres mais sur certaines maisons des pancartes mentionnent encore le nom de commerces oubliés. Vacillante au rythme du vent et retenue par deux chaînes rouillées, on peut lire sur une pancarte les tarifs en francs d’une boucherie d’antan.
Je songe à une époque où la vie habitait encore ce village lorsque sur la place de l’église, les gens se rejoignaient et constituaient une réelle communauté bien plus forte et plus importante que les ordres verticaux venus d’un gouvernement malhonnête et égoïste. Je regrette le fait que désormais les concitoyens ne soient plus reliés entre eux comme on pouvait l’être dans un village mais soient indirectement liés et manipulés par les médias qui transmettent les commandements d’un gouvernement formé par des personnes n’ayant rien en commun avec celles qu’ils dirigent et les utilisant simplement en quête de profit. Quittant ce village d’où la vie semble être partie, j’ai l’impression d’avoir traversé son antithèse, l’inverse de la vie communautaire, une sorte de néant social. Je m’immerge à nouveau là où la vie se trouve sous ces formes les plus variées, la Nature. Régulièrement, j’arrête ma marche et je m’émerveille devant son pouvoir à créer une beauté objective et des tableaux qui jamais ne seront peints de la sorte. J’essaye de la comprendre, de savoir ce qu’elle peut nous offrir au travers des différentes plantes qui m’entourent. Plantain, Gaillet, Noisette de Terre, Silène, Oseille sauvage, Sureau, Nombril de Vénus, feuilles de Ronces… J’enrichis mes connaissances et me confectionne de bons plats riches en nutriments qui enrichiront mes microbiotes appauvris par tant d’années de repas industriels. Avant chaque repas du midi et du soir, c’est la cueillette qui débute et se mélange aux riz ou à la semoule selon mes envies. Je ne ressens pas le besoin de manger des choses particulièrement goûteuses puisque j’ai fait un jeûne de quatre jours avant de partir et j’ai depuis habitué mon corps à une alimentation simple. Je suis de plus dans un état d’esprit où j’aime me contenter de la simplicité de ma condition présente et j’en suis plus satisfait qu’aucune autre fois dans ma vie. Le fait de trouver un endroit magnifique pour me reposer et avoir de quoi manger m’offre toutes les satisfactions attendues et une reconnaissance pour la vie comme je n’avais jusque-là jamais pris le temps de ressentir. Au soir du deuxième jour, j’établis mon camp, prépare un feu et un repas chaud au cœur d’une prairie verdoyante en contrebas de laquelle coule un petit ruisseau. Aucune habitation ou signe d’Humanité visible aux alentours, simplement le calme de la Nature qui pénètre mon esprit. Je me sens libre et les allers-retours jusqu’au ruisseau me donnent l’impression d’habiter une immense maison à la décoration singulièrement parfaite. La météo annonce -5° alors je laisse le feu jaillir et m’accompagner toute la nuit grâce à une énorme bûche trouvée non loin. Je suis apaisé au plus haut niveau, libre, dénué de toutes addictions, envies ou contraintes. Je me contente de peu et me sens totalement aligné avec qui je veux être, mes valeurs, respectueux des êtres, de la vie, de la Nature, et je sens que celle-ci me le rend au plus profond de mon être. Les crépitements du feu et le froid me réveillent doucement le lendemain matin. Je range mes affaires, replie ma tente et me réchauffe grâce à une tisane bien chaude concoctée chez mon ami toujours vif et chaleureux. Encore une fois reconnaissant pour avoir profité de cet endroit magnifique, je repars sur ce même sentier que j’avais quitté la veille. Sac sur le dos, bâton à la main, je découvre une montagne dont le sommet accueille une statue blanche de la sainte vierge surplombant la nature auvergnate encore dormante. Un endroit idéal pour contempler l’apparition du père lumineux. Ensuite perdu, je me retrouve à faire un détour de cinq kilomètres avant de rentrer dans un nouveau village aussi calme et rustique que les précédents. Alors que j’emprunte une ruelle marquée du signe rouge et blanc, une porte s’ouvre subitement. Une femme sort et m’interpelle : « Bonjour ! Venez, je vais vous donner quelque chose ! » Voici deux jours que je n’ai pas eu de contact humain et je me sens si bien seul dans la nature que je n’en veux pas davantage. Je la salue également et lui dis que je n’ai besoin de rien, après quoi elle insiste tout de même pour m’offrir à boire et m’explique que ce sentier est l’un des chemins principaux qui mène à Saint-Jacques-de-Compostelle et qu’elle a l’habitude de donner du chocolat et une boîte de pâté aux pèlerins qu’elle croise mais aussi qu’elle souhaite également partir sur le « Camino de Santiago » avec son chien dès les mesures restrictives interrompues par le gouvernement. Je n’ai alors aucune idée que je marche sur les pas de Saint-Jacques-de-Compostelle et elle est bien surprise de me voir suivre ce sentier dans l’autre sens. Elle me demande alors où je vais et par crainte d’avoir un projet trop ambitieux, je réponds simplement « à Lugano en Suisse » ce à quoi elle me répond tout de même que le chemin sera long.
L’un des objectifs de mon voyage est de contrôler mes besoins notamment gustatifs, et garder un régime alimentaire que je considère comme étant la meilleure façon de se nourrir afin d’être en forme et rempli d’énergie : uniquement grâce à ce que la Nature nous offre, c’est à dire principalement grâce à ce qui pousse, les végétaux, légumes et légumineuses ainsi que certains féculents. Accepter le chocolat riche en sucre, le fromage et sa caséine et le pâté me peine quelque peu mais par politesse, je ne pouvais pas refuser. À l’heure de midi, je ne conduis pas une gourmandise certaine, et malgré mes convictions nutritives et le jeûne effectué quelques jours plus tôt. Je mange les délicieux mets offerts précédemment. De retour sur la route, et après quelques pas dans le premier village, la vie s’exclame de nouveau « Et viens voir ! J’ai quelque chose pour toi ! » Un homme taché de peinture, des cheveux longs et un sourire éclatant, me fait signe et sans même me demander mon prénom, il m’ouvre la porte de sa maison, m’offre une succulente clémentine et me donne une leçon de nutrition, m’expliquant que les habitudes alimentaires de notre société sont très malsaines et m’affirmant qu’il tient sa forme d’un régime végétarien et d’une hydratation presque uniquement alimentaire. Je pris évidemment ceci comme un rappel à l’ordre quant à mon précédent repas. Ensuite, il me fait découvrir les travaux qu’il a entrepris pour retaper la maison qui était initialement à son père. Des revêtements muraux sertis de pierres, une large étagère en chêne massive et des finitions en nuance de peintures dont il est plus que fier. Ensuite, il me guide vers son jardin pour me montrer l’intégralité de sa collection de jeunes pousses de chênes qu’il plante sur ses parcelles. Cet homme est véritablement enthousiasmé par son savoir-faire et me transmet sa passion, il « reconstruit les forêts ». Enfin, il ouvre les larges portes en bois de son garage d’où il tire un drap blanc sous lequel se cache un tracteur Renault N73 en parfait état. Mon père avait le même véhicule auparavant et je ne pus m’empêcher de l’associer à cet homme lui qui aurait rêvé d’une vie semblable. Un signe qu’il est à mes côtés me prodiguant des conseils et me prouvant que je suis sur le droit chemin. Avant de partir, il m’offre un pot de pesto à l’ail des ours et une botte de romarin, m’expliquant que ceci ne veut que mon bien.
Le lendemain, alors que je marche au rythme des tic-tacs de mon bâton sur le sol, j’aperçois au loin une silhouette venant en ma direction sur la route départementale que j’emprunte alors. Une paire de bâtons de marche dans les mains, un gros sac sur le dos, et des lunettes de soleil sur le nez, voilà un vagabond vivant une expérience similaire à la mienne. Son retour d’expérience est enthousiasmant à la hauteur de l’expérience que je suis en train de vivre. Il m’aborde tout d’abord en me disant d’une voix essoufflée et rocailleuse « Les deux seuls assez fous pour partir marcher en cette période ». Il a environ trente ans, il est parti de chez lui depuis une semaine et veut rejoindre Le Puy-en-Velay avant d’avoir à retourner travailler. Lui aussi, il vit une expérience de liberté ultime dont il est plus que gratifiant, il regrette seulement le fait que l’effort soit trop important, la marche et le poids du sac constituant une éprouvante épreuve qu’il faut savoir gérer. Il me confie regretter d’avoir pris trop de matériels avec lui et me dit « On prend toujours trop de choses avec nous par peur de manquer ». Moi aussi, mon sac me pèse. Les jambes, les fessiers, les épaules, le dos, et les pieds sont douloureux, une tendinite fait quelquefois son apparition. Cependant, je sais que plus les jours se succéderont et plus ces douleurs seront supportables pour enfin devenir impalpables. Avant de partir sur ce chemin, pour me préparer, j’avais parcouru une partie du GR34, le sentier des douaniers autour des menhirs, dolmens et autres vestiges bretons datant du Néolithique et je sais qu’au bout d’une semaine, les sensations sont bien meilleures. Cet homme me conforte dans cette idée, nous échangeons sur le chemin qui nous précède mutuellement. Où être vigilant, où dormir, où manger, mon aide est minime pour lui puisque j’ai uniquement dormi dans ma tente et n’ai mangé que ce que j’avais sur moi. Cependant, lui me donne l’adresse d’une ferme dans laquelle je dois absolument me rendre. Nous nous quittons avec beaucoup d’émotions alors que nous sommes de simples inconnus mais la similitude de notre expérience nous lia fortement.
Deux jours plus tard et environ soixante-dix kilomètres dans les jambes, j’arrive à cette ferme dont on m’a parlé et vanté les qualités de ses occupants. Celle-ci est non loin de la ville de Bourbon-Lancy et sa magnifique vieille ville arborée de colombages et sculptures d’antan. J’ai dormi à côté de l’étang du centre-ville et me suis correctement réveillé grâce à une baignade dans une eau proche des 5 degrés et je fus surpris d’être accompagné par des ragondins qui me motiveront à écourter ce moment. Après une dizaine de kilomètres, je fais mon entrée dans la ferme aux alentours de dix heures du matin. Je ne suis pas attendu et c’est d’abord trois molosses qui m’accueillent après, une voix retentit de l’intérieur des étables « Hé ! là ! Allez ! hop, on vient ici ! » surgit Sébastien, fourche à la main, qui lève la main en ma direction, un sourire éclatant, et me demande de poser mon sac tout en me souhaitant la bienvenue. Après quoi, il s’empresse de me faire découvrir son petit coin de Paradis « Je vais te présenter mes potes, me dit-il avant de s’écrier, cochon ! Cochon ! » à la suite de quoi se rue une meute d’une quinzaine de cochons laineux. Il leur donna rapidement à manger et les caressa tous un par un avec une joie profonde qui se répand dans toute la ferme. Ensuite, il me présente le reste de son monde. Des chevaux, deux ânes, des chèvres par dizaines, un bouc, des vaches, un taureau, des poules, des moutons, des chiens, des chats… Nous nous occupons de sortir toutes les bêtes vers leurs champs respectifs. Pour chacune d’entre elles, Sébastien a une attention particulière, toutes ont évidemment un nom et bénéficient d’un tendre câlin avant de poursuivre vers leur champ respectif. Il comprend chacun des gestes de ses animaux et leurs significations, leurs humeurs et la cause de ces émotions. Cet endroit contraste totalement avec une exploitation qui se situait sur mon chemin et dans laquelle j’étais passé la veille. Là-bas, les vaches étaient rassemblées par centaines dans un entrepôt où toutes alignées, le cou bloqué par deux barres de fer, elles n’avaient qu’une solution : manger. Par curiosité, j’avais fait le tour de cette exploitation et les taureaux avaient d’encore pires conditions de vie. Isolés dans l’obscurité, une chaîne autour du cou, ils étaient figés, le regard vide, et ne réagissaient à mes appels que par de lourdes expirations et des tapages de pieds semblant correspondre à une profonde lassitude voire une haine viscérale envers l’Homme. Sebastien a également un taureau du nom de Tony. Mais Tony reste toujours aux champs et a lui aussi droit à son câlin quotidien, et lorsque que Sébastien veut le déplacer, c’est en le tenant par la corne, il est l’opposé des taureaux avec lesquels j’avais tenté de communiquer la veille et lorsque qu’une vache en chaleur s’approche de Tony, il rigole. L’élevage de Sébastien est basé sur l’amour de ses bêtes, il n’a que faire des subventions de l’Europe données à quiconque respecte les rendements de la Politique d’Agricole commune. En effet, pour nos gouvernements, le rendement à bien plus d’importance que le respect des bêtes élevées et ceci ne concerne pas que les bêtes, il en va aussi de notre santé. Manger la viande d’une bête gavée aux compléments alimentaires pour prendre au moins cent cinquante kilogrammes en un an ne correspond pas à la même qualité de viande d’une bête prenant le même poids en trois ans. Manger la viande d’une bête stressée toute sa vie, c’est simplement s’empoisonner car nous sommes nos émotions et chacun des ions présents dans notre corps interagit avec les émotions qu’il subit. L’élevage subventionné est un poison alors que la manière vertueuse de s’occuper des animaux est illégale. Autrefois et toujours dans certains pays « moins développés », on laisse les bêtes libres et elles peuvent pâturer où bon leur semble. Il pourrait même paraître intelligent d’utiliser la pâture pour s’occuper d’entretenir des terrains et espaces publics ou même le bord des routes comme on peut le voir ailleurs où les gens n’ont pas tant peur du danger. À midi, Sebastien et sa femme me concoctent un délicieux déjeuner dont tout provient de leur ferme. Habituellement végétarien, je m’autorise la dégustation d’un steak dont la provenance et la confection est toute tracée ainsi que du saucisson et tout ce que Sebastien avait transformé et souhaite me faire goûter. Car oui, Sébastien transforme tout ou partie des animaux qu’il élève. Il n’a pas de laboratoire mais fait ça « comme les anciens » à même le champ, il transforme entièrement même l’herbe et ça ne me paraît pas absurde ou dangereux quand je pense aux milliers d’années où l’homme a vécu sans laboratoire. Dorian est convaincu que les obligations imposées par les institutions n’ont pour but que de créer de la richesse qui finira toujours par remonter vers le sommet. Créer de la richesse comme seule finalité, voilà l’erreur du Capitalisme.
L’après-midi, nous continuons l’entretien de la ferme et contrairement aux exploitations que j’avais précédemment connues, Sébastien prend son temps. Le temps d’être avec ses bêtes et d’apprécier son travail alors que son accès à l’eau est restreint par l’écoulement de la source qui traverse son terrain. Comme l’agriculture intensive exploite massivement l’eau pour des monocultures absurdes destinées à nourrir le bétail, il est lui-même tenu de travailler avec très peu d’eau. Alors que nous remplissons les bacs où les animaux peuvent s’abreuver, je lui dis : « C’est embêtant que cela mette autant de temps. » Ce à quoi il me répondit : « Non, moi j’aime bien. » Pendant ce temps, il contemple sa ferme et les animaux qui y vivent.
En fin de journée, après avoir rentré et nourri toutes les bêtes, nous nous assoyons proches de l’enclos des cochons, et tel un spectacle, nous les regardons interagir entre eux. Forts de leur cent cinquante kilogrammes, ils fouillent la terre à la recherche des meilleurs mets, la truffe au ras du sol et la laine devant les yeux. Ils se heurtent les uns les autres dans une valse chaotique entremêlée de « groin-groin » ponctuée de cris aigus et stridents retentissant lorsqu’ils se chamaillent trop fortement. Ils se montent dessus et redoublent d’efforts pour accaparer les meilleures trouvailles lorsque d’une minute à l’autre, à la suite d’un quart d’heure de bataille boueuse, tous s’allongent et dans un profond sommeil, ils se reposent les uns sur les autres.
Sébastien m’apprend que les cochons ont énormément de respect les uns envers les autres et sont les seuls animaux de la ferme à ne jamais faire leurs besoins là où ils dorment. Nous allons faire un tournoi de ping-pong dans la grange présente à côté de la maison de Dorian et Sabrina. Ils ont une cinquantaine d’années mais sont un jeune couple de quelques mois et c’est fascinant de les voir agir comme de jeunes adolescents se chamaillant mais s’aimant. Après une riche soirée à partager nos idées et à discuter notamment de mes cheveux que j’ai totalement rasés avant de partir et leur faisant poser la question de savoir si je me suis enfui de prison. Sébastien me fait découvrir la prestation musicale très engagée de Seaz aux victoires de la musique, je profite d’un lit douillet et le lendemain matin, je décide de reprendre ma route. Cette journée à la ferme fut un enseignement d’une richesse unique mais le retour sur le chemin ne cesse de quitter mon esprit. Je sais que l’accès à la liberté m’est ouvert et je ne peux attendre d’en profiter à nouveau. Malgré la proposition de Sebastien à rester une journée de plus à la ferme, je m’en vais profiter de cette liberté exclusive.