Maux en dérives d'amour - Laurence Emmanuelle Hadjas - E-Book

Maux en dérives d'amour E-Book

Laurence Emmanuelle Hadjas

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Beschreibung

Entre souvenirs et voyage, les réflexions d'une femme en fin de parcours qui s'interroge sur la condition de la femme suite au décès d'une amie.

D’une écriture libre et directe, Maux en dérives d’amour retrace les réflexions d'une femme en fin de parcours. Ce premier roman est né de plusieurs années de réflexions sur la condition de la femme, mais le vrai déclencheur en a été le suicide d’une amie et le deuil de sa perte. Malgré la lourdeur du sujet, un ton poétique et résolument mélancolique avec des pointes d’humour parfume le roman. Le récit est intimiste, plongeant le lecteur dans la difficulté de vivre avec des souvenirs qui envahissent le quotidien au point de détruire l’être, mais ce voyage dans la tête emmènera également le lecteur dans différents continents. Voyage, voyage… C’est le premier roman d’une trilogie qui décortique des sujets comme l’amour, le mariage et la marmaille. Chaque roman peut être lu séparément.

Un roman intimiste, où un ton poétique et résolument mélancolique avec des pointes d’humour atténue la lourdeur du sujet. Le premier roman d'une trilogie dont chaque tome peut se lire séparément.

EXTRAIT

Habillée avec une belle robe couleur « honte », couleur hautement à la mode dans un monde sans haute-couture, des cicatrices sur tout le corps et surtout dans l’âme, de la vraie griffe, pas du chiffon ! Vêtue de mes haillons honteux et signés, je suis partie à la recherche de mains baladeuses à défaut d'un cœur aimant. Et puis, qui peut bien aimer un torchon souillé ? La crasse m’a collé dessus, pas moyen de s’en débarrasser. Elle me semblait s’imprimer à l’intérieur, mais ça débordait à l’extérieur, vraiment pas moyen de s’en sortir de cette saleté.
À force de recettes de grands-mères, j’ai appris à masquer mon corps et mon cœur. Appris à savonner mon corps, le faire luire à l’huile d’argan, le cacher derrière des vêtements aux couleurs vives. Je suis devenue experte en éclats de rire, experte pour donner l’impression que la vie est un long fleuve tranquille. Donner l’illusion au monde que la mienne est parfaite sans tache, ni bavure. S’inventer un univers où tout le monde est gentil. Offrir des câlins gratuitement, seulement parce que les câlins, c’est bien, c’est bon et ça fait plaisir aux autres. Le plus incroyable c’est qu’à force de rêver de tendresse, de gentillesse, je finis par y croire vraiment, ça devait fatalement m’arriver, un jour ou une nuit !

À PROPOS DE L'AUTEUR

De parents franco-algériens, Laurence a passé son enfance en Algérie. À l’aube de l’âge adulte elle a vécu en France quelques années, puis de voyage en voyage elle a décidé de s’installer aux États-Unis et cela depuis plus de trente ans. Armée d’un Doctorat en science de l’éducation, elle a enseigné à UCLA entre autre, puis a décidé de s’adonner à sa passion : l’écriture. Elle vit à Los Angeles avec son mari.

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laurence emmanuelle hadjas

Maux en dérive d’amour

Roman

« Au seul homme qui a réussi à m’apprivoiser sans me dépouiller de mon âme libre et fragile. »

Avant-propos

Pendant des années, j’ai griffonné, écrit des mots à droite et à gauche, en vacances, au travail, dans ma tête, au milieu de la nuit, au milieu de mes angoisses… J’ai aussi pianoté sur mon ordinateur à la recherche d’un secret. De temps à autre, j’ai regardé ces cahiers plus ou moins bien cachés truffés de rêves. Un mélange d’une certaine réalité pour arriver à un équilibre plus ou moins assuré, funambule de l’horreur, du rêve et de liberté (Houria)!

Une angoisse permanente s’agite dans tous mes écrits fictifs ou réels, la peur sans restriction, d’être abandonnée, d’être mal-aimée, ainsi que d’être rejetée, coincée au bord d›un drame par tout temps. Je reste en permanence cette enfant ni d’Alger, ni de France ballotée, effrayée : sans patrie. Une identité faite de voyages, de rêves, de lectures et d’un habile maniement de la conscience collective. Cette conscience qui tourne le dos à l’horreur, prétend que ça existe ailleurs, très loin, sur des terres inexplorées.

On est toujours de quelque part et l’ailleurs de quelqu’un. Le monde m’a ouvert ses bras et maintenant je partage mon temps entre Los Angeles où je travaille et La Basdide des Jourdans où je me repose, le Cambodge où je rêve. Enfin, je peux boire un café, un verre de rosé, un cocktail coloré, rire, papoter sans réellement apercevoir les nuages gris des séquelles de mon âme.

À la nuit tombante, mes mauvais djinns me torturent et m’empêchent de dormir. La valise près du cœur, j’attends de me faire virer… J’épie le moment où avec un grand sourire, je ferai semblant de dire que ça m’arrange en fait et que mon balluchon était prêt depuis des lustres.

J’ai glané des histoires d’amour, ou ce que j’ai pris pour de l’amour, de la passion. J’en ai vécu quelques-unes et j’ai coloré les plus belles pour me les garder tel un trésor d’enfant enfoui dans une boîte à jouets. J’en ai inventé d’autres, juste parce que des fois la fiction fait l’amour avec la réalité. J’en ai chipé aux autres aussi.

À la cinquantaine passée, je me rends compte que la peur de l’abandon ne m’a jamais quittée. Je meuble ma vie de rencontres, de bruits, d’histoires et j’attends d’être libérée d’un boulet. Je vis entre la peur et la joie, la prison de mes souvenirs amers et la liberté des espaces côtoyés, des livres lus et non lus, des amours partagés de temps à autre et des amours suspendus, ceux auxquels je n’aurai jamais droit.

Entre besoin de crier et pudeur, je ne trouve pas le tempo… Alors, doucement sur mes maux, je mets des mots ! Et je tire ma révérence ! Je suis enfin invisible… Plus rien ne peut m’arriver ! La liberté d’être : enfin!

l.e.h

Mots et maux sur corps abimé

La consolation de ce monde c’est qu’il n’y a pas de souffrances en continu. Une douleur disparaît et une joie renaît. Toutes s’équilibrent, ce monde est compensé.

–Albert Camus.

Sa main plaquée sur ma bouche. Les bruits de la maison se faisaient sourds, envie de crier, mais pas un son qui sort. J’ai peur… J’ai dix ans et des poussières… Il remonte la couverture malodorante, du graillon mélangé à son haleine teintée de vinasse et de cigarettes brunes sans filtres, des Afras. Je suis sûre que tous ces cons veulent mourir avec une Afras coincée au coin de leur bouche.

À côté, le ronflement d’un corps d’un ou d’une autre affalé par terre à peine couvert m’empêche de respirer. Dormir me fait peur. La salle à manger est transformée en dortoir. Je ferme les yeux, mon âme, mon corps, je verrouille toutes mes émotions. Je deviens fantôme, un squelette dans la nuit. J’espère que ce soir j’aurai la paix, que mon corps restera intact. Il sort son sexe de son pantalon gris et farfouille en dessous de la couverture pour faire glisser ma culotte le long de mes cuisses toutes maigrichonnes. Pas un bruit, pas un son, pas un souffle, une fois de plus, je suis souillée par mon bourreau. J’ai mal et malgré les ronflements incessants à mes côtés, personne n’est là pour panser mes blessures visibles ou invisibles. Je sens son sexe me pénétrer, j’ai mal, j’ai peur.

On ne m’aimera jamais, une souillon ne peut être aimée. Il éjacule et moi je remonte ma culotte en retenant mes larmes car personne n’est là pour s’insurger. Souffrances solitaires et non solidaires…

Dormir, mourir, rêver, m’envoler… Ah ! Partir loin ! Très loin ! Le plus loin possible de mon corps sali, de ma vie parfumée à la frayeur, de mes angoisses sombres, de mes peurs de respirer, de mes bourreaux. PARTIR pour ne jamais plus revenir !

Mon corps d’enfant, depuis longtemps, ne m’appartient plus. Des mains, des sexes se le sont approprié et il ne me reste que les os, la peau meutrie et peut-être un soupçon d’âme. On pourrait se demander si nos corps nous appartiennent et si oui, alors à quel moment ? Mon corps se balade de sexe en sexe au goût du jour, mais surtout dans la nuit sombre sans que je ne puisse rien y faire. Je sais que je ne peux pas crier : NON ! Ou mettre un coup de poing à travers la tronche de ces cons ! Je n’ai pas le droit de faire de bruit car je jetterais la honte et le discrédit sur la famille. Eh oui, on me l’a dit et j’ai suivi la règle sans mot dire.

Ah ! La sacro-sainte famille, les obligations d’être bien vu par les voisins. À l’abri des regards, des horreurs sont commises sans que personne ne bronche. On vit dans un monde de lâches. Un monde blindé de méchants qui profitent des plus faibles, des handicapés, des enfants frêles et de pauvres femmes lâchées par leur famille, merde, merde et merde ! Et je ne parle que du visible, va savoir ce qu’il se passe derrière toutes les autres portes de mon quartier au cœur d’Alger la Blanche!

Dehors, la vie continue, ça crie, ça vend des casseroles bariolées faites en Chine. Des voisines qui hurlent le prénom de leurs enfants chéris pour qu’ils rentrent à la maison, qu’ils arrêtent de trainer avec la racaille locale. Ces bruits urbains s’engouffrent dans notre salle à manger-dortoir. Il fait chaud, une chaleur moite, tout colle sur la peau. J’ai peur de sentir une peau sale, collée contre la mienne. L’été est à son zénith.

Je dors un œil ouvert, la radio sous l’oreille, j’écoute ma station radio préférée, celle qui nous vient de Monaco – RMC – autant dire d’un autre monde, un univers qui me plait et que j’imagine paisible. La voix chaude de Julien Lepers, « monsieur hit-parade », berce mes soirées, mes nuits et me permet de m’évader un peu. Faut que je reste vigilante, j’essaie de ne pas dormir pour écouter les pas et comprendre ce qu’ils veulent me dire, ce soir ou pas ce soir ? That is the question ! Je suis sûre que je dors de temps à autre, mais pas moyen de me le rappeler. J’ai l’impression étrange de ne jamais dormir, ou j’ai peur, ou j’écoute le hit-parade… Alors je vous le demande, je dors quand ?

La journée m’offre du répit, je fonce à la plage où je traîne mes pieds dans le sable chaud et sale, je me jette dans les vagues. Je regarde de l’autre côté de la Méditerranée dans l’espoir de toucher les rives d’en face : la France ! Il me semble qu’en France, je pourrais jouer à la marelle sans avoir peur du soleil couchant. Ici, à l’approche du crépuscule, je flippe malgré les merveilleux tons que ce spectacle quotidien nous offre inlassablement. Heureusement, le jour m’appartient, je disparais pour ne réapparaître qu’à la nuit tombante. En tout cas, j’ai décidé que la journée est mon royaume, je suis la reine des trottoirs ! La princesse des vagues ! Je sais bien que je n’ai pas le droit de partir sans dire où je vais, mais je n’en fais qu’à ma tête. Pourquoi écouter ces cons qui ne respectent rien, ni personne et surtout pas mon corps. Invariablement, je me prends une belle claque ou deux, en pleine poire à chacune de mes réapparitions de fin de vadrouille, fin d’après-midi. Je laisse ma couronne faite de lumières sur le trottoir ou sur les dentelles des vagues. Je ne dis pas où j’étais et je ne le dirai jamais, peu m’importe le nombre de torgnoles, de coups que je prends. C’est mon royaume, je me le garde et pas question de le voir souiller par ces affreux. Voilà maintenant vous le savez, je vous hais tous sans aucune exception !

Tous les jours, même les jours d’école, je m’invente une nouvelle vie, pleine de couleurs, de douceur, d’amour entourée d’une famille comme dans les séries télé américaines genre : Flipper le dauphin. Je me vois en Sandy prête à aider les pauvres nageurs perdus en Floride dans les Keys, avec un papa fier de moi. Moi, nageant au loin avec mon dauphin ! Et mes cheveux couleur paille juste comme Sandy ! Allez hop, à moi les rues d’Alger ! Je visite et revisite toutes les rues, les avenues, les ruelles sinueuses de la Casbah qui n’ont pratiquement plus aucun secret pour moi. Les places ornées de guerriers à cheval, la grande poste, les voûtes du port, les grandes avenues crades à souhait, les garagistes qui repeignent des voitures à même le trottoir, je m’enivre des effluves de peinture et des odeurs de rouille !

À la nuit tombante, comme tous les jours, je reviens doucement vers mes bourreaux. Avant même d’arriver j’entends les cris et les casseroles qui s’entrechoquent. Les inévitables crachats venus du fond de la gorge qui me donnent la gerbe. Je remonte la rue et doucement la peur me prend à la gorge et ça presque tous les jours depuis plusieurs années.

Mes tourmenteurs, le sourire carnassier, se lèchent les babines en mangeant comme si c’était leur dernier repas. Sur les recoins de leurs lêvres, la harrissa mélangée à de l’huile d’olive dégouline. ça leur dessine une moustache comique et d’un revers de main, ils arrachent ce mélange épicé qui maquille leur visage. Ils parlent fort de matchs de foot, de marchandises avariées, de bateaux qui n’arrivent jamais. La télévision qui siège comme un trône dans un coin du salon, crache notre RTA nationale qui offre son spectacle quotidien de prières suivi de longs monologues de nos politiciens qui ont oublié leurs promesses de jeunesse, oublié leurs camarades de combat. Ces anciens combattants, qui nous imposent un rythme de vie incroyable, une vraie vie de galériens. Il faut chercher pour manger, les prix que je ne comprends pas semblent augmenter vertigineusement. On parle de rations à la maison pas sûre de ce que ça veut dire, mais je sens bien que c’est l’angoisse pour tous.

Parfois, d’une voix toute frêle, certains adultes se mettent à parler d’« au-temps-des-Français », ils le disent tellement vite que je pense que c’est un mot entier et qu’il faut un souffle de nageur de haute compétition pour arriver à le sortir sans devenir tout rouge, voire même mourir d’essoufflement. Dès que j’entends, « au-temps-des-Français », je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé, la révolution est morte et dix ans plus tard, la liberté semble être une illusion pour la majorité des Algériens. Pour nos révolutionnaires, c’est une autre histoire ! Ils ont besoin de paix, de calme, de fêtes en pagaille et puis ils doivent se ressourcer dans les belles stations balnéaires dessinées par des architectes venus des quatre coins du globe.

Dans cette nouvelle république démocratique prête à en remontrer au monde entier, la vie est en deux temps : « les révolutionnaires et le peuple camarade ! » Ah ! C’est sûr que la vie des frondeurs doit être compliquée et difficile à la vue de leur besoin de repos et de leurs immenses cigares venus en direct de La Havane ! Pour l’instant, pas sûr de l’effet que notre Algérie démocratique et socialiste a sur le monde entier, en tout cas ici le peuple « camarade » tire la langue, souffre quotidiennement. Nos écoles sont bondées, pas vraiment de jouets ou même de parcs pour s’amuser.

Pendant que je repense à toutes ces questions sans réponses dans ma tête d’enfant, mes bourreaux commentent la pseudo-actualité, ça ricane et ça frémit en même temps, car ils savent déjà que leur tour viendra. Un jour, ils ne seront plus en odeur de sainteté et moi là, je me marrerai de loin car je serai loin.

À leurs yeux, je ne suis rien, qu’une chose meurtrie, sale, abandonée, sans valeur, sans identité… Perdue dans un monde de fous à lier. Je ne vomis plus, je ne mange plus et j’espère que ma maigreur va décider les sadiques à trouver une nouvelle victime. On aime l’abondance de chair dans ces coins-là du monde ! Je regarde autour de moi pour jauger qui pourrait être la nouvelle victime potentielle, pas vraiment de choix ou alors de se servir chez les autres. Les voisins ont tout compris, ils cachent leurs jeunes filles, ne les sortent que lorsque tout le monde ou plutôt les mâles ont quitté la maison. Elles sont à l’abri. Comme je les envie ! Mais peut- être…

Au fur et à mesure des années, Je comprends que je ne serai probablement jamais candidate à l’amour, au désir, à la vie remplie d’éclats de rire. Je me suis mise à regarder des films dans les salles sombres de la ville. Avec les quelques dinars glanés de-ci de-là, pour ne pas dire volés directement dans une poche d’un pantalon abandonné dans un recoin de la maison. Je me faisais des salles obscures. Le Rex était mon favori, pas trop loin. J’ai l’impression d’en faire ma deuxième maison, une demeure avec des couleurs, des aventures à foison, du rêve quoi ! Je regardais avec curiosité ce que faisaient les femmes d’ailleurs, genre fumer, parler, se balader en mini-jupe dans les rues de Paris ou d’ailleurs. Ça me tente bien cette vie ! Et hop, je sors, je montre mes gambettes au soleil sans risque, peut-être un sifflement d›un homme en perdition, mais rien de bien grave !

Je me vois déjà, une cigarette au bec refaisant le monde dans une brasserie bien parisienne entourée de femmes et d’hommes prêts à tout pour remettre les pendules à l’heure de notre monde en dérive. Le cinéma est vite devenu ma source intarissable de modèles féminins qui claquaient le bec aux insolents. Je me voyais déjà dans un rôle, mais un véritable, genre dans la vraie vie ! Et toujours avec une cigarette pour me donner une allure de star hollywoodienne, il ne me manque que le rouge à lèvres ! À moi, le Rouge-Baiser !

J’ai aussi vite compris que je pouvais devenir une actrice et jouer le bonheur à fleur de peau. Un rôle appris dans les films américains et français, mes femmes préférées : les grandes belles actrices avec de la poigne, du style, le regard direct et pas moyen de les tromper sur la marchandise. Elles acceptent leurs joies et leurs malheurs avec la même détermination de VIVRE : Entières. Au fur et à mesure des films, je me fais une nouvelle identité, tantôt brune, tantôt blonde, rustre ou avec du charme, mais toujours à la recherche du modèle parfait, celle qui me donnera une identité féminine de choc.

Malgré mon envie limpide de vivre à cent à l’heure, oublier les malheurs de ma vie de petite fille perdue, les jours de grande souffrance, je n’arrivais plus à jouer la joyeuse. Je ne pouvais plus être celle qui va se refaire une vie, une nouvelle identité, un nouveau corps : propre. Je lorgnais les pilules laissées sur un coin de la cuisine. Je voyais l’effet qu’elles faisaient sur celles qui les prenaient… Les cris stridents que suivait le silence.

Un jour, ces petites pilules allaient devenir miennes. Régulièrement, j’en prends une ou deux dans la petite boîte où est écrit le mot « Valium. » J’en garde au fond de mes poches, j’en enfouis au fond du jardin, des fois que l’on me fouille dans le détail. Je sais que ce n’est pas bien, mais je ne peux pas résister à les chiper et à rêver. J’attends le bon moment pour en dérober une de temps à autre, pour l’instant juste de les avoir me donne des ailes. Je vole…

Malheureusement, les petites pilules prises un jour de grande détresse n’y ont rien fait. J’ai craqué car un jour, je me suis dit que rien ne changerait et toute ma vie allait être un enfer, ballotée de lit en lit jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pourquoi ne pas accélérer le mouvement ? Toutes les pilules d’un coup ! Malheureusement, je me suis retrouvée encore et encore dans ce monde où les bourreaux semblent se balader tranquillement et les victimes se cachent de peur d’être découvertes. Que faire ? S’éclipser, rêver à des jours meilleurs, voler des moments de bonheur, un coucher de soleil, un bruit de vagues, un avion qui quitte la piste pour des destinations exotiques : Paris, Milan, Dakar… Moi, je rêvais d’Amérique. Un jour, je partirai loin… Très loin…

Habillée avec une belle robe couleur « honte », couleur hautement à la mode dans un monde sans haute-couture, des cicatrices sur tout le corps et surtout dans l’âme, de la vraie griffe, pas du chiffon ! Vêtue de mes haillons honteux et signés, je suis partie à la recherche de mains baladeuses à défaut d›un cœur aimant. Et puis, qui peut bien aimer un torchon souillé ? La crasse m’a collé dessus, pas moyen de s’en débarrasser. Elle me semblait s’imprimer à l’intérieur, mais ça débordait à l’extérieur, vraiment pas moyen de s’en sortir de cette saleté.

À force de recettes de grands-mères, j’ai appris à masquer mon corps et mon cœur. Appris à savonner mon corps, le faire luire à l’huile d’argan, le cacher derrière des vêtements aux couleurs vives. Je suis devenue experte en éclats de rire, experte pour donner l’impression que la vie est un long fleuve tranquille. Donner l’illusion au monde que la mienne est parfaite sans tache, ni bavure. S’inventer un univers où tout le monde est gentil. Offrir des câlins gratuitement, seulement parce que les câlins, c’est bien, c’est bon et ça fait plaisir aux autres. Le plus incroyable c’est qu’à force de rêver de tendresse, de gentillesse, je finis par y croire vraiment, ça devait fatalement m’arriver, un jour ou une nuit !

Je me suis sauvée pour apprendre à me trouver. Mes après-midi passés à l’aéroport à regarder les avions atterrir et décoller. Faut dire que j’ai un penchant pour le décollage, l’avion qui s’en va, mais pas trop celui qui revient. Air France, Air Algérie, Alitalia, Aeroflot, les quelques compagnies qui partaient de Dar El Beida, l’aéroport d’Alger depuis renommé.

Ces avions d’ailleurs devenaient mes amis sans voix, mais avec d’immenses ailes gracieuses. Ces ailes qui m’ont murmuré les diverses façons de partir; comment se faufiler dans le monde si restreint dans lequel je m’étais enfermée par obligation, pas par choix. Les avions qui me faisaient tant rêver sont devenus mes amis. Un jour, je savais que moi aussi j’allais être dans un avion, partir loin et surtout ne jamais revenir. Rang, place, numéro, destination, ceinture de sécurité, les oreilles qui se bouchent, les nuages, les turbulences, les repas sur plateau, les montées, les descentes, enivrant ! Et toujours à chercher mon nouveau corps : propre celui-là, je me le jure !

Je prends mon premier avion, je me trouve soudainement dans le froid, dans la neige, pas vraiment ce que j’avais en tête. Là, j’ai la haine, on m’a trompée, le monde peut être moche même loin des tortionnaires. Il fait froid, les gens ne sont pas gentils et je me demande où vais-je trouver la paix, le calme et la beauté ?

D’avions en avions, de pays en pays, d’homme en homme et parfois de femme en femme, en vain, j’ai cherché ce corps abandonné depuis longtemps sur les rives de la Méditerannée. Ce qui m’a semblé une mission facile au départ s’est avéré bien compliqué.

Un corps sale et perdu peut difficilement se retrouver par hasard au détour d’une autoroute dans les vents glacials du nord de la Norvége. Les pays se sont succédés, des plus exotiques au plus banals. Mais vraiment, un pays peut être banal ? Je n’en suis pas sûre ! Pas le temps de réfléchir à la question. Les trains de nuit m’ont menée dans des gares au petit matin, des flots de gens qui se bousculent. Ils ont tous l’air de savoir où aller, moi non. Un café, un croissant, ou pas, selon les moyens. Pour avoir l’air comme les autres, des fois, je marchais vite sans savoir où aller, simplement avancer sans regarder derrière. Peu m’importe, ce qui passe derrière moi, ce que je veux voir, c’est ce qui peut se dérouler devant moi! Un rayon de soleil, un sourire, un homme, une femme, un rêve… La mer, le soleil, les vagues, l’horizon !

Année après année, j’ai sauté de lit en lit, de rêve en rêve, de déception en déception, sans vraiment comprendre où trouver la clef pour ouvrir cette prison dans laquelle je me suis enfermée. Il m’a semblé pendant des années que cette clef tant convoitée n’était qu’un miroir aux alouettes, un truc pour les gens bien nés, de bonne famille, avec deux enfants, un chat, un chien et de la tendresse à revendre. Peut-on vraiment être née sans chance, avec la poisse, la scoumoune ?

Au fur à mesure des jours, je commençais à me dire que ben oui ! On ne choisit pas son destin, il est écrit : mektoub. Moi, ce dont j’avais envie était de réécrire mon histoire, redéfinir mes chemins de traverse, faire la nique à ma fatalité. Je me suis tellement embrouillée que parfois je me suis retrouvée à la case départ. Là, traînant dans un coin de rue, vêtue d’ecchymoses, de coups, salie, toujours quelques pilules au fond de ma poche au cas où j’échouerais définitivement à renverser la vapeur! À l’heure du bilan, je me demande ce que je dois faire pour arrêter de me prendre des coups, des bleus au cœur et surtout comment me débarrasser de cette peur d’être abandonnée à tout moment qui empoisonne mon quotidien. Je m’en vais faire un tour du côté de l’océan Pacifique et laisser la vie s’en aller comme elle est venue!

Mots en vrac

Devenus protocole et politesses rituelles, les mots d’amour glissaient sur la toile cirée de l’habitude.

–Albert Cohen.

Je descends dans la cave à tâtons. La lumière ne fonctionne plus depuis un bon moment, je le sais. Malheureusement, je ne trouve jamais le temps de changer l’ampoule. Une marche après l’autre dans la pénombre, je vais à la recherche de mon passé. Par chance, il y a une petite fenêtre qui laisse passer un pâle petit rayon de lumière. Je n’aime pas cette odeur de terre moisie. Mes yeux s’habituent peu à peu à cette légère luminosité, du regard, je cherche les cartons d’un temps révolu. Tout au fond, à droite, près des bouteilles de vin conservées pour des moments festifs, je vois mes boîtes mal empilées, les unes sur les autres, une vraie tour de Pise.

Des souvenirs sans une véritable organisation : Mots d’amours, Mots de ruptures, Mots à garder… Vieux cahiers… C’est écrit sur chaque boîte, d’une écriture bien ronde, presqu’enfantine ! Je prends une des vieilles boîtes abimée, trouée sur les coins. Label : Mots d’Amour. Je l’entrouvre, j’aperçois plein de missives au parfum de passion, offertes ou laissées sur un coin de table par des amants que j’imagine repentants. Ces mots, ces dessins, ces photos que j’ai choisi de ne pas détruire ! Ceux qui ont survécu à ma colère du moment, probablement parce que j’imaginais qu’il y aurait des urgences émotionnelles dans la balade de la vie. Ils seraient là, à remplacer une pilule soporifique pour qu’ils me réchauffent l’âme, le cœur dans les instants de grande solitude, de frayeur et de désir de vivre malgré tout.

Je m’installe confortablement avec une tasse de café très chaude à la main, la musique en sourdine, me bloquer du monde, m’évader un long moment. Assise sur un énorme coussin multicolore fait main par d’habiles femmes d’un autre recoin du monde. À la relecture, certains mots m’ont fait sourire. Alors, je décide de les décortiquer, les arracher à leur boîte en carton, de leur redonner une nouvelle vie en pleine lumière, une dernière fois avant leur fin tragique et certaine au fond d’une poubelle à tri sélectif ou peut-être face au Pacifique.

Quand j’aurai tout lu, revécu toutes les histoires, je pense que j’irai au bord de l’océan faisant face au coucher du soleil, je ferai un beau feu au fond de mon cœur de toutes ces missives d’amour éclatantes de vérité et de mensonges que j’ai reçus et gardés jalousement au fond de ma cave pendant des décades… À l’abri des regards curieux !

Je finis mon breuvage caféiné et redescends à la chasse aux souvenirs. Je remonte de plus en plus de cartons, de boîtes à chaussures, je les empile devant moi. Je fais un château de princesse de tous ces paquets fragiles, à dimensions différentes. Je suis entourée de photos collées aux murs. Je m’entoure du best-of. Une envie de nostalgie me submerge alors, je mets un CD légèrement rayé de Nicolas Peyrac, j’écoute. Les mots me reviennent, ceux qui m’ont à leur insu forcée à partir loin, sans que je m’en rende compte à l’époque:

« …Quelques lueurs d’aéroport…

Dans ma mémoire trainent encore.

C’est l’hiver à San Francisco

… Le Golden Gate s’endort

Des sanglots couleur de prison…

So far away from LA

So far ago from Frisco

I’m no one but a shadow

A shadow… »

Tout ressurgit à toute vitesse, je laisse mes boîtes à trésors en paix. D’un coup, les balades dans les rues moites et odorantes d’Elbiar, mon ancien quartier. Les femmes à même le sol cuisinent tout le temps pour des hommes à la reconnaissance embryonnaire. Elles préparent les repas aussi pour leurs enfants qui courent dans tous les sens dans les ruelles qui dévalent devant chez eux. Des parfums de jasmin, de cumin et d’eau de fleur d’oranger envahissent les rues où les poubelles s’entassent. Des paquets chargés d’épluchures, de têtes de poissons malodorantes, faits de journaux de la veille écrits en arabe ou en français pavent les trottoirs pleins de trous et de cailloux.

Mes sens oscillent entre bonheur et envie de vomir. Les grenadiers sont en fleurs, le ciel est bleu azur tout comme mon âme. Des hommes retiennent les murs de la ville en crachant, en fumant, regards vils sur les femmes qui passent, malgré le voile blanc qui couvre certaines de la tête aux pieds. Des femmes qui tiennent droit sur le sommet de leur tête d’énormes cabas pleins à craquer de nourritures pour leur tribu. Elles ne sont pas à l’abri de ces regards pervers, à la recherche d’un coup de khôl, un genou, une paire de seins qui se balancent sous le léger voile qui couvre leurs corps chastes.

Ces hommes, des haytistes comme on les appelle en Algérie, me donnent tous envie de gerber. Je m’échappe grâce à des chansons dans ma tête, à l’abri de ces regards torves, des mots doux, des mélodies sucrées qui me font rêver d’ailleurs. D’une vie pleine d’aventures, de couleurs, de soleil chaud, de ciel sans nuage et surtout sans problème, sans violence, avec plein d’amour, d’humour et de tendresse.

Toutes ces balades, ces musiques, auxquelles je n’avais pas vraiment le droit, mais je me le permettais. Rien n’allait m’arrêter, ni la violence, ni la peur, ni l’angoisse de me faire choper par quelqu’un de la famille ou un voisin. Celui-ci tout content de savoir que je vais m’en prendre une belle dans la tronche en rentrant à la maison. Mes escapades physiques ou autres ont meublé mon enfance, mon adolescence, et ça continue ! Il y a bien longtemps que cette souffrance corporelle que je subis plus souvent qu’à mon tour n’a plus aucun ou peu d’effet sur moi.

Je prends des gnons de gauche et de droite, comme une boxeuse professionnelle le ferait. En fait, plutôt genre punching-ball, immobile, essayant désespérément de retenir mes larmes tout au fond de mon âme en surcharge. J’ai un sourire en coin, histoire de foutre les boules au tortionnaire de service. Je sens au fond de moi que de rester stoïque ça énerve grave. Faut dire qu’il me manque de l’équipement, mais en général, le nez saigne, une dent se fendille, quelques gouttes pourpres se baladent le long de mon corps, mais rien de bien méchant et puis de toutes les façons je m’en fous car, je n’y peux rien.

Je dois être la fille spirituelle de Mohamed Ali, bang bang bing, pow, vois si ça me fait peur connard ! Les paroles du champion monde me reviennent à toute berzingue :

On ne devient pas champion dans un gymnase. On devient champion grâce à ce qu’on ressent; un désir, un rêve, une vision.

Ben, il faut de l’imagination ! Ça tombe bien, moi je continue à cultiver les images, à ressentir à fond et à continuer d’avoir mon désir d’une vie libre, toujours en marche, en avant, pas de rétroviseur dans ma tête, ni dans mon cœur. C’est sûr que je ne passe pas mon temps dans des gymnases, mais dans la vie, particulièrement dans les ruelles de mon quartier.

Cette vie, la mienne est pleine d’incertitudes, de peur, qu’il faut surmonter, je continue à me faire des rêves impossibles à la pelle. Non, à la pelle mécanique ! Pas grave les coups, rien ne me touche vraiment au fond de moi. J’apprends à passer à travers les gouttes de la haine, de l’angoisse et j’avance. Le nez en l’air perlé de sang, rêvassant d’autres horizons, les mots de Mike Brant, Joe Dassin, Daniel Guichard, Michel Jonasz, Serge Lama, Gerard Lenormand, Nicoletta et bien sûr Jacques Brel me reviennent à l’esprit à une vitesse incroyable et me rappellent qu’il y a un monde à découvrir bien au-delà de la mer Méditerranée !

Même si pour certains, voire la plupart des intellos ambiance Rive Gauche parisienne, les chanteurs qui berçaient mon adolescence, créeaient des tubes pour midinettes. Moi, je m’en foutais, ça me faisait rêver, point barre ! Grâce à toutes ces chansons, je m’étais fait une nouvelle vie, un nouvel horizon plein de voyages et vraiment là où je voulais atterrir c’était : Los Angeles. Parfois, je m’inventais des phrases en faux anglais pour comprendre comment la langue allait se balader dans les recoins de ma bouche. Les chansons des Beatles m’offraient plein de mots inconnus, mais qui semblaient si doux à dire, à écouter ! Yeah baby… I’ll be there ! Oh, Bien sûr, les USA ou l’Angleterre à ce moment-là, même combat, vu d’Alger !

Soudainement, entre deux cigarettes, un souvenir me revient en trombe, Rio de Janeiro, Brésil. Au hasard des rues, des places, je me suis retrouvée dans les Ardennes sur les étals des livres de poésie. Rio, ville magique qui me ramène aux Ardennes où je suis née mais, n’y ai pas vécu. Rimbaud sur un trottoir sud-américain, un recueil de poésies en bilingue portugais-francais, juste comme moi : bilingue… Français-anglais, dans mon enfance français-arabe. Charleville-Mézières a craché sur son fils de son vivant pour l’aduler longtemps après sa mort lointaine en Afrique.