Mr Collins - Naomi First - E-Book

Mr Collins E-Book

Naomi First

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Beschreibung

« Je m’appelle Ana, et à 20 ans je commence mon deuxième cycle universitaire à Georgetown. Ma vie semble parfaite : une famille aimante, des amis proches et un petit ami. Cependant, une rencontre inattendue va bouleverser cet équilibre. Entre espoir et désillusion, suivez mon parcours dans cette histoire où, peut-être ensemble, nous découvrirons la clé du véritable bonheur. »

À PROPOS DE L'AUTRICE

Dès son jeune âge, Naomi First trouve refuge dans l’écriture, encouragée par sa grand-mère. Après une nouvelle épreuve difficile, elle couche sur le papier son vécu pour se libérer de la douleur. Aujourd’hui, plus heureuse que jamais, elle souhaite partager son expérience romancée avec ceux qui traversent des souffrances similaires.

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Naomi First

Mr Collins

Roman

© Lys Bleu Éditions – Naomi First

ISBN : 979-10-422-4226-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je suis Ana et à l’aube de mes 20 ans j’entame mon deuxième cycle universitaire à Georgetown. Ma vie est bien rangée, ma famille, mes amis et mon petit ami me comblent… Enfin c’est ce que je croyais, car une rencontre va tout faire basculer.

Entre espoir et accablement, venez naviguer avec moi dans mon histoire, et qui sait ?

Ensemble, nous trouverons peut-être la clef qui nous ouvrira la porte du véritable bonheur…

Première partie

Rencontre

Chapitre un

Je suis assise sur le rebord de ma fenêtre, un livre posé sur mes genoux et j’observe ce quartier de Shaw à Washington du haut de mon deuxième étage. Il est 23 h, c’est la veille de ma rentrée à Georgetown, tout le monde dort pratiquement, sauf moi. J’observe mon reflet dans la vitre, une ride de contrariété se creuse entre mes yeux verts-noisette. Cette petite sœur ne peut-elle pas écouter sa musique de barbare avec un casque ? Comme à mon habitude je laisse monter la tension jusqu’à l’insupportable et je finis par lâcher :

— Emma, bordel, baisse cette putain de musique !!!!

Je pense que c’est de naissance, cette envie d’attirer l’attention à tout prix.

— Emma Elisabeth Evans, baisse-moi cette musique ou je me lève !

Malgré mes demandes répétitives, Tool résonne toujours contre les murs !

Je me lève d’un bond, je traverse ma chambre normalement apaisante et bien ordonnée.

Je ne déteste pas le hard rock, mais ce soir, j’ai besoin de calme.

J’ouvre brutalement la porte et débarque dans la chambre voisine.

Je trouve une jolie brunette de 17 ans, longiligne, faisant tournoyer sa longue chevelure dans une danse effrénée. Normal, que dans cet état de transe elle n’entende rien !

Son égoïsme me met hors de moi, elle ne vit pas toute seule ! D’un pas rapide, je me dirige vers elle et l’attrape par les cheveux pour ramener son visage à ma hauteur, cette adorable petite peste a en plus le culot de me dépasser d’une tête. Je plante mon regard dans ses yeux marron foncé et je lui gueule :

— ASSEZ !!!!!!

— ANA ! Lâche-moi, tu me fais mal !

Je la lâche et pointe du doigt tant bien que mal vers sa chaîne hi-fi camouflée dans son grand bordel :

— Éteins cette MERDE !

Voilà que cette petite chose fragile se met à convulser et part dans un long sanglot tragique et bruyant, il ne manquait plus que ça comme accompagnement !

D’un coup, mon père arrive pour remettre de l’ordre dans ce vacarme.

— Les filles, il est tard, qu’est-ce qu’il se passe ?

Comme ma sœur est incapable d’aligner deux mots, j’explique la situation à mon père qui s’empresse d’éteindre la musique, il se tourne vers ma sœur et d’un ton ferme, mais doux, ajoute :

— Emma, demain c’est la rentrée, il est temps de dormir. Sèche tes larmes et va te coucher.

Il me prend par le bras et me dit tendrement :

— Il est temps pour toi de dormir aussi.

Il m’accompagne dans ma chambre. Il ramasse mon livre tombé lors de ma course alors que je suis en train de me glisser sous les draps. Du haut de ses 1 m 77, il me regarde affectueusement et s’assoit au bord de mon grand lit.

— Ma puce, le livre des quatre filles du docteur March, ton refuge en temps de stress, me dit-il en le posant sur ma table de nuit. Mon auteure préférée est-elle prête pour son premier jour demain ?
— Papa ! Tu sais bien que je me spécialise dans le journalisme.

— Comment ? Qui va m’écrire des petites histoires dans lesquelles je serais le héros alors ?

— Tu seras toujours mon héros, mais je me sens plus à l’aise de promouvoir les auteurs que d’en être une.

Il me prend dans ses bras, m’embrasse sur le front et me souhaite bonne nuit avant de fermer la porte derrière lui.

Chapitre deux

Lundi matin, 7 h

Je me réveille doucement. Enfin le grand jour est arrivé ! Le début pour moi d’une nouvelle vie, d’un nouvel avenir. J’ai hâte de me rendre à l’université et de découvrir ce nouveau monde journalistique.

Un tour d’une demi-heure dans la salle de bain. J’opte pour un jean noir, assez sobre, un chemisier beige et une paire de baskets en toile de la même couleur. Mes cheveux châtain foncé réunis en queue de cheval. Rapidement, je regarde ma fine silhouette dans le miroir pour vérifier que tout est OK. C’est bon, je suis prête.

Je descends dans la cuisine prendre le petit-déjeuner.

Ma mère tourne comme une abeille pour rassembler ses affaires, un toast dans la bouche. Cette magnifique blonde de 42 ans a sa propre entreprise de stylisme, même si nous n’avons pas la même complicité que j’ai avec mon père, je reste admirative de sa réussite.

Elle n’est pas très présente dans notre vie de famille, son travail l’occupe beaucoup. Toutefois au départ c’était elle qui était à la maison lorsque mon père faisait décoller sa carrière de coach en basketball grâce à un contrat en or avec l’équipe des Wizards de Washington. Maintenant, il est plus présent à la maison, sa renommée lui a permis d’établir une nouvelle carrière de coach personnel plus calme et confortable.

Ma mère, sur le départ, embrasse mon père comme s’ils étaient encore deux étudiants.

— Bonjour, lançais-je. On te dépose Emma ce matin ?

— On ?

— Oui, c’est Jack qui vient me chercher.

— Non merci alors, voir ce minable dès le matin ne m’enchante pas vraiment.

OK ! Je pense qu’elle a été très claire. Mon père essaie d’intervenir, mais je lui fais signe que ce n’est pas la peine.

Jack est mon petit ami depuis plus de deux ans. De prime abord, c’est le genre de gars hautain et froid. Souvent surnommé Ken à cause de son physique, c’est aussi un grand sportif, et je pense que son côté « bad boy » vient de là. Ce qui explique pourquoi ma sœur ne le porte pas dans son cœur, enfin, je présume. Je crois me souvenir qu’au début de notre relation ils s’entendaient bien. Un jour, tout a basculé, sans que je sache vraiment pourquoi. À vrai dire, je n’ai jamais cherché à comprendre. Par peur peut-être, ou par désintérêt, probablement. J’ai mis ça sur le compte de la vie, malheureusement, on ne peut pas toujours s’entendre avec tout le monde. Je pense, avec le recul, qu’il y a autre chose, de bien plus profond, mais que je ne suis pas prête à creuser.

En bref, l’avis négatif et tranché de ma sœur sur Jack est quasiment toujours le même, que ce soit pour ma sœur ou pour la majorité des personnes qui le rencontre, mais, il faut simplement apprendre à le connaître, c’est réellement une belle personne.

Je ne rajoute rien à la réflexion d’Emma, j’enfile simplement ma veste, sans avoir pris le temps de déjeuner et je rejoins Jack qui m’attend devant la maison, dans sa voiture.

— Bonjour, monsieur Parker !
— Mademoiselle Evans ! Vous m’avez manquée.

Il me prend dans ses bras.

— Prête pour cette nouvelle année ? me demande mon petit-ami.

— Plus que jamais !

Nous prenons la route de l’université qui se trouve à une dizaine de minutes de mon domicile. J’ai de la chance que Jack ait souhaité suivre des études dans la même université que moi. Plus jeune, nous vivions dans des quartiers différents et il avait peu de chance de finir sur le même campus que moi. Mais passionné de sport, il a réussi à obtenir une bourse. Ce qui lui a permis de rejoindre l’équipe de football américain des Hoyas de Georgetown. Il suit aussi des cours de stratégie informatique. Je ne suis pas certaine que ce soit ce qui l’anime réellement, mais il s’en moque. Son but étant de devenir sportif de haut niveau, les études à côté ne sont qu’un moyen d’y parvenir. Jack a le même âge que moi, et je l’ai connu grâce à Caroline, ma meilleure amie qui était au lycée avec lui. En parlant du loup, nous la retrouvons, dès notre arrivée sur le campus.

— Anaaaaaaaaaaaaaaaa !
— Caroline ! Tu es en forme, rétorquais-je.
— SUREXCITÉE !

Caroline et moi sommes amies depuis notre enfance. Sa mère est sage-femme et s’est occupée de ma mère lorsqu’elle était enceinte d’Emma. Depuis nos six ans, nous sommes inséparables. N’étant pas dans la même école, on se voyait très souvent les week-ends ainsi que les vacances scolaires. La distance n’a jamais réussi à nous séparer, c’est pourquoi je peux affirmer aujourd’hui qu’elle est vraiment ma meilleure amie. Nous sommes pourtant opposées, elle adore être le centre d’attention, elle est blonde, on pourrait la qualifier de bimbo, mais bon, il paraît que les opposés s’attirent.

— Ana, regarde…

Je me retourne et aperçois les jumeaux Ugo et Juliann. Les deux derniers membres qui composent notre petite bande de potes.

Nous nous saluons tous, selon les affinités, certains bonjours sont plus chaleureux que d’autres : Jack et Juliann se prennent dans les bras, pour Ugo et moi c’est les grandes embrassades.

À peine le temps d’échanger quelques mots que ma montre affiche déjà 8 h 30.

C’est l’heure pour nous de commencer la matinée.

Nous allons seulement être présents trois heures ce matin pour rencontrer nos professeurs, aborder les matières que nous allons apprendre, le déroulement de notre année ainsi qu’une explication approfondie du plan de l’université. Nous partons chacun dans un amphithéâtre différent. Caroline va vers le pôle médecine, car malgré les apparences, elle a décroché une bourse pour devenir pédiatre. Les inséparables Jack et Juliann vont dans la même direction, car ils suivent exactement le même cursus. Et Ugo vient avec moi dans la section journalisme bien que lui, en revanche, envisage d’être journaliste sportif plutôt que critique littéraire.

11 h, nous avons déjà rencontré plusieurs de nos enseignants, il n’en reste plus qu’un qui se fait désirer. 11 h 30, toujours personne, Jack m’a déjà laissé un message, lui et les autres ont terminé et sont dans une brasserie en face du campus. Agacés par l’attente, nous étions fin prêts pour les rejoindre, lorsque dans un grand fracas, les portes s’ouvrent et un homme en costume noir se dirige d’un pas pressé vers le pupitre.

— Bonjour à tous ! La circulation est infernale dans cette ville !

Même pas une excuse, gonflé le type !

— Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je crois que j’arrive à la fin de cette conférence. Je tiens quand même à me présenter, je suis monsieur Collins, et j’assurerais les cours d’introduction au journalisme. Je vous souhaite une bonne rentrée à tous, et à demain.

Amen ! Il a terminé son discours, je peux maintenant nourrir mon estomac qui crie famine depuis plusieurs minutes.

Nous rejoignons les autres pour déjeuner, c’est un agréable moment où nous échangeons sur nos premières impressions, nos professeurs. Je demande à Jack de me ramener ensuite.

J’ai besoin de repos, suite à la courte nuit que j’ai passée grâce à ma petite sœur chérie.

Mon petit-ami me dépose avec regret, il peut se montrer parfois très possessif. Contrairement à lui, je suis très indépendante et solitaire, il est important pour moi d’avoir mes moments. Il a beaucoup de mal à le comprendre, et cela fait partie des nombreux sujets de discordes entre nous.

Après une après-midi de lecture au soleil sur mon perron, je décide de profiter du fait que nos parents soient en sortie d’amoureux pour passer la soirée en tête à tête avec Emma, devant un programme télévisé afin de faire descendre la tension de la veille. 22 h, la fatigue est trop grande, je monte me coucher.

J’ai du mal à trouver le sommeil, je me refais le film de la journée dans ma tête. Je pense à ce professeur, si atypique… J’ai encore du mal à savoir s’il va faire partie des personnes que je pourrai admirer ou au contraire, détester. Généralement, je suis assez tranchante : avec moi tout est blanc ou noir, le gris n’a que très peu de place dans ma vie.

J’aime découvrir de nouvelles personnes, les analyser, essayer de les cerner dans leur intégralité. Mais ce monsieur Collins ne m’inspire que très peu, sans doute pour ça qu’il remplit presque toutes mes pensées. Je suis frustrée de son attitude, et je suis pressée d’être demain pour pouvoir mieux le connaître et le ranger dans une case.

Je divague encore quelques minutes, sur mes amis, l’université, ma famille, avant de rejoindre les bras de morphée, prête à affronter une nouvelle journée.

Chapitre trois

Comme chaque matin, à peine réveillée, je passe à la douche, je m’habille, je descends ensuite dans la cuisine, salue les membres présents de la famille et prends mon petit-déjeuner.

Ce matin, je ne pars pas avec Jack. J’ai promis à ma sœur de la déposer en cours, histoire de passer un peu de temps ensemble en dehors de la maison. Sur la route, j’entame la discussion :

— Emma, il faut que tu fasses un effort avec Jack s’te plaît. Il m’a dit qu’il avait téléphoné hier et que tu lui avais raccroché au nez.

— Je sais Ana, c’est pas cool pour toi, mais ce mec… Je ne le sens vraiment pas. Regarde comme il se comporte, il se croit mieux que tout le monde, et surtout mieux que toi. C’est un minable !

— Mais vous étiez hyper complices quand je te l’ai présenté. Je ne comprends pas ce qui a changé. Et pour tout te dire, je n’ai même pas envie de comprendre. Je suis épuisée de me battre avec toi sur ce sujet, tu n’es plus une gamine, sérieusement, je suis avec lui c’est comme ça, alors je te demande de faire un effort, et…

Elle sort de la voiture en claquant la porte sans me dire au revoir. J’ouvre la fenêtre passager, et hurle pour terminer ma phrase :

— Jack dort à la maison ce soir, alors pas de cinéma !

Sans attendre sa réponse, je prends la route pour récupérer Ugo avant de me rendre à l’université, il est presque 9 h et je suis déjà sacrément contrariée.

Mon meilleur ami vit dans un magnifique appartement proche de Georgetown. Même si Juliann et lui sont jumeaux, ce ne sont pas des frères fusionnels pour autant. Ils se voient régulièrement, mais refusent de vivre ensemble.

J’arrive à sa hauteur.

— Salut Ana, merci d’être passée me prendre.
— Pas de problème.

Ugo, le parfait sosie de Theo James, penche sa tête dans ma direction :

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il me connaît par cœur, cela me fait sourire malgré ma colère.

— Je vais bien. Juste une énième dispute avec Emma ce matin, toujours à propos de Jack. Je pensais que c’était terminé depuis cet été, mais visiblement, je me suis trompée…
— Tu sais Ana, tu ne peux pas forcer tout le monde à s’entendre…

Je sens des non-dits derrière tout ça et je commence à réellement me tendre ! Je n’ai pas un caractère toujours très calme, malgré que je le sois la plupart du temps. Mais lorsque quelque chose me tient vraiment à cœur, je m’emporte assez vite. En prime, je suis toujours très franche, ce qui est en général une qualité, sauf que je manque souvent de tact et je peux parfois blesser mon entourage sans m’en rendre compte. Ugo, qui me ressent et me connaît si bien, termine cette épineuse discussion :

— Demande-lui de t’expliquer clairement ce qui ne va pas avec Jack.

Après tout, il n’a pas tort. C’est même logique maintenant qu’il le dit. Mais, j’avoue ne pas avoir pensé une seule seconde de demander à Emma ce qui n’allait pas. J’étais tellement obnubilée par mon envie qu’ils s’entendent, que j’en ai oublié que ma sœur n’était peut-être pas juste une gamine capricieuse. J’admire vraiment cette facilité qu’a Ugo de se mettre à la place des gens, mais surtout, ce don qu’il a de me canaliser, de me faire entendre raison et de m’apaiser quasi instantanément.

— Merci Ugo.

Je me gare sur le parking de la fac, notre premier cours débute dans cinq minutes.

Une fois installés au fond de la salle, monsieur retard dixit monsieur Collins fait son entrée.

Il est 9 h 10, décidément, la ponctualité n’est pas sa plus grande qualité.

— Bonjour à tous et bienvenue. J’aimerais que chaque personne se présente brièvement. La prise de parole en public est quelque chose de fondamental dans votre futur métier, alors autant se lancer dès maintenant.

Mon Dieu ! Ma hantise.

Non, pas de m’exprimer en public, mais de parler de moi et de ma vie. Je réalise quand même l’exercice, manière de… J’écris le strict minimum sur un bout de papier, et ne peux me retenir de pouffer de rire lorsque je vois Ugo, à ma droite, rédiger une feuille entière.

— La demoiselle hilare au fond à gauche, levez-vous ! On va commencer par vous.

Devinez qui est assise au fond à gauche ?

— Bonjour à tous. Je m’appelle Ana Evans, j’ai 20 ans… comme la plupart d’entre vous. Ma passion depuis petite est de lire et écrire, c’est donc tout naturellement que je me retrouve ici.

Je m’assois, soulagée d’avoir terminé mon pitch sans m’être évanouie. Je souffle un grand coup, avant que monsieur sans gêne ne m’interpelle encore, devant tout le monde.

— Merci mademoiselle Evans. Bel effort, vraiment !

Son ton se fait très sarcastique, mais je ne relève pas.

Mes camarades s’exécutent, tout comme moi les uns après les autres. Je n’arrive pas vraiment à me concentrer sur le discours de chacun. Je me focalise sur mon professeur et analyse chaque fait et geste de sa part.

Il n’est pas très grand, pour un homme, brun, les yeux d’un marron si foncé, qu’ils ont l’air presque noirs. Sa carrure montre qu’il aime passer du temps à la salle de sport. Il porte encore un costume noir. Totalement noir. Ce mec est assez sombre. En fait, je me retrouve en lui dans le choix de la couleur, en revanche, son style un peu british décalé est carrément différent des habitants de Washington. Il est jeune pour un enseignant, et ses mains recouvertes de tatouages suggèrent une forte poigne. Il a l’air si autoritaire, mais à la fois pas complètement désagréable, vraiment pas banal.

Sa prise de parole me ramène sur terre.

— Bien, merci pour votre attention, le cours est terminé, bonne journée.

L’heure est passée drôlement vite, je range mes affaires et me dirige vers la sortie.

— Mademoiselle Evans, s’il vous plaît !

… Encore…

— Oui monsieur ?

— Nous avons réussi à obtenir une rencontre avec le Washington Post, vendredi soir. Ils organisent un cocktail dans leurs locaux et je pense qu’il serait intéressant pour vous d’être présente.

— Ah oui, vous pensez ?

Son invitation me rend perplexe. L’opportunité est complètement dingue, nous sommes bien d’accord. Mais mon cerveau ne fait qu’un tour et je trouve très étrange le fait qu’il m’en parle à moi uniquement, pour être sûre, je demande alors :

— Est-ce que toutes les personnes du cours participeront à l’événement ?

— Oui, ceux qui le souhaiteront. Ce n’est pas une invitation privée, Ana.

Le sourire en coin sur son visage m’énerve profondément. Mais ma gêne prend le dessus.

Comment ai-je pu penser une seule seconde que l’invitation m’était exclusivement

réservée ? Je suis ridicule. Je reprends la parole pour tenter de masquer mon malaise.

— À quelle heure ?

— Toutes les informations sont sur le carton d’invitation, il est déjà dans votre sac, bonne soirée.

Il part sans se retourner. Je fouille dans mon sac à toute vitesse et trouve le fameux carton. Quand est-ce qu’il… Peu importe.

Je m’empresse de retrouver Ugo qui a assisté à la scène de loin.

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Me donner un carton d’invitation pour un cocktail vendredi soir au Washington Post.

— J’attendais que tu m’en parles, je passerai te prendre.

Ugo n’avait pas l’air aussi surpris que je le pensais.

— Oui, bien sûr, mais, tu as une invitation ?

— Évidemment ! Monsieur Collins l’a fait envoyer chez moi, comme pour les autres élèves d’ailleurs. Je suis assez étonné qu’il n’ait pas fait de même pour toi…
— Moi aussi…

— Bizarre ?

— Oui, bizarre, c’est le mot.

— Je suis d’accord avec toi, mais s’il me convie à ce genre d’événement toute l’année, je veux bien devenir le meilleur ami de ce type !

Je lui tapote le bras.

— Eh ! C’est moi ta meilleure amie, je te signale, alors ne me cherche pas si tu ne veux pas rentrer à pied.

Ugo me tire par le bras afin de rejoindre notre prochain cours.

17 h, j’ai un message de Jack.

« Chez toi dans 30 minutes. »

Il faut que je me dépêche, je vais être en retard. Alors que je m’apprête à prévenir mon petit-ami, une femme me bouscule violemment.

— Oh merde ! Je suis vraiment désolée. Ce maudit téléphone attire toute mon attention, je ne t’ai pas vue !

— Visiblement, le mien n’a pas supporté le choc.

Je ramasse mon téléphone tombé au sol, complètement brisé.

— Merde, merde, merde. Excuse-moi, je suis en retard et… Enfin bref, donne-moi ton nom, je payerai les réparations.
— Non, c’est bon. Il marche encore, c’est sûrement la vitre, je dois partir…

— Attends ! Saurais-tu où se trouve Tyler ? Je dois le ramener et, enfin, tu sais comment sont les hommes, je suis en retard, et si je ne le trouve pas maintenant…

Elle a l’air de paniquer, étrange…

— Enfin… Dis-moi juste où il se trouve, d’accord ?

Soit cette fille est droguée, soit c’est naturel, mais si c’est la deuxième option, je prendrais vite rendez-vous pour consulter.

— Je suis désolée, je ne connais pas d’élève qui se nomme Tyler.

— Oh non, c’est un professeur.

Cette jeune femme qui a tout l’air d’une escort de luxe n’a pas la lumière à tous les étages. Depuis quand, surtout en début d’année, les étudiants appellent leurs professeurs par leur prénom. Malgré mon agacement, la pitié prend le dessus et j’essaie d’aider cette pauvre fille :

— Quel est le nom de famille de Tyler ?

— Collins.

Électrochoc ! Je lui explique rapidement où se trouve son bureau.

Elle est complètement perdue, au bord de la crise d’angoisse et n’arrive pas à me comprendre. Agacée, mais compatissante, je finis par l’accompagner.

— Mademoiselle Evans, que faites-vous ici ?

Décidément, nous sommes faits pour nous croiser aujourd’hui.

— Votre amie vous cherche, mais sans mon aide, elle n’était pas près de vous trouver.

Sa copine accro au crack prend la parole.

— Chéri, c’est super grand ici !

Elle semble mal à l’aise.

— Désolée du retard… J’ai bousculé cette fille en arrivant, j’ai même cassé son téléphone… Ce que je suis idiote !

Elle se triture les cheveux, le regard de Collins ne m’indique rien qui vaille, je suis maintenant beaucoup plus mal à l’aise qu’elle.

— Oh non, ce n’est rien vraiment, je dois absolument part…

— Mademoiselle Evans, me coupe mon professeur, je vous rachèterai un téléphone demain.

Mais ils ont de l’argent à jeter par les fenêtres ou quoi ?

— Laissez tomber, je vous ai dit que ce n’était rien, bonne soirée !

Je ne m’attarde pas et tourne aussitôt les talons.

Depuis le début, je trouve ce gars vraiment spécial, mais là, j’en ai le cœur net.

Peut-être que je n’ai pas l’habitude d’être confrontée à ce genre de personne. Après tout, sa copine bousille mon téléphone, il me le remplace, finalement rien de plus normal.

Je vois vraiment le mal partout. Ma petite voix intérieure me dit de me méfier, que ce genre d’attitude commence à se rapprocher de la porte « intrusion » rangée dans ma tête.

Je pars sans me retourner, perplexe…

Chapitre quatre

En sortant de la fac, je m’empresse d’appeler Jack pour m’excuser de mon retard, et l’invite à passer la nuit à la maison. Je rentre et trouve mon père dans la cuisine, plongé dans un livre de recettes pour trouver l’inspiration du repas du soir.

— T’embête pas papa, j’ai invité Jack pour le dîner, je commanderai des pizzas. Aussi, il restera dormir, ça ne te dérange pas ?

— Tu sais bien que Jack fait partie de la famille. Puis finalement ça m’arrange, je ne savais pas quoi faire pour le dîner, je vais aller chercher ta mère au travail et l’emmener au restaurant.

Alors que mon père se prépare dans l’entrée et sort pour rejoindre ma mère, je file à l’étage prendre une douche et mettre une tenue décontractée avant l’arrivée de mon petit-ami.

À peine sortie de la douche, et encore toute mouillée, Jack sonne à la porte.

— Emma ! Va ouvrir, s’te plaît.

J’espère qu’ils profiteront de ce court moment en tête à tête pour discuter et apaiser les tensions…

Malheureusement, sans réponse de ma sœur, je comprends que ça ne sera pas pour cette fois…

Je m’habille donc à toute vitesse et descends lui ouvrir.

Arrivée dans l’escalier, j’entends qu’on ouvre la porte. J’ai peut-être jugé Emma trop vite.

Curieuse de savoir, je m’accroupis en haut de l’escalier pour écouter leur conversation…

— Salut Emma, lance Jack.

Ma sœur ne répond pas, lui tourne le dos et s’apprête à remonter.

Jack tente une seconde approche.

— Emma, je ne sais pas pourquoi tu m’en veux, mais…

— Arrête Jack ! J’ai aucune envie de parler avec toi, tu sais très bien pourquoi !

Merde ! J’ai dû louper un épisode. Je ne m’attendais pas à ça, je tends un peu plus l’oreille…

— Mais c’était il y a un an. Je t’ai déjà dit que j’étais désolé, tu sais que j’aime Ana.

— Tiens donc, tu aimes ma sœur ?! Comme tu es quelqu’un d’irréprochable et digne de confiance, je devrais te croire sur parole…

Jack lui fait signe de parler moins fort, car elle haussait le ton.

— Évidemment que je l’aime… Malgré tout, et tu le sais.

— Non, mais tu te fous de moi ?! Jack arrête ton cirque maintenant, n’oublie pas qu’elle n’est pas au courant alors si tu ne veux pas que je gâche ta vie, tu ferais bien de…

Cette discussion prend une drôle de tournure, il est temps que j’intervienne.

— Au courant de quoi ?

— Ana ! Je parlais des pizzas, me dit ma sœur.

S’il y a bien une chose qui me met hors de moi, c’est le mensonge !

— Surtout, mais alors surtout, ne me prends pas pour une imbécile !

Emma et Jack restent silencieux. Là c’est le pompon !

Comment osent-ils ! En plus du mensonge, bonjour la lâcheté !

Visiblement, il se passe quelque chose dont personne n’a jugé utile de me parler.

J’attends une explication, mais les secondes, puis les minutes défilent et semblent durer une éternité. Je deviens folle de rage !

— Putain ! Quelqu’un va m’expliquer ce qu’il se passe ?!

Ils persistent et signent en fixant le sol, sans rien dire. Je rêve ! C’en est trop, je ne reste pas une seconde de plus dans cette pièce avec ces deux-là.

Sans hésitation, je prends mon manteau et me rends chez Ugo. Ni ma sœur ni Jack n’essaient de me retenir. Visiblement, ma fuite les arrange…

Arrivé chez mon meilleur ami, je lui fais le récit de la scène que je viens de vivre.

J’hésite entre fondre en larme ou jeter des assiettes contre le mur ! Heureusement, Ugo prend rapidement la parole.

— Respire Ana, il n’y a pas mort d’homme. Je comprends que cela te tracasse, mais je ne suis pas le mieux placé pour juger cette situation, tout le monde fait des erreurs, même si je n’ai aucune idée de l’ampleur de celle-ci, ce que je sais c’est que Jack t’aime et ne jure que par toi. Alors, ne sois peut-être pas trop dur avec lui. Quant à Emma, tu sais bien qu’elle n’ose pas toujours te parler…

Ma colère retombe. Il a toujours le bon ton et les bonnes paroles pour me calmer.

Le doute persiste, mon instinct me dit que quelque chose de mauvais se trame derrière tout ça. Ugo a peut-être raison, mais je ne supporte pas les non-dits.

Il se fait tard, mon ami me propose de rester dormir. Aux alentours de 5 h du matin, je trouve enfin le sommeil, je n’ai pas réussi à désactiver mon cerveau plus tôt…

Mercredi 9 h. J’ouvre à peine les yeux. J’ai vraiment passé une sale nuit…

Je regarde mon téléphone, j’ai plusieurs messages et appels en absence.

D’abord, Jack :

« Tu me manques, il faut qu’on parle. »

« J’essaie de t’appeler, tu ne réponds pas ! Tu es où ? »

« J’ai eu Ugo, je sais que tu es chez lui, quand tu seras prête à discuter, appelle-moi. »

Amen ! Ugo a su calmer Jack.

Ensuite, bien sûr, Emma.

« Où es-tu ? Je suis inquiète. J’ai dit aux parents que tu dormais chez Jack. Donne des nouvelles. »

Mon ego a décidé de prendre possession de moi en cette belle journée, et ce ne sera pas aujourd’hui que je discuterai avec ces deux-là !

« Petit-déjeuner servi, lève-toi ! » me crie Ugo.

Je le retrouve dans la cuisine, une assiette de pancakes et deux verres de jus d’orange posés sur la table. C’est parfait !

— Bonjour, Evans, tu as bien dormi ?

— J’ai le droit à un joker ?

— Tu as surtout le droit de te nourrir ! On commence à 11 h ce matin, prends ton temps, on part dans une heure et demie.

Je mange rapidement et file à la salle de bain prendre une douche.

J’ai une boule à l’estomac. Je déteste être en conflit. Je redoute le moment où je risque de croiser Jack dans les couloirs.

Mais Dieu merci, à mon arrivée, je retrouve Caroline et lui fais un bref topo de la situation, elle me répond rapidement :

— Désolée chérie, on en discute plus tard, j’ai cours et je suis déjà en retard, mais je suis avec toi, tu le sais.

Ugo me tire gentiment par le bras pour aller en cours, je le suis, sans grande motivation, il faut dire qu’après cette « fameuse nuit » je ne suis pas emballée de retrouver ce cher Mr Collins…

Heureusement, l’heure passe rapidement, je me dépêche de sortir pour ne pas croiser Jack dans les couloirs.

Manque de chance, un contretemps, encore…

— Mademoiselle Evans, s’il vous plaît !

Je ne supporte plus d’entendre mon nom sortir de sa bouche. Je me résigne tout de même à rester polie…

— Oui Monsieur Collins…

— Tenez ! Pour excuser la maladresse de mon amie.

Il me tend un téléphone, neuf dans son emballage.

— Mais vous êtes fou ! Je veux dire… Ce n’est vraiment pas la peine, comme je vous l’ai dit hier soir, mon téléphone fonctionne toujours, c’est seulement la vitre.

Il pouffe de rire. Il ne me semble pas avoir dit quelque chose de drôle pourtant…

— C’est non négociable, votre téléphone est cassé, je le remplace, fin de la discussion !

Non, mais est-ce qu’il vient réellement de me disputer comme une enfant de quatre ans ?!

S’il pense m’intimider, il se trompe. Mais je ne suis vraiment pas d’humeur à polémiquer.

Il pose la boîte du téléphone dans ma main avant de sortir de la salle. J’abandonne, en plus d’être étrange, il est beaucoup trop têtu.

Je regarde l’heure, 13 h 15.

Je sors pour déjeuner et aperçois Jack… Et merde !

— Ana ?

Il court dans ma direction.

— S’il te plaît, Ana, laisse-moi t’expliquer…

Je croyais qu’il devait me laisser le temps d’être prête !

— Laisse tomber Jack. Je n’ai absolument pas envie de te parler. C’était hier soir qu’il fallait m’expliquer, lorsque je t’ai posé la question !

Je repousse son étreinte et m’éloigne.

Je n’ose pas me retourner, le voir si mal me fait de la peine. Je m’empresse de rejoindre mon amie Caroline qui m’attend un peu plus loin. Une fois assise à la brasserie, je fonds en larmes.

Je n’ai pas pu pleurer hier. Mais après avoir vu Jack tout tremblant, et sous le regard bienveillant de mon amie, les vannes s’ouvrent. Pas très discret, je n’aime pas trop me donner en spectacle, mais impossible de contrôler. En même temps, quel soulagement !

Je retrouve mes esprits après quelques minutes et lui raconte ma conversation avec mon professeur, puis Jack, elle n’en revient pas.

— Mais comment as-tu pensé refuser un téléphone ?! Ana, sérieusement !

— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Caroline ?

— Chez moi ? Ana, wake up ! Un homme super sexy t’offre un téléphone, tu le prends et tu dis merci !

Je ris. Sa légèreté me rassure. J’ai bien fait de déjeuner avec elle.

Avant de reprendre les cours de l’après-midi, Caroline me glisse quelques mots réconfortants :

— Je retourne en cours, appelle quand tu veux et si besoin, ma mère bosse toute la nuit ce soir.
— Merci chérie.

Les cours de l’après-midi passent à vitesse grand V, je décide de rentrer à pied afin de prendre l’air après toutes ces émotions.

Arrivée, je monte directement dans ma chambre, pose mes affaires sur mon lit où se trouve un mot :

« Ana, je suis sincèrement désolée de t’avoir menti. Je n’aurais pas dû, mais je ne savais pas comment te parler. Je te promets que quand tu voudras, je te raconterai tout dans les moindres détails, n’oublie pas que je t’aime. »

Connaissant ma sœur, elle a dû se faire violence pour écrire tout ça. Ce n’est pas son genre, mais je pense que la culpabilité commence maintenant à la hanter. Je me retrouve face à un dilemme. J’ai très envie de connaître la vérité sur cette histoire, mais je ne suis pas certaine d’être prête. Je pressens que les révélations de ma sœur auront l’effet d’une bombe dans ma vie confortable et bien réglée…

Chapitre cinq

19 h 30, j’ouvre à peine les yeux. Sans me rendre compte, je me suis endormie ; j’entends (encore !) la musique d’Emma.

Après quelques minutes à émerger, je me décide enfin de prendre mon courage à deux mains et d’affronter ma sœur. Debout sur le pas de la porte, je lui lance un « Salut ! ».

Elle me regarde, les yeux remplis de larmes.

Je craque et lui tends les bras, elle accourt aussitôt.

— Je suis tellement désolée Ana, si tu savais.

— Je sais.

Que pouvais-je lui dire de plus ? Je sais que ce n’était pas volontaire de me mentir.

Je n’allais pas lui en vouloir pour l’éternité, mais j’aimerais qu’elle comprenne que ce genre d’attitude me blesse.

Lorsque mon père nous crie de descendre manger, je relâche mon étreinte et lui dis :

— Allons manger, on discutera plus tard…

À peine entrées dans la cuisine, notre mère nous demande de mettre la table pendant que mon père finalise sa nouvelle création culinaire. La dernière lubie de Mr Evans : s’initier à la cuisine moléculaire. Pas mauvais en goût, mais bizarre en texture. Quoi qu’il en soit, trop fatiguée de ma journée pour faire la fine bouche, je me contente d’avaler ce qu’il me propose.

Mon père nous regarde, intrigué, ma sœur et moi, il sent bien qu’il y a une tension, mais n’ose poser aucune question. Ma mère, comme à son habitude, est plongée dans ses papiers de travail. Le repas se passe rapidement et sans grandes conversations à part les banalités d’usage. En 30 min, tout est bouclé : repas mangé, vaisselle et table lavées. J’embrasse rapidement mes parents en leur disant que je suis épuisée et monte me coucher. Emma me rattrape sur le pas de ma chambre et me demande :

— Je peux dormir avec toi ce soir ?

Je hoche la tête en signe d’approbation.

Malgré cette réconciliation je n’ai toujours pas le moral. Cette histoire tourne en boucle dans ma tête. Je me pose mille et une questions. Mon cerveau fonctionne beaucoup trop depuis hier soir, je déraille. Il faut que je dorme. Emma à côté de moi ne tarde pas à me rejoindre dans mon sommeil.

Après que ma sœur ait passé la plus grande partie de la nuit à vivre ses rêves et donc à me cogner toutes les cinq minutes, je me lève en traînant des pieds.

Je n’ai pas faim, donc pas de petit-déjeuner, je pars en cours sans faire le moindre effort sur ma tenue vestimentaire.

Ugo m’attend devant l’université, un sachet en papier à la main.

— Tiens !

— Qu’est-ce que c’est ?
— Un soutien moral.

Je regarde à l’intérieur du sachet, deux donuts s’y trouvent.

— Merci, Ugo, mais j’ai déjà déjeuné.

— Tu penses encore réussir à me duper, sérieusement Ana ?!

Je souris. C’est dingue ! Même lorsque j’ai envie de passer une journée sombre, à faire la boude et à traîner les pieds, il ne me laisse aucun répit.

— Bon d’accord, j’abdique. Mais vraiment, je n’ai pas faim.

— Je ne t’ai pas demandé ton avis, mange !

Très agaçant, mais si bienveillant.

— Dis-moi Ana, quand est-ce que tu vas crever l’abcès ?

— À vrai dire, je n’ai pas réfléchi à ça. Je pensais simplement passer une fin de semaine au calme, et profiter de la rencontre avec l’équipe du Washington Post demain soir. Samedi sera peut-être le bon moment.

Il me regarde, l’air interrogateur.

— De quoi as-tu peur ?

— Peur ? Je n’ai pas peur ! Juste pas envie de…

— Ne me mens pas deux fois dans la même journée, je t’en supplie !

Il veut absolument que je sorte ce que j’ai au fond de moi. Je le connais par cœur, il pense que ça me fera du bien, bla bla bla, mais moi je pense juste à esquiver les donuts et retourner me coucher.

— On en parlera plus tard s’il te plaît.

Il pose sa main sur mon épaule.

— Je vais te dire ce que je pense.

Mon Dieu, je ne le sens vraiment pas.

— Non Ugo, vraiment, s’il te plaît…

Il ne me laisse pas finir et enchaîne :

— Tu as peur d’affronter la réalité, parce que tu as peur que ta petite vie parfaite soit chamboulée ! Mais tu sais, tout n’est pas toujours rose dans la vie, et ta vie actuelle est un mensonge. Tu le sais, je le sais et tout le monde le sait. La seule différence entre toi et les autres, c’est que tu n’es pas encore prête à l’assumer !

Je lui jette son sachet à la tronche et tourne les talons.

Geste que je regrette aussitôt d’ailleurs, mais, beaucoup trop de fierté pour revenir sur mes pas. Je vais donc aller jusqu’au bout des choses, soit partir seule en cours et ne pas lui adresser un mot de la journée.

Le soir venu, je m’en veux terriblement. Je ne supporte pas d’être en froid avec Ugo. Je finis ma journée en mode robot, sous le regard inquiet de mon père qui me connaît assez bien pour savoir quand j’ai besoin de silence.

Le vendredi arrive enfin ! Je vais à l’université uniquement le matin, pour mon plus grand bonheur ! Je rentre à la maison début d’après-midi, et retrouve Caroline la tête dans mon dressing :

— Cette robe est superbe !

Je la regarde sortir une robe de soirée longue et noire.

— Tu déconnes ?

— Non, pourquoi ?

— Je ne me présente pas au concours de miss univers Caroline, je vais à un cocktail de travail !

Elle fait la moue.

— Oh, alors dans ce cas, vas-y en jogging puisque ce n’est qu’un cocktail !

J’esquisse un sourire en voyant sa tête de chien battu. Elle me tend la robe de nouveau, visiblement, elle ne va pas rendre les armes.

— Puis, un cocktail au Washington Post c’est tout de même une soirée mondaine.
— Bon…
— Super ! Va vite t’habiller.

Je n’ai pourtant pas encore dit oui, mais trop peur de la vexer et pas le courage de me battre avec cette tigresse pour une simple robe. Après une heure de préparation, Caroline s’en va. Je rejoins Ugo qui m’attend au salon.

— Ana… Tu es…
— Trop habillé ?
— Non, non. Bien sûr que non. Tu es magnifique !

— Tu es sûr ? Ce n’est pas trop ?

— C’est parfait.

— Tu n’es pas mal non plus, lui lançais-je avec un clin d’œil.

Il fronce les sourcils.

— Mais ! Malgré cette beauté, mademoiselle Evans, vous n’allez pas vous en tirer comme ça.

Je grimace à l’entente de mon nom de famille, j’ai l’impression d’entendre Collins.

— Qu’est-ce que j’ai fait encore ?

— Et elle ose me demander ! Mesdames et Messieurs, cette femme a le plus gros culot de toute la planète.

— OK OK ! Je n’aurais pas dû te jeter les donuts à la gueule…

— Et ?

— Et, tu avais probablement raison, je n’aurais pas dû m’emporter.

— Eh bien voilà, tu vois quand tu veux !

Je lui donne un coup d’épaule avant de le suivre jusqu’à sa voiture.

Mon ami porte un costume noir. Finalement, nous sommes plutôt bien assortis.

Merci Caroline !

Une dizaine de minutes plus tard, nous arrivons devant le Washington Post.

J’analyse rapidement les locaux et remarque que quelques élèves de ma classe sont déjà sur place, ainsi que monsieur Collins, accompagné de la briseuse de téléphone.

Je me dirige au bar, lorsqu’un visage familier me fait face.

— Bonsoir mademoiselle Evans.

Collins, quelle surprise !

— Et Monsieur Davis, ajoute Ugo.

Je pouffe de rire. Mais vu la tête de Collins, il ne semble pas beaucoup apprécier l’intervention de mon ami.

— Et monsieur Davis, évidemment, reprend notre professeur en lui tournant le dos.

Il me tend un verre de champagne et m’invite à boire avec lui. Je décline l’offre :

— Merci, mais ne faussez pas compagnie à votre demoiselle.

Je lève les yeux au ciel et je le dépasse.

Quelle arrogance, je ne le supporte déjà plus, alors que je viens d’arriver.

Dieu merci, les organisateurs ne tardent pas à prendre la parole. Je suis heureuse, pire que ça, émerveillée de me trouver ici. Je ne me rends pas encore compte de la chance que j’ai de participer à ce genre d’événement. Et finalement, je lance à mon professeur un regard de remerciement.

À la fin du discours, après quelques poignées de mains échangées, alors qu’Ugo visite les locaux, Mr Collins revient à la charge, un autre verre à la main :

— Une eau minérale ? Apparemment vous n’êtes pas amatrice de champagne !

Il n’a donc pas prévu de me lâcher celui-là.

— Merci.

Je prends finalement le verre que me tend mon professeur par politesse.

— Vous devriez aussi offrir un verre à votre amie, elle n’a pas l’air de se sentir à l’aise.

Je pointe du regard la femme venue en compagnie de Collins, seule et visiblement très embarrassée dans le fond de la pièce.

— Jalouse ?
— Quoi ? Moi ? Mais alors je ne… Mais pas du tout !

— Je parlais de la femme qui m’accompagne. Pensez-vous qu’elle est jalouse ?

Il tourne la tête dans sa direction, et je peux sentir d’ici la colère de cette femme qui nous fixe intensément.

— Oh pardon ! J’ai cru que… peu importe.

— Vous êtes très jolie Ana, mais je suis votre professeur.

Je le regarde sourire bêtement. Il a l’air si fier de lui, ça me met mal à l’aise.

Mais je me surprends à apprécier le compliment qu’il vient de me faire. Finalement je préfère quand même m’en aller retrouver Ugo.

— J’ai manqué un épisode ? Tu vas bien, Ana ?

— Tout va très bien. J’ai passé les cinq dernières minutes avec Collins, je crois même qu’il m’a dit que j’étais jolie ou peut-être que j’ai mal compris…, enfin je vais bien.

Mon meilleur ami se moque de moi.

— Tu as très bien compris, je crois que tu lui plais vraiment…

Je regarde mon ami, qui m’incite à me tourner. Mon professeur, à quelques mètres plus loin, me dévore du regard. Je tourne la tête aussitôt, les joues en feu. Déstabilisée, il est grand temps de fuir !

— Tu veux bien me ramener ?
— Bien sûr, me répond-il sans avoir besoin de plus d’explications, il sait.

Il sait que d’être en tête à tête avec mon professeur m’a perturbée.

Il sait que sa façon de me parler, de me regarder, de se comporter n’est pas la même qu’avec les autres élèves.

Il sait que ça ne me laisse pas indifférente.

Sur la route, sûrement pour me parler de tout sauf de cette soirée, il entame le sujet « petit-ami actuel ».

— Alors, avec Jack, du nouveau ?

— Absolument pas. Il a essayé de me joindre hier toute la journée et aujourd’hui. J’ai simplement fini par lui dire que ce n’était pas encore le moment.

Ugo souffle.

— Tu vas l’éviter encore longtemps ?

— J’ai juste besoin de temps.

— Ne laisse pas trop traîner, sinon les choses risquent de s’envenimer.

Une fois devant chez moi, et après avoir dit au revoir à Ugo, je m’assois sur les marches de l’entrée, pensive. Mon nouveau téléphone se met à sonner, un appel de Jack, encore. Je décroche à contrecœur.

« Ana, j’ai besoin de te parler ! Tu es chez toi ? »

« Je viens d’arriver oui. »

« Attends-moi s’il te plaît, j’arrive ! »

Je suis encore retourné de cette soirée. Il ne manque plus que la discussion sérieuse avec Jack, mais… Il était caché au coin de la rue ?! Il débarque bien plus vite que prévu…

— Jack, tes yeux sont…

Ana putain ! Je suis désolé, laisse-moi une chance de te parler, s’il te plaît, il faut que tu saches…

— Est-ce que tu as pris de la drogue, Jack ?

— Pleuré seulement. Je n’arrête pas depuis que tu m’ignores, laisse-moi te parler, je t’en prie…

TAH DAH ! Qui entre en scène ? EMMA !

— Non, Jack ! C’est à moi de lui expliquer.

Je reste là, bouche bée, à les regarder. Mais que pouvaient-ils me cacher de si terrible au point même de se battre pour être le premier à me l’annoncer ?

Jack stoppe Emma et commence son explication…

Chapitre six

Après une grande inspiration, Jack se lance :

— C’était il y a un an. La première soirée de l’année avec l’équipe de football, tu te souviens Ana ?

— Vaguement oui…

— Il y avait Emma à cette soirée et…

— Ma sœur ???

Choquée, je me tourne en direction de cette dernière.

Nous avons des parents plutôt cool sur certains points, mais nettement moins sur d’autres. En ce qui concerne les fêtes, les discothèques, etc. Il n’est absolument pas concevable de leur demander l’autorisation si nous ne sommes pas encore à l’université. Comprenez mon étonnement d’apprendre que ma sœur se trouvait là-bas alors qu’à l’époque, elle commençait à peine le lycée.

Emma a les yeux rivés sur le sol, je devine son malaise, je la connais par cœur !

— Laisse-le finir Ana, s’il te plaît.

Jack reprend :

— Emma était donc présente et… Elle m’a surpris dans une chambre avec des filles et…

— Des hommes ! crie-t-elle.

Pardon ?

— Suis-je censé comprendre que mon mec a participé à un gang-bang ? J’espère que c’est une blague !

— Oh non, ajoute Emma, ce n’est pas une blague et c’est bien loin de tout ce que tu peux t’imaginer… Ton mec, en plus d’être infidèle, est un dealer !

— Était ! insiste Jack.
— Si tu veux, sauf qu’à cette soirée tu étais déjà avec ma sœur !

Emma s’emballe. Plus elle rentre dans le vif du sujet, plus elle prend de l’assurance.

Je sens la haine dans sa voix, le dégoût. Ce sujet la blesse particulièrement. Malgré mon envie de tout envoyer bouler, je la laisse terminer :

— Monsieur faisait ses petites magouilles, entouré de filles toutes plus déshabillées les unes que les autres et encore je te passe les détails…

Je crois que mon cœur s’est arrêté de battre un instant. J’ai l’impression de manquer d’air.

Dois-je rire, pleurer ou hurler ?

Jack Parker ! Et dire que depuis notre rencontre, j’ai toujours culpabilisé de ne pas être follement amoureuse de lui, culpabilisé parce que j’avais peur, un jour, de finir par lui briser le cœur, et finalement…

En voyant mon visage s’éteindre, il ajoute :

— Je te l’ai dit Ana, c’était il y a un an… J’ai changé depuis. Je ne vends plus rien, et les autres filles, je n’en parle même pas, tu sais très bien que je n’aime que toi !

— Un an ou pas, on était en couple Jack !

Comment peut-on minimiser les choses à ce point ? Je suis si déçue qu’aucun son ne sort de ma bouche… Emma comble le silence :

— Ce n’est pas tout, Ana…

Je ne pensais pas qu’après ça elle ait encore quelque chose à dire… Mais bon… Foutu pour foutu…

— Je suis immédiatement rentrée à la maison après l’avoir vu, il m’a suivi. Il était complètement bourré, pas du tout dans son état normal, et…
— Abrège, Emma !

Je commence à perdre patience.

— Il a essayé de m’embrasser. Je l’ai repoussé et lui ai dit que j’allais tout te raconter, mais, il m’a menacé de me balancer aux parents… Je suis tellement désolée Ana, je ne savais pas quoi faire puis…

— Puis quoi encore ?

Je les fixe tous les deux et ajoute :

— C’en est trop ! Je me casse !

Je m’empresse de monter dans ma voiture garée en face de la maison et de rouler le plus loin d’ici, loin d’eux.

Je ne réalise pas encore l’impact de cette histoire sur mon moral. J’ai besoin de distance pour digérer tout ça.

Je me rends au premier bar sur ma route, le Road, muni de ma fausse carte d’identité que Jack m’avait dégoté à l’époque (grâce à ses supers fréquentations de dealer, je comprends mieux maintenant !).

Sur place, je m’installe au comptoir et demande un verre de whisky pur. Inutile de vous préciser que je l’ai bu d’une traite ! J’en demande un deuxième, un troisième… Jusqu’au moment où je découvre un visage familier non loin de moi, qui m’observe.

— Dure soirée ?

— Vous ne pouvez même pas imaginer !

Monsieur Collins, en chair et en os ! Je ne relève même pas le côté absurde de la situation, n’étant plus tout à fait moi-même après cinq verres, ou six peut-être, je ne sais plus…

— Je peux en ajouter un à votre collection ? dit-il en regardant la rangée de verres vides en face de moi.
— Avec plaisir ! Que faites-vous ici, monsieur Collins ?
— Tu peux m’appeler Tyler.

Je détourne le regard avant de renchérir :

— Vous ne répondez pas à ma question !

Il boit une gorgée de son verre, ou peut-être deux et répond :

— Dure soirée pour moi aussi.

— L’autre pouf n’a pas souhaité passer la nuit avec vous ?

Merde Ana ! Mais qu’est-ce qui me prend de lui parler comme ça ? L’alcool sans doute.

Alors que je m’apprête à rectifier mes paroles, il me coupe l’herbe sous le pied :

— Absolument pas ! Mais si ma vie sexuelle vous intéresse, je peux vous donner des détails, mademoiselle Evans !
— Non, non… Merci !

Je ne sais plus où me mettre ! Je prends mes clefs de voiture sur le comptoir et titube vers la sortie. Une main se pose sur mon épaule et m’arrête.

— Vous pensez conduire dans cet état ?

Monsieur rabat-joie n’est jamais loin !

— Pardon ? C’est très gentil de vous préoccuper de mon état, mais oui je compte bien rentrer chez moi, bonne soirée !

Alors que je continue d’avancer fièrement en direction de ma voiture, je sens mes pieds quitter le sol. Ce petit arrogant a osé me porter sur son épaule comme un vulgaire sac à patates !

— Ohh, lâchez-moi tout de suite ! Je ne suis pas un bébé, MERDE !

Je ne me contrôle plus. La colère a clairement pris le dessus. Pendant qu’il me sort du bar, je constate que tous les regards sont braqués sur nous ! Génial !

Collins ouvre la portière passagère d’un 4x4 et me pose sur le siège.

— Je vous ramène !

— Monsieur Collins… Vous n’êtes pas mon père et je n’ai pas besoin de vous pour rentrer chez moi. Alors, rendez-moi mes clefs et je vous en prie, laissez-moi !

— Si j’étais votre père, jeune fille, vous ne seriez pas ici à l’heure qu’il est et encore moins dans cet état ! Votre comportement d’enfant gâté commence à bien faire, alors calmez-vous !

Sérieusement ?

Je viens de me faire disputer par mon professeur à peine plus vieux que moi, tout ça parce qu’en réalité, il s’inquiète pour ma sécurité. Son ton sévère m’a convaincu.

Même si je n’ai aucune envie de rentrer avec lui, j’ai encore moins la force de me battre. Je me résigne et attache ma ceinture.

— Visiblement, il n’y a que la fermeté qui fonctionne avec vous !

— Oh ça va, éviter vos discours moralisateurs ! J’ai cédé, alors passons à autre chose…

Il fait abstraction de cette petite dispute et me demande mon adresse.

Quelques minutes plus tard…

— Merde !

Jack est toujours là, assis devant ma porte.

— Ne vous arrêtez pas ! Avancez, avancez !

Mais quel bordel, heureusement que mes parents sont partis pour le week-end, quel cauchemar s’ils avaient assisté à tout ça.

Après avoir roulé quelques centaines de mètres, Mr Collins arrête la voiture.

— Qui était-ce ?

— Jack, mon copain.

— Vous le fuyez, n’est-ce pas ?

Il a compris à mon regard que la réponse était « oui ». Il me lance un grand sourire, pas le même sourire moqueur que d’habitude, non, un sourire compatissant.

— Si vous avez besoin de parler…

— Je ne préfère pas, merci.

Je lui donne l’adresse de Caroline et lui demande de me poser chez elle, ne voyant pas d’autre solution pour dormir tranquille.

J’envoie sur le trajet, un rapide message à ma meilleure amie, pour la prévenir.

Sans faire attention à la route, la tête posée contre la vitre, j’observe les lumières des réverbères qui défilent et m’hypnotisent.

La voiture s’arrête, je ne reconnais pas le quartier de Caroline, enfin je ne crois pas, mais où suis-je ?

Chapitre sept

Après plusieurs secondes à tenter de retrouver mes esprits, je descends de voiture et plonge mes yeux dans ceux de mon professeur, cherchant une explication sur l’endroit où je me trouve.

Voyant qu’il continue de me fixer sans rien dire, je regarde autour de moi, il fait très sombre. Mais une lumière m’éblouit lorsque Mr Collins entre dans un immeuble, me faisant signe de le rejoindre.

— Suivez-moi.

Je suis en compagnie d’un homme que je connais à peine, qui n’en fait qu’à sa tête, devant un logement qui ne m’est absolument pas familier, après deux, trois, cinq… enfin, plusieurs verres d’alcool. C’est étrange, mais je ne ressens aucune angoisse.

Je ne lui pose finalement aucune question et le suis, trop épuisée pour manifester une quelconque réaction.

J’entre dans le hall de l’immeuble, il est splendide. Le sol est gris, de style marbré, tandis que les murs sont couverts de grands miroirs reflétant les luminaires bordeaux. J’avance jusqu’à l’ascenseur en me laissant guider.

Arrivée devant son appartement, je bloque un instant lorsque je vois écrit sur la petite plaque métallique au centre de la porte « Mr et Mrs Collins ».

Merde ! Est-ce qu’il est marié ? Mais qu’est-ce que je fais là ?

Mais qu’est-ce que je pensais ? Visiter les lieux tranquillement et rentrer chez Caroline en Uber ensuite.

Ana sérieusement, il faut que tu arrêtes de boire !

Alors que je m’apprête à faire demi-tour, Mr Collins me lance :

— Est-ce que ça va ?

— Vous êtes marié ?

Je me risque à poser la question. Après tout, ça ne me regarde pas vraiment…

— Je l’espère, un jour…

Prévoir d’écrire sur une plaque le nom de sa future femme sans même l’avoir trouvée… quel genre de personne fait ça ? Peut-être a-t-il déjà été marié, mais ne souhaite pas en parler ?

Mais pourquoi cela m’intrigue autant ?

Mon cerveau embrumé n’est de toute façon pas en mesure d’approfondir ce sujet pour le moment…

Il m’ouvre la porte et me regarde avec interrogation. J’ai l’impression de ne pas avoir la bonne attitude alors que c’est plutôt lui qui ne l’a pas. Me ramener chez lui, moi, son élève, mais quelle idée !

Je retrouve un instant de lucidité, pour me rebeller :

— J’aimerais rentrer chez Caroline, s’il vous plaît.

— Ana… J’ai aussi consommé de l’alcool ce soir, et l’appartement de votre amie est beaucoup trop loin, donc trop risqué. J’habite plus près et il faut vous reposer.

Je le regarde bouche bée, dans la plus totale incompréhension.

— Ne faites pas cette tête ! Je dormirai sur le canapé et demain, je vous ramènerai chez vous.

Je le trouve différent avec son comportement assez « vieille école ».

Je comprends que de toute façon, il est têtu et borné, alors, je me résigne à entrer dans son cocon.

Mes yeux s’écarquillent lorsque je découvre sa pièce de vie.

Elle est magnifique. Très épurée, claire, décorée avec beaucoup de goût. Chaque meubles, ou bibelot à un rôle à jouer dans ce décor, c’est ce qui le rend si unique.

Je m’approche encore et reste un moment à contempler la vue de sa fenêtre, que dis-je ? Baie vitrée.

Le spectacle de la ville est à couper le souffle, même si je suis peut-être trop ivre pour être objective.

Je me demande encore dans quel quartier je me trouve, mais l’atmosphère du lieu me rassure.

Ma conscience tente parfois de refaire surface. Elle me force à me poser des questions, à me demander si c’est vraiment normal de me retrouver ici. Si les intentions de Mr Collins sont réellement bonnes… Ce dernier me tire d’ailleurs de mes pensées lorsqu’il me tend un verre de whisky.

— C’est donc ça votre plan !

Il me regarde, intrigué.

— Quel plan ?