Ne perds jamais espoir - Mélanie Pasquier - E-Book

Ne perds jamais espoir E-Book

Mélanie Pasquier

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Beschreibung

Suzanne charge sa petite-fille, Sara, et sa famille de superviser le grand déménagement qui marque toute une vie. Cependant, lorsque Sara découvre une pièce secrète dans la maison, l’objectif de la mission change radicalement. Intriguée, Sara se lance dans une quête pour démêler les mystères cachés, avant de se résigner à interroger sa grand-mère. Les révélations de Suzanne sur son passé s’avèrent pleines de surprises et promettent un dénouement chargé d’émotions.

 À PROPOS DE L'AUTRICE

Rien ne laissait présager qu’un jour, Mélanie Pasquier côtoierait l’univers romanesque. Néanmoins, son goût prononcé pour l’écriture fera éclore ce tout premier roman consacré à la famille. Famille de cœur ou famille de sang, symbole d’identité ou symbole d’appartenance, cette notion est universelle : elle touche l’âme de chaque individu.

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Mélanie Pasquier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne perds jamais espoir

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Mélanie Pasquier

ISBN : 979-10-422-4042-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vivre sans espoir,

c’est cesser de vivre.

 

Fiodor Dostoïevski

 

 

 

 

 

 

Arbres généalogiques

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

Juin 2012

 

Enfin les vacances d’été ! se dit Sara. Elle essayait de mettre de l’ordre dans son casier qui avait entassé dix mois de souvenirs. Elle empilait un à un les manuels qui lui avaient servi durant son année de terminale et qu’elle devait absolument redonner au CDI. Elle mit dans son sac tous ses cahiers, à la fois déchirés et griffonnés par les marques du temps passé. Deux crayons traînaient dans un coin du casier, coincés sous la blouse de sciences. Elle les rangea dans sa trousse puis contempla les photos qu’elle avait accrochées sur la porte intérieure de son casier. Chacune d’elles lui évoqua les moments partagés avec ses proches, les fous rires communicatifs de Lucie à ses propres blagues, les conseils avisés de Thomas au bord du terrain de foot… La nostalgie s’empara de Sara, car elle savait au fond d’elle qu’il ne lui restait que cet été pour être en leur présence, mais qu’elle ne pourrait pas en profiter comme elle le souhaiterait.

 

— Sara, tu as fini de ranger tout ton bazar qu’on quitte le bahut ! demanda Lucie en extirpant Sara de ses songes.

— J’arrive ! Il ne me reste plus qu’à décrocher mes photos.

— Ton Photobox vintage tu veux dire ! On t’attend à la sortie avec Thomas.

— Pendant que tu y es, dis aussi que ça a été pris avec un daguerréotype !

Lucie s’éloigna, portable à la main. Sara était sûre que sa meilleure amie était en train de chercher ce nouveau mot sur Google. Elle entendit le rire de Lucie au loin et un faible timbre de voix dire :

 

— Très bonne blague, madame Wikipédia !

 

Sara, souriant de cet écho, décrocha chacune de ses photos et les manipula avec précaution, pour éviter qu’elles ne se froissent dans son sac. Elle se sentit heureuse d’avoir connu une amie telle que Lucie, une amie sur qui compter et avec qui elle pouvait tout partager : rires, pleurs, confidences… Sara était fille unique. Elle savait qu’une sœur ne pouvait pas être remplacée par une amie, mais une meilleure amie était la sœur qu’elle avait choisie.

 

Elle récupéra la pile de manuels dans une main et son sac dans l’autre. Son casier était maintenant vide d’âme et semblait telle une page blanche pour le prochain lycéen qui y écrirait une nouvelle histoire d’un an.

 

Elle ferma le casier et déambula dans le couloir pour atteindre le CDI. Elle donna tous les manuels à la documentaliste et émergea pour attester que tous les livres étaient bien rendus. Elle souhaita une dernière fois arpenter ce couloir jusqu’à la sortie, couloir qu’elle trouvait long les jours où elle était en retard, mais court quand elle se dirigeait vers la salle de classe, cahier à la main, pour réviser jusqu’à la dernière minute.

 

Elle atteignit la sortie, rejoignit Lucie et embrassa Thomas.

 

— Starbucks pour fêter nos vacances ? demanda Lucie.

— Ça me va ! lança Thomas.

— Parfait ! rétorqua Sara.

Le Starbucks était à deux rues du lycée. Sara, Lucie et Thomas y avaient passé du temps : c’était le lieu de rencontre pour discuter, réviser, se consoler, rigoler… Tout prétexte était bon pour aller au Starbucks !

 

La commande passée, les anciens lycéens s’installèrent sur la terrasse pour profiter de la beauté de cet après-midi ensoleillé. Les rayons du soleil ravivaient la couleur de leur chevelure, effleuraient leurs bras et faisaient resplendir leur visage. Sara chercha dans son sac, parmi la multitude d’affaires scolaires, ses lunettes de soleil. Elle les retrouva au fond du sac, sous ses cahiers. Elle ouvrit le boîtier et remplaça ses lunettes de vue par ses lunettes de soleil.

 

— Alors, c’est quoi le programme de vos vacances ? questionna Sara en rangeant le boîtier dans son sac.

— On part en Espagne dès la semaine prochaine ! Mon père doit voir des clients pour son taf, du coup avec ma mère, on va profiter de la villa tout juillet en attendant que mon père finisse de boucler ses dossiers en cours. Vous imaginez : soleil, cocktails au bord de la piscine et la mer à même pas cinq minutes à pied de la villa. Et comme mon daron veut ensuite avoir des vacances pour couper, on part en Guadeloupe les quatre semaines d’août ! Je sens que je vais kiffer ces vacances !

 

Lucie voyageait énormément à l’étranger et passait chaque année l’été le plus somptueux qu’il soit. Le métier de diplomate de son père lui permettait, selon ses dires, de visiter les plus beaux coins de la planète et de s’enrichir de la culture d’autrui. Sara et Thomas vivaient dans un milieu modeste et se devaient de connaître le sens de l’effort pour s’offrir de telles choses d’une telle valeur. Néanmoins, Lucie était très altruiste et faisait profiter de ses vacances à ses amis à sa manière : cadeaux souvenirs, cartes postales…

 

— N’oublie pas de nous envoyer quelques photos, qu’on puisse nous aussi visiter les plus beaux coins de la planète et de nous enrichir de la culture d’autrui, lança Thomas en regardant Sara.

— Très drôle ! Au lieu de me vanner, ça a donné quoi tes candidatures pour ton job d’été ?

— Eh bien, un CV sur mes trois mille cent quarante-sept envoyés a été retenu ! annonça ironiquement Thomas. Du coup, je vais vendre des beignets sur la plage. Je commence la semaine prochaine et je finirai la dernière semaine d’août.

— Béégnééé, chouuuuchouuuu, qui veut mes béégnééé, chouuuuchouuuu ? se moqua Lucie qui était encore sous l’amertume de la blague de Thomas.

— Tu es jalouse, car je vais aussi profiter du soleil, du sable, de la mer, mais en prime, j’aurai un peu d’argent à la fin du mois. Si tu veux, on peut encore échanger nos places.

— Ta proposition me va droit au cœur, mais ça ira, rigola Lucie.

 

Sara s’amusait des enfantillages entre Lucie et Thomas. Ils étaient toujours à se chambrer gentiment. Elle admirait Thomas depuis leur rencontre en seconde. Elle l’avait toujours trouvé courageux, d’une force d’esprit incroyable. Il avait vraiment les pieds sur terre et une lucidité des choses qui ne la laissait pas indifférente. C’était peut-être le mariage entre son charme et son charisme qui l’avait rendue amoureuse du jeune homme. Ils avaient beaucoup en commun et le partage des mêmes valeurs les rapprochait fortement.

 

— Et toi, ma Sara ? demanda Thomas.

— Je vais chez ma grand-mère. Elle habite dans une grande maison, trop grande pour elle toute seule. Du coup, elle va déménager et elle a besoin d’aide. Vous imaginez : elle n’a connu qu’une seule maison au cours de sa vie, c’est la même depuis son enfance. Presque quatre-vingt-dix ans de vie et de souvenirs à trier, ranger et déménager ! Ça va prendre du temps ! Ensuite, opération bricolage : abattre des cloisons, repeindre… Remettre au goût du jour quoi ! Car la maison va être à vendre.

— Oh, ça va être intense en émotions, car pour toi aussi c’est en quelque sorte la maison de ton enfance. Tu y en as passé des étés là-bas ! dit Thomas.

— Oui…

— Tu y restes tout l’été ? demanda Lucie.

— Une grande partie oui. Du coup, ça va être difficile de nous voir ensemble, entre tes vacances au soleil, le travail de Thomas et le déménagement de ma grand-mère. Et après, chacun partira à la fac, dans une ville différente…

 

Tous les trois se regardèrent sans dire mot. Ils prirent conscience que cet après-midi semblait être le dernier et qu’il était difficile de se projeter aussi loin dans le futur pour programmer la prochaine sortie. La réflexion de Sara fit revenir la nostalgie qu’elle pensait avoir laissée dans le couloir du lycée. L’image de séparation du trio lui fendait le cœur. Cette vision sombre des choses contrastait avec le ciel ensoleillé de ce magnifique après-midi d’été.

 

Thomas prit la parole pour redonner goût aux petites choses de la vie :

 

— Allez, arrêtons de nous focaliser sur le passé si c’est pour nous attrister. Le passé est la chose la plus belle qu’il soit, car c’est le socle de notre amitié. Arrêtons de nous soucier du futur si c’est pour nous angoisser. Le futur est magique, car il sera l’embellissement de notre amitié. Focalisons-nous sur le moment présent, car lui seul est la clé de notre bonheur. Le présent participe actuellement à la construction de notre amitié. Profitons de ce bel après-midi, que nous partageons tous les trois dans notre café préféré. Je suis sûr que nous arriverons à nous voir avant nos départs respectifs pour la fac. Et d’ici là, nous pouvons nous téléphoner et nous écrire tout l’été. Nous ne sommes plus au XIXe siècle : les portables, ça existe. Alors, relativisons, profitons de l’instant T et laissons-nous porter par les surprises de la vie.

 

L’intonation de la voix du jeune homme et son discours optimiste rassurèrent les filles. Sara savait son copain très philosophe, mais cette fois-ci, elle trouvait qu’il s’était surpassé. Elle se dit qu’il devait suivre des comptes Instagram dédiés au lâcher-prise et qu’il devait s’inspirer de publications relatives aux hashtags de type #Ondecompresse pour trouver ce genre de citation. Il travaillait tellement son entrée à la fac de psychologie que cela en devenait presque une déformation « professionnelle » avant l’heure…

 

Quoi qu’il en soit, Thomas avait réussi à dessiner un sourire sur le visage des filles : elles broyaient moins du noir et voyaient davantage la vie en rose. Tous se sentirent plus sereins après la sage observation du jeune homme. Ce fut dans cette ambiance plus apaisante que Sara, Lucie et Thomas terminèrent leur après-midi, à la terrasse du Starbucks.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

 

 

Juillet 2012

 

— Ta valise est prête, Sara ?

— Presque maman. D’ici dix minutes, je pense avoir tout bouclé.

 

Sara avait anticipé la préparation de sa valise la veille, en réfléchissant aux affaires qu’elle souhaitait emporter chez sa grand-mère. Elle se disait qu’il était préférable qu’elle prenne de vieux vêtements, ceux qui étaient uniquement réservés au grand ménage de printemps. Grande fashionista qu’elle était, Sara ne souhaitait pas salir ou abîmer ses beaux vêtements. Toutefois, elle mit dans sa valise une jolie robe rouge, ornée de petites fleurs blanches, qu’elle pavanerait le jour où elle serait en « repos ».

 

Une fois les vêtements récupérés dans l’armoire et mis dans la valise, elle s’occupa de ses affaires de toilette en allant récupérer tout le nécessaire dans la salle de bain. La priorité : sa trousse de maquillage et son lisseur ! Déjà que je serai mal habillée, hors de question que je fasse le remake de The Walking Dead en prime, se dit Sara. Elle les mit dans sa trousse de toilette et y ajouta sa brosse à dents, son parfum et sa brosse à cheveux.

 

Elle retourna dans sa chambre et alla récupérer de quoi s’occuper le soir. Elle aimait beaucoup sa grand-mère, mais le journal télévisé de dix-neuf heures n’était pas tellement sa passion. Elle récupéra alors ses écouteurs et son ordinateur pour pouvoir communiquer le soir avec Lucie et Thomas. Elle prit aussi un livre pour s’occuper le temps du trajet, car cinq heures de route séparaient Sara de sa grand-mère.

 

Sara mit les écouteurs et le livre dans son sac à main et ferma sa valise. Elle se rendit compte qu’elle avait apporté beaucoup de vêtements, car il était difficile de fermer la valise. Après de nombreux efforts, en mettant son poids sur la valise et en voyant la fermeture éclair vaciller sous la tension des deux compartiments comme deux aimants se repoussant, Sara put la fermer tout en pensant, dubitative : Enfin ! J’ai juste un peu peur qu’à l’ouverture, ça fasse effet bombe mon truc.

 

Elle fit rouler sa valise jusqu’à la voiture et constata que ses parents avaient déjà tout mis dans le coffre. Elle essaya de la positionner, comme si elle jouait à Tetris. Une fois l’effort fourni, elle récupéra une paire de baskets, les enfila puis s’installa dans la voiture. Elle n’eut pas le temps d’appeler ses parents pour les avertir qu’elle était prête : ils la rejoignirent aussitôt.

 

Son père démarra la voiture, avança dans la cour et sa mère appuya sur le bouton de la télécommande pour fermer le portail. De longues heures, placées sous le signe de la patience, se dressaient devant Sara avant de pouvoir retrouver sa grand-mère et de revivre les soirées à déguster des guimauves autour d’un feu de camp. C’était la tradition, perpétuée depuis des années, que Sara ne souhaitait rater pour rien au monde. Les membres de la famille avaient rarement l’occasion d’être tous réunis. Ces soirées mettaient alors du baume au cœur à chacun en racontant les péripéties passées, en évoquant de vieux souvenirs et en faisant revenir durant quelques minutes, ceux qui les avaient quittés trop vite.

 

Émue par ses pensées, Sara sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle récupéra alors dans son sac ses lunettes de soleil et prit ses écouteurs. Elle mit ses lunettes pour se camoufler puis positionna ses écouteurs dans les oreilles avant de mettre en marche sa musique. Une douce et relaxante mélodie prit le dessus sur ses pensées. Elle ferma les yeux, se laissa bercer puis submerger par le flot de notes qui ondulait au travers de ses oreilles.

 

Sara se réveilla deux heures plus tard, comme si son esprit s’était alarmé du manque de mouvements des petites routes sinueuses et accidentées. Elle regarda par la fenêtre et aperçu une aire de repos : la famille s’était arrêtée pour la pause déjeuner.

 

— Une petite salade pour la marmotte ? demanda le père de Sara en lui tendant son déjeuner.

 

Sara récupéra son repas. Les plats, confectionnés la veille, semblaient plus appétissants lors de leur préparation qu’au moment de les manger. La salade s’était oxydée, l’œuf sentait trop fort et les tomates avaient rendu trop de jus… Sara ajouta beaucoup de vinaigrette en guise de « trompe-l’œil » gustatif. Elle se dit qu’elle était bien contente d’avoir prévu une barre chocolatée pour le dessert, elle ne resterait pas ainsi sur une touche « amère ».

 

Le repas fut avalé rapidement : la famille ne souhaitait pas s’attarder sur la route d’autant plus qu’elle avait annoncé une heure d’arrivée à Suzanne. Si l’heure était dépassée, ne serait-ce que de cinq minutes, l’inquiétude pouvait s’emparer de la grand-mère de Sara et Judith n’aimait pas voir sa mère ainsi.

 

— Nous partons sur l’autoroute des vacances. Bison Futé vous souhaite une belle route, blagua le père de Sara.

— Je me demandais à quel moment tu allais sortir ta fameuse blague. On va dire que c’est comme la soirée « guimauves », c’est ta propre tradition, souleva la mère de Sara.

— Ah bah quitte à choisir, je préfère la tradition des guimauves ! ajouta furtivement Sara.

 

Le père de Sara récupéra sa clé USB dans sa poche. En prévisualisant ce dont s’apprêtait à faire Pierre, Sara crut soudainement développer de l’urticaire. Le même chanteur, le même depuis dix-huit ans, partageait tous les longs trajets et se préparait à les accompagner les trois prochaines heures. Ce chanteur avait le privilège de faire toutes les excursions possibles. Un vrai globe-trotteur. Sara savait qu’elle était prise au piège durant trois longues heures dans un habitacle duquel elle ne pouvait pas s’échapper. Même les autres automobilistes pouvaient voir le désarroi sur le visage de la jeune femme à chaque fois que son père doublait. Elle avait envie d’écrire sur un panneau : SORTEZ-MOI DE LÀ !

 

Sara prit son livre. Elle était contente de l’avoir glissé dans son sac et non dans sa valise. Elle retira le marque-page et tenta tant bien que mal de se plonger dans sa lecture. Le poids des mots chantés dans le refrain concurrençait avec le poids des mots lus dans le livre. Sara avait beau se focaliser sur son roman, la musique entêtante de son père était plus forte que ses essais de concentration sur sa lecture. Elle ne parvenait pas à comprendre les péripéties de ses personnages : elles semblaient lui résister, voire, s’éloigner au fur et à mesure que Sara tournait les pages.

 

Efforts vains, Sara se jeta alors sur ses écouteurs et les inséra au plus vite pour soulager ses patientes oreilles qui avaient toutefois tenu une heure sous la musique de son père. Elle répéta le même scénario que celui de la matinée : bercée par sa musique, elle tomba dans les bras de Morphée avant de se réveiller chez sa grand-mère.

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

 

Assise sur le vieux banc, accolé à la façade de la maison, une silhouette attendait patiemment la famille. Sara n’avait pas vu sa grand-mère depuis plusieurs mois et un détail indéfinissable donnait l’impression qu’elle avait vieilli. Était-ce son regard qui semblait lointain ? Était-ce sa manière de se tenir qui semblait plus recroquevillée ? Était-ce son visage qui semblait de plus en plus marqué par les événements vécus au cours de ces quatre-vingt-huit années ?

 

En voyant sa petite-fille s’approcher d’elle, Suzanne replia son journal et voulut récupérer sa canne. Elle ne pouvait plus se défaire de cette troisième jambe comme elle l’appelait, tant sa hanche la faisait souffrir. Elle essaya de se lever pour embrasser sa petite-fille, mais l’ardeur et le dynamisme de Sara étaient plus vifs et rapides : Suzanne n’eut le temps de mettre la main sur sa canne que Sara fut déjà à ses côtés.

 

— Ma petite chérie !

— Bonjour mamie. Comment vas-tu ?
— Tout va mieux maintenant que tu es là. Comme je suis contente de te revoir ! Tu es toute belle ! Approche que je te serre dans mes bras.

 

Sara et Suzanne étaient comme connectées entre elles. Sara captait les émotions de sa grand-mère : elle avait dû se sentir seule pendant tout ce temps et ces retrouvailles devaient égayer sa journée. Cette accolade apportait de la douceur à Sara qui semblait encore plus apaisée qu’elle ne l’était déjà. Jeunesse et vieillesse ne faisaient plus qu’un, face à l’amour entre ces deux générations de famille. L’image physique changeante que Sara avait vue de sa grand-mère il y a quelques minutes semblait s’estomper pour laisser place à la grand-mère qu’elle avait laissée lors de ses derniers au revoir. Cette complicité retrouvée entre la grand-mère et la petite-fille redonna de l’énergie à Suzanne, énergie que le temps lui retirait peu à peu…

 

— Bonjour Judith et Pierre. Vous avez fait bonne route ?

 

Suzanne se redressa en s’appuyant d’un côté sur sa canne et de l’autre, sur le bras de Sara.

 

— Oui maman, nous…

— Sara, suis-moi !

 

Elle n’écouta pas entièrement la réponse de sa fille, elle savait qu’elle avait retrouvé les siens, en pleine santé, auprès d’elle : c’était ce qui l’importait !

 

Elle n’avait à présent qu’une hâte : montrer à Sara ce qu’elle lui avait confectionné. Ce fut bras dessus, bras dessous que les deux femmes se rendirent dans la maison, laissant derrière elles, Judith et Pierre décharger la voiture.

 

Suzanne emmena Sara jusque dans la cuisine. Excitée comme une enfant de trois ans devant un sapin de Noël en période de l’Avent, elle lui dit :

 

— Regarde ce que j’ai acheté ! Bon, j’y suis peut-être allée un peu fort, mais je ne voulais pas que nous soyons en manque de guimauves. Toute gourmande qui se respecte doit avoir les quantités suffisantes de gourmandises.

 

Sara et Suzanne se mirent à rire en comptant ensemble les huit sachets de guimauves, alignés sur la table, les uns à côté des autres, comme si une publicité était en train d’être réalisée pour promouvoir la soirée « guimauves ». Suzanne avait beaucoup misé : se projeter faisait vivre et permettait d’avancer. La traditionnelle soirée « guimauves » était l’évènement familial qui donnait un but à Suzanne pour attendre avec plus de patience, ou d’impatience, la venue de sa petite-fille.

 

Après s’être amusées de cet achat compulsif, grand-mère et petite-fille retournèrent à l’extérieur et se dirigèrent vers une grande table en pierre, surnommée La table des potins. Suzanne avait conté à sa petite-fille que ce lieu portait ce nom depuis sa tendre enfance. Se retrouver à cet endroit de la propriété était synonyme de quiétude et favorisait toutes confidences.

 

Un bel albizzia ornait cet espace et le rendait encore plus somptueux lorsqu’il laissait entrevoir une pluie de fleurs roses. D’une main, Sara retira le tapis de fleurs fanées afin de laisser apparaître la table en pierre. À la continuité de cette table se trouvaient des chaises naturellement taillées dans la pierre au fur et à mesure que les générations s’asseyaient à cet endroit. Sara aida sa grand-mère à s’installer.

 

Sara et Suzanne restèrent assises à échanger sur les six mois qui les avaient séparées. Sara lui parla de mode, de lycée, de son avenir, de sa meilleure amie Lucie et de son amour pour Thomas. Suzanne écoutait attentivement sa petite-fille et revivait par procuration une vie de jeune femme du XXIe siècle.

 

Suzanne ne put s’empêcher intérieurement de comparer son adolescence à celle de sa petite-fille. Avoir dix-huit ans en 2012 et avoir dix-huit ans en 1942 : deux antipodes. Suzanne se rendit compte que ces deux mêmes âges, à deux époques différentes, étaient vécus si différemment. Rien que la notion d’insouciance était une réelle antinomie entre ces deux dates. La mode n’importait peu à l’époque, le lycée n’était pas destiné à tous et le futur, difficile d’y songer en temps de guerre… L’objectif de vie d’une jeune femme en 1942 n’était pas de penser au métier rêvé d’exercer au plus profond de soi, l’objectif de vie d’une jeune femme en 1942 était tout simplement de vivre. De survivre. Tout le reste n’était qu’imagination et idéaux.

 

Des minutes s’écoulèrent à échanger sur des sujets divers et variés. Judith et Pierre vinrent à extirper Sara et Suzanne de leur conversation avec la proposition alléchante de prendre l’apéritif sur La table des potins : ils y posèrent deux plateaux remplis d’amuse-bouches et un rosé de Provence.

 

En observant toute cette préparation, Sara et Suzanne prirent conscience qu’elles avaient dû parler plus que quelques minutes. Judith ouvrit le bal des amuse-bouches en choisissant celui au saumon.

 

— Cômment on f’ôrganise pour demain ? demanda Judith en entamant sa première bouchée.

— Je me suis dit que je pourrais m’occuper de ma chambre, c’est ce qui me semble le plus simple.

— Maman, tu n’es pas obligée de t’occuper de tout ça. On peut le faire, on est là pour ça, tu sais. Tu peux en profiter pour te reposer aussi.

— Judith, je sais que ma hanche se fait vieille, mais mes mains peuvent très bien trier mes affaires, souligna Suzanne de son tendre sourire. Par contre, est-ce que tu pourrais t’occuper du salon ?

— C’est noté maman !

— Pierre, pourrais-tu te charger du garage ? Le père de Judith avait laissé tellement de matériels et d’outillages avant qu’il décède. D’ailleurs, tu peux mettre de côté ce qui t’intéresse et les garder.

— Très bien Suzanne, je ferai ça.

— Mamie, tu veux que je t’aide à trier ta chambre ?

— Sara, j’ai prévu une autre mission pour toi.

— Laquelle ?

— Celle de t’occuper de la chambre de ta mère. Je pense que tu vas t’amuser en découvrant sa vie d’adolescente dans les années quatre-vingts.

— J’espère ne pas avoir laissé de vieux sachets de Treets, annonça Judith.

— Des quoi ? demanda Sara perplexe.

— C’est bien ce que je disais Sara, tu vas t’amuser, conclut Suzanne.

 

Une fois l’organisation confirmée, la famille poursuivit l’apéritif dînatoire et termina avec un gâteau que Suzanne avait préparé dans l’après-midi. La fatigue se fit ressentir pour chacun des membres de la famille : la soirée « guimauves » se devait alors d’être reportée. Quoi qu’il en soit, tous devaient se coucher tôt : le déménagement allait être matinal le lendemain.

 

 

 

 

 

Chapitre 4

 

 

 

Sept heures trente. Encore somnolente, Sara appuya sur son téléphone pour couper le son de son réveil. N’y parvenant pas, elle mit de côté sa délicatesse et donna un coup de main sur le téléphone pour que ce bruit insupportable cesse. Rien n’y faisait, ce son agressif du matin continuait de hurler dans ses tympans. Elle se sentit obligée d’ouvrir un œil et de regarder son téléphone pour trouver la touche Arrêt. L’écran de son téléphone était noir. Sara eut peur de l’avoir abîmé en tapant dessus. Sous le coup de la défaite, elle ouvrit donc les yeux, prit son téléphone et se redressa dans le lit. Elle appuya sur le bouton pour déverrouiller son portable : il semblait pourtant fonctionner. Elle revint alors à ses esprits : cette musique matinale ne pouvait être que le réveil de sa grand-mère qui dormait dans la chambre d’à côté.

 

— J’avais oublié ce que c’étaient les grasses matinées chez mamie, dit Sara en soupirant.