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À la découverte des traditions et de la culture de la Turquie.
La production littérature turque contemporaine est telle que le choix de cinq nouvelles à présenter au lecteur français ne pouvait se faire sans une part revendiquée de subjectivité. Il s'agissait de rendre hommage à des auteurs déjà lus et considérés en France, et ce faisant d'en présenter d'autres, moins connus, mais tout aussi importants aux yeux du lectorat turc. Au-delà des noms, il fallait aussi rendre compte de la diversité des genres, des thèmes, des voix. La littérature turque et avant elle la littérature ottomane ont longtemps souffert en Europe de la mode des turqueries puis du filtre orientaliste. Pendant des décennies, ne nous sont parvenus que les textes qui nous parlaient d'un Orient familier, celui des parfums, des soies et des turbans. Ceux-ci n'ont pas disparu de la production littéraire contemporaine, de même que la poésie continue d'y tenir une place importante, comme en attestent certains des textes présentés ici. Pourtant c'est une autre littérature qui nous arrive, plus proche dans sa forme parce qu'influencée par la prose occidentale, mais plus étrange aussi parce qu'inscrite dans un contexte politique qui se cache, qui se terre et affleure à chaque ligne. On y voit sourdre la contestation ; celle-ci s'inscrit dans le verbe, avec discrétion, plus évoquée que hurlée, à la fois poétique et romanesque. D'où le succès qu'elle rencontre un peu partout dans le monde.
Un derviche, réveillé d'un long sommeil par un supérieur religieux chaussé de mules en poil de lapin, qui part pour une mystérieuse mission. Un narrateur érudit et amoureux, accompagné d'un jeune drogué titubant, qui s'en va voir les derviches d'Emir Sultan. Partir à tout prix, fuir pour vivre et revenir, comme une porte qui s'ouvre mais jamais ne se referme. Interviewer un écrivain pour explorer la boîte magique de ses histoires. Une femme de ménage, lunatique et culottée, qui rêve de jouer la comédie sur les planches qu'elle astique tout en réécrivant Shakespeare. Réunies dans ce recueil, cinq nouvelles, fantasques, mystérieuses ou poétiques, écrites par des auteurs de renom, sont une belle introduction à la littérature turque contemporaine.
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À PROPOS DES AUTEURS
Ersan Üldes est un romancier turc né en 1973 à Manisa. Après avoir étudié contre son gré, et exercé des métiers qu’il détestait, il publie en 1999 un premier roman qui sera primé.
Murat Uyurkulak est né en 1972 à Aydin. Son premier roman Tol, publié en Turquie en 2002, a très vite été acclamé par la critique qui a vu en lui une nouvelle voix de la littérature turque contemporaine. Adapté au théâtre, Tol a connu un second succès. Déjà traduit en allemand, il le sera bientôt en français, publié par Galaade Éditions. Quant à son deuxième roman Har, il a été publié en Turquie par les Éditions Métis (2006).
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La production littéraire turque contemporaine est telle que le choix de cinq nouvelles à présenter au lecteur français ne pouvait se faire sans une part revendiquée de subjectivité. Il s’agissait de rendre hommage à des auteurs déjà lus et considérés en France, et ce faisant d’en présenter d’autres, moins connus, mais tout aussi importants aux yeux du lectorat turc. Au-delà des noms, il fallait aussi rendre compte de la diversité des genres, des thèmes, des voies.
La littérature turque et avant elle la littérature ottomane ont longtemps souffert en Europe de la mode des turqueries puis du filtre orientaliste. Pendant des décennies, ne nous sont parvenus que les textes qui nous parlaient d’un Orient familier, celui des parfums, des soies et des turbans. Ceux-ci n’ont pas disparu de la production littéraire contemporaine, de même que la poésie continue d’y tenir une place importante, comme en attestent certains des textes présentés ici. Pourtant, c’est une autre littérature qui nous arrive, plus proche dans sa forme parce qu’influencée par la prose occidentale, mais plus étrange aussi parce qu’inscrite dans un contexte politique qui se cache, qui se terre et affleure à chaque ligne. On y voit sourdre la contestation ; celle-ci s’inscrit dans le verbe, avec discrétion, plus évoquée que hurlée, à la fois poétique et romanesque. D’où le succès qu’elle rencontre un peu partout dans le monde. Bien sûr de nombreux grands noms manquent à ce recueil, des classiques comme Nâzim Hikmet (1902-1963) ou Ahmet Hamdi Tanpınar (1901-1962), des contemporains comme Orhan Pamuk ou Eli Shafak. Mais ceux qui y sont présentés nous semblent représentatifs de la création littéraire en cours. Ersan Üldes, Murat Uyurkulak, Nedim Gürsel, Aslı Erdoğan, Fatih Özgüven et Emine Sevgi Özdamar sont une introduction à l’immense littérature de la Turquie, carrefour des traditions, trait d’union entre des avenirs qui se rêvent à la fois communs et singuliers.
Laure PÉCHER
Murat Uyurkulak est né en 1972 à Aydin. Exclu de l’université, il exerce les multiples métiers de serveur, technicien, traducteur, journaliste et éditeur. Son premier roman Tol, publié en Turquie en 2002, a très vite été acclamé par la critique qui a vu en lui une nouvelle voix de la littérature turque contemporaine. « Avec Tol, Murat Uyurkulak suit le chemin de la vengeance à laquelle mènent des vies brisées, des vies bannies ; il donne un aperçu non-officiel de l’histoire non-officielle de la Turquie. » (Selah Kemaloğlu, Yeni Şafak, 13 Octobre 2002)
Adapté au théâtre, Tol a connu un second succès. Déjà traduit en allemand, il le sera bientôt en français, publié par Galaade Éditions. Quant à son deuxième roman Har, il a été publié en Turquie par les Éditions Métis (2006).
La nouvelle Le Derviche a été écrite à quatre mains avec Ersan Üldes, romancier né en 1973 à Manisa. Après avoir étudié contre son gré, et exercé des métiers qu’il détestait, il publie en 1999 un premier roman qui sera primé. Son deuxième roman paraît en 2004, et le troisième, Doctrine de la faiblesse, en 2007.
« Lève-toi, derviche, murmura-t-il, il est temps que tu partes. »
Cette voix inconnue retentit à mes oreilles rouillées, assoupies depuis trois siècles.
« Lève-toi, Maître, dit-elle, nous sommes au moment précis de l’histoire dont tu seras l’acteur, nous en sommes sûrs, pardonne-nous… »
J’entrouvris les yeux. De ma chemise ouverte sur ma poitrine me parvint l’odeur de moisi, et je réalisai que mes poils s’étaient agglutinés au tissu comme de petits vers blancs. Après cette découverte, je tournai les yeux vers le propriétaire de la voix, c’était un beau garçon. Je l’embrassai sur les lèvres, le bout de sa langue toucha la mienne, je le mordis, je crois, l’odeur de chanci fit place à un parfum de sang. Le garçon ferma les yeux dans un râle, et, tout en tétant le bout de ma lèvre inférieure, saisit ma main en s’allongeant. « Au revoir, monsieur », dit-il, et de ses cils je vis poindre une vapeur humide.
Ils m’ont lavé. Ils ont pris ma pourriture, ma tumeur et mon fardeau. Ont apaisé mon ardeur trop vive ; m’ont revêtu de vêtements étranges pour m’amener au supérieur du couvent. J’embrassai sa main, elle était sans odeur. Mais il avait oublié de se laver les pieds. « Te vois-tu tel que tu es ? », questionna-t-il. Ses yeux roulaient à toute allure. Je n’avais pas encore acquis suffisamment d’aisance pour m’exprimer, trouver ma route ou assumer un désir. « Comment pourrais-je me voir, mon sheik, c’est vous que je regarde », ai-je réussi à dire. Manifestement ses dents étaient toutes neuves, parvenues à un état de blancheur que des milliers de cure-dents n’eussent pu obtenir et, tout en s’efforçant de les dissimuler, il lâcha un « Peh ». Était-ce une abréviation ou bien un chiffre ? C’était un supérieur religieux à coup sûr, ses mules de lapin mises à part, ses vêtements étaient au grand complet. Il parlait du nez ; tout en parlant, il engloutissait des noisettes et des pistaches, et pour cette raison peut-être ne parvenait jamais à la fin de sa phrase. Quelle que soit l’importance de ses conseils, il passait en trombe à l’autre sujet. Un sheik dont la tête s’embrouillait de méchante manière, qui semblait avoir un besoin pressant de réflexion, perdait en un tournemain sa volonté de persuasion. J’espérais tracer ma propre route, inspirée par l’oracle tapageur produit par l’organisme du sheik, ses muscles, ses os, sa morve et ses idées.
« Sors, m’intima-t-il en conclusion, sors et va vers la mer. »
L’entreprise et le trajet étaient clairs. Ils m’ont posé devant la porte non pas comme un combattant soigneusement préparé et expédié avec moult prières, mais comme un illuminé cherchant à troubler la sérénité du monde.
À la porte du couvent des derviches mevlevi1, une échoppe inondée de lumière m’accueillit. Toutes sortes d’instruments étaient accrochés dans la vitrine, bien qu’il n’y eût alentour ni joueur de saz ni chanteuse. Parmi les volumineuses guitares, les violes noires, les tambourins vernis, un saz à long manche, au corps de femme, attira mon attention. Ce devait être l’instrument appelé cithare par les Européens, et une bouffée de peur m’envahit ; pendant que je dormais, les Européens avaient-ils pu s’emparer de la ville d’Istanbul ? Ces mules de lapin affichées comme le péché aux pieds du supérieur pouvaient-elles être un cadeau artificieux de magie noire offert par les Européens pour que se tienne tranquille le couvent des Mevlevi, pour que l’esprit de bravoure n’inspire pas les jeunes guerriers ?
Je saisis le bras du premier passant et m’empressai de le questionner : « Qui règne dans le palais, qui se trouve actuellement sur le trône ? »
« C’était Atatürk, mais il est mort », répondit-il médusé.
Dès que j’entendis le nom d’Atatürk, je fus submergé par une frayeur bien pire. Malheur de malheur, ce n’étaient pas les Européens, c’étaient les Turcs qui avaient conquis Istanbul. Les Turcs, cette troupe barbare vivant dans les déserts où l’oiseau ne vole pas, où la caravane ne passe pas, dans des villages en ruine bien loin d’Istanbul, des taudis, et même dans des cavernes. Je m’efforçai de contenir ma respiration, d’apaiser les battements de mon cœur. Après tout, le supérieur m’avait confié une mission. Je devais me rendre à la mer, la peur ne devait pas perturber mon esprit, ni l’inquiétude enchaîner mes pas.
Je mis le cap sur le bas de la ville ; parce que la mer qui incarne la grâce se trouve toujours en bas, même si j’ai offensé Atatürk, c’est toujours vers elle qu’on se dirige lorsqu’on descend des collines… Je suivis la pente d’un pas lourd ; dans mon esprit la cithare, dans mon dos le vêtement usé, et la voix du sheik toujours dans mes oreilles… Les rues étaient pleines d’enfants. Poussant des cris dénués de sens, ils se démenaient ensemble avec des bonds étranges. Leur tête était complètement ronde et ils couraient après une pierre aussi ronde que leur tête. Je m’arrêtai pour les observer avec curiosité. J’avais déjà failli devenir fou face à l’œuvre du sultan appelé Atatürk, je fus tellement abasourdi par leurs têtes si rondes et si semblables, identiques à deux gouttes d’eau, qu’en reprenant mes esprits, je vis la pierre ronde qu’ils poursuivaient arriver sur moi à toute vitesse. Il n’y avait rien à faire, sinon la toucher. La pierre – d’une extrême douceur, à ma grande stupéfaction – roula entre les jambes d’un gamin à la chemise jaune, planté entre deux piliers d’un petit trône, et d’une seule voix dans des hurlements d’allégresse, les autres se mirent à frapper les mains les unes contre les autres. « Gool ! » Ils se ruèrent sur moi dans un hurlement insensé, me hissèrent sur leurs épaules et me promenèrent un bout de temps en chaise à porteurs. De retour à terre, j’étais épuisé autant qu’un esclave ayant dilapidé toute son énergie en vain.
J’avais à peine fait quelques pas qu’une bande de chats dodus mais crasseux me coupa la route. Comme il s’agissait à l’évidence de chats de gouttière, tant d’embonpoint m’étonna. Ils devaient trouver du pain en suffisance chez les gens, et les restes devaient suffire à les engraisser. Les restes, sans doute les dépouilles récoltées par le sultan dans ses conquêtes et entreposées hors du palais. Le Créateur s’était révélé dans chaque atome de l’univers, de ce fait il nous fallait aimer chaque créature, c’est ce que nous avions appris. Cependant, cette nation de chats capable à la fois d’insolence et de harcèlement suscitait mon effroi depuis l’éternité. Qu’ils se baladent comme des ivrognes dans toutes les ailes du couvent ou bien qu’ils dorment nonchalamment, jamais je ne pus m’approcher d’eux. Je ne pouvais en expliquer la cause à mes compagnons de route, qui observaient mon comportement avec un air de reproche. À eux, je ne pouvais raconter que les chats me rappelaient les femmes, qu’en me rappelant les femmes un tressaillement bizarre se produisait en moi, que dans l’ardeur de mon corps frémissant, un séduisant tumulte naissait. Dans le secret de mon âme, je croyais la chose suivante, moi : bien que le Créateur se soit incarné dans l’univers, le diable avait trouvé une occasion pour se faufiler subrepticement lors de la création à l’intérieur à la fois et des chats et des femmes. C’est pourquoi on ne pouvait faire confiance ni aux femmes ni aux chats.
Je poursuis mon voyage en passant le plus loin possible de la bande de chats. Le dicton « Souviens-toi du chat, prépare-toi à la femme »