On a l’éternité pour se venger - Mikael Tournaire - E-Book

On a l’éternité pour se venger E-Book

Mikael Tournaire

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Beschreibung

Une nuit d’été à Lyon, la ville est secouée par les agissements d’un mystérieux individu nommé Requiem, dont les motivations restent inconnues et les méthodes, violentes. Mattéo, un jeune homme audacieux, se retrouve entraîné dans une machination complexe orchestrée par Requiem. Alors qu’il se bat contre cette menace implacable, il entraîne son entourage dans une spirale de révélations qui dévoilent les secrets enfouis de son propre passé.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Mikael Tournaire s’est lancé dans l’écriture d’une œuvre policière après avoir été inspiré par" L’Odyssée d’Homère et ses 24 chants spectaculaires". Il illustre le parcours épique d’un antihéros confronté à des épreuves et des traumatismes personnels. Influencé par les films et romans noirs américains ainsi que par les polars français des années 70 et 80, il rend hommage à cette époque, notamment à Jean-Paul Belmondo, à travers son personnage intrépide Mattéo Lizéro.

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Mikael Tournaire

On a l’éternité pour se venger

La série L’Odyssée du veilleur

Roman

© Lys Bleu Éditions – Mikael Tournaire

ISBN : 979-10-422-4360-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Pierre Corneille, Le Cid

Préface

Je dédie cette histoire à Ilidia Manuela Da Silva, qui a été ma muse pour toute l’écriture de ce livre et qui m’a énormément inspiré le personnage de Tracy Lizéro avec sa personnalité colorée et sa passion pour les livres. C’est aussi grâce à elle que j’ai pris goût à l’écriture et aux challenges, car ce roman a demandé beaucoup d’engagement, de patience et de folie créative durant plusieurs années. C’est souvent un long chemin de croix que d’imaginer une histoire, et je suis aussi reconnaissant envers tous ceux et toutes celles qui ont cru en ce projet et l’ont porté à bout de bras pour qu’il voie le jour aujourd’hui. Il est en tout cas à l’image des histoires qui ont émerveillé une partie de mon adolescence et qui ont façonné la personne complexe que je suis devenu.

Je remercie Axelle Rouzaire pour la relecture-correction de cet ouvrage.

J’ai également une pensée pour mon père qui n’est malheureusement plus de ce monde et qui aurait été sûrement fier de voir enfin mes rêves se réaliser.

NB : les illustrations présentes dans ce roman et en quatrième de couverture m’appartiennent.

Présentation des personnages

Introduction

Un éclair dans la nuit

Mercredi 13 juillet 2016

De hauts lampadaires aux lueurs blafardes éclairaient les voies de l’autoroute A6, très animée à cette heure-ci par les départs en vacances et les escapades nocturnes de quelques insomniaques. Le panneau du point info indiquait minuit passé, le clair de lune venait de percer le manteau nuageux et en dessous, le trafic ne diminuait pas, en décibels comme en intensité.

Le bruit strident et irritant des klaxons s’entendait dans chaque file de véhicules et soulignait l’impatience de certains. C’était une chorégraphie urbaine où le son se mêlait à la lumière et offrait aux automobilistes un concert à ciel ouvert, avec des crissements de pneus, des freinages et des éclats lumineux.

Et d’un bout à l’autre du périph, dans la chaleur de la nuit, les phares jaune orangé de leurs voitures luisaient comme des lucioles, donnant l’impression d’un ballet aérien. Plus de cinq kilomètres de bouchons engorgeaient la voie rapide où des gens harassés de fatigue écoutaient de la musique pour ne pas s’endormir.

À l’intérieur de confortables habitacles, il n’y avait plus de postes cassettes ou de vieux autoradios, mais des lecteurs CD, qui passaient des hits de funk et de soul. Chacun y allait de sa playlist et fredonnait ses coups de cœur pour prendre son mal en patience dans ces embouteillages qui semblaient s’éterniser et ne se termineraient pas avant quelques heures.

Cependant, il était écrit que cette nuit réserverait son lot de surprises et que rien ne se passerait comme prévu sur cet axe de circulation reliant Lyon à la porte de Dardilly. Tandis que tous les automobilistes respectaient scrupuleusement le Code de la route, une voiture rutilante déboula soudain de nulle part pour semer la pagaille.

L’air hagard et surpris, les gens baissèrent tous leur vitre pour lancer des noms d’oiseaux à ce conducteur effronté. Mais dans leur hâte, ils n’avaient pas remarqué que ses fenêtres étaient fermées, le rendant sourd à toutes leurs injures. De plus, ils s’égosillèrent vainement, car ce chauffard, amateur d’opéra, écoutait sur son iPod de grands airs classiques au maximum du volume que permettait son appareil.

Les écouteurs dans les oreilles, il chantait à tue-tête des paroles de Puccini, sans retirer le pied de l’accélérateur. Sa voix, un peu voilée et peu grave, résonnait contre les vitres en plexiglas de la Mercedes qui filait à toute allure sur la bande d’arrêt d’urgence :

— Si. Mi chiamano Mimì. Ma il mio nome è Lucia1,entonna-t-il avec entrain.

Cette chanson monopolisait tellement son attention qu’il ne se préoccupait plus de la route ni de son compteur de vitesse qui frôlait la barre des 160 kilomètres-heure. Sous l’air vibrant de La Bohême, il ne levait même plus les yeux vers le ciel, ignorant le panneau qui l’incitait à rouler avec prudence. Et devant lui, la nuit épaisse recouvrait de lointains monts aux formes abruptes et arrondies, dont il était difficile de percevoir la végétation.

De toute manière, ce conducteur se désintéressait tout à fait du paysage et du patrimoine qui l’entouraient. S’il avait ouvert sa vitre un instant, il aurait pu contempler des plaines à perte de vue, sur lesquelles s’étalaient de longs champs de vignes et des propriétés pittoresques. Des bâtisses du xviiie siècle où la pierre naturelle et la brique rouge prédominaient. En somme, des lieux enchanteurs qu’on disait porteurs de tradition et d’héritage pour ceux qui y croyaient encore.

Cet individu n’avait donc absolument rien à faire de ce qui l’environnait et prenait des risques inconsidérés pour remonter à une bien trop grande vitesse une autoroute de plus en plus engorgée. À part lui, personne n’osait se risquer à de telles manœuvres : il fallait en effet être cinglé pour conduire sur une voie aussi étroite et où l’on pouvait potentiellement déraper à une telle allure. D’autant plus qu’une telle audace était passible d’une amende salée ou de points en moins sur le permis s’il était pris la main dans le sac.

Voilà aussi pourquoi les autres automobilistes, pétochards, étaient réticents à agir de même. Ce conducteur, en revanche, n’avait vraiment pas froid aux yeux et se délectait de cet instant avec un plaisir non dissimulé. On pouvait d’ailleurs, sur son visage, lire un petit rictus malicieux, un sourire très léger qui apparut fugacement.

Quelques kilomètres plus loin, d’autres vues remplacèrent le cadre bucolique et verdoyant des vignes. Des paysages industriels, avec leurs réacteurs ardents et leurs structures métalliques, lesquelles rouillaient quand le soleil de plomb frappait leurs tourelles et leurs colonnes d’argent. Toutes les nuits, elles servaient aussi de phare de fortune aux automobilistes égarés qui cherchaient un repère sur la voie rapide.

Certains n’avaient d’yeux que pour ces usines et restaient ébaubis devant leur étonnante hauteur et leur vive lueur. Mais hormis des cheminées polluantes et des manufactures grisâtres, il n’y avait rien de beau à voir dans les parages. Il s’en dégageait une ambiance lourde et froide que chacun était, ceci dit, libre d’aimer ou non selon son rapport avec la nature.

Allant toujours plus vite, l’étrange quidam enfonça son pied sur l’accélérateur pour avancer à une allure affolante. Ainsi, peu à peu, ce panorama sordide s’éloigna dans son rétroviseur jusqu’à disparaître complètement de son champ de vision. De toute façon, ce conducteur pressé ne s’était pas retourné une seule fois vers sa lunette arrière pour regarder ce sinistre décor.

Quand bien même il aurait essayé de le faire, cela n’aurait pas fonctionné en raison des vitres surteintées de la Mercedes qui voilaient tout l’extérieur. En effet, l’individu avait apposé un filtre noir sur les fenêtres latérales afin de se cacher des gens trop curieux et de conserver son identité secrète le plus longtemps possible. Une chose était sûre, il ne tenait vraiment pas à ce que l’on connaisse son existence.

Mais aussi fou que cela puisse paraître, il savait aussi que le meilleur moyen de passer inaperçu, c’était parfois de se faire remarquer en faisant beaucoup de bruit. Ce qu’il ne manqua pas de faire avec cette folle chevauchée sur l’autoroute, laquelle se termina par une bifurcation sur la bretelle. Laissant derrière lui un monstrueux embouteillage, ce singulier personnage rejoignit ensuite une route plus calme, traversée par une forêt dense et lugubre.

Cette voie calme en apparence était constituée de nombreux lacets et avait la réputation d’être particulièrement tortueuse et meurtrière. Avec ses virages serrés et sa faible visibilité, elle provoquait des sueurs froides, y compris chez les conducteurs les plus aguerris qui redoutaient à chaque instant une rencontre fortuite et explosive. La vigilance était ici vraiment de mise pour lui comme pour chacun, et même plus encore avec l’obscurité et l’étroitesse de la chaussée.

Mais en dépit de la sinuosité de la route, le chauffard n’avait pris aucune mesure pour rétrograder ou adopter une conduite civique. Il n’usait même pas d’appels de phares ou de klaxon pour signaler sa présence dans les passages les plus à risques. On pouvait d’ailleurs réellement sentir le danger venir de ses roues et la sensation de vitesse qui en émanait, tant la route tremblait furieusement sous son châssis.

Tout en continuant de fredonner des airs lyriques dans son habitacle, il chatouilla légèrement une carrosserie qui ne l’avait pas vu arriver. Il n’essaya même pas de dévier sa trajectoire et roula comme si la route lui appartenait, en affichant un dédain peu commun. Puis, quelques secondes plus tard, il quitta cette oppressante végétation en faisant rugir ses deux cents chevaux sous le capot.

Après un passage en forêt l’attendait de nouveau le bitume, avec une pente raide menant tout droit au hameau de Dardilly-le-Haut. Et malgré tous les kilomètres parcourus, il était encore loin du terme de sa démente virée et loin d’avoir dévoilé la raison qui le poussait à agir ainsi.

Chapitre 1

La marque du mal

Rugissant comme un lion énervé, la puissante cylindrée se lança ensuite dans une montée particulièrement ardue pour rallier le sommet de la côte. Elle filait si vite que par moments ses pneus semblaient décoller de la route avant de retomber de façon brutale sur celle-ci. Avec cette vélocité qui ne cessait de croître et d’affoler le compteur au fil des secondes, le conducteur faisait, à n’en point douter, souffrir ses amortisseurs.

C’était à se demander jusqu’où il voulait aller comme cela et à quoi lui servaient toutes ces prises de risques que beaucoup n’auraient pas hésité à qualifier d’égoïstes et insensées. Stupide était le mot adéquat pour décrire son attitude, car cet individu impétueux plaçait l’ivresse de la vitesse au-dessus de tout et se moquait éperdument des lois.

Ce rebelle affichait d’ailleurs énormément de mépris et de dédain à tout ce qui portait un uniforme bleu marine, sans que l’on sache pourquoi. Il préférait aussi le silence au bavardage, l’action aux paroles inutiles et ne parlait que par nécessité. Fougueux, voire enragé, il ne semblait nullement raidi par la peur, s’amusant même à la dompter avec un aplomb peu commun.

Sur le trajet qui le séparait du hameau, il ne prêta aucune attention aux maisons cossues, ni même aux jardins exhalant des odeurs de lilas et de jasmin. Tout ce cadre champêtre défilait à vive allure sous son nez et s’effaçait sous les violons graves de Vivaldi et la voix envoûtante de la Callas. Il n’y avait que lui et sa frémissante musique, tout le reste passait aux oubliettes.

Ainsi, pendant de longues minutes, il se livra à un concert a cappella et chanta avec ardeur l’air célèbre de La Traviata, sans se préoccuper de la folle cadence de son bolide :

— Sempre libera degg´io/Folleggiare di gioia in gioia/Vo´che scorra il viver mio/Pei sentieri del piacer2.

Quelques secondes plus tard, il fut inévitablement pris en flagrant délit d’excès de vitesse par un radar automatique installé à l’entrée du bourg. À peine l’eut-il franchi qu’un aveuglant signal lumineux se déclencha dans l’obscurité pour l’avertir de l’infraction en cours.

L’écran de la tourelle afficha alors une allure qui frôlait la démesure et l’indécence. Le conducteur s’était permis un peu trop de libertés, avec sa conduite dépassant les cent quatre-vingts kilomètres-heure. Mettant sa musique de côté, arrogant et effronté, il n’oublia pas de faire risette à l’objectif pour y laisser son meilleur portrait.

Une fois la photo prise, il ralluma son iPod avec un sourire amusé, conserva son rythme fou et pénétra dans une rue totalement endormie. Derrière lui, on pouvait apercevoir au loin les néons de l’autoroute brillant comme une pluie de constellations dans la noirceur du soir et semblables à une longue Voie lactée, avec sa multitude de halos étincelants aux teintes d’or et d’argent.

Les habitants qui vivaient sur cette colline avaient accès à un magnifique mirador pour contempler l’aurore et le lever du soleil. Toutefois, ces gens couards ne se risquaient pas, la nuit, en dehors de leur grande maison. Et s’ils sortaient de chez eux, ce n’était qu’en cas de force majeure ou pour sortir le chien dans le jardin. Hormis cela, ils n’allaient pas plus loin que leur petit palace et évitaient comme la peste la noirceur des venelles.

Par conséquent, vu l’heure avancée, le chauffard était sûr de ne croiser personne dans ce patelin ni d’être inquiété par la maréchaussée locale. Quelques minutes plus tard, il dépassa à toute vitesse l’église, qui, comme les trois quarts du village, se fissurait et tombait en ruine.

Tout en écoutant L’Air des bijoux de Faust, il descendit ensuite une longue artère commerçante, bordée de candélabres vétustes et de boutiques désuètes. Cette rue était flanquée de façades recouvertes de boiserie et de pierres blanches sur lesquelles des tailleurs avaient apposé leurs noms. Ce centre-ville semblait vraiment sortir d’un autre âge avec toutes ses enseignes de mercerie et de quincaillerie qu’on ne voyait guère plus aujourd’hui que sur des cartes postales.

Sur son trajet, l’homme ne rencontra que des stores fermés et des pancartes en métal qui vacillaient dans le vent. Au bout de la rue, ce quartier fantôme s’éloigna définitivement, emportant avec lui ses toitures jaunies et ses ombres silencieuses. Jetant alors un œil à son rétroviseur, le conducteur vit au loin le clocher et la noirceur du ciel, laquelle était toujours aussi belle qu’effrayante.

Laissant derrière lui ce hameau endormi, il dépassa la salle des fêtes, tenant plus d’un entrepôt que d’un lieu de vie, pour retrouver ensuite une campagne lugubre et désolée. Et après quelque temps sur une nationale déserte, il réduisit son allure de façon considérable et tourna soudain le volant à droite pour suivre une allée sans issue et en partie boisée.

Là, il marqua une halte à quelques mètres d’un garage et d’un pavillon éclairé par deux vives lanternes. Toutefois ce n’était pas ce dernier qui semblait l’intéresser, car il avait des vues sur un lotissement situé plus en contrebas. Il ouvrit la portière, se saisit de ses jumelles, retira ses écouteurs et s’approcha du bord du chemin pour épier de lointaines résidences.

Disposant d’une vue dégagée sur le plateau, il fixa alors avec un rictus énigmatique de luxueuses villas agrémentées de piscines et de courts de tennis. Puis, balayant tout le paysage aux infrarouges, il survola brièvement chaque propriété pour localiser celle où se cachait sa cible. Mais lorsqu’il localisa enfin l’heureuse élue, il perdit inexplicablement le contrôle de son esprit et commença à ressentir des battements rapides à l’intérieur de son thorax.

Peu à peu, de fortes contractions dans sa poitrine lui firent atrocement mal. Il afficha un regard inquiet et désemparé. Il éprouvait la pénible sensation d’un ver le rongeant de l’intérieur, dévorant ses entrailles pour le tuer à petit feu. Cette souffrance était tellement insupportable qu’il s’effondra à terre, dans un bruit d’oculaire brisé.

En effet, saisi de peur et d’anxiété, il avait laissé tomber ses jumelles sur les gravillons. Agenouillé au milieu des débris de verre, il joignit ses paumes, croisa ses mains et implora le ciel pour que son état de trouble et de stress disparaisse. Hélas, toutes ses supplications se révélèrent vaines, car d’autres effets désagréables apparurent bientôt pour l’accabler davantage.

Il affronta de subites bouffées de chaleur qui se répandirent sur son visage, lui provoquant picotements et rougeurs, avec une sensation bizarre d’orties assaillant sa peau et l’écorchant de leurs feuilles dardées d’épines. Puis, se prenant la nuque à deux mains, il extériorisa sa douleur dans un cri strident et perçant qui affola des oiseaux de nuit, posés sur les branches environnantes.

— Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai l’impression que mon corps se rebelle, se dit-il.

Ces étranges symptômes s’accompagnèrent ensuite de flashs terrifiants dans sa mémoire, qui l’envahirent de dégoût, allant même jusqu’à lui donner la nausée. Les yeux écarquillés, il éprouva alors un sentiment de néant et d’absence. Au fur et à mesure que ces images affluaient dans son souvenir, une détresse infinie s’empara de son regard.

Il se remémorait de sombres heures passées dans un taudis. Des éclairages aveuglants et des bruits de ventilation se mirent à obséder sa mémoire et il entendit le vacarme provoqué par ces pales en acier aussi distinctement que si elles s’étaient trouvées à ses côtés. C’était tellement assourdissant et oppressant qu’il ne put en supporter davantage.

— Non ! Pitié, laissez-moi tranquille ! cria-t-il, tentant de se libérer de ses horribles démons.

Dans ces cas-là, pour échapper à cette brutale résurgence, seule une solution médicamenteuse s’offrait à lui. Il plongea donc une main dans l’une de ses poches cousues de cuir pour en sortir un flacon d’anxiolytiques et y récupérer deux comprimés. Il glissa les pastilles brunes dans sa bouche, les avala comme des dragées et en vit rapidement l’effet thérapeutique.

Revigoré par ce traitement, il retrouva de sa superbe et reprit les choses là où le choc émotionnel les avait brusquement stoppées. Alors, de sa voix pernicieuse et glaçante, il divulgua la raison qui l’avait poussé à faire cette longue route :

— Maintenant que ces satanées visions ont disparu, il ne me reste qu’à refroidir un lieutenant de police et la boucle sera bouclée,déclara-t-il tout haut dans un rire guttural.

Mais avant d’aller exécuter sa cible, il adressa un dernier regard grave vers l’îlot de villas.

— Oui, Giovanni Reggio, vous allez rôtir en enfer et vous emporterez mon secret dans la tombe, jura-t-il d’un ton malveillant et insistant, en serrant le poing.

Et sans fournir plus de détails sur sa sale besogne, il remonta dans sa grosse cylindrée et quitta promptement cette impasse, l’esprit clair et apaisé. Provisoirement débarrassé de ses démons, cet être lugubre ne ressentait plus les affres du désespoir ni de la détresse. Mais pour combien de temps encore ?

Car au fond de lui, il savait que tôt ou tard les fantômes de son passé reviendraient le hanter et l’assaillir d’images insoutenables. Pour l’heure, néanmoins, il redémarra et roula à pleins gaz sur une route étroite et sinueuse, bordée de maisons cossues, itinéraire qui le rapprochait inéluctablement de son horrible forfait.

En bas d’une pente, il arriva aux portes d’un paradis où les gosses de riches côtoyaient les nantis de Lyon possédant l’argent, les femmes et le pouvoir. Il y avait du beau linge à chaque propriété, et la bourgeoisie lyonnaise était ici bien représentée, avec ses architectes et ses avocats de renom. En pénétrant dans ce quartier opulent, il fut frappé par la beauté singulière des villas et l’atmosphère paisible qui se dégageait de celles-ci. Il aperçut une fontaine installée à l’entrée de cette zone pavillonnaire, invitant les marcheurs et les visiteurs à profiter du charme de ses eaux claires.

Redoublant ensuite de discrétion, il avança à faible allure et tous phares éteints pour dissimuler sa présence au voisinage. Mais s’il se fondait dans le paysage, il n’en demeurait pas moins un intrus des plus louches et inquiétants, et il y avait fort à parier que sa visite surprise ferait longtemps parler d’elle après cette soirée.

Une fois passées ces premières demeures, il remonta une rue pentue bordée de lampadaires défectueux et de portails d’entrée monumentaux, qui le laissèrent toutefois totalement de marbre. En effet, il ne se préoccupait pas de ces résidences opulentes et avait plutôt la tête tournée vers son futur crime. En franchissant des ralentisseurs, il eut soudain un air sadique et ricana à gorge déployée en entendant un bruit sourd provenant de sa voiture.

D’une façon ahurissante, ses traits affichèrent à ce moment-là une expression malsaine et angoissante, laissant supposer une dérangeante vérité. En proie à une excitation morbide, il lâcha de bien curieuses paroles :

— Patience, mon plaisant ami. Dans quelques minutes, tu pourras respirer une bonne bouffée d’air frais.

Cet individu imprévisible n’avait manifestement pas découvert la folie du jour au lendemain, comme pouvait le laisser supposer son comportement étrange. On pouvait alors se demander à qui s’adressait cette subite raillerie.

Ces paroles fielleuses teintées d’humour noir s’accordaient avec son look gothique sorti tout droit d’un conte d’épouvante. Tous ces attributs contribuaient à faire de lui un individu ne dégageant rien de rassurant et qui semblait déborder de mauvaises intentions.

— Ils ont beau avoir contracté le virus de l’argent, ce ne sont pas leurs millions qui les protégeront de ma folie,dit-il d’une voix diabolique.

Ces propos ne laissèrent plus le moindre doute sur sa détermination et révélèrent toute l’étendue de son sadisme, tant il se moquait des victimes collatérales. On percevait clairement le mal à l’état pur émanant de sa personne, et par ses yeux vitreux, on le sentait capable de déstabiliser n’importe qui avec une facilité déconcertante. Par ailleurs, il glaçait littéralement le sang avec sa voix rauque et ses lèvres fines et tordues lui dessinant un vilain rictus.

Après avoir jeté son venin, il immobilisa enfin sa voiture sur le bas-côté en apercevant la demeure de Giovanni Reggio. Celle-ci était en tous points similaire à une photographie qui traînait sur son tableau de bord et que cet individu habile avait chapardée à quelqu’un plus tôt dans la soirée. Mais avant de mettre ses menaces à exécution, il examina la propriété sous toutes les coutures pour trouver un angle d’attaque. Se livrant alors à une étude topographique, il nota que cette maison ressemblait à toutes celles qu’il avait déjà vues en arrivant ici.

C’était une imposante bâtisse, pourvue d’un gazon aussi lisse qu’un billard, et d’une baie vitrée ne renvoyant aucun reflet en raison de l’obscurité. Une fastueuse berline était garée sur une parcelle privée, et en guise de végétation, quelques rosiers rouges et un potager. Voilà à peu près ce que l’on pouvait trouver dans les parages en plus de clôtures électriques et de gadgets inutiles.

Après s’être fait une idée générale des lieux, il adressa un regard pernicieux vers la fenêtre où dormaient Reggio et son épouse. Puis, s’amusant comme un chat avec une souris, il sortit un téléphone cellulaire de la boîte à gants et appela sa cible pour lui provoquer quelques sueurs froides.

— Bonsoir, poulet, lança l’inconnu, d’une voix railleuse et insolente. Tu as fait de jolis rêves dans ton lit douillet ?

— Allô ? Qui est à l’appareil ? Je ne reconnais pas cette voix.

— Dommage, car moi je ne vous ai pas oublié, Lieutenant. Nous avons des affaires en souffrance, tous les deux.

— Ça m’étonnerait, pauvre bouffon, le coupa Reggio avec un ton condescendant, je n’ai aucune dette envers qui que ce soit.

— On s’est mal compris. Je suis votre créancier et je prends ce que je veux, y compris votre vie.

— Désolé, ça doit être une erreur. Au revoir. Et ne cherchez plus à me contacter, conclut froidement le maître des lieux.

Ne lui laissant pas le temps de s’expliquer, le policier, un peu somnolent, mit fin à l’appel et reposa son portable sur sa table de chevet. Au moment d’éteindre sa lampe, il sentit un mouvement dans les draps et vit son épouse se blottir contre lui pour se réchauffer. Par ailleurs, inquiète de cet appel nocturne, elle demanda à son conjoint de lui fournir quelques explications, voyant que quelque chose le travaillait.

— Ça n’a pas l’air d’aller, mon poussin. Tu as des soucis ?s’enquit-elle en lui caressant tendrement la nuque.

— Ce n’est rien, rendors-toi, Mathilde, et arrête tes petits noms. Ça fait cucul la praline, après vingt-cinq ans de mariage.

— OK, puisque tu le prends comme ça… Je me tais, lança-t-elle d’un ton boudeur en s’écartant de lui.

— Écoute, je n’ai pas envie de dormir avec des Boules quies. Alors, fiche-moi la paix !

— Bien, tes désirs sont des ordres, vieux ronchon, lâcha-t-elle avec un sourire forcé.

Puis, vexée par ses paroles, Mathilde mit sa tête sous l’oreiller et rejoignit rapidement les bras de Morphée, laissant son mari seul avec ses jérémiades. De son côté, il ne parvint pas à fermer l’œil de la nuit, complètement absorbé par des pensées anxieuses et toxiques. Tant et si bien qu’à un moment, il ouvrit un tiroir et songea à se droguer de cachetons pour se vider la tête. Mais il se ravisa, enfila sa robe de chambre et se dirigea à pas de loup vers les WC.

Et tandis que Reggio soulageait une envie pressante, l’inconnu, masqué, quittait l’habitacle de son véhicule en vue de mijoter son mauvais coup. Muni d’une lampe torche, il avança d’un pas décidé vers son coffre, faisant résonner ses grosses bottes gothiques sur le pavé. On aurait cru entendre un bruit de chaînes, tant un son lourd et horripilant s’échappait de sous ses semelles.

Ses affreuses grolles n’étaient pas les seules à donner la chair de poule. Tout chez cet homme était empreint de monstruosité et de noirceur. Son allure avait de quoi surprendre, avec sa cape en fourrure et son masque orné d’engrenages, lequel rappelait le carnaval de Venise. Après avoir rejoint l’arrière de sa voiture, il en ouvrit le coffre et prit une voix froide et monocorde pour lâcher entre ses babines rieuses quelques paroles railleuses qui en disaient long sur son mépris :

— Te voilà arrivé au terminus. J’espère que tu as fait un bon voyage, mon joli, lança-t-il au cadavre qui gisait dans la malle sur un drap taché de sang.

Ainsi, il leva le mystère sur l’origine de ces bruits survenus durant ses reprises d’accélérations. Un homme inerte et à la figure lacérée se trouvait à l’intérieur du coffre. À côté de ce malheureux, une des armes ayant servi au crime, un économe maculé de sang et tranchant comme un rasoir.

Le calvaire de cet homme ne s’était toutefois pas limité à des coupures sur le visage, car on constatait également des traces d’étranglement sur la trachée. Se tenant immobile face au corps sans vie, l’individu crapuleux se remémora alors avec un air sadique les minutes où il avait écrasé la pomme d’Adam de sa victime contre une chaîne de vélo. Et bien que ce meurtre répugnant eût lieu quelques heures auparavant, il revivait la précision chirurgicale de son geste et les cris d’agonie de sa victime.

Au-delà de la jouissance que cela lui avait procurée, cet assassinat sauvage avait été nécessaire pour rentrer discrètement chez le lieutenant. En effet, ce tueur n’avait pas éliminé n’importe qui, puisqu’il s’agissait de l’homme à tout faire de Giovanni Reggio, qui s’avérait connaître les codes de sécurité de la maison du policier et les lui avait donnés avant de se faire salement lyncher.

Après s’être repu de la contemplation de ce macchabée, il tapota sa joue glacée de façon amicale et chuchota avec démence des paroles à son oreille :

— Hum, tu m’as été d’une aide précieuse et je regrette que nos chemins doivent se séparer ici.

Puis brusquement, il se ravisa et lança à sa victime un regard inquiétant et persécuteur :

— Après tout, on peut encore se divertir un peu. Ton ami Reggio ne va pas s’envoler tout de suite.

Alors, non content de l’avoir torturé, il fit durer ce jeu morbide et plia les jambes du cadavre pour l’asseoir face à lui. On entendit aussitôt comme un bruit de craquement, tant le corps tout entier était devenu aussi rigide qu’une statue. Une fois qu’il l’eut installé sur le bord du coffre, l’odieux personnage s’engagea dans une improvisation diabolique pour faire parler la triste dépouille et donner l’illusion d’un dialogue.

Ainsi, il joua son propre rôle et modifia volontairement la tessiture de sa voix pour se glisser dans la peau du mort avec une tonalité grotesque et caricaturale. Et comme dans une scène de théâtre, et sans aucun scrupule, il balança la première réplique et alterna entre jeu comique et absurdité pour mortifier sa victime, laquelle n’était plus qu’un jouet entre ses mains.

— Mais j’y pense… J’ai un problème à résoudre, si tu as du temps à tuer, ironisa-t-il en le regardant d’un air moqueur.

— Tu peux y aller. J’ai l’éternité pour te répondre et des termites en rab, si tu as un petit creux, lâcha le même homme d’une voix grimée et ridicule.

— Non, sans façon. Je digère mal ces bestioles, et en plus, elles ont de quoi grignoter avec ton cadavre.

— Oui, par ta faute, ces foutus asticots me dévorent comme une feuille de salade, se plaignit-il d’une voix aiguë et grossière.

— Oh, arrête de geindre et dis-moi plutôt ce qu’on fait du lieutenant Reggio. Il vit ou il crève ? demanda le bourreau.

— Ne le tue pas tout de suite. Garde-le en vie pour l’instant, et tu l’élimineras en temps voulu.

— C’est une chouette idée. Maintenant, retourne bouffer tes racines, balança-t-il d’un ton sec et dédaigneux.

Après ce dialogue surréaliste, l’ignoble scélérat envoya valser le macchabée comme une poupée de chiffon dans le coffre et referma le capot en jubilant. Puis, avant de passer à la deuxième phase de son plan, il vérifia avec circonspection la ruelle pour s’assurer que personne ne l’épiait en cachette. N’apercevant aucune ombre alentour, il dégaina une arme à feu de son manteau pour en contrôler la culasse et le chargeur.

Ces vérifications faites, il rangea son pistolet et retourna vers sa portière pour mijoter un autre vilain coup. Il attrapa un jerrican d’essence sur la banquette arrière, en dévissa le bouchon et versa le liquide visqueux dans tout l’habitacle avec un regard satisfait. Une fois le contenu vidé, il lança le bidon à l’intérieur et verrouilla sa porte pour ne laisser échapper aucune odeur de benzène.

Ses préparatifs terminés, il sortit un talkie-walkie à longue portée pour donner des instructions à une fille plutôt empotée, qui mit quelques secondes avant de lui répondre, ne sachant pas utiliser ce genre d’appareil et ne connaissant rien d’autre que son smartphone.

— Allô, ma subalterne ? l’appela celui-ci d’un ton froid et rabaissant,est-ce que tout marche comme prévu ?

— Comment, c’est vous, Maître ? Mais je n’attendais pas de vos nouvelles de sitôt… Et vous avez oublié le code, en plus ? lui fit-elle remarquer d’une voix railleuse.

— Écoute bien, morveuse. Tu n’as aucun mot à dire sur les codes ou sur quoi que ce soit. J’ordonne, toi tu exécutes, c’est clair ?

— Ne vous mettez pas en colère, le supplia-t-elle avec une voix embarrassée, j’ai eu des paroles déplacées et ça ne se reproduira plus.

— Justement, apprends à rester à ta place. Mais oublions cet incident, dis-moi plutôt si notre client Mattéo est arrivé.

— Oui, Monsieur, répondit-elle d’un air de soumission, il dispute une partie de poker avec vos complices.

— Parfait. Cet ahuri a mordu à l’hameçon et grâce à lui, je vais faire d’une pierre deux coups ce soir, se réjouit-il d’une voix fière.

— Que dois-je faire, Maître ? Je dis aux gars de le nettoyer et d’effacer toute trace de lui ?

— Non. Chouchoutez-le-moi pour l’instant et ne prenez pas d’initiatives sans m’avoir consulté,lui enjoint-il avant de couper sa radio.

Ce personnage retors et sournois courait donc deux lièvres à la fois. Il avait en effet deux ennemis dans le collimateur, un lieutenant de police et un homme appelé Mattéo, auxquels il semblait vouer une haine tenace. Il les exécrait tellement qu’il avait concocté un brillant stratagème pour chacun d’eux.

Il avait tenu à se charger lui-même du lieutenant Reggio et avait assassiné froidement son adjoint pour atteindre le domicile du policier. Concernant le mystérieux Mattéo, il avait imaginé d’autres projets et s’était procuré ses coordonnées pour le contacter depuis une adresse électronique inventée de toutes pièces. Et dans un message envoyé quelques heures plus tôt, il lui avait suggéré une rencontre afin de partager des renseignements sur une ancienne affaire qui tourmentait son esprit et l’empêchait de dormir.

Et pour mettre plus de piment et de saveur à ce tête-à-tête, cet être abject avait fixé ses conditions. Dans son courriel, il avait précisé trois choses : Mattéo devait venir seul, sans artillerie dans les poches et accepter une partie de cartes dans un lieu appelé Le Palace. Ce n’était qu’à ces seules exigences qu’il respecterait sa part du marché et lui livrerait les secrets, dont ledit Mattéo avait cruellement besoin pour guérir ses maux.

Sautant alors sur cette opportunité, ce dernier s’était jeté tête baissée dans un hôtel malfamé pour croiser le fer avec trois sales types. Hélas, en prenant part à cette partie de poker, il était loin de se douter du traquenard qui l’attendait, car aucun d’eux n’était celui qu’il devait voir.

Chapitre 2

Mélopée noire pour la Villa d’Or

Tandis que Mattéo exhibait ses talents de joueur à une bande de vipères, le tueur masqué ricanait de joie en pensant à ses futurs forfaits. D’autant qu’il était certain que rien ni personne ne pourrait entraver son plan diabolique et balayer la vengeance qu’il ourdissait. Toutefois, elle n’était que la partie immergée de l’iceberg, car cet être infâme dissimulait dans les profondeurs de son âme un terrible fardeau. Un secret répugnant et monstrueux représentant la facette la plus noire de l’humanité.

Motivé par sa haine et sa rancœur, il prédisait un sombre avenir pour l’infortuné Mattéo qui s’était fourré dans de sales draps. D’un air froid et impitoyable, il déclara, dans un monologue et d’une voix pleine d’assurance :

— Je me suis assuré que tu ne découvres jamais la vérité, Mattéo. Et le moment venu, tu mourras pour ce qu’ils m’ont fait subir.

Après avoir affiché ces sombres et inquiétantes volontés, il pénétra, obstiné, dans la demeure fastueuse du lieutenant en traversant une allée de jardin. Avançant pas à pas, il fut alors surpris de ne voir aucun portail d’entrée, ni même de molosses hargneux pour garder la propriété. On pouvait vraiment y entrer comme dans un moulin et l’accès au porche de la maison était aussi facile que de voler la sucette d’un bébé. Lui qui s’attendait à trouver une habitation bien défendue ne masquait pas sa déception devant la négligence et la trop grande insouciance du lieutenant Reggio, qui se croyait totalement à l’abri dans son fief.

Hélas, cette erreur grossière était impardonnable et allait coûter cher au policier, car le criminel, déterminé, rêvait depuis longtemps de cette confrontation. C’est ainsi que tout en arborant un sourire amusé et moqueur aux lèvres, il prit un malin plaisir à railler l’insignifiance du système de sécurité au sein de la villa de son adversaire.

C’est vraiment trop facile. Ce bouffon de Reggio se croit si intouchable derrière ses murs qu’il a oublié d’investir dans une sécurité digne de ce nom, se dit-il avec une pointe de sarcasme.

Puis il focalisa toute son attention sur le panneau de sécurité fixé à l’entrée de la maison et remercia intérieurement le policier inerte et gisant dans sa voiture.

Qui disait que les morts ne pouvaient pas rendre de menus services aux mortels ? songea-t-il en éclatant de rire.

Avec le code qu’il avait arraché à l’adjoint de Reggio, il coupa ensuite le dispositif de sécurité de toutes les pièces et se dirigea vers la baie vitrée. Là, il remarqua une ouverture entre les portes coulissantes et glissa sa main à l’intérieur pour écarter un des quatre vantaux. Une fois dans la maison, il se retrouva dans un salon spacieux et cossu, plongé dans la pénombre.

Afin de pouvoir naviguer dans cet immense séjour, il éclaira son chemin avec une lampe torche et inspecta les lieux, assouvissant une vilaine curiosité. Et en illuminant le milieu de la pièce, ce vil rôdeur aperçut un escalier en forme d’ellipse qui conduisait vraisemblablement aux chambres et à la salle de bains. Il dirigea ensuite le faisceau vers les murs latéraux pour s’enquérir d’objets dignes d’intérêt dans cette villa des ombres.

Sans faire de bruit, il tomba nez à nez avec plusieurs masques africains, des toiles de maître et des sculptures aux formes abstraites. On se serait cru dans la caverne d’Ali Baba, tant ces objets précieux et antiquités rares foisonnaient autour de lui et brillaient d’un vif éclat. Pour sûr, les propriétaires de cette maison n’avaient pas d’oursins dans les poches et avaient dépensé sans compter pour s’offrir des choses encombrantes et onéreuses.

Après cette trouvaille, des questions se bousculèrent dans son esprit malsain à propos du train de vie fastueux du lieutenant Reggio. Restant alors statique devant cette collection ridicule et clinquante, il se gratta le menton et se tritura les méninges pour éclaircir le mystère du patrimoine du policier.

Comment ce gros benêt de Reggio a-t-il pu se payer cette argenterie et toute cette porcelaine ? Ce n’est pas avec ses deux ou 3 000 euros mensuels qu’il a pu y arriver, constata-t-il d’un air ébaubi.

Après avoir posé son regard sur ces richesses, il voulut tout savoir sur les fonds secrets de son ennemi. D’autant que peu de gens pouvaient se vautrer dans le luxe et l’opulence, qui étaient généralement l’apanage des barons de la drogue et des chefs de la mafia vivant de champagnes millésimés et de caviar. Et tout à coup, cet être diabolique puisa dans sa matière grise et fit émerger une piste tangible et inattendue.

Une minute. Je me demande si toutes ces babioles n’ont pas été payées avec l’oseille de quelqu’un d’autre, supposa-t-il, perdu dans ses pensées.

Puis, poussant au maximum cette réflexion pertinente, il se mit à émettre une théorie qui renforçait un peu plus son désir de réponses et de vengeance.

Oui, persista-t-il, il a dû dérober ce butin à un membre de la pègre ou à une personne qu’il a refroidie. Serait-ce possible alors qu’il s’agisse de…

Mais n’ayant aucune certitude, il n’alla pas plus loin dans ses supputations. Il savait aussi que le meilleur moyen d’obtenir des aveux était de faire parler de gré ou de force le lieutenant Reggio, avant de l’envoyer ad patres rejoindre son créateur. Après avoir exploré cette galerie des horreurs, il prit ses aises sur un canapé en cuir pour réserver une surprise désagréable à son hôte.

Une lueur glaciale et cruelle dans le regard, il se mit à fouiller dans son manteau en velours et en sortit un harmonica pourpre avec des arabesques noires et une lame en argent composée de douze trous. Il plaça son instrument entre le pouce et l’index de sa main gauche. Puis il ramena sa main droite dessus pour jouer une ballade funeste évoquant le son du glas.

Ne faisant plus qu’un avec son harmonica, il semblait même possédé par cette musique mortifère qui annonçait le trépas à venir de son ennemi. Il relâchait sa rage à chaque accord et livra un blues aux accents sinistres et pessimistes. Et focalisant toute son attention sur son instrument, cet être habituellement taiseux fit vibrer l’air avec des notes lourdes et grinçantes qui ne tardèrent pas à alerter l’ouïe de Giovanni Reggio.

Ce dernier ne dormait que d’un œil, n’ayant pas réussi à reprendre le cours de sa nuit après s’être mis à dos sa femme qui l’aimait pourtant rageusement. Mais ces sonorités terrifiantes et glaçantes n’avaient été entendues que par lui, car Mathilde rêvait innocemment, avec ses Boules quies dans les oreilles. Il ne tenta donc même pas de la réveiller, de peur qu’elle fasse une crise de panique ou ne lui décoche une gifle monumentale qui n’aurait pas manqué de blesser son ego.

N’écoutant alors que son instinct, cet homme téméraire attrapa une boîte de munitions et son revolver MR73 sur la table de nuit pendant que son épouse ronflait comme une locomotive. Puis il glissa avec dextérité six balles de 357 Magnum dans le barillet, embrassa le front de Mathilde du bout des lèvres et se dirigea vers la porte pour fuir ces insupportables bourdonnements. Une fois sorti de la pièce, il poussa un soupir las, se demandant vraiment pourquoi il avait passé la bague au doigt à cette ogresse.

Mon Dieu, cette femme est une vraie plaie. Elle ronfle comme un grizzly et elle a un fichu caractère, comme sa mère, pensa le lieutenant.

Puis, sous l’effet de la fatigue, il laissa échapper un bâillement devant sa main et lâcha, en son for intérieur, sur un ton plein de dérision :

Ah ! Si j’avais eu le choix. Je me serais fait moine ou curé pour ne pas finir mes jours avec elle.

Après avoir brocardé son épouse, Reggio retrouva son sérieux, aligna son revolver par rapport à ses bras et avança en direction de l’escalier. Arrivé au-dessus des marches, il aperçut en contrebas un petit halo de lumière qui perçait la pénombre de son salon. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’un intrus s’était invité chez lui et y avait pris ses aises. À cet instant, la seule idée qui lui traversa la tête, c’était de le déloger à grands coups de pied dans les fesses pour retourner compter les moutons dans son lit.

Hélas, son esprit le laissait penser que les choses ne se passeraient pas de cette manière-là. D’autant que cette musique pesante et effrayante qui emplissait tout l’espace n’en finissait pas d’assourdir ses tympans. Aucun moyen d’échapper à cette mélodie atroce, qui infestait ses pensées. Et au fil des secondes, cet air gothique fit son effet sur lui, car Reggio sentit peu à peu, comme sournoisement envoûté par ces affreuses notes de musique, ses jambes flageoler et son assurance s’évanouir.

Son regard avait goûté à l’effroi et n’affichait plus la même détermination que quelques instants auparavant. Mais son angoisse et sa fébrilité n’avaient pas échappé aux yeux fourbes du démon, lequel le provoqua pour le forcer à se montrer :

— Allons, lieutenant Reggio, il ne faut pas avoir peur du noir. Venez près de moi, je ne vais pas vous manger,dit-il d’une voix sortie d’outre-tombe.

Après cette invitation forcée, l’intérêt du lieutenant se renforça pour cette voix curieuse et ricaneuse qui retentissait dans la noirceur de son salon. Et bien que la carcasse de Reggio tremblât comme une feuille à chaque vibration de l’harmonica, il réussit à attraper la rampe de l’escalier et descendit quatre à quatre les marches, sans savoir ce qui l’attendait en bas. Ses pantoufles frottaient sur l’escalier en bois qui grinçait au milieu d’une mélodie insoutenable et de rires détestables. Une fois arrivé sur le marbre du rez-de-chaussée, le propriétaire des lieux s’adressa à son vis-à-vis d’une voix grave et irritée :

— J’ignore qui vous êtes, mais cette violation de domicile va vous coûter de la taule et un séjour à l’hôpital.

Malgré ces menaces, l’étrange individu ne laissa entrevoir aucun signe de doute ou d’anxiété. Il semblait au contraire sûr de son intelligence, et gardait plus d’un atout dans sa manche pour tromper l’ennemi avec une ruse préméditée ou une improvisation sortie de son chapeau. Il arrivait ainsi à déjouer des pièges et de piètres tentatives d’intimidation souvent vieilles comme le monde.

Guettant sa proie depuis le canapé, ce suppôt de Satan continua à mâchouiller son harmonica pour semer un peu plus encore la peur et la confusion dans l’esprit du policier. Il s’amusait à jouer avec ses nerfs et se régalait de regarder ce gros lourdaud trembler comme une feuille à chaque note de son récital. Se félicitant alors de ce merveilleux stratagème, il se mit à jubiler de plus belle pour pousser le lieutenant Reggio à la faute.

— Bwahahah, lâcha-t-il à gorge déployée pour l’agacer.

À cet instant, le policier progressa de quelques mètres, le doigt sur la détente, et déclara d’une voix claire et exaspérée :

— Écoute, pauvre clown. Je vais te faire bouffer ton jouet et tu repartiras sur une civière à mes frais.

Après l’avoir copieusement invectivé, l’infâme musicien mit un terme à sa ballade morbide et rangea son harmonica dans l’une de ses poches pour passer à d’autres réjouissances. Restant dans l’ombre, hilare, il n’en finissait pas de se payer la tête de Reggio et de lui balancer au visage des paroles sarcastiques pour mieux le mettre en rage :

— Wha, ha ! ha ! Mwahaha ! Vous êtes pathétique, mon cher, et si prévisible… Vous croyez peut-être que je ne me suis pas préparé à tout ça ?

— Arrête de ricaner, lui rétorqua alors le policier, jusqu’à maintenant, tu n’as fait que souffler dans ton bidule. Je n’ai encore rien vu de tes soi-disant maléfices.

— Mais ce n’est pas de ma mélodie que vous devriez avoir peur, c’est de moi. Vous ne savez pas encore de quoi je suis capable, annonça l’ombre d’un ton impertinent.

— Pff ! Tu te sers de l’obscurité pour monter tous tes coups fourrés, mais à la lumière, tu révélerais ton vrai visage. Celui d’un lâche ! déclara Reggio d’une voix rude et cassante.

— Ça serait trop facile, je ne vais pas montrer ma figure toute de suite. Toutefois, j’ai un cadeau qui va sûrement vous plaire, l’informa-t-il d’un ton énigmatique.

Sur ces paroles pleines de sous-entendus, ce personnage ambigu et sardonique alluma une lampe posée à côté de lui et fit tomber partiellement son masque. Le policier fut alors saisi d’horreur en découvrant l’accoutrement de cet intrus qui n’avait rien de conventionnel et semblait tout droit sorti d’une loge d’artistes. Il ne put cependant voir de sa silhouette longiligne qu’un costume gothique, orné de fourrure d’hermine et de boucles en argent, lesquelles luisaient au milieu du salon.

Puis il essaya de le dévisager pour obtenir un élément qui lui permettrait de l’identifier plus tard. Vaine tentative, en raison de la lumière aveuglante que cet homme habile et fourbe venait de dresser devant lui comme un champ de protection. À l’instar de son air malfaisant interprété précédemment, ce rayon agressif jouait à son tour le rôle d’une aura qui empêchait toute action de la part de Reggio. Et quand bien même le policier s’y serait risqué, rien ne lui garantissait d’être encore en vie après avoir osé ce pari.

Une chose était sûre, le lieutenant avait la sensation de s’être fait totalement berner. Ses iris marron reflétaient son inquiétude et sa frustration au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient. Se délectant de cette situation, l’individu démoniaque ôta ses gants noirs et applaudit avec enthousiasme les initiatives désespérées de Reggio pour trouver son identité.

— Bravo, Lieutenant ! Vous savez divertir vos invités et vous m’amusez follement avec votre air ahuri. On dirait une chouette qui vient de se réveiller, déclara-t-il, sarcastique.