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« Imaginer le paradis c’est déjà assez compliqué. En musique, bien plus encore. L’enfer, le paradis on en parle, cela fait partie des mythes et du langage courant. Ceux qui y sont, les élus, nous regardent du haut, s’ennuient et veulent encore exister en inventant, en créant sans trop réfléchir. Nous les rencontrons, artistes et surtout musiciens, mêlés sans le vouloir à nos problèmes petits et grands que nous rencontrons en bas. C’est aussi une réflexion sur notre quotidien qui nous mènera à Vienne, ville phare de la musique. »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Élu à l’Assemblée des Français de l’étranger de 1997 à 2014 et président de la commission des affaires européennes de l’AFE pendant une décennie,
Jean Pierre Villaescusa est le fondateur de l’initiative Europe en mouvement au sein du ministère des Affaires étrangères. De plus, il a été récompensé par diverses distinctions honorifiques, dont les Palmes académiques, l’ordre national du Mérite et la Légion d’honneur.
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Jean Pierre Villaescusa
Pas de chanteur russe,
mais un virus
qui n’est même pas russe
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean Pierre Villaescusa
ISBN : 979-10-422-2240-6
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Imaginer le Paradis c’est déjà assez compliqué. En musique, bien plus encore.
L’Enfer, le Paradis, on en parle, cela fait partie des mythes et du langage courant. Sauf pour quelques illuminés qui s’en font un besoin pour comprendre pourquoi ils existent. Mais pour ceux qui sont vraiment dans le secret, le paradis c’est autre chose : une survivance non pas passive, mais bien active intervenant, on le verra parfois maladroitement, sur la partie vivante… encore, de l’humanité.
Ceux qui y sont, les élus, nous observent, rient de nous, jugent, comparent et critiquent. Ce sont des humains en souvenir.
Et ils ne savent pas quoi faire de leur éternité, alors, en fonction de leur passé, ils s’imaginent encore capables de créer, d’inventer, de participer. Nous, qui sommes encore bien vivants, ils nous utilisent parfois, par intérêt et pour se prouver, se prouver qu’ils ont été importants pour une rare quantité. En bref, ils s’ennuient ; ils étaient des actifs, et se retrouvent comme des retraités remerciés en fonction de leur âge. Retraite parfois anticipée. Quant à leur imagination, elle est toujours intacte. Hélas parfois !
Et ne croyez pas que le Paradis soit le désordre et la liberté totale d’agir. C’est aussi compliqué qu’ailleurs.
Nous allons nous tourner vers les musiciens. Artistes, souvent déconnectés des réalités, habitués des bravos, des compliments, certains d’avoir laissé une trace. Ils auraient pu être peintres, écrivains, scientifiques et autres.
Non. Ce seront des musiciens. Il y en a tellement eu. Nous ne pouvons tous les rencontrer, le narrateur va se promener parmi eux au gré de ses choix. Ils vont nous accompagner et puisque curieux comme jamais, nous rappeler notre vie matérielle. Interlocuteur privilégié, un certain JC, Jean Charles, sans rapport avec les initiales d’une figure infiniment plus célèbre.
Un naïf au Paradis, témoin de toutes les frustrations de ses compagnons ; il ne comprendra pas souvent, mais aura au moins la chance de les fréquenter ; ce n’était pas sa destinée.
Et ce paradis-là, tous ceux qui ont aimé la Musique aimeraient y finir la fin, la fin de, quoi ? Personne ne sait. Mais le passage en vaudrait la peine.
Vous n’y croyez pas. Logique ; mais lisez d’abord et vous comprendrez peut-être les évènements insolites qui se produisent dans notre entourage, ces souvenirs disparus qui renaissent, ces coïncidences ; pour les uns du paranormal, pour les autres du tout à fait normal. Soyons fous et rêvons.
La période corona ; les spectacles en berne
JEAN CHARLES nous raconte.
Mais quelle belle voix de basse, ce russe ; je n’avais pas prévu de l’écouter ; puis une erreur de réservation, des places à échanger et va pour l’Attila de mes vœux. Quelle voix ! Adbrazakov, belle intonation de basse russe chantante. Quelle bonne idée de l’écouter. Dans Verdi.
Second rang ; j’ai hâte. Petit imprévu, un petit virus à pointes bouleverse tout et prive mes sens de l’entendre, de le voir. Même constat pour Anna, la belle Anna, sublime Netrebko, qui elle aussi préfère rester dans sa datcha.
Quelle erreur de goût, elle ne va pas connaître Bordeaux et pourtant tout le monde vante les charmes de l’ex-belle endormie. Les contes d’Hofmann, ratés eux aussi. Kleinzach le petit avorton s’est fait virus.
Les spectacles vont rester en mode pause : par chance les années de célébration Berlioz et Ludwig Van. La télévision, le pis-aller, a fait de réels efforts, mais cela n’est que de l’image sonore. Manque le vécu.
Rester plusieurs mois sans préparer ses mains aux applaudissements ne m’était pas arrivé depuis quatre décennies.
Cet oxygène va me manquer, mais pour d’autres ce sera la réalité et ce sera plus grave, sans aucune mesure. Petite privation au regard de ce que, trop nombreux, ils ont enduré.
Les mains, qui ne servent pas qu’à applaudir, il ne faudra pas oublier de les laver et on va le répéter sans oublier son fameux gel censé sauver l’humanité. Le savon s’était fait oublier parfois, il faut se réhabituer pour certains.
À Bordeaux
Avec le chef de chœur. Nous devions nous rencontrer pour discuter d’une future conférence « le Requiem de Verdi » chanté lors de la dernière guerre, dans le camp de concentration de Terezin, Requiem associé pour l’occasion au nom de Rafael Schächter.
Prévu en mars 2020 ; une commémoration qui s’imposait 75 ans après la libération du camp d’Auschwitz. Beau sujet. L’occasion aussi de parler de Verdi. Mais pas seulement.
Il n’y aura pas de conférence. Ni celle-là ni les autres.
On se salue du coude. Homme affable, souriant, ouvert et fin connaisseur du lyrique, nous avons échangé sur le sujet ; plus véritablement, j’ai beaucoup parlé : le Wiener Staatsoper n’est pas prêt de me quitter.
Et puis, il est rare de se retrouver en face d’une personne qui partage les mêmes enthousiasmes et nous en avons profité.
En nous séparant, « vous êtes fous les Français » – Salvatore – est italien ; il y a des élections prévues et rien que pour cela vous ne changez rien, imprudence ; chez nous, nous avons déjà compris. Et déjà subi. Nous fermons tout. Nous confinons. Le mot est jeté. Confiner, le verbe va se conjuguer.
La direction de l’Opéra non plus n’a rien compris ; pas question de fermer… jouons… chantons.
Il sortait d’une réunion avec les édiles locaux. Déni de virus.
Cela ne va pas durer longtemps.
Une grosse grippe
Une sommité médicale locale nous l’a susurré, et puis ce genre d’infection ce n’est pas pour nous ! Sachez qu’il y a 10 000 à 15 000 décès liés à la grippe chaque année ; grosse grippe. Oublions.
L’affolement n’est pas de mise ; vous pouvez me faire confiance comme le répète Galabru dans le Viager. Me faire confiance.
Et l’on se retrouve pendant 55 jours à chanter faux, le « va pensiero » du Nabucco de Verdi, encore lui, chaque soir à sa fenêtre, tandis que d’autres applaudissent le corps d’armée sanitaire. Pour faire symbole, pour remercier, mais dans mon quartier, aucune réaction ou presque ; le voisinage n’est pas concerné, seulement calfeutré.
Il a fallu tenir ces 55 jours ; pauvre Verdi, si mal servi il ne méritait pas ça. Les vagues vont se suivre, mais les bravos s’estomper, timides comme lors d’un mauvais spectacle. Les rues sont vides, plus de bicyclettes et trottinettes sur les trottoirs ; le paradis du piéton, mais ce sera cher payé.
Et pourtant ici, à Bordeaux, on sait applaudir de façon cadencée avec la même intensité, quel que soit le spectacle, la performance. Souvent même à contretemps, trop tôt le plus souvent, pour ceux qui ne savent pas que ce n’est pas fini.
… Manque, le rondo final ou tout autre italianisme musical, mais on applaudit.
Avec une nouvelle technique de datation
Oublions le carbone 14 : le masque rien que le masque. Vous en voyez un, c’est le rappel du temps des virus et des coups de coude.
Les sauveteurs
Un an durant Mezzo : la chaîne de télé nous a sauvé du sevrage musical :
Le barbier de Séville
Décors classiques, jolis fauteuils, meubles, rideaux, rien d’original du déjà vu ; cela fait figure de vieille production ; les solistes de qualité sont inconnus. Cela se passe à Venise à la Fenice. Apparaissent quelques valets figurants masqués, masqués, rien à voir avec la cité des doges et son carnaval : de simples appendices nasaux noirs.
C’est un Barbier de l’ère postcorona, pas de doutes. Bartolo a failli embrasser sa servante ; geste refréné. Distances, distances, gestes barrière. Le vocabulaire « in » de l’année.
Beaucoup de belles choses le long de l’ère pandémique.
Souvenirs ; la neuvième de Beethoven ; Jonathan Nott avec l’orchestre de la Suisse romande.
Choristes et instrumentistes répartis dans les loges de cette belle salle et un effet sonore différent, emplissant le volume ; un système de miroir tournant permet de suivre le chef de partout. Pas de public. Les artistes jouent et chantent avec générosité.
La volonté de donner le meilleur. Cela se reproduira. Souvent.
L’ouverture de saison de la Scala ; des interprètes et une imagination étonnante : de l’italien du bel italien et des voix ; et la classe habituelle. Adbrazakov y est, encore lui. Ils savent faire ces Italiens, Respect.
Restons un peu français au souvenir de ce Faust donné à l’Opéra de Paris, voyage extraordinaire, balade dans la capitale, pouvait-on-lire, avec deux solistes rencontrés à Bordeaux : Benjamin Bernheim et Florian Sempey accompagnés d’un Méphisto américain campant le rôle de sa haute stature, le tout avec ma Marguerite préférée Ermonela Jaho aussi juste et incandescente en coquette midinette qu’en tragédienne infanticide…ce n’est pas de moi. Jolie phrase qui résume tout. Et qui enflamme d’un mégot jeté la cathédrale de Paris, Notre-Dame. C’était donc lui, Méphisto. Geste volontaire. Et que n’a-t-on pas raconté sur ce sujet.
Sans oublier cette journée mémorable offerte par ARTE le 6 juin 2021 avec un an de retard : les neuf symphonies de Ludwig Van données à heure fixe de 1 h à 9 h, venues de 9 villes européennes dont Prague, Lugano, Delphes et Vienne pour la neuvième ; pas de dixième malheureusement même si des ordinateurs essaient de la construire d’après des notes du sourd – il faut dire – malentendant-le plus célèbre.
Mais pas assez de publicité autour de cet évènement pourtant si rare, encore la faute du corona qui a tout décalé.
Et puis et puis tant d’autres. Un dernier titre : à l’opéra-comique un Concert de Gala pour salle vide, ce qui résume on ne peut mieux l’ambiance. La scène a survécu ; mais pour revenir à Faust, le virus est toujours debout regardant à ses pieds le genre humain… la seringue à la main.
La nouvelle mise en scène à venir
Postcorona donc.
Elle ne tardera pas à trouver dans ce vivier viral quelque moyen d’aiguiser son imagination.
Déjà un politologue a titré un de ses livres « Le bal masqué » en référence à notre ami Verdi qui imagine le roi Gustav III de Suède assassiné lors d’un bal qui se voulait joyeux.
Le passage vers un aréopage de fêtards prudents ne souffrant plus de la pénurie du saint ornement offre beaucoup de possibilités : le masque empoisonné, bourré de charge virale, bien plus sournois qu’un simple coup de révolver. Le masque, unique objet de notre ressentiment.
L’élixir d’amour pourra devenir un élixir de chloroquine vendu par un Dulcamara marseillais en blouse blanche assurant des bienfaits de son breuvage devant les villages en mal d’amour. Un sachant ! Et l’assurant ; c’est la solution le remède miracle.
Chez Donizetti, comme dans le Philtre de Daniel François Esprit Auber, le breuvage n’est que du vin de Bordeaux et nonobstant son effet excitant ne solutionne pas les problèmes de cœur du pauvre Nemorino ni les autres.
La pauvre Lady Macbeth en sera amenée à se laver les mains plus souvent encore avec son petit carré de soie, mais comme les gens de peu, au moyen du gel hydroalcoolique que lui fournira son meurtrier d’époux.
Mais le bouquet final, ce sera Traviata ; Violetta toussera, manquant d’oxygène, contaminée lors de ses fêtes somptueuses étourdissantes faisant fi des gestes barrières ; et puis tous ces hommes à qui elle cède parfois, cela explique tant de choses.
Scène finale ; Alfredo la pleurant déjà derrière la paroi de plastique qui l’isole de sa bien-aimée, un temps délaissée. La dame aux camélias intubée mourant autour d’un dernier halo de bonheur devant un public conquis devant ce malheur d’une autre époque et pourtant tout nouveau.
Succès assuré.Le vaccin n’était pas encore là.
Quant aux humains
Ils ont survécu en oubliant les réalités avant le basculement dans le syndrome de la terrasse.
Privés de terrasses, Le monde et les envies se sont cristallisés sur ce mot.
Avoir vingt ans dans les Aurès, ce fut une chose, mais avoir vingt ans sans les terrasses. L’enfer. Encore un coup de Méphisto. Finalement, danger de mort ou pas, l’essentiel est de vivre comme à l’habitude.
Le pire avec ce virus ce n’est pas qu’il foudroie une partie de nos contemporains, c’est qu’il rompt notre quotidien de personnes en demande constante de loisirs. Pas de spectacle, pas de discothèque, de terrasses, l’enfer au quotidien.
Nous sommes sur cette terre pour le plaisir ; des pseudoartistes insistaient : sortez, n’écoutez pas, rejetez les consignes ; sortez, nous avons besoin d’argent. Mourez, mais libres.
Nouveau Langage ; nouveau mode de vie
La vie au quotidien n’est plus la même. Denouvelles habitudes se sont créées ; des manies, des peurs, mais pas pour longtemps.
La violence semble exacerbée. Des couples se défont, incapables de vivre vraiment ensemble. Vive en province, le salut, un jardin, et pas de proximité avec les autres, dangereux.
Ce sera sans le prix des transports et sans l’ennui qui va s’installer. À prédire, le retour aux sources. Regain, attrait pour les villes moyennes, à espérer, mais ce n’est pas gagné.
Télétravail ; le Graal d’un instant. Sourire de certains. Allez construire des maisons, faire du pain, etc., sans vous déplacer. Les médias sont incapables de penser aux non-Parisiens et autres métropolitains.
La médecine en ligne ! inattendue. Cocasse. La foire aux bidouilleurs, à l’escroquerie. L’arnaque devenue institution.
Langage codé
Le monde d’après est devenu celui du taux d’incidence, de reproduction, de positivité, asymptomatique, de comorbidité, de criblage, de triage, de cytokine, de tests PCR, antigéniques, salivaire, de distanciation, physique, d’écouvillonnage, d’intubation. Ouf !
Ce n’est pas tout : de faux positif ou négatif, de modélisation, d’oxygénothérapie, de résilience, de vaccin ARN, et d’ARN de Spike, et du fameux R0 que peu comprennent sans parler de la non moins controversée chloroquine et j’en oublie…
OUF ! un monde de spécialistes ; des millions d’infectiologues de circonstance, journalistes, artistes de tout genre, simples pékins, devenus fins connaisseurs des virus ; certains d’expliquer ce qu’il fallait, ce qu’il faut, et faudra faire. Les donneurs de leçons ; le théâtre pourra s’en délecter en les moquant.
Il faudrait un nouveau Molière pour les décrire. Un médecin imaginaire à l’ère du corona. Ce serait drôle.
Quittons les humains.
Ses habitants se questionnent
Personne en bas n’imagine que le paradis est « vivant » fait de milliards d’âmes dispersées. Intéressons-nous à ceux qui ont fait la musique et ceux-là posent de vraies questions. Ils sont étonnés. Ce silence inhabituel.
Que se passe-t-il chez les vivants. Plus aucun son, plus d’orchestre, plus de voix, Même du haut, on entendait tout, symphonies, concertos, opéras, opérettes ou simples spectacles en musique. L’avantage du lieu, c’est l’oreille fine.
Fini la clarinette, le tuba et le saxo, les envolées des violons, les contre-uts des ténors, les suraiguës des soprani, la voix chaude des barytons « Verdi ».
Les basses, pour nous conter la calomnie ou le veau d’or. C’est le virus qui est toujours debout.
La fin du Monde ? Une météorite géante ? Une grève ? Ce sont des habitués pour certains.
Pour l’heure, le paradis observe tout ce qui se passe et ne se passe plus et avec étonnement. Notre JC aussi. Pourquoi lui ? Mystère.
Le silence des cordes, des cuivres et des gorges étonne.
Le virus nouveau est arrivé
C’est un virus, mais ni un Russe ni un chanteur russe. Et pas encore un envahisseur. Quelle idée saugrenue d’ailleurs. Un vieux réflexe allemand de voir des envahisseurs partout. Que gagneraient des Russes à envahir qui que ce soit en 2019. C’est bien Ludwig, toujours farfelu qui y pensait.
Il a certainement oublié son hymne à la joie à la liberté comme son Fidelio. Ce doit être l’âge. Vieillit-on au paradis ?
Des faits :
Un des nouveaux entrants en avait parlé, un virus, c’est quoi un virus déjà ? Pour certains parmi les moins anciens, un microbe ? Ils auront l’éternité pour en parler, mais affamés d’actualités, ils ne vont pas attendre et vont être servis.
Avec son Mystère
Au paradis, ils sont tous là, certains depuis des lustres ; ils ont mérité d’y séjourner et ne comprennent pas ce qui se produit vu du haut, ce qui se passe en bas est curieux.
Il y a donc eu confusion ; Ludwig Van que l’on connaît bien a tenté une descente virtuelle pour mieux comprendre. Il a compris « russe » ; nous savons qu’il a quelques excuses. Un peu sourd, parfois encore, les Russes reviennent, envahissent !
Il ne croyait pas si bien dire sauf à décider qu’il a un don lui permettant de lire dans l’avenir. Pour l’heure on n’y était pas. Il ne connaît même pas le nom de Poutine, tous croient connaître le sujet, évidemment : les Tchaïkovski et autre Moussorgski, qui prétend être le seul à vraiment connaître l’âme de la Sainte Russie, sans parler de Rimski Korsakov, mais pas Rachmaninov, le plus jeune, mais qui ne parle pas, restant prostré, enfermé dans ses rêves. Chostakovitch, lui, reste prudent et n’effleure pas le sujet. La peur du moustachu.
Les autres sont moins compétents, ce qui ne les empêche pas de parler d’étaler leur avis.
Rossini qui a fait chanter un Russe dans le voyage à Reims, Umberto Giordano qui a raconté des histoires d’espionnage dans Fedora.
Mais très vite la confusion s’est dissipée ; si Audika ou un autre avait existé au 19e siècle, ça ne se serait pas passé.
Le Paradis, dans les salles, c’est aussi celui de l’Opéra que fréquentent étudiants ou pékins en mal de liquidités. Un peu moins haut et plus inconfortable.
Celui des vrais, des purs, des seuls connaisseurs selon leurs dires ; le plaisir se mesurerait à la difficulté et ne serait mérité qu’avec une bourse plate. Avec l’âge, les avis changent.
Pour nos amis musiciens : le Paradis c’est le vrai,
Nous sommes encore avec ceux qui ont refusé de signer avec Méphisto ne serait-ce que pour revoir Marguerite tant de fois et tant de fois sauvée.
Ce paradis, tant convoité, a ses succursales, ses clans, et des nationalités qui ne se sont pas effacées. Ses petites disputes aussi.
Mais il est difficile d’accès ; il faut avoir fait ses preuves.
Mais ils y vivent et bien.
Prenons les musiciens, compositeurs ou autres.
À l’heure du déjeuner. Il y a souvent de l’amitié, mais truffée de ressentiment d’incompréhension, des regrets, de critique, de l’humour aussi, et donc on y retrouve tous les travers et les humeurs de ceux d’en bas.
« Oh ! Les ténors » les ténors ! Ils ont toujours quelque chose de détraqué dans leurs rouages, extinction de voix, éraillement dans les aigus, absence de timbre, phtisie, bronchite, femme en couches, procès, châteaux en construction, châteaux en démolition, châteaux en réparation et vingt autres afflictions que je m’abstiens de nommer par discrétion ce qu’écrivait Berlioz qui n’était pas toujours tendre avec ses contemporains.
Disputes. Berlioz et Offenbach qui a osé faire d’un chien qui aboie un régnant. Ce n’était pas l’amitié entre eux. La censure n’a pas été assez ferme. Le déclin annoncé, la fin du grand opéra pour l’auteur des Troyens, une offense au bon goût, le début de la décadence. Offenbach dans un théâtre parisien. On aura tout vu !
Et les autres Lully, Mozart ou Wagner parfois, Monsieur Berlioz était critique, cela passe mal auprès de ses colocataires.
Devant ses pairs, il ne fait même pas basse figure ou amende honorable, donc Hector déjeune souvent dans sa solitude alors que Ludwig Van recherche vainement et sempiternellement les notes de sa dixième symphonie ; curieusement il entend mieux à présent. Enfin, le croit-il, on vient de s’en apercevoir.
Les mystères du Paradis
Les nappes sont en papier, les serviettes aussi. Heureusement pour le service, car ce petit effronté de Mozart est toujours incapable de s’empêcher de griffonner quelques notes sur le coin de table.
Oubliant son assiette pour écrire sa 625e symphonie – elles se ressemblent toutes – ou son 3500e concerto pour piano. Et nombre d’opéras qui restent inachevés.
Par chance durant quelques décennies, il s’était arrêté de composer à la recherche de sa Constance préférée perdue dans le pavillon des femmes ; au début, il l’a retrouvée ce qui lui a bien plu, sa compagnie est agréable toujours, mais il y avait du monde du bruit, et elle s’est volatilisée, enlevée au sérail, déçue, peut-être.
Avec le temps, pour compenser, il a entassé des feuillets, des liasses de notes, dans tous les sens, peut être des chefs-d’œuvre qui resteront avec lui et que des amis n’ont pas essayé de lire. Pour Constance, il a toute l’éternité pour la retrouver. Elle lui reviendra, elle n’est qu’en promenade. Les hommes, les femmes, tous peuvent cohabiter, il n’y a pas d’espace réservé, mais des pavillons de tranquillité, des cénacles d’amitié, d’intérêts communs, Constance est partie regarder le vaste Paradis. Lui, trop plongé dans sa sempiternelle envie de création, ne s’occupe pas assez d’elle, alors elle folâtre, mais elle lui reviendra. Ainsi fait-elle toujours.
Autrement que dans « Cosi ».
Tous à la recherche de la femme ;
On retrouve aussi Gustav Mahler, une autre génération, plus sérieux, plus tristounet qu’Amadeus, essayant aussi de joindre Alma qui aurait pu se retrouver dans ce quartier des compositeurs.
Elle en avait le talent, mais son cher époux n’avait pas trop forcé pour qu’elle réussisse ; un génie suffit par famille ; l’autre pourrait faire de l’ombre. Il a quelque reproche à lui faire ; elle n’a pas tardé à le remplacer ; lui l’irremplaçable.
Pour l’heure, il cherche en vain.
L’a-t-elle oublié ? Lui, l’inoubliable. Un tourment de plus, à mettre en musique, Les Paradies des Himmel Lieder.
Mais Alma avait beaucoup vécu et on la disait souvent dans le quartier des peintres recherchant ses vieux amis Kokoschka et Gustav Klimt qu’elle avait souvent rencontrés.
C’est une autre histoire, Klimt, reste toujours aux côtés d’Emilie sa muse qui avait pris avec elle sa grande robe bleue au motif de tous les symboles de son amour de peintre.
Il a été heureux de savoir, il n’y a pas longtemps, qu’on commençait à le reconnaître partout, enfin, surtout pour un baiser, le Baiser, qui lui a valu en bas de le retrouver sur les écharpes cravates et autres objets de décoration. Le même sort réservé à Mozart à Salzburg.
Ma peinture, de la décoration ; ils n’ont rien compris, pourtant, cela me flatte, ils se sont âprement battus pour une de mes préférées : Adèle Bloch Bauer, ma resplendissante dorée vouée à devenir la victime d’une bataille de gros sous. Elle était mieux à Vienne chez moi, son deuxième portrait est parti lui aussi ; si belle, sorte de Pierrot avant l’heure.
Mais comment intervenir ? Ils ne croient même plus aux revenants. Au bruit sombre des écus, comme dit Méphisto. Le reste n’a pas d’importance, Mon Adèle partie.
Les femmes de leur vie restent heureusement dans leur au-delà.
Prenez Gounod par exemple ; l’âge lui a fait perdre la notion de réel et de virtuel. Lui recherche sa Marguerite clamant à tous ceux qu’il croise qu’elle a été sauvée et qu’il doit impérativement la retrouver ; certains de ses nouveaux amis essayent bien de lui rappeler qu’elle n’est qu’un personnage fictif qui n’est pas de son invention ; ni Berlioz ni Boito ne la recherchent ; mais pour lui c’est une obsession ; sauvée ! sauvée ! il doit la retrouver. Logiquement, elle doit être au paradis, ce qui était convenu. Il va continuer à chercher et ce serait long, très long.
Par chance tous ne sont pas incapables de discerner la différence entre leurs personnages à qui leur nom est pourtant bien collé et la fiction qu’ils ont créée. Une confusion qui en arrange beaucoup.
Verdi, on en reparlera.
Si bien habitué à reposer aux côtés de Giuseppina, la Strepponi dans l’oratoire de la Casa di riposo per musicisticonstruite par Camillo Boito, frère aîné d’Arrigo, le père de Méphistophélès, autre opéra consacré au Faust de Goethe ; tout nous y ramène.
À savoir : cette maison existe toujours et accueille encore plus de 60 artistes peut-être encore reconnaissants envers leur bon génie. Il n’avait pas d’héritiers, donc sa fortune devait revenir aux siens, les artistes, mais à ceux qui avaient eu moins de chance.
L’endroit est sacré pour ses admirateurs. Il le sait, car il regarde. Il y a moins d’entrées au regard de ce qu’il imaginait. Le temps passe, en tout cas, il pense à elle ; on a parfois écrit sur ses amours terrestres, avérés ou non, mais ayant souffert de la disparition prématurée de son premier amour, Margherita, une autre, et de ses deux enfants bien jeunes, le reste n’était que de la survie sauf Giuseppina qu’il avait croisée à l’époque de Nabucco. Sa première Abigaille.
LA TABLE
Revenons à du plus concret… MANGER.
Inconcevable pour l’humain de base, mais au paradis ; les appétits ne sont pas évanouis. L’ennui les exacerbe certainement et il faut passer le temps et plus pour certains.
Ils sont donc à table : Verdi, Wagner, Amadeus, Rossini, et le clan des Italiens, les Donizetti, Bellini Puccini, et Ludwig Van, Mahler, Strauss, les trois ; Richard et deux Johann. Tchaïkovski aussi, qui préfère le clan des Italiens à celui trop sombre de ses collègues russes. Berlioz encore isolé et perdu dans ses rêves. On ne peut tous les citer.
Se nourrir et pas que de souvenirs
Verdi est un paysan, il lui faut du solide, mais du local, du « bio » avant l’heure ; c’est un propriétaire terrien et a vécu aussi de ce que ses terres lui apportaient ; pas compliqué, mais de bonne qualité.
Et c’est à cet instant que les discussions s’enveniment parfois. Parler parce que l’on n’a rien d’autre à faire. Et parler du passé.
Des reproches, souvent, de l’amertume souvent.
La cible ce jour est le pauvre Rossini. C’est Giuseppe qui prend les devants, mais avec gentillesse. Plus un regret exprimé qu’un reproche.
« Je ne comprends pas ! avec ton talent, toi qui as écrit le Barbier et qui nous a laissé ce Guillaume Tell plein de promesses avec ce chœur final qui rien que pour ces quelques notes, te faisait mériter le Paradis avec palmes ».
Et te souviens-tu de « Moise en Égypte » de cette fameuse prière rajoutée après la création ; on dit même que lors des premières représentations elle mit les spectatrices italiennes dans un tel état qu’il fallut appeler des médecins pour les calmer et je n’oublie pas le cantique final. Vénéré partout.
J’en suis jaloux, j’aurais voulu l’écrire. Heureusement me reste le chœur des esclaves de mon Nabucco plus connu et admiré, encensé, adulé, porté aux nues que dirais-je de plus, que le tien. Cela me console.
Mais pourquoi donc n’as-tu pas continué ?
Résultat, on a accolé à ton nom un plat lourd que tu aurais commandé à la Maison Dorée : de la viande avec du foie gras et des truffes ; rien de plus indigeste. Il faut dire que ta taille explique beaucoup de choses ; la preuve je te parle d’Art et tu continues à vider ton assiette.
Monsieur était vexé après le ratage de Guillaume Tell. Monsieur a pensé que sa musique n’était plus d’actualité qu’elle datait déjà et tu te sentais incapable de renouveler. Il fallait faire fi des réflexions stupides de ce parisien franco-allemand, qui déjà ? Et qui ironisait.
Que reste-t-il de ce Meyerbeer par rapport à toi ?
« Maître, soyez heureux ; on a sonné le premier acte de votre Guillaume Tell, et en entier, Ironie, méchanceté, jalousie.
Pense à ton Stabat Mater et pense à toutes ces années perdues à faire de la musiquette.
Tu avais trente ans devant toi pour laisser de la bonne musique, pas de l’opéra séria, mais de la fraîcheur et tu en as privé l’humanité ; c’est de l’égoïsme. Aucune note n’ajouterait quoi que ce soit à ma gloire, aurais-tu dit, enfin, quelque chose comme ça. Stupide.
Regarde-moi : imagine avec quoi j’ai commencé, Oberto… j’en ai encore honte. Évidemment j’ai eu la chance. J’étais pourtant dans le malheur. Ma femme, mes filles mortes.