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« Le rocher aux singes », témoin des années 60, devient le cadre d’une descente aux enfers orchestrée par Pietro, un tueur né aux multiples visages. Entre jeux d’enfants déviants et meurtres passionnels, cet ouvrage dévoile une intrigue complexe et érotique, réservée aux adultes avertis. Explorez les recoins sombres de l’amour et de la folie meurtrière dans ce roman aux rebondissements inattendus. Préparez-vous à regarder au-delà des apparences et à frissonner longtemps après la dernière page.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Patrice Roth-Barbier explore principalement le thriller, captivant ses lecteurs à travers des récits où réalisme et émotions intenses se mêlent habilement. Ses histoires visent à vous emporter dans un tourbillon d’émotions durables.
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Seitenzahl: 246
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Patrice Roth-Barbier
Pietro le fou
ou
Itinéraire d’un tueur né
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrice Roth-Barbier
ISBN : 979-10-422-3828-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
C’était une nuit d’hiver sans lune, une obscurité lourde seulement percée par la lueur faiblissante des réverbères aux verres cassés. À vingt-trois heures, nous avons rencontré Pietro, une silhouette spectrale à la carrure imposante et au visage émacié. Assis seul sur un banc, il se trouvait à quelques centaines de mètres d’un promontoire forestier et rocheux, un lieu à l’allure sinistre. À ses pieds, un sac à dos contenant des habits de rechange et une cagoule noire attendait. Que faisait-il là, seul, dans cette nuit oppressante ? Qui attendait-il ? Personne parmi les rares passants n’aurait pu le deviner, mais une chose était certaine : la mort serait au rendez-vous ce soir.
Au sommet du promontoire, des lumières dansaient et des odeurs alléchantes s’élevaient, éveillant en lui les pires instincts. Là-haut, un rassemblement hétéroclite de jeunes marginaux s’amusait, inconscients de l’horreur qui allait bientôt s’abattre sur eux. Ils s’étaient donné rendez-vous pour une fête du tonnerre, pour « s’enluminer la trogne », comme ils disaient. Ils n’allaient pas être déçus, les pauvres ! La mort se joindrait à eux, prête à troubler la fête de la manière la plus sinistre.
Cette histoire nous transporte au début des années soixante, une époque où les rassemblements nocturnes étaient fréquents, notamment au sommet du Rocher aux Singes, pour le nommer. Les gens se réunissaient alors pour boire, danser et expérimenter des substances psychoactives. C’était l’époque du mouvement psychédélique, de la danse lascive. L’interaction entre la drogue et la musique atteignait de nouveaux sommets d’excentricité créative. « On va faire la bringue », tel était le mot qu’ils s’étaient tous passé durant les jours précédents. De tous les coins de la ville, ils avaient planifié cette nuit, ignorant totalement leur triste sort à venir.
Sur ce promontoire rocailleux, partiellement recouvert par une végétation austère et déterminée, luttant pour sa survie face au vide entaillé par de hautes falaises, le rassemblement cosmopolite de jeunes s’animait. Ils criaient, dansaient autour du feu de camp, qui avait des allures de barbecue géant. L’organisation s’y était rapidement instaurée, habituée par ses membres et rejointe par quelques anonymes, tels nos trois héros. Tout ce petit monde se droguait et se restaurait à la bonne franquette, buvait surtout et plus encore, comme dans une auberge espagnole psychédélique. Cette contribution collective au divertissement, au sommet de ce caillou forestier partiellement chauve, surplombait le parc municipal. Le portail monumental en ferronnerie, hérissé de piques acérées, en barrait ordinairement le passage à l’heure de la fermeture.
Ce parc, vaste et accidenté, s’étendait depuis la fontaine majestueuse érigée à la gloire de Vénus, désormais tarie depuis longtemps. Face aux contreforts escarpés du Rocher aux Singes, elle semblait bien chétive. La mousse verdâtre qui garnissait les aisselles de Vénus lui conférait un je-ne-sais-quoi de négligé, accentué par la grisaille de ses hanches drapées, contrastant avec la blancheur de son buste dénudé. La pauvre Vénus n’était plus à son avantage depuis longtemps, dans ce parc où les grilles hautes et imposantes défendaient illusoirement l’accès, ceinturant tout, ou presque tout.
Cependant, seuls les initiés connaissaient le moyen d’y pénétrer clandestinement, par le rocher, au prix d’une escalade périlleuse. Les accidents n’y étaient malheureusement pas rares certes mais, aux yeux des intéressés, c’était cela où l’ennui mortel qui régnait dans les rues de la ville. Des mesures draconiennes avaient alors été votées par la municipalité face aux plaintes répétées des parents des pauvres gamins accidentés face à la dangerosité du site et de son accès trop permissif. Des rondes avaient été instaurées. Mais, l’on n’arrête pas la jeunesse en marche, plâtrée ou non.
Suite à l’insatisfaction des procédures couronnant les interventions répressives nocturnes visant à déloger les squatteurs de ce lieu abandonné, y compris par la municipalité, la gendarmerie avait fini par plisser les yeux sur ces intrusions non conventionnelles, verbalisant au départ durement tout contrevenant pris en flagrant délit à l’arrêté municipal placardé sur le portail d’entrée du parc. Mais rien n’y faisait car interdire l’accès à ce gruyère était du domaine de l’impossible, surtout pour cette garnison étriquée qui depuis longtemps avait appris à fermer un œil face à cette jeunesse atteinte de surdité sélective.
C’est ainsi que les jeunes continuaient d’entrer par effraction dans le parc avec la désinvolture des désespérés en quête d’aventure. La gendarmerie les interceptait sans relâche, et une routine s’était rapidement instaurée. Une fois les portières fermées, le véhicule de la maréchaussée, bourré à craquer de jeunes téméraires débusqués çà et là, sortait du parc pour les relâcher dans les rues du quartier, une fois le portail franchi. Les gendarmes, autrefois jeunes et intrépides eux-mêmes, avaient jadis fait les mêmes escapades au Rocher aux Singes. Ils n’étaient pas d’humeur à verbaliser ces jeunes qui leur rappelaient leurs propres frasques. Un sermon rapide, quelques paroles moralisatrices, et les jeunes disparaissaient dans la nuit, jusqu’à la prochaine interpellation. Le Rocher aux Singes, théâtre des mêmes scènes répétées, restait le symbole vivant de la monotonie et de l’insouciance qui animaient la ville.
Pourtant, véritables cerbères métalliques, des piques acérées trônaient au sommet de ce portail majestueux, qui défendait officiellement l’accès et effrayait même les plus téméraires. Haut de cinq mètres, celui-ci décourageait même les plus audacieux. Intrépides certes, mais pas futés, pour ceux qui, téméraires ou non, ignoraient la facilité d’y entrer par les nombreuses voies d’accès qui amenaient confortablement, pour certaines, jusqu’aux fêtards qui se fendaient la gueule en ce moment.
Eh oui, pour les personnes à mobilité réduite et les fonctionnaires de tous poils, il y avait évidemment une petite route confortable et bitumée qui, depuis le portail monumental, serpentait jusqu’au promontoire. Ce chemin bitumé, le père d’Akon le connaissait bien, gendarme aguerri et ayant plusieurs fois, jadis, dispersé les fêtards, rentrant à la caserne avec une voiture pleine comme un œuf, et Akon, son fils, souvent assis à l’avant. C’était un lieu public avec, il faut le dire, une belle table d’orientation offrant une vue splendide, agrémentée de bancs certes tagués, mais accueillants. Le rocher était accessible en voiture par les agents de collecte de la ville surtout car là où il y avait des bancs publics et des poubelles, il fallait les vider.
Le parc, cerné par d’imposantes grilles, encerclait presque intégralement le site connu sous le nom du Rocher aux Singes. Pour le reste, d’imposantes falaises verticales de plus de 50 mètres de haut par endroit complétaient cette barrière naturelle presque infranchissable. À quelque deux kilomètres du centre-ville, le parc se dressait au-dessus des toitures des maisons de plain-pied, regroupées en lotissements autour du stade déserté. Ce dernier, démuni et partiellement délaissé, devenait la scène d’un spectacle unique à la nuit tombée. Le vent nocturne, tel un joueur de football invisible, s’appropriait le terrain de jeu abandonné. Il marquait impétueusement des buts imaginaires en faisant virevolter les emballages abandonnés dans la cage dépourvue de filet, créant ainsi une symphonie silencieuse de mouvements nocturnes.
Ce soir, manifestement, une pince-monseigneur avait ouvert le portail du parc du Rocher aux Singes. Au bas mot, trente candidats à la mort s’étaient alors installés au sommet du rocher, plantant là le décor d’un thriller véridique, du moins sur le papier. Ces téméraires, inconscients du danger, s’étaient aventurés dans ce lieu à leurs risques et périls, transformant le paisible parc en scène d’un drame en attente de se jouer. Et il n’y aurait pas de coupure, sauf celles sanglantes dont s’abreuverait la terre grasse des lieux. Mais chut, ne spolions pas l’histoire et n’effrayons pas prématurément ces candidats candides à la mort !
En bas du précipice, lui aussi à l’intérieur du parc, le regard perçant fixé sur ses prochaines proies, Pietro le Malin avait préparé son coup. Habillé en clochard, le chapeau écrasé sur son crâne, la barbe hirsute et les cheveux gras, il se fondait dans le paysage nocturne, profitant de la pénombre. Invisible dans le panorama, car, à vrai dire, qui parmi les rares passants battant le trottoir aurait pu s’intéresser à lui ? Il s’en amusait et se félicitait du choix judicieux de cet accoutrement qui, en plus, ne lui coûtait rien. Il l’avait acheté dans une friperie il y a bien longtemps pour mener à bien une autre opération macabre. En l’occurrence, c’était il y a cinq ans, mais cela, nous le découvrirons ultérieurement. Quoi qu’il en soit, il était malin et conservateur, notre Pietro !
Ce soir-là, Pietro avait poussé le vice à son paroxysme. En véritable artiste du mal, il savait que l’illusion devait être parfaite. Il s’était donc prémuni d’une vieille bouteille de vin, trouvée la veille dans les conteneurs à poubelles de son quartier. Après l’avoir soigneusement lavée, il l’avait remplie de jus de raisin. Amusé par la situation, il jouait parfaitement son rôle, buvant de grandes lampées lors du passage des piétons. Certains, offusqués par son comportement, exprimaient leur indignation.
Mais Pietro ne se contentait pas de tromper son monde. En vérité, il s’immisçait complètement dans la peau de son personnage. Schizophrène, il ne jouait pas seulement un rôle, il vivait véritablement cette réalité parallèle. Pour lui, ce n’était pas simplement un déguisement, c’était une transformation totale. Chaque gorgée de jus de raisin devenait une part de son rituel macabre, chaque regard dédaigneux une validation de son déguisement parfait. Pietro était un caméléon du crime, se fondant dans les ombres de la nuit, préparant soigneusement sa prochaine œuvre d’art meurtrière.
Aux passants offusqués, il répondait intérieurement :
— On verra tout à l’heure si je n’ai pas toute ma lucidité, je vais me régaler.
Pietro était donc de sortie, car il avait faim cette nuit de pleine lune. Une faim indescriptible, une boule au ventre qu’il retenait à grand-peine lors du passage des anonymes, trop craintif de compromettre le plan machiavélique qu’il avait patiemment ourdi. Le regard fixé sur la féerie se déroulant non loin de lui, sur le promontoire chauve, il savait qu’il ferait bientôt ce pour quoi il s’était habillé de circonstance. Clochard théâtral, il paraissait invisible.
La main dans son sac à dos, il triturait la cagoule. Il avait envie de la mettre, mais il souriait à la difficulté qu’il aurait à justifier son accoutrement à la curiosité d’un gendarme intrigué par cette vision. Cette perspective lui arracha un sourire, dessinant sur sa bouche une fente effilée. Schizophrène, Pietro n’était pas seulement en train de jouer un rôle ; il vivait dans une réalité parallèle où chaque détail comptait. Il se délectait de l’idée que son déguisement, loin de n’être qu’une simple ruse, était une partie intégrante de son être. Il était à la fois Pietro, le prédateur affamé, et l’innocent clochard invisible, perdant peu à peu la distinction entre ses deux identités.
D’un tremblement général, Pietro ressentit un stress similaire à celui qu’il avait éprouvé la dernière fois où il avait fait un carton, là-haut sur le même Rocher aux Singes, comme il aimait à dire. C’était il y a cinq ans, et cette soirée-là demeurait gravée dans les annales municipales, une mémoire angoissante qui avait vidé les lieux pendant quelque temps. En attendant le moment propice pour agir, face à la procession désordonnée des candidats involontaires à sa machination de cette nuit, il se remémora :
À l’époque, une pulsion indicible s’était emparée de lui cette fameuse nuit, crispant sa poitrine à chaque battement de cœur. La veille de son crime, calculateur, il avait arpenté tous les recoins de son futur terrain de chasse. Retournant du pied les vestiges carbonisés d’un feu et avisant les hautes herbes qui pourraient le dissimuler à ses proies, il s’était dit que le lendemain soir, c’est là qu’il devait se poster. C’est ainsi qu’il avait soigneusement planifié son attaque. Il était paré.
Le jour J, à 23 heures, car Pietro était cyclique, il partit en chasse, déterminé. Durant le trajet qui le menait à sa destinée, il s’étonnait de voir ces rues désertées et ce calme qui lui donnait une envie précoce de tuer le premier rare passant qu’il croiserait. Il se fit violence jusqu’à ce même banc où il est actuellement assis. Plus tard, sentant le moment propice, dans la noirceur de la nuit, il s’était lancé tel un chasseur dans un safari meurtrier. Après avoir commis ses meurtres, rentrant chez lui exténué mais presque comblé à tous niveaux, il recensa dans sa tête malade les trois personnes qui avaient perdu la vie sous ses assauts meurtriers. Cela s’était passé, à son grand étonnement, presque naturellement, pour une première fois, enfin presque, puisque notre tueur psychopathe, sélectif dans ses souvenirs, n’en était pas à son coup d’essai, et cela, nous le découvrirons plus tard.
Certes, à l’époque, Pietro regrettait la relativité de son score, l’attribuant à son manque d’habitude et d’assiduité. Mais il se justifiait intérieurement avec un raisonnement insensé auquel il s’accommodait : il ne tuait pas assez pour perfectionner son art. Il devait y remédier. La vie, sournoise, lui faisait croiser des gens qui, aléatoirement, en fonction de ses « crises meurtrières », devenaient ou non ses proies. Au gré des rencontres fortuites et des traques, il comblait ses lacunes et enrichissait sa réserve. Son score progressait, renforçant sa confiance face à ces corps encore chauds qu’il dépouillait méthodiquement de leurs biens. Pietro traînait derrière lui non pas des casseroles, mais des cercueils, ceux des innocents qu’il avait croisés et dont le destin avait scellé la rencontre avec ses pulsions meurtrières.
Ce qui se passa il y a cinq ans n’était que la triste continuité de sa dynamique meurtrière, entamée bien des années auparavant, alors qu’il n’était qu’un enfant. Cette spirale sanglante se poursuivait, fatale pour ses victimes, tragique pour lui. Kamikaze de sa propre folie, mais de cela, il n’en avait cure.
En effet, Pietro ne savait pas encore tout cela, et à vrai dire, il n’y pensait pas. Il voyait de plus en plus la vie à travers le prisme de la chasse, du plaisir de traquer ses proies. Y trouvait-il une raison ? Oui et non. Il avait de la haine à revendre, certes, mais sans savoir exactement pourquoi. Cette dénégation qui lui serrait la mémoire tel un boa était devenue si forte que, faute de savoir pourquoi, il savait comment tuer. Au fil des années, il était devenu addict à cette activité, se transformant en un chasseur de tout poil, surtout des proies habillées bien entendu.
Pietro s’était constitué un petit réseau d’amis, un groupe aux strates hétéroclites, qui pour lui, n’était rien de plus qu’un troupeau de victimes, une chasse gardée. Habile animal à sang froid, il avait rapidement appris à s’adapter à chacune de ses victimes potentielles. Pour eux, Pietro était certes bizarre, mais il avait le droit de vivre, et sa compagnie, sa capacité à diriger le groupe et à être omniprésent étaient appréciées. Ils ne percevaient pas sa réelle dangerosité, car il n’avait jamais rien tenté contre eux. Mais cela allait bien changer pour l’un d’entre eux, une proie dont il ne connaissait pas encore le nom mais qui, candide, se donnerait à lui. C’était juste une question de temps, et il en ferait les frais au prix de sa vie.
Oui, il en était là, le Pietro. Mais, comme il se le disait parfois, en regardant ses amis autour d’un verre, le sourire carnassier aux lèvres, il sentait en eux leurs points forts et surtout leurs points faibles. Matchant avec sa soif de mal, il établissait déjà des stratégies macabres pour chacun d’eux. La stratégie manœuvrière où il devenait encore plus proche, ami de sa proie, afin de la percer à jour, de la rendre plus accessible. Tel le loup, il la mangerait.
Mais je digresse. Revenons à nos moutons, ceux qui, bariolés, s’amusent justement en ce moment même dans des rires et des chants, épars et fragiles, au sommet du promontoire. Pietro les rejoindra plus tard, invité surprise de cette soirée inoubliable ; pour les rescapés, bien sûr.
En réalité, ce soir, Pietro était désormais loin de ses débuts enfantins, avec sa bouille d’ange et son physique banal. À l’époque, tel un amanite phalloïde, il avait déjà, certes maladroitement, tenté d’ôter la vie plus d’une fois, par accident, disait-on. Il y parvint bien sûr, ou était-ce la nature ? Les défunts ne parlent pas, malheureusement. Nulle inquiétude à cette lecture, il s’agit simplement du destin tragique d’un enfant psychopathe au choix de vie mortel pour ses victimes. La vie est pleine de surprises, de bonnes et de très mauvaises, non ?
Enfant, dans la vie comme à l’école, Pietro testait, sur lui-même et sur les autres, des manières de faire mal, physiquement, émotionnellement, mais aussi comment passer inaperçu, tel le serpenteau qu’il était. L’absence de ses parents et le contexte de l’époque rendaient ce type de comportement plus acceptable, surtout pour un enfant réservé et quelque peu distinct comme lui. Cela lui allait être facilitant, bien plus que prévu. Il avait compris l’importance de bien se fondre dans la masse, d’être accepté de tous, comme lui disaient ses parents. L’acceptation sociale était primordiale, plus par stratégie que par éducation, il fallait le dire, car il n’était aussi qu’un monstre en gestation, une chenille à la peau glabre et à la coiffure impeccable, aux lunettes rondes et au visage trop honnête pour être vrai.
Mais plus tard, la chenille allait se métamorphoser et, n’en déplaise aux âmes tendres, elle n’allait pas donner un beau résultat. Certes, un beau papillon, mystérieux et envoûtant, mais au vice caché et aux griffes rétractables acérées. Dans mon récit, la métaphore du papillon révèle une réalité plus sinistre : la transformation personnelle, loin d’être un processus lumineux et gratifiant, est souvent obscure, rapide, et peut conduire non pas à l’épanouissement d’un papillon, mais à l’émergence lugubre d’un monstre intérieur, dévorant tout sur son passage. Telle était l’image de Pietro.
Pour exemple, cela se concrétisa, soubresaut de sa transformation, dès son jeune âge, dans l’école primaire où il était scolarisé en classe de CE2, un matin de décembre aussi sinistre qu’ennuyeux, une pulsion plus obscure que les autres le guida. Une envie insidieuse dont il ne comprenait pas entièrement la nature le poussait à plonger dans l’abîme de l’inconnu, à franchir inconsciemment le Rubicon. Cela faisait quelque temps qu’il ressentait des envies étranges, comme il se le disait intérieurement.
Il avait vis-à-vis des garçons de sa classe, notamment un, une attirance bien plus précise que ce qu’il ne pouvait admettre. Encore que, il s’y faisait plutôt bien et, c’est en cachette, en utilisant des stratagèmes qu’il le matait, ce gamin de son âge, comme un amoureux, se le défendait-il mollement. Mais cela, il n’y connaissait rien à l’amour, et était-ce vraiment les affres de l’amour qui lui chatouillaient le cœur, lui, le geek avant l’heure qui n’intéressait quasi personne et qui, outre de s’y habituer, en tirait son parti. Passionné de technique et de culture, il dévorait la science, et il faut dire qu’elle lui rendait bien. Remarqué par le cercle fermé des « premiers de la classe » qu’il abhorrait en réalité ; eux, les nantis aux parents friqués, enfermés dans leur communautarisme stérile, renfermés sur eux-mêmes et n’intéressant personne, il était devenu, bien involontairement, un des leurs. S’il avait accepté cette inclusion forcée, c’est bien parce que, calculateur, il en avait bien sur compris les avantages. Il faisait depuis partie des chouchous de l’établissement scolaire, aux prérogatives indéniables et, de cela, il allait en profiter.
Dès lors, tel un élément solide du mobilier de la classe, il était devenu ce camarade sans aspérité, à la disponibilité fort plaisante entre autres, à l’égard du maître d’école, dont au final, tout le monde profitait et que l’on jetait, tel un mouchoir unique, et cela, il s’en accommodait, le Pietro, car outre des avantages variés et évidents indéniables, il lui était dès lors plus habile de se rapprocher de celui qui votait tous ses suffrages.
Devenu le référent bienveillant, capable et bénéfique, il avait en outre pour tâche d’accompagner ses camarades pendant les pauses toilettes et autres moments de coupure. Il se réjouissait de ces embellies, les utilisant pour se promener dans les couloirs de l’école, qu’il soit accompagné ou non. Il savourait également le temps passé à lire des bandes dessinées, confortablement installé dans les coussins douillets de la cabane en carton-pâte à proximité des toilettes. Il était conscient de la chance que représentait sa position privilégiée.
Ce fameux matin du drame, l’occasion était unique, car Pietro accompagnait Julien, son ami et passion secrète, en direction des toilettes. Il le savait, cette opportunité ne se présenterait pas à nouveau, il devait saisir sa chance et, qui sait, peut-être réussir. Avec fébrilité, il observait la sortie imminente de son camarade du cabinet où il s’épanchait. Caché tel un chat dans la grande maisonnette en carton-pâte, dépourvue de toit, fruit d’une initiative pédagogique impliquant tous les élèves de l’établissement, Pietro patientait. À l’intérieur de cette construction imposante, située dans le couloir à proximité des toilettes, le mobilier miniaturisé mais fonctionnel d’une salle à manger et d’une cuisine semblait inviter, depuis les ombres, les élèves à des activités ludiques sans gravité. C’est là justement où, lecteur assidu, Pietro se plaisait à passer son temps, volé ou non, dans les deux grandes banquettes moelleuses incitant au repos.
Terré dans cette maisonnette apparemment innocente, désertée par ses occupants de classe à cet instant précis, Pietro attendait, ténébreux, que son camarade réapparaisse. C’est au son de la chasse d’eau manipulée par son camarade que Pietro se manifesta auprès de sa candide victime, l’invitant à jouer avec lui dans l’immense cabane en carton-pâte, un lieu où l’innocence se mêlait alors insidieusement à l’ombre profonde.
— Psst, viens jouer avec moi au catch, lança-t-il, le dos meurtri par la boule qui lui coupait la respiration, à son camarade qui, ne le voyant plus, se dirigeait seul vers sa classe. Il dut s’y reprendre à plusieurs reprises face à ce gamin trop studieux, qui refusait de devenir sa proie. Pietro se mentait à lui-même, croyant que sa stratégie fonctionnerait facilement. En réalité, il se rendait compte que c’était loin d’être simple, et le stress le submergeait. Était-il à blâmer, ce pauvre gamin, attiré maladroitement par cette voix nouée par le stress de sa propre mort ? Pietro se ressaisit, voyant Julien s’éloigner, et, au prix d’une profonde inspiration, il retenta :
— Psst, t’es une gonzesse ou quoi ? Viens te battre, persiflait encore cette fois-ci la voix de Pietro à travers le carton ondulé.
La stratégie paya lorsque, motivé par de tels stratagèmes, Julien pénétra, gladiateur novice, dans l’antre de son tueur et se jeta ludiquement sur son camarade dans une volonté de le combattre. C’est alors que, pendant l’empoignade amicale qui les opposait au sol dans une lutte conventionnée, il se retrouva la tête prise sous l’aisselle de Pietro qui, puissamment, lui serrait sciemment le cou. L’inquiétude prenant rapidement le pas sur le jeu, Julien essayait de se dégager de l’emprise mortelle de son ami, frappant faiblement son agresseur avec l’énergie déclinante due à la strangulation qu’il subissait.
Pietro était bel et bien en train de l’étrangler tel un boa constricteur et, visiblement, comme le laissait transparaître son sourire démoniaque, il y prenait un plaisir fou. Il serrait tout en prétendant que c’était un simple jeu, tandis que sa proie, à genoux maintenant, ne bronchait plus. Emporté par un plaisir malsain, il ne réfléchissait plus, devenant l’instrument de sa pulsion.
Pietro n’avait jamais tué, pas encore donné la mort. Dès le début, il était animé par une pulsion méconnue jusqu’à présent. Son intention première n’était pas de tuer, mais plutôt de blesser, pour ressentir les effets du mal qu’il infligeait. Naguère, à domicile, en l’absence de témoins de ses atrocités, nombre d’insectes et plus rarement de rongeurs, ponctués à l’extérieur de chats errants, lui avaient douloureusement servi de cobayes.
Pour exemple : Plus jeune encore, il testait des expériences quelques fois dangereuses, telle cette fois-ci où, ayant enflammé une boîte d’œufs en polystyrène, il y avait incorporé, pauvres occupants de ce véhicule improvisé en flamme, d’innocentes fourmis qu’il regardait s’enfuir dans une quête désespérée de survie mais qui, cernées par les flammes dévorantes, périssaient dans d’atroces souffrances, brûlées et carbonisées par les flammes. Leurs corps se tordaient de douleur, et cela amusait Pietro. Il aimait ainsi, au gré de trouvailles, reproduire cette expérience avec d’autres victimes de plus en plus grosses, mais, un jour, il abusa du combustible, en l’état, l’allume-briquet de son père, et il mit le feu à la table de la salle à manger sur laquelle il officiait ses tours macabres. Une fois le feu éteint en grande hâte à l’aide d’une casserole remplie d’eau, il découvrit le plateau brûlé de la table. Le vernis avait craqué heureusement superficiellement, et c’est d’un bon nettoyage qu’il parvint à le restaurer. Satisfait de ce rattrapage et heureux de sa capacité de réparer ses erreurs, il se promit néanmoins de ne plus recommencer.
Cependant, guidé par cette pulsion qui ne le quittait plus, c’est avec elle qu’il avait attiré Julien dans la maisonnette en carton-pâte. Au fil de l’acte où il lui faisait du mal, une envie de tuer surgissait, prenant de plus en plus de place en lui. Il serrait de plus en plus fort, ressentant simultanément une satisfaction grandissante, se laissant peu à peu emporter dans cette spirale sombre. La bienséance nous interdira de relater a quel point ce plaisir naissant procurait en lui des transformations bien singulières. C’est pure anatomie que cela !
Il aurait réussi à ses fins, Pietro, si Monsieur Legrand, directeur de l’établissement et maître de Pietro et de Julien, n’avait pas été trop énervé par le caractère prolongé de la pause imposée à sa classe par l’absence de ses deux élèves. Déplacé pour les hâter, il s’était alors figé à bonne distance de la maisonnette, témoin invisible du piège tendu par Pietro à son camarade infortuné mais, pris de court par la promptitude de Pietro à enserrer son malheureux compagnon, précipitant la finalité de l’action, il intervint, écrasant la structure fragile, tel un géant menaçant, piétinant le pauvre mobilier en carton pâte et écarta les deux combattants. Ils s’adonnaient, pensait-il, au catch et, il leur en avait pourtant interdit l’exercice par rapport à la dangerosité de ce sport hasardeux et manifestement, la scène qui se déroulait devant lui prouvait bien que Pietro et Julien ne l’avaient pas écouté. Constatant l’état critique de Julien, il l’allongea en position latérale de sécurité non sans avoir secoué Pietro, l’invectivant.
Pietro était déçu, plus d’avoir été surpris que par l’engueulade qu’il subissait. Il aurait dû analyser la situation plus attentivement et être plus observateur des risques induits à son entreprise par l’arrivée inopinée d’un gêneur. Il était troublé d’avoir été surpris par le directeur et d’avoir été surveillé à son insu, cela lui laissait un sentiment d’embarras, de haine envers lui, de sa faillibilité. Ces pensées tournaient dans sa tête, secoué tel un prunier par monsieur Legrand, qui avait pété les plombs face à l’horreur de l’acte et de ce corps de Julien qui ne bougeait plus, animé d’une respiration chancelante.
Pietro se promit alors que plus jamais il ne serait pris au dépourvu. Plus jamais il ne laisserait une situation lui échapper. Il ressentait alors une détermination nouvelle, alimentée par cette frustration. Oui, il avait été surpris, mais il ne laisserait pas cette expérience le définir. Au contraire, il utiliserait cette situation comme un tremplin pour devenir encore meilleur dans son art.
Monsieur Legrand cria à l’aide si fort que, assourdissant Pietro, il dépêcha sur place les deux agents d’entretien qui accoururent. Ensemble, ils réanimèrent Julien. Par chance, Pietro, novice dans l’art de tuer, n’avait que partiellement accompli son but, car Julien n’était que comateux, le cou serré si fort que sa propre circulation sanguine avait été coupée. Émergeant des limbes, Julien ne comprenait rien de cette affaire, si ce n’est qu’il avait été la victime d’un jeu qui avait mal tourné. C’est du moins ce qu’argumenta Pietro dans des sanglots calculés, lui le crocodile aux dents qui, dans son subconscient, s’allongeaient.
Il termina sa matinée en classe et, durant la cantine, retrouva son « cobaye » sorti fraîchement de l’infirmerie. Avec des excuses théâtralement données, il rejoua avec lui en tentant d’oublier son acte manqué.
Après la classe, lors d’un conciliabule improvisé, Monsieur Legrand, gêné par cet événement et peu motivé à l’idée de gérer les conséquences sur l’établissement, interrogea Pietro et Julien sur leur ressenti par rapport à l’incident. Il fut décidé qu’aucune sanction ne serait prononcée contre eux. Seul Julien, élève médiocre et accessoirement la tête de Turc de service – choisi d’ailleurs pour ces raisons par Pietro (que Monsieur Legrand ignorait) – reçut une réprimande pour avoir pratiqué le catch, ce sport violent, qu’il devait promettre de ne plus réitérer. Les deux élèves, soulagés de ne pas avoir à affronter la colère de leurs parents respectifs, se disaient qu’ils s’en sortaient plutôt bien. Plus tard, la cloche sonna la fin de la journée.