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« Le “S” a tracé le chemin sur lequel j’ai navigué sans relâche. Salomon a été le socle sur lequel j’ai bâti ma vie. Le logo de Salomon est gravé de manière indélébile sur ma cheville. Un tatouage est bien plus qu’une simple marque sur la peau ; c’est une identité, un symbole de ce qui nous définit et qui restera à jamais avec nous. Avec cette entreprise, j’ai érigé mon temple intérieur tout en contribuant, humblement, à l’essor de la marque. Des années 80 au début du XXIe siècle, le ski s’est propagé sur tous les continents, de l’URSS à l’Australie, du Liban à la Chine, d’Andorre à Buenos Aires. Mon histoire s’est entremêlée avec celle de Salomon. Voici le récit captivant de l’expansion d’une entreprise française à travers le monde, ponctué d’événements étonnants, d’anecdotes savoureuses, et surtout, de rencontres inoubliables. »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Gaston Briswalter quitte le monde de l’enseignement pour vivre sa passion pour le sport de diverses manières : dans la distribution, l’enseignement du ski et l’obtention d’une licence de pilote professionnel avion. En 1980, il rejoint Salomon où il suit une formation commerciale avant d’intégrer le Comité de Direction de la marque. Aujourd’hui, il partage son expérience en tant que consultant dans l’industrie du sport. Parallèlement, il s’épanouit en tant que grand-père en France et en Argentine, tout en explorant ses passions pour la peinture, la sculpture, la musique, le ski et le golf.
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Michel Gaston Briswalter
Polar autobiographique
du Marketing de la Neige
Un Loup, une Meute, Salomon, le Monde…
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Gaston Briswalter
ISBN : 979-10-422-2700-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ne lisez pas cet ouvrage en cherchant une chronologie globale, chaque chapitre « pays » est à aborder comme un récit particulier.
Les noms des personnes citées sont authentiques, la plupart de ces acteurs ont compté de façon positive dans mon aventure, ils peuvent témoigner. Je ne nomme pas les personnes que je n’ai que modérément appréciées.
Un soir de décembre, je reçois un message un peu elliptique sur mon téléphone, il me semble que c’est Michel, avec qui je n’ai eu que peu de contacts ces derniers temps. Après quelques échanges, il m’offre un merveilleux cadeau en me demandant de lire son livre et de lui dire ce que j’en pense.
J’ai travaillé 19 ans chez Salomon, bien moins que Michel, mais souvent de façon assez proche de lui et nous nous sommes, je crois, toujours bien entendus alors que nous sommes bien différents l’un de l’autre dans nos métiers, dans nos savoir-faire et dans nos personnalités. Michel m’étonnait, me fascinait, me choquait parfois, mais il me donnait toujours l’impression d’écouter, de respecter l’autre et de savoir « à l’atome près », de façon sûrement très instinctive, comment avoir avec cet autre la meilleure relation possible – s’il le voulait ! Car il ne le voulait pas avec tout le monde.
Toujours, je sentais son grand cœur même sous les bravades ou les extravagances, et toujours je ressentais cette admiration pour ce grand personnage et la chaleur de cette amitié jamais vraiment exprimée.
En ouvrant le manuscrit, je pensais bien retrouver des amis communs, des anecdotes que j’ai pu l’entendre raconter avec son air de ne pas y toucher, des épisodes de la vie de cette entreprise si particulière que nous avons vécus ensemble. Oui, je les ai retrouvés, aussi vivants et aussi vrais que si c’avait été hier, et j’en appris tellement d’autres que je ne connaissais pas, j’ai presque physiquement fait la connaissance de personnes dont j’avais seulement entendu parler, ou même pas du tout, comme s’ils étaient devant moi. Et pareil pour tant et tant d’aventures que Michel a vécues, inconnues ou devenues légendaires chez Salomon.
Mais bien plus encore, j’ai découvert tant d’aspects de Michel lui-même, de sa vie extraordinaire, de son intimité aussi, écrits et racontés de façon si simple, transparente et honnête.
J’ai dit « ce grand personnage » et ce n’est pas un vain mot. J’ai été très ému de lire ce qu’il dit avec une grande pudeur de ses débuts dans la vie et surtout de son amour pour son grand-père et sa reconnaissance pour tout ce qu’il a reçu de lui. Ma vie a été toute différente mais moi aussi j’ai eu un grand-père qui a énormément compté pour moi – sauf que c’était lui qui était pilote et qui a vécu des aventures extraordinaires.
Alors finalement, Michel, peut-être que je t’ai inconsciemment assimilé à mon grand-père ! Mais ne m’en veux pas de cette taquinerie, nous ne sommes pas d’âges si différents.
Merci encore pour ce beau cadeau que tu m’as fait et que tu fais, je l’espère, à beaucoup de lecteurs.
Thomas Levilion
Former Group CFO at L’Occitane and Salomon
Member of Audit and Sustainability board commitees
Tatoué. Vraiment. Je me suis fait inscrire de manière définitive sur la cheville le logo de Salomon. Un tatouage est une identité. On encre sous la peau ce qui nous représente, ce qui nous fonde, ce qui de nous ne disparaîtra jamais plus.
Lorsqu’un soir, à l’âge de 12 ans, déjà trop habitué à la violence des scènes familiales, j’ai découvert ma mère ivre morte en train de se pendre, le cordon que j’ai alors coupé m’a irrémédiablement séparé de ceux que je ne sais appeler autrement que mes géniteurs.
C’est une lente reconstruction, et Salomon, à l’instar du roi biblique éponyme, m’a permis de revenir à l’équilibre et à la paix. J’ai avec cette entreprise construit mon temple intérieur, et en parallèle, j’ai contribué, modestement, à l’édification de ce que représente aujourd’hui la marque. Des années 80 au début du XXIe siècle, le ski s’est développé sur tous les continents ; et de l’URSS à l’Australie, du Liban à la Chine, d’Andorre à Buenos Aires, mon histoire s’est entrelacée à l’histoire de Salomon. Voici donc le récit de l’expansion d’une société française dans le monde entier, émaillé de faits étonnants, d’anecdotes truculentes, et surtout de rencontres merveilleuses.
En 1984, Salomon distribue ses produits par l’intermédiaire de filiales, dans bon nombre de pays : États-Unis, France, Suisse, Italie, Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, Japon. Se profile un changement, avec la création de la zone qui agrège la Norvège, la Finlande, la Suède à la Grande-Bretagne. C’est Roger Pirot, auteur de l’ouvrage La Saga Salomon qui aurait été à l’origine de la création de ces filiales internationales. Qu’il soit ici remercié, quand bien même, en désaccord avec Georges Salomon, il a quitté l’entreprise pour prendre la direction du concurrent Dynamic, et s’est ensuite pour le moins montré critique.
À cette époque subsiste pourtant un « Service Importateurs », petit département chargé de commercialiser nos produits dans les pays qui n’ont pas de filiale. Ce sont des niches, comme les pays de l’Est, par exemple. Ce Service Export a été créé par une personnalité remarquable, Jean-René Belliard, à une époque où Salomon bénéficiait de marges confortables issues de l’activité fixation (le marché du ski était à la fin des années 70, avec l’avènement des loisirs, en progression exponentielle). Le personnage parle une dizaine de langues, dont l’arabe, et profitera de ce service pour affiner son multilinguisme autant en Union soviétique qu’en Grèce. Il créera ensuite Salomon Japon dont il sera le Saikö keiei sekininsha (CEO) incontesté. Les lecteurs de ces lignes trouveront plaisir à lire son ouvrage (Beyrouth, L’enfer des espions) et les pages qu’il a écrites dans Secours Extrême avec René Romet, le légendaire pilote d’hélicoptère, sauveteur de l’impossible, surnommé « La tendresse » par ses collaborateurs.
Starmania lançait : Le Blues du Businessman en 1978, je commence à le fredonner en 85 et j’vais passer plus de la moitié de ma vie en l’air. Peinture, sculpture, accordéon, guitare, je sais que je vais devoir tout mettre en pause. Mais j’aurai l’air heureux et le serai.
Dès mon arrivée au service Export, je commençai rapidement à prendre mes marques. L’équipe était réduite. Loulou, un commercial libanais allait quitter le service, la responsable des ressources humaines m’avait prévenu : je prendrais ce poste pour 5 ans. Davantage serait impossible étant donné les fortes contraintes liées à l’accumulation des voyages.
Je signai. L’aventure a duré 26 années.
J’ai quitté Belfort, soulagé d’avoir vendu mon appartement pour me rapprocher du bureau et aussi d’éloigner mon fils de Belfort et de ses fréquentations malsaines. J’habite une maison à Menthon Saint-Bernard, au bord du lac d’Annecy dans lequel je plonge régulièrement. Lorsque je ne suis pas en déplacement, il m’arrive même de faire le trajet jusqu’au bureau en footing. Je suis en forme.
L’acheteur de mon appartement de Belfort n’aura pas de chance. Un horrible incendie criminel déclenché par un certain Xavier Curtet – condamné ensuite à perpétuité – a détruit l’immeuble voisin. Les dégâts dans son appartement qu’il n’avait pas encore assurés ont été conséquents, mais pas autant que le traumatisme de cette nuit horrible où des voisins ont dû se jeter du quatrième étage pour échapper aux flammes. Je laissais derrière moi le chaos.
L’image du feu est pourtant structurante, tant les personnes, les histoires et les récits qui m’ont forgé n’ont pu, eux, échapper au feu. L’un de mes aïeux s’appelait François. Hussard dans l’armée de Napoléon, Son livret militaire mentionne : 1 m 61 cm. Et même si une case est prévue pour les millimètres sur le diplôme de démobilisation, ceux-ci ne sont pas mentionnés. Yeux : gris. Signe particulier : Ne sais pas nager. François suit Napoléon Bonaparte jusqu’au brasier de Russie et fait partie des 30 000 Français qui en reviennent en 1813. Son livret dit qu’il a changé quatre fois de remonte, qu’il a été un bon soldat, qu’il est démobilisé par anticipation après quatre ans pour raisons familiales, et ce livret se termine par la mention, en dernière page : Ne sait toujours pas nager.
François aura un fils, Jacques, né le 4 décembre 1838 qui lui aussi mesurait 1 m 61 et a embrassé la carrière militaire, de 1859 à 1865. Le feu qui l’a brûlé était d’une autre nature : Signe particulier : vérolé. Le Fils de Jacques sera Georges – Jules – Célestin, mon Grand-Père, mon modèle.
Georges-Jules-Célestin est devenu ma référence. Pompier de Paris, de 1910 à 1918, il avait connu Mistinguett, Joséphine Baker, accumulé des collections de livres (encyclopédies, œuvres complètes de Victor Hugo ou de Balzac par exemple). Ces livres fondateurs qui présentaient des défauts d’aspect (il les avait achetés dans les imprimeries parisiennes où il effectuait des gardes) avaient essuyé les vicissitudes de la guerre. À la suite d’un accident dans son travail, mon grand-père avait passé un examen qui l’avait sacré receveur des douanes.
Sa grande fierté était mon oncle, parti dès 1941 aux États-Unis, devenu pilote de bombardier. Le jeune espoir a péri dans en 1944 dans l’explosion de son avion, lors d’un entraînement.
Jules-Célestin (j’ai fini par l’appeler ainsi) m’a ouvert les livres, appris la vie, emmené cueillir les champignons, appris à fendre 8 stères de bois chaque été, entraîné à faire les mots croisés le soir au coin du feu en écoutant RTL. C’était l’époque de l’émission « Sur le Banc », Raymond Souplex et Jeanne Sourza, la famille Duraton et autres chansonniers. Et bien sûr, avec une componction d’un respect absolu, nous étions à l’écoute des interventions remarquables du Général de Gaulle.
Jules-Célestin a participé à la création de la Mutuelle des orphelins de la douane ODOD. Après la Première Guerre mondiale, une loi interdisait aux conjointes de douaniers, même décédés, d’avoir un emploi. Il a fait passer la frontière franco-suisse dans le Jura à quelque six cents juifs qui fuyaient l’occupant pendant la Seconde Guerre mondiale. Un jour, rentrant de Paris (il était allé visiter Chalès, colonie de vacances de l’ODOD), il me rapporta une voiture à pédales métallique rouge. La voiture était fabriquée par Mavic, cela était peut-être prémonitoire…
Il m’acheta un accordéon, je participai aux championnats de France d’accordéon classique. Il me parlait de mon oncle, je devins pilote.
Quant à Marie, ma grand-mère, cara de picaro dirait-on en espagnol tant elle avait les yeux rieurs et malicieux, elle nous régalait de bons plats dont je n’ai jamais oublié les recettes. Maire de son petit village, Jules Célestin y sonnait 8 h chaque matin en actionnant la trompe de sa Motobécane 175 cc 4 temps, il était maire, secrétaire (sa belle écriture servait à tous les administrés qui ne savaient pas écrire un courrier), et l’est resté pendant 40 années. Il avait sa moto, et n’a jamais eu de voiture ; j’avais mon vélo. L’épicier et le boucher passaient une fois par semaine, le boulanger deux fois, le potager était immense et le manche de la bêche ou celui de la hache me durcissaient plus les mains que le guidon du vélo.
Les images restent belles, associées aux mauvais tours dont le garnement que j’étais était souvent l’auteur. La pie, que j’avais apprivoisée et qui me suivait toujours, est morte, je le confesse, sous l’éclat d’une bûche de bois que je fendais. Les poules que Marie croyait malades car elles titubaient, je leur avais ajouté des fonds de bouteilles de vin dans les restes de pain ; la pinède d’un hectare en feu que les pompiers du village eurent du mal à éteindre… j’avais utilisé une bouteille d’essence de la réserve moto pour mettre le feu à une fourmilière ; les cigares offerts par les clients de la douane (des forestiers) que je faisais tester aux gamins du village les renvoyaient chez eux avec la nausée ; le setter irlandais, lorsqu’il m’avait tracté sur mes patins à roulettes, avait la récompense de pouvoir faire une sortie libre dans le village (il revenait joyeux, et le soir apparaissaient quelques paysans leurs poules mortes à la main, Jules Célestin s’excusait, payait les poulets et les laissait à leurs éleveurs qui, tous contents, s’en allaient les rôtir avec en prime quelques pièces). Pendant ce temps, ne pipant mot, je vaquais à une de mes occupations préférées : je disséquais grenouilles et serpents, pour aller observer de près la constitution de leur cœur. Je pensais devenir vétérinaire.
Le dimanche, Jules Célestin revêtait son costume (à l’époque, le tailleur venait à domicile avec ses échantillons, son mètre couturier, etc. Marie choisissait le tissu, la coupe. Grand-Père commandait son costume, j’avais droit au mien et vaquais en culottes courtes).
Je n’ai jamais oublié le conseil de Jules Célestin : Se vêtir correctement est une façon de respecter autrui.
C’est un point essentiel dans ma vie privée comme dans mon métier, et l’on mesure, après l’évocation de ce contexte initial, teinté années soixante près d’une zone frontalière rurale, combien ensuite – Gérald Bronner explique bien le processus dans Les origines – l’importance capitale du soin apporté à la tenue vestimentaire perdurera.
Le dimanche, nous partions à l’église, assister à la messe, renouveler les fleurs sur la tombe de mon oncle, puis j’accompagnais, non sans fierté, monsieur le maire, ceint de son écharpe, à la mairie où il avait toujours à faire. Il fallait ensuite aller prendre l’apéritif au bistrot du village. Un dilemme survenait pourtant irrémédiablement : il y avait deux bistrots. C’était donc chacun son tour, il importait de se souvenir au mieux d’une semaine l’autre du dernier « apéro », afin de ménager les susceptibilités.
Au retour, Marie, qui ne nous accompagnait pas, avait toujours préparé « le repas du dimanche », elle excellait en cuisine. J’étais gourmand, c’est ce qui a causé pour longtemps mon aversion à la couleur blanche et sans doute a dirigé mon attention vers une réflexion artistique sur les couleurs primaires et les gris. Ceci mérite une explication. J’étais allé de bonne heure courir les bois en compagnie de mon aïeul, et la récolte de champignons était comme d’habitude excellente du fait de sa quantité et de sa variété. Ses collègues douaniers qui, à l’époque, avaient encore parmi leurs missions celle d’arpenter les chemins forestiers frontaliers du Jura l’avaient consacré mycologue. Marie nous avait le soir même concocté une cassolette gourmande. Lorsque je commençai à me plaindre de douleurs ventrales, l’isolement campagnard et la culture du « système D » firent à mon entourage prendre moult précautions. Suspectant l’éventualité qu’un bolet vénéneux ait pu rester parmi les cèpes et autres girolles ou pleurotes, on m’obligea à ingurgiter en guise d’antipoison une quantité effroyable de lait. Du lait non écrémé, non pasteurisé, tout frais venu de la ferme voisine. Je fus réellement malade, alors que mes douleurs n’étaient sans aucun doute que le résultat d’un excès de gourmandise. La vue même de la couleur blanche pendant des années me souleva immanquablement le cœur. Il me fallut longtemps avant de manger du fromage, je ne consomme toujours pas de lait.
Jules Célestin a pris sa retraite à 70 ans, après avoir été renversé par un camion grutier alors qu’il chevauchait sa moto. Il a fait un infarctus l’année suivante et Marie l’a suivi. La vie m’avait par bonheur donné l’occasion de les remercier pour l’éducation qu’ils m’avaient offerte en jouant pour eux qui fêtaient leurs noces d’or dans l’église du village, l’Ave Maria de Gounod et La Marche turque de Mozart, à l’accordéon.
C’est l’image du feu qui a réveillé ces souvenirs. C’est l’énergie qui m’a été transmise par les anciens. Dès 12 ans, je parcourais des distances de 80 km de vélo, porté par l’allégresse d’aller passer quelques jours chez Jules Célestin et Marie, les retours étaient toujours plus difficiles. Après leur départ, le ski – planches en bois, carres vissées et Skigliss appliqué au pinceau, chaussures Trappeur en cuir entretenues à la graisse de phoque – nécessitait les deux heures de bus, pour rejoindre les pistes du Ballon d’Alsace. Je me tournai vers d’autres modèles. Ce sont Émile Allais, Honoré Bonnet, Adrien Duvillard ou Charles Bozon qui me faisaient rêver. Léo Lacroix prit le relais. Plus tard, je fréquenterai le refuge de L’Alpe d’Huez avec le G.U.C pour des entraînements sous les ordres de Georges Joubert.
Je retrouverai quelques années plus tard Léo Lacroix, Georges Joubert mais aussi Sylvain Saudan. Ces « forgerons » m’ont façonné, modelé, structuré, et sans doute le bronze de Vulcain – Héphaïstos au travail, qui m’accompagne depuis longtemps, incarne-t-il tous ces modèles qui m’ont suivi au-delà du chaos.
J’en rencontrai d’autres encore qui émailleront les lignes de ce récit.
À l’âge de 14 ans, j’ai compris que ma vie était ma responsabilité. J’allais l’organiser.
Je me suis présenté au concours d’entrée à l’École Normale. Il y avait quatorze places. Je fus quatorzième, avec le seul prix spécial jamais attribué à l’époque, pour mon texte libre en langue allemande.
Cela me permit d’obtenir un financement pour mes études. L’internat fut pour moi le premier pas dans l’autonomie. Le Lycée de Garçons à Belfort, un établissement de deux mille élèves, fut pour moi une école de la vie.
Pendant ces quatre années, mon caractère facétieux eut en effet tout le loisir de s’exprimer pleinement. Faire le mur, en soudoyant Stef le veilleur de nuit, être au gymnase plutôt qu’en salle d’étude, m’occuper de l’antenne locale de l’UNESCO, enfermer des « pions » dans des salles, accrocher Hector – le squelette de sciences naturelles – au paratonnerre, sur le toit du lycée, la nuit précédant la cérémonie du 11 novembre. Le préfet, interloqué, ordonna une enquête de police.
À 14 ans, j’ai vite appris, dans tous les domaines. J’ai réussi à participer à un échange d’élèves franco-allemand. Sans autre moyen pour aller de Belfort à Helmstedt (près de Hanovre, Zonen Grenze entre est et ouest) j’ai profité d’un convoi ferroviaire de troupes françaises stationnées en Allemagne, c’était gratuit. Le voyage durait 23 heures et j’ai été le souffre-douleur des bidasses du convoi qui me montraient un échantillon ignoré jusqu’alors de la bêtise humaine. Cette épreuve initiatique me conduisit toutefois à la plus douce des récompenses, qui ne fut pas moins initiatique. Ma correspondante s’appelait Angelika. Son père avait une entreprise de taxi, sa mère tenait un bar : ces parents-là étaient suffisamment affairés pour que leur Angelika parvînt en quelques semaines à cueillir ce qui ne demandait alors qu’à éclore.
Mon retour à Helmstedt l’année suivante fut – de manière différente – l’occasion de grandir, avec mes premiers petits emplois. Je fus guide interprète pour les Français qui venaient visiter la brasserie Kulminator et dont le nom seul exacerbait ma fierté adolescente. Afin de parfaire ma pratique de la langue allemande, j’ai plus tard saisi l’occasion (École Normale) de suivre un semestre d’enseignement à la Pedagogische Hochschule de Saarbrücken. Entretemps, j’ai perfectionné ma pratique linguistique tout en continuant mon apprentissage du monde du travail. L’été de mes seize ans, et pour quatre années, je fus employé chez Burrus, fabrique de cigarettes, située en Suisse, à Boncourt. J’y gagnais pendant mes vacances scolaires le pécule qui me permettaitde bien vivre mon internat. J’occupai plusieurs emplois au cours des 4 étés : d’abord opérateur, pour ramasser des poignées de cigarettes sortant des machines et les entasser dans des casiers qui partaient à l’empaquetage, ensuite agent de maintenance, en compagnie de deux plombiers, puis au séchage du tabac (il s’agissait d’entrer dans des étuves à 80° pendant 20 minutes toutes les heures, afin d’acheminer les chariots), et enfin au département informatique où j’enregistrais les adresses clients sur des cartes perforées qui alimentaient ensuite un ordinateur énorme.
J’obtins la promotion ultime le jour où le jardinier qui s’occupait des châteaux de la famille Burrus vint quérir un employé qui savait jardiner. Je levai le doigt et fus sélectionné, accompagné au château, où le chef jardinier (un Suisse allemand), sans préliminaire, me confia un sécateur et me demanda de tailler les rosiers de l’allée principale. Lorsqu’il vint contrôler le travail deux heures plus tard, mon application zélée avait abouti à un véritable saccage du jardin d’ornement. Je n’en menais pas large, et compte tenu de la réputation des « Schwitze Dütsch », je m’attendais à retourner piteusement à l’usine. Il n’en fut rien. Stephan me donna un cours, et je suis depuis aguerri à la taille des rosiers. Le séjour ne fut pas désagréable, l’une de mes tâches était de « faire tourner » chaque jour dans les allées des châteaux les Mercedes, Porsche et Aston Martin de la famille, qui était alors en villégiature au bout du monde.
Chaque semaine, lorsqu’un groupe germanisant s’inscrivait pour visiter la manufacture de cigarettes Burrus, je quittais mon tablier de jardinier, revêtais mon costume de guide, et ajoutais ainsi quelque pourboire à ma paie tout en pratiquant mon allemand.
Un autre job d’été m’apprit ce qu’est le potentiel physique, je fus embauché comme manœuvre chez un lointain cousin qui avait une entreprise de plâtre. Je déchargeais des camions de plâtre en compagnie d’Ahmed. J’ai souvenir particulièrement d’une journée où nous devions délester le camion de sa cargaison et l’entreposer au sec au premier étage de l’immeuble en construction. Celui qui se trouvait sur le camion posait un sac sur l’épaule de l’autre qui le portait dans l’immeuble, nous inversions les rôles chaque demi-heure. En une journée, nous avions monté à nous deux six cents sacs, vingt-quatre tonnes de plâtre. Mon infortuné compagnon, qui ne savait lire le français, dut subir mon sempiternel caractère potache, et je souris encore, il est vrai, du mauvais tour que je lui avais joué – et qu’il m’a vite pardonné – en lui faisant croire, à l’heure du déjeuner, qu’il pouvait déguster l’une de ces boîtes de conserve sur lesquelles apparaissait un chien, le pâté ne contenait donc pas de porc.
Les études me permirent toutefois de grandir. J’étais animé par l’attrait de la liberté et de l’indépendance. Aussi tête brûlé qu’électron libre, je passai le mois de mai 68 sur les barricades en omettant le baccalauréat, je gagnai en autonomie avec la 2CV millésime 1952 que j’avais achetée pour 700 francs et, titulaire du Brevet Élémentaire des Sports Aériens, une bourse me permit de passer le brevet de pilote privé, j’aspirais à la conquête de vastes espaces.
Je ne potassais pas, mais recevais régulièrement les « félicitations ». Je m’imposai avec une ascèse sans faille la révision du bac en 3 semaines, en demandant qu’un surveillant m’enferme dans une salle de 9 h à 12 h et de 14 h à 17 h. Nous étions cinq élèves de terminale à être restés à l’internat pendant que les autres révisaient à domicile.
Le résultat fut au-delà de mes attentes, grâce à un oral un peu téméraire face à un professeur de Normale Sup. Le tirage au sort me notifiait : « Hitler et l’Allemagne Nazie ». Je parlai avec précision de la crise économique de 1929, de l’avènement d’Hitler au Reichstag en 1933 et de la montée du Nazisme. La suite de l’exposé développa le parallélisme entre Hitler et Napoléon : accession au pouvoir, esprit de conquête et bellicisme, personnalités égocentrées et autoritaires, et campagnes de Russie fatales. L’examinateur lança « Ou je vous mets 0, ou je vous mets 20/20 ». Je lui répondis avec assurance : Puisque vous hésitez, vous ne pouvez que noter 20… J’obtins 20 à l’épreuve, une mention au baccalauréat, et l’enseignant ajouta :
« Il y a quatre bourses disponibles à Normale Sup… je vous en offre une. »
J’étais Normalien, je pouvais entrer à Normale Sup, mais mon rêve d’espaces aériens prenait le dessus. À l’âge de 10 ans, j’avais eu la fantastique opportunité, de vivre mon baptême de voltige à bord d’un Stampe SV4 piloté par Jean Passadori (instructeur à Saint Yan). La notion de sécurité étant alors plus souple que de nos jours, un gamin de dix ans pouvait alors être harnaché solidement sur un réhausseur de fortune sanglé au siège : ce réhausseur était une roue.
Mon bac littéraire ne me mettait pas en position de tenter un concours d’entrée de l’École Nationale de l’Aviation civile, je me dirigeai vers l’Armée, fus admis à l’École des officiers de l’Armée de l’air de Salon-de-Provence et me désistai en juillet de Normale Sup afin que la bourse qui m’était destinée profite à quelqu’un d’autre. C’était sans compter avec la visite médicale militaire de septembre. Le bilan ophtalmologique mit fin à cette opportunité. Je me retrouvai Gros-Jean comme devant. Il ne me restait plus que la voie initialement tracée. Je serais enseignant.
Je revins au lycée de garçons de Belfort, comme professeur. Après avoir achevé mon cursus à l’École Normale, je devais à l’État dix années d’enseignement.
Dans les casiers de la salle des profs s’accumulaient davantage de tracts syndicaux que de documents pédagogiques. J’essayai d’innover. Obtenir les autorisations administratives pour aller courir à l’extérieur plutôt que sur la piste du petit stade intérieur, conduire 4 jeunes le jeudi au ski en hiver dans le cadre USEP étaient des courses d’obstacles, aller voir chez eux les parents d’élèves qui ne venaient pas aux réunions organisées sortait du cadre. J’avais besoin d’espace, je voulais être libre dans un système très normé. Je suis allé donner des cours aux détenus de la maison carcérale pour prendre un peu d’air. Passerais-je ma vie comme certains collègues qui disaient s’ennuyer au travail ? Supporterais-je d’ennuyer mes élèves ? L’air. J’avais besoin d’air pour attiser la flamme qu’il ne fallait pas laisser éteindre.
C’est en travaillant à la maison d’arrêt que la pilosité faciale m’a été nécessaire pour me donner un peu d’assurance : la moustache ne me quitta plus. La cité scolaire, de grande taille, abritait 2000 élèves, avec toutes les contraintes humaines et matérielles que cela impliquait. Il fallut évidemment, un jour, déclarer un accident. Un élève avait glissé entre deux blocs mousse assemblés avec les moyens du bord lors d’une séance de saut en hauteur : poignet cassé. Je fus invité à requalifier le constat par l’administration en mentionnant la pratique « d’exercice dangereux ». Nous étions au mois de mai, j’étais engagé pour dix ans, il m’en restait six à effectuer. Passerais-je ma vie dans une institution qui est capable faire porter à ses ressources humaines la responsabilité de ses propres manques ?
Je ne corrigeai pas mon document.
Je rédigeai ma démission.
La stabilité que j’avais commencé à installer a volé en éclats de tous côtés. J’avais épousé une très jolie femme, professeur d’EPS, championne d’athlétisme, qui m’avait entraîné dans le milieu du Volley-ball qu’elle pratiquait à haut niveau. Nous passions les vacances d’enseignants entre ski et volley tournois divers, camps volley avec des amis à la plage naturiste de Montalivet, club de Caramontino (Porto Vecchio) créé par Michel Constantin où nous travaillions en animation sportive avant de nous offrir un retour de Porto Vecchio à Calvi en Zodiac au long des criques où nous vivions, nus, de la pêche sous-marine. Je suivis des stages à l’ENSA (École Nationale de Ski et d’Alpiniste) ou j’eus la chance de rencontrer des personnages remarquables (J.P. Devouassoux et le père de Jean-Luc Diard qui faisaient des concours de traction verticale à la force des seuls doigts). J’ai alors enseigné le ski à Courchevel et Morzine, notamment ; j’ai accompagné des groupes sur le Tour du Massif du Mont Blanc et encadré des stages de randonnée pour des adhérents à l’Union Sportive de la Fédération de l’Éducation nationale (USFEN) basée à Peisey Nancroix, aux portes du Parc de la Vanoise. Février 1976 fut l’occasion de mon dernier dossard en compétition (Slalom Géant) pour un podium en bronze au Championnat de France des enseignants de l’USFEN à L’Alpe du Grand Serre.
Lorsque mon épouse abordait la question de la parentalité, je fuyais. J’étais persuadé d’avoir un capital génétique qu’il ne valait mieux pas transmettre. J’avais mal vécu mon adolescence et avais épousé davantage une famille qu’une compagne.
Nous divorçâmes sans bruit. Je voulais me jeter avec fracas dans une vie nouvelle. Et c’est là que commence ma carrière de commercial. C’est en m’associant à un ami que j’ai rejoint Sport 2000, enseigne qui surfait sur un marché du sport en pleine expansion. Ski – nous vendions 2000 paires de skis alpins et autant de skis de fond par hiver – plongée, tennis, sports collectifs, en 1976 les marges de distribution étaient conséquentes. Les affaires étaient florissantes, ce qui nous permit d’ouvrir un second point de vente, dans la galerie commerciale d’un supermarché à la périphérie de Belfort.
La vente. J’avais trouvé ma voie. Le comburant qui alimenterait désormais ma flamme. « Que vais-je vendre aujourd’hui » était le leitmotiv inaugural de mes journées. Enfin, je pouvais donner libre cours à ma fantaisie créatrice.
Tantôt, pour motiver les vendeurs/euses, je jouais à « si le prochain client vient pour une raquette de tennis, je lui vendrai une Jauffret » et le faisais. Tantôt, j’inventais un système de gestion des stocks. À défaut d’ordinateur, je faisais des CONFITURES… C1 (canoé) – O2 (oxygène) – N3-F4 (appartement) – I5-T6 (avion) – U7-R8 (voiture) – E9 et S0. Je savais que le produit étiqueté 06/CFTSS 310Fr, vendu 310 francs, avait été acheté en 1976 au prix de 146,00 francs.
J’avais compris que la gestion des stocks était capitale et pris l’espace d’innovation disponible.
L’étiquetage des produits me permettait d’avoir un contrôle permanent de la marge et de faciliter l’inventaire annuel.
Les équipementiers faisaient la vente (sell-in) de leurs produits par l’intermédiaire de V.R.P (vendeur représentant placier), souvent d’anciens sportifs de haut niveau. J’avais affaire à Claude Quittet (Adidas) qui débarquait avec 100 kg d’échantillons (il n’y avait à l’époque qu’une collection par an) ; nous commencions par trier les produits et une fois la sélection effectuée, le stylo noircissait les bons de commande (une commande initiale chaussures Adidas, c’était en moyenne 20 000 paires). La Stan Smith ne se vendait alors qu’aux pratiquants tennis et nous étions en permanence en rupture de stock.
Le commercial Fusalp (contraction Fuseau des Alpes), toujours en blazer et nœud papillon, voyageait quant à lui en Break Mercedes avec son chauffeur, un noir ébène, qui se chargeait du transfert de la collection Fusalp et pulls Montant et de son installation sur ses portants qui encombraient notre point de vente.
En 1978, les fuseaux qu’utilisaient J.C. Killy, Léo Lacroix et autres passaient de mode, les stocks chez Fusalp annonçaient des années difficiles qui mènerait au dépôt de bilan 3 années plus tard. Nous achetâmes le double des quantités que nous vendions habituellement, soit 1000 pièces d’anoraks supplémentaires à condition que ces quantités nous soient livrées en été et facturées avec la même date échéance que les produits qui nous seraient livrés en septembre (90 jours fin de mois). Une action comité d’entreprises (Hôpital, Alsthom, etc.) nous permettra de vendre la totalité en été et générer ainsi une belle trésorerie additionnelle.
Mon passé d’enseignant me permettait de proposer les produits adaptés aux besoins des professeurs d’Éducation Physique et Sportive. Des marques telles que GES-Thomasson ou Dimasport qui traitaient habituellement en direct avec les gymnases m’avaient confié la distribution de leurs produits. J’avais sur créer une relation de confiance avec tous les clubs de sport. Mon seul problème était le Club de tennis. Impossible de vendre un produit à ce client, son président était le propriétaire de mon concurrent local : La Hutte (enseigne qui deviendra définitivement Intersport en 1999). J’avais beau faire des devis à prix coûtant en réponse aux appels d’offres de balles, survêtements, etc., mon concurrent restait et souhaitait fermement rester le fournisseur exclusif. Bien moins important que moi (j’ai toujours voulu le voir comme tel) pour les marques leaders, il vendait donc à perte. Je décidai un jour de lui porter l’estocade fatale. Il faut dire que j’ai toujours été casse-cou, et sans filtre. J’avais bien essayé de canaliser mon côté bagarreur en pratiquant un peu de boxe sans trop de succès. Le photographe qui a trop insisté pour me vendre un cliché lors d’une braderie d’un samedi belfortain l’a constaté à ses dépens. Je traversais fièrement le pont central, ma fiancée au bras. Je lui ai demandé de ne pas insister, il a insisté. Je l’ai un peu bousculé, mal lui en prit de m’asséner un coup sur le crâne. Je le fis passer au-dessus du parapet et ni une ni deux, il s’est retrouvé dans le cours de la Savoureuse, trois ou quatre mètres plus bas. Vous comprenez, monsieur le commissaire, il m’a mis un coup sur la tête, il faut bien se défendre.
Je me sentais de taille à passer La Hutte par-dessus bord également. Ce concurrent, aussi fourbe que déloyal et pendable, préparait les rayons pour la saison de tennis : nouveaux produits, inauguration en fanfare un lundi après-midi de mars. Sans tambour ni trompette, j’ai tagué sa vitrine la nuit précédente : - 50 % sur tout le magasin !
J’étais devenu un combattant, avec une discipline physique et sportive qui confinait à l’entraînement militaire et soulignait mes velléités de conquête commerciale. Levé 6 h. Magasins de 8 h à 12 h puis de 14 h à 22 h, vélo, tennis, et planche à voile l’été, ski, dès les premiers flocons.
La distribution était habituée aux remises de caisse que les clients sollicitaient sans vergogne. J’ai même souvenir de la demande de l’épouse d’un homme politique, ministre, qui n’avait pas craint de solliciter une remise spéciale. À ces clients négociateurs, je proposais plutôt un « Certificat de bon acheteur » avec les services associés. Les raquettes de tennis étaient cordées sous 24 h, ils avaient accès à une bourse aux skis : ils déposaient leur matériel en août, nous classions les produits par valeur de revente et je définissais alors des packs de skis neufs à des prix attractifs qui incitaient à acheter neuf plutôt qu’occasion. Tous les skis étaient préparés, fartés. J’achetais les produits service ski et les cédais à prix coûtant à mon skiman qui empochait donc le produit de la vente de services (préparation, réparations, affûtage et fartage), autant dire que le travail était excellent.
Pour ceux qui désiraient acheter des skis performants, je proposais des sorties en ma compagnie le dimanche. Un skieur qui suit la trace de son moniteur skie bien et trouve que les skis sont excellents, la vente devient alors facile. L’achat de skis était la règle, la location n’en était qu’à ses débuts. Je proposais cependant de la location saison pour les enfants des skis-clubs et sur des produits performance uniquement. Rossignol, Dynastar, Dynamic étaient leaders sur le marché français, cela ne m’empêchait pas de proposer Duret en entrée de gamme, Lacroix au sommet. Look avec son pivot était leader en fixations alpines et s’attribuait 70 % du marché français, mais ce n’était pas le cas dans nos magasins. J’avais été sponsorisé par Salomon et je renvoyais la balle. Sur les 2000 paires de skis alpins vendues chaque hiver, 70 % étaient équipées de Salomon. L’avantage était important, le montage Salomon était rapide grâce aux systèmes gabarits, ce n’était pas le cas des autres marques.
En 1978 le marché français du skateboard était au top, nous offrions un choix de planches, de roues, de trucks, etc., très large et pour être impliqués, allions-nous essayer en long board dans la descente de La Planche des Belles Filles, fameux endroit mis en valeur aujourd’hui par le Tour de France et Pinot. J’eus droit à un article dans le journal local. Une descente du Ballon d’Alsace m’apprit qu’un guidon de vélo pouvait se briser à pleine vitesse et provoquer une visite finalement bien contrôlée dans les talus ; j’inventai aussi un monoski maison en montant deux supports trapézoïdaux sur un ski Fischer RC4 sur lequel j’avais fixé deux présentoirs de fixations S444. Certains doivent se souvenir de l’original qui godillait dans la pente de la Saulire (Courchevel), perché sur ce prototype qui ne fonctionnait que sur piste damée.
Tout feu tout flamme, je me rendais compte que plus les magasins prenaient de l’importance, plus je faisais d’heures afin d’assurer les salaires des collaborateurs.
Pour Un Homme de Caron, eau de toilette adoptée à 20 ans à laquelle je suis toujours d’une fidélité indéfectible me fit rencontrer la personne qui le vendait. L’occasion fut belle de réaliser un autre projet ; adopter un enfant au lieu d’en faire un. J’étais toujours persuadé tenir des gènes négatifs. Celle qui devint ma seconde épouse était divorcée, avait deux fils de 6 et 8 ans et était couverte de dettes.
Je réglai les dettes, adoptai les enfants et achetai ma première chienne Boxer. Pagaille. C’était son nom. Elle m’accompagnait sur le siège passager de ma R5 alpine, ceinture de sécurité attachée, plus j’accélérais plus elle se tenait droite. Elle m’accompagnait aussi sur ma planche à voile. L’éducation des enfants s’avérait difficile car j’étais novice sur le sujet. Et ils étaient des enfants, puis des ados. L’un était penseur, l’autre rebelle. Nous vivions dans un appartement au rez-de-chaussée avec pour voisins de palier ceux qui deviendront des amis pour la vie. J’étais surtout absorbé par mon travail et découvrais aussi (par mon épouse) le business de la parfumerie (très sélectif). J’avais alors créé un nom pour le second point de vente : Plus que Parfum.
Mon fils penseur est maintenant officier de la Légion d’honneur et Inspecteur d’Académie. Il a hérité des collections de livres que mon grand-père m’avait léguées, et son fils, Arthur est « mon roi Arthur ». Le fils rebelle a quant à lui disparu de ma vie, tout comme sa mère.
Karim, mon neveu, a largement pris la place d’un fils. À une époque, il a même voulu m’appeler Papa.
Salomon me connaissait du fait des quantités de fixations que je vendais. Je faisais parfois des allers-retours à Annecy afin de récupérer des réassorts urgents. Je me rendais à « La Prairie Prolongée » (site Salomon de l’époque) pour prendre livraison de modèles 222, 444, 555.
Un jour, un homme en blouse grise, mégot aux lèvres et béret sur la tête me remit le chargement en disant « Ah oui, Sport 2000 Belfort, bon client, bon payeur, savez-vous qui je suis » ? C’était Pépé Salomon (François-Joseph Salomon, le créateur de l’entreprise).
Selon les dires, il avait toujours des liasses de billets dans la poche de sa blouse car certains clients payaient cash, sans facture et avec quelques fixations gratuites en bonus. L’icône de ce grand-père réveillait en moi les échos du douanier Jules-Célestin qui facilitait les démarches aux bons clients.
Je rencontrai un autre personnage qui allait compter. René Allard (alors distributeur en France de K2, Hanson) me proposa de m’équiper en chaussures Hanson (seule marque avec Scott à l’époque proposant des modèles à « entrée arrière » plutôt qu’ouverture portefeuille). La condition : accepter une paire bizarre, un pied vert, l’autre orange. C’est ainsi que je me régalais des regards étonnés sur les pistes lorsque je m’amusais en « virage royal », appui sur pied intérieur.
Salomon me sollicita avec une offre d’embauche en tant que commercial pour la France. Une nouvelle fois, la décision était risquée, les ventes nettes de Salomon S.A. étaient de 400 millions de francs : à hauteur de l’endettement. La société investissait alors dans le développement des chaussures de ski.
Je quittai la distribution pour rejoindre un équipementier, une marque. Le défi était de taille à attiser ma flamme.
Mon nom changea un peu, nombreux étaient ceux qui pensaient que Bris ou Walter pouvaient être des prénoms. On m’appelait plus facilement Bris. Plus tard, les contacts internationaux préférèrent « Moustache » (je devins pour beaucoup « Salomon Moustache »).
Votre visite commence en France, les voyages internationaux suivront (je ne vous emmènerai pas dans les 119 pays que j’ai visités, j’ai sélectionné les destinations.)
Même s’il me fallut quelque temps pour prendre la mesure de mes nouvelles fonctions, je pris rapidement mes marques dans une équipe passionnée, composée de belles personnalités.
Bernard Carteron (nous le surnommons Nounours), Bernard Lafont, le rugbyman disciple de Bacchus élevé à la graisse de canard, Jean-Pierre, le bougon, Sébastien, le discret, Michel Puig, l’énervé, Manu, le parisien, Olivier, le local, Paul qui oublie qu’il a noté des commandes sur ses paquets de cigarettes avant de les jeter forment l’équipe commerciale, d’autres viendront plus tard compléter l’équipe construite par René Allard. Danièle Debernard prend soin des athlètes. Christiane Sgaramella encadre un groupe d’assistantes commerciales pittoresque et efficace. Serge et Papi assurent le service technique. Philippe Darmancier analyse les notes de frais parfois fantasques. Thomas Levilion poursuit sa route de marin dans les régates budgétaires.
J’enchaîne les réunions, les tournées, et malgré les 40 000 kilomètres effectués au volant de ma voiture de fonction, le leitmotiv persiste : Que vais-je vendre aujourd’hui ? J’ai la chance de pouvoir régulièrement chausser les skis sur tous les domaines skiables de France.
Dès mon arrivée, on compta sur moi pour aider les équipes Salomon à ISPO Munich : je parle allemand. Je mets le pied dans la porte d’accès à l’international.
Pour l’heure, dans les années 80, le marché du ski est en pleine croissance. La vente aux particuliers est encore florissante mais beaucoup de montagnards, agriculteurs et moniteurs vont pousser quelques vaches pour faire place à des parcs de location de skis. En ville, « la nouvelle Distribution » (Disport, GoSport, Decathlon…) se développe, une guerre intense s’annonce pour l’obtention de parts de marché avec les prix pour arme d’expansion massive. 20 % des clients Salomon – des magasins spécialisés, c’est la règle – réalisent 80 % de nos ventes en France. Il est évident que nous devons sécuriser ce marché : la distribution devient une préoccupation majeure. Avec le lancement de nos chaussures alpines, tous les « nouveaux distributeurs » désirent ce produit révolutionnaire : chaussage par entrée arrière, pointure corrélée au volume du pied. Le modèle Performance, vendu alors 40 % plus cher que celui du leader concurrent Nordica, devient un produit désiré. Dans l’essor de la société de consommation, le client exige un produit qui le valorise.
Pascal Aymar, qui deviendra mon « frère d’aventures », met alors au point le Contrat de Distribution Sélective. Je m’empresse d’y adjoindre son complément, le Passeport professionnel, en m’inspirant du modèle exclusif élitiste de la parfumerie.
La grande distribution est à l’affût, il nous faut non seulement conserver, mais aussi renforcer notre image premium. Nous avons longtemps ri du stratagème de Michel Edouard Leclerc, qui – il est alors bien moins médiatisé qu’aujourd’hui – se fait passer pour un journaliste lors d’une présentation de notre contrat de distribution à Méribel. Maître Renart, par l’odeur alléché, s’imagine vendant les chaussures Salomon dans ses épiceries. Ce flatteur-là ne vivrait résolument pas à nos dépens ! Notre passeport devient le premier diplôme professionnel des vendeurs skimen dans le monde entier. Il est remis uniquement aux professionnels du sport assidus aux formations que nous organisons chaque année. Les récipiendaires du passeport peuvent par ailleurs valoriser dans ce passeport Salomon les savoirs complémentaires acquis auprès d’autres marques. Évidemment, l’implication d’équipes plurielles de vendeurs, et de techniciens ski dans les formations, tout comme le paraphage de notre contrat sélectif est conditions sine qua non à la livraison des commandes.
La guerre totale entre Salomon et Décathlon de 1981 prouva clairement la solidité de nos conditions de vente. Le procès dura trois ans : Salomon fut condamné pour refus de vente et pour entente avec le fabricant Rossignol. C’est alors que quelques ajustements furent établis pour normaliser les relations entre la marque et le distributeur : il mit en place des ateliers de montage et réglage de skis, fit certifier des vendeurs Salomon. Une base pour développer ensuite un partenariat Salomon-Decathlon « gagnant/gagnant » solide.
On s’engagea dans la campagne « Certification Point de Vente Salomon » la fleur au fusil.
Arrivés un peu tard un soir aux Deux Alpes avec Bernard (Lafont) pour organiser la salle de l’hôtel dans lequel se déroulerait l’expert programme du lendemain, nous demandons s’il est possible de dîner. La serveuse nous installe à une table puis disparaît. Près de 20 minutes passent, elle réapparaît, nous avons commencé à manger les capucines du bouquet se trouvant devant nous. Elle remplace le bouquet par un nouveau et nous avertit : Si vous recommencez, j’appelle le patron ! À 2 h du matin, le patron de l’hôtel était toujours attablé avec nous après avoir partagé un repas bien arrosé et nous dégustions alors ensemble les pétales restants.
Dans le sud-ouest, un petit détaillant qui vendait quelques paires de skis nous demanda de passer à son magasin après une formation. Il nous fit entrer dans son atelier pour nous soumettre un problème de montage de fixations. Les chaussures étaient détruites. Le technicien ne trouvait pas la solution et il avait dû meuler la partie arrière des chaussures pour les faire entrer dans la partie arrière des fixations. Notre regard expert ne fut pas inutile, et nous avons longtemps ri de l’erreur de ce brave Dagobert, qui était sens dessus dessous. Il avait pris la talonnière de la fixation pour la butée avant (il s’agissait d’un modèle à talonnière diagonale de la marque Tyrolia).
Les attentats de l’année 1982 laissaient une impression étrange. Une époque résolument troublée, alors qu’à l’issue des 3 glorieuses, on aurait voulu se croire en sécurité. Mais les marchés étaient porteurs, nous avions le vent en poupe. Un jour où nous quittions le Novotel parisien, camp de base lors de journées d’achat Intersport à Longjumeau, un commercial Look vit (un peu tard) exploser sa mallette qui contenait tous ses bons de commande, il l’avait oubliée devant la réception. Mal lui en a pris, les forces spéciales de la police la firent sauter à l’aide d’une bombe à eau qui réduisit en confettis le travail de notre respectable concurrent, vendeur de pivots (la sauvegarde était la copie carbone se trouvant avec l’original tous deux disparus).
L’équipe Salomon France était un groupe d’individualités hétéroclites solidaire et performant. Nous n’hésitions pas à renforcer notre cohésion avec un esprit fêtard un peu potache. Il nous est arrivé de célébrer les anniversaires des trois poissons du groupe en plein Bois de Boulogne (mobilier de camping et livraison d’un traiteur). Évidemment, il y eut intervention de la police pour contrôler ce que fomentait l’escadron de cinq voitures bleu marine et orange avec d’énormes logos S dans ce haut lieu d’un commerce qui n’était pas le nôtre ; les policiers partagèrent nos agapes avec joie.
Les autres commerciaux sport d’hiver n’étaient pas en reste pour se joindre à nos plaisanteries qui égayaient les salons professionnels.
Parmi les victimes, il y eut un client important du nord-est.