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L’originalité de cet ouvrage réside dans la prise en compte de la ségrégation spatiale qui limite considérablement les échanges interreligieux selon les quartiers, la composition de la population fréquentant les lieux de dialogue ou les espaces de culte varie. Ainsi, la question de l’identité revêt une importance centrale dans notre étude car elle façonne et déstructure l’individu. Cette structuration est principalement le fruit de la socialisation primaire, souvent accompagnée d’une éducation religieuse. Par conséquent, tout au long de leur vie, les individus sont imprégnés d’une éducation et d’une culture liées à leur religion respective. Ce livre met en lumière les défis auxquels le dialogue interreligieux de proximité est confronté et propose des pistes de réflexion sur la manière dont la société française peut progresser vers la construction d’une identité commune.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hasbat Saïd Bacar, sociologue d’origine comorienne, se spécialise principalement dans la sociologie des faits religieux. Ses recherches englobent la sociologie de l’immigration et la sociologie urbaine. De plus, elle s’intéresse aux dynamiques religieuses au sein de l’Islam. Actuellement affiliée au laboratoire du Cresppa-Gtm, elle se consacre à son travail de doctorat portant sur les relations entre les différentes branches de l’Islam. Cette étude comparative s’articule entre un pays musulman du Sud, les Comores, et un pays développé laïque, la France.
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Hasbat Said Bacar
Pour une construction identitaire
à travers le dialogue
interreligieux et laïque
dans un État démocratique français
au XXIe siècle
Essai
© Lys Bleu Éditions – Hasbat Said Bacar
ISBN : 979-10-422-2200-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Source : blog de Denis Chautard,
Prêtre de la Mission de France
et retraité de l’Éducation nationale
Cette image symbolise quelques religions qui existent dans le monde. Je l’ai trouvé dans le blog de Denis Chautard, prêtre de la Mission de France et retraité de l’Éducation nationale.
Dans son journal, le prêtre partage des informations relatives à des concepts liés à la cohésion sociale tels que le « vivre-ensemble », particulièrement utilisé par la majorité de mes enquêtés.
Il est clair d’après certains messages sur son blog qu’il soutient le dialogue interreligieux.
À la recherche d’une photo ou même d’un symbole qui pourrait illustrer mon travail, j’ai été interpellée par cette image représentant le monde et quelques religions qui y gravitent… Bien qu’ignorant certains de ces symboles religieux, j’ai reconnu, la Croix du Christ, l’Étoile de David, le Croissant de Lune symbolisant la religion musulmane, le Bouddhisme et comment peut-on passer outre le « Ying » et le « Yang » qui caractérisent la philosophie chinoise.
Enfin, ce tableau représente pour moi la paix et l’harmonie… Et il est certain qu’une cohabitation culturelle peut se manifester aussitôt qu’elle tend vers l’altérité.
Depuis ces dernières années, la montée de l’extrémisme religieux et son corollaire d’attentats terroristes obligent les nations du monde à replacer la question religieuse au centre des débats et des politiques de gouvernance. En effet, les violences perpétrées au nom de la religion ou plus exactement au nom de l’Islam sont devenues monnaie courante donnant subrepticement l’image d’une religion violente. Ce procès à tort est d’ailleurs savamment orchestré : des individus, parfois névrosés et n’ayant aucune connaissance de l’Islam, se présentent comme « musulmans », revendiquent le retour à la pratique d’un Islam puritain et n’hésitent pas à exécuter ceux qu’ils désirent ramener à la religion. Drôle de prosélytisme ! Tout cela est assisté et relayé par des médias et une littérature à coup de publicité gratuite dont les arguments, au lieu de rassurer, contribuent au contraire à creuser davantage le fossé de la division entre les peuples.
C’est de cette image à-propos que Hasbat Saïd Bacar invite à revisiter, sinon à proscrire en soulignant qu’un monde sans violence religieuse est possible. Cet optimisme n’est pas un idéal mais bien une réalité que l’auteure souhaite démontrer par des enquêtes poussées auprès de nombreux groupes à l’instar de l’association CIEUX qu’elle a eu l’occasion de côtoyer durant des années. Cette association a l’avantage de regrouper des adeptes de diverses religions dont les activités se déroulent dans un cadre d’échange, de concertation et d’acceptation.
Avec le regard de la sociologue, elle est parvenue à mettre en relief l’importance de ce dialogue interreligieux qui caractérise même cette association et qui en constitue au fond sa raison d’être. Car dialoguer, c’est communiquer, c’est échanger. C’est aussi apprendre à se connaître. Et plus nous apprenons à nous connaître, mieux nous arrivons à bannir les préjugés, à accepter l’autre dans la différence et à s’enrichir des valeurs promues par les autres. Ce dialogue interreligieux permet donc une ouverture d’esprit en lieu et place d’un esprit sclérosé, prêt à traduire en violences ce qui, au contraire, pouvait s’apprendre à travers des échanges courtois.
De plus, le cadre géographique choisi pour l’étude n’est pas fortuit. La France concentre aujourd’hui de nombreuses générations d’immigrés qui participent, en dépit des positions réductrices et lapidaires de certaines formations nationalistes, au développement et à la consolidation de la nation française. La France, c’est aussi le pays des valeurs de démocratie, de respect des droits de l’homme et de liberté d’expression. Et en faisant le pari de choisir ce pays, Hasbat Saïd Bacar fait preuve d’ingéniosité et de réalisme.
C’est pourquoi, l’auteure reconnaît dès lors qu’on ne saurait questionner ce dialogue interreligieux sans tenir compte « de l’histoire de l’immigration, de la composition urbaine (à savoir le bâti, le découpage des villes, l’occupation des bâtis, l’agglomération des populations dans un site), des espaces où le dialogue a été mis en place (…) afin de pouvoir contextualiser (…) les pratiques associées dans le dialogue interreligieux et laïque de proximité ».
L’ouvrage se divise ainsi en trois parties encadrées par une introduction et une conclusion. Dans la première partie, l’auteure interroge ce dialogue interreligieux en examinant non seulement les caractéristiques principales de l’association CIEUX mais aussi les grandes étapes de la démarche méthodologique sur le terrain d’enquête. Malgré des difficultés inhérentes à toute étude, l’auteure est arrivée à créer des liens de confiance avec ses enquêtés afin d’obtenir les informations recherchées. La seconde partie du travail, elle remonte le cours de l’histoire en montrant par exemple que ce dialogue est profondément ancré dans la société française et comment il est parvenu à mettre progressivement fin à la ségrégation raciale. La dernière partie quant à elle évoque la probable contribution des « entrepreneurs religieux » à la construction d’une identité française.
À travers cette étude, Hasbat Saïd Bacar est arrivée à souligner en fin de compte que la diversité religieuse à laquelle émane ce dialogue, est en réalité une source de richesse et une opportunité pour garantir un vivre-ensemble permanent et paisible dans la société française. Ce qui signifie sans conteste qu’il est possible d’œuvrer et de consolider une nation où les peuples se regardent avec beaucoup plus de confiance, s’acceptent mutuellement en dépit de leurs différences avérées. Car ce qui compte le plus, ce sont les valeurs de la République, indispensables à la construction de l’identité française.
Abidjan, le 16 novembre 2023
Drissa Koné,
Historien, maître de Conférences
Université Félix Houphouët-Boigny
« Il ne suffit pas pour vivre ensemble d’appartenir au même peuple, d’être citoyens d’un même pays, de vivre dans la même ville, dans le même village ou sur la même île.
Il ne suffit pas pour vivre ensemble en bonne entente d’être voisins, d’avoir quelques connaissances communes, de témoigner de sensibilités proches autour d’une action ou d’un centre d’intérêt commun, ni de se saluer lors de brèves rencontres au détour d’une avenue, chez l’épicier ou de boire un café sur la place du village.
Encore faut-il accepter d’aller au-delà de la rencontre ou d’une reconnaissance visuelle vers les possibles d’un échange, vers une communication susceptible de déboucher sur des partages et de créer ainsi des liens ».
Jacques Salomé – La ferveur de vivre (2012)
Le dialogue interreligieux est aujourd’hui considéré dans les cadres associatifs comme une alternative pour apaiser les tensions religieuses.
Même si le monde a toujours été ponctué de conflits religieux, les projets de loi ne sont pas toujours satisfaisants lorsqu’il s’agit de les résoudre. À titre d’exemple, en France, l’Édit de Nantes1 promulgué en avril 1598 par le roi de France Henri IV marquant la fin des conflits religieux du XVIe au XVIIIe siècle entre catholiques et protestants. Il visait tout particulièrement à accorder une liberté de conscience aux protestants. Cependant, cette liberté de conscience ne donna qu’un siècle de répit. Ne correspondant pas aux attentes des catholiques, il a été révoqué par Louis XIV en 1685, par l’Édit de Fontainebleau2 qui interdit toute pratique religieuse autre que le Catholicisme.
L’histoire de la France s’est articulée principalement autour de valeurs chrétiennes alors qu’il existait en ces temps-là d’autres confessions religieuses.
La société étant en pleine mutation, dans l’Hexagone comme ailleurs dans le monde, des tensions, voire des conflits émergent à nouveau en fonction des conjonctures politiques et des histoires locales.
À l’échelle nationale, la France reste également marquée par les conflits religieux et si les tensions ont été réduites et ne se transforment pas en bain de sang, l’extrémisme de part et d’autre est constamment réinventé.
La France a une conception universelle de la religion envers les autres. Selon Silvia Mancini (2017), cette conception universelle omet non seulement de prendre en compte les diversités, mais aussi donne la tentation de construire une égalité hypothétique entre les cultures en prenant pour repère l’Europe et le Christ3 ; et de rajouter : « l’Europe de l’âge moderne a tenté de répondre au problème du conflit inévitable entre les religions et les cultures, en inventant un dispositif, de nature juridique et civile, fondé sur le principe de l’égalité de droit des citoyens dans un État neutre du point de vue religieux, mais qui laisse aux particuliers la liberté d’adhérer, dans la sphère privée, au credo qu’ils choisissent »4.
Déjà, après la Révolution de 1789, les Français s’interrogeaient sur une structure sociale équitable faisant la promotion de valeurs communes au-delà du Christianisme (liberté, égalité, fraternité). Les conflits opposant les catholiques et les fidèles d’autres cultes ont conduit en 1801 à la reconnaissance des quatre cultes, puis en 1905, l’État décide d’instaurer la laïcité qui est la séparation de l’Église et de l’État. Pour Hartmann Tyrell (2013) : « la notion d’Église, justement (entendue comme une “communauté morale”), permet de saisir les implications de la terminologie de Durkheim, qui vont dans le sens d’une religion civile »5.
Lorsque le dialogue interreligieux s’est développé, il se fait dans un contexte où le pouvoir religieux (église) n’a plus d’emprise sur l’État. Par la suite, après les mouvements de décolonisation, l’immigration s’est élargie avec une forte apparition sur le champ urbain d’un nouveau groupe religieux composé pour l’essentiel de musulmans.
Si Lucette Valensi dans son ouvrage « Ces étrangers familiers. Musulmans en Europe (XVIe – XVIIIe siècle), 2012 » constate une présence musulmane en France depuis le XVIe siècle6, elle la distingue de celle du XIXe composé essentiellement par des migrants économiques venus pour répondre à une demande urgente de main-d’œuvre pour la reconstruction de la France.
Les conséquences du développement de l’immigration notamment post-colonial ont accentué la ségrégation spatiale. Auparavant, la séparation de l’espace a été fortement marquée par l’apparition des ghettos où vivaient essentiellement les Juifs ; c’est le cas par exemple du quartier « Le Marais » situé dans Paris 11e.
Les nouvelles vagues d’immigration composées majoritairement de musulmans et à caractère économique7 ont vu s’amplifier le phénomène de ségrégation spatiale. J’insiste sur l’immigration musulmane à caractère économique car, comme l’a souligné Catherine Wihtol de Wenden (2019) dans son ouvrage, il subsiste une présence musulmane antérieure au XVIIIe et XIXe siècle. Comme elle, mon attention se porte sur l’immigration musulmane de 1945 à 1974 liée au travail. Selon elle, la suspension de l’immigration ouvrière par les autorités françaises en 1974 a non seulement incité les ouvriers à s’installer de manière définitive en France, mais a aussi provoqué l’arrivée de leurs familles, avec pour conséquence l’implantation graduelle d’une culture musulmane encore méjugée en France.Ces derniers furent installés dans de nouveaux quartiers appelés communément les « banlieues ». L’arrivée de nouveaux arrivants dans ces banlieues a conduit au départ d’une grande partie de la classe moyenne française qui ne souhaite pas être confondue avec cette population. De plus, comme le souligne Catherine Wihtol de Wenden (2019), étant conscient que la France était devenue leur nouveau foyer, il restait important pour eux de maintenir leur valeur culturelle et religieuse en transmettant leur religion à leurs descendants. Les banlieues étant laissées pour compte, ce n’est qu’en 1981 avec les violences urbaines de la banlieue lyonnaise que les Autorités ont commencé à s’y intéresser de près et à prendre conscience d’une forte présence d’une religion et d’une culture musulmane qui leur sont méconnues.
De 1800 à 1963, le mot « dialogue interreligieux » dans la littérature scientifique n’apparaît pas du tout. De 1963 à 1984, le terme est à peine utilisé.
À compter de 1983, elle est en constante évolution selon Books Ngram Viewer de « 0,000 001 1 % » pour atteindre dans les années 2000, « 0,000 045 0 % »8.
Une des explications possibles de l’expansion de ce terme est la conjoncture politique française de cette période marquée par l’affaire dite du voile islamique9. En effet, à compter des années 1989, le voile commence à apparaître dans les collèges et les lycées. Si certaines institutions laissent leurs élèves porter le voile, d’autres, au contraire, l’ont jugé contraire aux valeurs républicaines. L’affaire étant médiatisée et débattue, la loi de 2004 est entrée en vigueur interdisant le port de signes religieux dans les espaces publics. Cette loi a d’ailleurs conduit selon l’article : « L’affaire du voile : repères. 2006 », le ministère de l’Éducation nationale à renvoyer de ses établissements 47 filles qui s’obstinaient à porter le voile.
Parallèlement, ce contexte renforce le développement du dialogue interreligieux et laïque et a vu naître de nombreuses associations au début des années 2000.
J’ai commencé à m’intéresser à cette thématique pendant l’année 2012-2013, dans le cadre d’une maîtrise CITS : « Cadres d’Intervention en Terrains sensibles » à l’université de Paris Ouest Nanterre-La Défense où j’ai eu à effectuer un stage dans l’association CIEUX (Comité Interreligieux pour une Éthique Universelle et contre la Xénophobie) pratiquant le dialogue interreligieux et laïque de proximité. Ce stage a abouti à l’élaboration d’un Mémoire professionnel intitulé : « Enjeux sociologiques du dialogue interreligieux et laïque en zone urbaine ». Il s’agissait d’une première approche en matière de dialogue interreligieux et laïque de proximité dans une optique d’intervention sociale. Le réseau que l’association a formé provient principalement de plusieurs individus responsables de lieux de culte dans la plupart d’entre eux. Ce travail consiste à approfondir mon analyse sur le dialogue interreligieux et laïque de proximité organisée par cette association.
CIEUX fait partie des premières associations qui investissent les quartiers en proposant le dialogue de proximité. Elle a vocation à réunir les croyants et les incroyants pour échanger autour des thématiques touchant leur quotidien, et ce, dans le but de favoriser la « cohésion sociale » ainsi que le « vivre-ensemble ».
La cohésion sociale est un terme qui émerge fortement au moment où les premiers dialogues interreligieux sont créés en France et englobe le vivre-ensemble et le lien social. En interrogeant Google Ngram Viewer10, il ressort de cela que le mot « vivre-ensemble »bien qu’existant depuis les années 1800 a commencé à prendre de l’ampleur à compter des années 2000. De 1800 à 1960, son utilisation s’est faite de manière inconstante et faible ; à titre d’exemple, elle s’évalue à 0,000 053 % en 1800 et 0,000 035 % en 1900. Une croissance s’observe à partir de 1960 par une progression constante jusqu’aux années 2000 où elle atteint son paroxysme11. Quant au mot « lien social », il apparaît aussi en 1800 avec une instabilité chronique jusqu’en 1900, période à laquelle il connaît une petite évolution soit de 0,000 030 % à 0,000 050 % pour ensuite flancher légèrement de 1920 à 1976. Il a fallu attendre les années 1980 pour que le terme croisse en passant de 0,000 100 % à 0,000 800 % dans les années 200012. L’évolution des statistiques concernant l’inscription dans la littérature scientifique des termes « dialogue interreligieux », « vivre-ensemble » ainsi que « lien social » peut être mis en corrélation avec les évènements rythmant l’histoire de France au cours de ces 30 dernières années.
Pour étudier la question du dialogue interreligieux et laïque de proximité en France, plus spécifiquement en Île-de-France, il m’apparaît essentiel de tenir compte de l’histoire de l’immigration, de la composition urbaine (la ségrégation spatiale de certains lieux), des espaces où ces échanges ont été mis en place, notamment ceux que j’ai étudiés afin de pouvoir contextualiser mon étude micro sociale des pratiques qui lui sont associées.
Mon échantillon se base sur une dizaine d’enquêtés, y compris des religieux, notamment des Juifs et des musulmans, mais aussi des incroyants composés d’athées et d’agnostiques qui affirment n’appartenir à aucune religion.
Bien qu’appartenant à une religion, l’Islam soufi en l’occurrence, mon histoire personnelle, mon éducation et ma trajectoire migratoire en métropole, m’ont donné d’emblée des outils pour accepter la différence, ne pas refuser quelque religion que ce soit et m’ouvrir progressivement à la connaissance de l’altérité en faisant appel aux sciences sociales.
Celles-ci m’ont appris que la différence sociale et culturelle est le produit de l’action humaine qui se déploie dans des espaces et dans des époques différentes et selon le parcours de vie des individus. Pour ne pas biaiser l’enquête, je n’ai pas dévoilé mes convictions religieuses à mes enquêtés… Certains pouvaient le deviner par mon nom de famille à consonance musulman, et d’autres, en se basant sur ma tenue vestimentaire et la distanciation que j’ai prise par rapport à la religion musulmane, me confondre dans l’athéisme, mes notions religieuses en ce qui concerne le Judaïsme ou le Christianisme étant restreintes. De fait, au cours de mes entrevues, bien que certains enquêtés ont voulu me catégoriser dans une croyance, ce fut assez complexe pour eux de m’identifier en tant que femme musulmane puisque je ne respecte pas « leur code vestimentaire et alimentaire »13. Ce sujet de recherche a nécessité une introspection en relevant des divergences intra-communautaires. Si le dialogue a du mal à être établi entre les membres d’une même confession, sur quelle base serait-il légitime de parler d’une ouverture plurielle de la société française ?
En ce qui concerne l’enquête en général, je n’ai pas eu beaucoup de difficulté à rentrer en contact avec les Juifs et les musulmans assistant au dialogue interreligieux et laïque de CIEUX. Au cours des entretiens, si mes convictions religieuses ont pu rassurer plus d’un, pour d’autres, ils furent intrigués et y ont mis des réserves qui font l’objet d’une analyse « cf. 2.4 Situation d’enquête ».
L’Histoire de l’humanité, celle des différents groupes sociaux et des pays, s’est souvent construite au travers des conflits parfois violents dans lesquels les religions occupaient une place non-négligeable. Il semble nécessaire de m’interroger sur les modalités « pacificatrices » propres du dialogue interreligieux et laïque de proximité et dans quelle mesure il parvient à regrouper des religieux et des non-religieux dans un même espace.
Peut-on considérer que le fait d’organiser le dialogue dans des lieux de culte permet d’unifier les religieux et les non-religieux ? Comment cette association arrive-t-elle à atteindre ses objectifs ? Les incroyants ont-ils réellement leur place dans ces dialogues ?
Investir des lieux publics (Mairie/Assemblée nationale/Centres Sociaux) pour pratiquer le dialogue peut-il signifier qu’il existe une mutation de la laïcité ?
L’objectif de ce travail de recherche est de déterminer dans quelle mesure une construction identitaire française peut être établie à travers le dialogue interreligieux et laïque de proximité.
Dans leur ouvrage collectif, Martin Olivier, Brun Emmanuelle et Mathieu-Fritz Alexandre (2012) considèrent que la sociologie consiste dans un questionnement auquel l’enquêteur devra y répondre de manière intelligente en utilisant : « des méthodes, des concepts, des théories, des données issues des enquêtes de terrain »14. Pour cela, j’ai pris pour point de départ une étude ethnographique pour mieux cadrer ma problématique de recherche mais aussi distinguer au mieux les concepts que je dois mobiliser pour analyser mon sujet. Par les observations participantes ainsi que les entretiens de terrain, j’ai voulu expliquer au mieux les raisons pour lesquelles le dialogue interreligieux et laïque de proximité est considéré par ses acteurs comme étant une des réponses pour un meilleur vivre-ensemble.
Tout au long de cet ouvrage, je me suis attachée à mener un travail conforme à l’esprit et à la lettre du cadre académique auquel s’inscrit un travail de recherche en sociologie, en utilisant la méthodologie requise en sciences sociales avec des données qualitatives.
Enfin, je tiens à préciser que j’ai choisi de présenter ma partie méthodologique avant la partie théorique. En effet, pour en faciliter l’explication, il m’a semblé utile de présenter mon enquête de terrain, mes matériaux ainsi que les difficultés rencontrées. Ces derniers définissent ma volonté de prendre en compte l’espace et surtout la thématique de la ségrégation spatiale ; mes enquêtés étant principalement des Juifs et des musulmans issus de l’immigration.
Ce travail est conçu en trois temps :
Dans un premier temps, je présente la problématique et l’enquête de terrain.
Dans un second temps, je précise les différents concepts mobilisés à savoir dialogue interreligieux, entrepreneurs religieux, ségrégation spatiale, l’identité et le communautarisme notamment.
Puis dans un dernier temps, j’aborde les conditions requises pour promouvoir un meilleur « vivre-ensemble ». Il s’agit aussi d’interroger la participation des hommes politiques dans le dialogue interreligieux et laïque de proximité de CIEUX rassemblant Juifs, chrétiens, musulmans et incroyants.
La première partie constituée en deux chapitres s’attache à contextualiser mon objet de recherche, décrire et apporter une brève analyse sur la genèse, les évolutions ainsi que les activités menées par l’association CIEUX avant d’aborder la méthodologie employée et les techniques d’enquête.
Une de mes interrogations dans le chapitre 1 consiste à savoir si le dialogue permet d’échanger sans tabous ; l’autre question que je me suis aussi posée dans le Chapitre 2 est de voir dans quelles conditions le dialogue interreligieux et laïque de proximité arrive à briser les préjugés subsistants entre les différentes religions.
Dans la deuxième partie constituée en deux chapitres, je fais un état des lieux du dialogue interreligieux et laïque, leur utilité ainsi que ses conséquences. J’entends par conséquence, l’émergence d’entrepreneurs religieux dans le dialogue se donnant pour motivation la promotion du vivre-ensemble.
Je fais aussi le lien entre l’ascension de la ségrégation spatiale et le besoin actuel d’établir le dialogue interreligieux et laïque.
Et enfin, dans la troisième partie, j’analyse dans un premier chapitre les motivations ainsi que la perception des participants et intervenants del’association CIEUX. J’analyse les limites du dialogue, les freins à la participation ainsi que les stratégies pour renforcer un dialogue franc.
J’ai notamment mis en perspective dans le deuxième chapitre les interactions des décideurs politiques avec les figures religieuses prônant une meilleure cohabitation culturelle ainsi que les définitions concurrentielles de la laïcité sur la base de mes entretiens.
L’ouverture d’une enquête est conditionnée par l’irruption de l’inattendu ou du problématique et par le sentiment d’embarras et d’incertitude qui l’accompagne. De la rencontre entre le sujet et la situation naît un désajustement qui ne sera dépassé que si de nouvelles potentialités sont découvertes, élaborées ou actualisées.
Thievenaz Joris, La théorie de l’enquête de John Dewey : actualité en sciences de l’éducation et de la formation,
Recherche et formation, 92 | 2019, p.11.
Dans le cadre de mon enquête, j’ai investi principalement l’association CIEUX (Comité Interreligieux pour une Éthique Universelle contre la Xénophobie) pratiquant le dialogue interreligieux et laïque de proximité.
Poursuivre mes observations dans cette structure est en partie attribuable à mon désir d’en savoir davantage sur ce qui peut rapprocher des individus croyants et incroyants dans des activités interreligieuses.
J’ai aussi été motivée par la volonté de mesurer l’impact du dialogue à l’échelle de la ville et plus particulièrement à Paris 11e.
L’intérêt de cette démarche demeure surtout d’observer les modalités d’un dialogue interreligieux et laïque de proximité dans les villes rassemblant des individus d’origines national15 et géographiques différentes, séparés par des inégalités sociales flagrantes. Pour Yves Grafmeyer et Authier Jean-Yves (2008) : « la ville est à la fois territoire et population, cadre matériel et unité de vie collective, configuration d’objets physiques et nœud de relations entre sujets sociaux »16. On ne peut parler de dialogue entre les religions si on ne prend pas en compte l’espace et les affirmations identitaires des groupes qui composent le dialogue.
Pour Anne-Sophie Lamine (2005), peu importe la façon dont on perçoit les groupes religieux, l’appartenance ethnique doit être considérée comme une construction sociale en examinant les mécanismes de formation, de maintien et de transformation des groupes, les limites et les sentiments d’appartenance17. Barth souligne dans ces recherches que le terme ethnicité renvoie à des groupes de personnes partageant une culture commune ; il préconise de considérer les groupes ethniques comme étant des supports de culture, des mécanismes générateurs de différences dont ils s’affirment18. Pour Marie-Christine Michaud (2017) : « cette affirmation identitaire s’opère de deux manières : les signes manifestes (costumes, langues, habitat) mis en avant pour marquer sa différence d’une part ; l’orientation des valeurs fondamentales (filiations, idéologies, valeurs morales, critères de jugement), fondements de l’organisation sociale d’autre part »19.
Étant de confession et de culture musulmane, je redoutais un biaisement du terrain de la part de mes interlocuteurs musulmans qui pouvaient me prendre par un sentiment d’affection du fait d’être une sœur de religion. Cependant, je me suis sentie « étrange » auprès de ces derniers. Il me semblait que les musulmans partageaient généralement des valeurs et une culture commune, sans égard à leurs origines ethniques. Toutefois, il va de soi que les individualités se distinguent des autres par rapport à des caractéristiques qui les prédéterminent, raison pour laquelle Anne-Sophie Lamine (2005) considère que : « aux côtés de la langue, de l’histoire et de la mémoire, la religion est bien l’un des éléments permettant de construire ce sentiment commun d’appartenance par opposition et différenciation à des tiers »20. Si les musulmans se reconnaissent tous à travers cette religion et à travers l’unicité d’un seul dieu qui est « Allah », il subsiste des cultures musulmanes auxquelles tous les musulmans ne se reconnaissent pas. En dehors de la culture, les doctrines musulmanes sont interprétées différemment par les musulmans et la mystique musulmane n’est pas vécue de la même manière.
Cette première partie vise à présenter la construction théorique de mon étude, la méthodologie utilisée sur le terrain, la présentation de CIEUX, le profil de mes enquêtés ainsi que les difficultés rencontrées lors de mon enquête.
Il s’agit également d’analyser la structure d’accueil et les activités qui s’y déroulent.
Pierre Bréchon dans son article paru en ligne sur le site HAL (archives ouvertes.fr) intitulé « laïcité française et rôle des religions dans l’espace public » définit la laïcité de la manière suivante : « Serait laïque tout système où les institutions religieuses et politiques sont sans lien de dépendance les unes par rapport aux autres »21. Le terme « laïcité » fait figure de proue dans les médias et éveille un questionnement sur la pratique religieuse dans le champ urbain français. Il est important d’interroger les raisons de ce débat.
Ce XXIe siècle est caractérisé par des évènements tragiques tels que les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ainsi qu’un fait tout à fait récent, à savoir les attentats contre Charlie Hebdo, le journal satirique français, le 7 janvier 201522.
Ces attaques ont suscité une vive émotion dans la société française.
Bien que mon terrain ait démarré avant ces évènements tragiques, c’est dans ce contexte marqué par de nombreuses émotions que je m’interroge sur la notion de construction d’une identité commune à travers le dialogue interreligieux et laïque de proximité.
À cet égard, Michel Castra (2012) fait une synthèse sur cette question d’identité en tenant compte des travaux antérieurs. Il affirme que : « L’identité est constituée par l’ensemble des caractéristiques et des attributs qui font qu’un individu ou un groupe se perçoivent comme une entité spécifique et qu’ils sont perçus comme tels par les autres. Ce concept doit être appréhendé à l’articulation de plusieurs instances sociales, qu’elles soient individuelles ou collectives »23. Sa construction dépend donc de plusieurs éléments et facteurs et peut par ailleurs revêtir aussi l’aspect d’une « culture religieuse ». Émile Durkheim dans son livre « les Formes élémentaires de la vie religieuse », paru en 1912, définit la religion comme étant : « un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ». À côté de cette définition classique en sociologie, il importe, à l’instar d’Anne-Sophie Lamine (2004), de distinguer deux types de religion à savoir les religions abrahamiques et les religions non-abrahamiques. Dans le 1er groupe, selon Anne-Sophie Lamine (2004) : « le patriarche Abraham est considéré comme l’ancêtre de la religion, l’ancêtre d’un lignage qui inclut Juifs, chrétiens et musulmans »24. Les autres religions comprennent toutes les croyances polythéistes, notamment le Bouddhisme, le Taoïsme et l’Hindouisme. Sylvia Mancini (2017) reste dubitative à l’idée que le dialogue interreligieux et laïque apaiserait les conflits entre les religions. Pour reprendre ses propos : « l’idée que les religions, grâce au dialogue, apporteraient la paix, il vaut peut-être la peine de rappeler que les monothéismes sont le fruit non pas d’une évolution historique, mais d’une véritable révolution culturelle lancée à l’encontre des polythéismes antiques »25.
En outre, si les religions monothéistes ont une valeur commune, à savoir la croyance en un dieu unique, la fraternité, etc. les différences doctrinales persistent.
Les traditions religieuses du monothéisme reposent sur des divergences qui sont en grande partie révélées dans les Livres saints. Ces religions, telles que le Judaïsme, ne renvoient pas simplement à une pratique cultuelle mais embrassent aussi une construction identitaire de l’individu à travers la culture. Martine Berthelot soutient dans son ouvrage que : « Le mot “judaïsme”, qui renvoie généralement à la religion juive et qui, des siècles durant, a désigné la “nation juive”, a cessé de s’appliquer exclusivement à une entité ethnoreligieuse. Aujourd’hui, il désigne aussi une réalité identitaire, culturelle et sociologique beaucoup plus riche et complexe que la seule croyance monothéiste héritée du patriarche Abraham ou que l’unicité de l’ancien peuple sémite »26.
Pour Ruiz Jesús Garcia et Patrick Michel (2012) : « L’idée que le dialogue interreligieux incarnerait la solution des différences et des conflits entre les civilisations est démentie par le fait que jamais, autant qu’aujourd’hui, les religions ne s’étaient employées à faire ressortir leurs différences, notamment en invoquant leurs formes de vie spécifiques et leurs fondements métahistoriques respectifs, jusqu’à les radicaliser – et cela, des fondamentalismes islamiques aux mouvements néo-évangéliques en pleine expansion dans le monde »27. Pour Silvia Mancini (2017) : « Ces différences se manifestent dans leur manière respective de concevoir les relations entre l’esprit et le corps, le social et la nature, l’humain et le non humain, la vie et la mort, au point que les facteurs qui séparent et distinguent les cultures entre elles sont plus nombreux que ceux qui les rapprochent »28.
À titre d’exemple, il est communément admis dans la religion chrétienne que Jésus est le fils de Dieu alors que pour le musulman, Dieu n’enfante pas. De même, en ce qui concerne le judaïsme, l’Ancien Testament est toujours de rigueur alors que pour le chrétien, c’est le Nouveau Testament.
Dans la religion musulmane, on retrouve les chiites et les sunnites29 ; les uns reconnaissent la succession du Prophète Mahomet et s’inspire d’Ali, son beau-fils et les autres inconsidèrent la succession et ne louent louanges qu’au Prophète de l’Islam.
Il en est de même pour le Christianisme avec les catholiques et les protestants. L’ouvrage de Claude Dargent (2021) met notamment en perspective les traditions religieuses européennes du Christianisme qui se distinguent par le Catholicisme, le Protestantisme ainsi que l’Orthodoxie.30 En ce qui concerne les Juifs, il y a principalement trois courants pris dans le clivage entre les orthodoxes et les reformés. Les travaux de Martine (2011) démontrent cette dichotomie. Je cite : « Dans les pays occidentaux (Europe, Amérique, Afrique du Sud, et dans une moindre proportion, Israël), le judaïsme se divise en divers courants (appelés aussi tendances, branches, mouvements) et dénominations issues de trois grandes familles : orthodoxe, réformée, laïque. Ces courants, nés presque tous dans l’orbite de communautés ashkénazes, alors les plus nombreuses, sont apparus à partir du XVIIIe siècle, et surtout au long du XIXe siècle, c’est-à-dire en parallèle ou en conséquence du processus d’émancipation des Juifs européens et de leur inclusion dans la modernité ; émancipation qui signifia la désintégration de l’ancestrale vie communautaire en autarcie »31.
S’il ressort de cela qu’au cours de l’Histoire, différents génocides ont eu lieu sur le plan politico-religieux, racial et ethnique comme celui des Arméniens32, des Tsiganes33 ou des Tutsis34, les Juifs quant à eux ont vécu au cours des siècles des différends, des brimades ayant atteint son paroxysme durant la Seconde Guerre mondiale avec la « Shoah ».
Le terme « Shoah » a pu s’imposer dans le monde comme qualificatif provenant de l’hébreu et signifiant : « catastrophe, désolation… », des confrontations relatives à ce terme existent au sein de ceux qui pratiquent le dialogue interreligieux.
Par exemple, selon Henri Meschonnic35, théoricien du langage, le terme « Shoah » ne convient pas pour expliquer le massacre des Juifs ; il préconise d’employer le terme de « Solution finale » adopté par les nazis. Le terme « Shoah » est au cœur d’un débat scientifique qui retrace l’Histoire du peuple juif. Les travaux de Francine Kaufmaan (2006) interrogent d’ailleurs l’Histoire pour savoir quel serait le terme adéquat pour désigner la tragédie d’Auschwitz36.
Pour ma part, je retiens l’appellation courante à savoir la « Shoah » utilisée couramment par les acteurs du dialogue. Il est question de dialogue interreligieux et donc une implication de toutes les confessions, et la Shoah est le seul génocide religieux industrialisé de l’Histoire37 ayant conduit au dialogue, à l’initiative des chrétiens, pour consolider les relations judéo-chrétiennes.
Ma position en tant que sociologue est d’observer les interactions sociales qui peuvent intervenir dans le cadre du dialogue interreligieux et laïque de proximité en réunissant ici des personnes de confession juive, chrétienne, musulmane ainsi que les athées et les agnostiques.
Il est aussi important de souligner l’absence des femmes dans le dialogue.
L’étude d’Andezian Sossie, (1995) : « Femmes et religion en Islam : un couple maudit ? », établit une analyse de la place de la femme musulmane algérienne dans la vie religieuse. Pour elle, l’absence de la femme sur le plan religieux et communautaire est un phénomène « nouveau ». En effet, quand elle se plonge dans l’Histoire, en remontant à l’époque médiévale, en particulier en Andalousie au VIe siècle, de nombreuses femmes se sont distinguées par leurs connaissances. Elle cite deux figures féminines qui ont marqué l’Histoire. L’une par son mysticisme et l’autre, par ses écrits et ses conférences à l’instar de Rabia el-Adawiyya et Shuhda bint el-Ibari. La première représente l’une des figures emblématiques de la mystique qui, selon l’auteur, a atteint le même degré de connaissance que les hommes et par conséquent, lui permettant d’avoir accès au même privilège. Quant à la deuxième, elle doit sa renommée, selon l’auteur, à ses écrits sur la validité des mots attribués au Prophète et pour ses célèbres conférences sur Bukhari (auteur de l’une des plus importantes collections de hadith). Il existe encore aujourd’hui des femmes qui essaient de briser la glace dans laquelle beaucoup de femmes musulmanes se renferment en prônant le vivre-ensemble telles que Madame Latifa Ibn Ziaten, la mère du militaire tué par Mohammed Merah. Cette dernière a d’ailleurs ouvert l’association IMAD pour sensibiliser la jeunesse à la notion de paix et du vivre-ensemble entre les religions.38
De plus, le dialogue interreligieux et laïque est traduit comme désignant « communément une voie de communication, menée avec la volonté commune d’aboutir à une solution acceptable pour les parties en présence »39.Cela voudrait dire qu’en dépit de nos convictions, de nos différences, le dialogue ne porte pas sur le prosélytisme, mais plutôt sur la recherche d’une voie pacifique.
Hormis les relations conflictuelles entre les Juifs et les chrétiens, l’immigration massive des musulmans dans les années 1970 pose la problématique de l’intégration dans la société d’accueil. Anne-Sophie Lamine (2004) considère que : « jusqu’aux années 1960, la figure de l’autre était le juif, mais une nouvelle figure d’altérité apparaît en France, le musulman, victime lui aussi, comme travailleur exploité et pauvre »40. Delphine Dussert-Galinat (2013) quant à elle, constate que : « dans les années 1980, la crispation populaire se déplace sur le terrain des banlieues où convergent l’insécurité, la misère sociale et l’intégrisme religieux. Le discours sur l’immigration connaît alors une nette ethnicisation laquelle vise essentiellement les Maghrébins, et plus largement les musulmans »41. Cette perspective est à l’origine de la création de la politique de la ville par la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances, en vue de réduire les inégalités sociales et promouvoir la mixité sociale.
Bacqué et Simon présentent la mixité sociale comme symbolisant : « l’idéal d’une ville où se croisent les groupes sociaux et ethniques sans territoires réservés, sans assignations à résidence et dans une égalité d’accès aux services, équipements et, plus généralement, aux opportunités que procure la vie urbaine »42. Cependant, cet idéal n’est perceptible dans aucune ville de France ; si la classe dominante se loge généralement dans le centre de la ville, la moyenne classe, moins sélective, réside dans les couronnes périurbaines cherchant à concilier vie professionnelle et vie familiale (Aragau, Berger et Rougé, 2016).
Le dialogue interreligieux au départ mono religieux, puis bilatéraux, ensuite trilatéraux et enfin multireligieux (c’est-à-dire des dialogues regroupant plusieurs religions) est pensé avec un but précis : celui de faire converser les religions entre elles afin de lutter contre le « rejet de l’autre ».