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"Prélude" explore la manière dont nous percevons le monde qui nous entoure. Il souligne que nous ne nous contentons pas de ce que nos sens captent, mais que nous interprétons et enrichissons ces informations en fonction de notre expérience passée et de nos connaissances préexistantes. Chaque texte qui le compose a été inspiré par un bouton particulier trouvé par l’auteure. Ainsi, leur appréhension a été influencée par ses interprétations. Seulement, ces dernières sont-elles le résultat de sa propre volonté ou d’influences extérieures ? Ce dilemme entre la découverte et l’ignorance révèle la complexité de notre relation avec le monde qui nous entoure.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Véronique Le Calvez estime que chaque être humain analyse le monde de manière particulière. En écrivant "Prélude", elle se questionne sur les facteurs qui conditionnent ou favorisent nos perceptions car, précise-t-elle, on ne se contente pas de ce que l'on voit.
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Seitenzahl: 107
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Véronique Le Calvez
Prélude
© Lys Bleu Éditions – Véronique Le Calvez
ISBN : 979-10-422-3046-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
1 bouton, 2 boutons, 3 boutons
Et un petit tour et puis s’en vont.
Comme par magie, nos boutons tiennent à un fil, comme un peu, beaucoup, passionnément, à la folie nos vies, nos vies dans un monde décousu ou cousu sous toutes ses formes.
Principe de réalité ?
Principe ?
Réalité ?
Ma passion des boutons remontrait à une enfance où le jeu prenait toute la place, l’imaginaire grandissant avec ma vie d’enfant.
Pourtant, je ne peux parler de passion à l’époque et encore moins aujourd’hui. Je n’ai ni la connaissance ni l’envie, juste un intérêt, une corde sensible pour le jeu des couleurs et des formes. Nous ne pourrions alors me qualifier de fibulanomiste, de rien et cela me va tout aussi. De rien.
De rien, je pourrais dire, était fait mes jeux ou au contraire tout était mes jeux.
Une dizaine de boutons formait tour à tour une famille ou une classe d’élèves bien sages. Le plus gros était en général soit l’instituteur, soit le père d’une bande de bambins, soit… Il pouvait rester à l’écart si un plus « féminin » avait rejoint les rangs, jouant tantôt l’institutrice, tantôt la mère de famille. Se prémunir de féminité, il devait avoir plusieurs critères. L’image féminine ne s’inventait pas ou plus. Elle était synonyme de couleur rouge, rose, orange, jaune ou point de bleu, sinon comme le vert de couleur pastel ou claire. Il ne pouvait s’agir de noir et encore moins de marron. L’épaisseur du bouton donnait à l’élément toute sa finesse et sa délicatesse ainsi que la dimension du trou.
L’image masculine dans mon environnement quotidien n’était pas non plus des plus présentes. Mon père, graisseur sur les bateaux de la marine, travaillant pour la compagnie transatlantique, était absent de la maison de longs mois. Le grand-père était décédé de longues années avant la naissance de mes sœurs aînées. Le curé, comme le maire, nous ne les côtoyions qu’à de rares occasions, enterrement, mariage, baptême.
Le directeur de l’école élémentaire ne faisait cours qu’en CM. À l’époque où je jouais encore à la poupée, je ne fréquentais pas sa classe.
Je ne reproduisais que ce que je connaissais ou voulais vivre.
Parfois, les plus petits, comme les billes de terre ou œil de chat, avaient le droit de monter dans des voitures « majorette » car les portières à l’avant comme à l’arrière s’ouvraient. Le summum était quand mon frère me prêtait « le » tracteur et sa remorque. C’est alors que la famille entière partait en vacances ou aux champs ou la classe d’élèves allait en promenade à la rivière. Je jouais ainsi ne disposant d’aucune figurine de Lego ou de Playmobil. Les uns comme les autres ne seront créés qu’en 1974.
Quand j’ai grandi, j’ai remisé la boîte à boutons dans le placard à côté des coupons de tissu, comme vraisemblablement l’aurait fait ma mère.
Les années auparavant, il me fallait demander l’autorisation d’emprunter ces pièces de porcelaine, de bois, de verre, mais aussi de plastique, traversées de trou ou surmontées de tissu, avec la promesse de les remettre à leurs places. Ma mère ne m’a jamais demandé ce que j’en faisais. Ce n’était pas un intérêt qu’elle avait de savoir à quoi on jouait, juste savoir qu’on jouait, cela lui suffisait ; ce qui, j’avoue, m’allait aussi très bien que ce fût pour ce jeu ou pour bien d’autres d’ailleurs.
Il m’arrivait, je l’avoue (faute avouée, à moitié pardonnée, me direz-vous ?), parfois d’en garder un, juste un. Juste un, il est vrai de temps en temps. À la fin d’une année – et il y en a eu quelques-unes – j’ai aussi eu ma boîte, la boîte à boutons. Je ne gardais que celui qui non seulement me plaisait mais était unique.
Il ne me serait jamais venu à l’idée d’en « voler » deux identiques, ma mère aurait pu s’en apercevoir et surtout si elle en avait eu besoin pour apprêter un vêtement, il m’aurait fallu les lui rendre et dévoiler ainsi mon indélicatesse, ma gaminerie. Il pouvait m’arriver de lui demander d’en garder un. Mais le fait d’en receler un après une journée de jeu donnait aussi au passe-temps un côté magique, d’espièglerie, de diablerie. Ce badinage donnait du piment à ma polissonnerie.
Puis les années sont passées.
L’intérêt des boutons m’est revenu quand sous un banc, de couleur noire, un m’est apparu. C’était comme un clin d’œil. Mes souvenirs sont revenus là sous ce banc en même temps que se construisait son histoire.
Ces histoires sont leurs histoires. Elles ont émergé en même temps que ma main effleurait un bouton. Toutes racontent un moment d’une vie, une brève réelle ou imaginaire. Au fond, quelle importance ?
Ce sont des boutons trouvés au gré de mes balades ou trajets de travail. J’avoue que mon œil averti, dans certains moments de ma vie, pouvait en dénicher en une semaine une dizaine.
À croire que vraiment les couturières n’étaient que des intérimaires.
Mais c’est une autre histoire.
Tiens…
À moins que ce ne soit à cause de la lumière. Oui, sûrement. Je ne pensais pas. Je me surprends à parler tout haut. Où ai-je la tête ? En tous cas je suis là en ce moment devant la glace. J’avais déjà remarqué il y a quelques semaines un ou deux. Mais aujourd’hui il n’en est rien ou plutôt si, il y en a plein. D’abord lorsque j’ai passé ma main dans mes cheveux puis lorsque j’ai enlevé mon chapeau. Il est vrai qu’il me va bien. Il me va bien, ce chapeau. Je ne me m’étais pas encore regardé dans un miroir. Acheté sur une place de marché en début de semaine et essayé à la va-vite, je n’ai pas eu l’occasion de me voir revêtu de ce porte-chef dans une glace. J’avoue qu’il me sied à merveille. J’en ai les jambes coupées. Waouh, quel style ! Maintenant, à regarder de plus près, je ne dirais plus la même chose. Mais depuis quand ? Non, c’est sûrement depuis ? Mais bien sûr. N’ai-je pas changé aussi de lunettes de vue depuis ?
Un, non deux, non trois, quatre et puis, et puis, sûrement plus.
Poivre et sel c’est viril, dit-on. Mais en attendant que les deux se marient pour faire un cocktail, le blanc domine. Si je les peigne différemment, ils en paraîtront moins visibles. Franchement ? Une franche ? Au lieu d’être sur le front ils seront à gauche ou à droite mais concrètement ?
Allez, un bon coup de brosse pour remettre tout cela, tout ça comme avant. Ceux qui me connaissent, c’est sûr, vont encore plus me lorgner, s’interroger et de ce fait m’interroger. Passer inaperçu semble dépourvu de sens aujourd’hui.
Dix doigts pour compter et ça fait dix. Même en rajoutant les doigts des pieds je n’aurais pas assez avec ceux de la main pour totaliser. 10, 20, sûrement plus de cheveux blancs. Ah ! Pour le comble du comble, je m’aperçois qu’un bouton a disparu en remontant ma manche de chemise. Comment peut-on faire du jour au lendemain pour percevoir tant de changements ? Entre un manque et des rajouts, j’avoue cependant ne pas apprécier l’un comme l’autre. Vais-je rattraper celui de la chemise ?
Franchement la lumière tombe à pic, même si elle éclaire tous les moutons qui sont sous le meuble-lavabo. Un coup de balai pourrait être nécessaire. Faut que je m’organise. Mais en attendant… : « Pas de bouton, que des moutons. Pas de… »
C’est quoi ces paroles qui me reviennent ?
Oh ! Je pourrais aussi les retirer un par un, ces cheveux blancs.
Au lieu de rêvasser, comment vais-je régler ces deux problèmes ?
Si je me faisais une queue de cheval ? Légèrement attachés, il en paraîtra moins, d’autant plus que naturellement mes cheveux frisent. C’est déjà réconfortant que dans la moustache et la barbe il n’y ait aucun. Mais où est-il, ce foutu élastique ?
En claquant la porte de la maison, elle a emporté ce qu’il y avait de féminin. TOUT. Quasiment tout. Même nos vieux disques qu’on avait choisis ensemble lors de brocante ou foire aux antiquités.
Que me reste-t-il ?
Et des boutons ?
Nous sommes jeudi et le weekend n’est pas très loin non plus. Ce samedi, j’avais l’intention d’aller voir mes parents à Bonneval. Connaissant maman, elle aura bien quelques blancs boutons correspondants à celui du poignet de la liquette. Je ne vais pas non plus le lui demander, plus le suggérer. Elle aime rendre service mais je n’aime pas m’imposer. La supplier ? Pas plus. Je mettrai cette chemise et tout naturellement je ferai comme si je découvrais avec elle, au moment de par exemple… oui mais à quel moment ? La frangine, avec son mari et surtout avec les trois mouflets, accapare tellement que je ne sais quand je vais pouvoir détourner son attention de tous. Quoique, la queue de cheval forcément fera son effet. Et puis si je mets juste un bracelet. À travailler le look. Je vais demander à Clémentine. Clem est une collègue de travail. On se dit tout ou presque. Faut pas non plus. Des secrets, elle en a, comme moi d’ailleurs, même si on se dit tout.
Je vais demander à Clem ce qu’elle en pense. Je peux aussi lui faire la surprise. Ce sera comme une mise en scène, une avant-première. Je ferai le gars surpris, celui qui découvre un fil blanc à la place du bouton au poignet. À voir. Non, c’est tout vu.
Elle est assise là sur le banc, nous pourrions presque dire son banc.
Elle triture son bouton, un bouton de corsage. Elle hésite encore à le déboutonner. Il est rond, en porcelaine sûrement, certainement. Nous sommes à l’après-guerre. Une couturière le lui a fait, ce beau chemisier, tissu coton liberty. Mais pour cette occasion, nous dirions qu’il lui va bien. Il ferait même ressortir son teint, visage tout parsemé de taches de rousseur qui se réveillent au fur et à mesure de l’avancée du soleil dans l’année, d’ailleurs au plus haut elles sont le plus marquées. Elles se raniment au printemps pour s’atténuer au coucher de l’éclipse d’été. Certains diraient même qu’elle est belle. Elle a à peine 20 ans, peut-être un peu plus. Il est difficile de donner l’âge à un charme de demoiselle avec un sourire angélique. D’ailleurs tous ceux qui la croisent se mettent d’accord pour le lui faire remarquer. Si ce n’est pas un chapeau baissé et « d’un bonjour mademoiselle » de la part des hommes, c’est par une tirade du bras de l’homme que tiennent les dames. Ces femmes en seraient-elles jalouses ? Mais quelle raison ?
Elle attend.
Elle attend là dans ce parc. Ça fait déjà plus d’une heure. Elle a trituré sa montre par dix fois au moins. 100 pour ne pas dire. Nous ne parlerons pas du bouton de son corsage. Elle s’est levée en se demandant si elle ne s’était pas trompée de banc et est passée sur celui d’en face. Il faut dire qu’il n’y a pas plus de deux dans ce parc communal.
Elle s’est levée aussi par deux fois pour demander l’heure, puis s’est rassise par deux fois.
Elle a attendu.
Elle a fini par partir au bout de… Même si la nuit ne tombe pas vite en cette période. Elle a fini, elle, par partir. Elle s’est même dit…
Puis elle est revenue le 12 juin, le 13 juin, les jours suivants.
De ce corsage, le bouton a fini par tomber. Elle ? Elle est revenue jusqu’à l’aube, jusqu’à l’automne vraisemblablement, probablement de sa vie.