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Dans "Recherches physiologiques sur la vie et la mort", Xavier Bichat explore les mécanismes fondamentaux qui régissent la vie et la mort, en établissant une distinction entre les principes organiques et les phénomènes vitaux. Son style se révèle à la fois précis et analytique, intégrant des observations cliniques et des théories nouvelles pour l'époque, à la croisée de la médecine et de la philosophie. Le livre s'inscrit dans le contexte du développement des sciences médicales au début du XIXe siècle, période marquée par une volonté de dissocier la médecine de l'obscurantisme et de l'alchimie, favorisant l'exploration des fonctions humaines à travers une approche empirique. Xavier Bichat (1771-1802), souvent considéré comme l'un des pères de la physiologie moderne, s'est vu influencé par la pensée révolutionnaire de son temps et ses expériences en tant que praticien. Son ambition de comprendre la vie humaine au-delà de la simple pathologie le pousse à écrire cet ouvrage. Bichat souhaite également poser les bases d'une médecine plus scientifique et rationnelle, en se démarquant des traditions antérieures qui limitaient la compréhension des processus vitaux. Cette œuvre, qui demeure essentielle pour quiconque s'intéresse à la médecine et à la biologie, est fortement recommandée. Elle offre une réflexion profonde sur les enjeux de la vie et de la mort, tout en fournissant des éclairages encore pertinents. Les lecteurs qui recherchent une compréhension des fondements de la médecine moderne y trouveront des idées éclairantes qui continuent d'influencer la pensée médicale actuelle.
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ON cherche dans des considérations abstraites la définition de la vie; on la trouvera, je crois, dans cet apperçu général: la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort.
Tel est en effet le mode d’existence des corps vivans, que tout ce qui les entoure tend à les dé- truire. Les corps inorganiques agissent sans cesse sur eux; eux-mêmes exercent les uns sur les autres une action continuelle; bientôt ils succomberoient s’ils n’avoient en eux un principe permanent de réaction. Ce principe est celui de la vie; inconnu dans sa nature, il ne peut être apprécié que par ses phénomènes: or, le plus général de ces phénomènes est cette alternative habituelle d’action de la part des corps extérieurs, et de réaction de la part du corps vivant, alternative dont les proportions varient suivant l’âge.
Il y a surabondance de vie dans l’enfant, parce que la réaction surpasse l’action. L’adulte voit l’équilibre s’établir entr’elles, et par là même cette turgescence vitale disparoître. La réaction du principe interne diminue chez le vieillard, l’action des corps extérieurs restant la même; alors la vie languit et s’avance insensiblement vers son terme naturel, qui arrive lorsque toute proportion cesse.
La mesure de la vie est donc, en général, la différence qui existe entre l’effort des puissances extérieures, et celui de la résistance intérieure. L’excès des unes annonce sa foiblesse; la prédominance de l’autre est l’indice de sa force.
Telle est la vie considérée dans sa totalité ; examinée plus en détail, elle nous offre deux modifications remarquables. L’une est commune au végétal et à l’animal, l’autre est le partage spécial de ce dernier. Jetez en effet les yeux sur deux individus de chacun de ces règnes vivans, vous verrez l’un n’exister qu’au dedans de lui, n’avoir avec ce qui l’environne que des rapports de nutrition, naître, croître et périr fixé au sol qui en reçut le germe; l’autre allier à cette vie intérieure dont il jouit au plus haut degré, une vie extérieure qui établit des relations nombreuses entre lui et les objets voisins, marie son existence à celle de tous les autres êtres, l’en éloigne ou l’en rapproche suivant ses craintes ou ses besoins, et semble ainsi, en lui appropriant tout dans la nature, rapporter tout à son existence isolée.
On diroit que le végétal est l’ébauche, le canevas de l’animal, et que, pour former ce dernier, il n’a fallu que revêtir ce canevas d’un appareil d’organes extérieurs, propre à établir des relations.
Il résulte de là que les fonctions de l’animal forment deux classes très-distinctes. Les unes se composent d’une succession habituelle d’assimilation et d’excrétion; par elles il transforme sans cesse en sa propre substance les molécules des corps voisins, et rejette ensuite ces molécules, lorsqu’elles lui sont devenues hétérogènes. Il ne vit qu’en lui, par cette classe de fonctions; par l’autre, il existe hors de lui: il est l’habitant du monde, et non, comme le végétal, du lieu qui le vit naître. Il sent et aperçoit ce qui l’entoure, réfléchit ses sensations, se meut volontairement d’après leur influence, et le plus souvent peut communiquer par la voix, ses désirs et ses craintes, ses plaisirs ou ses peines.
J’appelle vie organique l’ensemble des fonctions de la première classe, parce que tous les êtres organisés, végétaux ou animaux, en jouissent à un degré plus ou moins marqué, et que la texture organique est la seule condition nécessaire à son exercice. Les fonctions réunies de la seconde classe forment la vie animale, ainsi nommée, parce qu’elle est l’attribut exclusif du règne animal.
La génération n’entre point dans la série des phénomènes de ces deux vies, qui ont rapport à l’individu, tandis qu’elle ne regarde que l’espèce: aussi ne tient-elle que par des liens indirects à la plupart des autres fonctions. Elle ne commence à s’exercer que lorsque les autres sont depuis long-temps en exercice; elle s’éteint bien avant qu’elles ne finissent. Dans la plupart des animaux, ses périodes d’activité sont séparées par de longs intervalles de nullité ; dans l’homme, où ses rémittences sont moins durables, elle n’a pas des rapports plus nombreux avec les fonctions. La soustraction des organes qui en sont les agens, est marquée presque toujours par un accroissement général de nutrition. L’eunuque jouit de moins d’énergie vitale; mais les phénomènes de la vie se développent chez lui avec plus de plénitude. Faisons donc ici abstraction des lois qui nous donnent l’existence, pour ne considérer que celles qui l’entretiennent: nous reviendrons sur les premières.
Chacune des deux vies, animale et organique, se compose de deux ordres de fonctions qui se succèdent et s’enchaînent dans un sens inverse.
Dans la vie animale, le premier ordre s’établit de l’extérieur du corps vers le cerveau, et le second, de cet organe vers ceux de la locomotion et de la voix. L’impression des objets affecte successivement les sens, les nerfs et le cerveau. Les premiers reçoivent, les seconds transmettent, le dernier perçoit cette impression qui, étant ainsi reçue, transmise et perçue, constitue nos sensations.
L’animal est presque passif dans ce premier ordre de fonctions; il devient actif dans le second, qui résulte des actions successives du cerveau où naît la volition à la suite des sensations, des nerfs qui transmettent cette volition, des organes locomoteurs et vocaux, agens de son exécution. Les corps extérieure agissent sur l’animal par le premier ordre de fonctions; il réagit sur eux par le second.
Une proportion rigoureuse existe en général entre ces deux ordres: où l’un est très-marqué, l’autre se développe avec énergie. Dans la série des animaux, celui qui sent le plus, se meut aussi davantage. L’âge des sensations vives est celui de la vivacité des mouvemens; dans le sommeil ou le premier ordre est suspendu, le second cesse, ou ne s’exerce que par secousses irrégulières. L’aveugle qui ne vit qu’à moitié pour ce qui l’entoure, enchaîne ses mouvemens avec une lenteur qu’il perdroit bientôt si ses communications extérieures s’agrandissoient.
Un double mouvement s’exerce aussi dans la vie organique; l’un compose sans cesse, l’autre décompose l’animal. Telle est en effet, comme l’ont observé les anciens, et d’après eux plusieurs modernes, sa manière d’exister, que ce qu’il étoit à une époque, il cesse de l’être à une autre; son organisation reste toujours la même, mais ses élémens varient à chaque instant. Les molécules nutritives, tour à tour absorbées et rejetées, passent de l’animal à la plante, de celle-ci au corps brut, reviennent à l’animal, et en ressortent ensuite.
La vie organique est accommodée à cette circulation continuelle de la matière. Un ordre de fonctions assimile à l’animal les substances qui doivent le nourrir; un autre lui enlève ces substances devenues hétérogènes à son organisation, après en avoir fait quelque temps partie.
Le premier, qui est l’ordre d’assimilation, résulte de la digestion, de la circulation, de la respiration et de la nutrition. Toute molécule étrangère au corps reçoit, avant d’en devenir l’élément, l’influence de ces quatre fonctions.
Quand elle à ensuite concouru quelque temps à former nos organes, l’absorption la leur enlève, et la transmet dans le torrent circulatoire, où elle est charriée de nouveau, et d’où elle sort par l’exhalation pulmonaire ou cutanée, et par les diverses secrétions dont les fluides sont tous rejetés au dehors.
L’absorption, la circulation, l’exhalation, la secrétion forment donc le second ordre des fonctions de la vie organique, ou l’ordre de désassimilation.
Il suit de là que le système sanguin est un système moyen, centre de la vie organique, comme le cerveau est celui de la vie animale, où circulent confondues les molécules qui doivent être assimilées, et celles qui, ayant déjà servi à l’assimilation, sont destinées à être rejetées; en sorte que le sang est composé de deux parties, l’une récrémentitielle qui vient surtout des alimens, et où la nutrition puise ses matériaux, l’autre excrémentilielle, qui est comm le débris, le résidu de tous les organes, et qui fournit aux sécrétions et aux exhalations extérieures. Cependant ces dernières, fonctions servent aussi quelquefois à transmettre au dehors les produits digestifs, sans que ces produits aient concouru à nourrir les parties. C’est ce qu’on voit dans l’urine et la sueur, à la suite des boissons copieuses. La peau et le rein sont alors organes excréteurs, non de la nutrition, mais bien de la digestion. C’est ce qu’on observe encore dans la production du lait, fluide provenant manifestement de la portion du sang qui n’a point encore été assimilée par le travail nutritif.
Il n’y a point entre les deux ordres des fonctions de la vie organique le même rapport qu’entre ceux de la vie animale; l’affoiblissement du premier n’entraîne pas la diminution du second: de là la maigreur, le marasme, états dans lesquels l’assimilation cesse en partie, la désassimilation s’exerçant au même degré.
Ces grandes différences placées entre les deux vies de l’animal, ces limites non moins marquées qui séparent les deux ordres des phénomènes dont chacune est l’assemblage, me paroissent offrir au physiologiste la seule division réelle qu’il puisse établir entre les fonctions.
Abandonnons aux autres sciences les méthodes artificielles; suivons l’enchaînement des phénomènes pour enchaîner les idées que nous nous en formons, et alors nous verrons la plupart des divisions physiologiques n’offrir que des bases incertaines à celui qui voudroit y élever l’édifice de la science.
Je ne rappellerai point ici ces divisions; la meilleure manière d’en démontrer le vide, c’est, je crois, de prouver la solidité de celle que j’adopte. Parcourons donc en détail les grandes différences qui isolent l’animal vivant au dehors, de l’animal existant au dedans, et se consumant dans une alternative d’assimilation et d’excrétion.
LA plus essentielle des différences qui distinguent les organes de la vie animale de ceux de la vie organique, c’est la symétrie des uns et l’irrégularité des autres. Quelques animaux offrent des exceptions à ce caractère, surtout pour la vie animale: tels sont, parmi les poissons, les soles, les turbots, etc. diverses espèces, parmi les animaux non vertébrés, etc., etc. mais il est exactement tracé dans l’homme, ainsi que dans les genres voisins du sien par la perfection. Ce n’est que là où je vais l’examiner; pour le saisir, l’inspection seule suffit.
Deux globes parfaitement semblables reçoivent l’impression de la lumière. Le son et les odeurs ont chacun aussi leur organe double analogue. Une membrane unique est affectée aux saveurs, mais la ligne médiane y est manifeste; chaque segment indiqué par elle est semblable à celui du côté opposé. La peau ne nous présenteras toujours des traces visibles de cette ligne, mais par-tout elle y est supposée. La nature, en oubliant pour ainsi dire de la tirer, plaça d’espace en espace des points saillans qui indiquent son trajet. Les rainures de l’extrémité du nez, du menton, du milieu des lèvres, l’ombilic, le raphé du périnée, la saillie des apophyses épineuses, l’enfoncement moyen de la partie postérieure du cou, forment principalement ces points d’indication.
Les nerfs qui transmettent l’impression reçue par les sons, tels que l’optique, l’acoustique, le lingual, l’olfactif, sont évidemment assemblés par paires symétriques.
Le cerveau, organe ou l’impression est reçue, est remarquable par sa forme régulière; ses parties paires se ressemblent de chaque côté, tels que la couche des nerfs optiques, les corps cannelés, les hippocampes, les corps frangés, etc. Les parties impaires sont toutes symétriquement divisées par la ligne médiane, dont plusieurs offrent des traces visibles, comme le corps calleux, la voûte à trois piliers, la protubérance annulaire, etc., etc.
Les nerfs qui transmettent aux agens de la locomotion et de la voix, les volitions du cerveau, les organes locomoteurs formés d’une grande partie du système musculaire, du système osseux et de ses dépendances, le larynx et ses accessoires, doubles agens de l’exécution de ces volitions, ont une régularité, une symétrie qui ne se trahissent jamais.
Telle est même la vérité du caractère que j’indique, que les muscles et les nerfs cessent de devenir réguliers, dès qu’ils n’appartiennent plus à la vie animale. Le cœur, les fibres musculaires des intestins, etc., en sont une preuve pour les muscles; pour les nerfs, le grand sympathique, par-tout destiné à la vie intérieure, présente dans la plupart de ses branches une distribution irrégulière: les plexus soléaire, mésentérique, hypogastrique, splénique, stomachique, etc., en sont un exemple.
Nous pouvons donc, je crois, conclure, d’après la plus évidente inspection, que la symétrie est le caractère essentiel des organes de la vie animale de l’homme.
Si nous passons maintenant aux viscères de la vie organique, nous verrons qu’un caractère exactement opposé leur est applicable. Dans le système digestif, l’estomac, les intestins, la rate, le foie., etc., sont tous irrégulièrement disposés.
Dans le système circulatoire, lé cœur, les gros vaisseaux, tels que la crosse de l’aorte, les veines caves, l’azygos, la veine porte, l’artère innominée, n’offrent aucune trace de symétrie. Dans les vaisseaux des membres, des variétés continuelles s’observent, et, ce qu’il y a de remarquable, c’est que dans ces variétés la disposition d’un côté n’entraîne point celle du côté opposé.
L’appareil respiratoire paroît au premier coup d’œil exactement régulier; cependant si l’on remarque que la bronche droite est différente de la gauche par sa longueur, son diamètre et-sa direction; que trois lobes composent l’un des poumons, que deux seulement forment l’autre; qu’il y a entre ces organes une inégalité manifeste de volume; que les deux divisions de l’artère pulmonaire ne se ressemblent ni par leur trajet, ni par leur diamètre; que le médiastin sur lequel tombe la ligne médiane, s’en dévie sensiblement à gauche, nous verrons que la symétrie n’étoit ici qu’apparente, et que la loi commune ne souffre point d’exception.
Les organes de l’exhalation, de l’absorption, les membranes séreuses, le canal thorachique, le grand vaisseau lymphatique droit, les absorbans secondaires de toutes les parties ont une distribution par-tout inégale et irrégulière.
Dans le système glanduleux, nous voyons les cryptes ou follicules muqueux partout disséminés sans ordre sous leurs membranes respectives. Le pancréas, le foie, les glandes salivaires même, quoiqu’au premier coup d’œil plus symétriques, ne se trouvent point exactement soumise à la ligne médiane. Les reins diffèrent l’un de l’autre par leur position, le nombre de leurs lobes dans l’enfant, la longueur et la grosseur de leur artère et de leur veine, et surtout par leurs fréquentes variétés.
Ces nombreuses considérations nous mènent évidemment à un résultat inverse du précédent; savoir, que l’attribut spécial des organes de la vie intérieure, c’est l’irrégularité de leurs formes extérieures.
Il résulte de l’aperçu qui vient d’être présenté, que la vie animale est pour ainsi dire double, que ses phénomènes, exécutés en même temps des deux côtés, forment dans chacun de ces côtés un système indépendant du système opposé, qu’il y a, si je puis m’exprimer ainsi, une vie droite et une vie gauche, que l’une peut exister, l’autre cessant son action, et que sans doute même elles sont destinées à se suppléer réciproquement.
C’est ce qui arrive dans ces affections maladives si communes, où la sensibilité et la motilité animale, affoiblies ou même entièrement anéanties dans une des moitiés symétriques du corps, ne se prêtent à aucune relation avec ce qui nous entoure; où l’homme n’est d’un côte guère plus que ce qu’est le végétal, tandis que de l’autre côté il conserve tous ses droits à l’animalité, par le sentiment et le mouvement qui lui restent. Certainement ces paralysies partielles, dans lesquelles la ligne médiane est le terme où finit, et l’origine où commence la faculté de sentir et de se mouvoir, ne doivent point s’observer avec autant de régularité dans les animaux qui, comme l’huître, ont un extérieur irrégulier.
La vie organique, au contraire, fait un système unique où tout se lie et se coordonne, où les fonctions d’un côté ne peuvent s’interrompre sans que, par une suite nécessaire, celles de l’autre ne s’éteignent. Le foie malade à gauche influe à droite sur l’état de l’estomac; si le colon d’un côté cesse d’agir, celui du côté opposé ne peut continuer son action; le même coup qui arrête la circulation dans les gros troncs veineux et la portion droite du cœur, l’anéantit aussi dans la portion gauche et les gros troncs artériels spécialement placés de ce côté , etc., d’où il suit qu’en supposant que tous les organes de la vie interne, placés d’un côté, cessent leurs fonctions, ceux du côté opposé restent nécessairement dans l’inaction, et la mort arrive alors.
Au reste, cette assertion est générale; elle ne porte que sur l’ensemble de la vie organique, et non point sur tous ses phénomènes isolés; quelques-uns, en effet, sont doubles et peuvent se suppléer, comme le rein et le poumon en offrent un exemple.
Je ne rechercherai point la cause de cette remarquable différence qui, dans l’homme et les animaux voisins de lui, distingue les organes des deux vies; j’observerai seulement qu’elle entre essentiellement dans l’ordre de leurs phénomènes, que la perfection des fonctions animales doit être liée à la symétrie généralement observée dans leurs organes respectifs, en sorte que tout ce qui troublera cette symétrie, altérera plus ou moins ces fonctions.
C’est de là sans doute que naît cette autre différence entre les organes des deux vies, savoir, que la nature se livre bien plus rarement à des écarts de conformation dans la vie animale que dans la vie organique. Grimaud s’est servi de cette observation, sans indiquer le principe auquel tient le fait qu’elle nous présente.
C’est une remarque qui n’a pu échapper à celui dont les dissections ont été un peu multipliées, que les fréquentes variations de forme, de grandeur, de position, de direction des organes internes, comme la rate, le foie, l’estomac, les reins, les organes salivaires, etc. Telles sont ces variétés dans le système vasculaire, qu’à peine deux sujets offrent-ils exactement la même disposition au scalpel de l’anatomiste. Qui ne sait que les organes de l’absorption, les glandes lymphatiques en particulier, se trouvent rarement assujettis, dans deux individus, aux mêmes proportions de nombre, de volume, etc.? Les glandes muqueuses affectent-elles jamais une position fixe et analogue?
Non-seulement chaque système, isolément examiné, est assujetti ainsi à de fréquentes aberrations, mais l’ensemble même des organes de la vie interne se trouve quelquefois dans un ordre inverse de celui qui lui est naturel. On apporta, l’an passé, dans mon amphithéâtre, un enfant qui avoit vécu plusieurs années avec un bouleversement général des viscères digestifs, circulatoires, respiratoires et secrétoires. A droite se trouvoient l’estomac, la rate, l’S du colon, la pointe du cœur, l’aorte, le poumon à deux lobes, etc. On voyoit à gauche le foie, le cœcum, la base du cœur, les veines caves, l’azygos, le poumon à trois lobes, etc.
Tous les organes placés sous la ligne médiane, tels que le médiastin, le mésentère, le duodénum, le pancréas, la division des bronches, affectoient aussi un ordre renversé. Plusieurs auteurs ont parlé de ces déplacemens de viscères, dont je ne connois pas cependant d’exemple aussi complet.
Jetons maintenant les yeux sur lés organes de la vie animale, sur les sens, les nerfs, le cerveau, les muscles volontaires, le larynx; tout y est exact, précis, rigoureusement déterminé dans la forme, la grandeur et la position. On n’y voit presque jamais de variétés de conformation; s’il en existe, les fonctions sont troublées, anéanties; tandis qu’elles restent les mêmes dans la vie organique, au milieu des altérations diverses des parties.
Cette différence entre les organes de deux vies tient évidemment à la symétrie des uns, que le moindre changement de conformation eût troublée, et à l’irrégularité des autres, avec laquelle s’allient très-bien ces divers changemens.
Le jeu de chaque organe est immédiatement lié, dans la vie animale, à sa ressemblance avec celui du côté opposé, s’il est double, ou à l’uniformité de conformation de ses deux moitiés symétriques, s’il est simple. D’après cela on conçoit l’influencé des changemens organiques sur le dérangement des fonctions.
Mais ceci deviendra plus sensible, quand j’aurai indiqué les rapports qui existent entre la symétrie ou l’irrégularité des organes, et l’harmonie ou la discordance des fonctions.
L’harmonie est aux fonctions des organes, ce que la symétrie est à leur conformation; elle suppose une égalité parfaite de force et d’action, comme la symétrie indique une exacte analogie dans les formes extérieures et la structure interne. Elle est une conséquence de la symétrie; car deux parties essentiellement semblables par leur structure, ne sauroient être différentes par leur manière d’agir. Ce simple raisonnement nous mèneroit donc à cette donnée générale, savoir, que l’harmonie est le caractère des fonctions extérieures, que la discordance est au contraire l’attribut des fonctions organiques; mais il est nécessaire de se livrer sur ce point à de plus amples détails.
Nous avons vu que la vie extérieure résultoit des actions successives des sens, des nerfs, du cerveau, des organes locomoteurs et vocaux. Considérons l’harmonie d’action dans chacune de ces grandes divisions.
La précision de nos sensations paroît être d’autant plus parfaite, qu’il existe entre les deux impressions dont chacune est l’assemblage, une plus exacte ressemblance. Nous voyons mal, quand l’un des yeux, mieux constitué, plus fort que l’autre, est plus vivement affecté, et transmet au cerveau une plus forte image. C’est pour éviter cette confusion, qu’un oeil se ferme quand l’action de l’autre est artificiellement augmentée par un verre convexe: ce verre rompt l’harmonie des deux organes; nous n’usons que d’un seul, pour qu’ils ne soient pas discordans. Ce qu’une lunette produit artificiellement, le strabisme nous l’offre dans l’état naturel. Nous louchons, dit Buffon, parce que nous détournons l’œil le plus foible de l’objet sur lequel le plus fort est fixé, pour éviter la confusion qui naîtroit dans la perception de deux images inégales.
Je sais que beaucoup d’autres causes concourent à produire cette affection, mais la réalité de celle-ci ne peut être mise en doute. Je sais aussi que chaque oeil peut isolément agir dans divers animaux; que deux images diverses sont transmises en même temps par les deux yeux de certaines espèces; mais cela n’empêche pas que lorsque ces organes réunissent leur action sur le même objet, les deux impressions qu’ils transmettent au cerveau ne doivent être analogues. Un jugement unique en est en effet le résultat: or, comment ce jugement pourra-t-il être porté avec exactitude, si le même corps se présente en même temps, et avec des couleurs vives, et avec un foible coloris, suivant qu’il se peint sur l’une ou l’autre rétine?
Ce que nous disons de l’œil s’applique exactement à l’oreille. Si dans les deux sensations qui composent l’ouïe, l’une est reçue par un organe plus fort, mieux développé, elle y laissera un impression plus claire, plus distincte; le cerveau, différemment affecté par chacune, ne sera le siége que d’une perception imparfaite. C’est ce qui constitue l’oreille fausse. Pourquoi tel homme est-il péniblement affecté d’une dissonance, tandis que tel autre ne s’en aperçoit pas? C’est que chez l’un, les deux perceptions du même son se confondant dans une seule, celle-ci est précise, rigoureuse, et distingue le moindre défaut du chant, tandis que chez l’autre, les deux oreilles offrant des sensations diverses, la perception est habituellement confuse, et ne peut apprécier le défaut d’harmonie des sons. C’est par la même raison que vous voyez tel homme coordonner toujours l’enchaînement de sa danse à la succession des mesures, tel autre au contraire allier constamment aux accords de l’orchestre la discordance de ses pas.
Buffon a borné à l’œil et à l’ouïe ses considérations sur l’harmonie d’action; poursuivons-en l’examen dans la vie animale.
Il faut dans l’odorat, comme dans les autres sens, distinguer deux impressions, l’une primitive qui appartient à l’organe; l’autre consécutive qui affecte le sensorium: celle-ci peut varier, la première restant la même. Telle odeur fait fuir certaines personnes du lieu où elle en attire d’autres; ce n’est pas que l’affection de la pituitaire soit différente, mais c’est que l’ame attache des sentimens divers à une impression identique, en sorte qu’ici la variété des résultats n’en suppose point dans leur principe.
Mais quelquefois l’impression née sur la pituitaire diffère réellement de ce qu’elle doit être pour la perfection de la sensation. Deux chiens poursuivent le même gibier; l’un n’en perd jamais la trace, fait les mêmes détours et les mêmes circuits; l’autre le suit aussi, mais s’arrête souvent, perd le pied, comme on le dit, hésite et cherche pour le retrouver, court et s’arrête encore. Le premier de ces deux chiens reçoit une vive impression des émanations odorantes; elles n’affectent que confusément l’organe du second. Or, cette confusion ne tient-elle point à l’inégalité d’action des deux narines, à la supériorité d’organisation de l’une, à la foiblesse de l’autre? les observations suivantes paroissent le prouver.
Dans le coryza qui n’affecte qu’une narine, si toutes deux restent ouvertes, l’odorat est confus; fermez celle du côté malade, il deviendra distinct. Un polypedéveloppé d’un côté, affoiblit l’action de la pituitaire correspondante, celle de l’autre restant la même; de là, comme dans le cas précédent, défaut d’harmonie entre les deux organes, et par-là même, confusion dans la perception des odeurs. La plupart des affections d’une narine isolée ont des résultats analogues et qui peuvent être momentanément corrigés par le moyen que je viens d’indiquer; pourquoi? parce qu’en rendant inactive une des pituitaires, on fait cesser sa discordance d’action avec l’autre.
Concluons de ceci que, puisque toute cause accidentelle, qui rompt l’harmonie de fonctions des organes, rend confuse la perception des odeurs, il est probable que quand cette perception est naturellement inexacte, il y a dans les narines une inégalité naturelle de conformation, et par-là même de force.
Disons du goût ce que nous avons dit de l’odorat: souvent l’un des côtés de la langue est seul affecté de paralysie, de spasme. La ligne médiane sépare quelquefois une portion insensible de l’autre qui conserve encore toute sa sensibilité. Pourquoi ce qui arrive en plus n’arriveroit-il pas en moins? pourquoi l’un des côtés, en conservant la faculté de percevoir les saveurs, n’en jouiroit-il pas à un moindre degré que l’autre? Or, dans ce cas, il est facile de concevoir que le goût sera irrégulier et confus, parce qu’une perception précise ne sauroit succéder à deux sensations inégales et qui ont le même objet. Qui ne sait que dans certains corps où quelques-uns ne trouvent que d’obscures saveurs, les autres rencontrent mille causes subtiles de sensations pénibles ou agréables?
La perfection du toucher est, comme celle des autres sens, essentiellement liée à l’uniformité d’action des deux moitiés symétriques du corps, des deux mains en particulier. Supposons un aveugle naissant avec une main régulièrement organisée, tandis que l’autre, privée des mouvemens d’opposition du pouce, et de flexion des doigts, formeroit une surface roide et immobile; cet aveugle-là n’acquerroit que difficilement les notions de grandeur, de figure, de direction, etc., parce qu’une même sensation ne naîtra pas de l’application successive des deux mains sur le même corps. Que toutes deux touchent une petite sphère, par exemple; l’une, en l’embrassant exactement par l’extrémité de tous ses diamètres, fera naître l’idée de rondeur; l’autre, qui ne sera en contact avec elle que par quelques points, donnera une sensation toute différente. Incertain entre ces deux bases de son jugement, l’aveugle ne saura que difficilement le porter; il pourra même faire correspondre à cette double sensation un jugement double par la forme extérieure du même corps. Ses idées seroient plus précises s’il condamnoit l’une de ses mains à l’inaction, comme celui qui louche détourne de l’objet l’œil le plus foible, pour éviter la confusion, inévitable effet de la diversité des deux sensations. Les mains se suppléent donc réciproquement; l’une confirme les notions que l’autre nous donne: de là l’uniformité nécessaire de leur conformation.
Les mains ne sont pas les agens uniques du toucher; les plis de l’avant-bras, de l’aisselle, de l’aine, la concavité du pied, etc., peuvent, en embrassant les corps, nous fournir aussi des bases réelles, quoique moins parfaites, de nos jugemens sur les formes extérieures. Or, supposons l’une des moitiés du corps tout différemment disposée que l’autre, là même incertitude dans la perception en sera le résultat.
Concluons de tout ce qui vient d’être dit, que dans tout l’appareil du système sensitif extérieur, l’harmonie d’action des deux organes symétriques, ou des deux moitiés semblables du même organe, est une condition esséntielle à la perfection des sensations.
Les sens externes sont les excitans naturels du cerveau, dont les fonctions dans la vie animale succèdent constamment aux leurs, et qui languiroient dans une inaction constante, s’il ne trouvoit en eux le principe de son activité. Des sensations dérivent immédiatement la perception, la mémoire, l’imagination, et par-là même le jugement: or il est facile de prouver que ces diverses fonctions, communément désignées sous le nom de sens internes, suivent dans leur exercice la même loi que les sens externes, et que, comme ceux-ci, elles sont d’autant plus voisines de la perfection, qu’il y a plus d’harmonie entre les deux portions symétriques de l’organe où elles ont leur siège.
Supposons en effet l’un des hémisphères plus fortement organisé que l’autre, mieux développé dans tous ses points, susceptible par-là d’être plus vivement affecté, je dis qu’alors la perception sera confuse, car le cerveau est à l’ame ce que les sens sont au cerveau; il transmet à l’ame l’ébranlement venu des sens, comme ceux-ci lui envoient les impressions que font sur eux les corps environnans. Or, si le défaut d’harmonie dans le système sensitif extérieur trouble la perception du cerveau, pourquoi l’ame ne percevroit-elle pas confusément, lorsque les deux hémisphères inégaux en force ne confondent pas à une seule, la double impression qu’ils reçoivent?
Dans la mémoire, faculté de reproduire d’anciennes sensations, dans l’imagination, faculté d’en créer de nouvèlles, chaque hémisphère paroît en reproduire ou en créer une. Si toutes deux ne sont parfaitement semblables, la perception de l’ame qui doit les réunir, sera inexacte et irrégulière. Or il y aura inégalité dans les deux sensations, s’il en existe dans les deux hémisphères où elles ont leur siège.
La perception, la mémoire et l’imagination sont les bases ordinaires du jugement. Si les unes sont confuses, comment l’autre pourra-t-il être distinct?
Nous venons de supposer l’inégalité d’action des hémisphères, de prouver que le défaut de précision dans les fonctions intellectuelles doit en être le résultat; mais ce qui n’est encore que supposition devient réalité dans une foule de cas. Quoi de plus commun que de voir coïncider avec la compression de l’hémisphère d’un côté par le sang, le pus épanché, un os déprimé, une exostose développée à la face interne du crâne, etc., de nombreuses altérations dans la mémoire, la perception, l’imagination, le jugement?
Lors même que tout signe de compression actuelle a disparu, si, par l’influence de celle qu’il a éprouvée, l’un des côtés du cerveau reste plus foible, ces altérations ne se prolongent-elles pas? diverses aliénations n’en sont-elles pas les funestes suites? Si les deux côtés restoient également affectés, le jugement seroit plus foible, mais il seroit plus exact. N’est-ce pas ainsi qu’il faut expliquer plusieurs observations souvent citées, où un coup porté sur une des régions latérales de la tête, a rétabli les fonctions intellectuelles troublées depuis long-temps à la suite d’un autre coup reçu sur la région opposée?
Je crois avoir établi qu’en supposant l’inégalité d’action des hémisphères, les fonctions intellectuelles doivent être troublées. J’ai indiqué ensuite divers cas maladifs où ce trouble est le résultat évident de cette inégalité. Nous voyons ici l’effet et la cause; mais là où le premier sens est apparent, l’analogie ne nous indique-t-elle pas la seconde? Quand habituellement le jugement est inexact, que toutes les idées manquent de précision, ne sommes-nous pas conduits à croire qu’il y a défaut d’harmonie entre les deux côtés du cerveau? Nous voyons de travers, si la nature n’a mis de l’accord dans la force des deux yeux. Nous percevons et nous jugeons de même, si les hémisphères sont naturellement discordans: l’esprit le plus juste, le jugement le plus sain, supposent en eux l’harmonie la plus complète. Que de nuances dans les opérations de l’entendement! ces nuances ne correspondent-elles point à autant de variétés dans le rapport de forces des deux moitiés du cerveau? Si nous pouvions loucher de cet organe comme des yeux, c’est-à-dire ne recevoir qu’avec un seul hémisphère les impressions externes, n’employer qu’un seul côté du cerveau à prendre des déterminations, à juger, nous serions maîtres alors de la justesse de nos opérations intellectuelles; mais une semblable faculté n’existe point.
Poursuivons l’examen de l’harmonie d’action dans le système de la vie animale. Aux fonctions du cerveau succèdent la locomotion et la voix; la première semble, au premier coup d’œil, faire exception à la loi générale de l’harmonie d’action. Considérez en effet les deux moitiés verticales du corps, vous verrez l’une constamment supérieure à l’autre, par l’étendue, le nombre, la facilité des mouvemens qu’elle exécute. C’est, comme on le sait, la portion droite qui l’emporte communément sur la gauche.
Pour comprendre la raison de cette différence, distinguons dans toute espèce de mouvement la force et l’agilité. La force tient à la perfection d’organisation, à l’énergie de nutrition, à la plénitude de vie de chaque muscle; l’agilité est le résultat de l’habitude et du fréquent exercice.
Remarquons maintenant que la discordance des organes locomoteurs porte, non sur la force, mais sur l’agilité des mouvemens. Tout est égal dans le volume, le nombre de fibres, les nerfs de l’un et l’autre des membres supérieurs ou inférieurs; la différence de leur système vasculaire est presque nulle. Il suit de là que cette discordance n’est pas, ou presque pas, dans la nature; elle est la suite manifeste de nos habitudes sociales, qui, en multipliant les mouvemens d’un côté, augmentent leur adresse, sans trop ajouter à leur force.
Tels sont en effet les besoins de la société, qu’ils nécessitent un certain nombre de mouvemens généraux qui doivent être exécutés par tous dans la même direction, afin de pouvoir s’entendre. On est convenu que cette direction seroit celle de gauche à droite. Les lettres qui composent l’écriture de la plupart des peuples, sont dirigées dans ce sens. Cette circonstance entraîne la nécessité d’employer, pour former ces lettres, la main droite, qui est mieux adaptée que la gauche à ce mode d’écriture, comme celle-ci conviendroit infiniment mieux au mode opposé, ainsi qu’il est facile de s’en convaincre par le moindre essai.
La direction des lettres de gauche à droite impose la loi de les parcourir des yeux de la même manière. De l’habitude de lire ainsi, naît celle d’examiner la plupart des objets suivant le même sens.
La nécessité de l’ensemble dans les combats a déterminé à employer généralement la main droite pour saisir les armes; l’harmonie qui dirige la danse des peuples les plus sauvages, exige dans les jambes un accord qu’ils conservent en faisant toujours porter sur la droite leurs mouvemens principaux. Je pourrois ajouter à ces divers exemples une foule d’autres analogues,
Ces mouvemens généraux, convenus de tous dans l’ordre social, qui romproient l’harmonie d’une foule d’actes, si tout le monde ne les exécutoit pas dans le même sens, ces mouvemens nous entraînent inévitablement, par l’influence de l’habitude, à employer pour nos mouvemens particuliers, les membres qu’ils mettent en action. Or, ces membres étant ceux placés à droite, il résulte que les membres de ce côté sont toujours en activité, soit pour les besoins relatifs aux mouvemens que nous coordonnons avec ceux des autres individus, soit pour les besoins qui nous sont personnels.
Comme l’habitude d’agir perfectionne l’action, on conçoit la cause de l’excès d’agilité du membre droit sur le gauche. Cet excès n’est presque pas primitif; l’usage l’amène d’une manière insensible.
Cette remarquable différence dans les deux moitiés symétriques du corps n’est donc point, dans la nature, une exception de la loi générale de l’harmonie d’action des fonctions externes. Cela est si vrai, que l’ensemble des mouvemens exécutés avec tous nos membres, est d’autant plus précis qu’il y a moins de différence dans l’agilité des muscles gauches et droits. Pourquoi certains animaux franchissent-ils avec tant d’adresse des rochers où la moindre déviation les entraîneroit dans l’abîme, courent-ils avec une admirable précision, sur des plans à peine égaux en largeur à l’extrémité de leurs membres? Pourquoi la marche de ceux qui sont les plus lourds, n’est-elle jamais accompagnée de ces faux pas si communs dans la progression de l’homme? C’est que chez eux la différence étant presque nulle entre les organes locomoteurs de l’un et l’autre côtés, ces organes sont en harmonie constante d’action.
L’homme le plus adroit dans ses mouvemens de totalité, est celui qui l’est le moins dans les mouvemens isolés du membre droit: car, comme je le prouverai ailleurs, la perfection d’une partie ne s’acquiert jamais qu’aux dépens de celle de toutes les autres. L’enfant qu’on élèveroit à faire un emploi égal de ses quatre membres, auroit dans ses mouvemens généraux une précision qu’il acquerroit difficilement pour les mouvemens particuliers de la main droite, comme pour ceux qu’exigent l’écriture, l’escrime, etc.
Je crois bien que quelques circonstances naturelles ont influé sur le choix de la direction des mouvemens généraux qu’exigent les habitudes sociales: tels sont le léger excès de diamètre de la souclavière droite, le sentiment de lassitude qui accompagne la digestion, et qui, plus sensible à gauche à cause de l’estomac, nous détermine à agir pendant ce temps du côté opposé ; tel est l’instinct naturel qui, dans les affections vives, nous fait porter la main sur le cœur, où la droite se dirige bien plus facilement que la gauche. Mais ces causes sont presque nulles, comparées à la disproportion des mouvemens des deux moitiés symétriques du corps, et sous ce rapport il est toujours vrai de dire que leur discordance est un effet social, et que la nature les a primitivement destinées à l’harmonie d’action.
La voix est, avec la locomotion, le dernier acte de la vie animale, dans l’enchaînement naturel de ses fonctions. Or, la plupart des physiologistes, Haller en particulier, ont indiqué, comme cause de son défaut d’harmonie, la discordance des deux moitiés symétriques du larynx, l’inégalité de force dans les muscles qui meuvent les aryténoïdes, d’action dans les nerfs qui vont de chaque côté à cet organe, de réflexion des sons dans l’une et l’autre narines, dans les sinus droits et gauches. Sans doute la voix fausse dépend souvent de l’oreille: quand nous entendons faux, nous chantons de même; mais quand la justesse de l’ouïe coïncide avec le défaut de précision des sons, la cause en est certainement dans le larynx.