Recueil de tracts - Claustrophile . - E-Book

Recueil de tracts E-Book

Claustrophile .

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Beschreibung

Hé ! Quelqu’un a laissé un papier par terre ! 

C’est un tract, me répondit mon guide, qui m’emmenait pour la première fois dans les « catacombes » de Paris. 

Je découvris une feuille de papier ramollie par l’humidité ambiante, comportant un dessin. D’autres comportaient des histoires, chacun dessinait ou écrivait ce qu’il voulait, sans norme ni contrainte. C’était cela, un tract. 

Je m’y suis mis aussi, découvrant le plaisir de se laisser aller à écrire ce qui me passait par la tête. 

C’était ma première descente. La première d’une longue série d’explorations d’anciennes carrières souterraines, à Paris, en banlieue, en province. 

Calcaire, gypse, craie : chaque roche offre des sensations différentes, de l’ambiance chaleureuse au sentiment d’être en harmonie avec le monde minéral. Chaque cataphile vit les carrières à sa façon : l’exploration, les copains, la fête, l’exutoire, la fuite, le jardin secret… 

 Mais nous finissons un jour ou l’autre par y faire une rencontre inattendue qui, simultanément, confirme et remet en cause ce que nous connaissions déjà. Car, tout au bout d’une galerie, assis au creux de la roche dans une obscurité totale et un silence parfait quasi inexistants en surface, nous nous rendons compte que c’est aussi nous-même que nous sommes venus chercher. 

Claustrophile est l’auteur d’environ 150 tracts dont le plus important a conduit à la publication du roman « la fille des carrières ». Les autres sont restés des tracts diffusés dans le milieu cataphile. Le présent recueil est une sélection de 69 d’entre eux, les plus représentatifs. La fille de Novembre, Charlotte, Unlimited girl, Volute, Mélanie, Alicia, Léa, Margaux et bien d’autres vous guideront dans un voyage onirique teinté d’émotions que ces lieux magiques arrivent à créer si intensément.

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Claustrophile

Recueil de tracts

69 histoires cataphiles

Introduction

Commençons par quelques explications à l’attention des lecteurs non cataphiles : le décor est celui des anciennes carrières souterraines, appelées à tort « catacombes », appellation qui ne sied qu’à quelques ossuaires de Paris ou banlieue. Un « tract » est un dessin, une histoire, un message… déposé par les visiteurs (clandestins) des carrières, appelés « cataphiles ». Ces carrières datent du douzième au début du vingtième siècle, leur consolidation essentiellement sous Paris a débuté au 18ème siècle avec la création de l’Inspection (Générale) des Carrières. Sous Paris les rues sont indiquées mais ont fréquemment été renommées en surface. Nous nous trouvons en général à une vingtaine de mètres de profondeur, sous le métro et les galeries techniques. Les cataphiles sont d’horizons tous différents, majoritairement jeunes, et descendent pour des motivations très variées. Les gens qui découvrent les lieux pour la première fois sont appelés « touristes ».

Je dois avouer que c’est un loisir qui ne ressemble à aucun autre, et qu’on se laisse rapidement prendre au jeu à la fois des carrières et de la communauté cataphile. Un fait révélateur est que rien d’autre ne m’a jamais donné envie d’écrire de la sorte.

Parmi les lieux cités qui pourraient être utile de préciser au lecteur non initié, citons quelques noms de salles : la plage, le cellier, Byzance, les huitres…, la tombe de Philibert, visiteur mort en se perdant en carrière en 1793, le cabinet minéralogique (salle comportant un escalier en son centre), le carrefour de l’octogone sous le cimetière Montparnasse, le réservoir Montsouris (quadrillage de galeries maçonnées soutenant le réservoir d’eau potable),etc.

Je m’adresse maintenant aux catafilles et cataphiles pour dédicacer ce recueil à tous ceux qui m’ont accompagné ou que j’ai simplement rencontrés lors de ces multiples descentes, de 1989 à 2004 (dans un ordre aléatoire) : A Papy, Méator L., Ouessant, Caton, Foxy, Bleiz Gwen, Misstral, Gizmo, Hastur, Vaness, Zoé-Linh, Bac, Valérie, Danièle, Baby-Doll, La Gargouille, Passe-Muraille, TNT, Spider, Tara, Tin, Juju, Antiox, ADN, Nocturne, Neutre, Frankie, Cytee, Océane, Méri, Manou, Mithra, Cyclope, Gandalf, Watoo, Astre, Frag, Crapulax, Zubrowska, Bunny, Méga-Gude, Médarny, Arcane, K-mar, Vanessa, Oural, Boxit, Fulminate, Arzac, Aragane, Bacchus, Angela, Sergent, Darkman, Capitaine Caverne, Francis C., Gilles T., Féanör, Gus, Bloodie, La Puce, H.P.M., Tracer, l’Apprenti-Surfer, Cheyenne, Catastrophe, Succube, ELRIC, Ethanol, les Orques, les Catamen’s Connection, Davy Crockett, R.V.B., Zeytoon, Trogloxène, Dood, Spéléonaute, Scrounch, Dracula, Joey, Gothik, Zara, Horus, KZimir, Cécile, Dr. Calma, Menestrel, Ethanol, Moïse, CGE, Strof, Chill, Marianne, Docker & son père, Indiana, Virgile, Centaure, Le Chat, La Souris, Le Rat, la Mouette, l’araignée noire, Sida, Giraud, La Grenouille, Sonar, Hips, Nathalie (CGE), Anne-Sophies 1 et 2, Cécile B., Géraldine, Karine P., Cochise, Missty, Shadow, Flo, Gégé, Shurman, Juju le cuistot, Libby, Styx, Numa Pompilus, Marcus, Photon, Dimitri Mouton, Linh, et toutes celles et ceux que j’aurais pu malencontreusement oublier. Je n’oublie pas non plus le Commandant Saratte qui n’a jamais réussi à m’attraper même après une longue course-poursuite sous le Val-de-Grâce (1990).

Je suis descendu, emmené par un ami (Papy), le 18 décembre 1989. La suite vous laissera deviner que j’ai adoré. J’ai été happé, aspiré, attiré toujours plus dans ces carrières jusqu’à devenir cataphile, penser cataphile, vivre Paris en tant que cataphile davantage qu’en tant que Parisien. L’idée d’écrire ? Mon guide avait trouvé des « tracts », me les a donnés, m’a expliqué qu’on y écrivait ou dessinait ce qu’on voulait. Une autoroute de liberté créative.

Au printemps 1990 j’écrivais mes premiers tracts, ils ne figurent pas ici, comme nombre d’autres tracts, la majorité. L’auto-censure me paraissait logique, pour plusieurs raisons : sortis du contexte, certains seraient incompréhensibles car se référant à des événements bien précis. D’autres me paraissent inintéressants et ne me semblaient pas avoir leur place dans ce recueil. Finalement, que reste-t-il ? Ceux qui sont présentés ci-après ont tous une chose importante en commun : ils ont été écrits dans des moments d’inspiration, spontanément, intuitivement. Ils sont classés par thématique et non par ordre chronologique.

Aujourd’hui je ne descends plus depuis longtemps, mais j’écris toujours. Nombre de tracts ont été écrits dans le cadre de délires - généralement provocateurs - pour le « CHAOS », qui s’est chargé de leur distribution souterraine. Alors comme je ne puis poser mes tracts en sous-sol comme autrefois, j’ai décidé d’écrire ce recueil. Les anciens cataphiles y retrouveront des tracts, à l’exception d’une petite vingtaine d’inédits, qui figurent dans leurs collections, les nouveaux les découvriront. Chaque tract est accompagné d’une référence faisant le lien avec une explication, une anecdote. Situées en fin de recueil, ces notes se trouvent suffisamment loin des tracts afin de ne pas forcer le lecteur à lire une explication pour chaque texte et rompre ainsi le rythme de la lecture.

Catégorie « Fantastique »

On réalise facilement que les lieux se prêtent à l’imagination, sans entrave du fait qu’étant à la fois souterrains, hors des lieux communs et hors du temps, le thème semble sans limites. En particulier, de nombreuses descentes en solitaire, dans des carrières non fréquentées, m’ont laissé aller à penser que même si des phénomènes fantastiques se produisaient, en l’absence de toute autre personne la réalité ne saurait être contrainte par une conformité à un domaine de perception « normal ». Ainsi, aucun tract ne m’a été inspiré au sein même des carrières, mais après une descente, celle-ci conduisant à un plein d’émotion qui, une fois digérée, se terminait fréquemment sur le papier. Un point important cependant : on parle ici de carrières souterraines, pas de grottes naturelles. Tout le vide a été excavé par des hommes et non par l’eau. Je dirais qu’on le voit, par les contraintes géométriques et structurelles des galeries, car elles répondent au double objectif de produire de la pierre de taille (ou de la pierre à plâtre), mais également de résister à la pression du ciel de carrière. On le voit, donc, mais je trouve qu’on le ressent aussi. Malgré la beauté des réseaux karstiques naturels, les émotions ressenties dans les carrières sont sans commune mesure. Quelle énergie les ouvriers y ont-ils laissée ?

Le troisième sous-sol...

Ce soir-là, je descendais seul. Je désirais faire une bonne action, à savoir un peu de détaggage au deuxième sous-sol de Montparnasse.

Ce soir-là, j’avais envie d’être seul. De faire une descente lors de laquelle je me contenterais de saluer les gens, sans rester à parler avec eux. J’avais envie que mes pas soient les seuls à rompre le silence, que ma lampe soit la seule à entacher l’obscurité qui m’engloutirait, ce soir-là, une fois deplus.

Je fis d’abord une petite pause au bureau du centre. Je cherche dans les crânes, les fissures, sous les pierres, en vain : pas un tract. Je reprends mon chemin jusqu’à l’escalier de la petite avenue du Midi. Le silence est pesant et la solitude est totale. Je descends l’escalier, et commence à arpenter le deuxième sous-sol, avant de passer au nettoyage.

Je m’abandonne à la beauté du site, et laisse dériver mes pensées. Un désir me gagne : celui de me sentir au bout du monde, dans les méandres d’un lieu vierge et sans points de repère, dans l’infinie continuité d’une paroi de roche claire à laquelle je rendrai bientôt sa blancheur originelle.

Je suis seul. Je suis seul et je marche. Et j’observe : derrière moi, le noir que je fuis ; devant moi, le noir qui m’absorbe. Et 27 mètres plus haut, la surface. La surface avec la ville. La ville qui me porte le jour, et qui ne sait pas que ce soir j’erre seul, sous la roche.

Et je marche toujours, ne prêtant pas attention aux carrefours. Ma boussole et mon plan sont dans mon sac, je ne les sortirai pas. Ce soir, je m’offre au vide, j’abandonne mes repères.

J’éteins ma lampe et je goûte à l’obscurité totale. Et je marche toujours, à tâtons. Tant et si bien que je trébuche sur une pierre. Je me suis cogné le bras : je rallume ma lampe, et regarde ma montre pour voir si elle n’a rien ; elle m’indique 22h30, et les deux points clignotent toujours : elle n’arien.

Le sol est en pente, une pente douce mais qui descend, inexorablement.

Et je marche encore, vers un lieu inconnu. La galerie descend toujours, en pente douce. Mes pas s’accélèrent, pressés par la dénivellation. Je les entends qui résonnent, et du fond du vide retentissent des bruits qui n’existent pas. Des bruits de pas qui sont les miens et qui se tairont lorsque je m’arrêterai. Mais pour l’instant, je marche toujours. Et je m’enfonce dans les profondeurs. Ma marche prend une allure de course. Je cours après le noir qui se dérobe à la lueur de ma lampe. Et le noir se dérobe toujours plus vite que moi. Mais derrière moi, il me rattrape. Alors je cours plus vite encore. Je m’arrête : qui se douterait qu’à cette heure-ci, quelqu’un s’amuse à courir, seul dans les carrières ?

Personne. Personne ne sait. Et personne ne voit, en ce moment, ce couloir. J’observe. Le couloir est horizontal. La pente est derrière moi, peut-être loin derrière moi. J’ai oublié quand elle s’arrêtait. Ou peut-être ne m’en suis-je pas aperçu. Alors je marche, doucement cette fois. Mais devant moi, le couloir s’arrête : il y a une grande salle. Je l’éclaire, mais elle est immense. Je ne peux pas décrire sa forme. Elle possède autant de côtés qu’il y a de couloirs qui s’en échappent. Un octogone, un dodécagone ? Tiens, je vais compter les côtés, pour voir : je prends un point de repère à la sortie du couloir dont je viens : un chiffre 3, gravé au-dessus de la voûte. Je pars vers la gauche, et je compte les couloirs.

Je ne connaissais pas cette salle : personne ne m’en a encore parlé, et je ne l’ai jamais vue sur le Giraud. Je marche, et je compte toujours. A un moment, je lève les yeux : sur une voûte est inscrit le chiffre 3. J’en étais au quatorzième couloir : une salle à quatorze côtés, cela a de quoi surprendre. Alors je recompte, en regardant à chaque fois les voûtes. Mais, ô stupeur ! Chaque voûte porte le chiffre 3. Et les couloirs sont tous identiques : par où suis-je arrivé ?

Je regarde le centre de la salle : un gros pilier rond, en pierres de taille. Je le contourne : il y a une ouverture dans le pilier : il est creux ! Je rentre dans le pilier : il s’agit en fait d’un escalier en spirale. Je monte : je trouve un couloir, mais l’escalier monte toujours. Plus haut, un deuxième couloir. Et au sommet de l’escalier, une porte : une porte sans âge, une simple porte métallique qui ferme l’escalier. J’écoute : de l’autre côté, il n’y a pas de bruits de voiture, mais simplement le souffle du vent. Qu’y a-t-il de l’autre côté ? Je pousse timidement la porte : elle bouge ; une porte ouverte, ce serait bien la seule ! L’autre côté est obscur, donc discret. Je sors, mais je ne vois rien : j’éclaire, mais la lueur de ma lampe n’éclaire rien. Il y a un grand vide. Tout autour, un terrain immense, uniformément plat. Il souffle un vent tiède. Il fait nuit noire, pas une lueur : je suis pourtant dans Paris ! Mais je ne vois aucune lumière à l’horizon. Pas d’étoiles, pas de lune : les nuages sont très denses et très bas. La ville existe, pourtant, j’y étais tout à l’heure ! Mais quand, au fait ? Je regarde ma montre : 22h30 : l’heure à laquelle j’ai trébuché sur la pierre : le temps s’est-il arrêté depuis ?

J’éclaire ; mais j’ai beau éclairer, je n’aperçois aucun objet qui puisse me servir de point de repère. Ma lampe éclaire insuffisamment et tout ce qu’elle peut me dévoiler est une alternance de bandes claires et de bandes sombres sur le sol.

Tout à coup le vent chasse les nuages. La lune apparaît, une pleine lune jaune pâle qui éclaire l’immensité. Je vois à présent autour de moi. Les bandes blanches sont sableuses ; elles forment sur le fond noir un genre de quadrillage infini, décrivant des cases de plusieurs dizaines de mètres de côté. Et au centre de chaque case, une porte fermée : mais une porte, debout sur le sol, sans rien autour : des portes inutiles. J’entends un claquement brutal derrière moi. Je me retourne : la porte est fermée : elle est toujours là, mais il n’y a plus rien autour : comment vais-je redescendre ?

Mes yeux s’habituent à la nuit : je commence à voir au loin. Un paysage étrange apparaît : des blocs de pierre épars, qui contrastent avec la régularité du quadrillage. Et quelques buissons déracinés, quelques feuilles mortes qui volent au gré du vent. Plus loin, des collines. J’en gravis une : du haut de la colline, on semble voir infiniment loin : mais l’horizon est le même de tous les côtés : une succession de collines et de blocs de pierres. A certains endroits, le sol est fissuré. A d’autres, on aperçoit des trous circulaires ayant la forme d’un fontis renversé. Et, disséminés dans l’immensité, des piliers à bras … qui ne soutiennentrien.

Je m’assieds et je contemple l’espace : il ressemble à un océan immobile, figé par le temps qui se serait arrêté. Le sable des bandes blanches s’envole au gré des rafales de vent tiède, tourbillonnant dans l’air moite. De tous côtés, l’étendue déserte n’exprime qu’abandon et désolation. Je reste là plusieurs heures, à contempler le morne paysage. Je m’aperçois que la lune a décliné, et que sa couleur jaune s’est accentuée : elle est orange, à présent, presque rougeoyante. Et elle semble se coucher. Apparaissent en ombre chinoise d’autres buissons sur les collines. Et même un arbre. Un vieil arbre mort, aux branches rompues et au tronc dénudé. Et sur cet arbre, une ultime trace de vie : des chauves-souris. D’énormes chauves-souris, qui se posent sur les branches, affrontant le vent. Elles ne prêtent pas attention à moi : il me semble que je ne fais même pas partie du décor, qu’il soit impossible qu’une présence humaine puisse exister en des lieux si reculés. Et, contrastant avec cet univers fantasmagorique, les portes. Posées là comme des passages vers l’autre monde : peut-on passer dans les deux sens ?

Le grand disque orangé de la lune est à présent découpé par les anfractuosités de l’horizon : la lune se couche, et la plaine infinie s’évanouit dans les ténèbres. Alors je m’enfuis : je retourne à une porte, et la pousse : derrière la porte se trouve un escalier, en spirale. Je descends.

Et je trouve un couloir, et plus bas un deuxième, puis tout en bas je retrouve la salle : est-ce la même ? Il s’agit d’un troisième sous-sol : mais qu’il y a-t-il au deuxième sous-sol ? Je remonte d’un étage, pour voir. Je marche en quête d’un lieu que je pourrais reconnaître ; je marche, je croise quelques carrefours, et soudain, un escalier qui monte. Et en haut de l’escalier, un long couloir. Je parcours ce couloir, jusqu’à trouver une plaque : Avenue du Nord. Je sors mon plan, afin de marquer l’emplacement du troisième sous-sol, pour revenir le prendre en photo. Je reprends le chemin en sens inverse : je retourne au deuxième sous-sol, et je cherche l’escalier en spirale. Mais tout est conforme au Giraud : pas d’escalier, pas de troisième sous-sol. J’ai beau chercher, en vain. Peut-être Misstral pourra m’aider : sait-elle ce qui se trouve au Sud de Nulle Part ?

Nos ancêtres les cataphiles

Nous nous levons, transis, comme chaque matin depuis huit mois. Nous sommes arrivés au bout de notre immense stock de boites de conserves, fruits secs et féculents divers. Notre stock de cartouches de charbon pour filtrer l’eau est presque terminé lui aussi ainsi que nos huit-cents bouteilles d’eau minérale. Les filtres qui dépoussièrent l’air entrant dans la carrière sont encrassés et les vitres qui condamnent l’un des cavages en nous offrant un peu de lumière sont couvertes de moisissures noirâtres. Nous n’avons plus de carbure.

L’eau a monté depuis le début des averses, il y a quatre mois déjà. La moitié de la carrière est impraticable et notre espace vital s’est restreint. Personne n’est jamais venu nous chercher. Nous n’avons entendu aucun bruit d’avion, de véhicule, ni aucun cri d’animal ou d’être humain depuis les événements de janvier. Nous sommes peut-être les cinq uniques survivants de toute la région. En tous cas, nous faisons partie des rares à n’avoir pas obéi à l’exode de décembre dernier, ce qui nous a finalement sauvé lavie.

Nous sommes au mois d’août. Il va nous falloir sortir maintenant. Nous ne savons pas où aller, ni quelles seront nos nouvelles ressources alimentaires.

Luya déboulonne le carénage de la porte filtrante. Michel l’arrache difficilement. La lumière de l’extérieur nous éblouit alors qu’elle est pourtant faible. Mais surtout une odeur pénétrante agresse nos poumons. On dirait un mélange de pourriture et d’odeur de brûlé. L’air est lourd, épais et moite. Il pleut en continu depuis quatre mois et pourtant l’air que nous respirons n’est toujours pas redevenu transparent. Chargé de poussière noire, il laisse à la pluie des milliers de tonnes de boue grise qui continuent de couvrir la surface de la Terre. On y voit à trente mètres environ. Lorsque la région était encore peuplée, il était possible d’y voir mieux en pleine nuit, sous l’éclairage public ou la pleinelune.

Après huit mois passés dans l’obscurité de la carrière, nous perdons, dehors, notre sentiment de sécurité. A voir le paysage urbain déchiré qui nous entoure, nous ne craignons pourtant pas de rencontrer qui que ce soit. Mais à ne retrouver aucune vie, ni animale ni même végétale, à l’exception des mousses verdâtres qui couvrent les murs de tous côtés, nous craignons maintenant de mourir defaim.

Le tracé des rues est difficile à suivre, tant l’épaisseur de boue noire est importante. Des quelques carcasses de voitures calcinées qui restaient, nous ne remarquons généralement que le toit et des morceaux de vitres brisées ou fondues. Les troncs d’arbres à demi calcinés n’ont pas repris vie et bordent toujours les rues. L’immeuble qui se trouve devant nous est éventré par une large brèche en son centre. Des dix étages qui composaient cette barre, nous n’apercevons que les huit premiers, tant le ciel est couvert. Toutes les vitres ont été emportées ou fondues, de même que de nombreuses cloisons intérieures. Il est même possible de voir, par endroits, à travers l’immeuble. Nous entrons par l’escalier B. Il y a tant de boue accumulée à l’intérieur que nous marchons juste sous le plafond du rez-de-chaussée. Au premier étage, enfin quelques traces de vie : des rats, qui viennent grignoter les portes en bois et d’ultimes restes laissés par les anciens habitants de la cité. Au moins, nous allons pouvoir manger de la viande fraîche en faisant griller quelques-uns de ces rongeurs. Nous découvrons aussi quelques insectes, cafards, punaises et autres survivants. Bien que peu engageants, ces animaux nous réconfortent en nous rendant moins seuls sur Terre.

Nous espérons trouver un endroit sec au dixième étage. Peine perdue. Aucun appartement n’est resté protégé de l’air humide et tout est pourri à l’intérieur. Lits, meubles, moquettes, tout regorge d’eau et de moisissures. Beaucoup d’habitants, suivant les consignes qui leurs ont été données, ont évacué les lieux en abandonnant tout sur place. Seules les denrées non périssables et bien emballées sont encore consommables. Pâtes, sucre, huile, conserves de sardines vont nous rassasier quelques temps. Dans certains appartements, des carcasses de pitbulls, chats, oiseaux, lapins domestiques nous accueillent. Nous nous souvenons qu’il était interdit d’emmener des effets personnels et des animaux domestiques. L’évacuation s’est faite en moins de trois jours, dans la panique généralisée.

Nous emportons quelques victuailles. Toujours ça que les rats n’auront pas. Allons maintenant faire nos courses dans un supermarché. A quelques kilomètres de la cité nous trouvons un ancien hypermarché et les boutiques qui l’accompagnaient. Les rideaux de fer ferment encore la galerie marchande mais les portes de service, en tôle, ont pour la plupart été déchirées par la tempête de feu. Le magasin installé sous un immeuble a été protégé par son toit en béton. Tout est à peu près en place, sauf dans le bas des rayonnages qui ont été inondés. Il est curieux d’explorer un hypermarché à la lampe à acétylène. L’obscurité la plus totale y règne mais une certaine sérénité nous regagne. Nous découvrons des rayons entiers de biens de longue conservation qui vont nous permettre de tenir quelques années. Si notre moral et nos poumons tiennent le coup eux aussi. Car même à l’intérieur du magasin flotte une poussière fine qui nous fait tousser. Nous sentons également que la teneur de l’air en gaz carbonique doit être trop élevée. Nos rythmes cardiaques et respiratoires sont trop rapides et nous avons le souffle court. Nous risquons à moyen terme de mourir d’insuffisance cardiaque et d’acidose du sang. Curieusement, il était plus facile de respirer au fond des galeries souterraines. Peut-être que le gaz carbonique, se dissolvant dans l’eau et réagissant lentement avec le calcaire, se trouvait finalement en teneur plus faible dans la carrière.

Un autre avantage de la carrière était sa température. Ce que nous trouvions autrefois frais et humide est maintenant plus doux et plus sec que l’air ambiant qui ne doit pas dépasser cinq degrés. Nous sommes pourtant au mois d’août.

Nous terminons l’exploration du supermarché. Il y a des années d’eau, de pâtes, légumes secs, sucre, piles, vêtements à notre disposition. Il y a aussi un stock immense de couches pour bébé, lait en poudre et layette, si nous avons l’audace ou l’égoïsme de tenter d’avoir des enfants dans ce qui reste de cette partie de la planète. Ou peut-être de la totalité de la Terre. L’exode devait se faire vers les zones les moins exposées à la catastrophe. Mais à en juger de l’opacité de l’atmosphère, la totalité des végétaux évolués risque d’avoir déjà disparu et la majorité de l’humanité avec. Les seuls produits frais que nous pouvons espérer seront les champignons.

Nous en revenons toujours au même point : les carrières resteront probablement notre refuge le plus sûr. Une température constante, une humidité supportable et une sécurité physique. Nous sommes trois hommes et deux femmes. Nous devons tout faire pour qu’elles survivent. Nous avons déjà trouvé, depuis quelques mois, ce que nous appellerons des arrangements relationnels qui nous rendent la vie moins difficile.

La vie cataphile pour nous s’est inversée. Dormir et manger en carrière, explorer en ville en suivant les plans que nous trouverons et mettrons à jour. Il nous faut une carrière à flanc de coteau, sous un plateau assez élevé pour nous protéger de l’eau. D’après les études préliminaires au désastre, l’atmosphère devait rester opaque environ huit ans. Vivrons-nous assez longtemps pour apercevoir de nouveau le soleil et voir les végétaux réapparaître ? Rencontrerons-nous d’autres survivants, cachés eux aussi sous terre ? Les rats eux-mêmes survivront-ils assez longtemps pour nous nourrir ?

A nous de découvrir les réponses à nos incertitudes et d’écrire selon de nouvelles règles une autre page de l’histoire de l’humanité, pour qu’un jour nos enfants apprennent à l’école, que leurs ancêtres étaient des cataphiles…

Les reflets du silence

Je me sens seul. Assis au bord d’une flaque d’eau, j’attends nuit après nuit la venue d’une image, même furtive, qui réchauffera mon cœur glacé. L’ennui est mortel mais je ne le suis peut-être plus moi-même.

Je ne contrôle pas mes déplacements. Il semble que je sois condamné à rester sans bouger, près de cette flaque d’eau. Je peux m’y asseoir, me coucher au-dessus dans tous les sens, me glisser sous sa surface. Mais je ne peux m’en éloigner. Plusieurs semaines ont passé déjà, peut-être davantage. J’ai perdu la notion du temps. J’ai aussi perdu le toucher et l’odorat.

Tout a commencé un soir de juillet, ici même. Je montais vers le Nord en passant par ici. J’ai marché dans la flaque d’eau et je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il y avait d’anormal dans la réaction qu’elle opposait à mes bottes boueuses. C’est en revenant sur mes pas que j’ai compris, sans rien y comprendre d’ailleurs. L’eau que je venais de souiller était parfaitement limpide ! J’ai refait un essai, en remuant sa surface à l’aide de ma semelle sale. Mais l’eau ne se troublait pas et ne lavait pas ma botte. Pire encore, la botte y pénétrait mais aucune ondulation n’en résultait. Je me suis mis à y sauter à pieds joints, il n’y avait aucune éclaboussure. J’ai cru devenirfou.

Je pense alors avoir commis ma dernière erreur en laissant ma curiosité m’entraîner jusqu’à ce qui allait me perdre. Je me suis accroupi et j’ai plongé la main dans l’eau. Je la voyais par transparence, je sentais le contact froid et mouillé. Mais l’eau n’ondulait pas. Si j’en soulevais dans ma paume et que je la laissais couler, elle incorporait immédiatement la flaque qui restait parfaitement immobile. J’étais effaré.

Mais au bout de quelques minutes j’ai vu apparaître le reflet d’un homme qui me regardait. J’étais déjà effrayé de le voir sans l’avoir entendu arriver, mais c’était sans compter l’horreur qui m’attendait ensuite. Car lorsque je me suis retourné il n’y avait personne derrière moi. Cet homme n’existait qu’en reflet. Et uniquement dans cette flaque d’eau. Je ne l’ai revu qu’une fois. Il était déjà troptard.

J’étais terrorisé. L’inconnu dans le reflet parlait et s’agitait, comme s’il eût cherché à me dire quelque chose. Mais il restait silencieux à mes oreilles. Je me suis affolé. J’ai voulu courir mais j’avais si peur que je n’ai pas fait attention au ciel de carrière. Je m’y suis cogné avec une violence inouïe. Je crois que le choc a été fatal.

Lorsque je me suis senti de nouveau debout, je me voyais, couché, la tête dans une flaque de sang qui coulait vers la flaque d’eau. Mais lorsque j’ai regardé la flaque c’est moi que je ne voyais plus. Je n’avais pas de reflet !

Le corps qui gisait à proximité s’est finalement relevé mais ce n’était plus le mien qui portait mes vêtements et mon sac àdos.

C’était l’homme que j’avais vu dans le reflet ! Il repartait, en chair et en os, à ma place, me laissant seul et prisonnier de mon sort ! Je ne pouvais même pas le suivre, comme si la flaque d’eau avait été aimantée. Depuis, j’attends toujours, dans l’obscurité, que quelqu’un s’aperçoive que la flaque d’eau est immobile…

C’est peut-être toi que j’attendais. Toi qui as ramassé ce tract, scrute un peu mieux la surface de l’eau…

Laporte

(la descente était verboten…)

Ces derniers mois, j’avais beaucoup rêvé des carrières. Au début ce n’étaient que des rêves ordinaires, des images du 14ème et d’ailleurs, des images de cataphiles que je voyais souvent.

Mais depuis maintenant deux semaines, je rêve chaque nuit d’un endroit fascinant : une haute carrière de craie que je n’ai jamais vue et dans laquelle j’aperçois, au bout d’une salle, un lac qui semble paisible et sombre.

A chaque fois que je fais ce rêve, je m’approche un peu plus du lac. Mais ce qui me fascine le plus, c’est que lorsque je mets les pieds dans cette carrière, le sol me semble réel. J’ai depuis quelques jours la sensation que je marche véritablement dans la carrière. Ce sont les premiers rêves dans lesquels j’ai tous mes sens : la vue bien sûr, mais surtout l’ouïe, le toucher, l’odorat.

La difficulté est que chaque fois que je cherche à m’approcher davantage du lac, je me réveille et je dois alors arrêter mon voyage.

Il est 23 heures, je me couche à mon tour. J’espère cette nuit voyager assez loin pour voir le lac de plus près.

La carrière apparaît autour de moi. Je suis debout dans cette grande salle que je connais déjà. Toujours le même lieu. Je vais encore essayer de le visiter. Mais puisque je me réveille chaque fois que je m’approche du lac, j’irai cette fois en sens opposé. Je ne me retourne pas. J’avance dans la galerie, je vois clair comme si j’éclairais à l’aide d’une acét’, en plus faible. Il y a en effet une bougie posée devant moi, dans la direction opposée au lac dont je suis sûr, d’après mes souvenirs des rêves précédents, qu’il est derrière moi. Je m’approche de la chandelle et m’y réchauffe les mains, les noircissant accidentellement en touchant la fumée. J’ai en effet un peu froid, je suis… Je suis en slip et en T-shirt dans la carrière ! J’ai mes charentaises aux pieds, ce qui n’est pas très pratique pour marcher en ces lieux escarpés.

Je prends la bougie, comme je désirais le faire : ça marche ! Je suis dans mon rêve, mais je peux y faire tout ce que je veux, sans me réveiller. Je peux explorer la carrière pendant mon rêve, sans descendre : les plaisirs de la descente à domicile ! Je vais toutefois marcher un peu plus loin dans cette direction avant de me diriger vers le lac, on ne sait jamais…

La bougie en main, j’avance mais je bute soudain contre une surface verticale, invisible mais dure. Je pose la main à plat sur cette surface, elle a la rugosité du papier peint, mais semble plane. La bougie dans la main gauche, je cherche toujours à longer cette surface. Elle suit un périmètre rectangulaire, rectangle d’environ 20 mètres carrés dont j’ai parcouru trois côtés. Je n’ose pas encore arpenter le dernier côté car c’est celui qui est près du lac. Je retourne au côté opposé et regarde au loin, enfin aussi loin qu’il m’est permis de voir avec ma bougie : je vois très bien à travers la frontière, comme s’il s’agissait d’une vitre. Mais j’ai beau appuyer dessus, elle ne bouge pas et surtout ne résonnepas.

Avant d’aller au lac, je vais chercher à savoir s’il y a une limite au-dessus de ma tête. Je ramasse un petit morceau de craie que je lance, de toutes mes forces, vers le ciel de la carrière. Le caillou rebondit violemment mais sans un bruit avant même d’avoir pu atteindre le ciel, puis retombe bruyamment sur le sol : il y a donc une limite supérieure ! Je suis prisonnier d’un genre de parallélépipède rectangle, si tout du moins il y a bien une autre «paroi» vers le lac.

Je me retourne. Je me dirige maintenant vers le lac. Il y a effectivement une limite de la même nature que les autres, mais celle-ci présente une forme différente : il s’agit comme prévu du dernier côté du rectangle, mais cette face est découpée par un passage vertical de petite taille, environ un mètre de large. Je suis la frontière du bout des doigts et m’aperçois qu’il y a un autre bord supérieur, plus bas, comme s’il s’agissait d’une porte ouverte.

Le lac est à peine à un mètre de moi. Je passe cette sorte de porte et vais m’accroupir au bord de l’eau. Je trempe la main dans l’eau : elle est froide. Je ne sais pourquoi, mais je la laisse dans cette eau sombre, intrigué par son opacité : je ne vois en effet rien à travers, pas même ma main à quelques centimètres de profondeur. Je continue à l’agiter sous la surface, un peu inquiet mais tellement curieux !

Quand soudain je sens, sous l’eau, quelque chose : j’attrape cette chose et la tire à moi : c’est une autre main ! Effrayé, je la lâche et la vois qui s’éloigne brusquement et disparaît dans l’eau. Dans un mouvement de panique, je me redresse puis franchis de nouveau la porte. L’angoisse s’empare de moi, je me gifle pour essayer de me réveiller. La salle disparaît autour de moi et je crie.

Je suis assis, dans mon lit. La lumière est allumée, je suis en slip et en T-shirt. La porte est ouverte, ma copine rentre dans la pièce et me regarde, affolée. Elle a les yeux révulsés et le teint pâle. Elle m’explique que vers trois heures, elle a été réveillée par des frottements sur le mur puis un bruit au plafond. Elle a donc allumé la lumière et constaté que je n’étais plus à côté d’elle. Pensant que j’étais sorti pour aller aux toilettes, elle a regardé la porte mais celle-ci était fermée de l’intérieur ! Elle continue en me disant, tremblante, que mes charentaises et mes sous-vêtements avaient disparu et que j’avais donc dû sortir en refermant par on ne sait quel mystère.

Ses explications suivantes me glacèrent le sang : elle était sortie de la chambre en laissant la porte ouverte puis avait cherché dans la maison, en vain. Elle était alors retournée à la chambre puis avait senti la présence d’une main invisible mais mouillée qui attrapait la sienne. Elle avait donc reculé violemment et n’était revenue dans la chambre que lorsqu’elle m’avait entendu crier.

J’écoutais son récit en tremblant moi aussi. Je regarde ma main, elle est sèche. Mon autre main n’était pas noircie par la bougie et tout cela s’apparentait bien à un rêve. Restent à éclaircir le mystère de ma disparition et celui de cette main qui a attrapé la sienne. Je suis maintenant sûr que c’est sa main que j’ai attrapée dans le lac… La même finesse, le même toucher, les deux mêmes petites bagues en argent dont une était sertie d’une émeraude taillée dans le béryl australien.

Je regarde autour de moi : la pièce a une forme et des dimensions identiques, à ce que je peux en estimer, à la limite étrange qu’il y avait dans mon rêve. Ma copine cherche toujours à comprendre et reprend dès le début : elle me montre d’où est venu le bruit au plafond : il y a à cet endroit une petite trace blanche, comme de la craie.

Je me retourne alors et regarde les murs : sur l’un d’entre eux, il y a de grosses traces de doigts, comme de lasuie…

Je raconte alors mon rêve à ma copine et ce fût-là la seule explication, aussi irrationnelle fût-elle, que nous ayons trouvé : j’avais en quelque sorte disparu pour aller vivre ce rêve «ailleurs» tout en restant dans la pièce puis tout était redevenu normal à mon réveil. En termes «normaux», rien ne s’expliquait cependant.

La nuit suivante je ne parvins pas à trouver le sommeil. Je souffrais d’un atroce sentiment de claustrophobie et éprouvais le besoin de dormir la porte ouverte. Ma copine qui avait eu du mal à s’endormir s’était enfin assoupie et je pus, en silence, faire le tour du lit pour aller ouvrir la porte de notre chambre. Un peu plus rassuré, je m’endormis peu après. Je fis le même rêve, avec la même carrière de craie, et toujours cette limite étrange et ce lac que je pouvais toujours atteindre en franchissant ce que je savais maintenant être la porte de la chambre.

Mais cette fois-ci je ne trouvai rien dans l’eau. Je continuai à chercher quand tout à coup je sentis comme une présence derrière moi. Je me redressai et me retournai mais ne vis rien. Avançant le bras, je m’aperçus que maintenant la limite était devenue complète : la porte s’était refermée !

Je tentai de l’ouvrir : impossible ! Je frappai cette porte de toutes mes forces, sans résultat. Je pouvais faire le tour de la frontière pour explorer la carrière, qui était particulièrement belle. Mais j’avais peur et froid : je devais rentrer, tant pis pour l’exploration. De toute façon, celle-ci aurait été bien réduite, car j’avais laissé ma bougie à l’intérieur et ne pouvais voir qu’à faible distance autour de la «pièce».

Je compris alors que la seule porte avec la réalité était le lac lui-même. C’était en effet là que j’avais pu toucher la main de ma copine, parvenant ensuite à me réveiller. Je plongeai donc la tête dans le lac mais ne pus rien y voir. Je pensai alors qu’il fallait m’y immerger complètement pour retourner dans ma chambre et finis par y plonger.

Le médecin continua à questionner cette jeune femme désemparée, qui passait nerveusement ses doigts dans ses longs cheveux blonds :

«Vous avez vu que la porte était ouverte, et vous l’avez fermée. Mais votre ami, était-il toujours dans lelit ?

–Je ne sais pas, il faisait noir et je dormais à moitié, je n’ai pas voulu allumer et je me suis rendormie aussitôt retournée dans le lit.

–Et c’est là que vous avez entendu frapper à la porte ?

–Oui, des coups très bruyants qui m’ont réveillée. J’étais terrorisée et je ne pouvais faire aucun mouvement, comme si j’étais paralysée par lapeur.

–Et ensuite ?

–Encore quelques coups, puis plus rien. Un peu plus tard, j’ai réussi à bouger puis j’ai essayé de réveiller mon copain, en vain. Mais, docteur, dîtes le moi ! Qu’est-ce qu’il aeu ?

–Une anoxie.

–Une quoi ?

–Une asphyxie. Comme s’il s’était noyé…»

L’ange

C’est un soir comme un autre, plus pour très longtemps mais nous ne le savons pas encore. A peine à dix minutes de marche de l’entrée, nous rencontrons un cataphile, radieux, nous tenant un discours enflammé sur la beauté des carrières.

–OK, elles sont belles, mais pas ici, c’est tout tagué !

–Pour vous, oui. Moi je les vois propres !

–Ah ! Ah ! T’as pris un truc ?

–Tu crois pas si bien dire ! Un truc que vous ne connaissez pas, que j’ai découvert ce soir, y’a un mec qui en file au cabi.

–Oublie, c’est pas pour nous, on est clean et on le reste. Pas besoin de la chimie pour nous éclater, on a déjà les ktas. Sinon, c’est quoi ton truc au juste ?

–Le gars appelle ça de la darknette ! Comme le darknet, le réseau sombre, celui que vous ne voyez pas en ce moment. Vous devriez essayer… Ah… Elle m’appelle, je dois y aller.

Le cataphile s’élança dans la galerie et disparut aussi vite qu’il était venu. Arrivés au cabinet, il y avait effectivement un type, inconnu des cataphiles, qui distribuait des cachets. Il ne portait pas de vêtements modernes, mais de vieux godillots en cuir avec des lacets en bon état. Un pull de laine et un pantalon d’une coupe inhabituelle.

Nous étions cinq, il nous donna 10 cachets en échange de quelques tracts. Les cataphiles qui se trouvaient autour, qui en avaient pris nous décrivent tous les mêmes visions : des ktas propres avec des galeries sensiblement différentes.

Quelques bières plus tard, le pas fût franchi d’avaler un seul des deux cachets, le deuxième devant être conservé précieusement (d’après lui) si l’on désirait renouveler l’expérience.

Il fallut attendre un bon quart d’heure pour en découvrir les effets. Quelques vertiges, un sentiment de vibration dans le crâne, puis une vision qui semble s’éclaircir comme si je pouvais distinguer tous les détails de la roche.

Je quitte alors spontanément le groupe. Je me mets à marcher rapidement dans le boulevard Saint Jacques, comme pressé de découvrir un trésor. Mais le trésor est déjà tout autour de moi : des galeries immaculées, vierges de toute trace de peinture ! Le cataphile disait vrai ! Cette drogue offrait-elle à notre cerveau la possibilité de fabriquer une hallucination conforme à nos désirs ? Tous n’avaient pourtant pas la propreté des galeries comme premier fantasme…

Mais je dois m’arrêter. Je ne reconnais plus les lieux. A la place du mur en pierres sèches qui délimite le couloir se trouve une large ouverture, comme une portion de carrière en cours de remblaiement. Je pénètre dans ce qui semble être un atelier de taille de pierre. Mais si j’ai pu y entrer dans ma vision, où se trouve réellement mon corps à ce moment précis ? Suis-je toujours dans le vide du couloir, m’imaginant avoir passé la muraille et pénétré le noir du plein ? Il y a quelque chose d’autre qui cloche. Je comprends : ma lampe s’est éteinte, et je vois autour de moi comme si j’étais parfaitement nyctalope ! Tout m’apparait dans une clarté que je n’avais jamais imaginée, même en rêve. Et la pierre est si claire, belle, fraichement taillée !

Soudain mon ombre apparaît, comme si j’étais éclairé par l’arrière. Je me retourne, pensant retrouver un cataphile. Mais c’est un ange, ou ce que l’inconscient collectif me permet de nommer comme tel, qui se trouve maintenant face à moi. Un ange magnifique. Mesurant environ 1m70, avec un corps d’oiseau, des pieds et des bras humains, nus, sur un tronc couvert de plumes blanches. Ses ailes sont repliées et son visage me fascine. Un visage de femme, superbe et d’un charme indicible. Ses grands yeux jaunes happent mon regard et ses longs cheveux clairs, si légers, flottent dans l’air et effleurent ses joues, puis les miennes. Une sensation de chaleur, un sentiment d’amour universel que l’on aimerait diffuser tout autour de soi m’enveloppent. Nous sommes très proches mais j’ignore qui a marché vers l’autre. Ses lèvres s’ouvrent et une voix douce vient m’entourer comme si elle me parlait depuis toute la salle.

–Tu as rencontré le messager que je vous ai envoyé. Nous sommes en 1864, il voulait voir le futur. Je l’ai envoyé vous offrir le passé, à tes copains ettoi.

–Mais… Comment peux-tu apparaître aussi réelle ?

–Je suis réelle. Mais pas dans ton monde. Je t’ai déjà vu de nombreuses fois passer dans le couloir et le cabinet, où je m’installe souvent sans pouvoir interagir avec vous si vous n’avez pas pris la drogue. Maintenant je dois te proposer un marché ; regarde-moi d’abord.

Elle déplia ses ailes, d’une envergure immense, plus de quatre mètres. Son charme fascinant fût brusquement entaché d’un détail inquiétant lorsque je vis que ses ailes étaient totalement noires sur leur face interne. Elle les replia.

–Si tu m’embrasses, je t’étreindrai dans mes ailes. Nous ne ferons plus qu’un pour l’éternité. A toi de décider si tu y crois ou si tu penses que tu m’as créée. A toi de mesurer le risque.

Elle me ramena doucement au couloir. A présent le mur était là, couvert de tags. Tout était redevenu normal. Je retrouvai rapidement mes amis mais personne n’osait franchir le premier pas pour décrire quelle avait été son hallucination. C’est alors qu’un cataphile apparût, semblant chercher autour delui.

–On peut t’aider ?

–Oui. Aidez-moi, j’ai pris mon deuxième cachet ce soir. Elle m’a subjugué. Elle était tellement belle ! Tellement plus belle que tout ce que je connais. J’aimerais partir avec elle, me réchauffer dans ses ailes !

La terrible réalité nous apparût comme un coup de Mag. Après en avoir discuté entre nous, nous étions partis dans des directions toutes différentes, découvrant chacun un lieu inconnu qui n’était pas la même salle. Mais nous avions tous vu le même ange qui nous avait dit la même chose…

Chacun d’entre nous porta la main à sa poche pour y vérifier la présence du deuxième cachet. Qu’en ferons-nous ?

La zone blanche

Nous étions une trentaine, assis autour de bougies, acèt, paquets de biscuits, canettes vides et pleines, à discuter de ktas, de ktas et aussi de ktas, quand nous ne discutions pas dektas.

Un gars était assis parmi nous, inconnu de tous mais semblant très à l’aise et habitué des lieux. Visiblement personne ne l’avait encore jamais vu mais il n’avait pourtant pas l’air d’un touriste. Il regardait dans notre direction, échangeant des regards furtifs avec une dizaine de cataphiles qui parlaient fort. Il n’avait encore rien dit, jusqu’au moment où il prit la parole :

« Est-ce que quelqu’un connait le film « le cercle » ?

Plusieurs répondirent par l’affirmative, l’ayant vu depuis plus ou moins longtemps.

« Dans le n°2, quelqu’un se souvient de ce que dit Evelyne, la mère de Samara, lorsque la mère d’Aedan vient l’interroger dans l’hôpital psychiatrique ?

–Pas mal de choses, lui répondis-je, mais une phrase m’a intéressé en particulier

–Laquelle ?

–A un moment, elle précise que tous les êtres vivants sont connectés.

–Exact. C’est exactement là où je voulais en venir. Tu as pensé quoi de cette phrase ?

–Cela m’a vraiment interpellé, mais je me suis demandé ce que ça faisait là. C’était un peu hors sujet, comme si le réalisateur avait voulu caser cette phrase même à un endroit qui n’était pas adapté.

–J’en ai entendu bien plus que j’espérais. Si le sujet t’intéresse, tu peux venir faire un tour avec moi.

–Oùça ?

–A quatre endroits différents dans le réseau. Répartis sur une grande surface.

–Ça tombe bien, j’ai envie de marcher »

Nous sommes donc partis tous les deux, avec comme premier objectif le cimetière Montparnasse. Il connaissait visiblement très bien les lieux et m’expliqua qu’il avait déjà fait une cinquantaine de descentes mais sans jamais s’arrêter.

« Et alors, aujourd’hui, pourquoi tu t’es arrêté ?

–Je cherchais un cataphile pour me guider. Mais pas n’importequi

–Tu m’as sélectionné sur le fait que je connaissais ce film ?

–Pas exactement. Le fait que tu aies retenu cette phrase était LE point important. Ensuite, ta combi, ta lampe, le fait que les autres te connaissaient, m’ont fait dire que tu connaissais les lieux et que tu pourrais m’orienter.

–T’orienter ? Mais tu sembles tout connaître par cœur !

–Par cœur, oui, mais pas avec lecœur

–Que veux-tu dire ?

–Tu vas voir… »

Nous étions arrivés au cimetière Montparnasse, petite avenue du Midi. Il me fît promettre que je ne révèlerais rien du dispositif qu’il allait me montrer, puis se mit à desceller quelques blocs d’un mur en pierres sèches.

« tu cherches des tracts ?

–Non, unœuf

–Un œuf ? Un vieil œuf pourri pour tout empesterici ?

–Non… Un œuf comme celui-là ! »

Il sortit d’un emballage hermétique un boitier métallique, rectangulaire, sur lequel était connecté une clé USB. Il prit la clé et en inséra une nouvelle, gardant précieusement la première dans une boite qu’il avait apportée.

« C’est un REG, Random Event Generator. On les surnomme EGG, ce n’est pas un vrai comme ceux du réseau mondial, mais sa conception est similaire.

–Un réseau mondial de quoi ?

–De générateurs de nombres aléatoires, répartis dans une gaussienne centrée sur la valeur 100, entre - 80 et + 120. Au bout d’un mois je viens chercher la clé USB sur laquelle les nombres ont été enregistrés et j’en mets une vide. Lorsque je reviens chez moi j’analyse les nombres sur mon ordinateur et je les compare à ceux du projet international Global Consciousness Project de l’Université de Princeton. J’ai un contact dans leur réseau mais je ne fais que des recherches ici, en souterrain, pas en surface.

–Mais tu cherches quoi, en analysant des nombres aléatoires ?

–Je cherche une déviation. Le réseau GCP en enregistre depuis plus de 20 ans et a montré très clairement que les déviations des nombres aléatoires suivaient les événements majeurs qui touchaient l’humanité. Les tremblements de terre, le 11 septembre, le Tsunami de 2004, les guerres, les assassinats politiques, etc. Tout cela induit une déviation que l’on peut même observer avant que l’événement se produise.

–Une prémonition de l’inconscient collectif ?

–Eh, c’est à peu près ça. Ou non. Soit un champ de conscience collective créé par les humains, à ce titre on peut noter que les tremblements de terre ne se voient pas sur les nombres dans les zones peu peuplées de la Terre, ou bien – mais c’est plus difficile à admettre – un champ d’information externe, extra-dimensionnel, que l’on peut capter par la déviation de l’aléa.

–Mouais… Curieux comme théorie mais intéressant.

–Si tu veux en savoir plus, tu regarderas l’expérience du poussin avec le tychoscope. C’est un robot qui se déplace de façon aléatoire mais si tu places un poussin à proximité le robot se déplace dans sa direction alors qu’il n’y a aucun capteur dessus.

–C’est la pensée du poussin qui déplace le robot ???

–Probablement. Tu écris des tracts ?

–Oui, j’en ai écrit quelques-uns…

–Tu les écris dans les ktas ?

–Non, jamais essayé. Toujours chezmoi.

–Et tu fais comment ?

–Je m’assieds devant l’ordinateur, un jour où j’ai de l’inspiration. Et j’écris en me laissant aller.

–De l’écriture intuitive, alors ?

–Comme l’écriture automatique ?

–Ah, non, ce n’est pas pareil, juste intuitive. Mais tu ne sais pas si l’intuition est locale, à savoir le fruit d’un scan instantané de ton cerveau par ton inconscient (l’expérience), ou bien une conscience intuitive extra-neuronale, ou conscience non locale. Le cerveau servirait alors à se connecter à un champ de conscience collectif qui abriterait une source d’information universelle sur le passé, présent et futur.

–Ce qui expliquerait les pressentiments et les prémonitions ?

–Exactement. Tout ce qui ne rentre pas dans le champ des simples synchronicités. Tu en as déjàeu ?

–Oui… Plusieurs fois. »

Cette réponse le mit définitivement en confiance. Il me donna de nombreuses précisions concernant son expérience de modification du hasard puis m’expliqua pourquoi il se trouvait ici. Le but avait été tout d’abord de connaître la profondeur à laquelle le champ de conscience humain généré en surface, si c’était bien de cela qu’il s’agissait, pouvait passer à travers le sol. Pour cela il devait comparer ses nombres avec ceux de la surface. L’autre volet de l’expérience consistait à tester si les cataphiles eux-mêmes produisaient leur propre champ de conscience, qui modifierait les nombres davantage les jours de fête ou d’arrestations dans le réseau. Mais il cherchait aussi quelque chose de précis.

« Une zone blanche.

–Comme pour le téléphone ? Une zone non couverte ?

–C’est ça. Une zone qui échapperait à la fois au champ de surface et au champ cataphile, s’il y en aun.

–Et… Pourquoi chercher un tel endroit ? Pour méditer ?

–Hey ! Comment t’as pensé à ça ? Tu pratiques la méditation ?

–Non, mais il y a dans les carrières des endroits où l’on se sent plus serein que d’autres.

–C’est exactement pour ça que je t’ai fait venir avec moi. Ce sont ces endroits que je cherche. Tu peux m’en indiquer ?

–Oui. Carrefour de l’octogone, cabinet bis, la rue de Fleurus, la salle de l’apéro, la rue Jeanne d’Arc dans le treize, le Nord de Raidos dans le quinze…

–Eh, attends, je vais devoir noter tout ça. Donc, pour toi, tous ces endroits sont des endroits « positifs » ?

–Oui, mais à bien y réfléchir il n’y en a pas tant que ça ici. J’en connais beaucoup plus en banlieue et en province. Mais tu cherches des endroits neutres ou positifs ?

–Tu fais une différence ?

–Complètement. Les lieux négatifs où je n’aime pas rester, les neutres où je suis simplement content d’être là, et les lieux positifs, qui donnent envie de rester là, mais sans y mourir, rassure-toi !

–Lol ! Je ne sais plus trop quoi penser, maintenant ! Tu penses quoi de ces endroits ?

–Ben, à bien y réfléchir maintenant qu’on a parlé de tout ça… J’ai l’impression qu’il y a comme un champ de conscience minéral, de la carrière elle-même, ou bien ce serait simplement humain et serait comme la trace énergétique des carriers qui ont travaillé là autrefois. Tu vois, par exemple, je n’ai jamais été attiré par la spéléo. J’ai toujours cherché des lieux souterrains, de roche naturelle, mais taillée par l’homme. Pas par l’eau.

–Alors là je suis sur le cul ! Tu as ressentiça ?

–En descendant tout seul dans des carrières de banlieue. J’étais comme accompagné par la carrière. La Carrière enfait.

–Ça expliquerait… C’est quoi pour toi, le pire,ici ?

–Laval, Faco, le cellier… la rue de l’Ouest…

–Ah, j’ai déjà mis un œuf à Faco et la déviation était fortement négative un jour où il ne s’est rien passé de particulier et où visiblement personne n’était venu non plus. Et j’avais planqué un œuf rue Madame, j’avais vu une déviation aussi mais plutôt positive.

–Pourtant personne n’y passe. Mais c’est proche de Fleurus, et agréable aussi, comme secteur. Je pense qu’ici tu ne trouveras pas de zone blanche. Tu ne feras que trouver un autre champ qui ne sera peut-être pas celui des cataphiles ni des surfaciens. Mais je ne sais pas ce dont il s’agit.

–Tu viens à la fois de me faire avancer d’un pas de géant et de briser mes rêves. Je pensais qu’on échappait à toute influence à certains endroitsici.

–Peut-être… Je n’ai peut-être fait que projeter ma fascination des lieux en un sentiment de perception. Ou bien c’est peut-être ma propre émotion que j’ai émise puis reçue en écho. Eh, mais attends, j’ai une idée… Fais voir tonplan.

–Levoilà

–On va aller ici, tu vois, le cul de sac ? C’est bas, étroit et plein d’eau. Personne n’y va, sauf pour envoyer des touristes se mouiller pour rien. On va mettre ton dispositif tout au fond et pour vérifier si quelqu’un est passé on va poser un tract bien en évidence »

Tout fût fait comme prévu, à l’endroit prévu. L’œuf fût enterré dans un mur tout au fond de la galerie à un endroit où l’on ne pouvait pas tenir debout. Le tract était posé dans une encoche à quelques mètres de là, sortant du mur de plusieurs centimètres, inratable. Un tract inédit que personne n’aurait encore et qui serait forcément ramassé.

Deux semaines plus tard je redescendis avec lui. Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, le tract était au même endroit, mais il avait épousé la forme de la pierre comme s’il se trouvait là depuis des années. Il était tout bonnement impossible de le ramasser, tant son état de décomposition était avancé. Le chercheur récupéra son précieux appareil pour le placer ailleurs en ne conservant que la clé USB. Il prit une photo du tract, très intrigué par son état alors que la pierre sur laquelle il était posé était plutôt sèche. Après avoir sélectionné un autre endroit pour poser l’œuf, nous sommes ressortis.

Le lendemain, il m’envoya un e-mail avec les résultats : tout était parfaitement centré sur la valeur moyenne, à l’exception d’un pic, très intense et positif, d’une durée de trois heures environ, ce qui ne pouvait correspondre à la présence d’un cataphile tant le lieu était bas et physiquement inconfortable.

Un second e-mail portant le titre « t’es assis ? » comportait une pièce jointe. C’était la photo du tract. J’avais fait la même avec mon téléphone, donc pas de scoop à découvrir la sienne, saufque…

Le tract était à l’envers ! Nous l’avions pourtant vu tel que nous l’avions posé deux semaines avant, à l’endroit. Comment avait-il pu le retourner sans qu’il tombe en morceaux ? La bonne blague ! Je sortis immédiatement mon téléphone pour lui envoyer un SMS avec ma propre photo. Mais en la cherchant sur mon téléphone, je découvris qu’elle montrait également le tract retourné, tout comme sur la sienne. Comment la photo, prise par nous deux en même temps, pouvait-elle représenter autre chose que ce que nous avionsvu ?

« Qui » était passé par là ? Avait lu le tract puis laissé à l’envers, sur la photo seulement ?

Et quand ?

L’ombre sans lumière

J’étais assis à Byzance depuis une bonne heure, buvant des bières et racontant des conneries dans une bonne ambiance. Mais soudain le silence se fît, comme il arrive parfois au cours d’une conversation.

« Un ange passe », lança un touriste.

« - Je n’avais rien d’un ange »

Chacun regarda autour, questionnant son voisin du regard. Apparemment personne n’avait prononcé cette phrase. Et pourtant tout le monde l’avait entendue. La vingtaine de personnes assise dans la salle commença à murmurer, puis voyant que tout le monde cherchait la même chose l’interrogation se mua en un certain malaise. Même les plaisanteries du style « allez, sors de derrière le pilier » ne suffirent pas à détendre l’atmosphère. Le plus inquiétant vint ensuite, lorsque chacun comprit que la voix venait de derrière. Les gens étant tous disposés différemment, et la plupart n’ayant personne derrière, la voix était venue de partout, en étant perçue par tous exactement de la même façon : sèche, triste, jeune. Une voix de femme de 20-30 ans, entendue à chaque fois derrière.

Inutile de décrire, en l’absence de toute explication, le sentiment de crainte qui planait dans la salle à la suite de ce phénomène que personne ne comprenait. Seul un cataphile qui dormait dans son hamac ne participait pas aux discussions de plus en plus enflammées qui prenaient place. Ce tumulte finit par le réveiller et le bruit retomba. Il s’assit à califourchon sur son hamac, puis, s’apercevant que toute l’assemblée avait les yeux fixés sur lui, leur lança :

« Bande d’emmerdeurs ! On ne peut pas dormir tranquille ici ! Elle est où, la fille ?

–Mais… Quelle fille ?

–Celle qui m’a réveillé avant de dire qu’elle n’était pas unange

–Mais… Tu dormais quand c’est arrivé. Ça fait dix minutes et tu viens de te réveiller

–Tiens, c’est possible, ça… Alors j’en ai rêvé ?

–T’as rêvé quoi ?