Religion et ordre juridique de l'Union européenne - Ronan McCrea - E-Book

Religion et ordre juridique de l'Union européenne E-Book

Ronan McCrea

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Beschreibung

Cette monographie constitue le premier ouvrage qui rend compte des rapports entre la religion et l’ordre juridique au sein de l’Union européenne. Il analyse l’influence de la religion sur le droit et les limites exigées par l’Union européenne. Il dresse le tableau des principes laïcs et religieux de l’ordre public de l’Union européenne et examine comment ces principes discordants ont été réconciliés dans la réglementation européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il évalue aussi l’interaction entre la législation nationale des États membres et les exigences européennes.

L’approche de l’Union européenne est guidée par la recherche d’un équilibre entre le patrimoine religieux européen (en grande partie chrétien) et une forte tradition humaniste et laïque qui impose des limites à l’influence de la religion sur le droit et la politique. Pour atteindre un tel équilibre, l’Union européenne considère la religion comme une forme d’identité, individuelle et collective. Cette approche chrétienne-humaniste conforte le rôle culturel de la religion mais restreint son influence politique.

Dans le contexte des changements historiques et sociologiques qui touchent actuellement la religion en Europe et des débats sur la laïcité, l’égalité et l’Islam, le présent ouvrage offre un éclairage sur la relation entre la religion et le droit européen dans une Europe qui change.

Ce livre intéressera les praticiens, les enseignants et les chercheurs en droit européen, constitutionnel et des droits fondamentaux et en politiques européennes.

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Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larciergroup.com

© Groupe Larcier s.a., 2013 Éditions Bruylant Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN 978-2-8027-3904-3

COLLECTION DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE SÉRIE MONOGRAPHIE

Directeur de la collection : Fabrice PicodProfesseur à l Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l ‘Union européenne, dirige le master professionnel « Contentieux européens », président de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE)

La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Déjà parus dans la même série de la collection :

L’Espagne, les autonomies et l ’Europe. Essai sur l’invention de nouveaux modes d’organisations territoriales et de gouvernance, sous la direction de Christine Delfour, 2009.Émile Noël, premier secrétaire général de la Commission européenne, Gérard Bossuat, 2011.Coopération entre juges nationaux et Cour de justice de l’UE. Le renvoi préjudiciel, Jacques Pertek, 2013

Do Francis Sweeney agus Romail Dhaddey, le buíochas.

Remerciements

Ce livre n’aurait pu voir le jour sans l’aide précieuse de nombreuses personnes.

Tout d’abord, cet ouvrage est né d’une thèse doctorale en anglais dirigée par le Professeur Damian Chalmers qui fut un excellent guide à chaque étape.

Ce fut également un plaisir de travailler sur la version française avec la traductrice, Isabelle Blake-James.

Je souhaite également mentionner mes collègues sur mes différents lieus lieux de travail qui m’ont beaucoup aidé. En particulier, je suis reconnaissant à au Dr Virginia Mantouvalou, au Dr. Myriam Hunter-Henin et au Dr Antonios Tzanakopoulos de l’University College London, au Dr Anne Thies, au Dr Daphne Zografos et au Professeur Chris Hilson de l’Université de Reading, à M. Nicholas Hatzis et à M. Dominique Ritleng de la Cour de Justice de l’Union Européenne et au Dr Mariana Cheves, au Dr Jennifer Jackson-Preece et au Professeur Conor Gearty de la London School of Economics.

Je voudrais également remercier mes parents Carmel McCrea et Colin McCrea, mes frères Killian McCrea et Barry McCrea ainsi que Nicola Doherty, Stephen Fennelly, Katherine Garnier, Lindsy Garnier, Sossie Kasbarian, Sandeep Sharma, Claire McGrade, Rachel MagShamhráin, Paul O’Connell, Siofra O’Donovan, Aoife Scannel et Sandeep Sharma.

Enfin, je souhaite remercier mes professeurs de français, Anne Nevin et Carmel McCrea sans lesquelles je n’aurais pas eu le plaisir, parmi tant d’autres, de lire l’élégante traduction d’Isabelle Blake-James.

Je remercie Oxford University Press et Bruylant/Groep de Boek Groupe De Boeck pour leur aide et leur intérêt dans ce projet ainsi que le Arts and Humanities Research Council dont la bourse a permis de soutenir la recherche à l’origine de cet ouvrage.

Ronan McCrea

Londres, le 24 mai 2012

Sommaire

Introduction

Préambule

1 – Une approche basée sur l’identité et l’équilibre

2 – Caractéristiques de l’équilibre entre les influences religieuses, culturelles et humanistes

3 – Équilibre approprié : religion culturelle, religion politique et autonomie individuelle

4 – Les chapitres

Chapitre 1. – L’héritage religieux de l’Europe : religion, droit et identité en Europe contemporaine

1 – Introduction

2 – Un héritage de chrétienté et de sécularisme

3 – Le rôle de la religion en Europe contemporaine suite à la sécularisation

4 – Pratique religieuse, croyance et influence en Europe : la situation actuelle

5 – Conclusion

Chapitre 2. – Équilibre, héritage et religion en tant que fondement juridique de l’ordre juridique de l’Union européenne

1 – Introduction

2 – La religion en tant que source des valeurs constitutionnelles de l’Union

3 – Reconnaissance du rôle de la religion dans l’élaboration du droit

4 – La morale publique pluraliste du droit européen

5 – Limites sur la morale publique au sein du droit européen

6 – Conclusion

Chapitre 3. – La religion en tant qu’identité et les obligations de l’Union par rapport aux droits fondamentaux

1 – Introduction

2 – Raisonnements pour la protection de la liberté religieuse en Europe contemporaine.

3 – Le champ d’application de la liberté de religion en droit européen en tant qu’obligation de l’Union par rapport aux droits fondamentaux

4 – La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne la liberté religieuse

5 – Conclusion

Chapitre 4. – La réglementation de la religion au sein du Marché Unique

1 – Introduction

2 – Approche dualiste par rapport à la religion au sein du marché

3 – Autonomie culturelle, droit du Marché Unique et religion

4 – Conclusion

Chapitre 5. – Pluralisme d’identités rivales limitant l’influence religieuse au sein de l’ordre juridique européen

1 – Introduction

2 – L’élargissement de l’Union et la religion au sein de la sphère publique

3 – Immigration, intégration et Union

4 – Développements au niveau de l’État membre

5 – Conclusion

Épilogue

1 – Religion et humanisme : les deux piliers de l’ordre juridique de l’Union européenne

2 – Les effets d’une vision de la religion basée sur l’identité

3 – Des identités concourantes limitant l’influence religieuse au sein de l’ordre juridique de l’Union

4 – Les problèmes, le pouvoir et les limites du rôle culturel de la religion.

5 – Conclusion

Bibliographie

Index de jurisprudence

Table des déclarations officielles, résolutions et rapports

Introduction

Préambule

De façon générale, la religion n’a jamais été considérée par l’Union européenne comme une préoccupation majeure (1). L’Union ne comporte pas de règle spécifique quant à la religion et n’a pas de compétence explicite quant à des questions de religion. En tant qu’élément central et délicat de l’identité culturelle et nationale, la religion apparaît comme étant laissée à l’écart des compétences clefs de l’Union telle que la réglementation du marché unique. A cet égard, le peu de références directes à la religion au sein des traités, accentue le souhait de l’Union de déléguer aux États membres le choix de leur préférence dans ce domaine (2). La liberté de religion, y compris la distinction entre la liberté de religion positive ou négative ainsi que l’aspect institutionnel de la liberté de religion, est sans aucun doute un élément important dans les choix politiques en matière de croyance religieuse (3). Cependant, l’importance lourde et exclusive donnée à ce que la liberté de religion soit facilitée, a tendance à minimiser la complexité des questions plus larges soulevées par la complexité des rapports entre la religion et le droit. Notamment, une telle démarche pourrait aller jusqu’à ignorer qu’une liberté de religion plus grande pour certains pourrait aussi signifier moins de liberté pour d’autres. Quoi qu’il en soit, même si le respect du droit fondamental de la liberté de religion demeure en effet une part importante de la démarche de l’Union, la relation entre le droit européen et la religion est une question beaucoup plus vaste.

Dans l’exercice de ses fonctions et dans la construction de sa propre identité, l’Union européenne est amenée de façon inévitable à légiférer et à rendre des jugements en ce qui concerne les revendications que la religion continue à avoir en Europe, aussi bien dans le domaine public que privé. La religion continue à influencer le droit au niveau national à travers les notions de morale qui forment le ciment de lois restreignant des activités considérées comme indésirables pour des raisons religieuses ou culturelles (4). Le droit européen dans des domaines tels que le marché unique peut avoir un effet sur de telles lois en limitant la possibilité qu’ont les États de contrôler ou supprimer certaines activités religieuses. Dans beaucoup d’États membres, l’importance du rôle institutionnel de la religion signifie que les organisations religieuses sont des employeurs importants. En ce qui concerne le domaine de l’emploi, le droit européen est amené à prendre des décisions qui ont une influence sur le degré auquel ces institutions religieuses peuvent continuer la promotion de leurs philosophies dans de tels contextes, ainsi que des décisions ayant une influence sur la possibilité qu’auront les États membres d’appliquer des normes religieuses au sein des structures du marché (5). Dans des domaines comme la télévision ou les marques, le droit européen peut avoir un effet sur les efforts faits pour la protection des symboles et des idées religieuses ainsi que sur la liberté d’expression (6). De façon plus générale, l’engagement européen à faire observer des droits fondamentaux et une démocratie libérale, est également lié à la religion. Même si elle a reconnu que la liberté de religion doit être protégée (7), l’Union européenne a également identifié des limites quant à l’influence religieuse en tant que principe fondamental et elle a surveillé l’évolution des relations au niveau national entre la religion, le droit et l’État afin d’assurer que les pays devenant membres de l’Union appliquent les principes de l’autonomie dans la sphère publique contre une domination religieuse, ainsi que les principes de l’autonomie individuelle dans la sphère privée telle que la liberté de religion (8). Par conséquent, le droit européen a le potentiel d’avoir un effet sur le rôle de la religion au sein de l’Europe actuelle. Cependant, la relation entre l’Union et la religion opéra dans les deux sens et le droit européen lui-même est façonné par la religion. L’Union adhère à la promotion d’une morale publique comme fondement valide du droit permettant ainsi à des normes religieuses d’influencer le contenu du droit européen. Il est également reconnu que la religion fait partie des cultures nationales et qu’en tant que telle, l’Union se doit de la respecter. De plus, la religion a été reconnue comme une des sources des valeurs constitutionnelles de l’Union tandis que les organisations religieuses ont été reconnues comme faisant « une contribution notable » dans le processus de législation européen (9).

L’ordre juridique de l’Union est par conséquent dans l’obligation de développer par rapport à la religion une approche allant au-delà du simple respect de la liberté de religion. Par conséquent, l’Union est un contexte particulièrement intéressant pour étudier les questions de droit, les objectifs et les intérêts en concurrence qui caractérisent la relation de plus en plus complexe et controversée entre la religion, le droit et l’administration politique dans le monde contemporain. La plupart des États abordent la religion dans un contexte d’identité culturelle dense ayant été fortement influencée par des traditions religieuses spécifiques et où certains points de vue sur la religion et son rôle au sein de la société sont le résultat de présomptions historiques et culturelles souvent non dites (10). Par contraste, il manque à l’Union européenne une forte identité culturelle qui lui soit propre et l’Union est toujours dans le processus de développement de ses institutions politiques. La faiblesse de son identité entraîne qu’il manque à l’Union l’autorité pour imposer des changements fondamentaux dans la relation entre la religion, le droit et l’État au sein de l’Europe. En tant que voix juridique indépendante comprenant 27 États ayant une approche par rapport à la religion très différente d’un État à un autre, la Communauté doit, dans l’application de ses fonctions, définir sa propre démarche par rapport à cette relation, laquelle caractérisera un cadre commun dans lequel le respect de l’autonomie de chaque État membre est réconcilié avec le besoin d’avoir une approche européenne cohérente et fidèle par rapport aux valeurs fondamentales de l’Union. De plus, bien qu’elle doive faire très attention de ne pas entraver l’autonomie d’un État membre dans ce domaine délicat, la faiblesse même de son identité culturelle et la nouveauté de ses institutions signifie que l’Union est amenée à expliquer en des termes explicites bien plus que la plupart des États membres la relation entre la religion, le droit et la constitution. Récemment, les questions de religion et d’identité ont commencé à prendre de plus en plus d’importance en Europe. Comme l’a démontré la controverse émanant de la référence faite à Dieu dans le préambule aux Traités constitutionnels de Lisbonne, la nature de l’Union à cet égard est devenue un sujet de profonde discorde et est considérée comme ayant un effet sur les questions fondamentales en rapport au futur de l’Union et de l’Europe en général.

Ce livre fait l’exposé du rôle de la religion au sein de l’ordre juridique de l’Union qui adresse à la fois les questions de la relation entre la religion et le droit ou la politique et la question de la nature de l’Union européenne. Il analyse la relation entre la religion, l’autonomie individuelle, l’État, et la promotion de normes communes dans le contexte du droit européen et en ce faisant, il tente d’éclairer la question quant à la nature de l’Union en tant qu’institution politique. En particulier, il évalue le degré auquel l’Union peut être considérée comme une institution laïque ou comme une institution qui considère la religion ou certains aspects de la religion comme un fondement légitime dans l’exercice du pouvoir juridique. Union. Cette analyse touche à des questions clefs relatives au rôle contemporain controversé de la religion dans la vie privée et publique. Parmi ces questions, figure l’équilibre à trouver entre l’autonomie individuelle et le souhait des communautés de se constituer par le droit des normes spécifiques. La question se pose encore de la réconciliation entre les principes d’égalité de traitement et la neutralité de l’État, d’une part, et un compromis entre une identité culturelle et des notions de communauté, d’autre part. Il convient d’évaluer les conséquences du traitement de ces questions par l’Union sur la relation entre le droit, l’État et la religion au niveau de l’État membre. En outre, ce livre examinera dans quelle mesure l’ordre juridique de l’Union peut être considéré comme reflétant une tradition humaniste chrétienne spécifique.

1 – Une approche basée sur l’identité et l’équilibre

L’Union intègre la religion dans son ordre juridique et rend des décisions sur des questions d’ordre religieux. Elle se fonde sur des valeurs religieuses, culturelles et humanistes qui relèvent de sa tradition constitutionnelle en s’efforçant de maintenir un équilibre lorsque ces valeurs sont contradictoires entre elles, voire conflictuelles (11). L’Union a identifié la relation entre la religion et l’identité comme étant la clef d’un tel équilibre. À cet égard, la notion d’identité opère de deux façons étroitement liées. L’idée d’un équilibre entre des influences religieuses, culturelles et humanistes est considérée comme faisant partie intégrante de l’héritage éthique de l’Europe et comme le reflet prédominant d’une approche européenne contemporaine par rapport à la religion émanant de la culture et de l’histoire européenne. Ce principe d’équilibre est considéré à la fois comme souhaitable de façon normale et comme un élément de l’identité européenne. En même temps, l’engagement européen quant à cet équilibre signifie que la religion devrait être traitée avant tout comme une question d’identité. Par conséquent, l’équilibre entre des influences religieuses, humanistes et culturelles au sein de l’ordre juridique de l’Union est vu à la fois comme étant un élément de l’identité européenne en tant que telle, et comme nécessitant que la religion soit traitée au sens large comme une forme d’identité. De cette façon, les notions d’identité et d’équilibre peuvent être considérées comme se soutenant mutuellement.

2 – Caractéristiques de l’équilibre entre les influences religieuses, culturelles et humanistes

Le contrôle de la religion dans le cadre de l’identité entraîne certaines complications. Par exemple, le fait de rendre plus facile une identité religieuse collective à travers l’encouragement de normes communes peut être contradictoire avec la liberté des individus développant leur propre identité à l’encontre de telles normes (12). D’autre part, la protection de l’identité individuelle dans des contextes tels que le travail peut avoir un effet sur l’identité collective et sur l’identité institutionnelle religieuse des autres. L’engagement de l’Union à garder un équilibre entre les traditions culturelles, religieuses et humanistes laisse le champ libre pour la revendication d’une identité collective religieuse à travers la reconnaissance par l’Union de notions de morale publique et de pratiques religieuses ou culturelles spécifiques, comme l’interdiction pour les magasins d’ouvrir le dimanche, à travers également la protection par l’Union du rôle national institutionnel et du statut des croyances culturellement ancrées. Cependant, bien que le droit de l’Union permette de façon légale l’encouragement d’identités collectives, l’identité partagée de l’Europe comporte un élément restrictif per se à cet égard dans la mesure où elle est considérée comme renfermant également une forte tradition pour le respect d’une autonomie individuelle, au détriment des identités collectives (13). La tradition humaniste reconnue par l’Union comme faisant partie de son héritage éthique est également hostile à l’encouragement de normes religieuses per se et résiste à l’encouragement des normes religieuses qui ne peuvent pas appartenir à la rubrique de l’identité culturelle. La réglementation européenne de ces conflits montre le degré auquel l’ordre juridique de l’Union peut être considéré comme ayant une identité religieuse spécifique. Cette réglementation révèle la façon dont cet ordre juridique traite de points clefs tels que l’équilibre entre les droits à une identité individuelle ou collective et le degré auquel l’Union a des conséquences sur le droit d’un État membre d’établir ses propres règles en ce qui concerne la religion.

Au-delà des conflits potentiels entre les éléments constituant une identité individuelle et collective, le fait de traiter la religion comme une forme d’identité affecte également le rôle qu’elle peut jouer au sein de l’ordre juridique et l’influence qu’elle peut exercer sur le droit. Les identités sont à la fois attribuées et choisies et, dans un monde varié, elles sont inévitablement hétérogènes. Par conséquent, lier l’aspect légal et le rôle de la religion au sein de l’ordre juridique à son statut en tant qu’élément de l’identité, pluralise la religion dans la mesure où cela inclut inévitablement la reconnaissance de plus d’une forme d’identité religieuse. Une telle démarche relie et donne de la valeur également au rôle de la religion dans la vie privée et publique, non pas sur un fondement de vérité quant aux revendications de vérités religieuses mais en tant que choix humains, à la fois collectifs et individuels. Par conséquent, la reconnaissance des revendications de monopoles de la vérité au sein de l’arène politique de la part des religions est rendue difficile par une telle démarche et il semblerait que la religion soit considérée comme un fait volontaire, un point de vue qui n’est pas partagé par toutes les religions principales (14). Considérer la religion comme un élément de l’identité la lie à des notions de culture et à une façon spécifique de vivre en communauté. Bien que la culture puisse être un terrain de conflit politique, c’est également l’État actuel des choses plus qu’un phénomène fondamentalement normatif. Elle est considérée d’une certaine façon comme distincte de la nature rationnelle et idéologique de la sphère politique (15). Par conséquent, cette conception peut dépolitiser la religion dans la mesure où elle valorise tout ce que les religions considèrent comme des pratiques et des visions normatives sur le fondement d’un État neutre et normal, c’est à dire un État fait de pratiques et de normes culturelles. Cette insistance sur le fait que la religion est un élément de culture et d’identité a également pour effet de lier le rôle de la religion au sein du droit européen à la source culturelle la plus puissante au sein de l’Union, à savoir l’État nation. La démarche de l’Union est de caractériser la religion non pas simplement comme un choix individuel ou collectif mais comme faisant partie d’une façon de vivre nationale que les États membres ont la possibilité de soutenir. En adoptant ce point de vue, le droit européen relie le rôle de la religion aux idées d’héritage et il permet à certaines traditions religieuses ayant atteint un certain niveau de reconnaissance au sein d’une culture nationale d’exercer un degré d’influence et de privilège plus grand que des religions « externes » pour lesquelles il manque ce rôle culturel national. Donc l’approche de l’Union implique un plus grand soutien pour certaines identités collectives que pour d’autres. Même si elle ne requiert pas une démarche libertaire et même si elle envisage l’intervention du droit afin d’encourager ces identités nationales collectives, un tel encouragement doit cependant respecter la notion d’équilibre dans son ensemble et les éléments humanistes mentionnés ci-dessus.

Beaucoup de ces caractéristiques, particulièrement celle du pluralisme, celle du lien entre la religion avec le choix ou la culture, et les restrictions sur les revendications de vérité au sein de la sphère publique, renforcent d’autres éléments quant à l’équilibre entre les influences religieuses, humanistes et culturelles que l’Union considère comme éléments de son héritage et comme caractéristiques nécessaires de son ordre juridique. Ceci permet à la religion de s’établir d’une manière qui ne menace ni les structures politiques établies, ni les identités collectives qui émanent de l’expérience historique conflictuelle de l’Europe entre différentes religions et entre les pouvoirs religieux et laïques. Notamment, la pluralisation de la religion comme partie intégrante d’une démarche basée sur l’identité, aide à conserver l’autonomie de la sphère publique de la domination par une forme unique de religion, plus particulièrement au niveau de l’Union où l’on ne trouve pas d’identité culturelle unique. La focalisation sur l’identité individuelle et sur le choix souligne également l’engagement par rapport au choix individuel qui soutient la protection de l’autonomie individuelle dans la sphère privée. Ces deux caractéristiques ont été identifiées par l’Union comme étant des éléments clefs de son ordre juridique dont la protection peut empiéter sur les souhaits de ces religions qui souhaitent dominer la sphère publique ou souhaitent utiliser le droit pour forcer les individus à adhérer aux doctrines religieuses dans la sphère privée (16).

Comme mentionné ci-dessus, la séparation effective entre les sphères politique et religieuse, et le principe d’autonomie individuelle qui en découle, sont des phénomènes qui sont tous deux le résultat d’évènements culturels et historiques, et le résultat d’influences qui ont donné naissance à la culture européenne actuelle. Ces phénomènes peuvent être considérés eux-mêmes comme des éléments d’une identité européenne, ou comme les paramètres d’une identité religieuse acceptable, ce qui caractérise l’ordre juridique de l’Union. Le fait de caractériser la religion comme une forme d’identité fait partie d’un engagement plus vaste à équilibrer les influences religieuses, humanistes et culturelles. Cette volonté de conserver un équilibre est en lui-même un aspect de ce qui est reconnu comme étant un héritage européen et une identité européenne partagés. Ceci signifie qu’il existera des formes d’identités religieuses qui ne pourront pas être inclues dans cette approche plus large basée sur un équilibre. Des identités religieuses incompatibles avec la notion d’équilibre, caractérisée par les aspects ci-dessus mentionnés, pourraient être considérées comme des menaces par rapport à l’ordre juridique de l’Union et pourraient être contrôlées pour cette raison. En particulier, certaines visions de la religion qui ne peuvent être réconciliées avec le caractère humaniste inhérent à cette idée d’équilibre, ou qui sont incapables de contribuer à un niveau politique sur le fondement d’une acceptation implicite de revendications de vérités multiples inhérentes à la sphère publique religieusement pluraliste, ou dont les croyances et pratiques ne sont pas enracinées voire sont en contradiction avec des normes nationales écrasantes ou des normes culturelles européennes, de telles visions auront sans doute du mal à influencer voire à être acceptées dans un tel cadre (17). À l’opposé, des identités religieuses qui sont des éléments établis au sein d’identités nationales ne sont pas considérées comme des menaces par rapport à la notion générale d’équilibre et donc par rapport à l’ordre juridique, même lorsqu’elles gardent des ambitions politiques qui peuvent être contraires à certains principes tel que celui du respect de l’autonomie personnelle, et que l’Union a identifiés comme étant des éléments clefs de son équilibre et donc de son ordre juridique (18). De plus, dans ses efforts de protection de l’ordre juridique de certaines religions considérées comme hostiles à cette notion d’équilibre, l’Union a, de temps en temps, voulu sanctionner les principes de restriction, comme celui de l’autonomie individuelle en matière de croyance, qui sont eux-mêmes considérés comme des éléments clefs d’un tel équilibre (19).

3 – Équilibre approprié : religion culturelle, religion politique et autonomie individuelle

Pour résumer, l’Union considère l’équilibre entre les influences religieuses et humanistes comme un élément clef de son ordre juridique. Certains rapports entre la religion, le droit et la politique ne sont pas considérés par l’Union comme remplissant ce critère d’équilibre. L’ordre juridique de l’Union a par conséquent sa propre conscience en ce qui concerne les questions religieuses et une vision particulière de ce que la relation avec la religion devrait être, même si ce point de vue permet aux États membres de garder une grande autonomie dans leurs affaires religieuses. Ce point de vue européen quant à une relation adéquate entre la religion, le droit et la politique n’empêche pas l’intégration d’un rôle culturel religieux au sein des États membres et il permet même à certaines croyances spécifiques d’exercer un certain degré d’influence indirect par rapport au droit par le seul fait de leur contribution à des normes collectives culturelles et à des idées de morale publique. Cependant, cela demande l’interdiction d’une influence religieuse explicite sur le droit et la politique et la protection de l’autonomie individuelle privée contre des tentatives d’application de normes morales collectives à travers le droit. C’est pourquoi, les visions de la religion qui ébranlent l’indépendance des arènes légales et politiques par une domination religieuse en intégrant des revendications de dogme religieux dans l’élaboration du droit, ou qui cherchent trop à imposer légalement une morale religieuse dans les affaires privées, ne seront pas considérées comme maintenant un juste équilibre entre les influences religieuses et humanistes requis par l’ordre juridique de l’Union.

4 – Les chapitres

Ces notions sont décrites et analysées au sein de cinq chapitres indépendants et d’une conclusion. Le chapitre 1 expose le contexte factuel de l’approche de l’Union par rapport à la religion en exposant les éléments fondamentaux des visions européennes contemporaines par rapport à la relation entre la religion, la politique, le droit et l’État. Il note comment à l’origine l’identité européenne émanait d’une volonté commune issue de la sphère chrétienne, mais aussi comment cette identité a été façonnée par une forte tradition humaniste redevable pour l’essentiel au christianisme. Cette tradition humaniste a néanmoins joué un rôle significatif dans le processus de laïcisation dont la plupart des États membres ont fait l’objet depuis le XVe siècle. Le chapitre 1 démontre que bien que l’Europe soit relativement « areligieuse » au sens mondial du terme, la religion demeure un élément à la fois d’une identité personnelle et nationale. En fait, une séparation stricte entre l’Église et l’État est rare en Europe et la religion joue donc un rôle constitutionnel important dans beaucoup d’États membres, particulièrement au niveau médical et en matière d’éducation. Malgré son rôle continu quant aux identités individuelles et collectives, l’influence de la religion au niveau politique a diminué. Bien qu’elle reste une référence par rapport au droit sur des questions de morale, comme par exemple le début et la fin de la vie, les structures familiales et la sexualité, son influence est en train de diminuer et a largement ouvert la voie à des notions libérales et humanistes d’autonomie individuelle. C’est pourquoi, la religion en Europe garde un rôle important en tant qu’élément des identités individuelles et collectives. En particulier, des cultes individuels continuent de fonctionner en tant que partie intégrante de l’identité nationale et des structures institutionnelles de beaucoup d’États membres. En dépit de ce rôle constant par rapport à l’identité, il est attendu de la religion en Europe qu’elle soit concurrentielle pour influencer le droit ayant des traditions laïques et humanistes fortes, ce qui a conduit à une diminution significative de son influence et de son rôle politiques.

Le chapitre 2 montre comment la tradition exposée au chapitre 1 se retrouve dans la formation du droit de l’Union. Il révèle comment la religion est reconnue par l’Union comme faisant partie intégrante de ses valeurs constitutionnelles mais également comment, en même temps, ce rôle est contrebalancé par la reconnaissance d’influences humanistes et culturelles potentiellement en porte à faux. Le rôle limité joué par la religion dans l’arène politique, comme démontré au chapitre 1, est similaire dans la formation de la législation de l’Union et de son droit en général. Bien qu’il reconnaisse la contribution spécifique des corps religieux dans ce domaine, le droit de l’Union requiert qu’une telle contribution soit faite dans le contexte d’une société civile. Il en résulte que les corps religieux doivent s’engager dans des structures qui reconnaissent implicitement la légitimité d’autres croyances et l’autorité d’institutions politiques laïques. Ainsi, la notion d’équilibre entre les différents éléments de l’héritage éthique de l’Union est préservée par la reconnaissance d’un rôle pour la religion par rapport à la formation du droit à la condition qu’elle renonce, dans le cadre de l’arène politique à un monopole sur la vérité ainsi qu’à un pouvoir politique substantiel en son nom propre.

Le chapitre 2 démontre également comment le rôle de la religion au sein d’une identité et d’une culture nationales et en tant que source de normes morales communes, a été intégré par le droit européen à travers la nature pluraliste de l’ordre juridique de l’Union. De cette manière, États membres de peuvent faire valoir des visions nationales particulières et des visions religieuses spécifiques de morale publique dans le droit européen,. Il faut toutefois que ces États respectent la notion d’équilibre entre les influences religieuses, humanistes et culturelles inhérentes à une obligation par rapport aux droits fondamentaux européens (en particulier le respect de l’autonomie individuelle), ainsi que la morale pluraliste trouvée dans différents principes comme celui de la liberté de circulation. Cette approche a été justifiée sur le fondement de l’autonomie culturelle. Au niveau européen, il manque à cet ordre juridique pluraliste une forte identité culturelle. Il est entaché par conséquent d’une adhérence stricte à une forme de neutralité en ce qui concerne les questions religieuses et il est marqué par des notions de morale publique dérivées des obligations européennes de respect des droits fondamentaux. Bien qu’officiellement neutres, de tels engagements ont été fortement influencés par le rôle historique et culturel de traditions religieuses spécifiques en Europe, notamment et essentiellement par un humanisme chrétien. Ils peuvent être considérés comme restrictifs par les adhérents à des religions ayant du mal à accepter les limites qui sont liées à un équilibre entre, d’une part, les valeurs religieuses et humanistes et, d’autre part, une tradition culturelle européenne forte quant à l’autonomie individuelle et quant à la souveraineté du peuple (par opposition à une souveraineté d’ordre divin).

Le chapitre 3 démontre comment ce même cadre s’applique aux obligations de l’Union par rapport aux droits fondamentaux. Dans la mesure où elle reflète des identités individuelles et collectives, la religion exerce une influence sur le droit de l’Union. Ce chapitre analyse les diverses justifications de la liberté de religion et note comment le respect pour des droits religieux individuels et collectifs peut souvent être conflictuel. En accord aussi bien avec les éléments pluralistes qu’humanistes de son ordre juridique, et avec ses obligations par rapport aux droits fondamentaux, identifiés essentiellement dans les conditions de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le droit européen a reconnu la liberté de religion individuelle et collective comme étant principalement un droit privé lié à la notion d’autonomie personnelle dans le cadre de l’identité. Cependant, les deux catégories de droits ont également été considérées comme devant ouvrir la voie à certains intérêts d’ordre juridique en dehors de la sphère privée. En particulier, le droit de développer et d’adhérer à une identité religieuse a été considéré comme nécessaire et légitime afin de soulever au sein du public au sens large un intérêt dans le maintien d’un système nonthéocratique et démocratique. Cette nécessité peut être vue comme reflétant les limites quant à l’affirmation des revendications de vérités religieuses dans la sphère publique dans le chapitre 2. De plus, bien que des décisions récentes aient montré une inquiétude grandissante de la part de la Cour européenne des droits de l’homme de surveiller dans le contexte d’écoles publiques, la limite entre la reconnaissance par l’État d’une foi particulière en tant qu’élément de culture nationale, d’une part, et la reconnaissance par l’État des revendications vérités religieuses d’une religion particulière, d’autre part, la jurisprudence de la Cour indique que le respect de la liberté de religion ne requiert pas l’intégration de choix religieux individuels ou collectifs dans des contextes nonprivés tel que le marché du travail, lorsque de tels choix sont incompatibles avec des normes culturelles dominantes. Le chapitre 3 suggère par conséquent que le cadre de base quant aux droits fondamentaux de l’Union permet aux identités religieuses individuelles ou collectives de recevoir une protection considérable au niveau privé tout en autorisant les États membres à restreindre de tels droits à l’identité dans des contextes nonprivés, et ce afin de promouvoir une identité culturelle commune ou la nature démocratique de l’ordre juridique.

Le chapitre 4 décrit l’application du cadre basé sur l’identité comme expliqué au chapitre 3, et ce dans le contexte du droit du Marché Unique de l’Union et décrit la réconciliation dans ce domaine des droits à l’identité individuelle ou collective potentiellement en conflit. L’idée est que la religion est un élément de l’identité personnelle ayant droit à une certaine protection dans le principe du respect d’une autonomie individuelle La définition de la religion peut être considérée comme un choix économique dans le droit du Marché Unique. Le chapitre 4 montre comment le droit européen a adopté un point de vue plus large quant au besoin de protéger l’identité religieuse individuelle dans des contextes non privés que le niveau minimum prescrit par la Cour européenne des droits de l’homme. Ce chapitre décrit comment l’Union a légiféré afin d’exiger la reconnaissance de l’identité religieuse personnelle au sein du marché du travail. En adoptant le principe de discrimination indirecte, le droit européen non seulement protège l’identité religieuse individuelle en dehors des contextes purement privés, mais il assure également le côté officiel neutre du marché du travail, pluralisant parlà le marché du travail en termes religieux. D’autre part, le fait que l’identité religieuse et individuelle soit facilitée est encore nécessaire afin d’ouvrir la voie à certains intérêts publics tels que la nature commerciale de l’économie de marché, la nécessité de protéger la nature non théocratique de l’ordre juridique et des privilèges religieux préexistants dans le marché. L’Union a, en fait, respecté de façon considérable les structures existantes ainsi que les privilèges détenus par des groupements spécifiques sur le marché et a absous de telles structures du devoir de se conformer à des mesures contre les discriminations afin de permettre la préservation du rôle institutionnel joué par des religions particulières au sein de chacun des États membres. Un tel respect facilite l’identité religieuse collective en permettant aux employeurs religieux de promouvoir leurs ethos au travail. Cependant, il permet également la restriction des droits à une identité religieuse individuelle en permettant une discrimination à l’encontre des employés sur des principes religieux.

Ce respect du rôle collectif de la religion est également perçu dans la reconnaissance par l’Union de la religion comme un élément culturel. Le respect des influences culturelles est explicitement reconnu comme un élément faisant partie du respect de l’héritage et de l’équilibre entre les éléments religieux, humanistes et culturels qui sont sous-jacents à l’ordre juridique de l’Union. Le chapitre 4 montre comment, en accord avec son approche quant aux privilèges religieux préexistant sur le marché du travail, l’Union a reconnu comme faisant partie intégrante de la culture nationale, des attitudes particulières à certains cultes individuels et certains arrangements institutionnels reliant de tels cultes à un État membre spécifique. Cette démarche culturelle renforce certains aspects de l’équilibre poursuivi par l’Union qui apparaissent dans les chapitres précédents. Par exemple, étant donné que la culture fait partie d’un État de fait qui n’est pas nécessairement normatif, le fait de caractériser la religion comme un élément culturel renforce son statut en tant que choix humain ou en tant qu’élément d’identité plutôt qu’une revendication dogmatique ou idéologique. Une telle vision de la religion renforce les limites du rôle des revendications explicitement religieuses au sein de l’arène politique telles que décrites au chapitre 3. Cependant, le chapitre 5 démontre également comment la reconnaissance de religions spécifiques en tant qu’élément de culture nationale permet à de telles croyances d’accéder à un certain niveau d’influence sur le droit, influence qui n’est pas permise à d’autres croyances. Un tel statut permet également à ces croyances ayant pénétré le système de promouvoir leur vision du monde ou de se protéger à travers le droit européen, par le biais d’exemptions quant aux règles du libre marché et des clauses de morale publique que les États membres considèrent comme nécessaires afin de préserver des éléments de leur culture imprégnés de religion.

De plus, le chapitre 4 démontre comment l’Union n’a pas entièrement apprécié la complexité de la relation entre les croyances ayant culturellement pénétré le système et les limites requises par les éléments humanistes de l’identité de l’Union quant à l’influence religieuse dans le droit et la politique. Son point de vue sur la relation entre la religion et le droit résolument axé autour du culturel fait que l’Union considère comme « culturelles », et par là donc acceptables, des demandes qui, si elles provenaient d’autres religions considérées comme « externes », seraient vues comme totalement apolitiques et menaçantes pour des notions telles que le pluralisme de la sphère publique ou le respect de l’autonomie individuelle qui est sous-jacente à l’équilibre entre la religion et les influences humanistes auxquelles l’ordre juridique de l’Union est fidèle. Enfin, le chapitre 4 démontre comment les droits des religions considérées comme contraires à la culture européenne ont reçu une reconnaissance minime par rapport au droit européen et ont, dans certains cas, été qualifiées de contraire à l’ordre juridique et par conséquent sujettes à des restrictions.

La façon dont l’Union régule la religion au sein du Marché Unique démontre donc que, même si elle veut promouvoir la religion en tant qu’élément d’identité culturelle individuelle, collective et nationale, il existe des sortes d’identités considérées comme inacceptables dans le contexte dédié au maintien de l’équilibre entre les influences religieuses, humanistes et culturelles qui forment l’héritage idéologique de l’Europe. Le chapitre 4 montre comment les religions qui ne tombent pas sous la protection de l’identité culturelle et qui ne respectent pas les limites du rôle politique de la religion considérées comme inhérentes à cet héritage, sont considérées comme des identités qui recevront une protection et un soutien plus restreints au regard du droit européen.

Le chapitre 5 examine plus avant cette notion d’identités religieuses inacceptables. Il analyse comment les limites imposées sur l’influence politique de la religion et inhérentes à la vision d’équilibre poursuivie par l’Union, ont été mises en avant dans sa façon de traiter les étrangers dont les religions ne peuvent pas aussi facilement être accommodées sous la rubrique d’identité nationale culturelle. Le chapitre 5 évalue la position de l’Union quant à son élargissement et quant à l’intégration des immigrés afin de démontrer que les religions ayant tenté de dominer la sphère publique ont été considérées comme entravant le devoir de respect du principe de pluralisme, alors que les tentatives d’ingérence dans la sphère privée afin d’imposer une morale religieuse violent tout autant le respectede la notion d’équilibre entre les influences religieuses et humanistes. Si la religion échoue dans le fait de respecter l’autonomie publique et privée, son rôle est considéré comme incompatible avec une identité européenne que l’Union considère comme englobant non seulement une tradition religieuse forte (à prédominance chrétienne) mais aussi des traditions également fortes de questionnement de la religion, d’imposition d’un certain degré de séparation entre les mondes religieux et politiques et de respect de l’autonomie individuelle. Le chapitre 5 montre qu’à force de défendre cette identité, l’Union a empiété sur l’autonomie individuelle elle-même en cherchant à réguler l’identité religieuse privée Ce faisant, l’Union est parfois apparue, tout du moins de façon implicite, comme considérant certaines formes de religion, tout particulièrement l’Islam, comme moins compatibles avec l’héritage et l’identité religieuse européens que d’autres religions. De plus le chapitre démontre que même si l’Union a accommodé au sein du droit en tant qu’élément de morale publique ou de normes culturelles nationales des normes religieuses étant reconnues comme faisant partie des identités et cultures nationales, les tentatives de la part de religions extérieures d’imprégner le droit afin de refléter leurs propres croyances religieuses ont été vues comme un acte politique et non pas culturel et ont été considérées par là même comme une menace aux limites de l’influence politique et religieuse inhérentes à l’interprÉtation de l’Union quant à la nécessité d’équilibre entre les influences religieuses, humanistes et culturelles.

La conclusion relie tous ces thèmes et soutient que la position de l’Union par rapport à la religion est caractérisée par une volonté de réconcilier les deux approches dominantes et partiellement en conflit par rapport à la religion qui ont émergé de l’histoire de l’Europe, c’est-à-dire une tradition de religiosité chrétienne et une tradition humaniste, laquelle est en partie née du christianisme mais qui a également nourri une tradition forte de laïcité et de questionnement et de remise en question de la religion. Ces traditions sont réconciliées par l’Union à travers un engagement quant à un équilibre d’influences religieuses, humanistes et culturelles, qu’elle considère comme marquant son héritage religieux. Cette volonté d’équilibrer une forte tradition religieuse qui a inclus la promotion de buts religieux et de normes religieuses à travers le droit, avec une forte tradition humaniste mettant l’accent sur l’autonomie individuelle, l’égalité et la séparation entre les mondes religieux et politiques, cette volonté se traduit par la reconnaissance de la religion comme un élément de l’identité, à la fois individuelle et collective. Le cadre de l’identité permet aux religions de poursuivre leurs buts en relation à la promotion de normes morales communes à travers la reconnaissance du statut de la religion en tant qu’élément d’une identité collective et en tant que contribuant à la définition de normes partagées. Parallèlement, avoir une vision de la religion comme une forme d’identité la définit comme faisant partie du choix humain, et par là donc la pluralise et limite sa possibilité d’imposer un monopole de la vérité dans la sphère publique, tout en renforçant des revendications d’autonomie par rapport à la formation d’une identité individuelle. Tout cela limite la possibilité qu’a la religion de dominer les arènes juridiques et politiques. C’est pourquoi, même si un cadre ayant pour fondement une identité permet à l’Union de montrer dans sa position un pluralisme considérable et par là donc d’accommoder des visions de la religion divergentes de façon importante parmi les États membres, il existe des limites à un tel pluralisme et l’Union considère un équilibre adéquat avec la religion comme un élément fondamental de son ordre juridique et une condition sine qua non pour devenir membre. Des visions qui basent la formation du droit sur la reconnaissance de revendications de vérités religieuses et qui permettent la domination religieuse des arènes juridique et politique ou qui permettent l’application d’une morale religieuse allant à l’encontre du respect de l’autonomie privée individuelle, ces visions ne seront pas considérées comme gardant un équilibre approprié et seront contraires à l’ordre juridique de l’Union. Ces caractéristiques procurent à l’Union un ordre juridique qui est lié sans ambiguïté à une tradition humaniste chrétienne et qui facilite un rôle culturel de la religion influençant le droit. D’un autre côté, même si pas à strictement parler laïque, un tel ordre juridique est de son propre aveu non théocratique et, même s’il reconnaît la religion et privilégie certaines formes de religion culturellement ancrées, il reconnaît également l’importance de perspectives non religieuses.

Des questions difficiles apparaissent du fait que les restrictions quant aux influences religieuses au sein de l’arène politique qui sont requises par l’ordre juridique de l’Union pourraient être moins restrictives à l’égard des croyances dites « ancrées » qu’à l’égard des croyances dites « externes ». En considérant l’influence exercée par des religions ancrées culturellement, enracinées dans le droit du fait de leur rôle quant à l’identité d’un État membre spécifique, comme culturelle et non pas politique ou idéologique, l’Union rend exempt, jusqu’à un certain point, les revendications de telles religions fondées sur cette nécessité d’exigence de justification rationnelle et de respect réciproque pour d’autres revendications d’identité, malgré les éléments politiques et idéologiques de ces demandes culturelles. La reconnaissance de telles revendications comme culturelles est par conséquent indubitablement une source importante de privilèges et d’influence par rapport au droit. En fait, les relations entre la religion, le droit et l’État sont en mouvement à travers l’Europe puisqu’une plus grande diversité religieuse crée une tension sur des arrangements souvent implicites entre l’État et de telles croyances culturellement ancrées. La vision de l’Union est problématique, non parce qu’elle cherche à sauvegarder les limites quant à l’influence de la religion sur le droit mais parce que, en accord avec certains de ses États membres, elle impute un consentement absolu aux croyances culturellement ancrées et parce qu’elle a rarement réussi à imposer ces limites sur de telles religions ancrées, avec la même rigueur que dans le cas de croyances externes. Cependant, face à l’importance continue de certaines religions dans l’identité culturelle d’États membres, les pouvoirs limités de l’Union, son pluralisme légal, et son engagement à respecter l’autonomie culturelle de chaque État membre, il est inévitable que les croyances qui jouent un rôle majeur dans les identités nationales exercent une plus grande influence indirecte sur les lois que les croyances qui ne jouent pas un rôle comparable.

Cependant, bien qu’elle ne soit pas à même de remodeler radicalement la relation entre la religion et le droit dans les États membres, l’Union ne reflète pas uniquement les préférences des États membres, mais elle procure des limites, même restreintes, sur de telles relations. En fait, en exemptant des revendications « culturelles » d’une nécessité de justification rationnelle et de reconnaissance réciproque sur le fondement de leur nature ostensiblement apolitique, l’Union peut imposer ces mêmes exigences sur des religions ancrées quand elles ont des revendications qui sont explicitement politiques dans leur nature ou qui ne peuvent pas être caractérisées comme une revendication pour la protection d’une identité culturelle nationale. L’ordre juridique de l’Union établit par conséquent sa sphère politique comme un environnement formellement neutre en termes religieux, auquel tous les points de vue religieux peuvent contribuer et au sein duquel des revendications pour détenir la vérité de façon exclusive ainsi que pour refuser de reconnaître la validité d’autres identités religieuses sont impossibles. De plus, la combinaison entre, d’une part, cette protection de l’autonomie de la sphère politique par rapport à une prééminence religieuse et, d’autre part, l’exigence de l’Union que les États membres respectent les éléments fondamentaux de sa propre morale publique, tel que le respect du principe des droits proportionnels et fondamentaux y compris l’autonomie privée individuelle, la non-discrimination, et les droits de la liberté de circulation, crée une entrave aux tentatives d’élargissement de l’influence de croyances spécifiques sur le droit et la vie politique et l’assujettissement de l’autonomie individuelle à la promotion de buts religieux et culturels au niveau des États membres (20), favorisant par-là même le degré de pluralisme nécessaire à une évolution culturelle afin de rester suffisamment ouvert pour permettre à des groupes qui sont à l’heure actuelle externes de contribuer au processus d’évolution culturelle.

Même si l’Union n’est pas à strictement parler laïque, si les prédictions du retour de la religion dans l’arène politique (21) s’avèrent correctes, il se peut que l’Union fixe des limites sur l’effet d’un tel retour dans les décennies à venir et joue un rôle important dans l’évolution de la relation entre le droit, la politique, l’État et la religion en Europe. Bien qu’il existe des questions sérieuses par rapport à l’application sélective des limites quant aux influences religieuses en ce qui concerne les croyances externes, toutes ne peuvent pas être expliquées par le lien entre le rôle public de la religion et son statut culturel (qu’une vision basée sur l’identité entraîne) les tentatives de l’Union de faire une différence entre le rôle culturel de la religion et des revendications explicitement religieuses au sein de l’arène politique, correspondent à un équilibre qui est justifié par la volonté de faire respecter son pluralisme culturel et juridique, tout en construisant un ordre juridique différent avec des normes fondamentales et identifiables.

(1) C. Crouch, « The Quiet Continent : Religion and Politics in Europe »,in D. Marquant et R.L. Nettler (eds), Religion and Democracy, Oxford, Blackwell Publishers, 2000.

(2) Infra, ch. 3, sections 2 et 3.

(3) Pour plus de précisions sur ces questions, cf. G. Robbers (ed.), State and Church in the European Union, Nomos, Baden-Baden, 2005.

(4) Infra, ch. 2, sections 3.2 et 4.2.

(5) Infra, ch 5, sections 2 et 3.

(6) Infra, section 3.2.

(7) Infra, ch 4.

(8) Infra, ch 6, section 2.

(9) Infra, Ch 3, sections 2 et 3.

(10)Cf. J.T.S. Madeley et Z. Enyedi (eds), Church and State in Contemporary Europe : The Chimera of Neutrality, Londres, Frank Cass Publishing, 2003.

(11) Cet ouvrage n’est pas destiné à contribuer au débat très large quant à la définition de termes complexes tels que « religion » et « humanisme ». Aux fins de cet ouvrage les influences « humanistes » peuvent être comprises comme un point de vue qui soutient de façon générale l’idée de l’autorité humaine (par opposition au supranaturel) en ce qui concerne des questions d’ordre matériel, particulièrement dans les arènes juridiques et politiques et qui place une valeur significative sur un rationalisme individuel autonome et sur l’importance de l’expérience humaine sur terre et qui ne s’attarde pas sur l’importance de la vie après la mort, la foi ou le salut éternel.

(12)Cf. K. Dalacoura, Islam, Liberalism and Human Rights : Implications for International Relations, Londres, IB Tauris, 1998.

(13) Infra, ch 3, section 5, ch 5, sections 2.1 et 2.3 et ch 6, sections 2 et 4.

(14) Infra, ch 4, section 2.

(15)Cf. F. Inglis, Culture, Cambridge, USA Polity Press, 2004, pages 28-29 ; Cf C. Barker, “Culture” dans The SAGE Dictionary of Cultural Studies, Londres, Sage, 2004, page 45.

En ce qui concerne le caractère apolitique et non idéologique de la culture, Cf. A. Gramsci, Selections from the Prison Notebooks, New York, International Publishers, 1971, page 238 et S. Zizek, In Defence of Lost Causes, Londres, verso, 2008, page 21 ; Infra, également la discussion au chapitre 7, section 4.

(16) Infra, ch 6, sections 2 et 5.

(17) Infra, ch 5, section 3 et ch 6, sections 2-5.

(18) Infra, ch 5, section 3.2 et ch 6, sections 2.5 et 5.

(19) Infra, ch 6, sections 3 et 4.

(20) Infra, ch 5.

(21) P. Berger et G. Weigel (eds), The Dececularization of the Modern World : Resurgent Religion and Modern Politics, Grand Rapids, Mich. Erdemans Publishing Company and Public Policy center, 1999.

Chapitre 1L’héritage religieux de l’Europe : religion, droit et identité en Europe contemporaine

1 – Introduction

Sous l’ordre juridique de l’Union européenne, la religion est traitée en grande partie comme une question d’identité et comme le fondement de ce que l’Union considère comme la tradition éthique de l’Europe, c’est-à-dire un équilibre entre des influences religieuses, humanistes et culturelles. La réglementation de la religion par l’Union s’opère dans un contexte dans lequel une grande partie du pouvoir politique et de la pratique religieuse perdure à l’intérieur de contextes nationaux (1), et elle s’opère également à travers un ordre juridique qui s’engage à respecter le pluralisme et l’autonomie culturelle nationale. Les approches des États membres par rapport à la religion sont caractérisées par l’héritage commun de la chrétienté en Europe et par les influences humanistes et laïques qui ont émergé de l’histoire européenne et qui ont limité l’influence religieuse sur le droit et sur la politique à un degré plus élevé qu’ailleurs.

Cependant, l’équilibre entre ces influences est atteint de façon différente selon les différents États membres. Les dispositions quant au statut officiel de la religion, quant à l’influence politique et juridique de la religion et quant au rôle culturel et institutionnel des corps religieux, varient de façon significative d’un État à un autre. Malgré une telle diversité, certains thèmes et modèles communs peuvent être identifiés. Tous les États membres actuels de l’Union partagent un passé largement chrétien, mais ont également été exposés à des influences humanistes et laïques qui ont réduit l’influence religieuse sur le droit et la politique.

Néanmoins, la religion a conservé un rôle significatif à la fois en ce qui concerne l’identité personnelle et l’identité collective. Les institutions religieuses gardent des rôles importants dans des domaines tels que la santé et l’éducation dans presque tous les États membres, tandis que beaucoup d’États gardent des liens officiels avec des cultes chrétiens spécifiques, qui demeurent un élément important des identités nationales. Aucun État membre de l’Union n’est une théocratie à part entière. Des limites à l’influence religieuse sont un élément clef des traditions éthiques et politiques qui sont partagées en Europe. Cependant, des groupes religieux ont gardé une certaine influence sur le droit et la législation dans certains domaines, même si de moins en moins. L’approche des États membres de l’Union face à la religion est par conséquent caractérisée par un degré significatif de diversité mais également par une vision commune de la religion comme un aspect important des identités nationales, collectives et individuelles, ce qui donne à la fois une position institutionnelle particulière et un degré d’influence sur le droit et le domaine politique, même si ce degré doit être limité et même s’il diminue constamment.

Une analyse des approches de l’Europe actuelle par rapport à la religion demande une sensibilisation au rôle joué par la chrétienté dans l’histoire et l’identité européennes, et demande également une certaine connaissance du processus de sécularisation qui a entraîné l’établissement de limites significatives quant à l’influence religieuse sur le droit, la politique et la société en Europe. Ces développements ont donné naissance à des versions concurrentielles de l’identité de l’Europe, centrée autour du chritianisme et du sécularisme. Effectivement, le degré de sécularisation que les sociétés européennes ont connu est assez exceptionnel en termes internationaux. Néanmoins, même dans des sociétés laïques, la religion n’a pas disparu et elle continue d’exercer une influence dans certains domaines, plus particulièrement sur des questions de morale sexuelle, des questions sur le début et la fin de la vie (des « questions universelles sur la vie » (2)), ainsi que sur des questions d’identités communes. Le rôle continu de la religion en ce qui concerne l’identité individuelle est démontré par de fortes adhésions nominales à la religion, ainsi que par le niveau extrêmement divergent de la pratique religieuse dans les populations des États européens. L’influence religieuse sur le droit et la politique a décliné, même en ce qui concerne les « questions universelles sur la vie » mais néanmoins les institutions religieuses gardent un certain degré d’influence sur ces questions. Pour finir, un élément clef de la relation de l’Union avec la religion est lié au rôle joué par la religion quant à l’identité nationale ainsi qu’à la position constitutionnelle et institutionnelle de la religion dans les États membres. Il existe de grandes divergences entre les États de l’Union, allant de la reconnaissance officielle d’une religion unique à une laïcité officielle. Néanmoins, presque tous les États procurent un certain degré de reconnaissance ou de soutien par rapport à la religion, et les institutions religieuses gardent des rôles significatifs dans les prestations relatives à la santé ou à l’éducation.

Alors que la religion exerce une influence comparativement faible dans les sociétés européennes, un lien avec une forme particulière de religion ou une façon de gérer la religion est un élément clef à la fois en ce qui concerne l’identité personnelle et l’identité nationale de beaucoup d’États membres. De plus, même si l’influence religieuse par rapport au droit et à la politique a diminué, ce n’est pas entièrement une chose du passé. Cependant, le rôle joué par la religion dans ces domaines est contrebalancé par des influences humanistes et laïques fortes qui ont marqué l’histoire de l’Europe. La vision d’ensemble est par conséquent une vision d’équilibre entre les influences religieuses et laïques, vision atteinte de façon variée dans les différents États membres. Ce chapitre met en lumière le contexte plus large de la réglementation de l’Union en ce qui concerne la religion, ainsi que de son développement d’une approche constitutionnelle distincte par rapport à des questions de religion.

2 – Un héritage de chrétienté et de sécularisme

La religion, en particulier la religion chrétienne, a joué un rôle fondamental dans l’établissement des idées mêmes de l’Europe et de son identité. Le Goff suggère que « par-dessus tout, ce fut le christianisme qui apporta l’uniformité à l’Occident au début du Moyen-Âge » (3). Il note comment des raconteurs médiévaux ont décrit pour la première fois un évènement comme « européen » en ce qui concerne la victoire de l’armée des Francs chrétiens sur l’armée musulmane à Poitiers en l’an 732 (4) et comment, avec les croisades du 11ème siècle, la chrétienté occidentale est devenue synonyme d’une identité européenne qui se définissait elle-même en opposition aux civilisations islamiques et byzantines orthodoxes chrétiennes au sud et à l’est. Ce processus fut renforcé par la chute de l’empire byzantin au profit des Turcs ainsi que par la menace militaire posée par l’empire ottoman jusqu’à la fin du 17ème siècle. (5) Le Goff décrit également comment certains traits de la chrétienté occidentale ont donné naissance à des idées et des distinctions clefs qui devaient avoir un effet profond sur le développement politique de l’Europe. En particulier, il suggère que la séparation entre les laïcs et le clergé par le pape Grégoire VII a propulsé un degré de séparation entre César et Dieu qui a distingué la civilisation européenne du césaro-papisme de l’église orthodoxe orientale, mais aussi des conceptions islamiques qui ne font pas la différence entre les domaines religieux et politique (6). De plus, il note comment l’émergence durant les 11ème et 12ème siècles d’une accentuation forte de la croyance que l’homme a été fait à l’image de Dieu, a donné naissance à un courant d’humanisme qui a eu de grandes conséquences en termes d’importance accordée à l’individu dans la société européenne durant les siècles suivants.

Bien que Le Goff suggère que ces traits « impliquent le rejet de la théocratie […] et implique un équilibre entre la croyance et la raison » (7), il est d’accord avec d’autres auteurs tels que Taylor et Casanova sur le fait que jusqu’au 15ème siècle, tous les aspects de la vie européenne étaient dominés par la religion et par la religion chrétienne d’Occident en particulier (8). Cependant, à partir de la fin du 15ème siècle, l’Europe a commencé un long processus de sécularisation, ou ce que Taylor appelle de « désenchantement », ce qui a entraîné le déclin de l’influence religieuse sur la vie politique et de façon ultime sur la vie personnelle. Ce déclin a peu de parallèles ailleurs dans le monde. Plusieurs explications ont été suggérées. Casanova soutient que cette diminution de l’influence de la religion a été causée par quatre facteurs principaux. La Réforme protestante a ébranlé les revendications d’universalité de l’église catholique ; l’émergence de l’État moderne avec son monopole de la force a ébranlé la nature obligatoire de la religion ; la montée du capitalisme et des marchés a éloigné la vie économique du contrôle des institutions religieuses et du contrôle des idées ; et pour finir, la science moderne a très tôt engendré de nouvelles méthodes autonomes de vérification de la vérité (9). Au final, cette combinaison de facteurs a engendré une situation dans l’Europe moderne où « la recherche de signification subjective est une affaire strictement personnelle [et] où les institutions “ publiques ” les plus importantes (l’État, l’économie) n’ont plus besoin ou ne sont plus intéressées à maintenir un cosmos sacré ou une vision du monde publique religieuse » (10).

De façon similaire, Bruce (11) soutient que ce fut l’augmentation à la fois de l’individualisme et du rationnel engendrés par la Réforme qui ont initié le processus d’où devait résulter la sécularisation de l’Europe moderne. Il a soutenu que « l’individualisme a menacé le fondement commun de la croyance et du comportement religieux, tandis que le rationnel supprimait beaucoup des buts religieux et rendait beaucoup de ses croyances improbables » (12)