Renoncements - J. M. Bernard - E-Book

Renoncements E-Book

J. M. Bernard

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Beschreibung

"Renoncements" est une exploration captivante de la vie conjugale contemporaine, où un couple est uni par un amour fondé sur un idéal d’absolu, mais qui se trouve progressivement érodé par les réalités cruelles de notre époque et leurs propres faiblesses intérieures. Ce roman navigue au milieu des contradictions, des aberrations et des excès de notre temps, engendrant des renoncements tout en maintenant une lueur d’espérance.

À PROPOS DE L'AUTEUR

La littérature a toujours été le pilier et les jambes qui ont guidé J. M. Bernard au milieu des épreuves de la vie. Malgré un parcours professionnel agité, il n’a jamais cédé aux renoncements mais il a su relever de nombreux défis. Aujourd’hui, il se consacre à explorer différentes cultures littéraires.

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J. M. Bernard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Renoncements

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – J. M. Bernard

ISBN : 979-10-422-3600-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

Saint-Usuge fait partie de ces modestes villages anonymes qui fondent le pays de France. Il s’agit tout juste d’un petit bourg d’un millier d’habitants. La plupart d’entre-deux, sont employés, dans des villes voisines. Une longue rue centrale rectiligne, plantée de platanes séculaires, partage le cœur de la commune. Seul le boucher résiste à la désertification commerciale. Le boulanger vient de fermer boutique, après l’épicier et le débit de boisson. La rare population, originaire du village, déambule à petits pas, courbée par les ans et les souvenirs. Une agence postale survit dans les locaux d’une mairie restaurée au goût du jour. Saint-Usuge est, ce qu’il est convenu d’appeler, un village périurbain, une cité dortoir, avec en son centre, les vieilles bâtisses usées par les ans, et quelques pavillons modernes, à sa périphérie. La vie communale se résume en une fête annuelle en fin d’été, et une matinée boudin en hiver. Seule la petite école résonnant des cris d’enfants, anime et vivifie, le bourg empreint d’une léthargie déprimante.

Proche du Rhône et des grands axes, un des rares attraits touristiques de Saint Usuge domine la vallée de sa silhouette altière. Il s’agit d’un prieuré du XIIe siècle consacré à Saint-Eloi. Bien esseulé sur son promontoire, prêtres et paroissiens l’ont déserté, laissant place à quelques touristes de passage. Cet édifice aurait tant à dire. Comme nombre de ses semblables, Saint-Eloi a accompagné la vie et la mort des hommes d’ici, blottis à l’abri de son clocher, des siècles durant. Il fut un temps où ses abords abritaient deux écoles primaires et le presbytère, aujourd’hui, seul le silence est interrompu par la cloche toujours fidèle.

Traversant la guerre de Cent Ans, les guerres de religion, Saint Eloi a résisté à la fureur des hommes pour succomber, désormais, aux assauts de l’indifférence. Inscrite au patrimoine national, l’église de style roman a été édifiée sur une crypte d’une grande beauté. L’aspect général du vénérable édifice à l’abandon forme un ensemble cohérent à l’élégance épurée.

Les habitations au centre de Saint-Usuge, sont en pierres du pays, recouvertes de tuiles romaines, serrées entre-elles dans un enchevêtrement mystérieux caché par de grands portails, ouvrant sur des cours intérieures. Les bâtisses se tiennent les unes aux autres, s’entremêlent, se divisent au gré des héritages. Les ouvertures aux volets de bois ne laissent guère passer les mots, des cris d’enfants ou une romance. Les rues et les ruelles sont muettes, mais pas sourdes. Quelques ombres se faufilent la nuit tombée.

Maisons de famille, demeures de vieillards, les murs gris ne sourient guère à l’étranger, à ceux venus d’ailleurs. Les secrets intimes, les non-dits sont bien au chaud, à l’abri des portes closes à double tour.

Les gens d’ici, les natifs, sont durs comme le granit et austères comme les plaines du Nord, avares en sourire, ils avancent les yeux baissés, se hasardant à répondre à une salutation. Il faut avouer que les quelques paysans, encore présents au vieux village, ont ruiné leurs forces à faire rendre gorge à une terre pauvre et un sol ingrat. Les coteaux granitiques à la fine couche de mélasse ont usé des générations qui ont creusé des sillons profonds comme des tombeaux, pour y planter quelques ceps d’une piquette domestique. Les anciens avaient osé semer, de-ci de-là, du seigle ou de l’épeautre et quelques pommes de terre.

Une vache, une chèvre, et un cochon furent, durant des décennies, l’attribut de familles aisées, puis le remembrement, la mécanisation, le rendement effacèrent des mémoires, les veillées autour de l’âtre incandescent. Les jeunes, à défaut d’être éduqués, s’instruisirent aux nouvelles techniques de production, ou quittèrent les champs pour rejoindre le prolétariat des villes. Les vertus ancestrales des gens de la terre se diluèrent dans le quotidien des banlieues.

Les vieilles et rares familles richement dotées en racines profondes occupent encore, de génération en génération, une bâtisse à l’écart de la gueusaille ou ce qu’il en reste. Sur trois ou quatre niveaux formant un solide rectangle de pierres, ces demeures aux allures de grand siècle, ouvrent sur d’immenses parcs arborés, et se tiennent en un lieu hors du bourg, protégées par de hauts murs aux regards du commun.

Certaines propriétés, divisées et déchues de leur suffisance, ont consenti aux mésalliances avec la bourgeoisie industrieuse, ou pire, avec quelque quidam enrichi depuis peu.

Les jeunes couples, se hissant dans l’échelle de la notabilité, occupent les faubourgs immédiats du centre villageois. Des carrés de territoire exigus autorisent des constructions en vis-à-vis, où la piscine est un des symboles d’accomplissement. L’habitat sans caractère ni charme répond à toutes les obligations réglementaires édictées par une société du risque zéro et décarbonée.

À Saint Usuge, comme souvent, la population locale forme un millefeuille génétique, culturel et social, où seuls les écoliers se mélangent sans notion d’appartenance, de rivalité, ou pire de jalousie. Pour le reste, les natifs jouent à la pétanque, à la belote, les femmes cancanent, les hommes chassent le sanglier. Les étrangers, ceux venus d’ailleurs, jeunes actifs, pour travailler dans les environs, parents d’enfants scolarisés, s’intègrent, par goût ou par nécessité. Quant aux « néo-ruraux » retraités, la greffe est plus délicate à germer sans les racines indispensables à l’assimilation. Le bénévolat leur offre quelques pistes. Certains parviennent à gravir les échelons d’associations locales, d’autres, plus ambitieux, pénètrent, sur la pointe des pieds, au Conseil Municipal. Quelques-uns choisiront les clubs de marche, de vélo ou de scrabble. Enfin les derniers se retrouvent à la messe dominicale mensuelle. Les patronymes restent une bonne indication de l’origine des gens. Chaque commune possède des lignées portant un même nom, les filiations s’entremêlent sous une même dénomination familiale, visible sur les listes électorales, les adresses postales, le monument aux morts ou les plaques de rues.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

 

 

Saint-Usuge, compte désormais en ce mois de février 2022, deux nouveaux administrés : le couple Lescran, arrivé depuis peu.

Monsieur, plutôt matinal, parcourt les venelles et les ruelles de la petite cité ensommeillée, à la découverte de son village d’adoption, attendant l’ouverture de la petite agence postale, nichée au-dessus de la mairie. Le colonel Alexandre Lescran, nouvellement retraité, attend des documents de la première importance.

 

À 8 h 30, Alexandre Lescran pousse la porte vitrée de la modeste agence postale.

Il s’adresse à la préposée : « Bonjour, vous devriez avoir une recommandée au nom de Lescran, je viens de m’installer à, Saint-Usuge ». C’est ainsi qu’Alexandre pénètre discrètement, un matin de 2020, dans la vie communale de Saint-Usuge. Virginie, la postière, s’empresse lentement dans ses recherches, en en profitant pour observer le nouveau venu. Souriante, pas farouche, et surtout intriguée par le nouvel arrivant, elle lui demande :

« Depuis quand êtes-vous arrivé ? »

« Il y a environ une semaine. J’ai acheté la maison de monsieur et madame Champard, nous sommes en pleine installation. »

— Ah ! Voilà votre courrier.

S’empressant d’en repérer l’expéditeur, Virginie tend une grosse enveloppe Craft, en réclamant une signature. Les deux regards se croisent. La postière esquisse un sourire et ose une « Bienvenue » au village. Alexandre remercie.

Alexandre Lescran porte bien ses 57 ans. Le visage, structuré aux traits virils, indique un homme de caractère. Ses yeux d’un bleu d’acier enfoncés dans leurs orbites durcissent son regard, celui d’un homme d’action semblant pénétrer vos pensées. Son front haut et dégagé est barré de trois rides d’expression donnant une impression plus humaine à ce visage volontaire. Svelte, élancé, les muscles saillants, tout le corps d’Alexandre donne un sentiment de puissance, renvoyant à une image, celle d’un félin, sûr de lui, et de son pouvoir.

Après l’école militaire de Saint-Cyr, promu officier, il enchaîna les Opex, la Bosnie, L’Irak, et le Mali. Il a servi avec passion dans la légion et au RIMA, et aussi dans les commandos. Le sens du devoir, les vertus d’entr’aides, l’honneur de servir ont été ses raisons de vivre et d’agir. Fidèle à des convictions chevaleresques, quelque peu désuètes, voire anachroniques, sa noble vocation d’officier a été polluée, souillée par la réalité, celle du guerrier. Trop de désillusions liées à la politique ont sali son idéal, trop d’injustices, de morts inutiles, de sang pour rien, ont eu raison de la noblesse de la tâche qu’il s’était fixée, jeune officier. Aujourd’hui, Alexandre Lescran, colonel à la retraite a tourné une page, à la fois passionnante, parfois glorieuse, mais souvent éprouvante. À Saint Usuge il cherche et souhaite savourer la paix, celle de l’anonymat dans ce village inconnu.

En sortant de la poste, Alexandre croise monsieur Bricourt, le premier personnage de la commune.

Bonjour mon colonel ! bonjour Monsieur le Maire !

« Nous allons faire un pot de bienvenue pour saluer l’arrivée des nouveaux administrés, je compte sur vous, et votre épouse, vendredi à 19 h à la salle municipale. »

« Je tâcherais de venir, mais probablement seul, mon épouse est un peu fatiguée par notre déménagement et l’installation. Elle décore la maison, prépare les plantations avant de reprendre un poste à mi-temps à l’hôpital de Montélimar. »

L’épouse du colonel, Odile de la Voulte Brissac, de son nom de jeune fille, est une belle femme, racée de bonne extraction d’origine vendéenne, elle a brillamment réussi ses études médicales au CHU de Rennes, où elle a occupé le poste de chef de service en médecine pédiatrique, durant 20 ans. La cinquantaine épanouie et radieuse, mère de trois enfants, c’est une épouse dévouée, et très indépendante. D’une beauté classique, une chevelure brune épaisse, lui confère un certain mystère, un corps modelé aux courbes élégantes participe à sa séduction. Une présence, une démarche fluide et distinguée, ajoute à sa grâce naturelle.

Le départ de Rennes pour ce village a fait l’objet de quelques hésitations vite balayées. Les parents, les amis, et son service au CHU s’associèrent, pour compliquer le dilemme. C’est la maison qui les a choisis, séduits et envoûtés, le village étant accessoire.

La nouvelle demeure du couple est faite en pierres du pays, dissimulée, au creux d’un vaste jardin d’agrément richement arboré, elle se compose de deux niveaux avec une toiture de tuiles ocre. Une petite pièce d’eau où flottent des nénuphars donne une touche japonisante à un décor végétal à l’anglaise. Un imposant saule pleureur domine les massifs et les futaies éparpillés dans un désordre ordonné, où les floraisons multiples habillent des déclinaisons de verts se succédant en une harmonie champêtre propice au repos des âmes. Une grande piscine forme la seule concession à la modernité.

Cette demeure ressemble à ce couple, plus toute jeune, mais pas vieille, gaie et enjouée en ses extérieures, elle peut s’assombrir à l’intérieur. Forte sur ses assises, faible par ses fissures cachées, alternant entre paradis et purgatoire.

Comment un couple, au sommet d’une certaine plénitude, tant matérielle, que sociale, originaire d’une toute autre région, y possédant leurs attaches sentimentales et familiales, décide un beau jour, de s’enterrer au cœur d’une campagne française qui leur est étrangère ?

Eux, seuls, pourraient s’en expliquer, mais en ont-ils vraiment envie, et le savent-ils, eux-mêmes ?

Comme si, pareil à une embarcation en perdition, perdue dans des flots tumultueux, leur salut matrimonial dépendait d’un refuge à l’écart des tempêtes. À bout de ressources intimes, arrimés à leur histoire, forts d’une solide Espérance, Odile et Alexandre s’efforcent à redonner vie à leur amour d’antan, malmené et chahuté.

C’est donc le hasard ou la providence, qui aujourd’hui, les réunit, ici, dans un village perdu.

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

 

Alexandre et Odile ont partagé, durant des années, une même passion l’un pour l’autre. Issus de familles socialement éloignées, leur amour juvénile s’est moqué des préjugés. Les enfants firent des entrées prématurées dans leur duo, symbolisant un accomplissement, une bénédiction, jamais un obstacle aux rêves. Les jours et les nuits se sont succédé dans l’illusion de l’éternité. Les enfants ont fait leur place dans le cocon, ils se sont introduits dans l’altérité amoureuse des parents. Alexandre, appelé dans des contrées étrangères a participé aux opérations extérieures. Ses retours réguliers devinrent des épreuves croissantes de réadaptation. Sa communication sociale s’appauvrit au fil des ans, pour finir en une sorte d’inadaptation à la vie civile, à ses contemporains par trop ingrats et indifférents à des guerres lointaines censées les protéger. Alexandre se mit à s’interroger sur la légitimité de ses missions lointaines, dangereuses, et pourquoi pas dérisoires, tellement incomprises par une société du loisir et de l’abondance, n’ayant aucune idée des sacrifices consentis par ses frères d’armes. Tout juste revenu, le jeune officier souhaitait déjà repartir pour rejoindre ses hommes sur le théâtre d’opérations. En dehors de lui, quel civil pouvait comprendre ? Pas même, Odile, son épouse ?

Passionnée par son métier, véritable vocation de jeunesse, Odile a pu concilier ses maternités accomplies dans la joie et la plénitude de femme aimée, malgré les absences longues et répétées de son soldat de mari. Leurs deux existences fusionnelles, cimentées par un idéal commun et un vrai sens du devoir, ont connu leur acmé avec les naissances de leurs trois beaux enfants. Puis, les premières ridules sur son visage racé de mère, aux traits distingués, le premier fil d’argent surgissant de l’épaisse crinière, furent un cri d’alarme pour cette belle femme respectée et respectable, dans l’attente permanente, d’un époux absent. Odile, au fil des gardes hospitalières effectuées, voyant les enfants rivés à leurs téléphones, enfermés dans les chambres, commençait à douter de son rôle de femme médecin, épouse frustrée, mère délaissée, sentant s’enfuir une jeunesse tout juste vécue. Femme d’action, être de décision, peu encline à subir, Odile se mit à vouloir « vivre » et choisit de réorganiser son quotidien pour se l’approprier. Dès lors, lingerie, garde-robe, esthéticienne, coiffeur, manucure, firent une entrée remarquée dans sa vie de femme de devoir, une inscription en salle de fitness, le jogging constituèrent l’arsenal de conversion d’Odile.

Odile et Alexandre s’aiment toujours, tout en s’éloignant, les absences devenant séquences, puis intermittences, jusqu’à cet ultime retour :

Nous sommes au mois de mai 2019, un sinistre mois de mai.

Alexandre doit revenir dans une semaine, Odile consacre, une part de son temps à préparer cet ultime retour, tant espéré.

Un double sentiment, une ambiguïté pernicieuse envahit les pensées d’Odile, l’envie charnelle et amoureuse face à l’appréhension de l’arrivée éminente d’un homme qu’elle peine désormais à reconnaître, et qui lui échappe, si différent de celui de sa jeunesse.

Et puis, il y a Xavier qui s’est insinué dans sa vie, téléphonant bien trop souvent en l’absence de son ami Alexandre. Cet homme l’agace, l’attire et la trouble. Lui et Alexandre ont partagé une jeunesse d’enfants de la bonne société rennaise. Divorcé, Xavier n’est pas un parangon de vertu, il a gardé son allure d’éternel étudiant, son métier d’enseignant d’université lui laissant le loisir d’assumer son obsession des femmes, les étudiantes, les célibataires, avec une petite préférence pour les petites bourgeoises mariées et désœuvrées en quête d’aventures. Les cinq à sept, il les pratique avec assiduité, sans scrupules ni retenues, le vice, le sexe sont ses addictions. La maturité triomphante, charmeuse et charmante, ses fossettes attirent les femmes comme un aimant, celui de futur amant. Ses yeux rieurs, sa tignasse argentée et sa faconde d’intellectuel polisson, les subjuguent, les envoûtent, la plupart succombent. Odile résiste. Toute sa vie plaide pour le refus d’une vaine tentation, d’une sordide trahison, mais Xavier insiste, s’infiltre sournoisement dans son existence d’épouse délaissée, de femme désirable et désirée.

Tiens justement s’affiche le numéro de Xavier s’affiche sur le portable d’Odile irritée par une telle insistance.

Agacée, elle répond :

« Bonjour, Xavier. Tu tombes mal, Alexandre va arriver, rappelle-le, je n’ai pas le temps de te parler ce matin, désolée, j’allais partir, je suis à la bourre, excuse-moi, à bientôt. »

Odile est fébrile, nerveuse, au terme de ces quatre mois de séparation. Elle s’examine, se regarde, cherche les morsures du temps. Sa psyché reflète un corps intact, désirable, aux courbes sensuelles, aux proportions harmonieuses. La poitrine ferme, toujours haute, son ventre à peine rebondi, n’ont pas gardé les traces des grossesses, les cuisses sont fuselées, musclées sans excès. Sa chute de reins pourrait inspirer Rodin ou Le Bernin. Odile est une très belle femme. Mais Odile doute, d’elle-même, de son amour, de son désir, de ses sentiments.

Le tentateur veille. Suis-je toujours capable de plaire, de séduire, de prendre du plaisir ? Le goût de l’interdit, le fantasme envahit la conscience de l’épouse à la rectitude morale sans faille. Elle pense à Xavier.

 

 

 

 

 

Chapitre 4

 

 

 

17 h Villacoublay, le lieutenant-colonel Alexandre Lescran, en grande tenue, un béret rouge au sommet de son visage hâlé, buriné par le soleil africain, se présente au pied de la passerelle de l’Airbus militaire.

Son regard masqué par ses vieilles Ray Ban cherche Odile en ce début mai, après cette ultime mission. Ses pensées sont confuses, mélange de joie et de crainte diffuse. Alexandre a toujours besoin de temps pour réinvestir une réalité lui échappant d’emblée. Il se sent étranger à son pays, à ses codes, qu’il a toujours un peu de mal à retrouver. Odile est là à l’attendre, il lui tarde de la serrer dans ses bras, avec l’appréhension d’une désillusion, soucieux de ce nouvel apprentissage à l’autre, devenu, à chaque retour, davantage étranger.

« Bonjour, mon chéri, tu as fait bon voyage ? Tu sembles fatigué. »

« Nous avons rencontré des turbulences, traversé des dépressions, je n’ai pas pu dormir, la nuit a été longue. Pas mécontent d’arriver et impatient de vous revoir, car la dernière opération a été particulièrement compliquée à tous niveaux. »

« Ces quatre mois n’en finissaient plus. J’étais cette fois-ci plus angoissée, inquiète, la fatalité de l’ultime mission me rendait nerveuse. Tu me raconteras, cela a dû être difficile pour toi, de quitter tes hommes, le terrain, de tourner une page. Nous allons vite rentrer à la maison, le train pour Rennes est dans 1 h. »

Attendant, assis dans un bar face à la gare, les yeux d’Odile et Alexandre se rencontrent, s’interrogent et se parlent, sans prononcer un mot. Leurs mains se touchent, s’unissent et se caressent. Une bouffée de désir les envahit, tels deux adolescents. Puis le mesquin, le réel, interroge une sorte de suspicion voilée s’estompant pour se concentrer sur cette joie timide et juvénile des retrouvailles.

« Tu es de plus en plus belle à chacun de mes retours, je suis heureux d’être là avec toi, de revoir les enfants, la maison, les amis. J’ai vraiment besoin qu’on se retrouve. J’ai envie de pluie, d’une douche et d’un bon lit. Quand nous avons décollé, le thermomètre affichait 43 °C.

Et autrement au CHU, comment ça se passe avec la direction, les budgets, tes homologues ? Et les enfants je les vois quand ? »

Odile répond : « les enfants vont arriver, ils vont tous bien, Benjamin est impatient de partager tes ressentis, lui et les filles t’attendent et sont fiers de toi. Quant à l’hôpital, j’ai enfin obtenu mes crédits en partie, mais nous sommes en sous-effectifs chroniques, j’enchaîne les gardes, je fatigue, les conditions de travail se détériorent, j’en ai un peu marre. Mes collègues semblent résignés, certains un peu démotivés, parfois démoralisés d’être baladés par le ministère. »

Et toi, raconte ?

« Oh moi tu sais, ou plutôt, si tu savais. Je ne peux pas tout te dire, mais ça a été par moments très dur, très dur. Dans l’Airbus, je ramène avec moi trois de mes jeunes dans des housses, morts pour qui, quoi, la France, la démocratie, l’Occident ? Je ne sais plus, que croire, quoi penser ? Je suis officier, j’obéis. La prière m’aide à supporter ce que j’ai vécu là-bas, après l’Afghanistan. Mais il est temps, pour moi que ça s’arrête, je me fais vieux pour crapahuter sous des climats hostiles et éprouvants. »

Odile dans un élan de compassion amoureuse l’étreint avec fougue et lui susurre un discret « je t’aime ».

« Bienvenue à la maison ! Chez toi, chez nous, tu as mérité de la France, et fais ta part. » Ce cri du cœur achève la fugace et très spontanée effusion publique d’Odile, peu coutumière de ce type de familiarité.

Le couple demeure, à Rennes, dans une maison de ville, rue de Paris, à proximité du parc du Thabor, et de sa magnifique église paroissiale Sainte-Mélaine d’origine médiévale. Leur habitat confortable, bâti sur trois niveaux, offre de beaux espaces intérieurs, des volumes intéressants éclairés d’une belle lumière traversant d’immenses baies vitrées, l’ensemble donnant accès à un jardin arboré et fleuri avec goût et beaucoup de soins.

Tous deux aiment déambuler dans la préfecture bretonne où circulent des ruelles d’antan entre les maisons à colombages, voisines des vastes bâtiments institutionnels datant de l’ancien régime avec des hôtels particuliers du XVIIIe, ouvrant sur des chaussées pavées. Les promeneurs curieux découvrent les multiples trésors discrets, cachés au fond de courettes intérieures aux escaliers de bois. Levant le regard, les yeux peuvent admirer le monde intime des petits statuaires de bois, à l’effigie d’un saint patron ornant les façades anciennes. Odile et Alexandre adorent, après une marche, se prélasser sur l’une des innombrables terrasses de café grouillantes d’une jeunesse estudiantine, se pâmant aux premiers et derniers rayons du soleil breton. Rennes semble être une ville toujours en fête, à l’ébullition juvénile permanente. Bien souvent l’aventure pédestre du couple s’achève rue Sainte-Mélaine, rue du Bastard, ou dans le coquet parc du Thabor, mêlant jardin à la Française, et fouillis arboré très british. Cet espace vert mêle ordre classique, bosquets discrets, serres de verre et jets d’eau, à un dédale de chemins serpentant en de multiples recoins, propices à la lecture, ou aux déclarations d’amour. Les cris d’enfants de l’espace ludique voisin, couvrent les chuchotements du vent, agitant les bras d’immenses cèdres abritant les amoureux d’un jour ou de toujours.

Après les espaces torrides subsahariens, Alexandre respire à nouveau à la fraîcheur du climat breton, le contraste violent entre aridité silencieuse, et douceur des cieux océaniques apaise son corps et son esprit, mais il s’agit de plus en plus d’une épreuve, d’une transition difficile à assumer. Cet ultime retour devrait marquer une nouvelle étape professionnelle pour le colonel, son repos du guerrier.

Mais, aujourd’hui, la magie opère moins, à la veille de cette nouvelle vie, qu’est-il advenu d’eux ? Odile et Alexandre, de leur couple quelque peu érodé par trop d’absences ?

Elle, Odile, rêvait d’aller soigner en brousse, les petits indigènes, lui, Alexandre, se croyait missionné pour secourir les peuples en perdition, veiller sur la veuve et l’orphelin. Les voilà tous deux rattrapés par l’âge et les rôles distribués par la vie, les ayant façonnés à son service. Très longtemps, ils ont tenté de chercher à ajuster le pragmatisme à l’idéalisme de leur jeunesse, du temps, où tous deux voulaient sauver l’humanité. Oh ! jamais vraiment rebelles, ni révoltés, ils courbèrent sagement l’échine, sans jamais revendiquer et encore moins protester, le raisonnable s’est invité insidieusement, avec l’arrivée successive des enfants.

Enfin parvenus dans leur maison. Odile ouvre le réfrigérateur, en sort une bouteille de « Mumm Cordon Rouge. »

Elle porte une jupe qui sculpte ses formes, ses seins à eux seuls respirent l’attente de ces mains aimées, de ces doigts experts à dégrafer son soutien-gorge, déboutonnant sa jupe, pour se glisser dans son intimité.

Odile lance, un solennel : « à ton retour, bienvenu chez nous ! Alors heureux de retrouver, ton chez-toi, tes livres, tes disques, un vrai confort bougrement mérité ? »

« Merci, ma chérie, excuse-moi, mais je suis crevé, je vais d’abord prendre une douche, je me sens sale, poisseux, la sueur et ce sable qui s’infiltre dans nos têtes et sur nos corps, je ne le supporte plus, il m’étouffe. »

Odile, un peu étonnée et dépitée, se contente de dire : « je t’attends ».

Elle, qui espérait être une proie, sur laquelle Alexandre se serait jeté, la dévorant, tel un soudard, rien de tout cela, elle ne sait plus si elle est désirable, si elle doit ranger sa ridicule bouteille et passer son peignoir, se démaquiller, une larme tente une sortie vite réprimée. Elle s’assoit et attend qui ? Quoi ? Quel Alexandre ?

De retour à côté d’elle, Alexandre prononce un prosaïque : « excuse-moi, je n’ai pas été trop long ? J’avais besoin et une envie folle d’une douche glacée ». Odile le caresse du regard et tendrement lui dit : « mon chéri, tu es crevé, tu as les yeux au milieu du visage, repose-toi, mais rassure-moi.

Tu n’es pas heureux d’être de retour à la maison ? »

« Si bien sûr, laisse-moi un peu de temps. En attendant, sers-moi de ton champagne, ne t’inquiète pas, c’est normal, l’effet de la transition brutale, hier j’étais au Mali, ne l’oublie pas. » Les premières coupes avalées, les corps désinhibés s’offrent et se caressent, pour ne former plus qu’un seul soupir, les étreintes se transformant en extase, un court moment, Odile et Alexandre sont provisoirement réunis.

Au terme de cette énième opération extérieure, le lieutenant-colonel du RIMA, en a terminé avec le service actif. Désormais rattaché à l’état-major, sa carrière de guerrier, celle du preux chevalier, se termine devant un ordinateur. Son ultime mission fut sans doute, celle de trop, il le sent, elle restera présente en lui, son souvenir le hantera, il n’est plus désormais, le même homme gai, jovial, au charisme ravageur. Son devoir lui impose encore une totale discrétion. Alexandre a pris, depuis longtemps, l’habitude de taire l’essentiel de sa vie, à sa femme, certain de ne savoir partager ou de ne vouloir parler de cette face cachée et parfois obscure de ses activités. Persuadé qu’Odile ne pourrait entendre le récit de ce qu’il a vécu ces quinze dernières années, il sauve ou croit sauver les apparences en éludant les questions répétées et insistantes, se réfugiant à l’abri du silence. Ces non-dits à répétition, ces retours enjoués, son apparente assurance, tous ces stratagèmes fonctionnent de moins en moins, Odile sent la fêlure, une sorte d’éloignement imperceptible s’installant dans ce couple doutant de lui-même.

Un mystère venimeux s’insinue entre ces deux êtres épris d’absolu. Les voilà désormais prisonniers d’un huis clos délétère.

Le lieutenant-colonel, face à lui-même, doit cohabiter avec ses fantômes, donner le change à une épouse qui a construit, loin de lui, une existence de petite bourgeoise de province, passionnée par son métier, insérée dans la bonne société locale. Odile conserve toujours cette soif d’idéal, ce besoin de secourir, de soigner. Appréciée par ses pairs, plébiscitée par une patientèle, appréciant en elle, les compétences, une grande humanité, sa simplicité et son écoute.

Alexandre et elle ne vivent plus la même aventure.

 

 

 

 

 

Chapitre 5

 

 

 

Odile préoccupée, s’interroge et demande à Alexandre : « comment tu vois notre avenir Alex ? Tu es en semi-retraite, que comptes-tu faire de tes journées ? »

Alex répond sur un ton irrité : « je n’y ai pas encore pensé, on verra, pour l’instant je me réhabitue à la France, ses grèves, ses manifestations, ses débats franchouillards, laisse-moi un peu de temps pour redevenir un citoyen anonyme, un civil, et ton mari. Je m’aperçois qu’il me faut me refamiliariser avec le quotidien, me reconstruire et reprendre ma place au sein de notre famille. »

Odile étonnée : « Tu parles comme un prisonnier nouvellement libéré de prison, ta place a toujours été parmi nous, même si ta profession t’a conduit à beaucoup d’absences, encore une fois, tu es le bienvenu chez toi, parmi nous. À ce propos Marion, Solène et Benjamin viendront manger dimanche pour fêter le retour de leur héros. »

Alexandre adore ses réunions où ils se retrouvent, reformant le clan, même si cette fois, il redoute l’avalanche des questions qu’il devra une fois encore éluder. Les regards avides de savoir, les attentes toutes juvéniles, des narrations d’exploits supposés l’effraient, car s’ils savaient ce que cachent les mots trahissant sa réalité.

Les trois enfants du couple font leurs études à Coëtquidan, Brest et Lille, ils sont la fierté légitime de leurs parents, bienveillants, mais exigeants.

Alexandre interroge Odile : « demeurent-ils quelques jours ou juste une journée ? »

« Marion et Benjamin passeront trois jours, Solène est obligée de faire un aller-retour. »

« Ils m’ont tellement manqué, je suis impatient de les revoir », répond Alexandre.

« Tu sembles plus heureux de les revoir que tu n’as montré d’empressement envers moi, objecte Odile, avec un brin de malice. »

« Ne dis pas de bêtises, j’étais crevé, tendu, et pourquoi pas l’avouer, intimidé. Au bout de quatre mois, j’ai toujours la crainte d’être maladroit comme un collégien, de te retrouver autre, différente, étrangère. Chaque redécouverte de ton corps est une douce épreuve et une vraie félicité.

Je t’aime, » ose Alex.

« Enfin ! j’attendais », réplique Odile, visiblement rassurée et ravie.

Ils s’enlacent avec la fougue, celle de jadis, celle d’avant, mais avant quoi ? Avant ? C’était hier, il y a 25 ans, le temps des projets, celui des rêves, des folies, de tous ces possibles, ceux d’une autre époque, de cette jeunesse où on se sent si sûrs de dominer l’avenir. Où l’appétit vital travestit la vie en éternité.

Odile saisit toute l’intensité de cet instant fugace, elle susurre un tendre : « tu te souviens ? Toi le jeune élève officier et moi en quatrième année de médecine, tu te rappelles comme nos regards échangés annonçaient en silence, un tumulte passionné, une tempête que dis-je, une tornade, devant bousculer nos familles respectives. C’était à l’occasion d’un vernissage, place Sainte-Anne. »

« Oh ! Oui, dit Alexandre, j’étais, comme un con, figé, totalement stupide, lorsque je t’ai vue dans ta jupe kilt. Mon Dieu que tu étais belle, une audace d’apprenti officier, me poussa vers toi, et nos yeux se parlèrent oubliant les autres, les conversations mondaines, nous étions, face à face, plus rien ne comptait que nous, toi et moi. »

« Tu trouves que l’on a tellement changé, après ces 25 ans ? »

« Je ne sais pas ce que tu as envie d’entendre ? » répond Alex.

La simple vérité.

Son mari tente un timide « Oui ». « Sans doute, nous nous sommes installés très vite dans un bonheur gagné de haute lutte, après avoir dû ferrailler avec nos deux familles. Ta famille, les De La Voulte Brissac, voyaient les Lescran, comme des roturiers de basse extraction, et envisageaient une union plus prestigieuse pour leur fille Odile.

« Puis le quotidien nous a rattrapés, les enfants sont arrivés, et moi j’ai eu un métier incompatible avec une vraie vie de famille, laissant des traces, envers et contre nous. »

Alex continue, embarrassé, conscient de la pauvreté de ses arguments : « Mais l’essentiel est sauf, notre couple, notre famille a surmonté les obstacles, nos enfants poussent en sagesse, héritiers de ta beauté ».

Odile ne peut se contenir : « Et moi ! où je me situe, qu’est-ce que je suis aujourd’hui pour toi ?