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"Requiem pour César" propose une réflexion percutante sur les enjeux environnementaux. Dans un style direct et incisif,
Yves Urvoy-Roslin fait une analyse des questions existentielles en s’appuyant sur des penseurs réalistes tels que René Girard et Philippe Muray. Leurs voix dénoncent l’idéalisme naïf et l’inaction de l’Église de France, des structures administratives et de certains intellectuels face aux dérives de la société moderne, dominée par un matérialisme croissant. Il pose également un regard critique sur l’État libéral suivant deux approches : la sociologie et la théologie.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Yves Urvoy-Roslin s’interroge continuellement sur le rôle de l’homme dans le changement climatique. Une partie de ses réflexions sur ce sujet est consignée dans ses essais Le Tocsin, publié par la Société des Écrivains en 2011 et Une affaire d’honneur paru en 2015 aux éditions Persée.
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Yves Urvoy-Roslin
Requiem pour César
Essai
© Lys Bleu Éditions – Yves Urvoy-Roslin
ISBN : 979-10-422-2820-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon épouse Michèle.
À ma secrétaire, Michèle Bueno, d’une patience inlassable
à l’égard de mon cheminement plein de bifurcations,
de détours et de retours.
Son enthousiasme inébranlable m’a été d’un grand soutien.
Au grand ami dont l’expertise dans le domaine de l’agriculture européenne ainsi que les documents dont il m’a gratifié
à propos des Autorités Administratives Indépendantes
m’ont bien éclairé.
À deux relecteurs critiques de ce brûlot, ils se reconnaîtront,
qui m’ont bien aidé à rester en selle jusqu’au bout.
Avec la globalisation, l’humanité entière se trouve prise dans un gigantesque processus qui, quoique résultant d’activités humaines, domine les hommes et leur impose sa logique. Les dirigeants ? Ils ne dirigent que dans la mesure où ils sont les serviteurs zélés du processus en question.
Olivier Rey, L’idolâtrie de la vie,
(Tracts Gallimard, n 15.06, 2020)
Nous sommes sous le contrôle de l’onde porteuse du téléphone cellulaire si bien nommé comme le fourgon du même nom.
Va-t-on voir émerger une culture automatique, s’appuyant tout entière sur les flux tendus des ondes électromagnétiques qui véhiculent nos informations et qui aboutissent fatalement au zéro stock de nos représentations, non seulement artistiques, mais politiques et juridiques ?
Paul Virilio, L’Université du désastre, Éd. Galilée, 2009
Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir issues du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique, mais la liberté et la justice.
Pape François, Encyclique Laudato si, & 53, 2015
C’est avec joie que j’ai répondu à la demande d’Yves Urvoy-Roslin de préfacer son ouvrage Requiem pour César. Depuis de longues années maintenant nous avons travaillé ensemble (et avec d’autres) au sein du diocèse de Fréjus-Toulon pour y défendre l’importance de la question environnementale. Tâche ingrate, il faut le dire, tant cette question semble secondaire au regard de la grande majorité des catholiques qui sont davantage préoccupés par les problématiques liées aux possibilités inquiétantes de la biologie moderne appliquées à l’être humain. Il ne s’agit pas ici de minimiser les dangers potentiels de ces technologies : ils sont multiples. Mais les deux questions sont en réalité profondément liées. Leur source commune est précisément une relation erronée entre l’Homme et la création ; le tout doublé d’une idéologie utilitariste qui pousse à privilégier l’intérêt à court terme sur le bien commun. Ainsi cette même vision matérialiste conduit à considérer la nature comme une ressource où puiser sans limites et l’Homme comme une machine à améliorer.
Nous avons espéré de concert que l’encyclique « Laudato si » du pape François publiée, il y a maintenant presque dix ans, éveillerait la conscience des catholiques. Las, malgré quelques frémissements lors de la publication, la prise de conscience s’est limitée (c’est le cas de l’ensemble de l’église de France) à quelques gestes « eco-friendly » : pose de panneaux solaires sur les bâtiments, utilisation de gobelets en papier lors des réunions paroissiales, etc.
Il n’est pas question de dénigrer de telles attitudes, mais de constater avec chagrin que la remise en cause du programme matérialiste de la société moderne qui était en puissance dans le texte pontifical n’a porté que peu de fruit. Il a même fallu constater que le Vatican, comme structure administrative, n’a pas mesuré lui-même la profondeur du changement de perspective impliqué par « Laudato si ». En effet, c’est avec stupeur que nous avons appris qu’une ONG de milliardaires anglo-saxons appelée Coalition for Inclusive Capitalism et fondée en 2016 par lady Lynn Forester de Rothschild a signé en décembre 2020 un partenariat avec le Vatican pour créer le « Council for Inclusive Capitalism with the Vatican ».
Il est un exemple paradigmatique de cette défaillance générale des catholiques français à remettre en cause leurs valeurs bourgeoises, c’est l’aventure de la revue « Limites ». Née au lendemain de la publication de l’encyclique, une équipe jeune s’était donné pour tâche de développer une réflexion joyeusement radicale sur ces questions environnementales : elle a dû cesser sa parution en 2022, faute de lecteurs !
Cette remise en cause sans concession, voilà justement ce que l’ouvrage d’Yves Urvoy-Roslin propose à ses lecteurs. Dans un style particulièrement percutant, il convoque comme compagnons de tranchée Philippe Muray, René Girard, et les « grands ancêtres », Ellul, Illich. Animé par leur exemple, il pilonne sans merci les intellectuels de plateau comme Onfray ou Houelbecque, mais aussi l’intelligentsia organique de l’Église de France comme le Père Pascal Ide ou Mgr Brunin. Il dénonce, avec un grand à propos, l’inclination atlantiste de ces derniers et s’étonne avec justesse d’un rétropédalage affligeant par rapport à une encyclique vieille de dix ans et de l’absence de penseur français dans leurs propres références. On ne peut que rejoindre l’auteur qui affiche son « ébahissement » et constater avec lui que ceci est simplement révélateur de l’état des lieux du catholicisme français empêtré pour une grande part dans le conformisme de la pensée dominante. Victimes sans doute de leur positionnement sociologique, les catholiques français ne savent finalement que faire du caractère explosif de la doctrine sociale de l’Église et regardent celle-ci comme une poule regarderait une clé à molette.
Cet ouvrage a aussi la qualité rare de faire des liens, parfois comiques, entre les micro-évènements de la vie locale et les problématiques de fond ; ou comment, à partir d’une bénédiction de motos, il est possible de démontrer les contradictions d’une pastorale hasardeuse !
Enfin il faut revenir au titre. La théorie de l’État n’est pas l’objet de notre auteur, aussi la critique s’attache-t-elle avant tout à pointer les apories qui caractérisent l’action de l’État de nos jours. Plutôt que de mort, Yves Urvoy montre l’État comme le lion de la fable qui « fut pris dans des rets, dont ses rugissements ne le purent défaire ». Embourbé dans la multiplicité des normes dont il est l’auteur, entravé par les lobbies, émasculé par la prolifération d’organismes indépendants, son action perd toute efficience. Le chapitre sur les autorités administratives indépendantes est, à cet égard, particulièrement incisif.
Il est pointé ici l’indigence profonde de la pensée catholique sur l’État depuis plusieurs siècles. Si la question de la cité terrestre était au centre de la réflexion des théologiens et des philosophes chrétiens jusqu’au 19e siècle, cette question est aujourd’hui complètement oubliée. Ainsi le compendium de la doctrine sociale indique : « Le Magistère reconnaît la valeur du principe relatif à la division des pouvoirs au sein d’un État ». Division des pouvoirs qui est une invention de la philosophie libérale du 18e siècle ; invention destinée, en dernière analyse, à limiter le pouvoir politique au profit des puissances économiques. Il n’est d’ailleurs pas inutile de mettre, en regard du texte susmentionné du compendium, la remarque du pape Pie XI dans son encyclique « Quas primas » à propos de la royauté en tant que telle : « Il est presque inutile de rappeler qu’elle [la royauté] comporte les trois pouvoirs, sans lesquels on saurait à peine concevoir l’autorité royale. »
Affirmation on ne peut plus juste, en effet la doctrine chrétienne de toujours, est clairement exposée par le pape Gélase dans sa lettre célèbre à l’empereur Anastase. Elle n’envisage aucune division du pouvoir, mais sa limitation par une autorité spirituelle extérieure. Le Saint-Père écrivait ainsi : « Duo quippe sunt, Imperator Auguste, quibus principaliter mundus hic regitur, authoritas sacra pontificum, et regalis potestas » : Car il y a deux choses, l’Empereur Auguste, par lequel le monde est principalement gouverné, l’autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal.
Voilà sûrement la doctrine vraiment catholique à partir de laquelle les intellectuels chrétiens d’aujourd’hui devraient réfléchir pour réagir au naufrage de l’état libéral, naufrage qu’Yves Urvoy décrit avec un grand sens du concret. Un ouvrage à lire et à faire lire !
Philippe Conte,
Ingénieur, essayiste
I
Intelligence Artificielle et bêtise naturelle
À Saint-Raphaël, chaque fin d’année sur trois jours, notre municipalité nous gratifie des fameux entretiens de l’avenir, où s’active une pléiade de ravis de la crèche, à l’instar de Nicolas Bouzou, figure médiatique inévitable et, entre autres, du tout aussi omniprésent Luc Ferry, vieux beau grand amateur de décapotables, si content de lui avec ses éclats de rire terrorisants, si représentatif de tous ces petits conférenciers omni- compétents, premiers de la classe, au premier rang, le doigt toujours levé, qui débitent mécaniquement les recettes éculées d’un libéralisme en bout de course.
Ce premier dimanche de l’Avent 2023, la grande salle du Palais des Congrès était comble, à l’heure de la grand-messe de 11 heures, pour entendre le fameux docteur Laurent Alexandre, psalmodier ses oraisons à ChatGPT 4. Ce prédicateur proposa à la salle bien recueillie de le questionner, quand un mécréant, vous devinez qui, lui recommanda, ainsi qu’à toute la salle, de s’informer à la lecture de « L’intelligence artificielle, la nouvelle barbarie », essai de deux polytechniciens, Marie David et Cédric Sauviat.
Cet ouvrage vient à propos livrer un éclairage scientifique, soucieux d’éclaircissements à la portée de tous, et d’élargissements à une critique humaniste. Il m’aide à envoyer la grand-voile de la révolte, contre cet accroissement de puissance de l’électronique qui s’affiche comme une révolution planétaire définitive, dans un concert médiatique qui pousse à la roue, peu soucieux de la réalité. Le nouvel humain, hypnotisé, prête une oreille complaisante au chant des sirènes technologiques, tandis que s’épanouissent de nouvelles formes de pouvoir, clandestinement. Il y a eu un vice de départ une erreur initiale dans la conception du WEB, à partir de là, les travers du WEB se sont multipliés de façon exponentielle (p. 95). Le jeu démocratique ne peut plus s’exercer et c’est la faute du politique (c’est le péché initial de César).
Ici se trouve un point de bascule majeur. Le destin du monde se précipite et se cristallise. Ce qui restait de sacralité du pouvoir va être balayé, va être « rasé » comme dit si bien le Pape. César est pris de court. Il laisse faire, et le nouvel univers des réseaux et d’un écran qui fournit en permanence du spectacle, du divertissement, intègre le pouvoir comme un élément esthétique et folklorique du décor. Le pouvoir politique est disqualifié, éjecté des consciences comme obsolète, que ce soit le jeu des instances démocratiques, et finalement de toute forme de pouvoir politique. Au mieux, lui reste-t-il un rôle d’accessoiriste, d’assistant du metteur en scène. L’intrigue lui échappe.
Les deux ingénieurs ne s’installent pas tout à fait dans une posture aussi nette, aussi radicale que la mienne, bien que leur analyse fouillée plaide en ce sens. En établissant une distinction entre l’aspect faible de l’IA actuelle et une IA à venir potentiellement forte, lourde de menaces inévaluables, ils laissent supposer que la situation actuelle reste maîtrisable. Je ne les suis pas sur ce terrain.
Cela étant, nos deux auteurs remettent l’instrument à sa place : il n’y a pas de véritable équivalence de l’intelligence artificielle – Pour ma part, je préférerais qu’on dise la prétendue intelligence artificielle, ce qui, en France, pourrait en faire la PIAF, prétendue intelligence artificielle française, comme un petit oiseau étourdi – et l’intelligence humaine. Le distinguo entre les deux est de faible à fort, l’intelligence artificielle reste faible parce que seulement capable de tâches précises, non comparables à l’intelligence humaine qui, elle est capable de mobiliser de nombreuses facultés différentes, à bon escient, et que l’on peut qualifier de forte (p. 76-77).
Tout cela, nous disent-ils, est volontairement dévoyé et confus, avec des médias qui, très majoritairement, prennent pour argent comptant les approximations, les simplifications excessives et les extrapolations, des zélateurs du transhumanisme, acharnés à présenter comme inévitable et nécessaire, l’évolution vers une IA forte, en vertu d’une fausse conception du progrès, prétendument linéaire.
À cela s’ajoute une fausse conception de l’intelligence humaine réduite à un espace unidimensionnel quantifié par le QI (…) popularisant l’idée d’une différence quantifiable.
Leur jugement est sans ambiguïté : Ce n’est pas parce que les ordinateurs calculent plus vite et sont capables de manipuler plus de données que l’on progresse en quoi que ce soit vers une forme d’intelligence capable d’égaler l’intelligence humaine (pages 76-77).
Ils évaluent comme peu probable l’éventualité qu’un jour une intelligence forte soit mise au point, mais en examinent l’éventualité et les dangers. Ils y voient clairement un risque pour les générations futures, en faisant référence au Principe de Responsabilité formulé par Hans Jonas : à ce titre, même si les dangers posés par le progrès de l’intelligence artificielle sont encore inimaginables, il peut être intéressant de constater que de nombreux organismes travaillent activement sur le développement d’une intelligence forte. Ils ajoutent cet avertissement Dans un pari de Pascal à l’envers, même si l’on estime infime la possibilité de développement d’une telle intelligence artificielle, on est obligé de remettre profondément en question les fondements de telles recherches (p. 22).
J’aurais pour ma part trouvé une autre tournure pour dire il peut être intéressant de constater que de nombreux organismes, etc. Comme je ne suis pas diplomate, j’aurais dit il est ahurissant et scandaleux de constater, etc., et comme j’ai un côté fruste, j’aurais peut-être même ajouté : il faut à tout prix stopper l’emballement de la machine à déconner, débrancher le déconnophone. Dans cet ordre d’idée me viennent quelques questions basiques : l’homme de l’écran, le spécialiste dont la seule mobilité se situe au bout de ses doigts tapotant des touches, l’expert du zapping, n’est-il pas au rang d’un rouage de la machine ? N’est-il pas ravalé au niveau faible dont il s’agit ?
Le prétendu et prétentieux « deep learning » et la pseudo équivalence neuronale de ce système binaire, que nous proposent-ils de concret à propos des deux fléaux bien connus, la guerre et la famine, qui sont en ce moment en train de prendre un nouvel élan. Une absurde guerre fratricide est en train de dévaster la région du globe connue de longue date comme la plus fertile. La fameuse IA a-t-elle quelque chose d’autre à proposer qu’une gestion, c’est-à-dire un entretien et une auto-alimentation de la crise, et une épatante précision de tir, pour les canons César et autres drones, bourrés d’électronique. Evviva la morte !
Et ce n’est pas tout : le ciel ferme ses écluses, les forêts brûlent et la menace d’un emballement incontrôlé se précise, les prévisions les plus pessimistes du GIEC sont dépassées, et la nouveauté de l’évènement prend de court les statisticiens et leurs simulations.
Il serait temps de retrouver le minimum de perspicacité pour mettre en suspicion légitime tout ce bazar technologique qui fait écran à la réalité, et facilite l’action sournoise et clandestine des nouveaux pouvoirs.
À partir du moment où l’évènement est d’une nouveauté totale, la statistique, compilation de ceux d’un passé révolu, peut-elle faire autorité ? Au surplus, simulation et dissimulation sont deux notions très voisines entre lesquelles des affaires louches se trament. Les faits sont têtus, disait Mark Twain, il est préférable de s’arranger avec les statistiques. Cet américain célèbre citait aussi un Premier ministre anglais de sa gracieuse Majesté Victoria, qui aurait dit finement qu’il y a trois catégories de mensonges : les mensonges, les mensonges sacrés, et les statistiques…
L’affaire est démasquée de longue date, et l’on peut avancer que ces algorithmes intimidants engloutissent des données et des chiffres propres à fournir à leurs concepteurs, pas forcément honnêtes et impartiaux, les résultats qui conviennent aux exigences de rentabilité de leurs petites ou grandes affaires. C’est une idée générale qui ne doit pas être évacuée comme hypothèse d’étude. Les concepteurs des algorithmes, paraît-il, ne comprennent pas toujours comment cela fonctionne, peut-être faut-il simplement dire que les calculs sont faux. Qu’ils partent sur des chiffres erronés et des hypothèses fausses, car il s’agit de domaines qu’on pourrait décréter, si on le voulait, non mathématisables.
Le concept d’ADM (ou MAD), Armes de Destructions Mathématiques (au lieu de massives), dont Cathy O’Neill est conceptrice, est commenté et discuté par nos deux auteurs. (P. 125 et suivantes.) Pour le modèle accompli de nul en maths que je représente, ce concept surprenant m’apporte une petite satisfaction et comme une revanche, même s’il est bien évident que les mathématiques, cette matière essentielle de connaissance, ne sont devenus une arme, qu’à cause d’un humain qui a perdu humilité, respect, sens de l’admiration, tempérance et patience.
L’algorithme éjecte-t-il l’homme nouveau, ce zombie inséparable de son ordiphone, hors de lui-même, en attendant de l’éjecter dans le néant intersidéral ?
Il faut se garder de ce raccourci et se garder d’ajouter à la confusion inutilement avec cette sorte d’épouvantail. Il faut distinguer, il faut discriminer, et identifier un premier mensonge consistant à dire que l’algorithme et l’IA, à force d’ingurgiter des données, les mettraient en ordre mieux que nous. Ce mythe est un miroir aux alouettes particulièrement identifiable à propos de cet évènement majeur, de cette pierre d’achoppement, sur laquelle l’humanité trébuche et va s’étaler de tout son long, du réchauffement global.
Ce qui s’impose actuellement dans le discours public, en effet, c’est qu’au-delà de la certitude de l’exactitude des fourchettes du GIEC – où sont intervenues utilement des méthodes s’appuyant sur l’algorithme et l’intelligence artificielle – nous disposons, en y insérant le paradigme des lendemains technologiques qui chantent, une solution clé en main très simple : « la transition » en douceur, facile et légère, sans les sacrifices prônés par les pissent froid de la décroissance. Ainsi nous n’avons plus à nous inquiéter de notre hypermobilité, de notre addiction au web, tout cela verdit, devient neutre en carbone, par le biais de l’innovation. No soussailles.
Un univers politico-médiatique au garde-à-vous et bien aligné avale sans s’étrangler cet énorme bobard, pour continuer de camoufler la réalité de prédation, de pollution, d’injustices, de violences, qui nous conduit droit à la destruction totale et au chaos.
L’algorithme et la prétendue IA associée ne sont là que comme alibi et prétexte pour l’homme irrespectueux de la création, impatient et insensible, enfermé dans son orgueil et sa démesure. Ce ne sont plus, dans ce cadre de mensonges accumulés, que des instruments du diable, pour une tricherie à grande échelle, tournant le dos à la nécessité absolue d’une « révolution culturelle courageuse »1.
Il faut se garder de crier haro sur le baudet mathématique et le prendre pour bouc émissaire. C’est du bain empoisonné des mensonges humains dont il faut se débarrasser, en se gardant bien de préserver le bébé des chiffres exacts, des mesures fines et précises, des justes hypothèses où se joignent honnêteté, bon sens et indispensables acquis mathématiques et scientifiques.
La gestion du Covid fournit un exemple supplémentaire (je dois cet aparté à Alice Desbioles, médecin, co-fondatrice de l’Alliance Santé Planétaire, qui vient de publier un essai titré : Réparer la santé). Sa démonstration des aberrations médicales qui ont accompagné la gestion autoritaire désastreuse de cette crise, repose en particulier sur le décalage entre les simulations qui sont sorties de la grosse machine, du Big Data, et la réalité. Elles ont donné aux décideurs une prévision de mortalité six fois supérieure à la réalité de celle qu’a observé un pays comme la Suède qui n’a ni confiné, ni fermé les écoles.
Cet exemple éloquent s’additionne à la nouvelle barbarie décrite par nos deux polytechniciens, dont ils nous démontrent l’engrenage inhérent à l’utilisation de l’intelligence artificielle, le modèle chinois préfigurant ce qui nous attend, dans des délais qui peuvent se raccourcir brutalement, dans ce monde imprévisible.
Les techniques de reconnaissance faciale ont un potentiel d’asservissement infini, insondable et sont introduites en ce moment, dans une présentation médiatique euphorique, par exemple, de l’abandon à court terme de la monnaie papier anonyme.
L’exemple le plus commenté dans l’essai sur l’IA est celui de l’automobile autonome : les intérêts en jeu sont colossaux, un jour on apprendra que, de la même façon que le joueur de go a été battu, la machine est plus adroite et plus sûre que l’homme. Jamais sujette au sommeil la nuit ni tentée par le verre de trop. C’est ce que diront les algorithmes, on peut leur faire confiance, et le gouvernement n’aura pas le choix : pour le bien de tous, il faudra interdire aux humains de conduire les véhicules.
C’est un exemple discutable du point de vue de ceux qui espèrent, comme moi, nous voir tous, un beau matin émerger radieux de notre troupeau de bagnoles tonitruantes et hargneuses, auréolés de notre volant, et nous embrasser en sanglotant (comme le proposait Claude Nougaro, découvreur de la plume d’Ange), mais qui éclaire comment, dans tous les domaines, l’infatigable machine orwellienne prendra le contrôle définitif de nos vies.
La réflexion humaniste sur la vocation de l’être humain conduit nécessairement à une sévère mise en garde, et à envisager des interdits à l’égard de la fuite en avant actuelle, qui consiste à dire que la technologie nous sortira du bourbier (asséché) ou nous nous enfonçons. Avec plus de technologie, on résoudra les problèmes causés par la technologie, n’est-ce pas ? Ce n’est pas du tout l’avis de ces deux polytechniciens, qui prônent des limites (peu compatibles avec l’emblème multiplicateur x de leur célèbre école), et rappellent que l’homme a vocation à faire l’expérience directe et profonde de la densité du monde et de son propre pouvoir sur celui-ci. Joie acquise par l’effort et dans la douleur, en vue d’une fin située au-delà de la raison qui l’attire impérieusement et dont il ne percera jamais le mystère. Est humaniste toute conception du monde considérant comme sacrée cette vocation (p. 278).
Il est clair que cette sacralisation de la vocation humaine à la joie par l’effort, et dans la douleur, tourne le dos à ce qui s’installe aujourd’hui autour de la prétendue intelligence artificielle, qui cherche le moyen de frustrer l’être humain de l’exercice de ses facultés physiques et cognitives, volontairement ou involontairement.
Ils enfoncent le clou : il y a là une mécanique qui détruit les possibilités d’accomplissement de soi de l’individu, mais ne peut pas ne pas aboutir à cette destruction.
Enfin un sous-chapitre de cette étude (p. 279) magistrale de la question éthique s’intitule : l’Église catholique plus timorée que son chef ? et se réfère à l’encyclique Laudato si, qui disent-ils, est rédigée par un pape qui n’a pas la pudeur (de ses évêques) et dont la fermeté des conceptions morales lui rend manifestes les limites et les méfaits de la technoscience (p. 285).
Les évêques français, très investis à propos de la bioéthique, se désintéressent de l’univers électronique ou cybernétique. Ils se contentent de néologismes flous derrière lesquels on peut entendre ce qu’on veut, ils s’alignent sur les institutions d’État (la CNIL) avec comme seul critère : ne pas trop se démarquer de la multitude des imbéciles2. Pour beaucoup, dit la Conférence des Évêques, l’intelligence artificielle est une formidable occasion à saisir, en matière d’économie de la connaissance, en ajoutant, mais comment apprivoiser l’IA pour qu’elle soit au service de tous ? Se ralliant à l’idée qu’il faut faire avec, inévitablement.
Les deux ingénieurs affirment que la condamnation de l’intelligence artificielle s’englobe complètement dans la critique de l’ordre techno scientiste que fait le Pape. Il plaide, contre cette manière unique d’interpréter et de transformer la réalité, et engage à rester ouvert, aux richesses naturelles des peuples, à l’art, à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité, et à toutes les formes de sagesse y compris la religieuse. (Laudato Si, §63.)
La prétendue intelligence artificielle, ce rabaissement de l’humain, n’est qu’une manifestation de plus de l’imbécillité fondamentale que jusqu’ici on appelait péché originel. C’est ce que j’ai à proposer comme prologue des chapitres qui vont s’aligner dans ce nouvel essai, avec un seul mot d’ordre, l’urgence.
L’homme qui s’incline, qui se prosterne, qui envoie l’encensoir, qui génuflexionne devant la machine, prétendant à n’être qu’un rouage, en attendant d’être complément expulsé, imite la machine, est content de ramener ses propres neurones au même niveau que ceux de la machine binaire qui n’entend qu’un langage mathématique. Cela ne s’insère-t-il pas avec précision dans ce que décrit René Girard, d’un humain au désir mimétique, essentiellement mimétique, pour le meilleur et pour le pire ?
Cet auteur providentiel, prophétique, apocalyptique au sens étymologique du terme, devient pour moi un maître à penser essentiel. Il donne une immense dimension à toute la réflexion catholique dont je tente, avec mes très modestes capacités, de maintenir brillante la flamme. Il donne où plutôt il nous fait redécouvrir ce qui est toujours là depuis toujours : un éclairage sur la question de la légitimité de la violence, cette violence qui depuis toujours, depuis l’aube des temps est la condition historique de l’émergence d’une paix toujours provisoire, et de la constitution d’une civilisation, d’une culture (résultant du meurtre du bouc émissaire). L’avertissement qui s’ajoute à la révélation Girardienne, c’est depuis que nous savons, grâce au Christ, l’innocence du bouc émissaire, que désormais cette solution n’est plus possible ; même ici et maintenant, face à cette nouvelle barbarie technologique et ses pouvoirs inouïs, nous avons impérativement à trouver autre chose, car ce qui est en perspective c’est notre disparition pure et simple.
Il nous faut à tout prix sortir de l’idée que nous avons sous la main des coupables, des boucs émissaires, de vilains athées technolâtres, par exemple, pour les catholiques. Nous sommes tous, à des degrés variables des athées technolâtres, dont nous partageons le mode de vie rapace et cynique, en nous livrant à une destruction insensée du milieu naturel.
Girard démontre l’universalité du religieux dans toute l’histoire humaine, et une dichotomie qui s’y installe, avec la manifestation de Dieu par l’incarnation de son fils. Les évènements d’aujourd’hui sont à lire à travers la tentation toujours présente d’un retour archaïque à la religion sacrificielle. Les magnifiques créations d’une prétendue intelligence artificielle se présentent ainsi comme des incantations en boucle, à la manière des danses rituelles tribales autour du totem.
Cet aspect d’une permanence peccamineuse de la conception archaïque, influe encore par une sorte de tabou qui doit recouvrir d’un silence de plomb les conséquences désastreuses d’un mode de vie hyperconsommateur et énergivore. Ce tabou ne se rattache-t-il pas au mode de pensée que nous supposons être celui de nos ancêtres lointains, pour qui le mot et la chose étaient indissociables, et pour qui dire le mot risquait de provoquer la chose. Le fait, pour nombre de catholiques pratiquants de s’interdire les mots écologie et catastrophe ne témoigne-t-il pas d’une régression antédiluvienne ?
Il faut poursuivre, écrivais-je en conclusion de mon premier essai Le Tocsin et j’ai poursuivi mon exploration littéraire parce que j’ai le sentiment d’y trouver des amis vrais avec ces amis de la vérité que sont ces grands auteurs ; par exemple un Romain Gary et son génie du dédoublement, double Goncourt, mais homme d’un seul tenant, avec la flèche tendue de l’adéquation de son œuvre et de sa vie. Il ne supportait pas l’irruption déferlante de la machine, lui aussi. C’est un thème qu’il développait avec constance, et fulgurance : Il y avait derrière cela une frontière perdue : allumer un feu, seller son cheval, abattre son gibier, construire sa maison. Il n’y avait plus rien à décider, toutes les décisions étaient déjà prises. On était chez les autres, on entrait en circulation. Votre vie n’était plus qu’un jeton dans la machine ; Insert on (…) Il faudrait quelque chose plus loin, comme dans la montagne : tu regardes au-delà, tu vois autre chose ; ici, tu regardes au loin, il n’y a rien. C’est le même monde, même quand il dit qu’il est différent (Adieu Gary Cooper, p. 60).
La montagne, c’est l’endroit où l’on regarde plus haut, où le regard s’élève, sauf brièvement, dans l’arrivée fugitive au sommet. Gary, lui, n’y a vu qu’une frontière perdue, symbolisant probablement, l’absence d’au-delà. Son extrême sensibilité le maintenait sur des versants arides qui l’ont conduit, un beau matin de décembre 1980, à mettre fin à ses jours, à détruire d’un coup de pistolet la merveille de la création qui trônait sous son crâne. Il avait la conviction de n’avoir plus rien à dire. Peut-être y a-t-il une certaine analogie avec le défi qu’assumait un Philippe Muray dont je déplore la disparition prématurée comme celle d’un ami cher, qui s’est tué à petit feu à force de jouer sans discontinuer à la locomotive à gitanes.
Gary, dans Adieu Gary Cooper, disait : Je connais un type à Zermatt ; en fait, c’est très probablement Romain Gary lui-même, ce type. Il se dédouble une fois encore, pour faciliter les choses, pour entrer sans en avoir l’air dans le monde tel qu’il est. Le type de Zermatt dit : Ce n’est pas au point tout ça. Il faut changer le monde. Il faut se mettre tous ensemble et qu’on change le monde. Et le narrateur commente : mais si on pouvait se mettre tous ensemble, le monde, on n’aurait pas besoin de le changer, il serait déjà différent.
Le mimétisme où nous nous inscrivons vis-à-vis des États-Unis donne une acuité particulière à ce qu’en disait Romain Gary à l’œil impitoyable et à l’humour amer affleurant : L’Amérique, c’est un pays que l’on connaît sans y être allé, parce que c’est entièrement exportable, on trouve cela dans tous les magasins…
L’actualité de ses observations d’il y a plus de quarante ans est stupéfiante : C’est tout de même triste lorsque les juifs se mettent à rêver d’une gestapo juive, et les noirs d’un Ku Klux Klan noir… Ce constat affligeant révèle deux choses : une permanence et un crescendo. La Gestapo et le Ku Klux Klan n’ont plus ni localisation ni couleur de peau, ils prolifèrent partout. Ce sont les fruits empoisonnés de notre mode de vie prédateur. La prétendue, fabuleuse et fabulatrice intelligence artificielle, qui ne peut pas ne pas détruire les possibilités d’accomplissement de l’individu conduit mécaniquement et nécessairement cet individu entravé, inaccompli et frustré, à la dépression et/ou à la violence.
C’est à l’enseigne de cette déploration, à propos de ce qui traduit une perte totale du sens, et aussi l’agonie des instances politiques, leur abdication, que se justifie le titre de Requiem pour César.
Nous nous enfonçons dans ce que le Pape François qualifie de spirale d’auto-destruction. L’actuelle prétendue IA, avec l’écran assisté d’un simulacre de voix humaine en constituent le mode exécutoire.
Nous sommes face à une réalité qui s’aggrave, du fait de modèles de consommation et de production inacceptables, formule d’une déclaration conjointe en 2002 à Constantinople, du Pape Saint Jean Paul II et du Patriarche Bartholomés 1er, et depuis s’est installée la nouvelle économie, sans que le Politique n’ait fait autre chose que de lui en faciliter l’irruption ; sans se préoccuper le moins du monde de ses effets catastrophiques dans les domaines sociaux et environnementaux. Ce dont parle expressément le Pape dans l’Encyclique c’est de l’expansion délirante de la climatisation : c’est un prototype de cette fuite en avant. C’est parti d’un seul coup et cela s’est accéléré frénétiquement. Dans nos pays tempérés, c’est effectivement délirant. Cet engrenage vicieux est exponentiel puisqu’influant sur le réchauffement de l’atmosphère, il est déplorable pour une énorme proportion de la population, dont il amoindrit la résistance naturelle aux variations de température.
La question monétaire a besoin d’être traitée de façon condensée et lapidaire. Ce qui ne lui enlève rien de son aspect primordial. La création monétaire a échappé au Politique. La planche à billets a réponse à tout, par exemple elle rembourse les achats de carburants d’une population théoriquement mobilisée sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre. Quelques pages de mes précédents essais, mises en annexe 1, décrivent succinctement le funeste océan de la finance mondialisée et l’intéressant spécimen humain qui s’épanouit dans ce monde poissonneux.
Sous quelque angle que ce soit, les choses se passent sans lui, l’ubérisation avec le travail précarisé, la dérégulation dans tous les domaines, tout le monde est hôtelier avec l’expulsion des populations des centres-villes, etc.
Dans aucune de ses configurations, le Politique ne s’est impliqué, en dehors de gesticulations sans portée effective.
C’est de cette autorité politique antique et actuelle, l’autorité et sa sacralité, dont il s’agit de déplorer les funérailles, et de le faire solennellement pour en relever la réalité, dans ce monde de faux-semblants.
La guerre des Gaules du premier César m’a passionné. J’ai eu la chance de naître à une époque où vous n’échappiez pas à six années de latin. Ce César inaugural, certains historiens le voient comme un précurseur christique, non seulement du fait de sa mort atroce, mais par son sens de la mesure, son souci du peuple, ses réformes agraires, ses qualités de négociateur, son esprit de décision. Si le Christ dit qu’il faut lui rendre son dû, ce ne peut être une simple galéjade.
Mais surtout, dans le « rendre à César ce qui est à César », il faut revenir au « quae sunt Caesaris » du latin, qui est au génitif et non au datif, ce qui mérite peut-être d’être traduit par « rendre à César ce qui est de César », c’est-à-dire ce qui lui incombe, ce qui relève de lui : ses attributions, ses responsabilités, son devoir.
En même temps, le catholique ne doit pas ajouter à cette disparition de l’autorité. Le Pasteur n’a pas à rester à la remorque du troupeau, qui se laisse endormir si facilement, à propos d’une « formidable occasion à saisir » que représenterait cette machination supplémentaire.
Il faut ici et maintenant comme partout et toujours, décréter le moment favorable pour sortir de l’alignement, pour faire un grand pas de côté et bien examiner ce que disent les mots : associer cette machinerie effrayante dans sa prétention totalitaire à « l’économie de la connaissance » (sic), c’est mettre à la merci de la machine toute la culture humaine, son existence, puisqu’il s’agit de « l’oïkonomia », ce souci de la maison commune, son administration et surtout sa sauvegarde, et de l’humain, cet animal social « connaissant », dans sa spécificité.
Il est bien léger d’accepter, comme on le voit, sans discussion, l’idée d’une « formidable occasion à saisir », ignorant superbement la réalité de ce processus dans lequel l’humain est à la dérive. Cette introduction sans confession, ce baptême et cette bénédiction, n’est-ce pas Troie qui ouvre encore ses portes au canasson artificiel meurtrier ? Et puis, pour continuer à être attentif au sens des mots : « apprivoiser » l’IA, pour qu’elle soit au service de l’homme, est-il le bon vocable pour s’occuper de ce dragon ? Homère, Saint Georges, Saint Michel, priez pour nous. Sauvez nos âmes !
Le déferlement de la prétendue intelligence artificielle accroît – et s’accroît lui-même – par et du – tsunami d’écrans qui se sont imposés comme le prolongement naturel de l’humain. Cette pandémie de virus virtuel est pilotée par ces officines hors contrôle politique et démocratique, ces bricolages en sous-sols devenus des antres de sorciers planétaires. L’accueil qui lui est organisé, ou plutôt qu’ils s’organisent eux-mêmes dans le contrôle du réseau et des médias est révélateur de « l’insoutenable légèreté de l’Être » contemporain, que flairait Milan Kundera.
Le « minus habens » assisté de l’IA, se rend-il compte que c’est l’Histoire humaine qui est rendue caduque comme on balaye les feuilles mortes et que sont coulés à pic, la pensée critique et l’agir libre ? Penser, pensare en latin qui veut dire peser : quel poids, désormais, pour l’humain du jour ? Sa capacité financière, son branchement sur les sources d’énergie, son accès aux terres et métaux rares. Indépendamment de la catastrophe écologique, se rend-il compte, ce béat, de la perte du B-A : BA, de l’effondrement en cours et bien avancé chez les nouvelles générations, de la capacité cognitive et de la qualité de la parole et de l’écrit ?
Si nous survivons en tant que Société à cette mésaventure, à cette démoniaque faribole, dont les jours sont aussi comptés que ceux des réserves de matières épuisables et forcément épuisées, à un terme rapproché, se profile un décalque du siècle précédent, où ce ne sont pas seulement des criminels de guerre qu’il faudra citer à comparaître à un nouveau Nuremberg, mais où ce sont prioritairement ces tueurs en série et vandaliseurs d’un type nouveau, affublés de leur faux nez de scientifiques, ces « criminels de paix », comme les décrit Philippe Muray, ceux qui nous somment de nous rendre, de hisser le drapeau blanc, cernés que nous sommes par les progrès d’une technoscience planétaire, hors de contrôle et par conséquent, totalitaire et barbare
César n’est pas seulement nu,
il est exsangue, le pauvre…
À son avènement au siège de Pierre, le Pape François a aussitôt publié l’exhortation apostolique : La joie de l’Évangile. Benoît XVI l’avait initiée, mais le Cardinal Bergoglio en était co-rédacteur. Un changement de ton est perceptible, dans le discours papal : moins de précautions oratoires, semble-t-il, et une incursion dans une réalité terre à terre, directe et simple, une vision très quotidienne de la vie des gens, très tournée vers les pauvres, dont il se veut le défenseur tout particulièrement. Sur le plan économique, c’est sans fioriture qu’il décrit le fétichisme de l’argent, La dictature de l’économie sans visage ni but véritablement humain, et il détaille : Dans ce mystère qui tend à tout phagocyter, dans le but d’accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile comme l’environnement reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformé en règle absolue.
Cela préfigure son intention ferme de se consacrer en priorité à la crise écologique, où il a le projet d’immiscer l’Église plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, en se consacrant particulièrement aux problèmes liés au paradigme technologique, une mainmise de la technologie sur nos vies, où tous les problèmes qui s’en suivent, devraient se résoudre par encore plus de technologie, comme le plaide ce monde technolâtre.
La financiarisation de l’économie et ce paradigme technologique constituent deux éléments extérieurs à l’humain, et aux institutions politiques dont il se dote. Il y a une conjugaison de ces deux facteurs externes pour faire imploser la société et ses institutions, et pour les subvertir. Le politique, vis-à-vis d’eux, reste incapable de réagir, et, en fait, leur abandonne les rennes.
Certains examinent l’affaire de cette démission de César, de son impuissance, sous l’angle de la complexité administrative, de la difficulté de gestion d’une administration pléthorique, phénomène dénoncé comme « Dictature bureaucratique », « bureaucrature »3, avec nombre d’exemples éloquents, illustrant une sorte d’embrouillamini législatif et réglementaire où s’emmêle le judiciaire, qui paralyse l’action publique. Les médias se régalent avec toutes les idioties courtelinesques qui s’accumulent.
En réalité, ce ne sont que des épiphénomènes, identifiés par des politiques accablés de sollicitations qui ont le nez dans le guidon, et un champ de vision réduit4. L’essentiel est ailleurs, et infiniment grave, parce que passé sous silence, considéré comme allant de soi, une affaire de spécialistes dont le public doit être tenu à l’écart. Les médias paraissent là-dessus aussi ignares et incompétents que leurs lecteurs. César est nu, les courtisans continuent de porter solennellement la traîne imaginaire, mais par surcroît il s’est laissé volontairement vampiriser, il s’est porté donneur volontaire, pour un prélèvement sanguin quasi total, il abdique de ses compétences et prérogatives au profit de la prolifération incroyable d’agences indépendantes. Cette révolution constitutionnelle qui ne dit pas son nom se réalise dans la création des AAI – Autorités Administratives Indépendantes – ou encore API, celles qui ont le plus d’autonomie – Autorités Publiques Indépendantes.
Personne n’a conscience que depuis quarante ans, notre prétendue démocratie a connu cette éclosion totalement inconstitutionnelle, réalisant clandestinement un abandon de la souveraineté du peuple et de ses institutions, avec un objectif, nous dit le commentaire Wikipédia : Passer d’une société rigoureusement administrée à une société dans laquelle l’État donne davantage de liberté d’action aux agents économiques. Autant dire : liberté totale pour les lobbyistes du grand business, ou encore liberté pour le renard dans le poulailler libre.
Il y a un grand rapport parlementaire de 2014 sur ce sujet qui s’attache à ce processus clandestin, à la cadence d’une AAI par an et qui démontre le paradoxe d’une indépendance effective des AAI à l’égard des autorités parlementaires et gouvernementales, mais du côté business c’est/laxisme, perméabilité, partenariat, passerelles.
Cela me barbe (et vous aussi probablement) d’entrer dans tous les arcanes dont vous trouvez l’essentiel sur Wikipédia, et dans le rapport suscité. Je vais me borner à illustrer cet abandon, cette disparition de notre Césarion par quelques exemples bien choisis.
Son premier abandon, parfaitement révélateur, est celui de la création de la CNIL (informatique et libertés), domaine pégueux s’il en est dont notre César était bien content de se débarrasser, comme le capitaine Haddock du petit sparadrap…
On ne peut pas s’abstenir, bien sûr, covid oblige, de parler de la HAS, la Haute Autorité de Santé, dans ses pompes et dans ses œuvres. La HAS est une API (Autorité Publique Indépendante), c’est-à-dire qu’elle a le plus d’autonomie possible : elle est dotée de la personnalité juridique lui donnant droit d’ester en justice, de contracter, de disposer d’un budget propre, de déroger à l’obligation d’emploi des fonctionnaires et de recourir à du personnel de droit privé.
À partir de là on comprend mieux ce qui s’est passé, et l’omnipotence des comités Théodule qui paradaient tous les soirs en dissimulant mal la satisfaction de voir leur médiocrité portée à ce niveau d’omnipotence…
À propos de barbes, parlons de vieilles barbes (où l’on trouve maintenant de vieilles dentelles), les prétendus « sages » de nos conseils d’État et Constitutionnel : ils n’ont rien trouvé à redire, dans le principe même d’un pouvoir qui abandonne ses fonctions. Ils se sont bornés à tenter de poser les principes d’un encadrement et d’une surveillance, ce qui débouche sur des suggestions floues, mol coussin sur lequel s’asseoir confortablement, comme cette recommandation du Conseil Constitutionnel : le gouvernement et l’administration devront : veiller à ce que l’habilitation qu’on leur délègue (aux quarante AAI) ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu.
Comment peut-on, dans des secteurs aussi importants que la santé, les transports, le nucléaire… se cantonner à des mesures de portée limitée, quand on est à la merci d’une soudure qui pète et entraîne une catastrophe planétaire ? Peut-on dans le domaine financier où il est question de milliards par dizaines ou centaines, ne prendre que des mesures de portée limitée ? Restons toujours lapidaires pour ne pas compliquer des choses finalement simples. Notons simplement que c’est un trio d’agences indépendantes qui épargne à César de s’occuper de ces petits détails : l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), l’Autorité de la concurrence, et l’ACPR, celle dont la dénomination laisse rêveur ; l’autorité du contrôle « prudentiel et de régulation », comme s’il y avait possibilité de contrôles imprudents et anarchistes ! Profitons-en pour rire un peu…