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Sur Nezelthéa, une loi implacable règne, ne tolérant aucune erreur. Morgana, marquée par les épreuves du passé, mène une vie tranquille auprès de sa grand-mère. Pourtant, lorsque le destin la rattrape, elle est précipitée au cœur d’un conflit entre forces lumineuses et puissances obscures. En explorant ces mystères, elle découvre des secrets familiaux enfouis et réveille d’anciens pouvoirs. À la croisée des chemins, déchirée entre la lumière et les ténèbres, Morgana doit choisir : céder à l’obscurité ou lutter pour le salut de Nezelthéa. Quels secrets sur son passé et celui de sa lignée surgiront ? Quelles seront les conséquences de ses choix sur l’avenir de son monde ? Plongez dans une quête de vérité et de courage où chaque décision est cruciale et potentiellement irrévocable.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Anita Harinder a trouvé dans l’écriture un refuge pour surmonter les défis de l’endométriose, transformant sa souffrance en une source d’inspiration. À travers son œuvre, elle a donné libre cours à son imagination, créant un monde où une aventure captivante prend vie.
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Anita Harinder
The Crystal Witch
Tome I
L’éveil de la magie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Anita Harinder
ISBN : 979-10-422-4126-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nezelthéa
Lorsque les portes de l’enfer s’étaient entrouvertes, fissurant le sol et libérant les flammes qui embrasaient jusqu’ici ses entrailles, le ciel s’était enveloppé d’un voile ténébreux et avait fait tomber une pluie furieuse sur Nezelthéa. Au cœur de la nature en tumulte, les arbres agités se déchaînaient. L’harmonie paisible qui régnait autrefois sur ce peuple avait disparu pour laisser place à un paysage terrifiant. Elle planait dans les airs, semait la peur parmi les créatures divines. Certains habitants de Chépunor s’étaient réfugiés au royaume de Nezgrat, tandis que d’autres cloisonnaient leurs boutiques pour s’enfermer dans leur monde. Seuls les mages, quelques sorciers et les orcs se tenaient sur le terrain principal prêts à affronter les forces maléfiques. Les lampadaires ancrés au sol vacillaient de plus en plus et une brume commençait à se former autour d’eux.
Dans les cieux, les dragons aux écailles noires émergèrent du portail et pénétrèrent ainsi le périmètre. Leurs immenses ailes brillaient d’une lueur ardente, même en l’absence de soleil. Ils survolaient le royaume en attente de quelque chose. Toutefois, ils n’étaient pas seuls, car ils étaient accompagnés de trois sorciers. Tels des êtres dont le cœur avait été dévoré par les flammes de l’enfer, ils atterrirent sur le sol, frappant leurs bâtons, ornés d’un diamant pourpre, pour affirmer leur suprématie. Le son qui en émana résonna puissamment à l’oreille. De petits graviers s’élevèrent au contact.
— Vous ne passerez pas ! s’écria le roi de Chépunor.
Un orc, d’une stature imposante, se distinguait des autres par sa taille haute. Revêtu d’une longue cape rouge agrémentée de perles blanches, il avançait avec férocité, écartant les êtres magiques pour se positionner en première ligne. Après avoir extrait son épée attachée à sa ceinture, il la brandit vers le ciel, prêt à terrasser et repousser ces êtres corrompus loin de ce monde. Son teint verdâtre dissimulait ses émotions, mais ses expressions physiques étaient indéniables. Sa mâchoire se contracta tandis que ses mains se cramponnaient fermement au manche de la lame. Il était le roi, déterminé à ne pas perdre ses sujets. Il se devait de protéger la cité au prix de sa vie, car pour lui, c’était son devoir et Nezgrat ne pouvait faillir.
Quant aux sorciers, ils éclatèrent de rire. Aucune peur ne les habitait, bien au contraire. Ils maîtrisaient plusieurs pouvoirs, connaissaient tous les stratagèmes de ce monde. Ils avaient été formés ici. Les trois s’avancèrent lentement, un rictus dessiné sur leurs visages.
Néanmoins, ils furent immédiatement interrompus par l’arrivée d’une jeune femme qui se précipita vers eux. Ses cheveux dorés, noués en une tresse flottante au gré de la brise, volaient dans tous les sens. Une couronne argentée ornait sa tête, signe de son statut plus élevé que ses semblables. Sa longue robe nacrée semblait s’animer alors qu’elle courait. Les battements de son cœur résonnaient dans ce silence. Ses yeux bleus étaient empreints d’une lueur sombre, sans faille, montrant sa soif de destruction envers tous ceux qui se dresseraient sur son chemin. Au nom de Nezelthéa.
— Vous n’avez rien à faire ici ! s’écria-t-elle. Et pour votre acte d’imprudence, vous vous condamnez tous à mort.
— En es-tu si sûre, Rowena ? ricana l’un d’entre eux.
— Comment osez-vous manquer de respect envers celle qui vous a accueillis comme ses propres enfants ? s’indigna-t-elle.
— Si seulement tu avais laissé notre maître briser l’enchantement qui protégeait le cristal, mais tu as choisi un autre chemin, et désormais tu devras assister à l’éventration, à la torture et même au viol de tes amis. Quant à toi, il se chargera de ton destin.
Rowena fit un pas en avant, une lueur d’un bleu éthéré commença à l’entourer. Elle était l’une des sorcières les plus redoutables de Nezelthéa. La jeune femme pouvait manipuler les éléments : le feu dansait devant elle, les tempêtes se dissipaient d’une simple pensée. Sa voix, douce et sereine, portait une incantation capable d’influencer les esprits et de modeler la réalité à sa guise. Même les barrières les plus solides ne résistaient pas à sa puissance, car elle avait le don de les briser d’un seul coup.
— Au fait, où se trouve notre maître ? interrogea l’un d’entre eux.
— Sûrement avec Richard, répondit son acolyte.
Soudain, les yeux de Rowena s’embrumèrent, ses pensées se troublèrent. Elle avala sa salive et laissa tomber ses bras pour réprimer son pouvoir qui attendait de s’éveiller. Son cœur tambourinait violemment dans sa poitrine, ses mains devenaient moites et son front perlait de sueur. À cet instant précis, sa vie défila devant elle à une vitesse vertigineuse, mais surtout, les visages de son mari et de sa fille surgirent dans sa tête. Des larmes menaçaient de s’échapper. Ses lèvres étaient prêtes à réagir, mais elles demeuraient scellées dans un silence. Non, pas ça, pensa-t-elle. Les jambes de Rowena flageolaient, incapables de rester debout plus longtemps.
— Rowena, je peux ouvrir un portail pour que tu puisses rejoindre ta famille et les aider, chuchota l’un de ses compagnons.
Elle n’était pas en mesure de répondre, submergée par des émotions néfastes. La perspective de perdre son unique enfant était une torture impensable, une douleur perpétuelle qu’elle ne pouvait pas envisager, même une seconde. Non, pas sa précieuse fille qu’elle aimait plus que sa propre existence. Elle était la lueur qui illuminait son chemin, sa muse, et surtout, la seule à pouvoir briser sa carapace.
— Oh, pauvre petite chose, tu en es restée sans voix ? se moqua le sorcier. Ne t’inquiète pas, tu auras tout le temps de te recueillir sur sa tombe.
Rowena serra ses doigts aussi fort que possible, formant ainsi un poing et d’un mouvement de tête, elle indiqua à son ami d’ouvrir le passage pour franchir les deux mondes. Bien qu’elle eût pour mission de protéger Nezelthéa, elle ne pouvait pas abandonner son enfant entre de mauvaises mains. Elle refusait de se résigner à cette idée.
— Je reviendrai, je te le promets, murmura-t-elle.
***
Les flammes dévoraient progressivement la demeure, tandis que l’odeur d’empyreume emplissait l’air. Rowena, maintenant chez elle, tenta maintes fois d’appeler sa famille, sans recevoir de réponse. Elle pressa une main contre sa bouche pour s’abstenir d’inhaler la fumée et traversa les pièces du rez-de-chaussée tout en criant à nouveau pour espérer que quelqu’un l’entende. Le craquement du plafond en bois la fit grimacer. Une terreur se réveilla en elle.
Son rythme cardiaque s’accéléra, les poils de ses bras se dressèrent de plus en plus. Rien que l’idée de retrouver leurs corps inanimés lui arracha un gémissement, et ses larmes se mirent à rouler sur ses joues écarlates. Rowena grimpa les escaliers deux par deux. La jeune sorcière se dirigea alors vers la chambre conjugale, mais s’arrêta brusquement. Les mots emprisonnés dans sa gorge se heurtèrent à ses parois, mais des flammes invisibles les dévorèrent pour les dissiper dans les ténèbres. Elle manqua de tomber, se rattrapant in extremis à la porte. Ses jambes fléchirent, son teint pâlit. Les tremblements revinrent.
— Non ! s’exclama-t-elle.
Les hurlements qui jaillirent de ses cordes vocales ébranlèrent les fondations de la maison. Ses larmes coulaient sans fin, témoin de la douleur qui la consumait face à cette vision qu’elle ne pouvait supporter. Elle étouffait, son regard se brouillait tandis que ses pensées se bousculaient dans son esprit tel un brasier incontrôlable. Rowena s’agenouilla devant le corps de son époux et tenta de le réanimer, en vain. Richard était déjà mort. Un liquide écarlate se répandait, formant une mare tout autour de lui. Les mains maculées de sang, la jeune sorcière essaya de le secouer, de le ramener à la vie. Non, elle ne pouvait pas exister sans son conjoint, lui qui avait fait d’elle une femme comblée.
— Je t’en supplie, ne m’abandonne pas. Nous avons besoin de toi. Je t’aime. Reviens-moi, je t’en prie.
Elle répéta ses mots, mais il n’y avait plus rien à faire. Rowena gémissait, pleurait. Sa tristesse était incontrôlable. Tout son monde s’écroulait devant ses yeux impuissants. Les poings serrés, elle frappa la moquette et cria de toutes ses forces, laissant la colère se propager. Cependant, le temps lui était compté, la maison allait s’effondrer.
Alors que Rowena s’apprêtait à se relever pour partir à la recherche de sa fille, une lame en acier lui transperça la poitrine qui la fit chuter violemment au sol. Son regard se figea sur l’assaillant. L’inconcevable se produisait et défiait toute logique. L’homme qu’elle avait autrefois chéri de tout son être se tenait face à elle. Son premier amour, celui qui avait été à la fois sa passion et son tourment.
— Je t’avais pourtant avertie, Rowena, mais tu n’as point prêté attention et par tes actes, ton époux a péri. Désormais, il est temps pour toi de souffrir, à l’instar de ce que j’ai moi-même enduré. Tu ne pourras être là pour contempler les flammes de l’enfer s’échapper des terres et consumer Nezelthéa, mais j’aurai une pensée pour toi, déclara-t-il.
Comment avait-il pu revenir d’entre les morts ? La réalité se tordait sous le poids de cette énigme. Mais ce n’était pas seulement sa présence qui la terrifiait, c’était le souvenir des atrocités qui avaient marqué leur histoire. C’était à cause de lui que le carnage de Nezelthéa avait eu lieu, un chapitre sombre et sanglant dont elle n’aurait jamais imaginé voir la suite. Son visage, autrefois si cher à son cœur, arborait désormais un rictus qui s’étirait sur ses lèvres desséchées.
Dans un ultime effort, la sorcière toucha l’un des dessins sur son avant-bras ; elles lui permettaient de prendre contact spirituellement avec sa mère.
Protège ma fille, je t’en prie. Elle détient la clé, et si quelque chose lui arrivait, les deux mondes seraient voués à une damnation éternelle. Il est essentiel que Morgana ne découvre jamais le véritable secret gardé par notre famille. Maman, je t’en supplie, veille sur elle comme tu as veillé sur moi.
Dans un monde de magie,
une destinée peut basculer entre lumière et ténèbres.
Bretagne
Morgana se réveilla brusquement, sa peau enveloppée de sueur. Les draps en coton qui l’entouraient étaient imprégnés de cette humidité, son cœur battait à un rythme effréné, ses mains tremblaient. Elle prit une profonde inspiration afin de calmer son stress. La jeune fille ferma les yeux et s’isola du monde extérieur, derrière ses paumes.
Le cauchemar avait débuté avec une multitude de flammes qui dévorait sa demeure. Morgana s’était réfugiée dans une forêt aux arbres gigantesques, où l’horizon se couvrait de brume épaisse. À l’âge de cinq ans, elle avait contemplé son foyer en proie au feu, les cris poignants de ses parents résonnaient dans ses oreilles. Pourtant, elle se trouvait sans ressource, contrainte d’observer ce drame, ses yeux emplis de larmes.
Une autre vague de frissons parcourut le cœur de Morgana alors qu’elle revivait mentalement ce cauchemar déchirant. Néanmoins, ce n’était pas une expérience nouvelle. Depuis la disparition de ses parents, la jeune femme était tourmentée par des rêves traumatisants et récurrents. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais ces rêves semblaient si réels. Elle pouvait sentir l’odeur du bois enflammé, ressentir la chaleur qui s’emparait de son corps. Ils avaient cessé pendant un certain temps lorsqu’elle prenait des médicaments, mais après avoir arrêté sur les conseils de son médecin, ils étaient réapparus.
La jeune fille se dirigea vers la cuisine, une salle où elle trouvait souvent refuge. Assise sur le rebord de l’évier, Morgana laissa son regard se perdre au loin. Au centre de la pièce trônait une table ronde usée par les épreuves de la vie et les nombreuses soirées où la famille Cromwell s’amusait à jouer aux cartes. Elle se drapa d’une nappe précieuse qui avait appartenu à sa mère, ce qui évoqua des souvenirs rares à son cœur. Un léger sourire s’étira sur les lèvres de Morgana. D’une main fébrile, elle se servit un verre d’eau afin d’apaiser son tourment intérieur.
— Tout va bien, ma chérie ? demanda sa grand-mère.
Andrée avança lentement, appuyée sur une canne sculptée dans du bois et ornée de motifs arabesques. Malgré les traces du temps qui se dessinaient sur son visage pâle, elle rayonnait de beauté.
— Je ne sais pas à vrai dire. Depuis maintenant quelques semaines, je rêve de papa et maman. Mes cauchemars s’étaient interrompus, pourtant, souffla-t-elle. Je ne comprends pas pourquoi.
— Tes parents sont toujours là, avec toi, dans un coin de ta tête. Ils font partie de ta vie même si une tragédie les a emportés loin de nous. Ta mère était une personne formidable et tous les jours, je pense à elle.
— Je n’arrive pas à l’expliquer, mamie. J’ai la sensation que quelque chose de maléfique s’est réveillée comme si elle m’appelait pour la rejoindre.
Elle soupira et posa une main sur l’épaule de la jeune fille.
— Mon enfant, demain tu célébreras ton dix-huitième anniversaire et je comprends que l’absence de tes parents puisse te rendre mélancolique. Mais imaginer de telles choses n’est pas forcément une solution.
— Tu pourrais avoir raison, peut-être que j’extrapole trop, admit-elle simplement.
— À ton âge, j’étais pareil.
La bouche d’Andrée s’étirait en un sourire. La vieille dame se releva pour se diriger vers sa chambre qui se situait au fond du couloir. Elle portait une longue robe en coton aux teintes colorées. Des motifs d’animaux brodés sur celle-ci ajoutaient une légère touche de fantaisie. Quant à Morgana, elle s’avança vers le salon afin de s’asseoir quelques instants sur le fauteuil décoré de petites perles blanches. C’était une salle assez spacieuse, qui diffusait un arôme d’agrume. Les murs étaient tapissés d’un papier peint rose-beige et contenaient des rayures et des fleurs. Des plaids rouge foncé recouvraient trois canapés disposés en cercle. Andrée les avait également vêtus de coussins noirs pour apporter une touche d’élégance. Les étagères fixées près de la porte d’entrée étaient remplies de livres d’univers différents et, de l’autre côté, une vitrine comportait des figurines en porcelaine et des Polaroïds.
Deux heures plus tard, Morgana marchait sous le soleil qui inondait le paysage d’une lumière chaude et dorée. Pas un nuage à l’horizon, seulement un ciel bleu qui s’élargissait à l’infini. Les rayons scintillants caressaient sa peau et apportaient une tendre chaleur. Le vent agréable soufflait à travers les feuilles des arbres pour créer un murmure qui accompagnait le chant des oiseaux.
Les prairies s’étendaient à perte de vue, vêtues de leurs somptueuses nuances. Les champs de blé ondulaient, étincelaient sous le soleil, tandis que les bourdons se déplaçaient de fleur en fleur afin de collecter le nectar et le pollen. Le parfum de la verdure flottait dans l’air, mêlait ses tons aux senteurs de la terre et de l’herbe tout juste coupée.
Les rues de Plouhran étaient animées, avec des passants aimables qui profitaient du beau temps, toutefois, Morgana avait du mal à se frayer un chemin parmi ces nombreux mannequins de chair. Elle tira une grimace et rentra dans un salon de thé et de café : « La Tasse enchantée » qui se situait à l’angle du boulevard.
— Bonjour, Mathilde, salua Morgana d’un geste de la main.
— Salut, jeune fille, répondit-elle, sourire aux lèvres. Je te sers comme d’habitude ?
— Oui ! On ne change pas une équipe qui gagne.
Le lieu était familial et idéal pour les touristes. Les tables en bois se trouvaient dans tous les endroits de la salle et embellies par des nappes rose pâle. Des chandelles avec une bougie répandaient une délicieuse odeur aromatisée de vanille. Les murs, habillés de briques, ajoutaient une touche ancienne à l’ambiance.
Le comptoir en marbre fournissait une variété de pâtisseries fraîchement confectionnées. Derrière, une immense étagère exhibait des produits locaux de la région, allant de boîtes de conserves à de l’alcool embouteillé. Une vitrine près de la porte exposait de la vaisselle caractéristique de la Bretagne, avec des motifs marins, floraux et des dessins qui représentaient les costumes traditionnels. À l’arrière de la salle, un espace café était aménagé pour les amateurs de cette boisson.
Morgana se dirigea vers la grande baie transparente. Elle enleva sa veste noire pour l’installer sur le rebord de la chaise et retira ses écouteurs pour les ranger dans son sac. Les mains posées sur le meuble, elle fixa les clients et essaya d’imaginer leurs pensées, leurs envies sans trop comprendre pourquoi c’était devenu son passe-temps favori.
La jeune fille habitait en Bretagne depuis douze ans. Venir dans cet établissement était pour elle, un divertissement, une sortie pour s’échapper de son monde plutôt terne. Elle n’avait jamais été une femme sociable, bien au contraire. Elle n’avait que très peu d’amis et aucune famille, mis à part sa grand-mère qui l’avait recueillie depuis le drame qui avait causé la mort de ses parents. Depuis l’obtention de son diplôme de secrétaire administrative, elle n’avait pas retravaillé et errait sans but précis.
— Et voici ton café, ma belle.
— Merci, Mathilde. Pas trop dur aujourd’hui ?
— Beaucoup de monde à cause de la fête de ce soir, rit-elle. Et toi, tout roule ? Comment se porte Andrée ?
— Grand-mère va bien. Un peu fatiguée à cause de la vieillesse, mais sinon, elle peut toujours me mettre un coup de pied aux fesses si l’envie lui prend.
Elle sourit. Morgana adorait bavarder avec la serveuse. C’était une forme de distraction et un autre mode de discussion que celle qu’elle partageait avec Andrée.
— Tu lui donneras le bonjour de ma part. Bon, je dois filer. Passe après le travail si tu veux, ainsi, nous pourrons nous amuser ensemble ce soir.
Morgana acquiesça poliment, mais elle n’était pas certaine de pouvoir sortir. Elle détestait se retrouver parmi une foule qu’elle ne connaissait pas.
Sa boisson était servie dans une grande tasse en céramique blanche, sur laquelle le nom de l’établissement y était inscrit. Le récipient fumait et dégageait une odeur de café corsé. Mathilde l’avait déjà mélangé à du sucre, cependant, Morgana rajouta une autre cuillère qu’elle piocha dans le sucrier en verre, devant elle. À côté, offerte dans une assiette, une petite gaufre masquée par une montagne de chantilly maison. Le goût noisette de la mousse lui rappelait immédiatement les gâteaux que faisait sa mère. Elle déglutit face à ce souvenir et posa les lèvres sur la tasse pour boire quelques gorgées afin d’éviter un débordement.
— Morgana !
Elle releva sa tête et observa la silhouette située à l’entrée de l’établissement. C’était Déborah, son amie depuis l’école élémentaire. La jeune fille ne passait pas inaperçue puisque sa couleur de peau était cachée par ses nombreux tatouages. Elle portait une brassière noire ainsi qu’une tunique transparente. Un léger short couvrait partiellement ses cuisses. Des gants rouges camouflaient ses longs doigts fins. À ses pieds, d’énormes bottes dont le talon dépassait certainement quinze centimètres. Déborah ajusta sa mèche rose de l’autre côté de sa tête et de ses yeux bleus étincelants, fixa Morgana.
— Ça vient savourer son petit café et ça ne m’envoie pas un message, c’est une honte.
Morgana rit aux éclats devant la mine boudeuse de Déborah. Quant à elle, elle prit place sur la chaise d’à côté, faisant exprès de la laisser traîner sur le parquet pour importuner sa camarade. Rapidement, le visage de Morgana se décomposa sous ce bruit strident et énervant. C’était comme une craie qui frottait sur un tableau. Elle détestait ça et Déborah s’en réjouissait.
— Tu es insupportable, tu le sais ?
— Voilà pourquoi tu m’adores, sourit-elle. Bon, parlons peu, parlons bien. Es-tu informée de la soirée prévue ce soir ?
— Oui, j’ai eu une brève discussion à ce sujet avec Mathilde.
— Hum, réfléchit-elle. Et tu lui as répondu quoi ?
— Rien, mais je n’aime pas sortir, enfin pour ce type d’événement.
— Eh bien, c’est génial, je t’attends à la maison à dix-huit heures pour pouvoir te préparer.
Morgana resta sans voix quelques secondes, bouche légèrement ouverte. Sa camarade souriait, l’air de rien. Bien sûr qu’elle avait compris, néanmoins, Déborah était le genre de fille qui agissait selon son propre désir. De plus, depuis leur rencontre, les deux femmes ne s’étaient plus quittées et s’épaulaient dans les moments difficiles. C’était un lien qui pouvait faire penser à deux sœurs et non deux amies.
Déborah venait tout juste de célébrer ses dix-neuf ans. Elle résidait avec sa mère dans un coin isolé de la ville. À l’opposé de Morgana, cette adolescente était avide de sorties, de fêtes, d’échanges et de conversations avec toutes les personnes qu’elle croisait. Au départ, leur relation s’avérait difficile, mais quelque chose de puissant se développa entre elles lorsque Déborah avait perdu son père. Comme Morgana, elle était une jeune âme qui n’avait pas eu l’occasion de partager de précieux moments avec lui. Cet événement avait créé entre elles une compréhension mutuelle et une amitié hors du commun.
— Et sois à l’heure cette fois, ça changera.
— Oui, je vais voir ce que je peux faire, rétorqua Morgana en prenant une gorgée de son café.
— En plus, il y aura de nombreux garçons. Tu vas peut-être trouver celui qui enlèvera ta virginité.
— Tu es vraiment ridicule comme nana, ce n’est pas croyable, ricana-t-elle.
Déborah embrassa son amie et se dirigea vers la sortie, toujours avec cette élégance peu accommodante. Morgana soupira une fois de plus et se plongea davantage dans ses souvenirs qui s’intensifiaient à l’approche de son dix-huitième anniversaire.
La maison de Déborah et de sa mère était construite au cœur d’un champ, loin des regards. Son architecture était mise en valeur par une façade conçue avec d’immenses baies vitrées qui offrait une vue magnifique sur le salon. Les murs étaient bordés de fleurs aux variétés multiples, un tapis d’herbe s’étendait autour. En poussant le petit portillon à l’entrée, on découvrait un escalier constitué de dalles, encadré de gigantesques rochers gris-noir. Des arbres fruitiers tels que des citronniers et des pommiers étaient plantés et ajoutaient une note conviviale à l’ensemble. Dissimulée derrière les deux véhicules, une remise renfermait divers outils de jardinage, et juste en face, une piscine invitait à la détente.
— Te voilà enfin ! affirma Déborah.
Morgana acquiesça et suivit son amie à l’intérieur. L’ambiance était tout aussi enchanteresse. Des lustres en cristal ornaient le plafond en bois, les murs conservaient leur aspect d’origine en pierre. Les pièces étaient spacieuses, joliment décorées de tableaux, de photos de famille et de fleurs. Des meubles de style gothique complétaient l’atmosphère chaleureuse de l’endroit.
— Bonjour, madame Watford, sourit la jeune femme. Vous allez bien ?
— Bonjour, Morgana, répondit-elle. Très bien et vous ?
On pouvait facilement reconnaître la servante grâce à son tablier blanc noué à la taille et à sa robe discrète qui se cachait derrière. Ses cheveux grisâtres étaient soigneusement relevés en un chignon serré et plaqué par du gel. De minuscules taches de rousseur parsemaient son visage, mais cela adoucissait son apparence pour lui éviter de paraître trop âgée.
— Toujours, affirma-t-elle.
— Vous désirez boire quelque chose ?
— De l’eau, confirma Déborah. Monte, Morgana, une superbe soirée nous attend.
Dans la chambre, le lit en métal était couvert d’un amas de coussins en lin, faits de fibres naturelles. L’odeur de la cigarette avait imbibé les draps et les tapisseries. Un duvet noir orné de petits crânes reposait dessus. L’ensemble de la pièce semblait dépourvu de couleurs, avec des murs fades et sans teintes. Un long rideau opaque était accroché à la fenêtre afin de bloquer toute lumière solaire. L’armoire en mauvais état, juste à droite, affichait de nombreuses marques et éraflures, peut-être causées par des coups ou des objets projetés contre elle. Morgana se dirigea vers la coiffeuse, positionnée près de la porte et déplaça le tabouret pour s’asseoir.
— J’ai une petite idée, sourit Déborah. Attends-moi ici, je vais te chercher une robe.
Pendant quelques instants, la jeune fille demeura immobile et analysa les murs tout en frottant ses mains de manière répétée. Morgana se questionnait encore sur les raisons qui l’avaient poussée à accepter, elle qui n’était pas particulièrement adepte de la foule. Pourtant, elle considérait comme tout à fait naturel de faire le bonheur des autres.
Elle passa sa langue sur ses lèvres desséchées, se leva et se rapprocha de la porte entrebâillée pour scruter la présence de la servante. Mais le couloir était obscur, sans l’ombre d’une silhouette ni le moindre murmure, hormis le silence des tableaux accrochés aux murs. Morgana soupira tandis qu’elle regagna la chambre d’un pas mesuré. Cependant, au moment où elle y pénétra, elle se figea. Ses yeux écarquillés fixaient le lit où reposait une petite bouteille. Elle se frotta le visage à plusieurs reprises. Elle était absolument certaine qu’il n’y avait rien lorsqu’elle était entrée.
— Tout va bien ? demanda Déborah.
Morgana resta muette, déconcertée. Ces derniers jours, une étrangeté s’immisçait dans son environnement. Elle acquiesça, puis chassa d’un revers de main ses pensées confuses.
— Tu vas être ultra canon dedans ! reprit-elle.
Déborah tenait sur son avant-bras une fine robe noire décorée de paillettes et de strass de diverses formes. Le long décolleté aurait pu mettre en valeur n’importe quelle poitrine et une ouverture sur la jambe permettait une légère aération. Dans l’autre, une paire d’escarpins.
— J’ai choisi le plus bel habit de mon dressing pour que tu sois la plus jolie.
— En effet, je le sais bien, répliqua Morgana avec un sourire. Mais j’apprécie le fait de rester discrète aux yeux de tous.
— S’il te plaît, pour une soirée, fais un effort. Tu reprendras tes joggings pourris demain.
Morgana tortilla la tête à plusieurs reprises en signe d’indignation. Finalement, après les nombreuses demandes de son amie, elle acquiesça et alla se changer dans la salle de bain attenante. Après quelques minutes à en découdre avec le vêtement et les chaussures, elle sortit et opéra un tour sur elle-même.
— Alors, qu’en penses-tu ? questionna Morgana.
— Wow, si j’étais un homme, je te sauterais dessus sans hésitation ! Tu es canon.
— Il est vrai que je me sens toute légère, sourit-elle.
— C’est ce que je te répète sans cesse. Tu as un corps magnifique alors arrête de le cacher dans les tenues de ta grand-mère.
— Ah ! Ah ! C’est très drôle ça !
Pour la première fois, Morgana éprouvait un bien-être. Ses longs cheveux lisses et roux tombaient sur ses épaules dénudées. Le bonheur s’affichait dans ses yeux verts qui étincelaient de beauté comme ses taches de rousseur. Bien qu’elle était petite, contrairement aux autres femmes, elle demeurait élégante. Les filles se mirent à ricaner et passèrent un agréable moment. Après s’être maquillées, les deux jeunes amies quittèrent la maison.
Arrivées en taxi au quai, où se tenait une fête organisée par la ville pour attirer les touristes et collecter des fonds en vue de la construction de nouveaux bâtiments, elles se frayèrent un chemin à travers les rues déjà remplies de monde. En cette occasion, de nombreux individus s’étaient rassemblés pour utiliser des manèges, s’amuser et admirer le magnifique feu d’artifice. Elles marchèrent sur le trottoir pour avancer et finirent par s’arrêter devant un bar.
— Attends-moi ici, je reviens dans cinq minutes.
Morgana la regarda d’un air inquisiteur, toutefois, elle n’énonça pas de question puisqu’elle avait l’habitude. Elles voulaient simplement profiter de leur quotidien et des moments posés sur leur route.
Imprégnée d’une douce mélancolie, Morgana patientait, les bras croisés contre sa poitrine. Devant elle, l’immense roue tournoyait et portait avec elle les échos des rires et des cris des gens qui s’y aventuraient. Parmi les lueurs des spots multicolores, quelques instants magiques étaient capturés en flashes, témoins d’émotions figées dans le temps.
À sa gauche, un groupe de personnes âgées savourait leurs glaces, leurs éclats de gaieté résonnaient comme des notes de bonheur. Ces moments simples, mais précieux réchauffaient son cœur et un sourire se dessinait sur ses lèvres.
Alors que la faible brise caressait sa peau, Morgana s’impatientait. Le froid s’insinuait dans ses jambes qui se serraient l’une contre l’autre pour accentuer sa sensation de frisson. Après quelques minutes, elle finit par entrer dans le bar.
À l’intérieur, l’ambiance était différente. L’odeur de l’alcool s’immisçait dans ses narines. Les clients criaient et trinquaient avant d’avaler leur chope d’un seul trait. Une musique de rock résonnait à travers les enceintes pendues en hauteur par une corde. Au centre de la salle, des gens dansaient, s’amusaient.
L’établissement était richement décoré, mais elle n’y avait jamais prêté attention auparavant. De nombreux tableaux accrochés aux murs en bois représentaient des bateaux, des vagues, voire des mets typiquement bretons. Des boules vertes suspendues au plafond dans un filet marin diffusaient une lumière tamisée. Derrière le long comptoir, parmi les étagères garnies de différentes bouteilles d’alcool, deux cadres étaient fixés. Sur ceux-ci étaient inscrits les plats du midi et du soir.
Morgana se fraya un chemin parmi les clients, mais son regard s’arrêta sur son amie. Cette dernière tenait deux verres à la main et discutait avec un petit groupe de garçons. Elle leva les yeux au ciel.
— Morgana ! s’exclama-t-elle en l’apercevant. Désolée, cela a pris un peu plus de temps.
— Je vois ça, oui.
— Viens t’asseoir avec nous que je te présente mes potes.
Elle avalait tant bien que mal sa salive, emparée par son angoisse. Bien que cela ne se remarquait pas en surface, son cœur battait rapidement, des tiraillements dans son ventre s’apparentaient à du stress. Malgré cela, Morgana afficha un sourire et prit place aux côtés de Déborah. Elle ne voulait pas la décevoir et peut-être que rencontrer de nouvelles personnes pourrait l’aider à sortir de sa bulle.
— Alors je te présente Max, annonça Déborah.
L’homme se tenait droit comme un piquet, son attitude altière laissait transparaître une aura de supériorité. Il passa une main dans sa crinière marron ébouriffée avec arrogance et lâcha un soupir de mépris à peine masqué.
— Celui-ci, c’est Andrew, continua-t-elle.
Contrairement à Max, Andrew lui adressa un sourire qui illuminait son visage jusqu’aux oreilles. Il ne ressemblait pas à son camarade, avec ses cheveux très courts et ses yeux qui arboraient une teinte plus claire. Même si son t-shirt dissimulait ses bras, elle remarqua un léger tatouage mystérieux, peut-être une rune ou un symbole ancien, qui ajoutait une touche intrigante à sa personnalité.
— Et Zander, conclut Déborah avec un brin d’excitation. Ce sont mes amis de longue date, mais vu qu’ils avaient déménagé, je n’ai pas eu le temps de te les présenter.
Les yeux de celui-ci, d’un gris tempétueux, plongèrent d’instinct dans ceux de Morgana. Ses cheveux dorés contrastaient avec sa peau pâle. Ses épaules larges et son physique athlétique laissaient supposer qu’il fréquentait la salle de sport plusieurs fois par semaine. Un tatouage identique à celui d’Andrew était dessiné dans son cou et un semblable, sur la paume de sa main. Rapidement, une douleur pénétra son être pour lui provoquer une grimace involontaire. Elle se questionna sur cette sensation. C’était comme si elle brûlait de l’intérieur, consumée par d’innombrables flammes invisibles.
— Et voici Morgana, ma meilleure amie, s’enchanta Déborah.
Le cœur de Morgana battait la chamade. Submergée par le stress, ses mots se bloquaient dans sa bouche. Comme si ses lèvres étaient scellées par l’émotion, elle déglutit nerveusement. Son malaise évoluait à mesure que les regards se posaient sur elle. Par mégarde, alors qu’elle tentait de saisir son verre sur la table, elle renversa celui de Zander.
— Je suis désolée ! s’exclama-t-elle, l’embarras colorant ses joues.
Zander se redressa immédiatement. Son visage prit une teinte plus blafarde. Il arqua un sourcil, puis secoua son haut trempé d’alcool à l’aide de ses mains.
— Tu me dois une bière ! rétorqua-t-il avec un sourire taquin.
Les lèvres de Morgana tremblèrent. Elle aurait aimé pouvoir se fondre dans l’obscurité, se cacher pour échapper à cette situation. Déborah, qui avait compris son malaise, se leva et échangea un regard complice avec ses compagnons.
— Bon, allons nous promener ! proposa-t-elle. On va abandonner les garçons.
Un léger soulagement envahit l’esprit de Morgana alors qu’elle suivit son amie vers l’extérieur. Elle s’arrêta quelques instants, prenant le temps de laisser l’air caresser sa peau.
— Tu ne m’avais jamais parlé d’eux auparavant, conversa Morgana.
— C’est vrai, admit-elle. Je n’ai pas spécialement trouvé le temps, puis je sais que tu détestes le monde qui t’entoure.
— Tu sais, j’aime bien aussi connaître des personnes, m’aventurer sur un terrain qui ne m’est pas familier. Ça fait du bien de temps à autre, sourit-elle.
— Tu verras, tu vas les adorer alors, rit Déborah.
Les deux jeunes filles s’étaient dirigées vers la fête foraine. Un rassemblement d’individus s’était formé sur la place principale pour admirer le petit train qui parcourait l’endroit. Les lumières des néons clignotaient tandis que les gens hurlaient pendant leur tour de manège. L’odeur du pop-corn sucré attira Morgana qui s’avança vers le vendeur pour prendre deux grosses boîtes. Plusieurs arômes de différents stands de confiseries se mélangeaient dans l’air. C’était une ambiance festive et chaleureuse. Bien qu’elle n’appréciait généralement pas la compagnie des autres, car elle se sentait étouffée et au bord de l’implosion de sa sphère de vie, Morgana se plaisait ici.
Après une grande heure à s’amuser sous un rythme de cacophonie, la jeune femme s’arrêta sur un banc un peu plus loin. Un mal de tête horrible s’était déclenché et provoquait des nausées et des vertiges. Elle s’étendit de tout son être et observa les étoiles qui scintillaient dans le ciel obscur.
— Tout va bien ?
Déborah poussa doucement les pieds de son amie et s’installa avec elle.
— Je ne me sens pas très bien, confirma Morgana.
— Tu ne tiens pas l’alcool, visiblement, sourit-elle. Tu veux de l’eau ?
Morgana n’eut pas le temps de répondre. Elle se redressa pour vomir. Elle était épuisée comme si elle avait couru un long marathon. Son front perlait de sueur et son rythme cardiaque s’amplifiait à chaque mouvement que son corps faisait.
Au loin, Zander, immobile, contemplait la scène avec ses amis. Il observait les deux jeunes filles avec des yeux pénétrants. On pouvait croire qu’il cherchait à percer leurs pensées, leurs émotions.
— Je vais te ramener chez ta grand-mère. Tu te sens capable de marcher quelques mètres pour prendre le taxi ?
— Je ne veux pas gâcher ta soirée, soupira-t-elle.
— Tranquille, j’ai assez bu.
Un sourire se dessina sur son visage pâle, toutefois, elle le perdit aussitôt quand Morgana se remit à vomir.
— Tu ne souhaites pas que je t’accompagne à l’hôpital ? Tu m’as l’air bizarre, s’inquiéta Déborah.
— Non, ça doit être une gastro ou un petit virus sans gravité.
Au fond d’elle, la peur gagna chaque parcelle de son corps. Elle ne s’était jamais sentie aussi faible depuis la disparition de ses parents. Morgana se redressa péniblement. Elle ne pouvait plus rester une seule seconde de plus dans cet endroit. À chaque distance parcourue, ses poumons brûlaient et son mal de crâne s’intensifiait, prêt à exploser. La lumière des lampadaires la perturbait, les voix des individus qui l’entourait, la rendit agitée. Pour la première fois, Déborah ne reconnaissait pas son amie et ne savait pas comment agir.
— Tu es hyper chaude, Morgana ! Je vais appeler Andrée.
— Non ! cria-t-elle. Je ne veux pas que tu l’inquiètes. Ramène-moi juste à la maison, s’il te plaît. J’ai simplement besoin de repos.
— Un coup de main ?
Les deux jeunes femmes se retournèrent et croisèrent son regard aussi noir que cette nuit qui enveloppait la ville. Cette fois-ci, Zander était seul. Ses amis l’attendaient légèrement plus loin, mais toujours les yeux fixés sur elles.
— Non, mais je vais bien, rétorqua Morgana, agenouillée sur le bitume.
Il leva un sourcil et réitéra sa question non pas à elle, mais à Déborah. Pendant quelques secondes, un long silence se faufila entre eux.
— Aide-moi à la raccompagner chez elle. Je n’y arriverai pas seule.
— Ma voiture n’est pas loin. Je vais vous déposer.
Prêt à l’épauler, il n’eut pas le temps puisque le corps de Morgana s’effondra de manière abrupte au sol. Son visage devint aussi blanc que la neige et ses yeux se fermèrent directement. Elle venait de perdre connaissance.
Seule la foudre éclairait le ciel noir et inquiétant. Morgana cria pour trouver de l’aide, néanmoins, personne ne pouvait lui répondre. Sous ses pieds nus et abîmés par les préjudices du passé, la lave montait au fur et à mesure. Une pluie de cendres s’abattait sur elle, des flammes jaillissaient du sol craquelé. Un effluve de brûlé entourait le corps apeuré de la jeune femme. Toutefois et sans échappatoire, elle continua à marcher. Un hurlement s’évada de ses entrailles. Elle souffrait et la douleur commençait à peser sur ses idées.
Au loin, une immense montagne aux couleurs chatoyantes dominait le paysage. La fumée qui en sortait s’élevait haut dans le ciel. Des grognements qui venaient de divers endroits résonnaient comme si elle était enfermée dans une pièce, sans meubles ni objets. Elle se stoppa immédiatement. Elle pouvait entendre plusieurs voix dans sa tête. Morgana posa ses mains sur son visage et le secoua à plusieurs reprises. Partez, partez et laissez-moi en paix ! hurla-t-elle. À ce moment précis, des idées acerbes lui traversaient l’esprit. Elle voulait juste en finir pour ne plus ressentir cette souffrance qui la dévorait.
Réveillée en sursaut par un mauvais rêve aussi traumatisant que celui sur ses parents, Morgana se redressa brusquement et balaya sa chambre du regard. Ses yeux s’écarquillèrent et son âme restait embrumée. Elle essuya doucement son front couvert de sueur et réitéra ses exercices de respiration afin que son cœur trouve un rythme plus apaisé.
Fichus cauchemars. Est-ce que vous allez enfin cesser de rendre ma vie infernale ?
Elle se leva du lit et se contempla quelques instants dans le miroir. Ses cernes étaient prononcés, ses cheveux en désordre. La soirée précédente avait laissé en elle un goût amer, aucun souvenir clair, seulement des fragments épars. Elle soupira alors qu’elle porta ses doigts à ses tempes pour soulager le mal de tête qui l’assaillait.
Morgana eut un frisson de dégoût et descendit les escaliers, mais Andrée était introuvable. Où pouvait-elle bien être allée ? Elle arqua un sourcil, surprise. Sa grand-mère avait toujours l’habitude de la prévenir.
Elle est sûrement partie boire un verre avec ses amis, ou peut-être est-elle en train de tricoter avec Michelle, à l’autre bout de la rue.
Affamée, elle engloutit rapidement deux tartines de confiture, préparées avec soin par Andrée, puis sortit. Elle ressentait le besoin pressant de prendre l’air, de se laisser envelopper par l’odeur de la ville afin de se ressourcer.
Une journée de plus où le soleil déployait sa chaleur. Quelques nuages parsemaient timidement le ciel azur, mais leur présence n’entamait en rien cette beauté où les oiseaux piaillaient en chœur et planaient en familles. Les branches des arbres dansaient au rythme des brises. C’était une de ces journées où l’on se sentait en harmonie avec la nature, où le monde semblait s’épanouir sous les rayons de cette boule de feu étincelante.
Morgana s’arrêta devant une vitrine d’un magasin de jouets anciens. Plusieurs peluches et poupées étaient entreposées pour attirer les clients. Elle posa ses doigts sur la façade et observa l’objet au fond. C’était une vieille boîte à musique de couleur rose. Ornée de motifs floraux, à l’intérieur se trouvait une figurine qui représentait une ballerine.
De nombreux souvenirs refirent surface. Sa mère adorait lui en offrir une à chacun de ses anniversaires. C’était sa petite touche pour lui exprimer toute sa tendresse et son amour. Mais tout était parti en fumée. Morgana lâcha un soupir. L’absence de sa maman à ses côtés l’immergeait dans une grande tristesse. Elle glissa un « je t’aime » et s’en alla. Toutefois, après deux ou trois mètres effectués, la jeune fille s’arrêta.
— Salut, Morgana. Je ne m’attendais pas à te revoir si tôt, sourit-il.
Face à elle se tenait Zander, ses yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil. Il arborait une veste en cuir noir ajustée qui mettait en valeur sa silhouette, ainsi qu’un jean moulant qui soulignait son allure décontractée. Il s’approcha timidement de Morgana pour lui faire la bise, mais celle-ci recula. Une sensation inhabituelle l’enveloppa de nouveau. Elle peinait à comprendre son origine, mais elle ne se sentait pas bien. Des frissons parcoururent son corps, accompagnés de maux de tête. Étrangement, ces sentiments survenaient toujours en sa présence. La jeune femme grimaça et tenta d’un revers de main de chasser ses pensées de son esprit.
— Moi non plus à vrai dire, rétorqua-t-elle, gênée.
— Comment ça va ? demanda-t-il.
Morgana le toisait, perplexe quant à la signification de sa question. Un de ses sourcils se haussa et ses lèvres s’affaissèrent légèrement.
— Nous t’avons raccompagnée jusque chez toi avec Déborah. Tu t’es évanouie, probablement à cause de l’alcool que tu as ingurgité.
Un frisson parcourut rapidement Morgana, ses doigts agités trahissaient son malaise. Un sourire nerveux tentait de se dessiner sur son visage, mais elle ne parvenait pas à dissimuler son trouble.
Est-ce que j’ai été assez stupide pour boire au point de m’évanouir ?
— Je ne me souviens plus trop de la soirée, s’excusa-t-elle.
— Ce n’est pas grave, mais n’oublie pas, tu me dois toujours un verre !
Elle se retourna et observa la grande horloge fixée en haut d’un bâtiment, visible de loin. Les aiguilles noires affichaient dix heures du matin.
— À cette heure-ci ? se questionna-t-elle. Ça ne fait pas un peu tôt pour se mettre une mine ?
— Optons pour un café ! rit-il. Tu connais un bon endroit ?
— La tasse enchantée.
— Allons-y alors, sourit-il.
Malgré son aversion pour la foule, Morgana aimait qu’on s’intéresse à elle. Cela lui permettait de sortir de sa bulle et de son cocon familial. Elle se sentait valorisée lorsqu’elle était entourée d’autres individus, même si elle avait une perception mitigée de son propre parcours. Bien qu’elle ne connaissait pas Zander, elle lui accordait le bénéfice du doute, ce qui rassurerait sa grand-mère quant à sa capacité à établir des relations avec autrui.
Après une marche d’environ vingt minutes, ils atteignirent l’établissement. Morgana sourit, ravie d’être dans un lieu qu’elle affectionnait. Une fois à l’intérieur, les lèvres de Mathilde s’étirèrent. Comme à son habitude, elle opta pour une place à l’arrière de la salle, à l’abri des regards curieux.
— Bonjour, que désirez-vous ? demanda-t-elle à Zander.
— Un Macchiato avec des pancakes. Rajoutez-moi une petite coupelle de Nutella, s’il vous plaît.
— Et toi, Morgana, comme d’habitude ?
Elle acquiesça avec enthousiasme. La serveuse referma son calepin et se retourna pour se diriger vers la cuisine.
— Je vois que tu es une cliente fidèle.
— C’est mon endroit préféré. Le personnel se montre toujours aimable et leurs cafés sont d’une qualité excellente !
— Je te dirais ça alors, rit-il.
Les bras croisés sur la table, Morgana contemplait son interlocuteur avec un air inquisiteur. Le passé de la jeune femme, marqué par les trahisons de ses amis, avait semé des doutes au point de la rendre parfois totalement paranoïaque lorsque de nouvelles personnes tentaient de s’immiscer dans sa vie. Elle secoua la tête pour chasser ses multiples incertitudes, mais fut interrompue par la sonnerie de son téléphone.
— Morgana ! s’exclama Déborah, tu es enfin sortie de ta cuite monumentale ?
— Oui, avec en prime un terrible mal de crâne, murmura-t-elle. Merci de m’avoir raccompagnée hier. Andrée n’était pas furieuse ?
— Un peu, mais elle n’a pas trop réagi, elle aussi a été jeune, rit-elle. Tu veux qu’on bouge aujourd’hui ?
— Je suis avec Zander, mais tu peux nous rejoindre si tu le souhaites.
Un silence pesant s’installa entre les deux femmes, rompu seulement par la respiration haletante de Déborah.
— Non, finit-elle pas dire. On se verra ce soir. En tout cas, tu ne perds pas le nord, petite coquine.
Morgana inclina distraitement la tête. Elle observa Zander et le rictus qui s’affichait sur ses lèvres, camouflait un léger intérêt porté à son encontre.
— Cesse de dire des bêtises ! Je suis polie et courtoise, contrairement à toi, plaisanta-t-elle.
— J’en doute, rit-elle nerveusement. Bon je dois filer, à plus.
Cette conversation la laissait perplexe. Elle ne comprenait pas pourquoi son amie avait réagi de manière si froide. Les incertitudes l’assaillaient et menaçaient d’exploser. C’était inhabituel de voir Déborah aussi distante, mais Morgana était désemparée quant à la raison. Elle ravala sa salive, puis haussa les épaules. Heureusement, l’arrivée de la serveuse vint dissiper ses pensées.
Une fois que les commandes furent apportées, le regard de la jeune femme se fixa sur l’assiette de Zander, généreuse de délicieux pancakes, éveillant instantanément ses papilles gustatives. Ils étaient garnis d’une couche de beurre et nappés de sirop d’érable. Juste à côté, deux tasses de café débordaient d’une mousse onctueuse.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il, intrigué.
Morgana s’était mise à rire. Une courte moustache, formée par la boisson, entourait la bouche de son voisin. La jeune femme lui donna alors la petite serviette en papier qui était posée sous les couverts en acier. La tension qui l’avait encerclée commença à se dissiper au fil des minutes. Elle ressentait une certaine satisfaction à pouvoir partager un moment avec une autre personne que Déborah.
— Et sinon, tu bosses dans quel domaine ? demande-t-il.
— Je vais sans doute me diriger vers le milieu du secrétariat. Peut-être dans les maisons médicalisées ou dans des EHPAD. Je vais y réfléchir plus sérieusement pendant les grandes vacances. Et toi, que fais-tu dans la vie ?
— Niveau école, j’ai arrêté depuis longtemps. Ce n’était pas spécialement mon délire de rester assis sur une chaise pendant des heures. En ce moment, je profite. Je me retrouve souvent avec mes amis, à participer à des soirées et à m’occuper comme je le peux, et je dois dire que c’est plutôt agréable. Personne ne vient me déranger.
— Tu vis seul ? questionna-t-elle.
— Avec mon père et mes grands-parents.
Un petit rire nerveux s’échappa des lèvres de la jeune femme. Le visage de Zander affichait une expression radieuse. Il avait adopté une posture prévenante comme pour montrer l’intérêt qu’il portait à chaque parole de son interlocutrice.
— Ah ! Toi aussi tu cohabites avec ta grand-mère, affirma-t-elle. Ce n’est pas de tout repos.
Zander resta immobile à ces mots. Il donnait l’impression d’être pris au dépourvu par cette révélation. Une étincelle d’excitation brillait dans son regard.
— Je vais payer l’addition et je vais rentrer, confirma-t-elle.
— Tu souhaites que je t’accompagne ?
— Non, t’inquiète. En tout cas, c’était cool, merci.
Il se leva de la table avec un sourire poli, remercia Morgana pour leur conversation et l’observa partir de l’établissement.
— Papa sera ravi, murmura-t-il.