Tu seras américain - Alain Maveau - E-Book

Tu seras américain E-Book

Alain Maveau

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Beschreibung

"Tu seras Américain" dévoile le destin tumultueux d’Antoine, un enfant éprouvé par la cruauté de son entourage. Sa quête de liberté le conduit à plonger dans les mémoires d’un soldat de la Grande Guerre, embarqué dans une aventure pour retrouver son amour perdu. Ils bravent tour à tour les horreurs de l’Europe déchirée par le conflit, pour enfin se frayer ensemble un chemin vers les rivages exotiques de l’Amérique du Sud, dans un récit riche en émotions et en rebondissements.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Malgré une enfance marquée par la violence, Alain Maveau parvient à surmonter les épreuves, s’appuyant sur une lecture assidue d’ouvrages d’histoires et d’aventures. Son expérience de la marine marchande, de la voile et du pilotage d’avion, enrichit sa vie familiale et professionnelle. Il se tourne alors vers l’écriture pour exprimer ses blessures. "Tu seras Américain" est son premier roman.

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Alain Maveau

Tu seras Américain

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Maveau

ISBN : 979-10-422-3216-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

1959, un beau début d’après-midi, le soleil brille, mais ne renvoie pas beaucoup de chaleur. Ce n’est pas encore l’été, seulement une belle journée de printemps. Je déambule dans la maison sans but précis, la chambre est fermée, le salon aussi. Le manque de jouet est la raison qui me tient derrière la fenêtre de la véranda à contempler le jardin et après la prairie avec ses bœufs blancs qui y paissent tranquillement. Sa lisière est constituée d’arbres et d’arbustes formant une haie clairsemée. Un petit grillage côté prairie vient symboliser une barrière pour éviter que les bœufs viennent goûter au jardin de la maison. Les animaux sont très paisibles et j’aime les contempler. Quand je sors et m’approche de la prairie, ils lèvent la tête et me regardent avec beaucoup de gentillesse. Ils me transportent pendant un moment dans un monde très doux et merveilleux, car ils semblent s’adresser à moi.

Mais je suis toujours à la fenêtre, ma mère écoute son feuilleton quotidien à la radio et du haut de mes trois ans et demi je m’approche d’elle et lui demande de bien vouloir me prendre dans ses bras. Elle était debout devant le poste sur une étagère haute et levait un peu la tête pour mieux écouter son animateur préféré qui la tenait en haleine en commentant avec fébrilité l’enquête policière du jour. Tout à sa concentration pour ne pas perdre le fil de l’histoire, elle me rabroue brutalement par un dégage, fout moi la paix, j’écoute, arrêtes tes manières.

Je me retrouvais donc de nouveau à la fenêtre, le cœur et l’esprit en défaite à chercher les bœufs de la prairie espérant qu’ils se trouvent près du grillage et qu’au moins un seul d’entre eux lève un doux regard vers moi, qui leur faisait signe derrière la vitre. J’avais trois ans et demi, je m’en souviens très bien, car le demi compte beaucoup quand on est petit. Je n’ai aucun souvenir d’être dans les bras de ma mère, sauf la morsure de ses mains et de ses pieds pour me frapper avec une très grande détermination. Je m’appelle Antoine et j’ai une grande sœur Martine d’un an mon aînée que je ne voyais pas souvent. Peut-être était-elle déjà régulièrement chez la grand-mère maternelle.

Le temps passa, j’ai quatre ans et demi, ma petite sœur Adeline n’a pas encore deux ans. Je me revois avec mes sœurs jouant au ballon au fond du jardin sur une ancienne grande couverture marron de l’armée qui nous isolait du sol. Nous avons beaucoup de joie à jouer ensemble, le ballon est gros, mais léger et fait de larges segments de couleur. Nous nous comprenons facilement, Adeline participe avec calme et nous parlons avec les mots de notre enfance et échangeons des petites phrases comiques qui nous font bien rigoler. Un matin, alors que je suis avec Martine dehors dans la cour contre l’atelier de notre père à inventer un jeu et à baragouiner des phrases ressemblant à de l’anglais, nous demandons à notre mère quand Adeline allait se lever et venir jouer avec nous. Elle s’approcha de nous et dit qu’Adeline avait été malade la nuit dernière et qu’elle allait garder le lit pendant un long moment. Notre insistance pour mieux connaître son mal fut vaine et nous continuâmes à jouer ensemble en nous inventant des rôles.

Martine fut de moins en moins présente dans mes souvenirs de jeux, sauf quand nous étions autorisés à faire des cabanes dans notre chambre avec les couvertures plus ou moins bien installées entre les lits ou dedans. Ces derniers étaient en bois avec de hauts bords ainsi que la tête et le pied qui facilitaient le maintien de nos tentes improvisées. Nous nous y réfugions souvent.

L’idée générale était d’inscrire les enfants très jeunes à l’école et notre mère faisait tout pour que nous y allions le plus tôt possible. Ma grande sœur étant déjà à l’école, ma mère me disait de regarder les petites histoires dans les rares livres pour enfant que nous avions. Nous n’étions pas mieux lotis en jouets. Je finis par comprendre seul les histoires et à traduire par la parole les textes qui accompagnaient les images, voir à lire la plupart des mots. Ma mère déclara haut et fort que je savais déjà lire et insista auprès de la directrice de la maternelle pour me scolariser. Elle continua à vouloir me faire passer en classe supérieure parce que l’enseignante lui avait dit que je m’ennuyais avec les petits. Cela fonctionna au début et me fit totalement plonger par la suite, dû à mon manque de maturité.

Un soir nous allâmes assister à un feu d’artifice tiré depuis la Grand-Place du village. Les gens se pressaient contre les maisons la bordant et j’ai le souvenir que j’étais seul avec mes parents. J’étais encore dans la petite enfance et quand certaines fusées éclataient très fort comme d’énormes pétards, j’avais du mal à supporter le bruit et je me cachais derrière ma mère. Voyant cela d’autres femmes du village en riaient en faisant des commentaires moqueurs. Mes parents me regardaient avec un fort sentiment de honte et j’étais très déçu de leur imposer ce qui leur semblait une humiliation. Plus je saisissais, plus ils me montraient qu’ils en étaient fâchés, ma mère n’envisageant pas une seconde de me réconforter ou de dire aux commères que c’était normal pour mon âge et qu’il n’y avait pas de quoi en rire. Je n’en avais pas encore conscience, mais je perdais petit à petit ma confiance en moi, car je sentis dorénavant une forme de déception et de mépris quand ils portaient le regard sur moi.

Il ne fallait plus trop bouger à la maison, ma mère était facilement irritable, elle me rabrouait sévèrement à la moindre occasion au prétexte qu’elle n’en pouvait plus de nous supporter. Trois enfants à la maison, dont la plus petite qui faisait régulièrement des crises de nerfs, c’en était trop pour ma mère. Je ne voyais plus beaucoup Martine du fait de l’école et d’une forme de repli sur nous-mêmes favorisée par le climat de tension créé par les crises de nerfs d’Adeline. On allait donc de fait très tôt au lit pour ne pas rester dans ses jambes.

Sa mère, notre grand-mère, prenait souvent en charge Martine parce que c’était l’aînée. Elle ne m’appréciait pas trop parce que je ressemblais à son fils Robert qu’elle n’aimait pas et ne s’en privait pas pour le dire. Elle était pourtant ma marraine, mais je n’avais pas grand-chose à attendre d’elle. Elle se conduisait plutôt en marraine avec ma sœur aînée.

La principale fête de fin d’année consistait à fêter la Saint-Nicolas. Ma marraine qui était gourmande apporta un cadeau à ma sœur Martine et un saint Nicolas en chocolat qui était censé m’être destiné. Mon saint Nicolas trônait sur le bahut de la cuisine qui faisait office de séjour, car la pièce était grande. Il rendait un parfum de chocolat à damner un saint. Je n’avais pas le droit d’y toucher sauf avec les doigts et encore pas longtemps. Arguant que c’était quand même mon cadeau, ma mère me répondait sévèrement que si j’en mangeais je serais malade. Elle me cataloguait dans ceux que trop de chocolat rendait malade et je n’avais presque plus le droit d’en manger, sauf un tout petit morceau très rarement. Le Saint-Nicolas parfumait tellement la pièce que ma grand-mère invita mon père à en manger. L’intention était bien sûr pour s’en faire offrir. Ils en dévoraient de gros morceaux et je dus me contenter de petites miettes avant qu’il ne soit rangé dans le bahut de peur de diminuer trop vite, après cela je ne le vis plus. Le chocolat avait mis les adultes en joie et je dus me contenter de mon sort, car la gifle menaçait d’être bien appuyée si je les contrariais. Ma mère s’y préparant à la moindre de mes réclamations. Il ne fallait pas grand-chose à ma mère et aussi à ma grand-mère pour me gifler régulièrement et très durement.

2

J’avais dans les cinq ans et peut-être suite à une contrariété infligée à ma mère, je reçus une punition qui, avec toutes les suivantes, entrèrent dans la catégorie des mémorables. J’essayais pourtant de ne pas me trouver régulièrement dans ses jambes. Je ne me souviens pas du prétexte de sa fureur, mais je me suis retrouvé au sol acculé dans un coin de la cuisine après un bon nombre de gifles digne de coups de fouet. Le mur faisait un retour avec la porte du hall d’entrée de la maison. Cet endroit allait s’avérait aussi souvent que possible le lieu de mes souffrances, il était aussi le chemin vers ma chambre où j’essayais chaque fois d’aller me réfugier quand je n’avais pas d’échappatoire pour m’enfuir de la maison.

Elle me faisait tomber avec les premiers coups assénés très violemment sur la tête. Je me trouvais donc recroquevillé au sol et elle s’en donnait à cœur joie avec les mains et les pieds en me hurlant toutes sortes de méchancetés, sales gosses, je n’aurai jamais la paix, je vous hais, fout le camp, je te hais.

Les coups pleuvaient toujours très fort, sur la tête, avec des coups de pied dans les tibias, et quand j’enlevais mes mains de mon visage parce que mes jambes commençaient à me faire très mal, les gifles reprenaient de plus belle. Je ne savais plus comment me protéger efficacement et je lui criais en pleurant pourquoi elle faisait ça : arrête, j’ai mal.

Elle hurlait, tu vas voir, tu auras encore plus mal sale gosse, arrêtes de pleurer.

Elle continuait à me frapper violemment sur le haut de la tête avec le plat de la main, puis au bout de quelques minutes la séance commençait à la fatiguer, elle devait aussi avoir mal aux pieds à force de me frapper dans les jambes, mes tibias me faisaient aussi un mal de chien, car je ne savais pas les protéger efficacement sans prendre des coups dans les avant-bras. La séance de torture durait facilement un bon quart d’heure vingt minutes.

— Aller, lève-toi, sale gosse et pas de manières.

Je me relevais péniblement en pleurs et en titubant. Arrête de pleurer et marche normalement sinon je continue à te frapper.

Les premières fois je ne savais pas le faire et avec un bon coup de pied dans les jambes elle me faisait retomber par terre. Puis elle recommençait à me frapper sur la tête.

— Debout sale gosse et si tu pleures tu vas voir.

Tout en ayant mon bourreau qui me surveillait de près, je me relevais en reniflant et avec un gros effort de concentration j’essayais de faire abstraction de mes douleurs et marchais tant bien que mal vers la table de la cuisine pour m’y appuyer un peu et reprendre des forces.

Au début c’était très dur de ne pas tituber et je lâchais quelques aï aï vite réprimés par un hurlement m’intimant de me taire. Je faisais profil bas avant de sortir de la maison, ou d’aller dans ma chambre, du moment qu’elle n’était plus sur mon chemin.

Dégages, hors de ma vue et que je ne t’y reprenne plus.

Je ne savais toujours pas ce qui m’avait valu toute cette haine. Les séances de coups et de hurlements étaient si réguliers qu’un soir je crus pouvoir m’en plaindre à mon père lorsque je me retrouvais pour une fois seul avec lui dans la cuisine. Ma mère était occupée ailleurs dans la maison. Mon père commença à m’écouter l’air surpris. J’espérais une protection de sa part ou tout du moins son intervention pour un allègement de la sévérité des punitions. Mais ma mère surgit d’un coup en proclamant haut et fort que je n’étais qu’un bon à rien, toujours à faire des bêtises et à se plaindre comme une mollassonne. Elle ajoutait avec une grimace que l’on ne pouvait avoir pour moi que du mépris parce que je n’étais qu’un peureux, un faible, et que de bonnes corrections ne me feraient que du bien. Je fus horriblement déçu de ne pas avoir eu le temps de m’expliquer avec mon père et je m’écartais de lui complètement dépité ne sachant plus quoi dire devant le déferlement de colère de ma mère.

Mon père ne fit rien pour en savoir plus et je vis bien qu’il était inutile de quémander un peu de protection de sa part.

Ils me toisèrent alors avec un profond dégoût, et à ma grande surprise, mon père le montrant encore plus. Je réunissais ce qu’il me restait de courage et je leur dis que si c’était comme ça je m’en irais de la maison. Ils éclatèrent alors de rire et ma mère ajouta que je pouvais m’en aller.

— Aller, va-t’en, dégages, et ne reviens plus.

Bien qu’il fasse déjà noir, je sortis tout de suite en regardant mon père, espérant quand même un peu d’empathie de sa part. Je ne vis que son mépris, affichant un air désolé que son fils ne semble pas à la hauteur de ses espérances. Je n’avais que cinq ans et ne comprenais pas pourquoi il ne défendait pas son enfant qui s’était fait massacrer. Les stigmates étant encore bien visibles, surtout les bleus partout sur les tibias et les avant-bras. Mes joues étaient encore en feu. Je fuyais donc leur haine et leurs railleries et me retrouvais seul dans le noir. Je restais là, dans l’allée, le long du pignon qui servait d’entrée en façade arrière de la maison.

Je regardais dans le jardin de la maison voisine s’il y avait quelqu’un. Mais non, bien sûr, les gens étaient chez eux le soir quand il faisait nuit. Dommage, le voisin d’à côté est un gentil monsieur. On se dit toujours bonjour quand on se voit. Il m’appelle par mon prénom et me pose souvent la question si je vais bien. Je lui dis que oui et cherche une conversation en lui demandant ce qu’il cultive dans son jardin. Il me répond, mais je ne comprends pas grand-chose à tous ces légumes et on se dit au revoir. Il me fait toujours un grand sourire en me quittant et me dit à demain.

Ce soir, il me manque. Ça fait du bien d’être considéré, même pas longtemps.

J’étais complètement désespéré, pourquoi avais-je des parents comme ça, je demandais à dieu qu’il m’aide et qu’il m’explique ce qu’il m’arrive. Pourquoi toute cette violence et cette haine de moi ? En quoi étais-je un enfant méprisable ? Mon angoisse était totale. J’avais envie de vomir. Je ne tins pas longtemps dehors avec le froid du soir qui commençait à tomber et réunissant tout mon courage, je m’approchais de la porte de la maison en écoutant s’il y avait du bruit. C’était sans doute un calme relatif. J’ouvris doucement la porte, ils étaient toujours là et je me dirigeais promptement vers ma chambre sous leurs ricanements sans oser leur demander si je pouvais venir à table pour manger. Le traitement continua des semaines, des mois et des années pendant toute mon enfance. J’appris à m’endurcir, attendant patiemment la fin des séances de coups et des cris de haine, réprimant régulièrement une envie de vomir. J’évaluais souvent les années qu’il me restait dans cette maison pour être grand et partir.

Je compris beaucoup plus tard que ma pauvre petite sœur Adeline qui avait souffert de convulsions à l’âge de deux ans avait dû se faire molester dans son lit. Malheureusement cela a dû lui être fatal et elle est restée handicapée à vie, devant prendre un traitement très fort à base de calmant. Ma mère se mentit pendant de nombreuses années des mauvais traitements qu’elle avait dû lui infliger en se plaignant continuellement de son malheur d’avoir eu un enfant handicapé. Tout le monde l’a plaignait et vantait son courage en face d’une telle adversité. Mon père paraissait assumer le malheur qui frappait notre famille, mais bizarrement ne s’en plaignait que très peu. Il était de moins en moins présent à la maison et je ne pouvais plus compter sur un élément modérateur pour contrer la folie de ma mère. Elle s’arrangeait toujours pour me massacrer physiquement en dehors de sa présence. Par contre les hurlements ne posaient pas de problème même en présence de la grand-mère qui me fusillait du regard non sans ajouter quelques bonnes méchancetés.

À mes tourments infligés par mon bourreau, venaient s’ajouter les affres de ma scolarité qui était désastreuse. Elle avait pourtant commençait sous de bons auspices à la maternelle, mais je ne la fréquentais pas longtemps, ma mère ayant beaucoup insisté auprès de l’école pour me faire avancer de classe. Je fus ainsi en avance de deux ans et je rentrais en primaire avec un manque certain de maturité qui me fit perdre par la suite les deux années gagnées en redoublant le CM1 et le CM2.

Les enseignants de l’époque étaient aussi de vrais sadiques et n’hésitaient pas à faire souffrir physiquement et à humilier ceux qu’ils n’appréciaient pas en mettant en exergue leur bêtise devant toute la classe. Les coups commencèrent en CE1 et CE2. La plupart des maîtres ne se comportaient pas en enseignant, mais en garde-chiourme, punissant sans vergogne les élèves qui ne comprenaient pas leurs discours. Ces traitements favorisaient encore moins la compréhension en classe et lesdits mauvais élèves s’en désintéressaient encore plus. Il fallait surtout se faire oublier pour ne devoir supporter qu’un minimum de raillerie. Nous étions les idiots irrécupérables. Aller à l’école était une punition. C’était le moment de la journée où on se faisait insulter. Cela rendait la journée encore plus longue. Ces instituteurs sadiques avaient quand même un comportement plus modéré avec les enfants dont les mères étaient plus acquises à la réussite scolaire et au bien-être de leur cher bambin, et qui devaient venir les voir régulièrement. Et oui ça existait ! Les autres étaient pour la plupart considérés comme perdus et un coup de plus ou de moins ne portait pas à conséquence.

La neige était tombée depuis le début de l’hiver et recouvrait toujours le village et la campagne environnante. C’était la fin de l’après-midi, il faisait déjà noir et les trottoirs qui avaient été bien piétinés pendant toute la journée offraient une gangue de glace qui commençait à se fissurer dans beaucoup d’endroits. J’étais chaussé avec de grosses chaussures d’hiver qu’on appelait des brodequins. Je venais de sortir de chez moi, ma mère m’avait envoyé chercher du jambon chez le boucher avant qu’il ne ferme. J’étais seul sur le trottoir en route vers la boucherie située sur la Grand-Place du village. Elle m’avait donné un peu d’argent en me disant de ne pas le perdre et de lui rendre la monnaie avec le ticket de caisse. Je n’avais pas envie de me presser vu que le chemin à faire n’était pas long et qu’il était très tentant de s’amuser à casser la glace du trottoir avec le talon de ma chaussure. La glace se détachait en plaques plus ou moins grandes et glissait sur les parties mises à nu du trottoir. C’était un jeu presque systématique de tous les petits garçons à la fin de l’hiver. Parfois des filles s’y mettaient aussi, mais n’insistaient pas trop de peur d’abîmer leurs chaussures plus fragiles. Les trottoirs dégelaient par plaques entières, alors les gamins regrettaient presque le manque de glace. Les trottoirs redevenaient circulables et sans risque pour les personnes âgées. Je progressais donc lentement vers la boucherie quand soudain un homme hirsute surgit devant moi et s’amusa à me barrer le chemin en écartant les bras avec force grognements.

C’était l’ivrogne du village qui était sorti du café situé à l’angle de la place et arrivait sur le trottoir à ma rencontre. Peu avant de le croiser, l’homme s’avisa de me faire peur et bougea ses bras en faisant mine de m’attraper. Il n’y avait pas âme qui vive dans la rue et je pris mes jambes à mon coup. Je contournais promptement l’ivrogne et courus vers la Grand-Place. Il ne me restait plus qu’à la traverser pour rejoindre la boucherie. En me retournant, je vis que l’homme ne cherchait pas plus que ça à m’embêter et continuait son chemin en titubant dans la direction opposée. La bouchère était gentille et ne faisait pas attendre inutilement les enfants qui venaient, malgré les sempiternelles commères qui fréquentaient sa boutique. Beaucoup de commerçants prenaient plaisir à faire durer les conversations avec les clients et les enfants devaient prendre leur mal en patience pour être servis. Après avoir payé le jambon, je sortis et la Grand-Place retraversée, je me retrouvais sur le trottoir qui m’avait valu ma mauvaise rencontre non sans anxiété. Mais l’ivrogne n’était plus là. J’accélérais quand même le pas et rentrais vite chez moi en longeant le pignon, toujours dans le noir, pour rejoindre la porte d’entrée de derrière. Le jardin était faiblement éclairé par une fenêtre de la maison. Je racontais brièvement ma mésaventure à ma mère qui ne s’en inquiéta pas, mais me fit l’accueil habituel en me disant :

Donne-moi le jambon, tu as bien le nombre de tranches que je voulais et rends-moi la monnaie. J’espère qu’il y a le compte et que tu n’as rien perdu, sinon !

Les jours passèrent avec leurs lots de souffrances habituelles. Il fallait continuer à vivre dans la cage du fauve.

Un après-midi, je rencontrais de nouveau l’ivrogne, mais cette fois-là il était à vélo et se faisait remarquer par ses trajectoires bizarres. Il avançait en chantant et en louvoyant très fort. Il cogna la bordure de trottoir et dut mettre pied à terre. Il se remit tant bien que mal en selle en reprenant sa chanson. Il faisait malgré tout la joie des enfants qu’il croisait et leur manquait quand il se passait plusieurs jours sans le voir. Antoine était quand même surpris de voir un adulte se mettre dans un état pareil. Son allure était complètement décrépie et personne n’aurait voulu avoir son vélo tant il paraissait vieux et abîmé. Comme le Viel homme faisait beaucoup rire les enfants par son allure, d’autant qu’il répondait à leurs bonjours, tous le trouvaient fort sympathique. C’était une figure familière du village et je me faisais une joie de le croiser assez régulièrement, je me rendais compte que dans la vie il y avait plein de gens qui par leur délabrement étaient pires que moi. Depuis tout petit je subissais le rejet de ma mère qui était devenue de plus en plus violente quand ma corpulence permit d’endurer sa sauvagerie sans trop la faire remarquer des autres. Moi aussi j’étais descendu aux enfers en sachant que j’y resterai pour encore un long moment. J’étais et me sentais toujours seul, très seul. Je ne pouvais me confier à personne, mais il fallait tenir. À chaque occasion le permettant je courrais la campagne pour me changer les idées et satisfaire ma curiosité dans plein de choses à découvrir.

Chez moi il n’y avait aucun jouet sauf une balançoire en fer. Pas moyen d’avoir ne serait-ce qu’un petit bateau en plastique et je récupérais donc un vieux sabot en bois qui traînait à l’entrée de l’atelier de mon père. Je l’avais transformé en bateau corsaire avec une tige en bois pour grand mât. Je le faisais flotter dans une petite cuve en zinc avec de l’eau du puits et m’imaginais être le capitaine sir Francis Drake à l’assaut de l’armada espagnole. Mes parents avaient acheté une télévision et avec Martine nous étions autorisés à la regarder de temps en temps.

Parfois je pouvais jouer avec trois anciens poteaux téléphoniques en bois que mon père avait stockés à l’extérieur contre la façade de son atelier. Un des poteaux mesurait environ 4 m et les deux autres étaient égaux de 3 m, je prenais les deux de 3 m et les hissais en pointe contre la balançoire en tube de fer pour ne pas qu’ils tombent. Puis je mettais le plus long poteau en biais, du sol jusqu’à la pointe faite par les deux autres poteaux. J’avais ainsi une structure sur laquelle je pouvais grimper jusqu’au sommet en cheminant à califourchon sur le poteau incliné. Arrivé en haut j’attachais la jonction des poteaux avec une corde sur la barre transversale de la balançoire. J’étais loin du sol, un peu comme un aviateur dans le ciel. L’impression de liberté était renforcée par les moineaux qui me regardaient depuis la gouttière de l’atelier tout proche. Je sifflais doucement pour attirer leur attention et je m’amusais de les voir tourner leurs têtes de droite à gauche avec étonnement.

Un jour j’entendis mes parents parler du vieil ivrogne. Il avait disparu. Plus personne ne le voyait déambuler sur son vélo, mais tous disaient bon débarras, ce vieux clochard ne sèmerait plus la honte dans le village. Qui était vraiment cet homme, je n’avais plus d’appréhension de le croiser, car ses réactions étaient imprévisibles et saisissantes pour une enfant. Je ne sursauterai plus à ses brusques éclats de voix, mais ma curiosité était maintenant attisée pour connaître son histoire dans le village. Je ne savais pas par où commencer et malgré quelques mots d’étonnement de ne plus le voir que je risquais quelquefois à ma mère, je n’en sus pas d’avantage. J’essayais quand même d’en savoir un peu plus en faisant attention de ne pas m’y intéresser de trop, car son agacement était toujours prompt à se manifester. Je sentais la méchante gifle ordinaire prête à calmer ma curiosité. Je décidais donc de ne pas en rajouter. Les jours passants, je ne découvrais toujours pas d’indice pouvant me mener à un commencement de recherche et surtout où il habitait. C’est tout à fait par hasard que j’appris son adresse par un copain occasionnel qui habitait dans son quartier. C’était à l’extrémité d’une impasse où les habitants évitaient à s’y rendre, car juste après commençait un petit bois très sombre. La maison du clochard était en réalité une vieille masure basse avec un grand toit faisant mine de s’écrouler et entourée par une jungle de mauvaises herbes. Je me demandais si cela valait la peine d’aller voir de plus près parce que mon copain qui habitait l’impasse n’osait pas lui-même y aller.

3

Les mauvais traitements continuaient toujours à la maison quand cela a commencé à prendre une tournure encore plus violente qu’à l’ordinaire.

Je rentrais à la maison en traînant encore un peu dans le jardin quand j’entendis les hurlements de ma mère et les cris terrifiés de Martine. Je me précipitais à l’intérieur et vis que ma mère poursuivait ma sœur en la menaçant de tous les maux. Elle réussit à l’acculer dans un coin de la cuisine et s’apprêtait à la frapper durement. Ma sœur était tétanisée et livide de peur. Je la pris en pitié et lança à ma mère que ce n’était qu’une méchante qui voulait faire du mal à ma sœur en lui répétant plusieurs fois à sa grande surprise, jusqu’à ce qu’enfin elle se détourne de Martine. Ma sœur ne demanda pas son reste et courut se réfugier dans notre chambre sous son lit. La sorcière ne la poursuivit pas, mais se retourna vers moi. La correction fut exemplaire en tous points. Martine n’aurait pas supporté un tel déchaînement de violence, mais moi j’avais une certaine habitude et mon mental était entraîné. Je m’étais installé dans la souffrance, c’était ma vie, à moi seul, elle m’avait pris en otage. Mais cette fois la violence des coups fut incroyable. J’étais littéralement assommé. Comme ils ne s’arrêtaient pas, je me réfugiais à l’intérieur de mon crâne. C’est une image bien sûr, mais je m’y voyais comme sous un bouclier qui encaissait les coups. J’étais dans mon bunker sous une pluie d’obus. Mais cette protection finissait toujours pas se fendre sous la douleur et là mon esprit hurlait dans son blockhaus.

Lors de certaines méga corrections où je sentais la commotion me gagner, j’en vins même à crier au secours, croyant naïvement déclencher une certaine compassion de sa part, car je me voyais partir dans une sorte d’évanouissement. Je ne réussis qu’à faire durer encore plus longtemps les coups et les propos haineux. Ses coups de pied dans les jambes me faisaient aussi de plus en plus mal parce que les bleus des précédentes corrections n’avaient plus le temps de guérir. J’étais recroquevillé dans mon coin et elle s’acharnait avec ses pieds sur mes tibias. Ces coups n’avaient pas de but précis et au début des frappes je les recevais dans le ventre et en haut des jambes. Il faut préciser que la sorcière était bâtie comme un pitbull. Elle n’était pas très grande, mais toute en muscles et pouvait me frapper longtemps avant de commencer à se faire mal. La correction ne s’arrêtait pas un instant, du plat de la main sur le haut de la tête, les gifles qui me brûlaient le visage, les coups de pied dans les bras, le corps, le haut des jambes, dans les tibias qui me faisait horriblement mal et même dans les pieds. La seule chose à faire était de se recroqueviller pour encaisser leur violence et supporter la douleur. Je la suppliais en pleurant d’arrêter, mais rien n’y faisait, au contraire. Elle me hurlait que je le méritais et souvent en fin de séance, étant elle-même épuisée de son hystérie, elle s’approchait de mon visage et de toute sa cruauté me hurlait que je devais partir, qu’elle ne voulait plus me voir. Puis encore plus près de mon oreille comme une bête féroce prête à bondir pour achever sa proie, elle me disait froidement :

— Je te hais, pars, je ne t’aime pas.

Terrorisé, j’arrivais à lui dire en hoquetant que je ne savais pas où aller.

Elle me répondait qu’elle s’en foutait, mais que je devais dégager.

Je n’osais pas retirer mes mains de mon visage, mon corps tendu à l’extrême avec la peur qu’elle recommence à cogner. J’étais brisé physiquement et mentalement par toute cette haine. Ma tête me tournait terriblement et je restais là un moment complètement sonné avant de pouvoir m’enfuir dehors, car elle ne voulait vraiment plus me voir dans la maison.

— Je t’ai dit de dégager, aller, dégages !

J’ai le souvenir quand encore assez petit que je me suis rendu à la station balnéaire toute proche. J’accompagnais ma mère et ma grand-mère qui voulait rendre visite chez une de ses cousines. Quand nous sommes arrivés, il y avait deux autres femmes en plus de la cousine. Elles tenaient ensemble un petit hôtel. Les adultes voulant parler ensemble, les dames m’ont proposé d’aller jouer à l’arrière du bâtiment le long du terrain de foot du village. Elles étaient d’une grande douceur et me parlaient très gentiment. Je m’y sentais bien. Puis vint l’heure de partir. En commençant à prendre congé, ma mère me proposa de pouvoir rester chez elles en vacances le temps de l’été. Celles-ci me regardaient avec beaucoup de tendresse pour que j’accepte et disant qu’on enverra chercher mes affaires pour qu’il ne me manque de rien. La mièvrerie inhabituelle avec laquelle ma mère et ma grand-mère insistaient, m’alertera tant et si bien que je refusais la proposition des dames, ne les connaissant pas vraiment. Elles insistèrent encore et encore jusqu’à ce que je vois dans les yeux de ma mère un réel agacement et encore plus dans ceux de ma grand-mère. Je fus soudain pris de la pensée qu’elles voulaient m’abandonner et cela aggrava brutalement mon sentiment de panique et du désamour qu’elles avaient pour moi. Peut-être auraient-elles pu venir plus souvent en visite pour m’acclimater à ce nouvel environnement et mieux connaître les trois merveilleuses femmes qui y habitaient. L’affaire se serait faite sans problème, mais la méchanceté de mes deux mégères les rendait stupides et leur projet capota. Je ne savais plus si j’avais bien fait de refuser en les voyant très fâchées sur moi lors du chemin de retour.

Entre mes problèmes à la maison et mes résultats scolaires qui en découlaient, le stress était quasi quotidien. Ma vie me désespérait complètement, mes angoisses me firent passer une enfance « à vomir ». Une hâte, grandir et m’échapper de cette haine, de ce mépris et de toute cette violence.

Mes cousins du côté paternel m’évitaient aussi. Les rares fois que je pouvais accompagner mon père en visite chez son frère qui avait quatre garçons, celui-ci me proposait d’aller jouer avec ses fils quand ils se trouvaient là. Mais ceux-ci après nous avoir salués s’éclipsaient rapidement chez leur petit voisin avec qui ils avaient l’habitude de jouer et quand mon oncle me disait d’aller les rejoindre dehors ou dans la petite remise, il n’y avait plus personne. Après avoir fait le tour des endroits où ils étaient censés se tenir, je tentais de les appeler par-dessus la clôture du jardin de leur voisin. Peine perdue, je revenais à chaque fois dans la maison à écouter la conversion des adultes. Quand mon oncle et ma tante s’étonnaient de me revoir, je disais qu’il n’y avait plus personne dehors et ma tante d’ajouter qu’ils pouvaient faire un effort quand même. Je souriais pour cacher ma déception et mon humiliation. Comme mon oncle et ma tante étaient au demeurant très gentils avec moi, je ne voulais pas les décevoir et leur faisais à chaque fois bonne figure. Quand il était l’heure de partir, une partie de la volée de moineaux réapparaissait.

La seule famille où j’avais un réel plaisir à m’y rendre était chez mon oncle et ma tante de la ferme, et bien sûr pour voir leur fille, ma cousine. J’y étais toujours accueilli avec de grands sourires et on s’intéressait à moi. Même leur chien qui avait la réputation d’être méchant était très gentil avec moi. J’allais toujours à sa rencontre jusqu’à ce qu’il me reconnaisse à la voix et me fasse un accueil des plus chaleureux.

Le comportement de ma mère changeait toujours du tout au tout devant les personnes autres que celles du cercle familial très proche. Elle souriait et parlait avec entrain, éclatait souvent de rire dans les conversations diverses au sujet des membres de son foyer pour bien montrer quelle belle petite famille on était. Il ne fallait quand même pas s’attendre à une douceur de sa part, on se tenait sur nos gardes Martine et moi. C’était surtout pour moi une méchante sorcière qui forçait son image de mère courage face au handicap de notre petite sœur, mais qui dissimulait l’affreux Pitbull toujours prêt à bondir sitôt les connaissances parties. Elle était râblée, vigoureuse et tout en muscle comme un chien de combat. C’était mon bourreau et dans la maison qui était ma salle de torture, je n’avais pas d’échappatoire. Elle me massacrait littéralement, c’était l’assommoir. La blessure psychologique qui en découlait était dantesque. Je ne savais plus à quel saint me vouer, je vivais un vrai cauchemar. Rien ne fonctionnait dans ma petite vie, à la maison, dans la famille, à l’école, j’étais presque tout le temps tenaillé par l’angoisse et n’espérais qu’une chose, grandir, pour que tout ça s’arrête et que je vive autre chose. J’étais seul et me sentais d’autant plus seul que je me repliais sur moi-même pour « tenir » jusqu’à ce que je fusse enfin grand pour que la souffrance s’estompe.

Sous les coups, j’avais appris à mon esprit à entrer dans mon crâne comme dans une carapace où je pouvais me réfugier. Je me construisais un abri et j’attendais la fin de la terreur. Mais j’étais souvent bien vite rappelé à la réalité par les tibias qui me faisaient horriblement mal parce que les bleus ne guérissaient jamais à toujours encaisser les coups de pied. Maintenant encore je sais être très seul et je donne à mon entourage l’image de quelqu’un qui décroche et n’est plus avec eux. Je n’avais que ce bourreau comme mère et le mépris de mon père. Il pouvait ainsi se justifier de sa lâcheté face aux dégâts évidents de la torture infligée à son petit garçon. Il se détournait toujours ou se trouvait un prétexte pour ne pas affronter ma souffrance. J’étais seul. Mais qui étaient donc ces horribles gens, pourquoi ne pouvais-je pas vivre normalement mon enfance. Je ne me sentais pas plus mauvais qu’un autre. Infâmes géniteurs, comment pouvaient-ils être aussi méchants, lâches, hypocrites ? D’où viennent-ils, qui a conçu ces êtres cruels.

Les crises de nerfs de ma petite sœur Adeline devenaient très fréquentes et parfois ne la supportant plus ma mère essayait de la calmer en la frappant. Ce qui augmentait ses hurlements au point que Martine et moi devions sortir tellement l’ambiance devenait dantesque. Son état s’empirait de jour en jour et ma mère se libérait encore plus sur nous de son besoin d’avoir la paix comme elle savait si bien le dire. Les coups fonctionnaient bien sur moi en particulier, car je les supportais sans trop de dégâts apparents. Sous prétexte d’être l’aînée des enfants, ma grand-mère accueillait souvent ma sœur Martine.

Ma mère me dénigrait souvent devant ma proche famille et je me sentais profondément méprisé, sauf en présence de son frère aîné et de sa femme qui tenaient une ferme. Elle ne le faisait pas parce qu’elle ne l’aimait pas, tout comme sa mère d’ailleurs. Ce n’était que critique à son encontre, entretenue aussi par mon père qui était très jaloux de lui. Ma sœur Martine souscrivait à ces critiques, car elle baignait dedans, étant régulièrement chez la grand-mère. Et moi je ne disais rien ou faisait semblant d’être d’accord avec leur discours sans doute pour essayer d’avoir le sentiment que je faisais quand même partie de leur famille. J’écoutais, curieux de savoir jusqu’où cela les emmenait. Mais moi je me sentais bien à la ferme. Jouer avec ma cousine, leur fille unique, et regarder certaines fois ma tante faire du beurre dans sa baratte en bois, et profiter de sa gentillesse. J’étais souvent chargé d’en rapporter à la maison. Ce que je faisais volontiers pour pouvoir aller à la ferme.

Beaucoup plus tard dans mon adolescence, je me suis retrouvé seul en ville avec ma grand-mère pour je ne sais plus quelle raison. Je me souviens que, déambulant entre la ville et le port près de la cale des pécheurs, elle me dit soudain en voyant un wagon en attente sur les rails, que son plus jeune fils était resté bloqué dans un wagon avant la guerre. Un petit tremblement de terre avait fait glisser la porte coulissante du wagon et l’avait enfermé alors qu’il jouait à l’intérieur. Ce dernier connu pour être espiègle y est resté longtemps bloqué avant que quelqu’un entende ses cris. Cela avait fait rire tout le monde. Comme je lui parlais des activités à la pêche de ses fils avant la guerre, elle enchaîna brusquement sur son fils aîné et le décrit comme un homme faible sur qui on ne pouvait pas compter. Elle y mettait subitement de la hargne et je ne la contredis pas, mais restait choqué et très surpris qu’une mère puisse ainsi dire autant de mal d’un de ses enfants des années et surtout pour un problème familial mineur. C’était totalement hors sujet dans notre conversation et ne me regardait absolument pas. J’eus immédiatement le sentiment que j’avais toujours côtoyé depuis mon enfance une personne qui savait faire bonne figure quand cela était nécessaire, mais qui cachait une redoutable méchanceté. Elle l’avait certainement transmise dans les gènes de sa fille. Cela n’enleva nullement la satisfaction de croiser cet oncle si décrié et sa femme, de toujours les apprécier, comme je me sentais aussi très apprécié par eux et ma cousine. Ma grand-mère choyait particulièrement son plus jeune fils. Ce dernier n’était non plus pas en reste pour critiquer son frère. Je me demandais ce que je faisais dans cette famille qui n’en était pas une.

Quand nous étions petits, Martine était souvent chez la grand-mère, ma marraine. Elle l’avait en odeur de sainteté parce que l’aînée des enfants et surtout très soumise à son caractère, sans doute de peur de la décevoir. Un après-midi que les parents étaient partis en ville, nous trouvâmes porte close en rentrant de l’école et avions dans ce cas pour consigne de nous rendre chez la grand-mère appelée communément Bonne Maman. Comme je savais qu’elle ne m’aimait pas suite aux incessants dénigrements de sa fille, je tapais de rage dans la porte et finis par m’y rendre en râlant, Martine insistant qu’il faudrait y aller, sinon on serait punis pour avoir désobéi aux consignes. La grand-mère avait compris que l’on ne s’était pas précipité chez elle et nous le fit remarquer en ouvrant sa porte, surtout en me regardant sévèrement. Je me fis donc tout petit. Il fallut nous asseoir autour d’une petite table et je dis à Martine qu’elle devait reprendre un devoir de lecture de compréhension qu’elles avaient ensemble commencée la fois précédente, et qu’il fallait absolument finir pour l’école. Son but était de lui poser des questions au sujet du texte et je ne pouvais participer aux réponses que si elle m’autorisait à le faire. Elle m’intima donc l’ordre de me taire et de laisser répondre Martine qui n’osait dire mot ou se trompait, car trop stressée par le climat de tension. Cela devenait ennuyeux de regarder ma sœur ne sachant répondre malgré l’aide répétée et toute l’attention de la mégère qui faisait preuve d’une patience que je ne lui connaissais pas. Par réflexe j’envoyais quand même une bonne réponse alors que la mégère se penchait sur ma sœur pour l’aider. Mal m’en a pris, elle me décocha une terrible gifle en hurlant :

— Que t’avais-je dit ? Tu dois te taire si je ne m’adresse pas à toi.

Mes joues s’en souviennent encore, mais là j’avais de la chance, c’était en petit comité. Je n’étais pas humilié devant tout le monde. C’est une histoire que je raconterai plus tard. Martine resta de fait encore plus en plan, tétanisée par cette soudaine violence. Le jeu des questions-réponses ne dura donc pas trop, ma sœur ayant de moins en moins de moyens pour répondre correctement. La mégère informa la sorcière de ma sottise et se conforta en rappelant haut et fort pour que je l’entende bien qu’elle l’avait autorisé à me frapper si je faisais le sot, et cela devant mon père qui ne broncha pas.

Je ne sais plus pour quelle fête ou quel anniversaire, Martine recevait tous les ans un cadeau de son parrain, mon oncle qui tenait la ferme. J’avais l’habitude de ne rien recevoir puisque ce n’était pas mon parrain. Mon parrain, grand-père paternel qui était veuf, donnait une petite pièce également à tous ses petits-enfants et je ne sais plus ce que ma marraine, grand-mère tape dur qui était veuve aussi, me donnait, mais je savais qu’elle gâtait plus Martine. Une année, mon oncle et ma tante de la ferme arrivèrent pour donner un cadeau à ma grande sœur et ma mère me dit qu’il y avait quelque chose pour moi. J’étais tout excité à cette idée et je trépignais d’impatience derrière Martine attendant mon tour. Ma tante me remit le cadeau et constatant que l’emballage était mou, je compris de suite que ce n’était pas un jouet. Ma mère insista pour que j’ouvre très vite ce merveilleux cadeau et je sortis du papier d’emballage une paire de chaussettes, en laine de surcroît, qui à l’époque me faisait horriblement gratter. Je suis resté tétanisé sur place et leur rendis un timide merci avant de littéralement me liquéfier de déception. Je pâlis brutalement, mon oncle et ma tante s’en aperçurent et en restèrent un peu cois. Ma tête me tournait quand je rejoignis ma chambre après avoir attendu patiemment que tout le monde eût fini de s’extasier devant le cadeau de ma sœur. Martine m’accompagna et devant mon mécontentement qui commençait à s’exprimer, me dit que ce n’était pas grave. C’était d’autant plus dur que cela venait de personnes que j’appréciais beaucoup. Je ne leur en ai jamais voulu.

4

J’arrivais de temps en temps à m’échapper des coups quand il commençait à pleuvoir, mais un jour ma mère réussit à me poursuivre jusque dans la véranda de la maison.

Pour je ne sais plus quel motif et après m’avoir giflé copieusement, les coups de pied ne m’ayant pas fait tomber, elle arriva quand même à me bloquer juste avant la porte de sortie qui donnait sur le jardin. Elle se plaignit qu’elle en avait marre de me gifler parce qu’elle se faisait trop mal aux mains à frapper si fort et surtout si longtemps. Je ne pus m’en réjouir bien longtemps, elle m’annonça que dorénavant elle me giflerait plutôt avec le revers qu’avec le plat de sa main. Elle me montra les os de ses doigts qui me feraient bien plus mal tout en ayant moins mal pour elle. Sans tarder, elle m’asséna un violent revers de la main dans le visage qui me fit terriblement mal, mais je réussis à m’enfuir dehors, la sorcière me hurlant dessus, mais pas longtemps. Elle aperçut à temps le voisin qui se trouvait dans son jardin et arrêta ses invectives, car elle ne voulait surtout pas qu’il entende sa folie et voit sa brutalité. Il fallait toujours préserver les apparences.

Cela devenait un problème de s’enfuir à l’extérieur de la maison, il fallait bien rentrer tôt ou tard ! C’était souvent en fin d’après-midi et j’appréhendais de me retrouver à table le soir. Mais en général il ne lui fallait que m’asséner un bon coup sur la tête quand je rentrais pour retrouver son calme, ma petite sœur Adeline faisait souvent et heureusement diversion en déclenchant une crise de nerfs. Je savais que j’allais pouvoir me coucher sans trop de problèmes dans ma chambre, mais malheureusement avec les hurlements d’Adeline. Chez moi c’était l’antichambre de l’hôpital psychiatrique.

Un jour après une sauvage correction, j’essayais de me trouver au plus vite un dérivatif à ma souffrance et je décidais d’aller jusqu’à la maison du clochard et de remonter cette impasse qui faisait peur, mais que cela ne pouvait pas être pire que de rester chez moi. Une petite angoisse chassait l’autre bien plus grande. J’étais encore très secoué quand j’arrivais devant la vieille maison plus vite que je ne l’aurais cru. Là, mon esprit fut tout de suite happé par l’ambiance mystérieuse du lieu. La porte et les volets étaient fermés et j’entrepris de la contourner par le côté en faisant attention de ne pas me faire piquer par les orties qui foisonnaient dans le jardin. Il était bordé par une petite barrière en bois qui, avant, avait dû rendre l’endroit particulièrement charmant. La maisonnette y avait sans doute aussi contribué par son architecture de style très champêtre. Maintenant après des années de manque d’entretien, et d’abandon suite au départ de son habitant, cela ressemblait plus à la maison d’une sorcière et n’était pas pour rassurer celui ou celle qui voulait y pénétrer. Arrivé tant bien que mal de l’autre côté, j’essayais d’ouvrir la porte de derrière qui bougea à ma grande surprise. Elle était gonflée par l’humidité et je la tirais avec force pour la décoller de son bâti, mais je ne réussis à l’ouvrir qu’à moitié. Elle forçait trop sur ses gonds. J’entrais dans une pièce que devait être la cuisine. La lumière étant faible, je n’osais m’aventurer plus loin et j’attendis de m’habituer à la pénombre pour distinguer une petite table et deux chaises à ma gauche contre la façade. Puis un vieux feu flamand comme chez mon grand-père paternel qui servait tant au chauffage de la maison que de cuisinière. Il y avait encore un seau avec des boulets de charbon sur son côté. Il avait une forme allongée avec un bec verseur pour faciliter le chargement du charbon par le dessus du poêle. Chez mon grand-père un autre petit seau rempli de cendre servait de crachoir, car il chiquait beaucoup. Je décidais que la visite suffisait pour le moment et après être sorti, je dus refaire un gros effort pour fermer la porte, le bois gonflé ne voulant plus rentrer dans le bâti. En retournant en façade avant, je m’inquiétais que quelqu’un découvre que la maison avait été visitée parce que la végétation du jardin était aplatie par mon passage. Mais après avoir remonté l’impasse en pressant le pas, je me retournais et ne vis personne sortir et s’inquiéter de la présence d’un inconnu. Il y avait peu d’habitations dans l’impasse et elles n’occupaient qu’un seul côté de la rue. Je m’en retournais donc rassuré chez moi, mais regagner l’habitation de l’ogre ne m’enchantait guère. Comme le jour commençait à décliner, je m’y résignais. J’entrais dans la maison et sentis tout de suite son hostilité. Elle commença à vouloir me hurler dessus et me gifler. Heureusement elle retint ses coups, car mon père fit brusquement son apparition et détourna son attention. Il ne rentrait pas pour une fois à une heure tardive et il était de bonne humeur satisfait de sa journée de travail. Je restais penaud dans mon coin content d’avoir échappé à la violence de ma mère.