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"Une bouteille à la mère" est l’histoire fascinante d’un comédien parisien de quarante-trois ans dont la vie théâtrale prospère dissimule des profondeurs inattendues. À travers un récit à la fois vrai et romancé, ce dernier dévoile les coulisses de son succès sur les planches de Bastille, aux côtés de sa femme. Mais derrière le rideau se cache un passé marqué par la tragédie : la découverte de la dépendance alcoolique de sa mère. Guidé par un psychologue excentrique nommé le « Docteur Comme J’aime », il explore les méandres de son vécu, transformant son expérience en œuvre d’art. Un roman captivant qui démontre le pouvoir thérapeutique de l’écriture et du théâtre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fort de plus de deux décennies d’expérience sur les planches,
Alexis des Bordes présente une adaptation poignante, sincère et bouleversante d’un livre qui s’apprête à conquérir les scènes parisiennes en fin 2024. Entre récit romanesque, témoignage authentique et performance théâtrale, il offre une œuvre originale et singulière qui explore avec subtilité les thèmes de l’alcoolisme, du traumatisme et de la résilience, mêlant sensibilité et humour avec finesse.
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Alexis des Bordes
Une bouteille à la mère
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alexis des Bordes
ISBN : 979-10-422-3198-9
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Eugénie, je n’ai jamais douté de l’amour
que tu portais à ton fils unique.
Août 1992 – Onze heures trente du matin – Maine-et-Loire – Le vaste champ derrière la longère – La véranda
Eugénie, 38 ans, dégringole la moitié de la bouteille de blanc. Cul sec. Pas le temps de verser dans un verre. Pas de verre assez grand de toute manière. Vite, vite, vite.
Ce jour-là, son fils Alexis, 12 ans, qui revient par là de la pêche dans un petit étang situé non loin, voit tout. Tout ce qu’il n’aurait jamais dû voir. Ni même entrevoir. Si cette foutue véranda n’en avait pas été une. Trop tôt. Trop jeune. Trop innocent. Prends ça sur ton dos, mon gamin. Démerde-toi avec maintenant.
Août 2023 – Onze heures trente du matin – Seine-et-Marne
La jolie longère angevine a laissé place à une typique briarde, toute aussi charmante. Nos régions ont du talent… Tout a changé. L’époque. La monnaie. Le climat, les voitures. Internet. Tout.
Enfin rien.
Rien n’a changé. Au fur et à mesure que le repas avance, Eugénie se dégrade, inlassablement, comme tous les midis depuis 32 ans. Elle a devant elle un verre de rosé bon marché bien rempli qu’elle ne porte pas à ses lèvres, mais pour autant ne cesse de faire des allers-retours à la cuisine, dans le frigo, pour en revenir avec… Rien.
Maline, mais pas suffisamment. Les gens ne changent pas, les Eugénie non plus. Alexis, 43 ans, est là, et fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre, tout comme son père Dany… Tous les deux subissent la même rengaine depuis toujours, le même silence assourdissant, la même danse, la même piqûre de rappel quotidienne.
Dis-voir Alexis, dixit sa charmante épouse docteur Christine, soigneuse émérite de tous ses maux depuis plus de 20 ans… Plutôt que d’essayer d’arranger la vie de tes parents, plutôt que de pisser dans un violon depuis trois décennies, tu ne voudrais pas arranger ta vie à toi ? Ça fait quinze ans que tu prends du Seroplex. Tu n’en as pas marre ? Tu ne veux pas vomir tout cela une bonne fois pour toutes ? Comme quand tu as trop bu ? Tu ne veux pas te fourrer les doigts au fond du gosier et gerber toute cette mélasse infâme, de sucre, de sel, d’acide, et de vinaigre ?
À gorge déployée parce que tu sais qu’une seule vie ne te sera pas suffisante pour le digérer ?
Fais-le. Pas pour moi. Pour toi. Comme on ouvrirait sans anesthésie un sale furoncle qui aurait pris racine au plus profond de toi depuis tant d’années. Fais-le.
— Ça va faire mal docteur Christine ?
— À froid comme ça, façon bien moyenâgeuse… Oui, je vous le confirme, ça va faire mal… Mais après ça, vous devriez vous en sentir soulagé mon cher… Et tendre.
— Merci Docteur Christine, je vais y réfléchir.
Début septembre 2023
— Bonjour jeune homme, asseyez-vous. Alors, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— Bonjour. Je ne sais pas trop. On m’a conseillé de venir vous voir…
— Oui, mais vous avez bien une petite idée non ?
— Heu… oui.
— Vous pesez combien ?
— Comment ?
— Vous pesez combien ?
— Quoi ? Je… Je ne comprends pas votre question ?
— Toi peser combien ? En plus d’être gros t’es sourd ?
— Comment ça je pèse combien ? J’en sais rien moi ! Vous êtes psychologue ou nutritionniste vous ?
— Ah non, je ne suis pas le docteur Comme J’aime mon gros !
— On m’avait prévenu que vous étiez le sosie craché de Laurent Baffie. Je confirme. Et donc, en plus, vous me tutoyez ?
— Tu te prends pour le Président de la République ? Avec tout ce que tu vas finir par me raconter, je te promets qu’on va devenir très très proches toi et moi. Surtout toi !
— Ah bon. Si vous le dites…
— Allez rentre chez toi, va te peser et reviens me voir quand tu auras la réponse.
— Ah bon. Et c’est tout ?
— Pour aujourd’hui oui c’est tout.
— Bon bah… Au revoir Docteur…
— Allez oust je te dis ! J’ai du boulot ! Eh, file-moi 50 balles quand même !
— Heu… d’accord, tenez.
Alexis rentra chez lui en traitant l’hurluberlu de tous les noms d’oiseaux qui lui passèrent par la tête. Le lendemain matin, au réveil, et à jeun, il monta en slip sur la balance : 110 kilos. Il retira son alliance, son slip, passa par la case toilettes.
110 kilos quand même…
— Oui allô ?
— Oui bonjour docteur Comme J’aime, c’est Alexis, on s’est vus vite fait hier à votre cabinet. Je vous rappelle comme convenu pour mon poids…
— Et donc ?
— Je pèse 110…
— OK. J’aurais dit plus…
— Je vous remercie…
— Je t’en prie.
— Mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous me demandez ça alors que je viens vous voir pour ma mère.
— Ta mère aussi elle pèse 110 ?
— Quoi ?
— Non je déconne…
— Ah…
— Depuis quand t’es comme ça ?
— Bah je… Je ne sais pas. J’ai toujours été comme ça, je crois… Je ne sais pas, depuis petit.
— T’étais un p’tit gros quoi ! Hahahaha…
— C’est très drôle…
— Plus sérieusement, va chercher dans ta mémoire à quelle période ce changement a opéré. Et rappelle-moi quand tu auras la réponse… Biiiip… Biiiip… Biiiip.
— Docteur Comme J’aime ? Allô ! Allô ? Mais c’est quoi ce type ? Allô ?
Alexis se regarda dans le miroir de sa salle de bain dans sa chambre. Il plongea ses grands yeux bleus dans les siens, et tenta de répondre à la question du docteur Comme J’aime.
Pas de réponse. Pas de souvenir. Il s’observa en slip de la tête aux pieds. De face. De profil. De dos. De nouveau de face, et en vint à la conclusion manifeste que ce corps un peu trop épais dans lequel il se voyait, c’est celui qu’il avait toujours connu. C’était lui. Alexis. Ce gaillard enveloppé. Un peu trop. Il avait déjà été plus mince vers 25 ans, suite à un gros régime alimentaire pour les besoins de son mariage avec Christine… Ça, il s’en souvenait parfaitement. Surtout du régime… Quelle tannée… Il se rendit au salon pour y observer dans le joli cadre blanc accroché au mur, les quelques photos des jeunes mariés de 2005. Ces photos qu’on trouve dans toutes les maisons de tous les couples mariés. Rien d’original, mais qu’on regarde avec tendresse. Une photo à la mairie. Une photo à la sortie de la mairie. Une photo dans la jolie voiture de collection décorée pour l’occasion… En effet, il avait décollé à cette période. Beaucoup décollé. À tel point qu’en y regardant de plus près, il ne reconnaissait pas ce jeune homme. Ou plutôt, il ne se reconnaissait pas en ce jeune homme. Ce jeune marié, aussi beau et affûté soit-il dans son splendide costume du jour bleu marine, ce n’était pas lui… Enfin, c’était lui, mais ce n’était pas lui… Heureusement, chassez le naturel et il revient au galop… Quelques mois après le mariage, le temps avait fait son œuvre pour qu’il redevienne celui qu’il avait toujours connu. Le plus dur n’est pas de mincir. C’est de le rester… En continuant d’observer les photos de ce joli moment, ce beau mariage, se remémorant cette si belle journée du 4 juin, quelque chose lui fit Tilt.
Alexis enfourcha son vélo pour se rendre chez ses parents un peu plus loin dans la vallée, histoire de pédaler un peu suite au chiffre à trois chiffres indiqué sur la balance quelques heures plus tôt… Il sait très bien que s’il doit visiter sa mère, il faut le faire absolument avant 14 h, parce qu’après, cela devient très compliqué d’échanger quand la bestiole se réveille…
Il poussa la porte d’entrée qui lui est toujours ouverte, et pénétra dans la cuisine, d’où transpirait l’excellente odeur d’un petit salé aux lentilles à la crème fraîche qui mijotait sur la gazinière. Ce petit salé dont seule Eugénie a le secret.
— Ah ! Mon fils ! Bah tu tombes bien. Tu manges avec nous à midi ?
— Non merci maman c’est gentil, mais j’ai du boulot…
— Alors ton père te ramènera les restes ce soir quand il viendra garder tes chiens pendant que tu pars travailler au théâtre…
— Oui. Merci. Dis-moi maman, tu aurais des photos de moi petit ?
— Ah, mais j’en ai plein.
— As-tu conservé des photos de classe par hasard ?
— Oui. Toutes.
— Elles sont où ?
Eugénie se rendit dans la salle à manger et ouvrit le tiroir de l’imposant buffet en chêne qui a toujours trôné là, dans les différentes salles à manger que le vieux couple avait pu connaître. La Lorraine, le Maine-et-Loire, la Lorraine, la Lorraine, la Lorraine, la Lorraine et pour finir la Seine-et-Marne… Il en avait fait des kilomètres ce buffet, et avec lui, dans son ventre, toutes les photos de classe d’Alexis, qu’Eugénie avait précieusement conservées au fil du temps.
Elle sortit du tiroir de gauche pléthore de photos de famille, et une quinzaine de photos de classe.
— Tiens, les voilà. Pourquoi en as-tu besoin ?
— Heu… je t’expliquerai plus tard maman. Merci, je les embarque et je file, j’ai du boulot…
— Bah oui le théâtre.
— Quoi ?
— Le théâtre !
— Oui le théâtre… Allez bonne journée et à bientôt !
— Attends ! Ton père t’amènera ce soir le petit salé aux lentilles quand il viendra garder tes chiens pendant que tu seras au théâtre…
— Oui tu me l’as déjà dit. Je sais. Salut maman ! Et merci !
Alexis remonta sur son vélo et rentra chez lui. Son trésor argentique en poche. Arrivé à la maison, il étala les photos de classe sur la grande table de la salle à manger de la villa, et les reclassa par ordre décroissant. Terminale, 1998, première, 1997, seconde, 1996…
Ces trois dernières années étaient encore très fraîches dans son esprit, malgré les vingt-cinq années écoulées depuis l’examen du BAC, il s’en souvenait comme si c’était hier…
— Alors, passons aux autres années…
Troisième, gros.
Quatrième, gros.
Cinquième, très très gros.
Sixième, gros.
CM2, gros.
CM1, gros.
CE2, gros.
CE1… mince !
Bah mince ! En CE1, il était… mince ! Normal ! Comme les autres enfants de son âge quoi ! Ni plus ni moins.
CP : mince !
Et toutes les autres années de maternelle avant ! Pareil ! Mince ! Mince ! Mince !
Incroyable, heureusement que les photos existent… En CE1, Alexis était mince. Ça alors ? Lui qui pensait avoir toujours été dodu, car trop gourmand, selon sa mère Eugénie, venait de découvrir que ça n’avait pas toujours été le cas…
Il saisit immédiatement son téléphone et composa le numéro du docteur Comme J’Aime.
— Oui allô ?
— Oui docteur c’est encore Alexis !
— Encore toi ? T’es lourd !
— Comment ?
— Je déconne… C’est pour la blague ! Tu as compris ?
— Oui oui… J’ai compris. Je suis lourd, 110 kilos, j’ai compris la blague, merci… Ça y est j’ai la réponse à votre question…
— Alors ? Quand ? Quand es-tu devenu gros ?
— Entre le CE1 et le CE2.
— D’accord, et ça t’évoque quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé entre ces deux années scolaires ?
— Bah heu… comme ça je ne sais pas.
— Cherche ! Il y a forcément une explication ! Et cette explication se trouve au-delà du fait que tu t’es mis à avaler trois fois plus de bouffe qu’auparavant…
— Mais comment voulez-vous que je me souvienne de ça ? J’avais six ans !
— Je ne te demande pas de t’en souvenir pour le moment ! Je te demande de réfléchir à un événement qui aurait pu se produire cette année-là. Une sorte de choc, de fracture…
— Bah j’ai pas souvenir de m’être fracturé quoi que ce soit… Je n’ai jamais été un intrépide…
— Mais pas une fracture comme ça !
— OK, donc il n’y a que vous qui avez le droit de faire de l’humour de merde ?
— Ah oui pardon… C’était drôle, j’aurais pu la faire… Bon, plus sérieusement ?
— Je vais y réfléchir, et je vous rappelle.
Alexis reposa son téléphone sur la table de la salle à manger et se mit à regarder à nouveau la différence plus que flagrante entre son physique en CE1, et celui en CE2. Quel pouvait bien être l’élément déclencheur ? Qu’est-ce qui avait pu provoquer chez ce jeune enfant, un appétit soudain si démesuré qu’il donnait l’impression d’avoir avalé absolument tout autour de lui cette année-là ? Et qu’il avait continué toutes les années suivantes ?
Il avait bien le vague souvenir de rentrer dans une église glaciale en 1986, en tenant de sa petite main d’enfant la puissante main tiède de son père Dany. Dany qui, lui-même, tenait, dans son autre main, un mouchoir en tissu à carreaux vert et beige, les yeux rougis. Marchant tous les deux solennellement vers l’autel, au milieu d’une foule de vieux qui piétinaient en rang d’oignons, lentement mais sûrement, vers le cercueil ouvert de la mère de Dany. Comme pour vérifier les uns après les autres qu’elle était bien morte…
Non. Ce n’est pas ça.
Alexis avait à peine connu cette grand-mère et son souvenir n’était ni agréable ni désagréable, faute d’événements partagés…
Il avait encore moins connu son grand-père paternel parti trois ans avant sa naissance en 1977.
Non. Ce n’est pas ça.
Alexis eut beau se creuser les méninges durant toute cette journée, il ne pouvait que constater qu’il y avait eu certainement quelque chose qui justifiait cette métamorphose physique. Mais quoi ?
Il était trop tard pour retourner chez ses parents pour aller à la pêche aux informations.
Quinze heures trente-cinq…
C’est prendre le risque de trouver Eugénie dans cet état qu’il connaît si bien… Pas besoin de ça.
Il alla prendre sa douche puis monta dans sa voiture pour rejoindre sa chère et tendre docteur Christine à Paris, comme tous les jours, pour y donner une représentation de leur nouvelle comédie humoristique qui raconte l’histoire d’un couple qui divorce.
Un couple qui divorce…
Un couple…
Qui divorce…
Divorce…
Le sang d’Alexis ne fit qu’un tour. Toutes les planètes s’alignèrent dans les méandres de sa mémoire. Et le brouillard persistant, qui lui embuait le crâne depuis le matin, disparut d’un coup, comme aspiré, tel un gros fumeur qui avale sa première bouffée de nicotine matinale.
Divorce !
C’est ça ! Une étincelle mit le feu aux poudres dans la tête d’Alexis. C’est ça ! C’est ça qu’il s’est passé en 1986, Le Divorce. Le divorce de Dany et Eugénie.
Tout remonta d’un trait ! Le divorce ! Les cris, les pleurs, les larmes, les objets non identifiés qui volent, tout…
Eugénie qui hurle. Dany qui fait sa valise et qui part vivre à 10 kilomètres dans la ville voisine, dans l’appartement de ses parents, absents pour longtemps pour cause de décès… Tout… C’est ça ! C’est ça ! La chair de poule envahit le corps d’Alexis, coincé dans les bouchons interminables et quotidiens de l’Est parisien… Quand on comprend quelque chose, c’est tout le corps qui s’exprime… Et quand cela devient limpide, on le sait. On sait qu’on ne se trompe pas.
Oui c’est ça ! La bouteille de parfum Yves Saint Laurent à peine offerte par Dany, qui vole à travers la salle à manger ouverte sur le salon, Eugénie qui hurle qu’elle n’en veut pas. Les insultes, tout y passe, la vaisselle, du MMA verbal ! Du championnat du monde de noms d’oiseaux ! Et le jeune Alexis, qui observe tout ça malgré lui, depuis le canapé du salon, essayant de n’écouter que le dessin animé à la télévision, remontant le volume au maximum. Et les deux adultes, incapables de se comporter comme tels, devant l’enfant, redoublant de vocalises, à faire pâlir Johnny Hallyday et Tom Jones réunis. Pendant de très très longues minutes… Des heures, des jours, une éternité… La guerre ! La guerre à la maison ! C’est ça !
Alexis reprit son téléphone, et recontacta, via le kit mains libres de sa voiture, le docteur Comme J’aime.
— Oui allô ?
— Ça y est, je sais !
— Oui allô ?
— Docteur, ça y est ! Je sais, c’est quand !
— Oui allô ?
— Docteur vous m’entendez ?
— Oui allô ?
— Docteur j’ai la réponse à votre question ! Vous m’entendez ?
— Oui allô ?
— Ahhhhh putainnnnnn de technologie de merde !
— Oui allô ?
— Rhooooo ! Docteur, je vous dis que j’ai compris ça remonte à quand ! Vous m’entendez ?
— Ahahahah, vous êtes sur mon répondeur. Merci de me laisser un message avec vos coordonnées, et je vous rappelle dès que possible ! Ahahahah… Biiiiiiip…
— Mais quel connard ce type ! Ah merde putain ça enregistre ! Rappelez-moi docteur s’il vous plaît, vous êtes quand même allumé vous ! Rappelez-moi, merci…
— Bonjour Alexis, assieds-toi je t’en prie. Comment vas-tu ?
— Merci de m’avoir rappelé et donné rendez-vous. Bah ça va. Et vous ?
— Oh moi ça ne va pas terrible. J’ai pas trop le moral…
— Ah… mince…
— Oui, aujourd’hui c’est l’anniversaire du décès de ma femme, partie trop tôt du COVID… Elle a souffert.
— Ah… mince… condoléances… Je pensais naïvement que les psychologues allaient toujours bien, parce qu’ils connaissaient tout l’arsenal et toutes les mécaniques pour comprendre et analyser…
— Non. Tu te trompes. Les psychologues vont rarement bien. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils embrassent cette carrière…
— Ouais, mais du coup, si moi je ne vais pas bien, et vous non plus, on ne va pas avancer là…
— Si on va avancer, ne t’en fais pas… Et je déconnais, ma femme se porte très bien ! Trop bien même ! Qu’est-ce qu’elle peut me casser les couilles ! Pour ça c’est une championne !
— Alors vous…
— Bon alors, si j’ai bien compris, tu penses donc que tu as pris beaucoup de poids entre l’âge de six et sept ans, à cause du divorce de tes parents en 1986 ?
— Voilà c’est ça. Enfin, je crois.
— Ouais bof, c’est pas très original.
— Pardon ?
— Je déconne ! Oh t’es chiant toi ! En effet, il est fort probable que tu aies raison, c’est traumatisant ce genre d’événement.
— Avec vous, on ne sait jamais si c’est du lard ou du cochon.
— Avec toi, on sait que c’est du lard par contre ! Hein mon cochon !
— Je vous remercie, c’est à mourir de rire.
— Bon écoute, ce que tu viens de faire là, pour cette histoire de poids et de divorce, il va falloir le faire pour tout. Absolument tout. T’es prêt ? T’as des sous ? Ça va te coûter une couille… Tiens d’ailleurs, file-moi 80 balles s’il te plaît…
— 80 ? Mais l’autre jour, c’était 50 ? Ça augmente comme ça à chaque fois ?
— Ta gueule, je fais ce que je veux. C’est moi le patron. Tu veux guérir ou tu veux rester dans ta merde ?
— Bah je veux que ça change oui.
— Alors, fais ce que je dis. Et ça changera. Fais-moi confiance.
— J’ai pas trop confiance en quelqu’un qui augmente le prix de ses consultations à sa guise !
— Rhooo, l’argent ! L’argent ! L’argent ! T’as que ce mot à la bouche ! Y a que ça qui t’intéresse ou quoi ?
— Bah non, mais…
— Bon alors file-moi 80 balles !
— Mais c’est vous ! C’est vous ! C’est vous qui n’arrêtez pas de me parler d’argent ! Vous avez la belle vie, vous ! Un patient vient dans votre bureau dix minutes, vous lui offrez un café et un Kleenex, et hop ! 80 balles !
— La belle vie… trou du cul ! Tu crois que ça m’amuse d’écouter les conneries des gens qui pleurnichent dans mon bureau toute la journée depuis plus de 40 ans ?
— Bah…
— Bah bah bah… bah oui ! Ça m’amuse ! J’adore les gens, et toi je t’aime bien !
— Enfin un mot gentil !
— Bon écoute, on va se faire un rendez-vous d’une petite demi-heure par semaine, c’est pas la peine d’aller trop vite en besogne.
— D’accord.
— Pour la semaine prochaine, je te demande de réfléchir au problème que tu rencontres au sujet de ta mère. Et que tu déplaces le curseur sur le moment où tu estimes que ce problème a commencé te concernant.
— D’accord.
— Allez, dégage !
La semaine suivante, Alexis se présenta au cabinet du docteur Comme j’aime.
— Salut Alexis, assieds-toi dans le fauteuil cette fois. Tu veux un café et un Kleenex ?
— Très drôle…
— Allez détends-toi, ça va bien se passer, je suis un professionnel…
— OK, je vous fais confiance.
— Enlève ton pantalon.
— Quoi ?
— Et ton slip aussi.
— Quoi ?
— Non je déconne. Alors, dis-moi, tu as réfléchi à ce que je t’ai dit la semaine dernière ?
— Oui.
— Et ?
— Et je pense que le problème a commencé quand nous sommes arrivés mes parents et moi dans le Maine-et-Loire, en 1991. En août 1991, plus précisément.
— Mais, je ne comprends pas bien. Tu m’as bien dit que tes parents avaient divorcé en 1986, et que c’est pour cela que tu avais pris tant de poids cette année-là ?
— Oui.
— Alors tes parents divorcent en 1986, et en 1991 ils emménagent de nouveau ensemble avec toi, dans le Maine-et-Loire ? C’est bien cela ?
— Oui, pourquoi ?
— Pourquoi ? Pourquoi ? Bah il en manque là ! Qu’est-ce qui s’est passé de neuf pour que tes parents, qui ne pouvaient plus se blairer en 1986, décident qu’ils allaient se blairer de nouveau cinq ans plus tard ?