Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Des vacances idylliques à Key West pour le célèbre couple Delane prennent un tournant tragique lorsque, dans un moment d’urgence, ils oublient leur bébé dans la voiture. Bouleversée, Myléna quitte sa carrière de comédienne à Los Angeles pour se repentir de cette tragédie, tandis que son mari, réalisateur, tente d’éviter les médias. En chemin vers Compostelle, Myléna rencontre « l’homme à la cape », qui l’aide à retrouver l’équilibre mental et lui propose un rôle de père biologique. Dans une vision, cet inconnu a eu la révélation de son bébé à venir ainsi que sa participation à leur nouvelle famille. Cette prophétie se réalisera-t-elle pour le bonheur de tous ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
L’écriture et l’illustration ont toujours été étroitement liées pour
Sophie Dys, qui a une passion pour la création de personnages et l’exploration de leurs émotions. Elle a également animé un atelier d’écriture, fondé un club de poésie et contribué à une trentaine de livres en bibliophilie en tant qu’illustratrice.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 213
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Sophie Dys
Une plume dans le vent
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sophie Dys
ISBN : 979-10-422-3584-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Myléna glissa sa main dans le sable fin, puis le laissa s’écouler lentement, en pliant ses doigts comme pour créer un sablier. Le mois de juin s’achevait à la douce luminosité d’un soleil déclinant, et le dernier grain de ce sable encore chaud allait rejoindre à jamais la plage maintenant déserte. Quinze jours de plein soleil avaient bronzé leur peau. Alanguis, Myléna et Ian s’étaient enlacés une dernière fois, leurs corps encore salés après le jeu des vagues sur la grande serviette orange qui regroupait aujourd’hui cette toute nouvelle famille, leur bébé à leur côté, dans la béatitude d’un sommeil sans nuages, à l’ombre d’un parasol frangé. Un an déjà, et ses petits bras potelés avaient pris de la force à jouer avec le ruissellement des vagues au bord de l’eau. Le flux et le reflux envahissaient son petit corps en suscitant par intermittence un rire joyeux et communicatif. Son père Ian l’avait guidé dans la grande bleue et presque lâché dans l’eau jusque dans les bras de sa mère où il s’était ébroué tel un petit chat en détresse. Puis Joy y avait pris goût et ses parents avaient recommencé chaque jour jusqu’à l’extase. La rencontre de Myléna et Ian avait été si foudroyante il y a deux ans, qu’ils avaient à peine eu le temps de savourer leur bonheur. L’arrivée impromptue de Joy avait occupé les mois d’été de l’année précédente, et ils venaient juste d’écouler leurs premières vraies vacances. Malgré la lueur rose qu’avait peinte le soleil déclinant sur la courbure de la mer, le ciel commençait déjà à s’assombrir sur la plage abandonnée par les touristes. Ian passa sa main dans les cheveux de sa femme puis se campa sur un coude.
— Les routes sont encombrées, et on a beaucoup à faire avant notre départ ; il va falloir s’arracher à ce paradis terrestre, fit-il à regret. Lorsqu’il se leva à contrecœur, son ombre s’agrandit démesurément en se projetant sur Myléna lascive qui se retourna avec lenteur, et sans rien ajouter se mit à ranger les sacs. Sans le réveiller, elle prit le bébé dans ses bras pour traverser la forêt de pins par le petit chemin de ronde jusqu’au parking, installa sa fille dans la voiture sur sa chaise d’enfant à l’arrière, en prenant bien soin de boucler sa mini ceinture. Ian se mit au volant en appuyant aussitôt sur le bouton de la climatisation pour lutter contre la chaleur étouffante accumulée dans la journée. La vitesse leur apporta la fraîcheur du vent qui se glissait à travers les vitres, puis ils se garèrent devant la petite maison de bois prêtée par une cousine à Key West où ils venaient de passer les plus beaux jours de leur vie.
— Il faut faire vite, fit Ian, on a les valises à faire et la maison à ranger. Il faut libérer la voiture pour Sally, et notre avion part à 23 h 50, sans compter le taxi pour l’aéroport. Je m’occupe des choses lourdes.
— Quelle heure est-il ? demanda Myléna, Joy devait être épuisée, on ne l’entend pas.
— Tu ne lui as pas donné son lait ? répondit Ian, ça fait trois heures qu’on est rentrés !
— Quoi ? fit Myléna le nez entre deux valises.
— Myléna, monte voir le bébé !
— Où est-ce que tu l’as mis ? fit Myléna affolée en descendant quatre à quatre les marches au retour de la chambre du bébé. Il n’est pas dans son berceau !
— Tu ne l’as pas couché dans sa chambre ? fit Ian avec un mauvais goût dans la bouche et une angoisse qui commençait déjà à lui compresser l’estomac ?
— Non, toi non plus ? Oh, mon Dieu, j’hallucine ! Où est-il ?
Le visage de Myléna se mit à pâlir et son cœur à battre la chamade. Elle dut se retenir à la rampe de l’escalier pour ne pas chanceler ?
— Vite, à la voiture !
— Il est là, on ne nous l’a pas volé ! cria Myléna les cheveux défaits, tout essoufflée d’avoir couru… Il a l’air endormi. Ouvre vite, Ian !
Ian la main tremblante introduisit enfin la clé, qu’il ne trouvait plus, dans la serrure de la porte avant qui ouvrait à elle seule toutes les issues et Myléna se précipita pour embrasser sa fille qu’elle trouva figée dans la chaise, raide comme un Bouddha, emprisonnée dans les sangles de sa ceinture de sécurité
— Elle dort ! ses paupières sont fermées, fit Myléna en saisissant le bébé dans ses bras. Ma chérie, ma jolie petite fille, ma plume, réveille-toi, mon cœur… Joy, ma jolie poupée, dis bonjour à ta maman qui t’aime. Crie, pleure, fais-moi un signe… Elle ne bouge pas, Ian, elle ne bouge pas… elle est peut-être dans le coma, son visage a une drôle de couleur, fit Myléna affolée.
Ian se précipita :
— Attends, j’ai trouvé son pouls, elle est encore vivante, allonge-la sur la banquette, je vais lui faire un massage cardiaque vite, dépêche-toi : 911, appelle les paramédics.
Les doigts tremblants, Myléna sortit gauchement le portable de son sac à main qu’elle avait eu la présence d’esprit d’attraper à la volée ?
— Allo, venez vite au 502 South Street Key West ! Notre bébé est resté dans la voiture toutes vitres fermées pendant trois heures… elle ne donne plus signe de vie !
— Cherchez le pouls, madame. Quel âge a votre bébé ?
— Dix-sept mois. Elle est vivante, son pouls bat encore, mais elle a les yeux fermés et sa peau est bleuâtre. Mon mari est en train de lui faire un massage cardiaque.
— Il fait bien. Nous serons là dans quelques minutes. En attendant, faites bouger les membres du bébé.
— « Staying alive, staying alive… » la chanson était censée le mettre au bon rythme. Pendant de longues minutes, Ian insuffla son propre oxygène à son enfant… des minutes urgentes qui ressemblaient à des heures. Mais rien n’y fit : Joy ne bougeait pas plus après qu’avant.
— Donne-la-moi.
Myléna éplorée frictionna désespérément le bébé pour activer le sang.
— Dépêchez-vous, 911, plus vite ! qu’est-ce que vous attendez ? s’écria Myléna d’une voix étouffée par les sanglots en tenant l’enfant devant la fenêtre ouverte pour la réoxygéner. Chaque seconde qui s’écoulait amplifiait son impuissance. La violence du choc l’atteignait a posteriori, maintenant qu’elle n’était plus, à proprement parler dans l’urgence de l’action. La prise de conscience de cette situation incongrue et quasi surréaliste lui sautait maintenant à la figure. Elle en ressentait dans sa chair la déchirure infligée par les griffes d’une bête féroce. Elle était comme hypnotisée à la vue de ce petit corps inerte qu’elle avait enfanté un an plus tôt, et dont les gazouillis avaient si adorablement comblé les moments magiques de leur couple si soudé. Des images remontaient à la surface de son inconscient : quand elle avait découvert le visage de Joy la première fois, un rire nerveux l’avait éclaboussée, tant le choc émotionnel l’avait ébranlée, et lorsque son propre lait avait coulé, sur les lèvres de ce bébé lisse et soyeux, lorsqu’il avait enfoui son petit nez dans son sein, c’est tout juste si elle n’avait pas eu un orgasme. Chaque seconde, chaque minute, depuis le jour où elle avait découvert les deux lignes rouges du test de grossesse, elle avait tout donné d’elle-même pour ce nouvel humain qui, par le plus grand des miracles, s’était frayé un chemin au travers de son propre corps. Joy lui avait fait confiance… la vie, désormais, lui paraissait si fragile ! À l’écoute de la sirène de l’ambulance, une idée soudaine s’empara d’elle : de la pointe du stylo bille qui dépassait de son sac, elle traça à la va-vite sur le bras potelé du bébé ces quatre lettres majuscules : PMTM, « Papa, maman t’aiment ». C’était un tatouage porte-bonheur, une sorte de défi, un talisman pour faire face à son destin.
— Maintenant, je ne peux plus rien pour toi, ma plume… bon courage, mon cœur… me pardonneras-tu un jour ? fit-elle en avalant la boule de granit qui lui obstruait la gorge. Ensuite elle posa un baiser mouillé sur le front de Joy.
— Ça va aller… on va s’occuper de toi, ma chérie, fit-elle en lui massant le plexus. Puis elle tendit le bébé à l’infirmier qui l’allongea aussitôt dans l’ambulance en lui appliquant un masque à oxygène qui cachait entièrement son visage.
— Est-ce qu’elle va s’en sortir ? demanda Ian à l’infirmier ; vous avez déjà eu des cas semblables ?
— J’aimerais pouvoir vous répondre, fit celui-ci gravement, le docteur vous en dira plus, tout dépend de son état. Il faut d’abord faire des examens. Le gyrophare allumé, l’ambulance s’engagea dans le trafic à tombeau ouvert jusqu’à l’entrée de l’hôpital, où la civière aussitôt déposée au sol fut prise en charge par l’urgentiste ?
— Réanimation, cria-t-il à la volée.
— Le bébé ne bouge plus, fit Myléna en se tournant vers l’urgentiste avec un regard suppliant, il est resté trois heures enfermé dans une voiture, c’est une petite fille, elle a un an, renchérit-elle d’une voix hachée qui tentait de contrôler ses sanglots.
— Vous attendez là, madame, nous allons faire tout notre possible. Inscrivez-vous aux Admissions et passez à la salle d’attente, on vous appellera dès qu’il y aura du nouveau.
— Joy, je t’aime, mon bébé, cria-t-elle d’une voix cassée, en tentant désespérément d’attraper la main, du petit corps inerte qui s’éloignait dans la jolie petite tenue rayée de marin qu’elle lui avait choisie le matin même. À bientôt !
Ian pénétra dans la salle d’attente avec sa femme et la prit dans ses bras.
— Ma chérie, ma chérie…
Debout leurs silhouettes en pleurs se mêlèrent, comme attirées par des aimants. Leurs larmes, en se collant sur leurs joues, rapprochaient inéluctablement leurs visages, tandis que leurs membres s’étreignaient, désespérément rongés tous deux par la culpabilité. Les médecins auraient-ils le pouvoir de faire revenir à la vie ce petit être fragile que ses parents avaient tant désiré et tant chéri ? Sur le simili cuir des chaises inconfortables de la salle d’attente, les heures s’écoulèrent lentement, et à l’espoir insensé succédèrent d’abord l’épuisement puis l’angoisse de l’interrogation.
— Comment se fait-il qu’aucun de nous deux n’ait pensé à vérifier la place de Joy ? fit Ian stupéfait.
— La pauvre petite… ces trois heures ont dû prendre pour elle la forme d’une torture ; plaquée par sa ceinture de sécurité contre le dossier de son siège, toutes vitres fermées sans pouvoir bouger… et la respiration qui lui manquait ! Même si elle a tenté de nous appeler en pleurant ou en criant, personne ne pouvait l’entendre. Nous lui avons infligé un véritable calvaire.
— L’ultime solitude, fit Ian accablé. Mais, comment est-ce possible ? Comment as-tu pu oublier ta propre chair, Myléna ?
— Tais-toi, c’est trop horrible !
— Pourquoi me taire ? C’est malheureusement la réalité. Et ce n’est pas le moment de se mettre un bandeau sur les yeux.
— Je croyais t’avoir entendu dire que tu t’en occupais et mes bras étaient alourdis par les sacs. En plus on était dans le noir et on était pressés. J’étais persuadée que tu avais pris Joy avec toi, et je ne pouvais pas te voir puisque j’étais montée en premier ! fit Myléna dépitée, accablée, elle aussi par le remords.
— Mais une fois arrivée, tu as pourtant l’habitude d’aller la voir, voir si tout va bien !
— Quand elle dort, je la laisse dormir ; elle a encore plus besoin de sommeil que de son lait. C’est ce que j’ai fait hier. Après elle était toute reposée, elle était toute guillerette, elle a bu et elle s’est endormie aussitôt, on ne l’a plus entendue de la nuit.
— Personne n’est donc passé sur le parking ? C’est incroyable. Quelqu’un aurait pu au moins nous prévenir ! renchérit Ian.
— Il était tard, il faisait nuit ; même si quelqu’un est passé devant la voiture, il est probable qu’il n’a rien vu. Ou peut-être qu’à force de crier, Joy s’était épuisée. Elle avait fini par se taire ou bien elle s’est endormie. À moins qu’elle ne se soit évanouie.
— Mais toi, quand tu quittes la voiture, tu regardes toujours si on a bien tout déchargé, si tout est en ordre, si tout est bien fermé ?
— J’ai bien vérifié les bagages, et, crois-moi, entre le pique-nique, les couches partout, les serviettes, le parasol et le crocodile gonflable de Joy, il y en avait plus que je ne pouvais porter. Et puis je croyais que tu avais déjà monté Joy dans tes bras, comme d’habitude. Je me suis pourtant assuré que le coffre était vide, malheureusement quand le haillon est relevé on ne voit pas la place des passagers. Et on était dans la pénombre.
Myléna restait silencieuse, les paupières baissées, en mordant presque jusqu’au sang sa lèvre inférieure.
— De toute façon, ça ne change rien. Ce n’est pas la peine de s’appesantir sur le passé, renchérit Ian.
Ces quelques heures avaient si pitoyablement tiré ses traits, lui qui avait été envié pour sa beauté de pâtre grec à sa sortie des vagues par les filles de la plage ; désormais ses yeux exorbités et sa bouche tombante entourée de rides lui dessinaient le faciès d’un macaque.
— Seule la chance peut nous aider maintenant, fit-il tristement.
— La chance ou la science, murmura Myléna dont les larmes séchées avaient fait place à l’espérance.
Sur sa gauche, le toit d’ardoise s’élançait haut dans le ciel et présentait une paroi abrupte et, par là même, un chemin impossible à gravir, sans aucune fenêtre sur le parapet de ce toit glissant où elle aurait pu s’engouffrer. À sa droite, quand Myléna tendit le bras, c’était le vide. Un mur de six étages rejoignait les pavés de la cour, en bas de l’immeuble. Allongée sur l’étroit muret dont la largeur était égale à son corps, elle n’osait pas bouger de peur de se retrouver en bas, les membres déchiquetés. Le cœur battant, elle n’osait pas non plus tourner la tête vers le gouffre qui s’ouvrait tout près, si près d’elle, hantée par ce vide prêt à saper sa dernière vigilance, à dévorer ses forces, à clore une fois pour toutes son destin. Elle sentait que malgré l’horreur de la situation, son corps se relaxait, qu’elle gagnait un temps précieux. Mais comment allait-elle faire pour sortir de ce piège maléfique et terrifiant ? La toute petite fille en elle aurait bien voulu serrer fort sur son cœur son doudou de jadis ou s’accrocher aux bras musclés d’un père prêt à la mettre enfin debout. Mais quel âge avait-elle déjà ? Et où était donc sa mère qui avait toujours un conte à l’orée de son sommeil pour changer ses mauvais rêves en or ?
— Monsieur et madame Delane !
Quatre heures du matin : réveillés en sursaut à l’écoute de leur nom de famille, Myléna et Ian sortirent de leur torpeur et se levèrent d’un bond au milieu de la salle d’attente presque vide en direction de l’homme en blanc adossé à la porte entr’ouverte qui les attendait. Les yeux cernés, l’air inquiet, le médecin dévisagea les parents de ce bébé à problèmes qui lui avait donné du fil à retordre toue la nuit, jusqu’à l’obliger à dépasser ses horaires.
— Votre bébé a manqué longtemps d’oxygène, fit-il d’une voix neutre, presque atone, quoiqu’impérative.
Le massage cardiaque, malheureusement, n’a rien donné, malgré plusieurs tentatives. Nous l’avons placé en respiration artificielle. Il est dans le coma et va y rester un certain temps.
— Combien de temps ? fit Ian, l’angoisse clouant au sol ses plantes de pied prêtes à flancher au moindre choc dans l’air vicié de la salle moribonde.
Le docteur poursuivit sans émotion comme s’il n’avait pas entendu la question :
— Il vaut mieux aller vous coucher maintenant et prendre des forces : à son réveil votre enfant aura besoin de vous. Au moindre changement, je vous appelle. Bon courage ! Puis il tourna les talons aussi vite qu’il était entré dans la pièce, sans pour autant laisser de place à la moindre question. Et pourtant… ils en avaient tant, des questions. Avant tout, ils voulaient désespérément dormir sur place auprès de leur bébé. Mais quand ils formulèrent leur désir aux Admissions, on leur répondit vertement que les lits de l’hôpital étaient en sous-nombre et que c’était impossible.
Ils auraient tant voulu rester proches, et même s’ils ne pouvaient pas lui parler, au moins lui tenir la main, vibrer à ses côtés, lui apporter ne serait-ce que le témoignage de leur présence, au moins le soutenir dans son combat, assister à son retour à la vie. Juste faire partie de l’aventure, ne pas être tenus à l’écart, tenter à leur manière et dans la mesure du possible de faire face au mauvais sort. Et faire plier la monstrueuse courbure descendante que prenait le destin. Sentir encore la douceur de la peau lisse et soyeuse du nouveau-né. Serrer ses petits doigts fragiles dans les leurs, et bientôt contempler ses grands yeux fervents prêts à dévorer le monde. Retrouver les pépites de soleil dans ses cheveux et voir son petit visage ovale s’éclairer d’un sourire triomphant, comme auparavant. Cette première séparation était pour ses parents un déchirement. Myléna qui avait attrapé son sac à la volée avant de rejoindre la voiture se rappela soudain qu’il contenait des photos de Joy. Tel un zombie, elle en sortit les clichés pris à la clinique après l’accouchement. À leur vue, la chanson de Brel se mit à tournoyer dans sa tête, puis s’échappa de ses lèvres entr’ouvertes : « Ne me quitte pas… ne me quitte pas… » Elle reprenait cette folle ritournelle comme les comptines qu’elle avait mille fois chantée à son bébé pour l’endormir au son de sa propre voix pour créer le lien maternel.
— Regarde comme elle est jolie, avec ses petits duvets de mésange sur le front, notre petite Joy ! fit-elle en tendant le cliché à son papa.
— Tu te rappelles quand tu as vu la couleur de ses yeux pour la première fois à la clinique et que tu as dit : « Ma jolie pervenche ! » Je me souviendrai toujours de ton regard quand je t’ai annoncé que j’étais enceinte, moi j’étais en transe, mais toi tu étais comme tétanisé. Et quand j’ai vu sa petite main ouverte à l’échographie… tu te rends compte, elle mesurait seulement vingt centimètres ce jour-là ! Et la première fois que tu l’as tenue dans tes bras : en la soulevant un peu gauchement, tu as dit : « Elle est légère comme une plume ! » et le surnom lui est resté. On avait à peine goûté à la vie de couple quand elle est arrivée. Mais quand on a entendu ce petit cri sortir de sa bouche, une telle joie s’est emparée de nous… En fait, c’est elle qui a choisi son nom : Joy ! c’était l’immense joie qu’elle nous communiquait à cet instant merveilleux.
Puis passant directement des souvenirs à la dure réalité :
— Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir dire aux parents ? demanda Myléna. On ne peut décemment pas les réveiller à quatre heures du matin.
— Ce n’est pas la peine de les alarmer inutilement au cas où la situation ne revient à la normale. Attendons la suite des évènements.
— Et si on va vers le pire ? On aura besoin de leur présence, on a besoin d’un support, tu ne crois pas ?
— Le support pourrait se transformer en complication, il vaut mieux attendre encore. Rentrons à la maison, reposons-nous. Demain matin, on téléphonera à Sally pour lui dire qu’on a besoin de quelques jours de plus. On peut inventer n’importe quoi : que tu t’es foulé la cheville ou bien que la voiture est en panne…
De retour à la villa, leurs corps épuisés prirent le pas sur leurs esprits perturbés, et par bonheur un sommeil profond les envahit, qui inonda totalement leur subconscient. Vers midi un klaxon qui venait de la rue les força à ouvrir les yeux pour leur rappeler l’affreux cauchemar éveillé de la veille.
— L’hôpital n’a pas téléphoné, fit Myléna d’une voix pâteuse, vite, il faut appeler le professeur Willcox.
— Ce n’est pas bon signe, répondit Ian avec au cœur ce sentiment d’urgence intime qui, sans vraiment le quitter, était revenu en force. Joy doit encore être dans le coma. Habillons-nous, il faut y aller tout de suite. Les médecins ont un planning très chargé. Si on veut des infos, il faut mieux se présenter en chair et en os.
Un café aussitôt avalé, ils dévalèrent les escaliers pour se retrouver dans la Nissan où Ian s’empressa de tourner la clé de contact pendant que Myléna, en arrêt devant la vitre arrière, contemplait, muette, le logo qu’ils avaient collé par précaution à leur arrivée : « Bébé à bord ». Elle était comme pétrifiée.
— Myléna ?
— Qu’est-ce que tu fais, Myléna ? On est pressés !
Myléna honteuse, les larmes aux yeux, courut s’assoir à sa place à l’avant et la voiture se dégagea tant bien que mal du parking en direction de la porte du bureau du Pr Willcox à laquelle ils frappèrent encore tout essoufflés.
— Entrez, fit une voix inconnue.
— Bonjour, fit Ian, étonné de trouver devant lui un médecin qui ne ressemblait en rien au professeur à cheveux blancs de la veille. Nous sommes les parents de Joy Delane, le bébé en réanimation.
— Il est toujours en réanimation, avec une infirmière présente en permanence, fit le docteur avec un regard de gravité.
Le professeur Willcox avait dépassé ses horaires, j’ai pris le relais. Mais le coma peut durer encore plusieurs jours. Il n’y a malheureusement aucun signe d’amélioration. C’est la raison pour laquelle on vous a laissé dormir.
— Est-ce qu’on peut au moins le voir ? Le toucher ? Lui parler ? demanda Myléna, que la réponse avait dévastée.
— Seul le personnel est autorisé en chambre de réanimation, l’infirmière et moi-même faisons l’impossible. Nous avons votre numéro de portable. Partout où vous irez, vous serez prévenus. Le Professeur va reprendre son service ce soir et je me tiens en rapport constant avec lui au moindre changement. C’est tout ce que nous pouvons faire pour le moment. Allez vous reposer, je vous tiens au courant.
— On met la petite en soin intensif jusqu’à ce qu’elle sorte du cirage, fit le remplaçant du Pr Willcox.
— Mais… on a un planning très chargé ! répondit l’infirmière-chef devant son ordinateur.
— Je sais que vous êtes responsable de la répartition des tâches de la journée. Mais peu importe. Je veux une infirmière présente en permanence. Envoyez-moi quelqu’un en chambre de Réa.
À l’intonation du médecin, l’infirmière en chef en déduit que le cas était grave. Elle décida de déléguer sa meilleure recrue. Sonia qui avait un passé de douze années d’expérience dans un hôpital du Connecticut prit aussitôt en charge le bébé avec dextérité. À ce stade de coma profond, la moindre erreur d’interprétation ou de maniement des instruments pouvait être fatale. Elle mit donc un point d’honneur à s’occuper de la surveillance étroite du bébé. Et la journée se déroula normalement sans changement jusqu’à l’arrivée du Pr Willcox.
— Toujours rien ? fit-il inquiet en entrant dans la pièce.
— Gardez le même rythme, je repasserai dans une heure.
— C’est entendu.
Malheureusement, les soixante minutes n’eurent pas le loisir de s’écouler. Dix minutes après son départ, Sonia dut se précipiter vers l’encéphalogramme dont la courbe s’aplatissait dangereusement. Elle appuya aussitôt sur le bouton d’appel d’urgence.
— Vite, la courbe s’aplatit… on la perd ! dit-elle à l’hygiaphone. Le Professeur essoufflé pénétra dans la chambre à grands pas.
— Elle ne réagit pas au stimuli douleur, fit-il d’une voie urgente. C’est un coma du type 3 sur l’échelle de Glasgow.
— On la perd ! fit Sonia, l’encéphalogramme s’aplatit ! en tentant la piqûre de la dernière chance. Puis elle resta quelques minutes attentive à ce minuscule petit visage de cire étendu sur ce lit bien trop grand pour lui.
— L’encéphalogramme est plat, fit le Pr Willcox d’une voix sourde. C’est la mort cérébrale.
— On coupe les écoutilles ? demanda Sonia.
— On n’a plus le choix. L’air ne lui sert plus à rien.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Quelqu’un connaît l’historique ? renchérit l’infirmière.
— Les parents l’ont oubliée dans leur voiture. Trois heures sans air et sans eau. La pauvre petite est morte asphyxiée. Le manque d’oxygène a endommagé ses neurones.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— On la met au frigidaire. Je préviens les parents, et vous, prévenez les flics. On ne peut pas faire autrement, on se ferait taper sur les doigts.
— Je m’en occupe, fit Sonia d’une voix qu’elle voulait vaillante bien qu’anéantie à l’intérieur d’elle-même.
— Surtout, n’alertez pas les médias, on a affaire à des célébrités. Secret médical absolu, c’est bien compris ? Passez la consigne à toute personne ayant été, de près ou de loin, en contact avec le bébé.
— C’est enregistré. Vous pouvez nous faire confiance, Professeur.
— Et si on vous oblige à parler : elle est morte d’un arrêt cardiaque.