Virtuel, Vertueux, Virtuose - Cédric Bachellerie - E-Book

Virtuel, Vertueux, Virtuose E-Book

Cédric Bachellerie

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Beschreibung

Un ouvrage pratique qui vous donnera les outils afin de réorganiser votre travail suite à la crise actuelle.

Virtuel, Vertueux, Virtuose est un livre né dans la crise pour appréhender dans l’instant les enjeux de la réorganisation soudaine du travail dans l’entreprise, et écrit avec la confiance prospective que de nouveaux modes de leadership et de conduite de l’entreprise sont possibles et souhaitables. Au milieu de la frénésie que suscitent les confinements et les incertitudes économiques, il offre des repères pour tenir la barre dans la tempête et des sources d’inspiration pour choisir de nouveaux caps.

À l’heure de la généralisation du travail à distance, un ouvrage passionnant qui invite à poser les fondements d’un New Deal entre l’individu, le manager et l’entreprise pour définir les contours du "vivre-ensemble" dans l’entreprise de demain. - Yves Perrier, Président d’Amundi 

Le sujet est ardu  : appréhender les bouleversements que la crise du COVID est en train de créer pour les entreprises et pour ceux qui y travaillent. Les conseils et idées pratiques qui sont proposés pour faire avancer son entreprise avec plus d’empathie et d’innovation dans cette période d’incertitude sont bien imaginés et applicables. Pari réussi. - Valérie Accary , DG CLM BBDO

Loin de se laisser abattre par la sinistrose ambiante, et forts de leurs 20 années d’expérience de leadership, les auteurs ont fait  le choix  de l’action, en se réunissant virtuellement durant le premier confinement et en cherchant comment à leur échelle ils pouvaient contribuer à lutter contre les effets de cette pandémie dans le monde du travail et de l’entreprise. - Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF

Découvrez des conseils et idées pratiques pour innover malgré cette période incertaine !

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C’était un pari ambitieux.

Celui d’écrire un livre à dix mains, de surcroît en période de confinement.

Le sujet, surtout, est ardu : appréhender les bouleversements que la crise du Covid est en train de créer pour les entreprises et pour ceux qui y travaillent.

Et pourtant, ce livre est intelligent et foisonnant.

L’observation est juste. L’analyse est éclairante. Les conseils et idées pratiques qui sont proposés pour faire avancer son entreprise avec plus d’empathie et d’innovation dans cette période d’incertitude sont bien imaginés et applicables.

Pari réussi.

Valérie Accary, Directrice Générale de CLMBBDO

« Un ouvrage passionnant, qui explore en profondeur les enjeux de la relation employé-entreprise à l’heure de la généralisation du travail à distance. Une véritable réflexion sur l’engagement des collaborateurs dans cette nouvelle organisation du travail et sur le rôle à jouer par les entreprises dans l’accompagnement de ces tendances structurelles, que la crise a accélérées. Un ouvrage qui invite à poser les fondements d’un New Deal entre l’individu, le manager et l’entreprise pour définir les contours du « vivre-ensemble » dans l’entreprise de demain ».

Yves Perrier, Président d’Amundi

Virtuel Vertueux Virtuose

Au cœur des enjeux de l’Entreprise Post-Covid

Vanessa Barros

Cedric Bachellerie

Véronique de Muizon

Guillaume Marès

Stéphane Decaux

Sous la direction de Vanessa Barros

À la promotion ESSEC 93, pour son empathie, sa créativité, son sens de l’entrepreneuriat et surtout son esprit « Très à l’Aise ! »

REMERCIEMENTS

Nous remercions Geoffroy Roux de Bézieux, Valérie Accary et Yves Perrier pour leurs commentaires amicaux. Nous remercions Laurent Bibard pour sa vision et sa bienveillance ainsi que pour l’écriture de la préface. Nous remercions Plantu pour la cession des droits de sa caricature en illustration. Nous remercions le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST) pour l’utilisation de leurs visuels. Nous remercions Valérie Maure de nous avoir encouragés à écrire le chapitre sur le leadership et pour ses éclairages précieux sur IBM. Nous remercions Caroline Legendre pour son aide précieuse dans la traduction et la relecture. Nous remercions Léo Barros Jones pour l’utilisation de son image. Nous remercions tous les étudiants qui nous ont aidés tout au long du processus de recherche et d’écriture. Nous remercions nos familles pour leur bienveillance et leurs encouragements. Nous remercions tous les travailleurs anonymes qui dédient leur vie et profession au soin des autres et qui sont les véritables virtuoses de notre temps.

AVANT-PROPOS

La crise qui frappe notre pays ne ressemble à aucune autre. Sanitaire dans un premier temps, puis très vite économique et sociale, elle a bouleversé toutes les certitudes et nous a appelés à la plus grande humilité. Jamais l’expression « je ne sais pas », aussi dure soit-elle à prononcer, n’aura été si appropriée. Mais admettre que l’on ne sait pas, ça ne veut pas dire se résoudre à l’inaction. Les entreprises l’ont bien montré en faisant preuve d’une agilité sans commune mesure.

Cette crise, bien qu’ayant mis à mal notre propension naturelle à nous projeter, à anticiper, à innover, nous a laissé un choix, celui de préférer l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison. Et ce choix a été celui d’Alumni des promotions 93 et 92 de l’ESSEC. Loin de se laisser abattre par la sinistrose ambiante, et forts de leurs 20 années d’expérience de leadership, ils ont fait le choix de l’action, en se réunissant virtuellement durant le premier confinement et en cherchant comment à leur échelle ils pouvaient contribuer à lutter contre les effets de cette pandémie dans le monde du travail et de l’entreprise.

De ces échanges entre anciens de l’ESSEC, marqués par l’empathie, la fraternité et la soif de servir l’intérêt général, sont nées des initiatives remarquables qui font honneur à l’ESSEC autant qu’elles donnent des raisons d’espérer. En partageant les constats, les solutions pratiques et les réflexions prospectives de ces Alumni des promotions 93 et 92, Virtuel, Vertueux, Virtuose témoigne de l’attachement de ces derniers aux valeurs humanistes de l’école, ces mêmes valeurs qui m’ont été transmises par l’ESSEC en 1984 et auxquelles je suis profondément attaché.

Geoffroy Roux de Bézieux

Président du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF)

PRÉFACE

Au cœur d’une crise, on peut contribuer à aggraver la crise, et l’on peut contribuer à apaiser la crise. On aggrave une crise par ses peurs, par des réactions affolées, par de la précipitation, par la sidération où elle peut mettre. On contribue à apaiser la crise en prenant du recul. C’est le plus difficile. C’est évidemment le plus indispensable, mais le plus difficile à faire. Du recul. Un instant. Cela peut ne durer que quelques secondes. Et cela peut sauver des vies et dusens.

Virtuel, Virtuose, Vertueuxveut offrir un temps de recul, pourtant en plein cœur de la crise. Le pari est réussi. Le pari est réussi pour plusieurs raisons.

Il s’agit d’abord d’un projet collectif.

Collectif, il l’est éminemment, concernant des amis de toujours -ou presque -, qui ont vécu leurs heures de jeunes adultes à une époque où les choses allaient bien à tout le moins en « Occident ». C’est ici l’histoire d’amitiés renouées par hasard, quelque temps avant la crise de la Covid. Et d’amitiés qui ont été assez fortes pour que les mains serrées enjoignent toutes et tous à avoir tant à cœur que la crise ne soit pas délabrement et désespérance, qu’a émergé l’idée d’écrire comment l’on peut sortir de la crise, ou la vivre sans en être seulement victime, dans le monde du travail qui a furieusement tendance à s’entremêler avec le monde de la vie tout court.

Il s’agit ensuite d’un ouvrage adossé à de solides expériences et compétences.

Sont présentées et discutées ici de diverses façons des manières de jouer le jeu du télétravail, de transformations profondes des manières de manager l’inattendu, de la façon dont on peut soutenir et alimenter le moral des équipes, de faire des difficultés du télétravail, en fonction des cultures, tout de même un atout… Bref, des aspects essentiels du monde du travail sont abordés si ce n’est affrontés, pour voir comment, en plein cœur de la crise, l’on peut, non seulement continuer à vivre sa vie professionnelle - et personnelle -, mais même l’améliorer. Par exemple, encore en s’exerçant à l’art de la conduite de réunions en virtuel.

Il s’agit d’un ouvrage lucide.

C’est un ouvrage lucide, averti, du fait que les conclusions tirées des expériences du premier confinement sont provisoires, et ne peuvent valoir comme réponses définitives à une crise en cours dont on ne sait comment elle évoluera. Qu’il faille essayer, c’est ce dont les auteurs sont certaines et certains ici. Qu’il faille tout faire pour avancer « quand même », dans l’adversité, et improviser des réponses à des questions jusqu’ici pas même imaginables, l’équipe auteure de l’ouvrage en est sûre. Et sa plus grande force, est d’en être sûre solidairement, et de s’engager comme elle lefait.

Il s’agit enfin d’un ouvrage d’une sincéritérare.

D’un engagement sans limites. Le dévouement des auteures et des auteurs à la cause défendue, qui est de prendre ensemble à bras le corps la crise pour en faire avec lucidité et compétence le terreau paradoxal et douloureux mais bien vivant d’apprentissages nouveaux, cet engagement force le respect. Non pas que tout soit dit. Non pas que tout soit fait. Et ce n’est pas l’enjeu. Mais tout est enclenché, tout ce qui peut l’être y est essayé, depuis où se trouvent les auteures et auteurs. Sur le plan d’une éthique de la manière dont il convient, au cœur des drames, de tout faire pour apaiser et non pour approfondir le drame, on fait tout pour être là où il faut à la manière dont il le faut. Obligation de moyens. À toutprix.

Ces moyens sont clairs, stimulants, pédagogiques.

Chaque partie - chaque thème partie après partie - est constitué/e de témoignages concrets (le moins drôle n’étant pas celui de la course virtuelle de côte à vélo pour passer le col du Stelvio en Italie), d’une sérieuse problématisation et dégagement des enjeux abordés (le télétravail s’y taille la part du lion), et de solutions possibles pour avancer quand même, de façon très concrète et clairement présentée. On a été ici à bonne école !

On rencontre successivement au cours de l’ouvrage les questions d’abord du télétravail, puis celle de réunions bien menées, bien qu’en distanciel, de l’innovation, du e-learning, du leadership en distanciel, enfin des relations entre télétravail et diversité culturelles. À chaque fois, avec le même engagement, la même solidité des expériences vécues, racontées, analysées, le même enthousiasme pour tirer de la crise des leçons utiles pour l’avenir.

Pour se mettre en route, on doit enfin recommander aux lectrices et lecteurs de se promener dans ces essais.

On peut entamer de lire l’ouvrage par tous les bouts : chaque partie vaut pour elle-même, dont on peut méditer les leçons sans perdre de vue l’esprit dans lequel l’ensemble a été écrit. L’esprit dans lequel il a été écrit est présenté par les auteurs lorsqu’ils parlent de Là où tout a commencé. Si l’on peut commencer de lire le livre à partir de n’importe quel thème donc de n’importe quelle partie, il est cependant indispensable de lire avant « Là où tout a commencé », qui dit tout de l’esprit qui anime l’essai ou l’ouvrage. Car c’est bien d’un ouvrage dont il s’agit, au meilleur sens du terme. Nous ne sommes pas ici dans le contexte des maîtres ouvriers mais c’est tout comme, le cœur y est totalement.

Lorsqu’est abordé ici le thème de l’innovation, il est revendiqué de réapprendre le sens des promenades sans objectif, sans but, gratuites. Ceci, afin de laisser se rouvrir nos cœurs, que le quotidien de vies bien réglées – c’était avant la crise – s’entête à enfermer et refermer. Qu’on se promène sans but dans Virtuel, Virtuose, Vertueux, et l’on trouvera tôt ou tard des pépites pour apprendre à bien faire, ou à faire au mieux, dans des circonstances semble-t-il bien appelées à être plus que durablement difficiles.

Laurent BibardParis, le 6 décembre2020

INTRODUCTION

Vanessa Barros

Andrea Gonzalo González

Elliott Fayemi

Sana Shaban

a) La Covid-19 : Une révolution qui nous a tous pris par surprise

Crise et Incertitude

Il n’y a aucun doute : cette situation est arrivée sans prévenir. Personne n’a été averti ou formé à l’avance pour savoir qu’en 2020, le monde serait contraint de changer si radicalement et de façon si immédiate. Des conditions de travail à distance obligatoires, des fermetures de frontières internationales, en passant par les écoles et les lieux de culte qui ont dû fermer leurs portes, tout le monde a été touché. En Octobre 2020, 11 mois après la découverte du premier cas, il n’existe toujours pas de vaccin. Plus de 40 millions d’individus dans 212 pays ont contracté ce fléau et plus d’un million de personnes en sont mortes. Pour replacer cela dans son contexte, l’équivalent de la population ukrainienne a été contaminé par la Covid-19. De plus, des milliards d’individus ont été touchés par cette impitoyable pandémie. Nous en sommes tous conscients aujourd’hui et nous devrions également être conscients qu’elle pourrait revenir par à-coups. Bien que 20 % des patients infectés soient asymptomatiques1, 20 % des porteurs de la Covid sont hospitalisés. Chaque porteur infecte généralement 3 personnes2.

La nature de cette maladie a entraîné des bouleversements dans tous les secteurs. McKinsey estime que la plupart des industries se redresseront au plus tôt en 20223. L’autre caractéristique essentielle liée au phénomène est le degré d’incertitude qui entoure la situation : combien de temps durera le confinement ? Y aura-t-il d’autres vagues ? Quelle est l’ampleur de la maladie ? Sommes-nous en sécurité ou non, avec ou sans masque ? Cela a conduit à une anxiété générale qui a touché tous les citoyens du monde.

Nouvelles méthodes de travail

L’Organisation internationale du travail (OIT)4 estime qu’environ 7,9 % des employés travaillaient déjà à domicile à temps plein avant la mise en place des mesures liées à la Covid-19 ; la grande majorité d’entre eux étant concentrés dans des régions d’Afrique centrale et d’Asie du Sud-Est (voir la carte ci-dessous). Le virus a entraîné une augmentation de ces chiffres - jusqu’à 93 % (OIT). L’Afrique centrale n’a pas été plus longuement examinée dans le cadre de ce rapport, par contre les cultures asiatiques et l’incapacité des technologies occidentales à répondre à leurs besoins commerciaux a été analysée. 

Ce chiffre inclut tous types de travailleurs à domicile, y compris les télétravailleurs.

Ces estimations ont été calculées d’après des enquêtes menées sur la population active de 118 pays, ce qui représente 86% de l'emploi mondial.

Source : ILO (2020)

Le fait que le travail à distance prenne le dessus montre à quel point le virus a remis en question notre façon de travailler. Les équipes virtuelles sont devenues la nouvelle norme. Historiquement, les équipes fonctionnant à distance réunissaient des individus répartis dans différentes régions géographiques. Avec cette ère nouvelle où le confinement était la nouvelle réalité, toutes les équipes ont été contraintes d’utiliser des moyens numériques de communication. Ce n’était plus la distance géographique qui imposait des normes de travail, mais plutôt l’incapacité de se réunir en personne en raison des règles sanitaires. Les chiffres qui, avant la pandémie, étaient particulièrement peu significatifs quant aux réunions et aux équipes à distancefont désormais partie de la « nouvelle norme ». Les outils Microsoft, Skype, Cisco’s Webex et Zoom ont permis le télétravail et les conférences en ligne. Selon Microsoft, l’utilisation de ses logiciels de collaboration en ligne a augmenté de près de 40 % en une semaine, avec quotidiennement au moins 900 millions de réunions et de comptes rendus d’appels sur Teams5.

Nouvelles façons de vivre

La réalité de la situation actuelle a entraîné un changement significatif dans les modes de vie. La pandémie a imposé à chacun une limite plus floue entre vie professionnelle et vie personnelle. En raison du travail et de la scolarisation à distance, les parents et les enfants ont été contraints de changer constamment et rapidement d’attitude et de fonction tout au long de la journée. Le monde occidental s’est mis à adopter une notion du temps qu’on aurait plutôt l’habitude de voir au Moyen-Orient avec des horaires fluides où s’entremêlent vies professionnelles et vies personnelles. Cette dynamique évolutive a conduit à des questions pressantes concernant ce qui importait vraiment.

Les normes culturelles passées commencent à être remises en question. Par exemple, l’aberration des embouteillages est devenue une question pressante. De nombreux cadres qui faisaient jusqu’alors la navette s’interrogent sur la nécessité d’effectuer de tels trajets au quotidien. Est-il nécessaire de prendre des vols urgents pour conclure des affaires avec des clients ? Est-il nécessaire de disposer d’un poste physique pour servir sa clientèle ? Ces anciennes nécessités sont devenues de plus en plus insensées à mesure que la pandémie a progressé.

La bataille entre la peur et l’inclusion est devenue le nouveau statu quo. Une peur accrue de mourir a encouragé certains à minimiser la menace réelle et les dommages potentiels que causerait la Covid-19.

Cela contraste bien sûr avec la grande majorité des personnes convaincues de la menace réelle et des conséquences possibles de la pandémie. L’agitation constante causée par cette lutte des points de vue a conduit à des politiques contrastées notamment aux États-Unis et en France. En outre, elle a également entraîné une tension sans précédent entre les pays et les chefs d’État en raison de la fermeture des frontières et d’un manque de cohérence ou de collaboration entre des superpuissances telles que l’UE, la Chine et les États-Unis. Le changement de statu quo, la confusion entre la famille et le travail et l’anxiété partagée dans notre société ont conduit à un mode de vie aux multiples facettes qui était jusqu’alors inexploré.

b) Nouveaux défis apparus

La technologie et les compétences nécessaires au passage au virtuel sont inégales selon les régions, les organisations et les employés.

Les cadres latino-américains ont réalisé que tous leurs employés n’avaient pas leur propre ordinateur portable avec webcam, une bonne connexion Internet, ni même un lieu de travail approprié à la maison. Des choses que certains considèrent comme allant de soi dans certaines régions ne sont pas une réalité dans d’autres. En ce sens, certaines entreprises devront procéder à des investissements initiaux afin de s’assurer que leurs employés peuvent effectivement travailler à domicile. Mais ce n’est pas tout. Un cadre mexicain qui a été confronté à ce problème affirme qu’il n’est pas logique de fournir aux employés tous ces outils s’ils ne savent pas comment les utiliser correctement. Il a été prouvé, par exemple, que des enseignants rencontrent des difficultés pour dispenser leurs cours en ligne et que des cadres, avec leur formation académique, n’avaient jamais appris à passer des commandes ou à effectuer des paiements en ligne. Des programmes de formation doivent donc être mis en place pour que les gens puissent profiter de ces équipements ; d’autant plus qu’ils sont de plus en plus nécessaires. Heureusement, les outils technologiques et le marché des technologies de l’éducation étaient déjà en pleine croissance avant la pandémie. Les investissements mondiaux dans les technologies de l’éducation en ligne ont atteint le montant record de 18,66 milliards de dollars en 20196 et il était prévu même avant la crise que le marché global de l’éducation en ligne atteindrait 350 milliards de dollars en 20257. C’est la raison pour laquelle il a été possible de passer à des activités d’apprentissage à distance durant la pandémie. Une nouvelle dynamique d’apprentissage plus fluide, plus flexible et plus auto-orientée pourra donc être mise en place.

Le caractère « inattendu » du changement de mode de travail et le manque de préparation des employés

Pour de nombreuses entreprises, le caractère « immédiat/urgent/forcé » qui les a amenés à travailler virtuellement, nous conduit aujourd’hui à distinguer la réalité du travail virtuel de ce que les études sur les équipes virtuelles et les équipes géographiquement dispersées nous avaient déjà appris. Quoique quelques entreprises aient pu établir les bases de ces processus de travail à distance, toutes les entreprises ont dû adopter cette façon de travailler par pure nécessité et non par choix. Des employés étaient peu formés ni préparés. Dans de nombreux cas, les employés ont dû apprendre par eux-mêmes et s’adapter à cette nouvelle façon de travailler en même temps qu’ils s’adaptaient à un nouveau mode de vie confiné. En parallèle, les parents devaient superviser leurs enfants scolarisés à la maison, garder leurs jeunes enfants, s’occuper de leurs aînés tout en s’habituant à l’anxiété de la pandémie et à l’enfermement forcé.

Les dirigeants et les cadres ont donc détecté l’importance de veiller au bien-être de leurs employés. C’était le moment de montrer de l’empathie et de demander aux gens comment ils allaient. Ce souci du bien de tous a opéré un changement notable au sein des ressources humaines à bien des égards. La sécurité psychologique est devenue l’atout précieux. La direction a pris conscience d’histoires personnelles qui seraient restées inconnues, comme le fait que certains employés soient sans domicile fixe, d’autres vivants dans des conditions précaires en raison de violences domestiques. Une nouvelle réalité est apparue, qui a montré les employés sous un jour plus vulnérable et peut-être plus humain. Certaines de ces histoires personnelles ne pouvaient plus être ignorées et ont conduit les dirigeants et les cadres à faire preuve de plus d’empathie en ces temps de crise. La solidarité entre les employés a également émergé, créant de nouveaux liens entre les collègues de travail. L’image des dirigeants est elle aussi devenue parfois plus humaine. Les voir entourés de leur famille, habillés de façon plus informelle, a jeté une lumière toute nouvelle sur beaucoup d’entreeux.

Certaines entreprises ont assumé des rôles et des responsabilités qu’elles n’avaient jamais assumés auparavant. Combien d’entreprises aurait-on vu auparavant enseigner à leurs employés comment adopter la bonne posture devant l’ordinateur portable ou quel temps passer devant l’écran sans pause ou leur suggérer des modes de vie plus sains ? Dans beaucoup de cas, cela ne se serait pas produit : soit parce que personne ne se serait rendu compte de son importance, soit parce que cela faisait partie de la vie personnelle de l’employé dans laquelle il aurait été malvenu de s’immiscer. Certaines entreprises (comme par exemple IMB) envoient des rapports quotidiens pour prévenir les accidents de travail à distance et prennent contact avec des programmes de coaching pour lutter contre le stress. C’est l’occasion de renforcer les relations employé-entreprise en prouvant que l’entreprise se soucie de son personnel. La Santander Bank Spain organise des webinaires où tous les employés ont la possibilité d’interagir avec le président et le PDG, et même d’être rejoints par des sportifs d’élite comme Rafael Nadal, ce qui étaye leur travail.

Les dirigeants, aujourd’hui plus que jamais, devront agir comme des modèles pour leurs employés.

La Gestion de la Productivité

Les départements des ressources humaines ont également dû faire face à de nouveaux défis, car ils devaient s’assurer que leurs travailleurs (dorénavant à distance) faisaient vraiment leur travail. La productivité du travail à distance est incertaine et, bien sûr, discutée. Les entreprises devront surveiller l’activité de leurs employés, en particulier pour ceux dont le travail n’est pas directement lié à des objectifs spécifiques, ce qui créera l’opportunité de développer de nouveaux mécanismes innovants. Un entrepreneur espagnol a dû le faire lors d’un premier confinement : il a mis en place un système qui faisait basculer un appel téléphonique d’un employé à un autre si le précédent n’avait pas pu décrocher. Il explique la grande efficacité de cette méthode, non seulement pour garantir aux fournisseurs et aux clients d’avoir un interlocuteur, mais aussi pour permettre à l’entreprise de détecter les performances de ses employés et notamment la mauvaise performance de l’un d’entre eux qui évitait systématiquement de répondre aux appels.

Le suivi devra être développé différemment selon les cultures, car dans certains cas, la vie personnelle et la vie professionnelle ont tendance à être extrêmement séparées et dans d’autres, cette relation peut être plus étroite. Néanmoins, comme l’a suggéré le Boston Consulting Group, une nouvelle culture basée sur la confiance que chacun fera son travail doit être « développée et entretenue de manière proactive »8.

Une nouvelle culture devra également émerger pour contrebalancer l’absence de communication en face à face. Pour certaines cultures d’origine latine comme l’Espagne, l’Italie ou la France, ne plus se toucher et ne plus rester côte à côte est une chose à laquelle les employés ne sont généralement pas habitués. Ils ont dû s’adapter subitement à cette nouvelle façon de travailler et cela a entraîné des sentiments d’isolement et de solitude. Il a été prouvé que l’interaction sociale délivre un pic de dopamine qui permet de faire face au stress ou à la déprime. L’adaptation reste le seul moyen d’y parvenir, cela ne fait pas de doute. Certaines entreprises ont organisé des pauses-café quotidiennes pour rattraper le temps perdu entre collègues et faire savoir aux autres comment ils se sentaient. D’autres ont encouragé les équipes à rester simultanément au téléphone toute la journée tout en travaillant, au cas où quelqu’un aurait besoin de poser des questions ou de faire des suggestions. Cela a été fait pour refléter autant que possible la situation dans les bureaux, où un collègue peut faire irruption à tout moment.

c) Nouvelles Tendances

Cette crise sans précédent donne naissance à de nouvelles tendances et sert d’accélérateur pour d’autres. La réinvention de la productivité à moindre coût, l’apprentissage en ligne, la numérisation et la responsabilité sociale des entreprises sont quelques-uns des thèmesclés.

Réinventer la Productivité du Travail

Heureusement pour certains et malheureusement pour d’autres, le télétravail devrait se répandre à grande échelle. Cela ne signifie pas nécessairement que tous les employés travailleront à domicile ou que ceux qui le feront ne feront jamais un pas dans les bureaux. Dans tous les cas, les entreprises vont chercher à maximiser les opportunités qu’apporte ce nouveau modèle de travail tout en relevant ses défis. Les défis les plus discutés sont les économies de coûts, les investissements à faire et la productivité, et enfin le bien-être des employés.

La réduction des coûts semble toujours attrayante dans le monde des affaires. Les conditions de travail à domicile généralisées (WFH : Work From Home) permettraient aux entreprises de réduire une large liste de coûts fixes. Moins d’espaces de travail seraient nécessaires, et donc les dépenses de loyer, d’éclairage et d’autres fournitures seraient probablement réduites. Les entreprises pourraient se passer des frais de déjeuner et de voiture de fonction pour leurs employés, ce qui réduirait à la fois leurs dépenses et leurs empreintes carbone. Mais certaines aberrations pourraient surgir autours de ces nouveaux modèles : que diriez-vous si une entreprise comme Uber venait à signer des contrats avec l’une de ces sociétés travaillant désormais complètement domicile et que chacun des employés de cette société n’ait à se rendre, que de temps en temps, à une réunion en présentiel ?

Est-il vraiment nécessaire de faire faire aux employés un trajet d’une heure dans des villes comme Tokyo, Istanbul ou Mexico ? Le ministère néerlandais des infrastructures et de la gestion de l’eau a souligné que l’intensité des embouteillages avait diminué en moyenne de trois fois aux Pays-Bas durant l’épidémie, alors que son économie était l’une des moins touchées de l’Union européenne9.

Dans diverses industries, entre quantité et qualité de travail, c’est vers la qualité qu’elles ont tourné leurs efforts. La réalité actuelle a en effet entraîné une réduction de la demande des consommateurs, ce qui a réduit les opportunités de production globales. Les entreprises se sont donc contraintes à fournir des produits et des services de grande qualité afin de conserver leurs revenus, leur bien-être et la satisfaction de leurs clients. Cela s’est fait dans un contexte d’horaires de travail en présentiel moins exigeant. En fait, les entreprises définissaient des temps de travail qui n’obligeaient pas les individus à être physiquement dans des bureaux. Par exemple, cette organisation à but non lucratif a créé un planning qui exige seulement que les personnes soient présentes dans un bureau deux jours par semaine et qu’elles effectuent le reste du travail à distance. Elle a également introduit des réunions stratégiques mensuelles de 2 jours en présentiel au cours desquelles les membres de l’équipe se sont concentrés sur une vision à plus long terme et ont mis l’accent sur l’élément humain. Cette organisation a, depuis le début de la Covid-19, revu la surface de location de ses nouveaux locaux à la baisse (au moins de 50 %).

Cette flexibilité s’accompagne, il faut le souligner, d’une plus grande implication et d’une plus grande autonomie. Le besoin de qualité a entraîné un allongement des heures de travail et une augmentation de la charge de travail. Les concepts antérieurs, tels que les heures supplémentaires, n’existaient plus dans une telle situation de crise. La question reste à savoir si l’effort sur la qualité a généré une baisse ou une augmentation de la productivité ? Une diminution ou une intensification du stress ? et enfin une détérioration ou une amélioration de la qualité de vie au travail ?

L’Apprentissage en Ligne

La pandémie a entraîné une mutation forcée du système éducatif dans la plupart des pays. Plus de 1,2 milliard d’enfants dans le monde ont été touchés par les fermetures d’écoles10. Des pays comme les États-Unis ont plongé dans la tourmente les enfants fréquentant les écoles primaires, secondaires et supérieures. Récemment, Donald Trump a déclaré que les étudiants étrangers qui suivent des cours en ligne ne sont pas autorisés à rester dans le pays. Cette mesure a également incité à mettre davantage l’accent sur les solutions en ligne telles que des cours via Zoom, Coursera et Blackboard. Mais qu’est-ce que cela signifie pour des enfants et des personnes défavorisées ? 25 % des enfants défavorisés aux États-Unis ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour accéder aux cours en ligne. Des millions d’autres de par le monde, boursiers, usagers des bibliothèques, et consommateurs d’activités extrascolaires, ne peuvent plus profiter de ces ressources que leur à l’école leur procurait jusqu’alors. L’apprentissage en ligne est une solution pour le côté académique mais il ne remplacera jamais l’aspect social de l’école. De nombreux étudiants utilisent l’école pour pouvoir prendre leurs repas quotidiens ou encore pour s’éloigner d’environnements familiaux peu propices. Mais dans un même temps, ces nouveaux systèmes ont eu le bénéfice aussi de rapprocher les familles et de produire un environnement où études et famille se confondaient. On peut ainsi voir naître une implication et une responsabilisation accrue des parents, qui doivent agir en tant qu’éducateurs, entraîneurs sportifs et mentors.

Accélération du Passage au Numérique

Simultanément, nous avons assisté à un autre énorme phénomène : la question du commerce électronique, de la numérisation et de l’augmentation des connexions. Tant du côté des consommateurs que des entreprises, on a constaté une augmentation importante de l’utilisation des plateformes en ligne pour effectuer des achats. Forbes montre qu’il y a eu une croissance de 146 % de toutes les commandes de détail en ligne aux États-Unis et au Canada en date du 21 avril11. Par ailleurs, une étude réalisée par McKinsey a montré qu’environ 55 % des consommateurs chinois continueront à acheter des produits d’épicerie en ligne lorsque la crise pandémique sera terminée12. Ceux qui y étaient plutôt réticents auparavant n’ont pas eu d’autre alternative que de s’y mettre en temps de confinement.

Par ailleurs, le fait d’être référencé en ligne peut être une lueur d’espoir pour toutes les petites et moyennes entreprises qui ont souffert des effets du confinement. Certaines de ces entreprises, qui ne disposaient pas des logiciels et des structures nécessaires pour passer en ligne, l’ont fait par l’intermédiaire de tiers. Rappi, une application mobile colombienne de livraison à la demande, a joué un rôle important en tant que tiers pour les entreprises des pays d’Amérique latine. Elle a été principalement utilisée pour les achats en épicerie et comme service de messagerie. Ces entreprises ont aussi profité de ses bases de données, de sa distribution et de sa zone d’influence pour utiliser l’application afin de stimuler leur processus de numérisation. De leur côté, les grandes multinationales, conscientes de cette demande croissante, devront encore pousser et agrandir leurs centres de distribution et leurs sites en ligne si elles veulent réussir dans cette nouvelle normalité. Si l’on prend l’exemple du secteur de la distribution du luxe, où les clients peuvent être plus réticents à dépenser de grosses sommes d’argent en ligne, de grandes marques de luxe italien implantées au Mexique se sont également adaptées à cette difficulté en offrant une assistance aux clients lors du processus de décision et du passage à la caisse. Comme le suggère McKinsey & Company, les marques de luxe se trouvent dans une situation où, plus que jamais, l’engagement des clients est essentiel13. Elles pourraient être alors appelées à utiliser de nouveaux outils pour mettre en relation les clients avec leurs marques. Le développement de « l’expérientiel virtuelle », avec pour but de créer une expérience unique bien que virtuelle pour l’acheteur,pourrait représenter un réel investissement à valeur ajoutée pour toutes les marques. Néanmoins, tous ces efforts de formation et d’engagement par le biais d’approches expérientielles alternatives nécessitent non seulement une innovation technologique mais aussi une révision stratégique de l’ensemble de l’entreprise.

La pandémie a complètement bouleversé tous les facteurs sociaux, entrepreneuriaux et économiques. Jamais, comme aujourd’hui, les entreprises n’ont autant été appelées à innover et à revoir leurs modèles. Bien entendu, Alibaba, le géant chinois du commerce électronique, n’a pas hésité à le faire : il est en train de faire évoluer le commerce individuel en ligne vers le shopping social en ligne. Les utilisateurs communiquent désormais entre eux et enrichissent les informations sur les produits, regroupent les produits dans des listes thématiques et les partages avec leurs amis.

La créatrice de mode Anifa Mvuemba, 29 ans, est désormais connue comme étant la mère des défilés de mode virtuels. Elle a attiré l’attention de millions de personnes rien qu’en lançant sa nouvelle collection avec un défilé en 3D en direct sur Instagram.

Passons aux soins de santé : les applications de consultation en ligne ont commencé à prendre part au jeu. Une énorme croissance du marché est prévue dans les années à venir.

Nouvelle Responsabilité Sociale des Entreprises et de ses Dirigeants

Il n’y a jamais eu de moment plus propice pour bouleverser l’orientation et les questions traitées par les entreprises au niveau de leur responsabilité sociale. La fermeture d’usines et de sites industriels et la réduction de l’utilisation des voitures ont entraîné une diminution des émissions de carbone. Du reste, elle a entraîné un changement écologique général à court terme. La preuve en est la demande accrue de voitures électriques. Des entreprises comme Tesla sont devenues la première marque automobile mondiale en termes de capitalisation boursière. Mais, la baisse du prix du pétrole pourrait inversement réduire les coûts associés à la gestion et à la conduite d’une voiture à essence et pourrait donc inverser les tendances écologiques actuelles.

La responsabilité sociale des entreprises contribue à faire évoluer et à améliorer le niveau d’éducation pour tous. Des organisations telles que IBM, l’IFP et le magazine i-D ont créé des plateformes et des contenus gratuits pour les enfants. Apprendre à analyser des données et à mettre en page des magazines sont des compétences pratiques nécessaires pour se former à myriade d’emplois différents. L’accent mis sur l’éducation crée des liens durables et augmente les compétences potentielles de la future main-d’œuvre, établissant ainsi une empreinte durable.

Malgré la nécessité de révolutionner la responsabilité sociale des entreprises, la plupart des changements découleront de manière significative du traumatisme et des effets de la Covid-19 sur les problèmes quotidiens de la société. De nombreux pays à travers le monde, dont l’économie est vulnérable, pourront souffrir d’une pauvreté accrue entraînant une augmentation du travail infantile. Le traumatisme et le manque d’argent pourraient conduire à une augmentation du travail illégal et de la consommation de drogues dans certains pays. Tout ceci modifiera alors les priorités de la responsabilité sociale des entreprises. Cela nécessiterait une approche différente. Le fait est que les organisations surveillent de près les effets potentiels de la pandémie et qu’elles ont déjà montré qu’elles seraient prêtes à s’adapter et à créer de nouvelles façons de traiter cette responsabilité sociale.

La résilience est un terme qui est partout aujourd’hui. C’est la capacité à se remettre ou à s’adapter facilement à un malheur ou à un changement. C’est peut-être, aujourd’hui, la véritable opportunité pour tous les individus, les entreprises et les sociétés. Compte tenu de tous les changements évoqués, les accélérations et incertitudes qui subsistent, ce dont le monde a besoin aujourd’hui ce sont des dirigeants résilients et énergiques. Personne ne s’attendait à une crise sans précédent affectant le monde entier, mais il est clair que ceux qui s’adaptent malgré l’adversité seront dans une situation plus favorable pour une éventuelle crise à venir. Ce livre est une tentative collective d’examiner les aspects quotidiens du travail ayant été fondamentalement affectés avec le passage au virtuel lors de cette pandémie de la Covid-19. Il a pour but d’essayer d’explorer de nouvelles idées, de nouveaux processus qui pourraient transformer ce virtuel en un lieu de travail plus vertueux.

Le livre est écrit sous forme de chapitres co-écrits par des alumni et des étudiants ESSEC travaillant en étroite collaboration. Nous aborderons l’impact sur l’organisation du travail, le travail d’équipe, le rôle essentiel de la facilitation pour l’innovation, l’apprentissage en ligne, le leadership empathique et nous élargirons le spectre afin d’embrasser, dans le processus, les différences culturelles.

1 Builtrago-Garcia & al. (2020). Occurrence and transmission potential of asymptomatic and presymptomatic SARS-CoV-2 infections: A living systematic review and meta-analysis. PLoS Med 17(9): e1003346. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1003346

2 OMS

3 https://www.mckinsey.com/business-functions/risk/our-insights/Covid-19-implications-for-business

4 International Labour Organization – April 2020

5 Wakabayashi, Nicas, Lohr, & Isaac, 2020 - https://www.nytimes.com/2020/03/23/technology/coronavirus-facebook-amazon-youtube.html

6https://markets.businessinsider.com/news/stocks/2019-global-edtech-investments-reach-a-staggering-18-66-billion-1028800669

7https://www.globenewswire.com/news-release/2019/12/17/1961785/0/en/Online-Education-Market-Study-2019-World-Market-Projected-to-Reach-350-Billion-by-2025-Dominated-by-the-United-States-and-China.html

8 Strack & al. 2020. People priorities in response to Covid-19 – Boston Consulting Group

9 https://www.europeandataportal.eu/en/impact-studies/Covid-19/Covid-19-related-traffic-reduction-and-decreased-air-pollution-europe

10 Li & Lalani (2020). The Covid-19 pandemic has changed education forever. This is how. World Economic Forum. https://www.weforum.org/agenda/2020/04/coronavirus-education-global-Covid19-online-digital-learning/

11 Columbus (2020). How Covid-19 Is transforming E-commerce. Forbes https://www.forbes.com/sites/louiscolumbus/2020/04/28/how-Covid-19-is-transforming-e-commerce/#4d5e5fa13544

12 Leung et al. (2020) Fast-forward China: How Covid-19 is accelerating five trends shaping the Chinese economy. McKinsey. https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/fast-forward-china-how-Covid-19-is-accelerating-five-key-trends-shaping-the-chinese-economy

13 Achille & Zisper (2020). A perspective for the luxury-good industry during-and after-coronavirus. McKinsey & Company. https://www.mckinsey.com/industries/retail/our-insights/a-perspective-for-the-luxury-goods-industry-during-and-after-coronavirus

CHAPITRE 1 : Coup d’accélérateur sur le télétravail : quels impacts pour les salariés et les entreprises ?

Véronique de Muizon

Avec la collaboration

d’Hana Hakahori

INTRODUCTION

30 mars 2020, Université SKKU - Séoul – Après plusieurs mois de cours à distance pour cause de crise sanitaire, Min-Ho, étudiant de 21 ans, retourne enfin sur le campus pour son premier cours en amphithéâtre, tout juste réouvert. Démarrage du cours. Le professeur se dirige vers le fond de l’estrade et se place devant son ordinateur, dos à la salle. Ouverture de l’application de visioconférence . Chaque élève est invité à se connecter individuellement sur son ordinateur personnel, à partir de sa position assise dans l’amphithéâtre. Aucune interaction physique avec le professeur. L’accès aux supports de cours se fait exclusivement sur son écran d’ordinateur individuel. Pas de contact, pas de regards croisés, pas de liens charnels dans cet amphithéâtre tout juste réouvert. Les étudiants sont pourtant tous dans la salle ; le professeur restera dos tourné pendant toute la séance. Pour suivre correctement le cours et avoir accès aux ressources indispensables, une seule possibilité : garder le nez sur son écran d’ordinateur individuel pendant tout le cours. Min-Ho ne reverra le visage de son professeur qu’à la fin, une fois le cours terminé, pour se dire au revoir « de visu »… Car pendant les quelques semaines de confinement, les habitudes ont changé. Les outils digitaux sont devenus le cœur des échanges sociaux et de la transmission des savoirs. Et au final, même quand tout le monde peut se retrouver physiquement, certains professeurs préfèrent maintenir les échanges en mode digital. La semaine suivante, Min-Ho fera le choix de suivre ce cours à distance en restant chez lui, ce qui lui épargnera les quarante-cinq minutes de trajet en métro pour se rendre sur le campus. Et pourtant le nom de l’Université, « Sungkyunkwan » signifie en Coréen « institution pour construire une société harmonieuse »…

26 avril 2020, région parisienne – J’appelle Fernand, mon fils de 30 ans, en visioconférence. Je le découvre en tenue de sport, transpirant, en train de pédaler et de haleter ; derrière lui un paysage grandiose de haute montagne se déploie, et j’aperçois même d’autres cyclistes en train de peiner comme lui, avec le même objectif : franchir le col du Stelvio dans les Dolomites, le plus haut col routier des Alpes italiennes, qui culmine à 2 758 m d’altitude. Je pensais pourtant trouver Fernand enfermé dans son appartement parisien, en plein confinement ? Seul petit indice : à l’image, je remarque que Fernand ne porte pas de casque. Il m’explique alors que cette ascension du Stelvio, prévue de longue date avec ses amis cyclistes, a en effet lieu aujourd’hui… mais en restant chacun dans son appartement, consignes sanitaires obligent. Fernand et son peloton sont en train de réaliser ce projet sportif sur Zwift, un simulateur conçu comme un jeu vidéo multijoueur qui projette sur écran les paysages réels du lieu, et qui adapte la résistance de pédalage en fonction du relief réel du lieu projeté ; le tout en utilisant son vrai vélo de course fixé à un support qui le maintient immobile sur le sol mais permet de pédaler comme en montagne…. Fernand termine ses explications hachées et reprend son souffle pour attaquer le final : le sommet n’est plus très loin et un de ses coéquipiers est en train d’attaquer, il faut aller l’aider pour que son équipe passe le col en tête !

4 mai 2020, quelque part en Mayenne – Lila, professeure émérite de piano, est en train de donner un cours par Skype à Esteban, son jeune élève de 10 ans. Chacun est confiné dans son « chez soi », l’un à la ville l’autre à la campagne. Le cours se déroule bon an mal an. La position de l’ordinateur est ajustée pour zoomer sur les mains et en détailler la position, et le mini haut-parleur permet de limiter les dégâts sur la qualité du son qui sort de tout cela. Esteban fait son maximum pour essayer de bien observer les gestes montrés sur l’écran, et de les reproduire sur le clavier de son piano à lui. Brusquement, l’écran d’Esteban devient tout noir : plus de son, plus d’image. Le cours s’arrête. Aucune explication. Dans les minutes qui suivent, le téléphone sonne : c’est Lila. Elle subit une panne de courant dans la zone rurale où elle a choisi de se réfugier pour la période de confinement. Cause de la panne ? Inconnue. Durée de l’interruption ? Indéterminée. Que faire ? Pas grand-chose. Fin du cours pour ce jour-là. Rideau.

27 mars 2020, place Saint-Pierre, Rome – Le pape François prononce une bénédiction urbi et orbi exceptionnelle. Il est absolument seul, minuscule personnage en blanc sur le parvis de la Basilique battu par la pluie, au milieu de la place Saint-Pierre totalement vide. Cette image du pape, chef spirituel de l’une des religions les plus répandues dans le monde, esseulé et parlant face au vide, sous cette pluie battante, met en lumière de façon brutale l’absurdité du tout à distance, l’importance du regroupement physique, et le sens de la communion de foule. On a le même type de ressenti en voyant les matches de foot sans public, dans des stades vides : quelle tristesse…

Mais quelle est donc cette étrange période que nous traversons ?

Rubalise, distanciation sociale, quatorzaine, gel hydroalcoolique, confinement, déconfinement, gestes barrières, cluster, taux d’incidence, hydroxychloroquine, visioconférence, attestation de déplacement dérogatoire, présentiel, distanciel... Tant de nouveaux mots découverts en si peu de temps ! Le vainqueur du Tour de France 2020 monte sur le podium des Champs Élysées un soir de septembre. Il arbore fièrement le maillot jaune, bien sûr, le symbole plus que centenaire de cet événement ultra-populaire… mais cette année-là, il porte aussi le masque… jaune ! Qui l’eûtcru ?

Difficile aujourd’hui d’assimiler ce qui s’est passé, tout cela a été si brusque ; en particulier pour nous, occidentaux, habitués à tout comprendre, tout contrôler, tout maîtriser. Et encore plus difficile d’imaginer à quoi vont ressembler les mois et années à venir. Certaines choses passeront. Et d’autres vont rester. Le télétravail fait partie de celles-là. La période post-Covid rebat les cartes sur l’organisation du travail en général, et sur le déploiement massif du télétravail en particulier. Un consensus émerge sur le fait que la pratique du télétravail à grande échelle va probablement perdurer. Car tout le monde s’accorde pour reconnaître que le télétravail peut fonctionner ; encore faut-il l’encadrer, l’accompagner, l’adapter, l’expliquer.

Notre propos va s’attacher dans un premier temps à faire le constat de ce qu’on a observé dans la période de télétravail intégral. Puis nous expliciterons les questions de fond que cette expérience soulève. Et enfin nous proposerons des premières pistes d’action pour intégrer de façon vivable et durable ces mutations de l’organisation du travail que nous sommes en train de vivre.

Nous avons vécu au printemps 2020 une expérience unique de télétravail : une grande partie des salariés se sont retrouvés, du jour au lendemain, attachés à travailler de chez eux, pour une période longue et indéterminée, et pour certains avec de jeunes enfants à la maison. Cette expérience constitue une sorte de pilote à grande échelle sur une période longue, et cette observation permet de tirer certains enseignements sur le télétravail. Mais c’est aussi un moment très atypique, car ces observations se déroulent dans un contexte inédit ; pour en tirer les enseignements il s’agit donc de bien faire la part des choses, entre ce qui est intrinsèque au fonctionnement du télétravail et ce qui provient du contexte.

Cet épisode a été très atypique car :

C’est un changement brutal, rapide, dans une atmosphère de « catastrophe », avec plusieurs chocs à absorber en même temps. Durant cette période, on ne concentre pas toute son attention sur cette adaptation au télétravail. Notre esprit est très préoccupé par des enjeux qui dépassent la simple découverte du travail à la maison.

C’est un changement imposé, et non une volonté du salarié voire de l’entreprise. Qui plus est, il est motivé par un facteur négatif et anxiogène : la peur du virus et l’impression qu’on est en train de perdre le contrôle des choses ; ce qui dans nos esprits cartésiens d’occidentaux, est une sensation nouvelle et particulièrement inconfortable.

C’est un changement non préparé : la précipitation de cette mise en place fait que les outils de travail à distance (ordinateur portable et accessoires, logiciels de communication...) ne sont pas forcément disponibles, maîtrisés voire acceptés ; quant au domicile, qui s’improvise comme notre « nouveau bureau » entre le lundi soir et le mardi midi, il n’est pas conçu pour y travailler sur une longue période.

C’est un changement systématique : il concerne toute l’équipe et il est exercé à plein temps ; contrairement au vrai télétravail qui se pratique de façon complémentaire, cette forme d’activité intégrale à domicile n’est pas réellement du télétravail au sens où les experts le définissent.

Enfin, pour la première fois, toutes les personnes du foyer se retrouvent ensemble à la maison. La porosité pro-perso s’accentue, et deux mondes qui jusqu’ici tentaient de garder leurs distances bon an mal an, reçoivent de plein fouet une fusion plus subie que souhaitée.

Cette expérience est une occasion unique d’en apprendre plus sur le télétravail et les modes de travail à distance en général. En prenant soin de filtrer les effets liés à cette période particulière de crise sanitaire pour ne conserver que les éléments durables, nous allons tenter dans ce chapitre de mieux comprendre et identifier :

1- Ce que l’on a constaté dans cette expérimentation : les bonnes surprises mais aussi les limites qui apparaissent assez vite

2- Les questions que ces observations soulèvent, et les notions que cela bouscule pour nous. Sur notre rapport au travail, sur le rôle de l’espace de travail, sur la relation managériale, sur la porosité entre la vie professionnelle et la vie familiale, sur les nouvelles inégalités que cela génère, sur les disparités culturelles…

3- Quelques pistes de réflexion et propositions concrètes d’action pour l’avenir ; du point de vue du collaborateur et de celui du manager. Mais également du point de vue de l’entreprise, en tant qu’organisation en général, et pour certaines fonctions en particulier : ressources humaines et immobilier notamment.

PARTIE 1 : Lors de ces deux mois de « télétravail » à grande échelle, nous avons découvert beaucoup de bénéfices. Mais nous touchons aussi du doigt certaines limites

a) Des bénéfices ont émergé sur les dimensions professionnelles et personnelles :

D’une façon générale, on constate que le télétravail a plutôt bien fonctionné, contrairement à ce que l’on pouvait craindre, et aux représentations que beaucoup de décideurs et de managers avaient du télétravail : « dans télétravail, il y a surtout ‘télé’ » disaient certains avant cet épisode. A posteriori, on peut constater que dans télétravail il y a aussi beaucoup ‘travail’ ; parfois même plus qu’au bureau.Les freins managériaux traditionnels, qui semblaient inaliénables, se sont estompés brusquement, selon le précepte « nécessité fait loi ». Globalement, les outils digitaux ont bien fonctionné et les réseaux informatiques ont tenu. Les Teams, Skype et autres Zoom ont vu leur nombre d’utilisateurs exploser, et même les plus réfractaires ont réussi à s’approprier ces usages, motivés par l’apport d’un bénéfice fondamental en cette période anxiogène : rester connectés aux autres. On a constaté fin mars 2020 que plus du tiers des actifs en télétravail s’étaient mis à utiliser des outils numériques qu’ils utilisaient peu ou jamais auparavant.14

Sur le plan professionnel, les télétravailleurs déclarent un bon niveau de productivité, notamment pour les tâches individuelles : 4/5 e des personnes déclarent que leur productivité est stable ou améliorée lorsqu’ils travaillent depuis leur domicile, indique une enquête Colliers International réalisée entre mars et juin 2020 sur 5000 personnes dans le monde. Cette perception varie selon la pièce de la maison d’où l’on travaille : ceux qui ont un espace dédié se sentent les plus productifs, alors que ceux qui travaillent dans la cuisine déclarent la moins bonne productivité. Toujours selon cette étude, le travail individuel est plus efficace à la maison, alors que la collaboration est moins facile, que ce soit la participation aux réunions ou les interactions spontanées avec les collègues. Sur le travail individuel on va plus loin. Les sollicitations et interruptions sont moins nombreuses, ce qui permet de consacrer un temps de concentration individuelle plus continu, de mieux s’imprégner d’un sujet et de permettre une réflexion plus aboutie. Ce qui peut aussi se révéler fructueux pour la créativité : comme le précise le psychologue du travail Sébastien Métayer dans son article « Le brainstorming, un frein à la créativité ? » :« de nombreuses études en psychologie sociale et cognitive ont permis de constater que les individus produisent moins d’idées et des idées moins originales lorsqu’ils brainstorment à plusieurs que lorsqu’ils sont seuls ». Le temps de réflexion individuelle avant une session de créativité collective est important pour exprimer son plein potentiel de créativité. Cet effort de concentration est souvent plus facile à la maison qu’au bureau.

La connexion avec l’équipe est perçue comme assez bonne (77 % des personnes ont eu le sentiment qu’ils sont restés connectés à leur équipe pendant la période de télétravail imposé) que ce soit pour collaborer sur des dossiers ou pour des échanges informels. Parfois, une certaine forme d’intimité a commencé à émerger au sein de l’équipe, résultant de cette nouvelle forme d’échange, subtil mélange d’hyperconnexion et de distance physique.

Dans certaines équipes on instaure en effet des règles et des rituels : réunions d’équipe, appels quotidiens de collègues, «morning wake-up» et autres «afterwork», qui s’avèrent essentiels pour maintenir le lien. Chez Veolia par exemple, quelques règles ont été définies : un contact par jour minimum avec chaque salarié en télétravail, la nécessité de faire des pauses (en les inscrivant automatiquement dans les agendas), des réunions types de 55 minutes plutôt qu’une heure pour ménager des temps de battement. «L’objectif est d’éviter les tunnels et l’enchaînement des tâches et réunions sans pause, avec le risque de s’épuiser», précise Didier Bove le Directeur des systèmes d’information. Ces types de routines d’équipe ont aussi prouvé leur effet sur la productivité : les personnes qui ont un rendez-vous fixé avec l’équipe dans la journée se déclarent plus productives, alors que celles qui sont isolées de l’équipe se sentent moins efficaces.

Les collaborateurs se libèrent de l’emprise du présentéisme, et ont l’impression de concentrer leur temps et leurs efforts sur l’utile et l’essentiel, en gommant le superflu et en reprenant le contrôle de l’allocation de leur temps. Toutefois, on peut se demander si parfois, le superflu n’est pas justement essentiel ? Les échanges à bâtons rompus autour de la machine à café, les rencontres fortuites au détour d’un couloir ou d’un ascenseur ne sont-ils pas un terreau favorable à la génération d’idées nouvelles et les ferments d’un lien fédérateur, propres à nourrir la culture de l’organisation et le sentiment d’appartenance de chacun ?

Sur le plan individuel, on rééquilibre le professionnel et le personnel. En supprimant le temps de transport quotidien, conséquent dans les grandes métropoles, on bénéficie brusquement de temps personnel additionnel. Plus particulièrement, la période de confinement a été l’occasion de réinvestir du temps dans la sphère privée : sport, famille, culture, initiatives solidaires ou créatives, développement personnel ; ce temps supplémentaire est d’ailleurs réinvesti aussi en temps de travail, comme le mesure une étude publiée par VPN en avril 2020. La suppression des déplacements pendulaires permet également de diminuer la fatigue, le stress et la tension générés par les moyens de transport.

Ce nouveau cadre de travail est flexible et on peut l’adapter à ses besoins plus facilement qu’au bureau ; on a plus de souplesse pour choisir son rythme, choisir son moment voire son lieu de travail au fil de la journée. Et pour ceux qui y prêtent attention, on peut aussi mieux respecter sa chronobiologie et ses préférences organiques : lumière, espace sonore, aération... Pendant la période de confinement, le cadre de certains a été très agréable (jardin, campagne...). À tel point qu’une partie de ceux qui travaillaient à domicile a eu du mal à revenir au bureau une fois le confinement levé… Cette situation a aussi pointé l’hétérogénéité des conditions de confinement entre les Français. Et de façon plus générale, on a pris conscience que nous ne sommes pas tous égaux face au télétravail.

Enfin, d’un point de vue environnemental on apprécie de pouvoir réduire son empreinte carbone. La diminution radicale des déplacements pendulaires a redonné une respiration à la ville. Cet effet spectaculaire notamment pendant la première période de confinement a accentué notre prise de conscience et mis en relief pour chacun l’impact positif de toute journée de télétravail. Les repas pris à la maison sont mieux maîtrisés : on cuisine maison, on maîtrise mieux la provenance des ingrédients, on chasse la surconsommation d’emballages individuels en plastique, on dose mieux la quantité consommée.

Contre toute attente, cette période de télétravail à grande échelle s’est donc plutôt bien passée, et a apporté son lot de bonnes surprises et d’effets bénéfiques que l’on n’avait pas forcément anticipés. Les utilisateurs se disent satisfaits, et l’on constate même avec étonnement que plus des deux tiers des « primo-télétravailleurs » ont envie de continuer au moins 1 jour par semaine après cet épisode contraint.

b) Toutefois, après plusieurs semaines, des limites sont progressivement apparues, et l’on a découvert que l’on ne peut pas tout faire à distance

Au fur et à mesure que les semaines s’écoulent, le prisme individuel reprend naturellement le dessus. Pour conserver le lien avec les autres, le collectif doit se programmer, on se retrouve à surplanifier les échanges et les réunions : les rencontres aléatoires n’ont plus leur place, la spontanéité se perd dans les limbes des échanges téléphoniques et des visioconférences à outrance. La distance limite la possibilité des échanges spontanés et requiert une dose supplémentaire de formalisme et de planification ; une journée de télétravail se résume souvent à une multiplication de temps d’échanges planifiés, dont l’accumulation génère une fatigue nerveuse conséquente. Les outils digitaux tentent vaguement de compenser, en proposant moult chats et autres émoticônes au détour des visioconférences et échanges digitaux… Mais ils ne font pas le poids face au pivot central qu’est la relation physique, spontanée ; car la rencontre aléatoire, créatrice de surprise, est porteuse à la fois de stimulation, d’innovation, d’idées nouvelles, d’envie, d’énergie collective. Dans le cadre du bureau, le collectif prévaut par défaut : pour retrouver son intimité ou sa concentration, l’individu doit s’extraire du milieu tourbillonnant de l’open space et se « replier » dans un espace dédié - baptisé « bulle » fort à propos. Dans le cadre du domicile, le rapport s’inverse : l’individuel est au centre. Sans routine d’équipe, sans effort quotidien pour maintenir le lien et organiser le collectif, l’individu peut assez vite se retrouver esseulé, concentré sur son seul travail individuel. Certes productif, mais aussi déconnecté du travail d’équipe et de la vie de l’entreprise.

Conséquence de cette distanciation, le lien social a tendance à se déliter et on perd progressivement le sentiment d’appartenance. Le baromètre Odoxa quantifie cet effet : 57 % des Français pensent que le télétravail diminue le sentiment d’appartenance à une entreprise. On s’éloigne de la raison d’être de l’entreprise, on ne contribue plus à l’histoire commune, à l’émergence des mythes, à la pratique des rites, à la préservation des tabous. On ne participe plus à ces mille petits riens qui sont constitutifs de la culture d’entreprise. On ne se nourrit plus du plaisir d’être ensemble, de réaliser une œuvre collective. Tous ces éléments mis bout à bout qui nous permettent de « faire société ». Avec le temps, le sens du travail peut alors perdre de sa substance.

Par ailleurs, certains experts en psychiatrie estiment que le lien social est l’un des principaux régulateurs de stress. La mise à distance physique, en dégradant ce lien aux collègues et relations de travail, a donc un effet négatif sur notre résistance au stress. En télétravail, quand on a un coup de moins bien ou une difficulté, on peut se retrouver seul sans aucun soutien, précisent ces mêmes experts… Ainsi on se rend compte que, paradoxalement, le télétravail a un effet immédiat de réduction du stress sur les aspects physiques et organisationnels : transports, confort, flexibilité… Mais que sur une longue période, il peut générer un nouveau type de stress par son effet désocialisant. Nicholas Bloom, professeur à Stanford, a conduit une étude longue sur deux échantillons de salariés d’une même compagnie chinoise ; ceux qui travaillaient exclusivement à la maison ont enregistré une meilleure productivité, un absentéisme réduit et même une plus grande satisfaction professionnelle par rapport à ceux qui travaillaient au bureau. Et pourtant, au bout de 9 mois d’expérimentation plus de la moitié d’entre eux ne souhaitaient pas poursuivre cet essai et ont préféré revenir au bureau : le sentiment d’isolement, au fil des mois, leur était devenu insupportable. Le psychiatre Éric Albert, directeur du cabinet Uside spécialisé dans le bien-être au travail, analyse ce phénomène : « Ce modèle peut convenir à des jeunes, super compétents dans leur domaine, autonomes, en bonne santé, archiéquilibrés par ailleurs, mais ne saurait être étendu au plus grand nombre, estime le psychiatre. Vous verrez que ceux qui l’encensent changeront d’avis dès qu’ils rencontreront un problème ». On ne peut donc pas généraliser le rapport au télétravail, et avant d’aller plus loin dans un possible déploiement à grande échelle, il nous faudra analyser de façon plus fine les enjeux de chacun : l’individu, le collectif mais aussi le manager.

Car sur le plan managérial, les choses ne sont pas si faciles. Le manager d’équipe se retrouve sous pression : propulsé en position de coach et de soutien de son équipe, il est pivot dans la mise en place de ces nouvelles pratiques du travail… En perdant la proximité physique avec son équipe, il perd aussi le contrôle visuel et la capacité à démontrer par l’exemple. Il est obligé de faire plus confiance, ce qui peut être particulièrement difficile pour un profil de type « contrôlant ». Manager à distance requiert de faire évoluer son style managérial en laissant la part belle à la délégation et à la confiance. Dans le contexte du confinement où les changements se sont faits à marche forcée, certains managers ont pu perdre leurs repères voire se sentir remis en question.

Le travail rentre encore plus dans notre vie privée. La perte de repères en télétravail est aussi provoquée par cette nouvelle porosité que l’on a observée entre la sphère professionnelle et la sphère personnelle. L’ordinateur professionnel encombre la table du salon, la famille s’invite en réunion. Ces deux mondes, à l’origine disjoints, se rapprochent irrémédiablement depuis l’irruption des outils digitaux dans l’équipement professionnel, mais aussi avec l’avènement de la civilisation du loisir qui propulse nos activités personnelles jusqu’au cœur des journées de travail. Avec le télétravail à grande échelle, ces deux sphères tout d’un coup partagent le même espace - la maison - mais aussi la même plage de temps ; car la journée se planifie en mixant les échéances professionnelles et les activités personnelles. Le flou s’installe, les contours se dissipent, les mondes se mélangent, les repères s’estompent. Ces contours incertains sont générateurs de stress pour le collaborateur, et on observe l’émergence de nouveaux risques psychosociaux :

✓Une déconnexion insuffisante voire inexistante. La journée de travail n’est plus définie par les bornes de début et de fin, matérialisée par le transport et le changement de lieu. Faute de ces sas de décompression naturels, les signaux de déconnexion disparaissent et l’activité ne s’arrête jamais vraiment. Conformément à la « théorie de l’échange social », lorsqu’on permet aux employés de travailler plus souvent à distance, ils travaillent davantage, lit-on dans la Harvard Business Review. Les choses ne sont pourtant pas aussi binaires : une grande banque française a mesuré le temps de travail de chaque salarié pendant la période de confinement, et cette observation a permis de distinguer deux comportements bien distincts ; une partie des salariés ont nettement augmenté leur temps de travail : faute de repères dans le temps d’une journée de travail, ils en ont fait beaucoup plus que s’ils avaient été sous le contrôle direct de leur hiérarchie. Mais une autre partie a diminué significativement leur niveau d’activité, profitant de l’effet d’aubaine procurée par la baisse de contrôle de la hiérarchie. On se rend compte qu’avec le télétravail on devient à la fois son propre maître… et son propre esclave ! Selon sa personnalité, son rapport au travail, et son engagement vis-à-vis de l’employeur, on basculera plutôt d’un côté ou de l’autre.

✓La multiplication des outils de communication (plateforme de visioconférence, réseaux sociaux, messagerie électronique…), génère une surexposition aux écrans et sursollicite l’individu