Accidents de parcours - Henry Spietweh - E-Book

Accidents de parcours E-Book

Henry Spietweh

0,0

Beschreibung

Saviez-vous qu’on peut voyager dans le temps en allant à la piscine municipale de Schaerbeek, que la bureaucratie à rallonge n’est pas une invention allemande mais belge, que la meilleure manière d’occuper ses amis est de les faire attendre un technicien internet qui ne pointera jamais le bout de son nez et qu’à Bruxelles certaines personnes souffrent d’une maladie très rare nommée « champanius abundantia » ? Henry Spietweh, JP Bouzac et Jochen Bittner vous racontent comment ils ont fait ces étonnantes découvertes en vous livrant des histoires courtes et amusantes que vous lirez d’une traite sans jamais, au grand jamais, avoir envie de vous arrêter.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 216

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



A propos du livre

Saviez-vous qu’on peut voyager dans le temps en allant à la piscine municipale de Schaerbeek, que la bureaucratie à rallonge n’est pas une invention allemande mais belge, que la meilleure manière d’occuper ses amis est de les faire attendre un technicien internet qui ne pointera jamais le bout de son nez et qu’à Bruxelles certaines personnes souffrent d’une maladie très rare nommée « champanius abundantia » ? Henry Spietweh, JP Bouzac et Jochen Bittner vous racontent comment ils ont fait ces étonnantes découvertes en vous livrant des histoires courtes et amusantes que vous lirez d’une traite sans jamais, au grand jamais, avoir envie de vous arrêter.

A propos de l'auteur

Henry Spietweh est né dans la région berlinoise à l'ère de la RDA et de Solidarność. Ses parents, farouches opposants au régime socialiste, s'employèrent à l'éloigner de l'influence des Jeunesses communistes en faisant, par exemple, constamment disparaître son foulard de pionnier. Enfant, Henry passa son temps libre au club de pêche ou avec ses grands-parents au camping de l'usine de plastiques de Köpenick, non loin de la ville de Kratzeburg nichée tout au nord de l'Allemagne, dans la région du Mecklembourg. Sa jeunesse dans la grande banlieue berlinoise se déroula sans grand incident.

Après une première tentative infructueuse où il dépassa de plus de 20 km/h la vitesse autorisée dans une zone 30, Henry Spietweh obtint finalement son permis de conduire en 1999 et se mit au volant d'une Honda couleur mûre.

Il étudia la gestion à Berlin et Bruxelles puis travailla dans la capitale allemande, à Cologne et Aix la Chapelle. Au service de grandes et petites entreprises allemandes, françaises ou américaines, il voyagea à travers le monde de Helmstedt à Hennepin Country en passant par Honolulu.

Basé à Berlin, Henry Spietweh s'adonne aujourd'hui à sa passion pour la photographie et l'écriture.

Table des matières

Les Souffrances du jeune Henri

Trou de ver à la piscine municipale

Comment devenir un parfait

touriste

terroriste : leçon n°1

Devenez Bruxellois ! Mais pas aujourd'hui

.

L’Europe fait des économies

Accident de parcours et confusion polyglotte sur un quai de gare

Pas de banque pour les étrangers

Sur la plage divisée, coquillages et crustacés…

No luggage today

Pruneaux de Paris

Mon A.mie

Une carte... mensuelle, s’il vous plaît

.

La bête et la blette

Petit déjeuner chez Monsieur le Maire

Vérités allemandes

Repris ou échangé*

Blague de coursier

« Vous avez été lobbyisé »

Voitures allemandes du Limousin. Ah la vache !

Mon Maison

No man’s land

Le surligneur gris

I have sizes

Glissière de sécurité en béton

Le code belge

Colis et compagnie

Twin Beds

La Belgique existe-t-elle ?

No Drink. No Friend

.

L’élite d’aujourd’hui

L’accident

Un inapte à l’armée

Archéologie : mise à jour d’un site religieux hors du commun ?

La pièce la plus chère

Vous déménagez quand ?

Qui mieux que Rutkoschinski peut immatriculer votre Chevrolet ?

Quand on se réveille un matin, âgé de plus de trente ans, et que rien ne nous fait mal...

Merci beaucoup

Une sorte de postface

Les Souffrances du jeune Henri

« Dès mon arrivée à Paris, les Français ont traduit mon prénom allemand Heinrich en Henri. J’ai dû m’y résigner et j’ai moi aussi fini par me présenter ici comme m’appelant Henri étant donné qu’Heinrich ne plaît pas aux oreilles des Français et que ces derniers s’emploient à rendre toutes les choses du monde aussi pratiques que possible pour l'usage qu'ils en font. Mais jamais non plus, ils n’ont su prononcer correctement mon nom de famille, Heine. La plupart d’entre eux m’appellent Monsieur Enri Enn et beaucoup pensent que mon prénom et mon nom ne font qu’un et disent Enrienne tandis que quelques-uns me nomment Monsieur Un Rien. »

Ces quelques lignes, datant d’il y a presque 200 ans, proviennent de la plume de l’écrivain allemand Heinrich Heine qui se pencha dans cet extrait issus de ses mémoires sur son arrivée en France. Même si les Français ne surent qu’écorcher son prénom, Heine ne perdit jamais son affection pour la France qu’il observa avec une attention toute particulière. Né à Düsseldorf dans une famille de commerçants juifs en 1797, il dû quitter Berlin et s’installa à Paris en 1831 où il mourut vingt-cinq ans plus tard sous le nom d’Henri Heine. Marié à une Française et nostalgique de l’Allemagne où ses œuvres n’étaient pas les bienvenues, Heine s’efforça de toujours mieux comprendre les Français et travailla à rendre la France et l’Allemagne un peu plus proche l’une de l’autre.

Bien que le rapprochement européen ait fait des progrès considérables depuis la mort d’Heinrich Heine, l’aversion des Français pour les noms étrangers est restée, jusqu’à aujourd’hui, légendaire.

Mes parents m’ont donné un nom qui, suivant la mode en Allemagne de l’Est dans les années 1980, sonnait comme venant d’un pays dans lequel nous n’étions pas autorisés à aller. Mon prénom Henry est certes déjà un peu plus près de la prononciation française que ne l’était celui d’Heine, mais ça... Ah non, je ne vous en dirai pas plus pour le moment, lisez simplement la suite !

Trou de ver à la piscine municipale

Einstein n’a jamais été en Belgique, j’en suis sûr. Prenez, par exemple, la formule E=mc2: quelque part là-dedans est écrit le fait que les voyages dans le temps sont possibles lorsque deux points différents de l’espace temps sont connectés par des trous de ver. Je ne pourrais pas vous dire si c’est écrit entre le « E » et le « = » ou entre le « c » et le « 2 », puisque, malheureusement, je ne suis que diplômé de gestion et non pas astrophysicien. Mais Einstein, lui en était un ! Et il a démontré que ces trous de ver ne peuvent être maintenus à un état stable qu’à travers une concentration extrêmement forte de matière hypothétique à densité énergétique négative. Cependant, personne n’a encore jamais observé un seul trou de ver. Personne, jusqu’à ce jour.

La commune autonome de Schaerbeek, qui fait partie intégrante de Bruxelles, entretient comme chaque quartier, pardon, comme chaque commune, son propre stade de football (celui de Schaerbeek a connu des jours meilleurs, mais tout de même) et une piscine fortement subventionnée par l’argent public. Evidemment. Cette dernière s'appelle Neptunium. Après tout, pourquoi pas ? Et partout dans la ville, des panneaux en indiquent la direction. Comme nous n'avons pas cours aujourd'hui, nous décidons d'aller y faire un tour.

A l’entrée de la piscine, nous sommes accueillis, comme partout ici, par le buste du constructeur du bâtiment. En dessous de l’hommage d’usage au grand conseiller municipal responsable de la construction, on peut lire l’année d’ouverture de l'édifice : « 1953 ». Et en dessous encore : « agrandie et rénovée en 1957 ». Après ça, plus rien. Cela aurait dû nous suffire comme avertissement. Car cette entrée, très cher lecteur, est un trou de ver et je suis quasiment sûr et certain que ce buste renferme la matière avec une densité d’énergie négative qui fait tenir l'univers debout et qui n'avait, jusqu'à ce jour, encore jamais été observée.

Les habitants de Schaerbeek payent 2.25 euros l'entrée. Les autres Belges et les étrangers doivent débourser 2.50 euros. Et même si j’ai mon certificat de résidence dans la poche, nous payons 5 euros à deux car je n’ai vraiment pas envie de remplir des centaines de formulaires ou de montrer ma pièce d’identité pour aller me baigner. De toute façon, ça ne fera pas de mal aux finances municipales !

En entrant dans les vestiaires, nous remarquons tout de suite que tout a l’air quelque peu antique, mais pour le prix qu'on a payé on ne peut rien dire. Un employé nous indique une cabine. Il n’y a pas de clés mais des numéros sur chaque cabine que l’employé mémorise, ouvre ou ferme pour chaque visiteur.

Sortant de ma cabine, je me fais brusquement arrêter :

« Pas de short, pas de short ici, Monsieur ! »

« Comment ça ? »

Il me montre mon short de bain.

« Pas de short ici, s’il vous plaît ! »

Mon maillot de bain d’un noir délicat enfreint avec ses petites longueurs le règlement de 1957. C’est pourtant écrit à l’entrée ! Nous hochons la tête en signe de compréhension et sommes priés d'emprunter le matériel nécessaire à l'accueil. Retour à la case départ !

L’hôtesse à la caisse est en train de passer un coup de téléphone, long et privé. J’ai le temps de contempler encore un peu le passé. Je me dis qu'ici tout est d'époque. Téléphone à cadran, gros combiné, câble emmêlé. Papier peint gris-jaune bien fleuri, carrelage marron, et écriteaux des années 1950.

« Au revoir », dit enfin son interlocuteur au téléphone.

« J’aimerais emprunter un maillot de bain, s’il vous plaît, Madame. »

« Un euro, s’il vous plaît. »

Je paye. Elle me regarde.

Je la regarde et lui dis : « Il vous faut autre chose ? »

« Oui, bien sûr, j’ai aussi besoin de votre carte d’identité. »

Mais pour quoi faire ?

Elle me donne un maillot et me presse de déplier ce noble tissu de 1957.

« C’est quelle taille ? »

« Nous n’avons pas de taille ici, Monsieur ! »

Que ce noble bout de tissu ait été porté il y a une heure à peine par un enfant de six ans, ça ne me dérange pas, mais j’ai peur. Peur de déchirer le maillot de bain. Je me regarde puis regarde la dame. Jusqu’à ce qu’elle daigne se lever de sa chaise de 1957 et jeter un coup d’œil. Elle a compris mon problème et m’échange le maillot de bain taille 6 ans pour un autre de taille 9 ans.

Elle a certainement eu peur pour sa survie. Les maillots de bain de 1957 sont plutôt rares en dehors de ces vieux murs.

Mes chances de rentrer dans ce maillot sont maintenant plus réalistes.

« Est-ce que vous avez des bonnets de bain ? », me demande-t-elle ensuite.

« Des bonnets ? »

« Oui, des bonnets. C’est aussi obligatoire ! »

Logique, nous sommes en 1957 ! J’imagine brièvement ce qui se serait passé si la piscine avait été construite en 1927. Les hommes auraient certainement dû porter des maillots de bain en laine recouvrant tout leur corps et les femmes auraient dû se baigner dans un bassin différent. « Une cape de bain pour Madame et une pour Monsieur. Deux euros et vos pièces d’identité, s’il vous plaît. »

Je sors de ma cabine. Mon bonnet de bain noir zébré de jaune est beaucoup trop petit et ressemble plutôt à une kippa. Ainsi soit-il ! Mon maillot recouvre le nécessaire non sans peine et fut bleu un jour, il y a quelques quarante ans de ça. En plus de son bikini rose, l’amie qui m’accompagne s'est vissée sur la tête un bonnet de bain vert fluo en latex qu'elle a dû s’acheter il n'y a pas très longtemps.

Nous voilà enfin prêts pour aller nous jeter à l'eau !

Les douzaines de panneaux peints à la main en 1957 que nous voyons les mètres suivants nous indiquent que la « douche [est] obligatoire avant la baignade. » Dans un premier temps, nous esquivons cette étape en nous faufilant vers le bassin et regardons, émerveillés, le reste de la piscine. La tour de trois mètres de haut et ses toboggans semblent tout droit surgir d’une autre époque, d’un autre espace temps. Ils sont d’ailleurs « temporairement » hors service pour cause de vétusté. Le bassin est divisé en six lignes d’eau. L’équivalent de cinq classes d’école primaire sont en train d’apprendre à nager, chacune dans sa ligne. Depuis le bord de la piscine, les professeurs usent jusqu’à leur dernier souffle pour chaperonner leurs élèves.

« Nage correctement ou je viens te chercher ! »

« Anne-Emmanuelle, laisse ça ! »

« Lucas, viens ici tout de suite ! »

Les maîtres-nageurs sont présents en nombre bien plus que nécessaire mais il semble que ça soit précisément l’heure de leur pause. L’ambiance de travail au sein de cette piscine est, comme partout ailleurs en Belgique, excellente.

Après être restés assis quelques minutes au bord du bassin dans la contemplation la plus totale, nous nous aventurons tout de même sous les douches. Il suffit de tirer rapidement sur le cordeau de 1957 et l’eau tombe du ciel. Voyant toujours l’agitation dans la piscine, nous nageons rapidement une longueur, histoire d’être un peu mouillés puis nous retournons aussitôt au vestiaire, nous faisons ouvrir nos cabines, nous nous changeons, rendons les affaires que nous avons empruntées, récupérons nos cartes d’identités, passons à travers le trou de ver et rentrons à la maison pour ne plus jamais revenir dans cet endroit. Tout au moins pas en même temps que plusieurs classes de primaire et pas avant de s'être acheté nos propres maillots de bain. Egarés quelque part en 1957.

Est-ce que l’un d’entre vous, bienveillants lecteurs, pourrait me proposer l’année prochaine au comité du prix Nobel de physique ? Je viens tout de même de découvrir un trou de ver ! Celui-ci peut être visité du lundi au vendredi de 8h00 à 19h00, le samedi de 14h00 à 17h00 et le dimanche de 9h00 à 17h00, au 56-58 rue de Jérusalem, 1030 Bruxelles-Schaerbeek, Belgique.

Comment devenir un parfait touriste terroriste : leçon n°1

« Non, Monsieur, vous ne pouvez vraiment pas embarquer avec ça ! »

« Mais... Regardez, je l'ai pourtant acheté en face, juste là. »

Ne lisant pas le moindre signe de compréhension dans le regard de l'agent de sécurité, je poursuis mon argumentation :

« Vous l'avez bien vu, allez ! »

Puis j'essaye de jouer la carte de l'amitié. Mais visiblement, ce n'est pas la bonne.

« Non, Monsieur, aucune exception ne sera faite ! »

Je tente une dernière fois ma chance :

« Regardez, je... – m'assois, respire profondément et avale goulûment. Vous croyez que je le boirais si c'était un explosif ? »

« Quel problème ça vous poserait de boire des produits explosifs si vous vouliez faire sauter l'avion ? Vous mourez dans tous les cas. »

Je regarde ma bouteille de Coca à moitié vide et je me dis que, oui, elle a vraiment l'air très très dangereuse.

De toute évidence, ma tactique de défense me fait passer pour un vrai terroriste. L'agent de sécurité se montre de plus en plus autoritaire.

« Maintenant vous me donnez cette bouteille !! »

Je fais ce qu'il me dit. Mais seulement après une autre grosse gorgée. Valeur résiduelle d'une bouteille vide en Allemagne : 25 centimes de consigne. Valeur de cette même bouteille dans le reste du monde : aucune. On ne va donc pas en faire toute une histoire.

Et comme ma bouteille est trèèès dangereuse, l’agent de sécurité, très professionnel, la jette : dans la poubelle juste à côté de lui.

Son collègue qui se trouve dix mètres plus loin va pouvoir s'amuser encore plus avec moi.

« Je peux regarder dans votre sac, s'il vous plaît ? »

« Bah, s'il le faut. »

Il le fouille et cherche quelque chose à l'intérieur pendant un moment.

« Ah ah ! C’est bien ce que j’avais vu : une lime à ongles ! »

Je l'avais complètement oubliée.

« Ça vient de mon hôtel, c'est écrit dessus. »

« Et alors ? Ça ne prouve rien, vous pouvez très bien l'avoir mise là exprès. Je dois malheureusement vous la confisquer ! Jesuis désolé, ce n'est pas de notre faute hein, c'est ces nouvelles consignes de sécurité européennes, vous savez. »

Ça m'attriste que l'on mette tout le temps les points négatifs de nos vies sur le dos de l'Europe.

Ballonné à cause du Coca et délesté d’une bouteille vide et d’une lime à ongles que j’avais volée, je passe dans la salle d'embarquement.

Je rentre dans le premier magasin que j’aperçois et le balaye du regard. Le gérant ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui vient juste de me vendre la fameuse bouteille de soda.

Mon cœur de terroriste se met d’ailleurs à battre de plus en plus fort. J'aperçois les mêmes bouteilles de Coca qu'avant les portiques de sécurité. Ici, elles sont certainement moins dangereuses.

Et juste derrière : des bouteilles de vin et d'eau de vie, en verre. Avec ça, je pourrais mettre quelqu’un K.O.

Il y a aussi du tabac et des briquets et même des déodorants et du parfum. Personne n'a encore dû se rendre compte qu'en associant du feu et du parfum, on crée un mélange explosif. Je sortais avec l’intention de quitter le magasin d’un air hautain, quand je la vis : une lime à ongles en diamant. Furieux, je fis demi-tour pour m’acheter un briquet, une bouteille de vodka, du Coca, un nouveau parfum et un étui à manucure. Certes, je ne peux pas vraiment me servir de tout ça maintenant, mais je veux simplement essayer de monter dans l'avion avec.

L'hôtesse de l'air voyant tous mes achats ne prend bizarrement pas peur : « Bienvenue à bord ! »

Pour ne pas devoir me séparer de tous ces précieux achats, je ne lui demande pas si elle se sent menacée par mon étui à manucure. J'observe par contre avec attention les autres passagers : beaucoup entrent dans l'avion avec des sacs encore plus gros que les miens.

Une heure plus tard, quelqu’un me réveille :

« Pâtes ou poulet ? »

« Oh, poulet, s'il vous plaît. »

« Très bien. Monsieur, s'il vous plaît... et voilà. » Clac ! L'hôtesse pose un gros couteau en acier sur ma petite tablette. Je ne peux pas m'empêcher de ricaner.

Maintenant, je me sens vraiment plus en sécurité !

Devenez Bruxellois ! Mais pas aujourd'hui.

Si jamais il vous arrive de devoir séjourner en Belgique pour une longue durée, vous pourrez vous estimez heureux d'atterrir à Bruxelles. Tout y est bilingue. Et ce petit détail peut vous éviter de gros tracas, surtout en ce qui concerne vos relations avec la mairie et votre installation dans le royaume belge. Toute personne s’installant en Belgique doit se déclarer à la mairie pour y préciser son lieu de résidence. Mais faites attention car il y a des villes belges où l’on ne peut déclarer son domicile que lorsqu'on parle flamand. Le flamand, ça ressemble au néerlandais, mais ne vous risquez jamais à le dire ni aux Flamands ni aux Néerlandais. Taisez aussi le fait que ça ne soit même pas considéré comme une langue à part entière, mais plutôt, et ce dans le meilleur des cas, comme un dialecte dérivé du bas-allemand, autant dire pas grand chose. Naturellement, pour pouvoir apprendre le flamand dans un établissement d'éducation publique belge, il faut d'abord avoir déclaré son emménagement à la mairie.

Par un beau jeudi ensoleillé de début septembre, je me rendis donc, plein d'optimisme et de détermination, au service de la Population de la mairie. Le mois de septembre marque en Belgique, tout comme en France, le vrai début de l’année. Pour les Belges, l'année commence avec la rentrée le premier lundi de septembre. Écoles, mairies, universités, bus, coiffeurs et boulangers sortent de leur torpeur après deux mois de vacances générales. Juillet et août sont deux mois perdus qu'on peut tranquillement oublier car rien ne s'y passe.

La déclaration de résidence en Allemagne, ce n’est pas aussi simple qu’en France mais ça reste bien moins compliqué qu’en Belgique. De l’autre côté du Rhin, il suffit de se rendre à la mairie de sa ville, signer un formulaire, obtenir un autocollant, le coller sur sa pièce d'identité et quitter la mairie dix minutes plus tard (temps d'attente non inclus). En Allemagne, si votre ville comporte plusieurs mairies, vous pouvez aller dans celle de votre choix, ça ne fait aucune différence. Mais la Belgique n'est pas l'Allemagne. Bien évidemment. Rien que le drapeau est différent. Du jaune au milieu, du rouge à gauche et le tout dans le mauvais sens en plus.

A Bruxelles, tout dépend de la « commune » dans laquelle on s’est retrouvé par le plus grand des hasards. Une « commune » c’est une sorte d’arrondissement. Un arrondissement avec sa propre autonomie et sa propre police. La ville de Bruxelles n’est pas vraiment une ville mais plutôt un ensemble de communes. D’un point de vue strictement belge, ni la Commission européenne ni le siège de l’OTAN ne se situent à Bruxelles, mais sont respectivement dans les communes d’Etterbeek et d’Haeren. Mon arrondissement, pardon ma commune s'appelle Schaerbeek. J’ai donc uniquement le droit d’aller à la mairie de la commune de Schaerbeek pour faire mes démarches.

Un jeudi, disais-je. La mairie est grande, vide, vaste et large et a des allures décadentes de château. Aucun autre visiteur en vue. Seulement un homme sympathique à l'accueil, qui, comme tout le monde ici, se réjouit d’utiliser les cinq mots d'allemand qu'il connaît. Après avoir péniblement recopié ma carte d'identité à la main, il me donne une feuille format A6 tamponnée à deux reprises et comportant un rendez-vous avec l'employé de la mairie responsable des déclarations de domiciles. Lundi prochain entre 8 et 11 heures. Mais, d’après lui, plus on arrive tôt, moins on attendrait. Bien, je comprends vite que ma déclaration de domicile n'ira pas plus loin ce jeudi. Bruxelles n'est effectivement pas Berlin.

Le lundi suivant, je me lève donc à 7 heures pour arriver très tôt à la mairie. La queue à l’accueil semble interminable alors que la salle d’attente des guichets du service responsable des déclarations de domicile, le service de la Population, est complètement vide.

Le même homme que le jeudi précédent me salue d’un amical « Bonjour Monsieur Spietweh ! » et appuie pour moi sur l'automate qui distribue les numéros de passage. Je n'aurais effectivement pas pu le faire moi-même, moi, pauvre petit étranger idiot. J'ai le numéro 608. Le 607 est affiché au guichet 4, le 606 au guichet 8. Il n'y a personne devant, mais trois dames derrière les guichets. En pause-café. Des guichets 5 à 7 sont affichés les numéros au-dessus de 700 ; de toute évidence ce sont les guichets pour les pros des tickets de passage. En attendant, j'observe à nouveau la mairie en détails. La salle d'attente, séparée du ciel par un imposant toit en verre voûté, doit bien faire 20 mètres de haut.

Un bruyant « Cling ! » vient soudainement interrompre mon étude architecturale : le numéro 608 brille au guichet 8. Une dame m’accueille, « Bonjour ! » et s’applique ensuite à parler le plus bas possible dans un français aussi rapide qu’indistinct, ce qui m'oblige à lui demander des explications à chaque phrase. Mais ça n'a pas l'air de la déranger plus que ça. On dirait pourtant qu'elle-même ne vient pas de Belgique. Mais ce n'est pas une raison pour s'attendre à la moindre preuve de solidarité. Elle réussit finalement à me faire comprendre que, pour déclarer mon emménagement à Schaerbeek, j'avais besoin de quatre photos d'identité (toutes des originales, et surtout pas des photocopies), de pile 12 euros en liquide (et surtout pas un euro de plus ou de moins), de ma carte d'identité, de trois photocopies de cette dernière, de mon inscription à l'université (original et deux photocopies). Le sympathique homme de l'accueil n'aurait évidemment pas pu me le dire jeudi dernier. Et il n'avait pas non plus le bon formulaire correspondant à ma demande et que cette charmante dame doit remplir maintenant, à la main. Ceci me permet d’apprendre une nouvelle expression française : mesure d’aide à l’emploi.

J'avais en fait tous les papiers nécessaires, mais seulement pas en assez grand exemplaire. Et évidemment, on ne peut pas faire de photocopies à la mairie. Ça n'est d'ailleurs pas important que ma carte d'identité ait été recopiée deux fois à la main, par deux employés de la mairie. Mais je sens que ce n'est pas le moment d’émettre ce genre de remarque à haute voix. Il me faut cette déclaration de domicile aujourd'hui. Et, à ma plus grande surprise, on me redonne un rendez-vous pour le jour même entre 8 et 11 heures.

De retour à la maison, je fais marcher imprimante et scanner, photocopie en couleur ma carte d'identité en plusieurs exemplaires. Je prends également quatre autres photos d'identité en plus, on ne sait jamais, et me remets en route vers la mairie. La queue à l'accueil est maintenant toute petite, alors que la salle d’attente du service population est pleine. Le monsieur de l'accueil avait raison, plus on arrive tôt, mieux c’est. Comment est-il seulement possible d’arriver aussi tard que moi ? À 9h00 ! Numéro 627.

J'ai à nouveau un peu de temps pour mes observations et cette fois, je me penche sur l'intense travail administratif réalisé par les employés de la mairie. Les guichets 4 et 8 affichent les numéros précédents le mien, tandis que le guichet 7 est malheureusement fermé – apparemment en pause déjeuner. Le guichet 5 s'affole et affiche le numéro 750, puis le numéro 333, et passe ensuite au numéro 005 pour finalement annoncer le numéro 760. Je croyais que ce guichet ne fonctionnait pas correctement, mais, étonnamment, il se trouve toujours quelqu'un tenant dans sa main le numéro correspondant. Peut-être, s'agit-il d'une nouvelle astuce technique visant à ne pas laisser les gens savoir combien de personnes doivent passer avant eux.

Étant donné que les dames des guichets 4 et 8 forment, comme chacun le sait, une équipe, elles sont obligées de discuter entre elles régulièrement. Je me demande alors pourquoi leurs deux guichets ne sont pas l'un à côté de l'autre, mais je me retiens de poser la question. Et vous en connaissez la raison : je veux obtenir ma déclaration de domicile aujourd'hui. A 9h10 environ, une livraison d'articles de bureaux tout neufs vient s'ajouter à l'affluence et s'empare pour un moment de l'attention de tous les employés. Wouah ! Des petits fils métalliques courbés et recourbés visant à attacher plusieurs feuilles de papiers ensemble ! Quelle innovation ! Ça, ça vous occupe pendant un bon quart d'heure. Peu après, quelqu'un tente de se révolter au guichet 8 parce qu'on lui reproche de ne pas avoir le nombre suffisant de copies de l'acte de naissance de son fils. J’ai du mal à me retenir de sourire. Quel amateur ! Le verre blindé est là pour parer à ce genre de tentative.