Amour en entreprise - Pierre Montbrand - E-Book

Amour en entreprise E-Book

Pierre Montbrand

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Beschreibung

La naissance de ce recueil, le second de la série fut insolite : le thème provoquait des doutes, un léger agacement parmi les membres du futur jury, n'était-il pas trop facile. Les premières nouvelles arrivèrent et l'affaire Weinstein, éclatée en pleine réception des textes, en changea le fond. Les genres des nouvelles sont très différents : intimes, tristes, vengeurs, amusants et bien sûr romantiques.

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Présentation

La naissance de ce recueil, le second de la série fut insolite : le thème provoquait des doutes, un léger agacement parmi les membres du futur jury, n’était-il pas trop facile ? Les premières nouvelles arrivèrent et l’affaire Weinstein ébranla… beaucoup de choses, la nature des textes reçus en fit partie.

Les genres des nouvelles sont très différents : intimes, tristes, vengeurs, amusants ou bien sûr romantiques mais les textes dans leur diversité sont tous émouvants.

Je ne commenterai pas chaque texte mais je tiens à en souligner un : si je perds tes mots. Une jeune fille de dix-sept ans l’a écrit avec un talent d’écrivain né.

Palmarès 2018

Premier Prix

Un amour fou flouté, Pierre Montbrand

Prix spécial du jury

Marché de niche, Philippe Leroyer

Prix décerné à un jeune auteur

Si je perds tes mots, Coralie Perrault

Prix de l’éditeur

En bout de piste, Eric Boucher Dalgarian

Sélection

Faits l’un pour l’autre, Victor Richet

Vague à l’âme, Corinne Baudoin

Du coq à l’âne, Claude Bégin

Love Affair, Jérémy Zaworsky

Djinns, Nicolas Delattre

Tu sais, Lisa Potdevin

Le comptable qui avait raté sa vocation, Sophie Campo

Rendez-vous, Maya Bellamie

Ruptures conventionnelles, Jean Christophe Mognetti

La combinaison, François Capet

Touti danse, Philippe Rivet

Table des matières

Un amour fou flouté

Marché de niche

Si je perds tes mots

En bout de piste

Faits l’un pour l’autre

Vague à l’âme

Du coq à l’âne

Rendez-vous

Love affair

Les djinns

Tu sais

Rendez-vous

Ruptures conventionnelles

La Combinaison

Touti danse

Un amour fou flouté

Alger, 3 juin 2014

La soirée s’étire interminablement. Allongé sur mon lit, je zappe distraitement, sans trouver de programme qui m’intéresse. Je regarde un moment les news sur CBS, puis je me lève et j’éteins la télévision. L’air est lourd et humide, malgré la climatisation. J’enlève ma chemise que je pose sur le dossier d’un fauteuil et m’approche de la fenêtre. La piscine de l’hôtel est maintenant déserte. Au-delà des pins, on aperçoit les lumières du bord de mer et la baie d’Alger. Ce soir, nous avons travaillé jusqu’à vingt heures au moins. Des discussions fatigantes, qui n’ont pas abouti au résultat que j’attendais, ou plutôt que mon boss attendait de moi. J’ouvre le bar, me décide pour un pur malt que je me verse dans un grand verre, avec de la glace, puis allume mon ordinateur portable pour consulter mes mails. Il est trop tard pour appeler Nathalie, je crains de réveiller les enfants. Je surfe sur le web, visite des sites d’info, puis d’autres, moins recommandables, pour tromper la solitude et l’ennui. Finalement j’arrive sur un site où des photographes amateurs ont posté des images, sans grande qualité artistique pour la plupart. Pourtant, il y en a une en noir et blanc qui attire mon attention. Elle me fait penser à certaines photos de Helmut Newton ou de Jeanlou Sieff. Une femme, quarante ans environ, peut-être plus, allongée nue sur un canapé en cuir, avec un éclairage tamisé. J’observe ses chevilles fines et ses jambes, parfaites. Le voyeur fatigué que je suis s’attarde sur ses hanches et sur ses seins. Un menton volontaire, une bouche bien dessinée, mais au-dessus du nez, le reste du visage apparaît flou, sans doute masqué avec un logiciel de traitement d’image. On devine l’arc bien dessiné des sourcils, mais les yeux se réduisent à deux taches oblongues plus sombres. Le plus étrange est que le visage garde une impression d’ensemble harmonieuse ; c’est sans nul doute une très jolie femme, plus âgée que moi. Pourtant, quelque chose m’intrigue dans cette photo. Ça peut sembler bizarre, mais je suis maintenant certain de connaître cette inconnue masquée. Son allure, le bas de son visage, les petits plis ironiques de part et d’autre de sa bouche, tout cela me semble étrangement familier. J’ai déjà croisé cette femme, et je dirais même fréquemment, sans cela je n’en aurais pas un souvenir aussi net.

Paris, 12 juin 2014

Dans l’avion qui me ramenait à Paris, ma mission terminée, je n’ai pas cessé de penser à l’inconnue aperçue sur le web. Nous avons atterri à Roissy vers seize heures, ce qui fait que je suis arrivé chez moi plus tôt que d’habitude. Nathalie a paru heureuse de me retrouver de si bonne heure, et bientôt, je n’ai plus pensé du tout à la femme nue que j’avais entrevue sur la toile. Les retrouvailles avec Nathalie n’avaient rien de virtuel ce soir-là !

J’ai passé la semaine à dévisager toutes les femmes mûres que je croisais dans mes trajets, mais à part quelques moments de gêne, ou quelques clins d’œil intéressés, cela n’a rien donné. J’étais vraiment découragé, prêt à abandonner.

Hier après-midi, j’ai passé un coup de fil à Patrick, qui est maintenant directeur de recherches au CNRS et travaille sur de nouvelles méthodes d’analyse d’image. Nous avons convenu de déjeuner ensemble aujourd’hui dans le quartier latin, pas très loin de son laboratoire.

À treize heures, nous nous retrouvons à une table de l’Estrapade, dans la rue éponyme. Il porte ce que j’appelle, pour le titiller, l’uniforme de sa profession : son éternelle chemise à carreau, un jean, et il est pieds nus dans ses sandales. Après les banalités d’usage entre amis, j’en viens à la question qui me taraude.

— Toi qui est un spécialiste du traitement d’image, pourrais-tu me dire s’il est possible de déflouter un visage sur une photo ?

Patrick a l’air surpris. Avant de me répondre, il avale une gorgée de bordeaux tout en réfléchissant.

— Tout dépend de la méthode utilisée. Si une transformation, disons analytique, a été appliquée à ton image et qu’il existe une transformation inverse, en théorie c’est possible. Mais si le floutage résulte de méthodes probabilistes ou statistiques, c’est plus difficile, voire impossible. L’entropie d’un système ne peut qu’augmenter. Tu ne peux pas recréer une information qui a disparu !

Avec un sourire à peine déguisé, il rajoute :

— Penses-tu à une image en particulier ?

Je sors mon ordinateur portable et l’ouvre sur la table ; la photo est sur mon bureau. Je l’ouvre et tends l’appareil à Patrick.

— Elle est jolie, me dit-il, sans que je sache s’il parle de la femme ou de la photo, mais pour le visage, c’est un flou “gaussien” à mon avis ! On peut éventuellement gagner un peu en netteté, mais n’espère pas de miracle ! Je peux essayer si tu veux. Envoie moi l’image par mail, mais je ne te promets rien.

Nous terminons notre déjeuner en parlant politique, ce qui donne toujours lieu, entre nous, à des discussions animées. Quand nous nous quittons, devant la devanture du bistrot, il me demande :

— Et comment vont Nathalie et les enfants ?

C’est sa façon détournée de me faire la morale. Patrick ne se compromet pas avec le capital, affiche une bonne conscience politique à toute épreuve, et bien que célibataire, mène une vie monacale. Par moment, j’avoue qu’il me tape sur les nerfs.

Le soir même, Il m’expédie un nouveau fichier ; la femme masquée est devenue un peu moins mystérieuse, mais de là à dire que je la reconnaîtrais au premier coup d’œil si demain je la croisais...

En examinant l’image, j’ai fini par remarquer une petite cicatrice sur la jambe gauche, juste en dessous du genou. L’inconnue, mais faut-il encore l’appeler ainsi, ne porte pas d’alliance. À sa main droite, elle a une bague assez grosse, avec un panier serti de diamants et une pierre qui pourrait être un saphir, ou un rubis. Bien que la photo soit en noir et blanc, j’ai écarté l’hypothèse d’une émeraude, qui aurait donné un reflet plus clair…

20 juin 2014

Ce matin, j’ai bien cru la reconnaître dans la rue, à deux pas de chez moi.

J’avais la conviction que mon cerveau avait enregistré le visage de cette femme de manière subliminale, un peu comme pour ces images commerciales, cachées dans des films, qui imprègnent notre rétine sans que nous en soyons vraiment conscients. Cela ne pouvait se produire fréquemment que dans deux endroits bien précis : mon quartier, ou bien mon lieu de travail, à la Défense. Évidemment, il restait la possibilité des transports en commun, comme le métro par exemple, et là, ce serait plus difficile de la retrouver. Je réfléchissais à ces possibilités tout en marchant quand il m’a semblé reconnaître sa silhouette sur le trottoir d’en face, à une dizaine de mètres devant moi. J’ai traversé la rue en courant pour éviter un taxi qui arrivait ; le chauffeur m’a klaxonné avec un regard mauvais et elle a regardé en arrière un bref instant. Son visage me semblait familier. Je me suis rapproché d’elle en accélérant le pas. En la filant, je pouvais voir un saphir briller à sa main droite quand son bras se balançait au rythme de sa marche. Mais il y avait une alliance à son annulaire gauche... Et alors ? Me suis-je dit, elle aurait très bien pu l’enlever sur la photo pour brouiller les pistes. A ce moment-là, elle s’est retournée brusquement, furieuse.

— Mais enfin ! Allez-vous bientôt arrêter de me suivre ?

J’ai essayé de lui parler de la photo et de lui dire qu’il me semblait bien l’avoir reconnue, mais elle a commencé à crier, en me traitant d’obsédé et de malade. Quelques passants se sont arrêtés, et Omar, l’épicier marocain, est sorti de sa boutique pour voir ce qui se passait sur le trottoir. J’ai tenté de m’excuser, de lui dire que je l’avais confondue avec une autre, mais elle m’a menacé d’appeler la police. Comme elle prenait son téléphone portable, j’ai accéléré le pas puis je me suis mis à courir en descendant la rue de Vienne. J’ai dévalé les escaliers de la station Saint-Augustin, et je n’ai repris mon souffle qu’une fois arrivé sur le quai.

12 juillet 2014

Allongé sur ma serviette de bain, un roman de Douglas Kennedy sous les yeux, je surveille nos deux filles, Marion et Céline qui jouent sur la plage. Nathalie est partie en planche à voile avec Luc, mon beau-frère. Nous avons loué la maison pour l’été, et Nathalie et sa sœur y resteront seules avec les enfants pendant tout le mois d’août. Plus d’ordinateur, enfin presque, et je sens que mon état obsessionnel s’améliore peu à peu.

20 août 2014

Le mois d’août seul à Paris m’a été fatal ! Loin de Nathalie et des filles, je me suis retrouvé à passer mes soirées devant mon portable et un verre de scotch. Le soir, je surfais sur la toile à la recherche d’autres photos de la mystérieuse inconnue, ou bien je contemplais le cliché retouché par Patrick, essayant d’y déceler de nouvelles ressemblances.

Je n’y croyais plus, quand soudain, il y a deux jours, ma recherche a finalement abouti ! Je m’étais couché très tard la veille au soir car j’étais allé voir Nathalie et les enfants en Normandie pour le weekend. Le lundi matin, après avoir avalé un double café et un croissant au Carré, place Saint-Augustin, je me suis rendu à mon travail, comme d’habitude. En bas, dans le hall de l’immeuble, j’avais pris l’habitude de laisser monter une ou deux fois l’ascenseur et d’attendre, en dévisageant discrètement les arrivantes, mon téléphone portable à l’oreille, comme si j’étais en communication. J’ai vu arriver deux femmes qui discutaient de façon détendue. La plus jeune, brune, portait un tailleur pantalon gris, et l’autre, châtain clair, plus grande, une robe imprimée bleue, assez décolletée. J’ai pris l’ascenseur en même temps qu’elles. Tout de suite, j’ai vu la bague, un saphir, comme je l’avais deviné. En essayant d’être discret, j’ai regardé ses jambes. Elle avait bien une petite cicatrice sur la face externe du genou.

D’autres personnes sont montées dans l’ascenseur. J’ai profité de ce que je me retrouvais serré contre elle pour lui glisser ma carte dans la main, avant de sortir de la cabine. J’avais griffonné dessus ces quelques mots, contactez-moi, merci, c’est urgent. Une heure plus tard, j’ai reçu un sms sur mon téléphone ; elle a accepté qu’on se voit le lendemain matin, vers midi et demi, au café Zimmer, à deux pas de la station de métro Châtelet-les-Halles, pour déjeuner ensemble.

J’étais déjà là depuis dix minutes quand elle a franchi la porte ; elle a regardé autour d’elle, puis elle est venue s’asseoir à ma table. Elle portait la même robe bleue que lorsque je l’avais abordée, la veille. Tout de suite, elle a voulu savoir pourquoi je voulais lui parler. Calmement, car je ne voulais pas la brusquer, je lui ai expliqué que j’étais tombé sous le charme d’une photo d’elle, que j’avais trouvée sur la toile. Quand je la lui ai montrée, elle a paru surprise et a regardé fixement l’écran en murmurant :

— Quel salaud !

Cette réflexion crûe m'a semblé incongrue dans la bouche de cette femme élégante, mais je pouvais la comprendre... Oui, c’était bien elle sur la photo. Le cliché avait été pris par un collaborateur de son agence de publicité, avec qui elle avait eu une aventure il y a deux ans. Il lui avait fait le coup du photographe amateur passionné, avec son Leica, et elle avait accepté de poser pour lui.

Je lui ai raconté, en plaisantant, tout le mal que j’avais eu à la retrouver. Petit à petit, elle s’est détendue et quand j’ai eu fini mon histoire, elle m’a dit :

— Un vrai petit Rouletabille à la recherche de sa dame en noir !

Et aussitôt, elle a rajouté en souriant :

— En plus, je pourrais presque être votre mère, avec notre différence d’âge !

Elle s’appelait Colette, un prénom que j’ai tout de suite adoré, sans doute à cause de sa consonance désuète aujourd’hui. Je l’ai assurée que je trouvais ma dame en bleue ravissante et je lui ai pris la main. À la fin du repas, elle m’a simplement demandé de lui laisser “un métro d’avance” pour rejoindre son bureau, car elle ne voulait pas attirer l’attention.

3 septembre 2014

Colette m’a donné rendez-vous à la gare de Lyon, devant la terrasse du Train Bleu. Elle est arrivée bien à l’heure. C’était la première fois que je la voyais dans une tenue décontractée, jeans et débardeur, et je ne l’ai pas reconnue tout de suite. Je n’avais pas eu le temps de me changer et je me sentais mal à l’aise avec mon costume et mon attaché-case. Elle m’a embrassé sur la joue et nous sommes descendus au départ des trains de banlieue, juste à temps pour prendre celui de douze heures cinquante-huit. À cette heure-là, le compartiment était presque désert. Pendant le voyage, elle n’a pas dit grand-chose et s’est contentée de me questionner sur ma vie, mon travail, tout en restant très discrète sur elle-même.

J’ai cru comprendre qu’elle envisageait de changer de travail, mais que rien n’était encore décidé. Vers quatorze heures nous sommes descendus à Bois-le-Roi. Il faisait chaud et j’ai enlevé ma veste pour la porter sur l’épaule. Nous avons remonté la rue principale, écrasée de soleil ; le village semblait endormi. La villa Beau-séjour se trouvait en bordure de la forêt, à cinq cents mètres à pied de la gare. Colette m’a expliqué qu’elle s’occupait de louer la maison, qui appartenait à un couple d’amis anglais. Arrivée devant la grille, elle a cherché les clés dans son sac. La porte s’est ouverte en grinçant ; dans le jardin, l’herbe était très haute. Nous avons suivi l’allée qui contournait la villa. De l’autre côté, le parc descendait en pente douce jusqu’à la Seine.

Les futurs locataires sont arrivés à quinze heures comme prévu et Colette leur a fait visiter la maison, pendant que je l’attendais sur un banc. Une demi-heure plus tard, nous étions seuls. Elle m’a demandé si je voulais voir la vue sur le parc et la Seine depuis l’étage. Je l’ai suivie dans l’escalier, jusqu’à une petite chambre bleue dont la porte était restée ouverte.

— Je viens parfois ici passer la nuit, m’a-t-elle dit avec un sourire énigmatique.

En me regardant dans les yeux, elle a ouvert le lit, et elle a commencé à se déshabiller. Nue, elle était encore plus belle que sur la photo. Je devais paraître stressé, et pour me détendre, elle m’a dit, en plaisantant :

— Mais tu as déjà vu tout ça un certain nombre de fois, n’est-ce pas, Pierre ?

Je l’ai rejointe sous les draps, et je l’ai prise dans mes bras. Quelques minutes plus tard, nous avons relâché notre étreinte. Elle s’est appuyée sur son coude, buste relevé et m’a dit d'un ton détaché.

— Ne t’en fais pas, ça peut arriver à tout le monde ... Mais je voyais bien qu’elle était contrariée. Elle a rajouté :

— Je t’avais bien prévenu que j’étais trop âgée pour toi.

J’aurais voulu protester, lui expliquer que je la trouvais très séduisante, mais que je m’étais tellement habitué à son image masquée que je ne retrouvais plus le mystère qui me l’avait faite poursuivre si ardemment. Je me suis assis sur le lit, en lui tournant le dos. Mon attaché-case était posé sur le plancher à côté du mur. Je me suis souvenu que l’avant-veille, j’avais pris le Thalys pour Amsterdam, afin de rencontrer un de nos clients. J’étais rentré tard à Paris et dans ces cas là j’utilise un masque de sommeil pour pouvoir me reposer dans le train sans être gêné par les lumières. Il devait être encore dans ma mallette. Elle m’a regardé, interloquée, pendant que je le cherchais parmi mes papiers. J’ai posé le masque sur ses yeux et j’ai fait passer le cordon derrière sa nuque. Elle s’est laissé faire sans protester. J’ai parcouru son corps en la caressant, retrouvé tous mes repères, la petite cicatrice près du genou, ses lèvres, son nez et puis ses yeux, cachés par le tissu. Je l’ai pénétrée et elle m’a entouré de ses cuisses en soupirant de plaisir.

Lentement j’ai fait remonter le bandeau qui cachait le haut de son visage. Colette a fixé sur moi son regard clair et elle m’a embrassé.

27 octobre 2014

Nous nous sommes retrouvés trois autres fois dans la villa Beau-séjour durant le mois de septembre. La maison n’avait pas été encore louée et Colette continuait de la faire visiter. Je lui tenais compagnie dans le jardin en attendant les visiteurs. À leurs yeux, nous devions sans doute passer pour deux agents immobiliers. Puis, quand ils étaient partis, elle me prenait la main et m’entraînait au premier étage où elle se déshabillait devant moi sans mot dire, en rangeant soigneusement ses vêtements sur le dossier de la chaise. Je me souviens que la chambre bleue, où nous avions pris l’habitude de faire l’amour, donnait sur le parc et sur la Seine, où de temps en temps on voyait, à travers les branches des arbres, passer une péniche.

La dernière fois que je l’ai accompagnée à la villa Beau-séjour, nous y avions passé la nuit. J’avais expliqué à Nathalie que je ne rentrerais de mission que le samedi. Il faisait chaud et je n’arrivais pas à dormir. J’entendais la respiration régulière de Colette, à côté de moi. Je me suis levé pour observer le parc, éclairé par la lumière de la lune, puis je suis revenu me coucher. Elle était allongée, nue, couchée sur le ventre. C’est la dernière image que je garde d’elle dans mon souvenir.

Le lundi suivant notre escapade, je ne l’ai pas rencontrée en allant à mon bureau. Je l’ai croisée le lendemain dans l’ascenseur, mais elle a fait semblant de ne pas me connaître et s’est tournée vers ses deux collègues pour discuter. Dans la semaine, je lui ai écrit plusieurs mails, sans résultats, puis je suis reparti en mission à Amsterdam. Un soir, elle a répondu à un de mes appels téléphoniques. Sa voix était triste au téléphone. Elle n’a pas voulu me donner son adresse et m’a dit que la maison de Bois le Roi avait été louée ; elle m’a remercié pour les bons moments passés ensemble, mais elle pensait que c’était mieux d’arrêter de se voir.

Depuis un mois maintenant, je ne l’ai plus revue. L’autre jour j’ai osé aborder la jeune femme avec qui je l’avais vu discuter dans l’ascenseur. Elle m’a regardé d’un air étonné.

— Colette Merteuil ? Elle a quitté l’agence il y a trois semaines ; je crois qu’elle a trouvé quelque chose de plus intéressant, à Bruxelles.

Marché de niche

Cupidon, tout le monde le sait, décoche ses flèches comme bon lui semble. Peu lui importe l’endroit, le moment, le sexe ou l’âge. C’est un gars mal élevé qui ne s’encombre d’aucune morale. Ensuite, à ceux qu’il a touchés de sa flèche d’argent de se débrouiller comme ils le peuvent avec leur désir.