Au nom du fils - Col Porther - E-Book

Au nom du fils E-Book

Col Porther

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Beschreibung

Hugues de la Vilardière, grand reporter de BVS TV, revient après un séjour en Ukraine et en Russie pour analyser le conflit. Cependant, son retour anticipé, camouflé sous un faux passeport, le met en danger, traqué par des forces russes. En France, la mafia russe, financière du Kremlin, sème la terreur. Dans ce tourbillon de violence, son fils est tragiquement assassiné à Paris. Aux côtés de Charlotte, nouvelle ministre de l'Intérieur, et de Jeanine, ministre des Armées, Hugues utilise le pouvoir médiatique de BVS TV pour lutter pour la patrie. Alors que la violence se propage de Marseille à Santa Monica, qui sortira victorieux de cette bataille épique ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Après trois décennies dans le domaine de la production audiovisuelle, Col Porther s'est tourné vers l'écriture des romans. Convaincu que l'acte d'écrire enrichit l'esprit, il plonge dans le monde de l'imagination pour nous proposer le summum de la diversité des fantasmes qu'il offre.

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Col Porther

Au nom du fils

Roman

© Lys Bleu Éditions – Col Porther

ISBN : 979-10-422-2824-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Le conflit armé est déroulé uniquement sur les terres de l’Ukraine depuis bientôt deux ans.

L’agresseur, la Russie, ou plutôt son président Vladimir Poutine (V.P) a le double avantage de la connaissance de la guerre et des moyens militaires colossaux à disposition.

V.P a entraîné ses troupes en Syrie aux côtés de Bachar Al Assad et il a usé de la ruse pour faire croire à l’Occident que le déploiement des troupes aux frontières de l’Ukraine était le seul fait de manœuvres militaires.

Comme personne n’a réellement réagi, pas même l’OTAN, avec l’aubaine de conquérir le territoire Ukrainien déjà affaibli par l’annexion de la Crimée, par la force en 2014, V.P passe à l’acte.

Sans aucune déclaration de guerre, il attaque son voisin avec toutes les armes disponibles, à l’exception des armes chimiques et nucléaires, bien précieusement concentrées dans des bunkers secrets, au cas où l’OTAN ou les USA décideraient d’intervenir.

Mais, car il y a un mais, que même l’homme le plus dangereux du monde n’a pas envisagé.

Le président Volodymyr Zelensky, qui n’est ni homme de guerre ni homme politique engagé, lui fait l’affront d’organiser une résistance féroce et d’infliger des pertes colossales dans le camp russe.

Tous les plus grands médias du monde sont présents pour couvrir les évènements, mais essentiellement sur le territoire Ukrainien.

Jules César, premier des grands mégalomanes de l’Histoire, copié par Napoléon Bonaparte, lui-même copié par Hitler, ont tous été défaits par leurs proches.

Quelle autre possibilité est envisageable concernant Poutine…aucune.

Nul ne prendra le risque de déclencher un nouveau conflit mondial en déclarant la guerre au plus puissant pays de la terre.

Mais mener une guerre n’est pas simple, même si on s’appelle V.P, et il sait que le pire de ses ennemis peut être lové dans ses rangs.

La première alerte est arrivée en juin 2023, mais qui en connaît l’issue ?

Était-ce une alerte, une mise en garde, un rappel à la raison…

Bien malin, ou bien menteur, qui pourrait prétendre détenir ou connaître la réponse.

Chapitre 1

Oups

Juin 2023

Hugues, qui a réussi à s’infiltrer dans la périphérie de Moscou, mène une vie incolore et inodore sous une fausse identité, en parlant parfaitement la langue sans le moindre accent qui pourrait le trahir.

Il est chauffeur de bus urbain et sillonne la banlieue de la capitale huit heures par jour et six jours par semaine.

Son sérieux et sa rigueur l’ont aidé à obtenir le circuit intérieur de la capitale.

Désormais sa clientèle a changé d’allure. Les bleus de travail, en toile grossière, ont laissé place aux cols blancs, et costards cravates sur mesures.

Ces hommes-là, avec quelques femmes aussi, ne prononcent jamais un mot autre que « bonjour ».

Ils sont toujours pressés, moins que les Parisiens tout de même, avec les yeux sans cesse en mouvement. Tous, sans exception, possèdent une mallette rigide verrouillée et attachée au poignet par une chaînette inviolable.

En deux semaines, Hugues les a tous photographiés, à leur insu, et tous identifiés par la suite la nuit, toujours parfaitement imperceptible.

Sans citer de noms, il a, dans sa clientèle, toute la crème du Kremlin (sans vilain jeu de mots).

Politiques, militaires, barbouzes et même les hauts dignitaires de l’Église Orthodoxe utilisent son bus, qui n’a jamais une minute de retard, et dont le chauffeur est d’une discrétion exemplaire.

Ce jeudi au poste 1, un inconnu muni d’un badge pass officiel grimpe dans le bus et s’installe au quatrième rang, côté droit, donc côté trottoir puisqu’ici on roule à droite (en principe).

Hugues a le réflexe de faire pivoter une petite caméra, au moment où le bus s’ébroue pour couvrir le moindre bruit perceptible et donc identifiable.

Le client n’a rien vu de la manœuvre du chauffeur et se contente de regarder son journal qu’il tenait sous son bras en montant les trois marches d’accès.

En y repensant, Hugues se dit qu’il tenait son journal avec une forte pression de son bras gauche contre son buste.

Curieux pour un journal de quelques pages.

Tout en restant vigilant sur sa conduite, il surveille du coin de l’œil cet individu dont il ne connaît pas le pedigree.

Le prochain arrêt est celui de l’Évêché où un prélat, toujours le même, grimpe chaque jour à la même heure.

Avec son bruit caractéristique, la porte s’ouvre en s’escamotant totalement pour libérer le passage entièrement.

Pour certains clients, l’ouverture est à peine suffisante et ils se présentent en biais, toujours de la même manière.

C’est le cas du curé. Gras comme un moine, il souffle comme un bœuf pour monter les trois marches et peste dans sa longue barbe blanche de père Noël.

Aujourd’hui, comme tous les matins, la procédure est strictement identique…

À un détail près.

Le mouvement de l’homme sur le quatrième siège provoque un réflexe spontané.

Du regard, sur l’écran de la caméra, Hugues voit le client pointer un flingue automatique sur le curé.

Par réflexe instantané, il saute sur le curé et l’entraîne dans sa chute jusque sur le trottoir.

Les deux coups de feu lui ont déchiré les oreilles. La première balle a percé l’épaule du malheureux curé, et la seconde a éclaté le pare-brise du bus.

Le temps de se relever, avec l’aide des trois autres passagers assis au fond du bus, le tireur a pris la fuite par la porte arrière de secours.

Quatre minutes plus tard (chez eux ça va vite), la police arrive en même temps que l’ambulance qui prend en charge le curé pour le mener à l’hôpital.

Les trois passagers et le conducteur du bus sont manu militari poussés dans un mini bus de la police, avec interdiction de se parler, et menottés d’une main à un rail cylindrique. Deux gardiens restent assis, en faction, avec eux.

Ils sont conduits au poste de police le plus proche, soit à cinq cents mètres environ.

Les trois clients, dont les noms n’ont aucune importance, sont fouillés et questionnés individuellement dans des pièces séparées.

L’obligation d’ouvrir leur mallette sécurisée est contestée vertement, et il faut faire appel à un médiateur extérieur pour calmer le jeu, qui n’a rien d’un jeu, et pour que chacun obtempère.

Le résultat négatif devant le médiateur qui prend des notes et des photos pour argumenter son travail, laisse comprendre à ce dernier l’importance des documents épluchés.

Les trois individus recèlent des informations militaires stratégiques et top secret. Aucun des trois ne connaît le contenu de ce que les deux autres transportent.

Le cloisonnement rigoureux est facilement accepté et oublié par les enquêteurs policiers. Pour le médiateur, par contre, la situation est très différente.

Il a compris que les trois dossiers réunis, bout à bout, concernent la stratégie militaire avec les villes à frapper en Ukraine dès demain.

Tout est consigné, ligne par ligne, et mot par mot, avec une obligation de résultat qualifié en pertes acceptables et de pertes évaluées pour l’ennemi.

L’homme, le médiateur, loin d’être un con, comprend immédiatement qu’il aurait mieux fait de rester chez lui ce matin.

Il referme sa sacoche et se relève de sa chaise, la main tendue pour saluer l’officier de renseignements. Mais celui-ci refuse cette main tendue en grimaçant, et le médiateur comprend qu’il a mis les pieds dans la merde… profonde.

Sans bouger un œil, l’officier patiente, lorsque trois barbouzes, taillés comme des armoires à glace, pénètrent dans la salle d’interrogatoire et embarquent le médiateur, soulageant l’officier qui les remercie d’un geste de la tête.

Qu’est devenu cet homme par la suite ?

Nada, aucune possibilité de contrôler quoi que ce soit et en toute chose le cloisonnement reste impossible à contrer.

Cette stratégie a été élaborée par un homme, chef du KGB, il y a quelques décennies, un dénommé VP.

Après trois heures d’interrogatoire, les trois individus réclamés par un Général sont relâchés.

Pour le conducteur du bus, la situation est plus périlleuse. Son dossier « employé », ses papiers, sa situation familiale… tout est épluché et passé au peigne fin.

L’intervention de son employeur, qui déjà privé d’un véhicule voudrait bien récupérer son meilleur élément, n’apporte aucun résultat tangible.

Sergeil Piezanowski fait mine de se montrer inquiet et obtempère à toutes demandes des enquêteurs qui se relaient en posant toujours les mêmes questions pour le déstabiliser.

Il est soupçonné d’avoir organisé l’attentat.

Même si les faits contredisent cette hypothèse, les flics veulent un coupable, et le tireur reste introuvable.

À vingt heures, Sergeil retourne dans sa cellule pour y passer la nuit, sans manger ni boire.

23 h

Coup de théâtre.

L’archevêque de Moscou en personne arrive, accompagné par trois malabars, avec un ordre écrit du ministère pour la libération immédiate du héros qui a risqué sa vie pour sauver le Père Ivanow, évêque de l’Église cistercienne St Henry.

Sergeil Piezanowski, alias Hugues de la Vilardière, est donc à nouveau un homme libre.

Mais il sait, il les a vus. Deux barbouzes, armés comme des porte-avions, sont collés à ses basques, avec probablement des ordres le concernant.

Sergeil est accueilli avec les honneurs par les moines cisterciens de l’Évêché.

Au fond de la salle, assis sur un siège qui a tout l’air d’un trône, sa toque bien vissée sur la tête et la barbe fleurie, le Père Ivanow lui fait signe de s’approcher.

Sergeil s’exécute et lorsqu’il fléchit le genou pour le poser au sol, l’Évêque l’interrompt.

— Non ! C’est plutôt à moi de m’agenouiller devant toi pour ton courage !

Aujourd’hui je te dois d’être encore en vie. Même si Dieu a guidé ton acte et ta main, c’est toi qu’il a choisi pour ce faire !

Tu as ma reconnaissance ad vitam aeternam, et cette maison est désormais aussi la tienne !

Demain, je t’en donne ma parole, toute la Sainte Église et tous les Orthodoxes connaîtront ton nom et béniront ton courage !

Merde, manquait plus que ça, se dit Hugues. Pour passer inaperçu, c’est raté complet. Va falloir remédier au plus vite pour renverser la vapeur.

En même temps, c’est aussi le meilleur moyen d’échapper aux deux quidams qui l’attendent au-dehors.

Son cerveau est déjà en ébullition lorsqu’un moine vient le chercher pour le conduire à sa cellule.

Inquiet, il suit son guide. Mais la cellule en question est un quatre étoiles par rapport à celle des flics.

La nuit porte conseil, paraît-il.

Le lendemain matin, la nuit a fait son travail en matière de conseil. Aux matines, sonnées à sept heures, Sergeil est assis au côté du Père Ivanow. Il en profite pour lui demander une audience privée dès la fin de leur collation.

Quelques minutes plus tard, en son bureau, le père Ivanow l’écoute attentivement.

— Je vais vous demander votre aide mon père, car je suis en grand danger !

— Diantre ! J’ai bien failli dire diable ! De quoi s’agit-il ?

— Deux agents de l’ex-KGB sont collés à mes basques ! Ils savent que je suis ici et ils m’attendent patiemment à la sortie pour me régler mon compte !

— Merde ! Dis-moi quoi faire, et comment !

— Ils attendent Piezanowski ! Mais si c’est un moine qui sort, en compagnie d’autres moines, ils n’y verront que du feu.

— Pas con ! Et on les laissera prendre racine pour leur montrer à quel point ils sont cons, eux !

— Il faudrait aussi différer votre annonce…

— J’ai compris ! Tu préfères filer en douce pour avoir la paix !

— Et surtout pour mettre les miens à l’abri, avant qu’ils ne comprennent que je leur ai faussé compagnie !

— Ça marche ! Tu garderas ta robe de bure le temps qu’il te faudra, et même s’il te faut quitter le pays !

Accorde-moi une journée pour te fournir une identité monastique ! Comme ça tu seras invisible !

— Merci mon père !

— Père Ivanow je préfère !

J’organise ta fuite, ne t’inquiète pas ! Demain tu seras hors du pays et de nouveau un homme libre !

Le lendemain matin :

Sergeil est aux petits soins. Outre sa robe de moine, rêche comme un papier de verre, un prêtre lui confectionne une tonsure magnifique, et un autre lui colle une barbe postiche bien ajustée et finement peignée.

En fin, la calotte vient parfaire sa panoplie.

Sergeil admire son reflet dans un grand miroir, reconnaissant de la dextérité et de l’implication des deux frères cisterciens.

L’évêque Ivanow arrive, debout sur ses pieds et l’air guilleret.

— Eh bien sauveur, te voilà méconnaissable ! Merci mes frères du travail remarquable que vous avez accompli !

Vous accompagnerez notre ami là où il vous le demandera ! Une fois en sécurité seulement, vous reviendrez à l’Abbaye !

Les deux jeunes novices remercient l’Évêque et quittent la pièce.

— Bon, écoute-moi Sergeil ! Ou, quel que soit ton nom, je ne veux rien savoir de plus ! Un homme interrogé ne peut communiquer ce qu’il ignore, pas vrai ?

Et je suis quasi certain que je serai bientôt interrogé, donc aujourd’hui je suis mal en point et je retourne à l’hôpital du temps que tu fileras en douce !

— Vous êtes redoutable Père Ivanow !

— Bien plus que tu ne l’imagines mon garçon !

C’est difficile à avouer pour un homme d’Église, mais je hais la tournure actuelle des évènements, et je hais ceux qui gèrent ce désordre et mettent mon pays dans ces conditions exécrables ! Je hais aussi les responsables, irresponsables, qui nous colorent de rouge aux yeux du monde !

Je te fais un point rapide, et après tu files là où tu dois aller, jusqu’à Paris si tu le souhaites !

Voilà tous tes papiers, faux, mais en règle !

Tu dois connaître par cœur ton nouveau nom et le pedigree qui va avec et que tu détruiras au plus vite !

Ensuite, je te confis cette carte SD ! Dessus se trouvent toutes les réponses aux questions que tu ne m’as pas posées !

Si tu es pris, tu la détruis en la croquant et tu avales le tout !

Reste en vie mon garçon ! Tu es un homme précieux pour faire savoir à tous ce qu’il y a à connaître !

Ne te fie à personne, méfie-toi de tes amis, et évite la mafia russe à Paris, qui en fait est peuplée d’espions au service de Moscou !

Tous les énarques européens le savent, mais aucun n’a les couilles pour intervenir ! Ils ont tous la trouille de Poutine, et Poutine entretient cette pression sur eux !

Tu vas repartir avec un énorme bagage de connaissance, mais c’est aussi un très lourd fardeau à porter !

Pour ta dernière information, l’homme qui a tiré sur moi m’a confondu avec l’Archevêque ! Tu comprendras rapidement pourquoi !

L’Évêque attrape Hugues et le serre très fort dans ses bras.

Tu es le plus valeureux des fouille-merdes que j’ai rencontré ! File !

— J’espère que nous nous reverrons un jour Père Ivanow !

— L’espoir est la force de la vie mon garçon ! Alors, continue à espérer aussi longtemps que possible !

Deux véhicules sortent de la cour de l’abbaye par le grand portail, aussitôt refermé, épiés à la jumelle par les deux sbires du Kremlin.

— Coupe-leur la route, vite ! Je veux savoir où ils vont !

Les deux voitures stoppent, devant les fusils d’assaut pointés sur eux.

— Vous allez où comme ça ?

— Nous accompagnons notre Évêque à l’hôpital ! Il ne va pas bien du tout, ils l’ont laissé sortir trop tôt !

— Et pourquoi deux voitures ?

— Si on laisse la voiture personnelle de monseigneur sur place, on rentre comment gros malin ?

L’agent s’écarte, vexé, et s’approche du second véhicule pour constater. L’Évêque est couché sur le dos, à l’arrière du gros break, apparemment dans le potage.

— Bon, allez-y ! Vous rentrez à quelle heure ?

— Demande à Dieu ! Lui seul connaît la réponse !

— Revexé… Allez, vous pouvez passer !

En fait, le moine qui a répondu est le dernier arrivé à l’abbaye et le premier à en repartir… définitivement.

Il se nomme Michel de l’ Hospital, selon ses papiers.

Chapitre II

Le vol

Sur le vol Moscou/Ankara, le moine assis sur le siège 101 détonne dans le paysage par sa tenue austère.

Sa bible posée sur ses genoux fait office de support au carnet sur lequel il écrit sans discontinuer, ne relevant le nez que toutes les dix ou quinze minutes, le regard dans le vide, pour réfléchir avant de replonger dans ses écrits.

Il est seul sur son rang de trois places, l’avion est tout juste à un quart de sa capacité et aucun personnel navigant ne vient proposer ses services.

L’atmosphère s’en trouve presque aussi austère que la burne du moine. Quasi personne ne parle, pas d’infos ni musique, et le silence n’est troublé que par le bruit des réacteurs.

On se croirait revenu à l’époque de l’Union soviétique, où voyager vers Moscou relevait d’une véritable sinécure. Avec des militaires qui vous imposaient votre siège, avec interdiction d’en bouger et de parler, attaché sur le siège de bois d’un vieux coucou équipé de moteurs à hélices, brinquebalant dans tous les sens et dans un boucan d’enfer. Le tout sous les regards haineux des soldats constamment le doigt sur la gâchette de leur mitraillette.

Hugues, incessant voyageur, se dit que le retour à cette période est déjà bien engagé. Même si les moteurs sont moins bruyants, le reste pue la marche arrière à plein nez.

Il se demande si les passagers vont applaudir quand l’avion se posera au sol, se souvenant de cette particularité la première fois qu’il est venu à Moscou.

C’était il y a quarante ans, juste avant la chute du mur de Berlin.

Du coup, il se remémore cette période très tourmentée, où son job de flic infiltré à Interpol l’avait contraint à quitter la capitale russe par voie terrestre au volant d’une Lada délabrée sur des routes défoncées, encore plus délabrées que sa voiture. Qui d’ailleurs avait rendu l’âme en arrivant à Varsovie.

Même en Pologne, cette atmosphère puante d’après-guerre était omniprésente. Il avait évité la Tchécoslovaquie à cause du risque majeur de ne pas réussir à franchir les barbelés.

Prague semblait tout droit sortie du moyen-âge dans la noirceur de ses bâtiments et ses rues envahies de corbeaux.

Plongé dans ses pensées, le crayon couchant seul une ribambelle de notes sur le feuillet, il n’a pas vu arriver la personne qui vient lui tapoter l’épaule gauche, provoquant un sursaut et la coupure du film de sa mémoire.

— Ça va monsieur ? lui demande la femme.

Il ne répond pas et écrit sur une page blanche un seul mot de quatre lettres.

Muet.

La femme, d’une quarantaine d’années environ, s’excuse et retourne aussitôt à sa place, confuse et admirative.

Elle, le cul bénit de la famille vient de toucher l’épaule d’un moine scribe et muet, dans un avion en vol pour la Turquie.

Le must du must pour alimenter les potins à son retour.

Dommage que les réseaux sociaux soient coupés et interdits en Russie, elle aurait fait le buzz à coup sûr.

Cet aparté ne semble pas avoir affecté le moine, qui continue de coucher ses lignes sans discontinuer sous le regard en coin de la femme, qui continue de l’observer, dans l’espoir d’obtenir une particularité pour étayer ses dires à son retour.

Mais rien ne vient. Il va lui falloir inventer l’environnement et quelques croustillants.

Elle n’est pas inquiète, en reine des commérages qu’elle est, elle se catalogue comme plutôt douée.

Pourtant, sa ténacité est récompensée quand le moine passe du vert au rouge. Il arrache sa page d’un geste rageur et la froisse en boule pour la jeter dans la petite poubelle, avant de refermer son gros bloc note format A4.

C’est bon, elle tient son scoop.

Mais ce scoop justement va retomber comme un soufflet, quand le moine tourne la tête vers elle.

Il plisse les yeux, et libérant ses babines, lui montre les dents simulant un grognement féroce et muet.

Les yeux exorbités par la panique, la femme morte de trouille en pisse dans sa culotte. Son scoop ne verra jamais le jour, l’humiliation serait immédiate tant son audimat de poules qui caquettent est con.

Dommage, se dit-elle en gagnant les toilettes, son sac à la main, pour aller se changer.

À son retour, le moine est replongé dans son rôle de scribe, mais elle évite de porter son regard sur lui.

Quelques minutes plus tard, c’est au tour du moine de prendre la direction des WC, son carnet coincé sous le bras.

Il passe à côté d’elle sans lui adresser un regard. Dès qu’il a refermé la petite porte, elle fonce vers le siège 101 et plonge la main dans la poubelle pour récupérer la boule de papier froissé.

Elle écarquille des yeux furieux en lisant…

« La curiosité est un vilain défaut ».

De colère, elle refroisse le papier et le jette dans la poubelle, furieuse de s’être fait berner. Roulée dans la farine par un moine… pfuuu.

À son retour, celui-ci lui adresse un sourire goguenard, appuyé d’un geste du menton qui veut dire « alors ».

Assis de nouveau à sa place, il reprend son Bic et poursuit son ouvrage.

L’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport d’Ankara sans que personne n’applaudisse à l’exploit du pilote.

Le moine se lève de son siège le premier et vient se poster face à la femme devant laquelle il déplie sa feuille manuscrite.

« Merci de m’avoir tenu compagnie. Votre présence a révélé toute sa lumière à ce voyage maussade. Je ne vous oublierai sans doute jamais ! »

Les yeux qui le regardent laissent perler des larmes, alors il se baisse et lui colle un baiser sur le front avant de tourner les talons.

Il est malin le bougre.

Il sait très bien qu’elle va conserver ce message comme une relique, rien que pour elle, cachée dans une boîte secrète.

Jamais elle ne partagera ce voyage avec les commères du quartier, qui de jalousie lui feraient la gueule.

Ce trésor qu’elle ramène est le sien, et jalousement elle le gardera pour elle seule au fond de sa mémoire et au fond de son cœur de femme.

Tous les passagers en transit sont « accompagnés » par des militaires…

À travers la vitre, Hugues repère la femme de l’avion qui le regarde avec le sourire aux lèvres. Il lui envoie un signe amical de la main.

Elle lui répond en collant un baiser dans le creux de sa main qu’elle lui transmet en soufflant dessus. La jeune fille qui l’attendait, sa fille probablement, lui colle une fausse tape derrière les oreilles, avec un mot que Hugues ne décrypte pas. Malgré tout, elle lui répond du même geste amical.

Il y a encore des gens bien dans ce monde, se dit Hugues, pourquoi en tuer autant.

Au tableau, le vol Ankara/Paris Roissy est affiché. Il y a une heure trente à patienter dans la zone de transit.

Aucune boutique duty-free n’égaie la salle d’attente qui porte bien son nom, attente.

Un seul bureau est ouvert en cas de modification possible suite à une anomalie ou un retard.

Hugues attend le dernier moment pour réclamer une modification sans possibilités de remboursement.

Un vol en partance pour Turin est affiché et des places sont disponibles. L’hôtesse modifie son billet et lui souhaite « bon voyage, mon père ».

Il la remercie et s’éloigne en suivant les consignes affichées en gros caractères, en Turc, et dans la langue de destination, en Italien en l’occurrence.

Son vol est plus court, mais il lui faudra prendre, soit un autre vol, soit un autre moyen de transport pour aller à Paris.

Dans l’avion qui va bientôt décoller trente-sept minutes après celui de Roissy, rares sont les places inoccupées, à l’opposé de son vol précédent.

Dans la totale indiscipline, tous parlent en même temps haut et fort pour se faire entendre, surtout les Italiens dont le débit verbal rivalise aisément avec les Espagnols.

Seul dans son coin, assis près d’un hublot, le moine poursuit son écriture, interrompue en salle de transit pour ne pas se faire remarquer.

Du fait du remue-ménage permanent à bord, écrire est compliqué en restant vigilant. Il opte pour une écriture feinte et se concentre sur tout ce qui se passe autour de lui.

Peu de temps avant l’atterrissage, une trentaine de minutes environ, le commandant de bord fait une annonce au micro.

— Je réclame votre attention et un peu de silence s’il vous plaît ! Un drame s’est produit sur un vol de notre compagnie. Je passe tous les écrans en mode info sur le chanel dédié !

Nos hôtesses prendront vos questions et nous tenterons de vous apporter des réponses, dans la mesure du possible !

L’animatrice de la chaîne info de Berlusconi a une tronche d’enterrement lorsqu’elle prend la parole. Les yeux humides, elle a du mal à s’exprimer.

— Un de nos appareils s’est écrasé dans les Alpes. Il n’y a aucune possibilité de survivants envisageable après une chute de cette violence !

Nous n’avons pas encore de précision ni d’images à vous montrer, mais il semblerait qu’une explosion se soit produite en plein vol, alors que la météo était parfaite !

Des équipes d’enquêteurs sont en route pour couvrir la zone du crash avec l’aide des Français de la chaîne BVS TV.

Dès que nous aurons des informations précises, nous reprendrons les interruptions de programmes pour vous tenir informés !

Je vous demande d’excuser mon trouble, mon amie est hôtesse sur ce vol, et il est probable que je demande à être remplacée à l’antenne pour me rendre sur place !

L’image live est coupée et remplacée par un bandeau défilant donnant les mêmes arguments que ceux annoncés en direct.

L’angoisse et le respect ont chassé le brouhaha des passagers.

Hugues a compris. Il est le seul à avoir une explication tangible concernant cet accident. L’avenir très proche apportera confirmation ou infirmation, mais le hasard n’existe pas, et aujourd’hui dans ce monde de fous furieux dénués de valeurs, la vie humaine n’a aucune importance.

Si, comme il le pense, la cible est un moine, il a intérêt à changer de costume en vitesse.

Assis sur son siège, il a beau cogiter, aucune occasion de se transformer ne se présente sans risque.

Piquer des fringues dans une valise et se faire choper n’est pas envisageable. Trop dangereux.

Si ce sont les Russes qui ont abattu l’avion dans lequel il était supposé voyager, il a encore un peu de temps d’avance avant qu’ils comprennent…

C’est à l’aéroport de Turin que la petite lumière, qui donne le déclic, apparaît.

Un groupe de moines dans le grand hall attend un bus pour se rendre au Vatican !

Le coup mérite d’être tenté.

Sans aucun bagage, autre que sa sacoche de cuir, Hugues se mêle au groupe en se noyant dans la file qui se dirige vers le bus.

Miracle. Personne ne contrôle quoi que ce soit, ni les bagages ni les noms pour savoir qui est qui et qui fait quoi.

L’aubaine est trop belle, et pour noyer encore un peu plus le poisson, il écoute les conversations et s’incruste bientôt pour ne pas attirer l’attention.

Il est cistercien, mais cela ne présente aucune difficulté dès lors qu’il se mêle aux autres.

Le voilà en partance dans le bus pour Rome, et il discute sans problème avec ses copains, parlant six langues distinctement, plus le langage des signes.

Peu avant la nuit, le bus s’arrête près de la place St Marc, et tous les voyageurs descendent brayant comme des gamins en colonie de vacances.

Demain ils seront reçus par le Pape.

En traversant les ruelles étroites, le groupe perd un membre…

Mais dans le contexte de l’excitation qui les anime, nul ne s’aperçoit de quoi que ce soit (à moins que tous s’en fichent).

La vie nocturne à Rome, c’est pire qu’à Paris.

Aucune boutique ne ferme avant vingt-deux heures, et les grandes chaînes sont en full-time.

Hugues se pointe dans un magasin de fringues chic.

La jeune femme qui l’accueille est perplexe en voyant débouler un curé dans sa boutique.

— J’étais à une partie privée avec des potes et on m’a chouré ma valise !

— Je me retrouve comme un con dans la peau d’un moine et je ne peux pas retourner à l’hôtel dans cet accoutrement sans qu’ils appellent les carabiniers !

— À votre âge, faudrait peut-être lâcher un peu la bride, non ?

— Ouais ! Je vais y penser !

— Vous êtes marié ?

— Pourquoi, t’es intéressée ?

La fille pique un fard à faire pâlir de jalousie les lampions.

— Non, ça m’apprendra à fermer ma gueule !

— Je ne plaisantais pas ! Une bonne compagnie c’est toujours mieux que de rester tout seul !

Non ?

— Vous êtes sérieux, vous me faites du gringue ?

— Ben avec une tenue adéquate, pourquoi pas !

— C’est vrai que dans ta robe de bure ça fait craignos, mais moi j’aime bien l’idée !

Dans la salle d’accueil, l’émission de la télé est interrompue pour passer un flash info.

— Désolée d’interrompre votre émission !

L’information du jour prime sur l’ensemble des programmes du quotidien !

Nous apprenons à l’instant que le vol Air Italia qui s’est crashé cet après-midi dans les alpes a été victime d’un attentat, ou d’une attaque, délibérée ou accidentelle, par un tir de missile !

Les recherches des boîtes noires se poursuivent activement sur la zone d’impact, grande comme trois terrains de foot et le milieu escarpé rend la tâche des plus compliquée.

Un très large périmètre de sécurité a été établi et une enquête est ouverte à l’heure où je vous parle ! Les forces de police dépêchées sur les lieux sont considérables et un déploiement militaire pour sécuriser les lieux a été ordonné !

Je reprendrais l’antenne dès que nous aurons du nouveau !

Clic…

— Ben merde ! Vous connaissez quelqu’un à bord ?

— Je suis pilote de ligne sur cette compagnie !

Les deux pilotes sont mes potes !

— Mon pauvre chéri dit-elle le serrant dans ses bras, tout contre sa poitrine !

Viens, je vais te changer les idées et on te trouvera une belle tenue bien digne !

Les idées ne vont pas si mal que ça. Il a même de la suite dans les idées en se disant qu’une piaule anonyme est préférable à une chambre d’hôtel dans un pays mafieux.

Je n’ai pas besoin de vous conter la suite dans les détails. Tout se passe dans la cabine d’essayage, absolument tout.

Heureusement qu’il est le seul client dans la boutique, parce que si la cabine fait du bruit, croyez-moi, la fille c’est tout autre chose. Ses hurlements couvrent largement le son de la télé monté à fond.

Minuit :

La sensuelle ferme la boutique d’une main, en tenant sa victime de l’autre de peur qu’il ne s’échappe.

— T’inquiète pas, c’est moi la patronne ! Et puis c’est pas tous les jours que je vais dénicher un client comme toi !

T’es curé en vrai ou t’es pas curé ?

— Pas curé !

— Alors, va falloir le prouver, un peu mieux que la première salve !

Dans les faits, Hugues regrette de ne pas être pompier, pour éteindre ce feu de braise, il faut un sacré diplôme.

Le lendemain matin, Gina (c’est son nom, ou pas) repart au boulot à sa boutique, et Hugues en profite pour lui fausser compagnie.

— T’es quand même un beau salopard lui dit sa conscience !

Comme il n’a pas envie de la contrarier, sa conscience, il ne répond strictement rien, coupant court aux états d’âme.

Il quitte l’immeuble et part à la recherche d’une voiture à louer, sans utiliser son tél. qui pourrait le trahir.

En traversant la ruelle, il le balance définitivement dans l’égout.

Bye bye VP. Lâche-moi un peu les baskets.

Il trouve un Europcar à trois pâtés de maisons.

En Italie il faut louer du Fiat pour ne pas attirer l’attention, et en payant cash c’est la garantie d’avoir la paix.

Trente minutes plus tard, la Fiat, la même que celle de l’acteur américain qui fait transpirer les femmes d’un seul regard, sort du garage avec un Hugues satisfait au volant.

Les lunettes noires sur le nez, il se prend pour Di Caprio, mais le résultat ne suit pas vraiment.

Non, tout compte fait, il ne suit pas du tout.

À la frontière, au poste de Vintimille, les flics sont aux aboies. Il y a un renfort militaire, italien et français et tous les véhicules sont fouillés, et passés aux détecteurs.

Le révérend Michel de l’ Hospital n’échappe pas à la règle.

— Vous avez des bagages ?

— Ma sacoche uniquement !

— Et vous allez où mon père ?

— J’ai une conférence à Grenoble, à la fac, en fin d’après-midi !

— Très bien ! Allez-y ! Et ne prenez pas la A7, elle est fermée !

— Merci, je vais faire avec ! Bon courage !

En réalité, Hugues décide de passer par les Cévennes et le Massif central. La circulation est beaucoup plus fluide et la conférence à Grenoble sera pour une prochaine fois.

Cet axe délaissé par les Parisiens, ça fait pas chic de dire j’ai pris la A75, est un enchaînement de montagnes, de cols à franchir, de forêts et de lacs… tellement dépaysant qu’on ne voit pas le temps passer.

En plus, cette autoroute, baptisée la Méridienne Verte, est dénuée de frimeurs. Pas de grosse Ferrari, de Porsche tape à l’œil, tout juste voit-on parfois une Mustang rouge qui part en vacances.

La traversée des Cévennes est toujours un régal pour les yeux. La densité de population au kilomètre carré y est très inférieure à celle du bétail. On dit souvent qu’il y a plus de vaches que d’habitants.

L’excès de calme a parfois un effet contraire à celui recherché. Le silence a quelque chose d’oppressant, difficile à expliquer, sauf peut-être pour Thomas Pesquet.

Hugues a l’habitude de maîtriser ce type d’angoisse inutile, et il le fait sans se forcer en s’obligeant à savoir où il va quand il est ici.

Comprenez anticiper sans jamais se tromper.

Pourtant, un évènement vient perturber ce défilé géographique mémoriel. Rien de grave, mais, un panneau « déviation cause travaux » ça crée un beau bordel sans carte routière ni GPS au beau milieu de la forêt.

À la vue d’un cours d’eau en contrebas, dans une vallée, il s’arrête pour s’assurer qu’il remonte bien vers l’amont.

C’est bon ! Pendant plus d’une heure, sans s’énerver, il cherche un panneau indicateur improbable, et arrive enfin dans un hameau… désert.

Il n’y a plus âme qui vive ici depuis belle lurette, mais à la sortie du petit bourg un vieux panneau routier est enfoui dans les herbes et les ronces.

Avec un bout de bois tout pourri, il écarte la flore épaisse pour trouver une inscription sur cette vieille borne Michelin.

Bingo ! À peine visible et lisible, mais il devine, Florac16.

Il est dans la bonne direction, et instantanément son cerveau passe un cap.

Il jette le gourdin dans les fougères et reprend le volant de sa Fiat 500 Di Caprio. Dans sa tête, il se fait le pari que les arbres le regardent, curieux de voir cet engin inconnu circuler ici.

Il n’a pas tout à fait tort, à part les tracteurs agricoles, quelques vélos, et de temps en temps une bonne vieille mobylette, qui peut bien venir circuler ici dans une boîte à savon.

La Lozère, c’est le trou du cul du monde. Mais un joli trou et un cul magnifique.

Il arrive à Florac. Le patelin est si calme, fleuri, beau… qu’on a l’impression d’avoir changé de monde sans s’en apercevoir.

En tout cas, cet épisode a un aspect extrêmement positif.

La quiétude a nettoyé le cerveau de toutes les turpitudes et saloperies de la terre. Une mise à neuf, bienfaitrice, qui libère la voie à un horizon plus serein.

Hugues se gare sur la place de la ville qui arbore magnifiquement son nom.

FLORAC c’est la flore sous toutes ses formes, toutes ses couleurs et toutes ses odeurs parfumées.

Il entre dans Le Petit Bistro (c’est le nom marqué sur la porte) où la patronne, son tablier sur le ventre, aussi nature que la nature, le reçoit avec un…

— Bonjour étranger, c’est pour manger ?

— S’il vous reste à grignoter, je suis preneur !

— Plat du jour, truffade salade verte, et tarte aux pommes !

— Adjugé vendu, c’est parfait !

— Avec un p’tit rouge ?

Non merci, une eau pétillante fera l’affaire !

La truffade ! Ah c’est quelque chose la truffade ! Le plat préféré du monde paysan. Mais il ne faut pas oublier que paysan signifie habitant du pays. Sans connotation péjorative, la truffade devient le plat du noble.

Son repas terminé, Hugues sursaute aux cris de la patronne.

— C’est pas toi qui commandes, alors arrête de m’emmerder où ça va chauffer pour ton matricule !

Celle qui se prend l’engueulade, une très jeune fille, traverse la salle à manger en tapant des pieds et grommelant des mots doux, puis prend la porte de l’escalier qui monte à l’étage.

— Excusez-moi l’étranger, rien de grave juste un coup de colère !

— Dû à l’âge probablement ?

— Oh non, rien à voir ! Elle veut aller voir sa grand-mère malade ! Mais elle n’a pas l’âge de partir seule et j’ai autre chose à faire qu’aller à Saint-Flour !

— Je me rends à Paris en rattrapant la A75 à hauteur de l’aire de la Lozère ! Saint-Flour est juste après !

Si vous êtes d’accord, j’emmène le petit chaperon rouge voir sa mère-grand !

— Mais je ne vous connais pas !

Hugues sort son passeport et le lui tend.

— Ben merde ! Oh pardon mon père !

— Il m’arrive de jurer aussi ! Le juron est le défouloir de l’homme… et aussi des femmes, pas vrai ?

— Vous venez d’où ?

— D’Ukraine ! Il m’a fallu faire un grand détour par la Turquie et l’Italie pour fuir les hommes de Poutine !

— Et maintenant ?

— Notre bon Pape François m’a conseillé quelques jours de repos ! Mais je repartirai là-bas, dès que possible, aider les miséreux !

Allez chercher la petiote, elle vous sera reconnaissante d’avoir trouvé une solution !

Elle a un téléphone ?

— Oui, bien sûr !

— Eh ben alors ! Elle vous appellera dans quelques jours pour aller la récupérer !

— Merci mon père ! Je vais la chercher !

La mère et la fille redescendent l’escalier, et la gamine apparaît avec son baluchon sur l’épaule.

— Maman m’a expliqué monsieur le curé. Je vous guiderai dans Saint-Flour pour aller chez… mère-grand, vous dites ?

— Embrasse ta mère et remercie-la ! C’est elle qui m’a demandé où j’allais, et la suite tu la connais !

Hugues regarde la maman, et lui envoie un clin d’œil.

Après les embrassades et les larmes, Hugues sort son portefeuille pour régler sa note, mais la maman refuse catégoriquement.

Pauline se retrouve sur le siège passager et ouvre sa vitre pour faire coucou à sa mère qui regarde partir la Fiat 500…

— Vous êtes pas près d’arriver à Paris à cette cadence !

— Ma journée dure vingt-quatre heures, comme la tienne !

Même en me dépêchant, elle fera quand même vingt-quatre heures, vois-tu !

— Ah, rien ne sert de courir, il faut partir à point ?

— C’est ça ! La Fontaine était loin d’être un con !

— Houla ! C’est pas un langage de curé, ça !

— Si ! De temps en temps ça fait du bien !

Il tend la main et la gamine lui claque un check en riant.

— Merci de me redonner le sourire, j’espère que je vais trouver mère-grand en bonne santé !

— Et sans croiser le loup, c’est encore mieux chaperon rouge !

Elle éclate de rire, un rire enfantin, et cette fois c’est elle qui tend la main pour faire check.

Ils arrivent à Saint-Flour le Haut, perché sur la falaise…

La grand-mère qui ouvre la porte, éclate de joie en la voyant et écarte grands ses bras pour accueillir sa petite fille, qui s’y réfugie aussitôt.

— Ma Pauline préférée, qu’est-ce que tu fous ici ?

— Vous n’êtes pas malade, madame ?

— Qu’est-ce que tu as inventé dit-elle en faisant les gros yeux à Pauline ?

Pauline, elle, jette un clin d’œil au curé qui comprend instantanément et entre dans son jeu espiègle.

— Elle n’avait pas de nouvelles, alors elle s’inquiétait !

Vous appellerez sa maman pour lui dire que vous allez déjà mieux, grâce à Pauline !

La fillette saute dans les bras de son sauveur.

— Merci monsieur le curé ! Ce soir, je dirai une prière pour remercier le bon Dieu de vous avoir mis sur ma route, promis !

— Voilà une sage décision mon enfant ! Mais soit un peu moins espiègle, dis simplement les choses, sans détours inutiles et tu seras toujours mieux comprise… pas vrai madame !

— Si elle vous écoute, alors moi je pète un lièvre ! Et je vais à l’église prier pour votre bonne âme, monsieur le curé !

Pour ne rien vous cacher, sa mère m’a prévenue pour que je ne la fâche pas de sa coquinerie !

Après avoir bu un verre de citronnade maison, le voilà à nouveau sur la Méridienne Verte en direction de Clermont-Ferrand…

Pas besoin de chercher les panneaux, le monde réel est de retour et la récréation avec Pauline est terminée.

Il aurait bien aimé avoir une fille coquine comme Pauline, mais pour cela il faut être deux à le vouloir. Il pense à son fils, Hugo, espiègle aussi quand il était gamin.

Aujourd’hui, c’est un homme, aussi grand que son père, et aussi cabochard que sa mère… Apolline, qui bosse à France, télévision et anime des émissions people.

Bien que toujours mariés, ils ne vivent pas ensemble, ça fait plus branché que le plan plan des couples lambda. Ils se sont accommodés de cette vie… perso.

Il se demande si les prévenir l’un et l’autre de son retour est une bonne idée, puis rechasse cette pensée. Il doit avant être certain que les Russes ont lâché sa traque. Ça, c’est une tout autre histoire, la plus urgente à contrôler.

Ces gens-là ne capitulent jamais, ne font jamais marche arrière… le déshonneur serait trop grand.

Ils ne pensent à autre chose que le gêneur éliminé physiquement.

La nuit commence à poindre quand il arrive à l’embranchement de la A6. D’un claquement de doigts, le trafic passe de quasi zéro à la puissance cent. Et encore, à cette heure-ci, c’est calme.

La région parisienne commence là.

Les premiers vrais bouchons de la A6 ne tardent pas à se former. Et je te roule à gauche, et je double par la droite, et j’emmerde tous les autres…

Le comportement irrationnel, et dangereux, des Parigots vous sautent à la gueule et vous contraint, de force, à passer en mode vigilance maximale… (ou maxi mâle, ça marche aussi)

Après avoir dépassé IKEA sur sa gauche, il s’obstine à rester sur la file de droite, malgré quelques coups de klaxon, pour ne pas rater la sortie Versailles, par la 104.

Là, le panneau de limitation de vitesse indique 110, mais quand vous arrivez à tenir le 60, vous vous considérez comme un conducteur heureux.

Il prend la sortie La Croix blanche, Sainte Geneviève des Bois et se dirige vers le centre, un axe perpétuellement en travaux.

À cette heure avancée, la rue principale est top fluide. Il passe devant le supermarché Carrefour et bifurque à gauche, puis au bout de la rue au dernier stop, encore à gauche.

L’établissement Body Hit est son point de repère, surtout aux heures de pointe. Il se gare sur le trottoir, trente mètres plus loin pour ne pas stationner juste devant chez lui.

Avant d’entrer dans son immeuble, pour retrouver son appart, il passe deux fois à pied, un coup sur chaque trottoir, pour renifler les emmerdes possibles… rien.

Le voilà enfin dans son coin de tranquillité, là où il aime se réfugier pour écrire ses mémoires, et ses romans édités chez Machin.

Ce havre de paix est son petit paradis. Ni sa femme ni son fils ne connaissent ce lieu qu’ils auraient tôt fait de qualifier de garçonnière.

Un lieu calme, dans une rue calme, d’un quartier encore épargné par la surpopulation.

Avec les nouvelles règles d’urbanisme, la banlieue est devenue invivable au quotidien. Il n’y a plus assez d’eau pour tout le monde, alors les prix flambent et la vie se transforme en mode survie.

Et cette survie engendre la rébellion, les émeutes, avec tous les débordements de plus en plus récurrents.

C’est là, justement, le sujet de son prochain ouvrage en cours.

La raison qui fait qu’il couche autant de notes sur ses calepins, la voilà.

Des notes pour étayer ses dires, pour avoir des repères incontestables, et faire face à tous ceux qui ne manqueront pas de l’allumer…

S’il arrive à rester en vie, condition sine qua non.

Les lampadaires extérieurs, volets ouverts, éclairent suffisamment pour ne pas allumer les lumières intérieures.

Prudence, prudence…

La femme de ménage, de chez ONET, vient toutes les semaines, conformément à son contrat, et l’absence de poussière confirme son sérieux.

L’agencement de l’appart est sobre de chez sobre. Pas de télé 4K ni de sono, et le Mac sur lequel il reprend ses notes est un portable qui ne reste jamais ici.

Un quidam lambda qualifierait de parano cet excès de prudence. Mais ce quidam-là n’habite pas en région parisienne.

Hugues, fatigué de la route et des emmerdes, se couche sans dîner, et ronfle comme un goret dix minutes plus tard.

Chapitre III

La préparation

Au petit matin, il se réveille la tête dans le potage, mais en sachant exactement ce qu’il doit faire et dans quel ordre il doit le faire.

Mais il sait aussi que si un élément extérieur vient effondrer son château de cartes, sa mémoire chamboulée l’obligera à tout reprendre à zéro.

Alors, il prend son petit bloc-notes marqué mémo. Ne jamais faire confiance à sa mémoire, une devise dont ne jamais se départir.

Sur son pense-bête il note, dans la chronologie, tous les éléments, en sautant une ligne à chaque fois pour d’éventuelles corrections à apporter. Il couche là, phase par phase, lieu par lieu tout ce qui doit être terminé ce soir.

Et la page est bien chargée, mais l’organigramme démontre une habitude et une méthode sans failles.

L’expérience vient avec l’âge…

La sagesse, c’est une autre histoire. Et les turpitudes actuelles ne plaident pas pour une amélioration à court terme.

Il s’apprêtait à descendre boire un café chez Jeanne, mais se ravise au dernier moment. Elle est très copine avec Apolline et serait capable du pire, pas besoin de mettre le bordel dans le schéma.

Un peu de marche jusqu’au café de la gare ne fera pas de mal, et nul ne le connaît là-bas.

Dans la rue, malgré le calme, la prudence reste chevillée au corps. La tenue que Gina lui a imposée et qu’il a payée de sa personne est absolument parfaite.

Loin du costume cravate ou de la panoplie BVS, il est fondu dans le paysage comme un grain de sable au milieu de la plage.

— Merci, Gina, j’espère que tu ne m’en veux pas trop !

— On cause tout seul papy ?

Il se retourne en sursaut, un gamin sur ses talons sur une trottinette électrique, casquette vissée à l’envers et qui lui montre son pouce levé…

Grosse alerte, il n’a rien vu venir.

— Non, je m’entraîne pour ce soir !

— Quitte-la vite ta Gina, je la plains ! Si tu me donnais son numéro !

Au lieu de son pouce, Hugues lui montre son majeur. Ça fait d’jeun y paraît, et le gamin éclate de rire et accélère.

Ziiiii…

À prendre en compte, se dit Hugues.

Il arrive au café de la gare et commande un noisette croissant, qu’on lui apporte à la table de terrasse où il s’est installé.

Il paie en monnaie sonnante et le barman lui dit :

— Carte bleue ou téléphone s’il vous plaît !

— J’ai tout laissé dans la voiture, à cinq cents mètres !

Prends ma monnaie et ne sors pas de ticket de caisse !

— Mais j’ai pas le droit m’sieur !

— Eh bien tu prends le gauche ! Demande à ton boss !

Le jeune revient en lui disant que c’est OK et lui rend la monnaie.

— Garde le tout, et mets-le dans ta poche discrètement !

Le gamin le regarde, l’air ahuri de surprise, et Hugues lui balance un clin d’œil avec son pouce levé.

— Merci beaucoup m’sieur ! Passez une bonne journée !

Le sourire aux lèvres, il regagne sa place au bar. Deux balles de pourliche, c’est bien la première fois.

Avant de repartir, Hugues va le voir et lui demande :

— Tu sais où je pourrais trouver des jumelles ?

— Un peu plus loin, même trottoir ! Magasin chasse et pêche, il a tout ce qu’il faut !

— Merci ! Bonne journée aussi à toi mon gars !

Et en repartant, il lui colle une nouvelle pièce de deux boules.

— À vot’ service m’sieur ! Revenez quand vous voulez !

Hugues passe devant le magasin sans s’arrêter, en jetant un coup d’œil à l’intérieur, il y a un client au comptoir.

Il poursuit vingt mètres plus loin, patiente, et revient quand le gus ressort.

Il rentre dans la boutique et salue le tôlier.

— Je cherche des jumelles, puissantes, pas grosses et pas lourdes !

— Ça a le mérite d’être précis ! Je vous préviens, si c’est pour fixer sur un drone c’est strictement interdit !

— D’accord, mais l’idée du drone est pas con ! Vous vendez aussi des drones ?

— Disons que ce n’est pas impossible, tout dépend !

Regardons d’abord les jumelles !

Le gars s’éclipse dans l’arrière-boutique et revient avec un carton, qu’il ouvre, et sort ce qu’il qualifie de must.

Il décapsule une petite trappe dans laquelle il glisse une pile bouton. Il contrôle le déverrouillage et la tend à son client.

Hugues la porte à ses yeux et l’enlève aussitôt dans un sursaut.

— Bordel ! C’est quoi ce truc ?

— Je l’ai programmée à mi-puissance ! Puissance maxi, vous pouvez regarder une mouche sur la lune ! S’il y en a évidemment ! Un matos ultra sophistiqué !

— Les gars à Zélensky ont les mêmes en Ukraine !

— Vous êtes allé là-bas ?

— J’en suis revenu avant-hier !

— D’accord ! Et vous savez que ce matos est interdit !

— Oh oui ! Mais seulement chez nous, et c’est exactement ce dont j’ai besoin !

— OK ! Mais cela se fera sans trace !

— Retirez-lui la puce de traçage et je pars avec !

— J’ai affaire à un expert, ça marche pour moi !

— Combien ?

— Revenez dans une petite heure ! Si la pancarte indique closed, vous entrez et vous sonnez, là…

Cling… cling.

— Combien ?

— Trois cents !

— Parfait ! Pas de trace, pas de vente, et on ne se connaît pas !

— Vous voulez repartir en Ukraine ou quoi ?

— Juste un peu plus loin, j’ai des comptes à régler !

— Merde, vous êtes sérieux ?

— J’ai une gueule à plaisanter ?

— Quand vous reviendrez, je vous montrerai d’autres choses !

— À tout à l’heure !

Hugues ressort, ultrasatisfait de ce contact qui va lui faire gagner du temps dans son timing chargé. En plus la tête du gars lui dit quelque chose qu’il va falloir éclaircir, plus tard.

Il passe la petite heure à se procurer quatre cartes d’état-major, dans quatre boutiques différentes, et des instruments de mesure, sextant, laser, etc.

De retour devant la boutique de pêche, la pancarte US sur la porte indique closed.