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Julian a passé une grande partie de sa vie à rechercher le secret des Cathares. Et si l’argent n’était pas à l’origine de cette puissance ? Et si les hommes avaient cherché dans la mauvaise direction ? Une nuit plus courte que les autres, après des années d’acharnement, son entêtement est enfin récompensé par la découverte et la résolution du problème. Julian vient de trouver le réel trésor des Cathares. Il espère alors prouver sa véritable source en activant des fonctions de magicien. Une bouffée hilarante est un ouvrage humoristique où se mélangent les faits et gestes traditionnels, avec un brin de magie. Pour adultes et adolescents qui entendent oublier la tristesse de l’actualité, ceci est la distraction assurée.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Franck Bonnet pense que l’écriture est le prolongement de la lecture. Aussi, ces deux ingrédients indissociables sont indispensables à son équilibre mental.
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Seitenzahl: 363
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Franck Bonnet
Bouffée hilarante
Roman
© Lys Bleu Éditions – Franck Bonnet
ISBN : 979-10-377-5561-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mes remerciements vont à Christine, mon épouse, dont je savais qu’elle m’accompagnerait dans cette aventure
Le sommeil menaçait d’emporter profondément Julian Castanié dans les bras de Morphée. À cette heure avancée de la nuit, il éprouvait toutes les peines du monde pour parvenir à supporter le poids croissant des paupières dont la lourdeur augmentait sans cesse. Il résistait cependant avec conviction, confortablement installé, dans un séjour où une faible et douce luminosité dégageait une atmosphère feutrée. L’endroit se voulait plus convivial que luxueux grâce à de spacieux espaces de vie rationnellement et subtilement aménagés. Le choix des meubles, des couleurs et des tableaux ne souffrait pas de la moindre faute de goût. La pièce, dans laquelle Julian était fort occupé, comptait parmi celles où on ressent instantanément une forme de bien-être. Allez savoir pourquoi, dans certains lieux que vous découvrez pourtant pour la première fois de votre existence, vous éprouvez ipso facto une grande sérénité et une aisance certaine alors qu’à l’inverse il en existe d’autres qu’au grand jamais vous ne parviendrez à vous approprier, à vous y sentir bien. Il ne serait pas aisé d’apporter une explication rationnelle quant à l’origine de cette attirance ou à l’inverse de cette aversion, sinon le fait que nous l’avons tous, tour à tour observé. Mais mieux encore, s’il en va ainsi pour les logements, le même constat vaut tout aussi bien, pour quiconque qui aura quelque peu voyagé, s’agissant de chambres d’hôtel, d’emplacements de camping, jusqu’à de simples aires de pique-nique. Certains n’hésiteront pas à soutenir la thèse selon laquelle ce constat n’est pas spécifique aux sites dont on effectue la découverte mais qu’il en va strictement de même pour ce qui est de personnes jamais rencontrées. La forme la plus spectaculaire de ce phénomène est sans nul doute constituée par le coup de foudre. Mais ce dernier existe-t-il vraiment ou relève-t-il du pur mythe en lequel on aimerait tant croire ? Toutes les explications en la matière ne sont pas aisées à apporter, et tout consensus compliqué sinon impossible, mais le fait est que le lieu occupé par Julian comptait parmi les appartements engageants et accueillants.
La lutte farouche menée contre le sommeil était motivée par sa certitude quant au fait de progresser de manière décisive dans le cadre de ses longs et fastidieux travaux de recherche. Mieux encore, il venait d’acquérir la naïveté de croire qu’il pouvait aboutir, là où tant d’autres, ou pardon tous les autres sans exception aucune, avaient précédemment échoué avant lui, et pas moins de sept siècles durant. Pour quiconque qui s’intéressât de près au moyen-âge, de toute évidence le trésor des Cathares relevait davantage de la légende que du fait historique prouvé, observé et scientifiquement démontré. Si ce tragique épisode de l’Histoire est peu ou prou occulté par les manuels scolaires, c’est sans nul doute parce que l’âpreté des combats, qui ont opposé les Occitans aux croisés de Notre-Dame de Paris, n’a strictement rien à envier aux pires conflits contemporains du fait de l’intensité des atrocités commises. Cette fin de journée mettait un terme au moins provisoire à de multiples expéditions menées sur le site de Montségur, autrement dit au cœur même de la terre cathare, là où précisément l’agresseur n’avait pas hésité à dresser des bûchers. Des données relevant de la plus haute importance avaient été prélevées par Julian avant qu’il ne procède à des recoupements et croisements d’informations capitales. La mémoire tragique de ces lieux était à l’origine d’une collecte d’éléments hétérogènes, de divers paramètres et informations toutes aussi variées que capitales et qui méritaient à présent une exploitation minutieuse et détaillée. L’alchimie qui en résultait était gouvernée par la plus haute complexité sans que cet inconvénient n’ait nullement dissuadé Julian, trop ravi que soient enfin nourries des pistes riches et prometteuses. Il était atteint par une véritable fièvre, celle-là même qui, à l’heure de la conquête de l’Ouest américain, frappait les chercheurs d’or enclins à la découverte d’une pépite. Cette nuit-là, et pour la première fois depuis le début de ses longues et interminables investigations, Julian croyait bel et bien en sa bonne étoile.
Estelle, son autre bonne étoile, était paisiblement installée à proximité, en plein centre du canapé qui faisait face à l’imposant écran de télévision dont le rôle ne se cantonnait plus qu’à celui de berceuse. Son sommeil fut interrompu par un générique publicitaire dont le volume du son était volontairement irrégulier et trop élevé, manière de capter l’attention des téléspectateurs momentanément distraits.
*
Estelle exerçait la profession d’enseignante, fonction qu’elle considérait comme passionnante en dépit du fait que le paysage professionnel était considérablement terni par la présence de multiples et stériles contraintes administratives. Elle aimait entretenir un lien qualitatif avec ses élèves et c’est de manière délibérée qu’elle avait choisi ce métier enrichissant à tant d’égards.
Pour autant, M. Sturbeux, le proviseur de cet établissement n’était manifestement pas à la hauteur de la situation tant il était dans l’incapacité manifeste de contrôler le cours des événements. Par suite, là où les relations professionnelles auraient pu et dû s’avérer constructives, elles étaient systématiquement désordonnées, confuses et conflictuelles. Ce constat négatif effectué par Estelle valait également pour ses collègues auprès de qui il générait une forme d’unanimité en sa défaveur. Mais pire encore étaient les rapports entretenus avec certains parents d’élèves dont en particulier Mme Apeyrot. La salle des professeurs constituait un lieu d’échanges privilégié dans lequel Estelle répétait à souhait le fait qu’autant elle était fréquemment confrontée à des parents de génie, aussi rarissimes étaient les génies qu’elle avait eu le bonheur de rencontrer effectivement dans la vraie vie. Précisément le cas de Mme Apeyrot dépassait à lui seul l’entendement car les enseignants étaient confrontés à un élève, son fils, qui comprenait vite à condition de lui expliquer plus longtemps que les autres. Un tel handicap scolaire, somme toute courant et banal, n’aurait pas suscité une attention particulière si la mère de cet élève n’avait eu l’idée géniale de s’autopersuader qu’il s’agissait d’un élément surdoué. La présence de résultats scolaires fort mitigés était selon ses dires exclusivement dû au fait que les enseignants l’auraient collectivement et injustement pris en grippe. Le ridicule ne tuant pas, celle-ci n’avait pas hésité à se faire élire à la tête d’une organisation de parents d’élèves, sans nul doute grâce à un déficit de candidatures qu’elle avait su mettre habilement à son profit. Elle n’hésitait pas à utiliser à des fins personnelles le mandat collectif qui lui avait pourtant été décerné par le biais d’une élection. L’obligation de réserve qui pesait sur Estelle, face aux incessantes provocations de ce vil personnage, ne l’autorisait pas sur le plan déontologique à la remettre à sa place tel qu’elle l’aurait néanmoins amplement mérité. Comment lui faire entendre que son fils était scolairement en retrait constant par rapport au niveau médian de sa classe et qu’en fait c’est à maintes reprises qu’il aurait dû redoubler au cours des années scolaires précédentes ? Or si ce scénario n’avait anormalement pas vu le jour, c’était précisément en raison de la présence manipulatrice de sa mère érigée en fédération locale de parents d’élèves. Les autres professeurs ne supportaient pas davantage les attitudes empreintes d’agressivité et les propos désobligeants qui émanaient de l’infâme bouche de Mme Apeyrot. Les conseils de classe constituaient une véritable épreuve redoutée par la totalité des participants.
L’attitude du proviseur, M. Sturbeux, n’apaisait en rien cette situation compliquée. Il n’entendait nullement se mettre à dos Mme Apeyrot qui prétendait à tout vent être particulièrement influente au plus haut niveau hiérarchique de l’académie scolaire locale. Vrai ou faux, nul ne savait exactement de quoi il en retournait mais M. Sturbeux, prudent, n’entendait prendre aucun risque de nature à nuire au bon déroulé de sa carrière, aspect des choses qu’il entendait privilégier, fût-ce au détriment de toutes les autres considérations. Le message ainsi affiché était tout aussi clair qu’explicite, ce principe fondamental ne souffrirait d’aucune exception.
Julian exerçait quant à lui au sein d’un cabinet d’expertise comptable en tant que salarié. Il était loin d’avoir renoncé à toute évolution de son cursus professionnel qui semblait même se profiler sous les meilleurs auspices. Un projet d’expansion germait au sein de son entreprise, lequel consistait à ce qu’il acquière des parts sociales en vue de lui conférer le statut d’associé. Son employeur envisageait à cette occasion de lui confier l’encadrement d’une antenne dont la localisation faisait encore débat. Une étude de marché était diligentée en vue de déceler l’endroit propice et le plus opportun sur le plan économique. La méthode utilisée consistait en une collecte préalable et maximale d’informations clefs de sorte que la prise de décisions ne serait effectuée qu’une fois dissipé l’épais et dangereux brouillard qui menace tout bon investisseur. L’unique certitude en cette matière avait trait à sa collaboration et plus précisément au fait qu’il mènerait à bien cette opération, principe qui avait été érigé en condition sine qua non.
Il avait cependant accepté le fait, et qui plus est sans amertume aucune, que cet avancement serait, non pas purement et simplement abandonné, mais provisoirement différé dans le temps. Son comportement en la matière ne consistait pas à retarder ce plan coûte que coûte. Sans vraiment jouer la montre, il ne faisait pas preuve non plus d’empressement et un double motif était à l’origine de cette attitude qui aurait pu sembler dilatoire à maints égards. En premier lieu, le temps jouait en sa faveur car il se montrait extrêmement actif dans l’étude de marché à laquelle il adhérait entièrement. Nul n’aurait songé à s’offusquer du fait qu’il préférait inscrire son action dans la durée afin de ne pas avoir à regretter ultérieurement ses choix actuels. Négliger ce qui a priori peut se profiler tel un simple détail peut pourtant s’avérer déterminant a posteriori et c’est en quoi un jugement hâtif et approximatif serait susceptible de compromettre dangereusement la réalisation de l’objectif.
Mais son positionnement n’avait pas une origine exclusivement professionnelle. Son emploi du temps personnel était surchargé en raison de la présence de nombreuses journées consacrées à des recherches médiévales fort approfondies et corrélativement extrêmement chronophages. Il menait ce rythme soutenu depuis déjà bon nombre d’années avec une confiance qui, aux yeux de plus d’un, aurait pu passer pour de l’incrédulité. Cette attitude était d’autant plus insolite de sa part qu’elle contrastait singulièrement avec ses traits de personnalité empreints d’un parfait et constant rationalisme. Julian ne comptait pas parmi ces hurluberlus fantaisistes ou sectaires, bien au contraire. Encore une fois, nul n’était certain que le secret des Cathares existât ou eût jadis existé, et plus précisément une majorité d’historiens n’y croyaient carrément pas. Pour autant il menait ses investigations, plus passionné et déterminé que jamais avec une confiance hors du commun qu’aucun argument n’aurait pu ébranler. Pour ce faire il n’économisait rien, ni ses efforts, ni les week-ends et pas davantage les jours de congé qu’il considérait notoirement insuffisants pour satisfaire son insatiable appétit scientifique. Or il savait pertinemment que le fait de changer de statut social, de passer de celui de salarié en une profession indépendante, et qui plus est avec une antenne à gérer et animer, allait inéluctablement et drastiquement réduire ses disponibilités. Or, et il ignorait très précisément pour combien de temps encore, il éprouvait un besoin précieux de temps libre lui permettant d’investiguer inlassablement. Dès lors, il ne pouvait se permettre, au stade où il était désormais parvenu, d’être freiné dans ses recherches, quels qu’en soient les motifs.
*
Ce soir-là, son ardeur n’était certainement pas prête de retomber car depuis plusieurs jours déjà il avait grignoté une avancée précieuse faisant suite à de nombreuses expéditions menées en terre cathare. En contravention avec son comportement habituel empreint d’humilité et de la plus grande sobriété, il avait récemment pris le risque de qualifier de décisives ses dernières sorties effectuées dans les Pyrénées Ariégeoise, dans la haute-vallée de l’Aude ainsi que dans la cité de Minerve. Auparavant il s’était heurté à une très longue et austère phase au cours de laquelle il avait tourné en rond de la manière la plus stérile qu’il soit, celle-là même qui en avait contraint plus d’un à renoncer et à abandonner définitivement. Mais son acharnement et sa témérité lui avaient finalement permis d’accéder à un palier supérieur de la connaissance, du moins en était-il intimement persuadé.
Julian et Estelle se respectaient mutuellement et aucun n’aurait songé à déranger l’autre inutilement en plein milieu de la nuit, et qui plus est, à l’issue d’une journée tellement éprouvante sur le plan physique. Dans des circonstances normales, Julian ne se serait jamais permis d’interrompre son sommeil. Il fit pourtant exception à ce principe auquel il dérogea sciemment en faisant irruption dans la chambre conjugale.
Julian ne termina pas sa phrase car en dépit de son enthousiasme, il dû se résoudre à constater le fait qu’Estelle avait soudainement replongé dans un sommeil profond et réparateur. Certes son comportement habituel l’encourageait implicitement à mener ses recherches sans qu’au grand jamais elle n’opposât la moindre réticence ou résistance à son égard. Après tout, quoi de plus ludique que de randonner dans les châteaux pyrénéens et y admirer des paysages tous plus somptueux les uns que les autres ? Mais de là à perturber son sommeil la veille d’une journée de travail, elle pouvait se sentir légitime à poursuivre sa nuit. Si la journée écoulée avait été fort agréable, elle s’était néanmoins avérée extrêmement éprouvante, leur compteur journalier recensant plusieurs ascensions dont les dénivelés n’étaient pas caractérisés par un encéphalogramme plat. En d’autres termes, Estelle était exténuée et son temps de récupération n’était pas négociable.
Cependant Julian n’envisagea pas une seule seconde de rejoindre le lit conjugal, trop certain de ne jamais parvenir à trouver le sommeil. L’excitation était à son comble et il se décida à procéder sur le champ à son premier essai en solitaire. Il serait grand temps dès le lendemain matin d’en relater l’ensemble des détails auprès d’Estelle en lui livrant les fruits de cette première et fondamentale expérimentation. En effet la théorie ne vaut que lorsque la pratique s’y conforme, venant ainsi corroborer les différentes hypothèses, déductions et conclusions. Julian avait pleinement conscience du fait que cette ultime phase était non seulement délicate à mettre en œuvre mais également décisive et déterminante eu égard à la crédibilité de ses thèses. Il n’avait que trop à l’esprit le fait qu’elle faisait suite à de longs et interminables travaux. Son visage trahissait la présence d’une vive émotion et il dut prendre sur lui pour contenir et refouler ses sentiments susceptibles de nuire au bon déroulement de l’expérience à venir. Quelques minutes s’écoulèrent, entièrement consacrées à un effort de concentration, avant qu’il ne se décide à prendre la direction de la porte de sortie. Il prit soin de la refermer fort précautionneusement car il était hors de question de déranger sa tendre épouse une nouvelle fois.
Il atteint les parties communes après avoir fait preuve de la plus grande discrétion. Il crut alors percevoir une discussion émanant du rez-de-chaussée. Une écoute attentive révéla qu’il s’agissait d’une dispute mais le fait que des personnes se permettent de parler si fort à une heure aussi tardive paraissait pour le moins inhabituel en ce lieu traditionnellement calme et paisible. Afin d’appréhender au mieux la situation, Julian décida de délaisser l’ascenseur en lui préférant l’escalier. Au fur et à mesure qu’il descendait les différents paliers, il fut progressivement en mesure de reconnaître des voix qui ne lui étaient pas entièrement inconnues. Elles semblaient révéler un différend opposant vigoureusement Mme Bordes, gardienne de l’immeuble, à M. Espinasse, occupant des lieux.
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Ce dernier n’inspirait guère la sympathie de son voisinage, lequel composait pourtant avec lui depuis bon nombre d’années. Prétentieux, précieux et hautain à l’égard d’autrui, chacune et chacun avait eu loisir de se faire sa propre opinion le concernant, généralement défavorable. Il ne gagnait guère à être connu car à creuser un peu, on s’apercevait très rapidement que ses valeurs s’articulaient exclusivement autour du « paraître » au détriment de « l’être ». Nul n’aurait songé à l’inviter dans ses appartements car, et c’était plus fort que lui, son sentiment de supériorité refaisait systématiquement et inlassablement surface. Pire encore, il éprouvait bien des difficultés à évoquer un sujet de conversation qui ne soit en rapport avec lui, sa petite personne, sa santé. Bref son nombril ne cessait de l’obnubiler.
Des circonstances atténuantes ne pouvaient pas même lui être octroyées. On aurait tant aimé pouvoir affirmer « C’est vrai qu’il est prétentieux mais il faut néanmoins lui reconnaître le fait qu’il excelle dans tel ou tel domaine ». Que nenni, ce n’était pas même le cas car aucune raison, aucun motif, aucun argument n’était de nature à légitimer cette croyance inébranlable en son sentiment de supériorité. M. Espinasse aurait certes tant désiré dominer quiconque en une quelconque discipline. Or absolument rien n’étayait cette croyance, y compris en cherchant bien et en y regardant à deux fois.
Cependant Julian demeurait interrogatif car M. Espinasse, aussi désagréable qu’il fût, n’était pas du style à assumer un conflit ouvert. Pour ce faire, il lui manquait un ingrédient indispensable constitué par une dose minimale de courage, qualité qui ne faisait pas partie de sa panoplie.
C’est sans doute aussi pourquoi la cohabitation avec un tel personnage si peu ragoûtante fut-elle, ne posait en fait pas réellement problème en dépit du nombre élevé d’années de voisinage. Il suffisait tout simplement de savoir prendre ses distances en se contentant de le saluer et en prenant grand soin d’éviter de tenir une conversation en sa compagnie. Julian et Estelle l’avaient parfaitement cerné depuis belle lurette déjà et pratiquement, ils ne rencontraient pas de difficulté majeure à son contact. Les discussions étaient réduites à leur plus simple expression et la gaffe à ne surtout pas commettre aurait consisté à prendre de ses nouvelles, ne serait-ce qu’en ayant recours à la formule traditionnellement consacrée : « Bonjour M. Espinasse, vous allez bien ? » Une telle seconde d’inattention qui, autant en convenir peut parfaitement arriver à quiconque se prête aux civilités d’usage, aurait été immédiatement et longuement sanctionnée. Ce retraité qui hantait à souhait les parties communes de l’immeuble était à l’affût du moindre interlocuteur disposé à écouler du temps en sa présence. Une telle question apparemment anodine générait ipso facto de longues et interminables descriptions consacrées à ses problèmes insolubles, douleurs diverses et variées, traitements médicaux successifs et détaillés, bref tout ce qui était en rapport avec son micro monde. Bien évidemment il était hors de question qu’il se préoccupe de l’absence de tout intérêt de la discussion aux yeux de son interlocuteur. À ce stade, tenter de s’échapper ou organiser sa fuite relevait carrément de l’exploit tant le prédateur maîtrisait l’art de manier et tisser les fils à l’instar d’une toile d’araignée.
Sans nul doute comptait-il parmi ces personnes dotées d’une aura négative, celles-là même qui sont systématiquement à la recherche de la présence d’autrui, lequel est contraint de s’ingénier à l’éviter ou à se soustraite de son emprise nocive.
*
Mme Vincente Bordes était quant à elle une gardienne dévouée qui ne manquait pas de tact dans les rapports humains. Elle exerçait sa fonction assidûment depuis fort longtemps déjà, bien avant que Julian et Estelle ne se décident à acquérir un appartement dans le centre-ville toulousain.
Son mode de fonctionnement organisationnel, son autonomie et son sens de l’anticipation lui valaient une excellente réputation tant auprès du syndic, son employeur, que des différents propriétaires et locataires. Chacun savait que l’on pouvait compter sur sa collaboration et son dévouement car elle se montrait parfaitement fiable envers quiconque sollicitait ses services. Le volume des étrennes de fin d’année témoignait sans aucune équivoque de son degré de popularité qui avait gagné son univers professionnel.
Fille d’un couple d’agriculteurs gascons, elle avait consenti à habiter Toulouse contre son gré et exclusivement en vue d’accompagner son conjoint. Elle n’avait jamais apprécié la vie citadine bien trop impersonnelle à son goût. Mais le cauchemar s’était cependant métamorphosé le jour où elle avait débuté une période d’essai sur un poste de gardienne. Cette phase importante de son existence avait mis un terme définitif à des déplacements compliqués dans des rames de métro surchargées, sans compter les embouteillages qui empoisonnaient l’existence des nombreux utilisateurs de la rocade de contournement de l’agglomération.
Mieux encore, voilà qu’était réduit à néant l’anonymat des grandes villes qui lui avait tant pesé précédemment. Dans l’immeuble dont la garde lui avait été confiée, elle connaissait tout le monde et tout le monde connaissait Mme Bordes, exactement de la même manière que jadis dans sa ferme gersoise à laquelle il lui arrivait de songer avec tant de nostalgie. Elle répétait à souhait à qui voulait l’entendre qu’en cas de disparition soudaine de sa part, et contrairement au quartier du Mirail où elle avait jadis demeuré, il y aurait plusieurs personnes qui s’en rendraient compte aussitôt. Ce message n’était pas nécessairement rationnel car elle était mariée mais peu importait, ce sentiment la rassurait et lui conférait le sentiment d’exister.
*
Beaucoup moins avenant était son conjoint qui, aux yeux de plus d’un, aurait pu paraître tel un véritable ours. Peu causeur et doté de faibles propensions envers la fonction « sourire », ce n’est que fort rarement qu’il s’attardait dans les parties communes en daignant consacrer du temps à l’égard d’autrui. Certains avaient plus ou moins tendance à craindre sa présence même si cet a priori était dénué de tout fondement objectif. Au grand jamais il n’agressa qui que ce soit, fût-ce même verbalement. Cependant Gilbert Bordes affichait une corpulence trapue et un visage non avantageux si bien que ses détracteurs n’hésitaient pas à souligner, certes avec exagération, ses traits de ressemblance physique avec le bouledogue. Au final étaient à la fois conjugués contre lui, cette apparence extérieure repoussante mais également son caractère farouche et peu engageant.
Quiconque aurait commis l’erreur de s’en tenir strictement à cette première impression, l’aurait définitivement disqualifié dans les rapports humains. Il suffisait pourtant de faire l’effort d’effectuer le premier pas pour s’apercevoir qu’à la longue, il était parfaitement capable de s’ouvrir aux autres. Pour ce faire, la meilleure méthode consistait à évoquer un sujet de conversation quelconque à condition toutefois qu’il soit en rapport avec un sport qu’il affectionnait plus que tout au monde, le rugby. Cette religion toulousaine constituait son unique passion, autrement dit le seul sujet de conversation qui suscita le moindre intérêt à ses yeux. En clair, autant il était inutile d’évoquer les thèmes de la météo ou de la santé, sans s’exposer à de brefs bougonnements de sa part, autant il pouvait subitement se métamorphoser en individu disert mais à la condition sine qua non que le point évoqué ait un lien, aussi étroit fût-il, avec le ballon ovale. Il l’avait d’ailleurs pratiqué de longues années durant, mais à une époque au cours de laquelle la technique, le sens tactique, et la subtilité du jeu n’avaient pas encore acquis l’importance qu’ils ont dans le rugby moderne et contemporain. En clair, M. Bordes aimait le jeu à l’ancienne et pour reprendre ses propres termes…
Il ne faut pas imaginer pour autant que M. Bordes se montrât désagréable à l’égard des occupants de l’immeuble. Il ne se serait au grand jamais permis d’invectiver quiconque et comptait parmi ce type de personnages qui ne sont agressifs et méchants qu’exclusivement sur un terrain de sport…
— … et encore, uniquement pendant le temps de jeu aimait-il préciser, parfaitement conscient de l’image offerte.
Ses collègues de travail, au sein des « Espaces verts » et dont la mission consistait à entretenir les jardins publics municipaux, n’avaient au grand jamais à se plaindre de sa collaboration. La tonte des pelouses et le taillage des arbres ne présentaient aucun secret le concernant et c’est avec aisance et compétence qu’il maniait les différents engins de motoculture.
Julian savait prendre le temps d’échanger avec M. Bordes, il est vrai de préférence au lendemain d’une rencontre de top 14 ou d’un match international. En dépit de ses conceptions à l’ancienne M. Bordes ne manquait pas d’effectuer des commentaires opportuns, ne serait-ce que grâce à ses lectures assidues de journaux spécialisés. Il se tenait au fait de l’actualité rugbystique, qu’il s’agisse des scores réalisés, des différents calendriers, des mutations des joueurs, bref de l’ensemble de la vie au sein de cet univers. Il avait le mérite de ne point céder au chauvinisme en sachant le cas échéant aisément reconnaître le fait que les siens ne méritaient ni la victoire ni les égards. De ce point de vue, ses commentaires sportifs ne manquaient jamais d’objectivité. Il savait également détecter l’excellente prestation individuelle d’un joueur quel que soit son camp ou le poste occupé et il ne manquait pas d’apprécier en fin connaisseur la composition des différentes sélections du XV de France.
Julian qui par ailleurs était un médiocre bricoleur n’hésitait pas à recourir à ses services. Réciproquement, il savait renvoyer l’ascenseur au cours de la campagne de déclaration des revenus, formalité administrative qu’il avait pris l’habitude d’accomplir pour le compte des époux Bordes.
Ceux-ci vivaient en couple de longue date déjà. D’ailleurs les occupants de l’immeuble connaissaient tous, sans exception aucune, les circonstances précises qui avaient émaillé leur première rencontre que l’épouse se délectait de conter. Il était encore jeune homme lorsqu’il avait disputé un match de rugby dans le département du Gers à l’issue duquel cinq ou six joueurs eurent l’idée de séjourner à Vic-Fezensac, bourgade qui vivait sa traditionnelle et conviviale fête de printemps. La tournée des bars et des bodegas se renouvelait inlassablement et ce fut lors de la énième fois qu’il remarqua le regard soutenu de Vincente, laquelle était attablée à la même terrasse. Contrairement à son habitude, et sans nul doute sous l’effet de l’alcool, il avait su engager la conversation avec une locale qui masquait mal le fait d’apprécier son physique, son humour, sa gestuelle, ses manières. Gilbert Bordes parvint même à s’extirper du groupe en invitant Vincente à boire un verre dans un bar situé à l’autre extrémité de Vic-Fezensac. Pour ce faire, il leur suffisait de s’en tenir à l’itinéraire tracé par la Bandas, laquelle demeurait collée de près par une multitude de fêtards qui la suivaient telles des ombres. Tout ce petit monde dansait à l’unisson sur l’air engageant du groupe « Los de Nadau » intitulé « L’Encatada ». Enivrés par la musique, mais pas exclusivement par la musique, Gilbert et Vincente se sont joints aux nombreux danseurs qui descendaient l’artère principale de la ville au rythme entraînant soutenu par les musiciens. Les terrasses des bars et restaurants étaient pleines à craquer et rares étaient les personnes qui ne les accompagnaient pas des mains avec enthousiasme. Il arrivait même que des verres se mettent à sautiller avant de carrément se renverser sous l’effet des tapements cadencés des clients.
Cependant le fait d’avoir consommé d’importantes quantités d’alcool conjugué avec l’absorption de pas ou très peu de matière solide, le tout effectué dans la plus grande gesticulation, généra de la part de Gilbert un vomissement soudain, tout aussi abondant qu’incontrôlé. Vincente qui se tenait à proximité, sans nul doute sous l’effet du charme, portait une tenue blanche assortie d’un foulard rouge, conformément aux traditions et usages prévalant dans ce type de festivités. Lorsque Gilbert constata que le vomi dégoulinait des tee-shirt et pantalon de Vincente, il en était sincèrement confus et désolé. Pour une fois qu’une si jolie fille avait sympathisé de la sorte, voilà qu’il était bêtement en train de tout gâcher. Cependant contre toute attente, elle ne lui tint pas rigueur le moins du monde de sa maladresse car à vrai dire il n’était pas le seul à avoir bu en cédant à l’exagération la plus totale. Nullement rancunière, elle suggéra de se changer au plus vite en lui proposant de l’accompagner dans son appartement situé à seulement quelques pas du lieu de l’incident.
Une longue, belle et intense histoire d’amour a alors débuté. Vincente vouait une véritable admiration à l’égard de son amoureux et n’a pas hésité, à sa manière, à partager sa passion envers le rugby. Désormais elle l’accompagna systématiquement dans ses rencontres au cours desquelles elle supportait, criait et s’époumonait plus que de raison. Elle portait avec enthousiasme les couleurs de son club, que ce soit par le biais des tenues vestimentaires ou d’autocollants fièrement exhibés sur la lunette arrière de son véhicule. Tel était également le cas de son parapluie dont elle fut plusieurs fois contrainte d’en renouveler l’acquisition. En effet, il n’était pas rare qu’en cours de rencontre intervienne une bagarre générale sur le terrain. Dans ces cas-là les esprits ne manquaient pas de s’échauffer dans les tribunes où la contagion se faisait rarement attendre. Or Gilberte exprimait à voix haute ses préférences sportives et elle n’hésitait pas, en pareilles circonstances, à invectiver ceux qui ne partageaient pas ses choix. Il pouvait à cette occasion lui arriver d’écraser son parapluie sur les têtes de ce qu’elle qualifiait de « bonnes femmes mal élevées », ce terme désignant dans son jargon les supportrices du camp adverse.
De là à imaginer que Vincente était démunie de raison et de tout équilibre mental, il y avait un pas qu’il n’aurait pas fallu franchir car cela aurait été non seulement faux mais également injuste à son égard. Elle était effectivement fière chaque fois que son homme pénétrait sur la pelouse ou lorsque la presse locale avait le bon goût de le photographier en pleine action. Pour tout dire, le sien était de loin le plus beau, le plus fort et sans nul doute le meilleur joueur du comité. Mais s’il aurait été vain que de vouloir la persuader du contraire, en dehors de ces moments d’orgueil, elle savait faire preuve de raison.
Tel était notamment le cas s’agissant de sa vie conjugale ou du volet professionnel car Gilberte avait bel et bien la tête sur les épaules. Son existence était menée d’une main de maître, certes avec les moyens intellectuels qui étaient les siens, mais elle ne manquait jamais l’occasion d’effectuer les bons choix de la manière la plus raisonnée et lucide qu’il soit. D’ailleurs, celui qui allait rapidement devenir son époux ne s’y trompa au grand jamais. Il avait fait la rencontre d’une femme qui gérait avec brio le budget, leur carrière professionnelle, leur épargne, bref leur vie commune et qui plus est, partageait avec ferveur sa seule et unique passion constituée par l’ovalie. Il savait pouvoir pleinement compter sur son épouse pour mener la barque à bon port et c’est à bon escient qu’il lui avait définitivement confié le gouvernail.
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Toujours est-il qu’à l’approche du rez-de-chaussée, les débats se montraient de plus en plus houleux et les deux interlocuteurs peinaient à contenir le son de leur voix à une heure au cours de laquelle bien rares étaient les personnes éveillées, du moins en temps normal. Julian se demandait si, loin de constituer un obstacle, la présente situation n’était pas au contraire susceptible de lui offrir l’occasion inespérée d’effectuer le premier test auquel il entendait se livrer. Une idée germa alors dans son esprit qui a toutefois généré une hésitation culpabilisante de sa part. La démonstration à venir, pour revêtir un caractère convaincant, allait générer une situation qui contrasterait singulièrement avec la vie ordinaire de sorte qu’elle ne puisse être confondue avec le pur hasard duquel il convenait de se différencier sans la moindre ambiguïté. En d’autres termes, une certaine dose de cruauté, quoique nullement recherchée, n’était pas nécessairement exclue non plus dans le cadre de cette phase expérimentale. Cependant cet aspect des choses, bien que regrettable, pesa finalement peu dans la balance car il en allait de l’intérêt supérieur de la science. À ce titre, il ne lui paraissait pas illégitime que d’exiger un petit effort de la part de chacun… y compris concernant M. Espinasse et à y réfléchir sans doute en serait-il de même pour Mme Bordes à l’égard de laquelle il ne faisait pourtant pas le moindre grief.
Dès sa décision prise, il continua sa lente et discrète progression en abordant les toutes dernières marches jusqu’à ce qu’il se retrouve enfin dans le hall d’entrée à proximité immédiate des belligérants. Leur ton ne cessait de monter, ce qui conjugué avec la proximité physique avait désormais rendu parfaitement intelligible la teneur de leurs propos.
Julian dont la présence discrète n’avait été remarquée par strictement personne commençait enfin à appréhender entièrement la situation et se mit à sourire en apercevant un seau d’eau particulièrement souillée. Le récipient plein à ras bord, accompagné d’une serpillière et d’un balai-brosse, avait été négligemment délaissé par Mme Bordes dans un recoin de la pièce à la fin de sa journée de travail consacrée à l’astiquage des parties communes.
Il ouvrit discrètement un bréviaire qu’il tenait précédemment en main, à la suite de quoi il murmura à voix basse afin de n’être pas entendu par qui que ce soit. Les mots qu’il articulait avec minutie ressemblaient étrangement au Latin mais étaient en fait prononcés en langue occitane, celle-là même jadis usitée par les Cathares avant qu’elle ne perdure au travers des siècles dans la moitié sud de la France. Julian était persuadé du bien-fondé de l’entreprise menée à l’instar d’un croyant animé par une foi parfaite et inébranlable. Il articulait avec conviction en visualisant nettement et distinctement la scène qui allait immédiatement suivre, à en constituant le seul et unique instigateur, et surtout en l’imposant véritablement à tous les acteurs, entièrement à leur insu.
L’expression du visage de M. Espinasse se fixa soudainement, fait observable par quiconque qui se serait montré extrêmement attentif. Naturellement nul ne remarqua ce changement subtil et tellement peu perceptible, pas même les quelques voisins dont le sommeil venait d’être interrompu et qui se précipitaient sur place afin de connaître l’origine du vacarme grandissant. M. Espinasse chercha alors du regard le seau d’eau sale dont il n’avait auparavant pas même soupçonné l’existence, avant de s’en emparer moyennant des gestes plus mécaniques et saccadés qu’à l’ordinaire. Il l’empoigna à deux mains pour le jeter en plein visage de Mme Bordes qui était située à moins d’un mètre, autrement dit qui n’avait strictement aucune chance d’échapper ne serait-ce qu’à une seule goutte de ce liquide écœurant. Cependant le récipient ne fut pas complètement vidé dès ce premier jet, motif pour lequel il prit soin de verser minutieusement le reliquat au-dessus de la tête de sa victime, trahissant et confirmant ainsi un caractère apparemment volontaire et délibéré de son acte.
Il va sans dire que Mme Bordes n’avait pas envisagé un seul instant l’existence de pareil scénario d’autant plus que celui-ci était aussi imprévisible que disproportionné. Elle se demanda si elle ne rêvait pas mais elle avait l’horrible certitude de se sentir entièrement offusquée, consternée et humiliée face au nombre grandissant de personnes présentes sur les lieux. L’effet de surprise fut radical et décoiffant, tant en ce qui concernait Mme Bordes que les occupants de l’immeuble atterrés et y compris même s’agissant de M. Espinasse. Mais sur ce dernier point, seul Julian était au courant et aurait pu en témoigner, certes à condition de le vouloir. Un silence total s’imposa momentanément, le temps que chacune et chacun réalise et appréhende entièrement toute l’énormité de la situation.
M. Espinasse fut soudainement plongé dans l’incompréhension la plus totale. Il réalisa alors pleinement toute l’étrangeté de l’acte qu’il venait de commettre sans même soupçonner le pourquoi, le comment de cette attitude jamais préméditée et qui n’aurait en aucun cas pu et dû exister. Mais que diable lui avait-il donc pris de se comporter de la sorte ? À quelle pulsion avait-il obéi pour commettre une ignominie pareille à laquelle il n’avait pas même songé une seconde auparavant ?
Un couple de personnes âgées, réveillées par les cris et atermoiements, parvenait à peine sur les lieux afin de protester avec véhémence. Quand ils prirent connaissance de la teneur des événements intervenus, ceux-ci se figèrent à leur tour, n’en croyant pas leurs yeux. Passé ce court laps de temps, c’est finalement Mme Bordes dégoulinante qui rompit ce bref silence en criant rageusement.
Elle fut soulagée d’en manier le manche avec les mêmes énergie et précision que jadis s’agissant des parapluies dans les gradins des stades de rugby. Sa nature empreinte de hargne, probablement même sa véritable nature, refaisait alors surface, celle-là même que méconnaissaient les occupants de l’immeuble et dont ils ne lui tenaient nullement rigueur en ces circonstances, somme toute, proches de la légitime défense.
Elle mit alors à son profit l’effet de surprise, exactement le même dont elle avait été victime peu de temps auparavant. Elle prit tout son élan afin d’écraser avec brio le manche en bois sur le crâne de M. Espinasse qui n’avait bien évidemment pas anticipé pareil geste. Il tenta certes d’éviter tant bien que mal la rafale qui suivit immédiatement mais en regrettant amèrement le fait que la gardienne motivée plus que jamais appuyait consciencieusement chaque coup de balai.
Mais voilà qu’à présent une voix forte et masculine se faisait entendre en provenance de la loge dans laquelle demeuraient les époux Bordes. Il ne faisait aucun doute que son conjoint, lui aussi, avait été réveillé par les hurlements émanant des belligérants. L’arrivée imminente de M. Bordes généra un effet de surprise à l’origine d’un calme temporaire, juste le temps d’appréhender la nature des conséquences à venir.
M. Espinasse persistait à ne strictement rien comprendre à la situation sans parvenir à s’expliquer comment les choses avaient bien pu dégénérer à ce point. Ce qu’il réalisait par contre trop bien était le fait que la présence de M. Bordes constituerait un véritable danger et que ce n’était plus l’heure du pourquoi et du comment. De quelle manière cette brute épaisse et sans nuance prendrait-elle la chose ? Il n’en avait qu’une idée trop précise qui n’inspirait aucun parfum d’optimisme. Comment expliquer à cette tête sans cervelle, qui représentait plus d’un quintal, qu’en dépit des apparences il n’avait pas effectué ce geste de manière volontaire ? C’était mission impossible et de toute façon, les mots qu’il emploierait, fussent-ils adéquats, ne parviendraient pas à pénétrer et atteindre l’esprit de cette bête rustre et sauvage qui n’écouterait et ne comprendrait strictement rien. Un repli stratégique et surtout urgent lui paraissait constituer la seule et unique alternative possible. Gérer le court terme devenait son unique priorité et tant pis si le voisinage n’allait pas se priver de rire à ses dépens. Dès le lendemain matin, chacune et chacun ricanerait dans son dos et l’incident n’était pas près de disparaître de la mémoire collective. Si ce scénario était loin de le satisfaire, il allait néanmoins falloir s’en contenter car manifestement il n’en existait pas de meilleur.