Le fond de la nasse - Franck Bonnet - E-Book

Le fond de la nasse E-Book

Franck Bonnet

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Beschreibung

« L’heure où tout a basculé… Elle sait que je sais… Tout pour être heureux, santé, famille, travail, et pourtant, avait-elle tout prévu ? Le verdict sera sans appel et le revers terrible et sans ambiguïté. Je croyais ma route toute tracée mais ils en ont décidé autrement… »


À PROPOS DE L'AUTEUR

Franck Bonnet se sert de la lecture et de l’écriture pour maintenir un certain équilibre. Son quotidien est peuplé d’observations et de perceptions qui construisent son univers littéraire.

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Seitenzahl: 270

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Franck Bonnet

Le fond de la nasse

Roman

© Lys Bleu Éditions – Franck Bonnet

ISBN : 979-10-377-7091-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Bouffée hilarante, Le Lys Bleu Éditions, février 2022

Chapitre 1

La chaleur torride qui régnait dans la salle d’audience du tribunal correctionnel était parfaitement insupportable, rien de moins. Chacun s’employait comme il le pouvait à gérer tant bien que mal les méfaits de la fournaise qui sévissaient impitoyablement. Nombreuses étaient les dames qui n’avaient de cesse d’agiter leur éventail. Les messieurs préféraient pour leur part l’usage du mouchoir avec lequel ils tamponnaient inlassablement le visage. On était serré comme des sardines et cette forte densité n’était pas faite pour arranger les choses. Et pourtant, en dépit de ces désagréments auxquels s’ajoutait une très longue attente qui avait précédé le début de l’audience, nul n’aurait songé un seul instant à céder sa place. À l’extérieur, nombreux étaient les badauds qui n’avaient pas eu la moindre chance d’accéder à un prétoire plein à craquer.

Sur le banc des accusés, André Rastagnac concentrait à lui seul tous les regards, toutes les attentions. Il ne faisait aucun doute sur le fait qu’il était la vedette du jour que les médias avaient décrit sous toutes les coutures. Les peintures dont il avait fait l’objet n’étaient guère flatteuses et ce dont il n’avait d’ailleurs que faire. Il ne se prêtait que de manière fort exceptionnelle à la lecture de revues ou de quotidiens et, de toute façon, il y avait déjà longtemps qu’il avait fait le deuil définitif du point de vue d’autrui à son égard. Ce que pensait de lui son entourage ne présentait pas la moindre importance à ses yeux. Il s’était résigné depuis belle lurette à compter parmi les parias de la société et pour tout dire, aussi longtemps qu’il remontât dans sa mémoire, il n’avait pas le moindre souvenir qu’il en fut un jour autrement. Les hasards de la vie avaient voulu que, dès sa tendre enfance, il appartienne au camp du mal, ainsi soit-il. Très tôt, il avait été contraint de s’accoutumer aux condamnations unanimes émanant de l’ensemble de son environnement. Il vivait en marge de la loi et en dehors des normes communément admises par la société. Pour autant, cet aspect des choses n’avait pas rendu son existence insupportable car en fait il ne connaissait rien d’autre dans la vie. Mais sa préoccupation essentielle et ses motivations étaient situées ailleurs, à des années-lumière de cette mise au ban de la société. Son obsession existentielle avait exclusivement consisté à tenter de se faire une place au soleil. Or cela lui avait longtemps coûté pour enfin y parvenir en étant finalement fort bien récompensé de ses efforts. Depuis déjà bon nombre d’années, il ne souffrait plus d’aucune privation sur le plan matériel alors que tel n’avait pas été le cas auparavant. C’est pourquoi appréciait-il à sa juste valeur le fait de ne désormais manquer de rien en accédant à l’opulence. Et voilà qu’à présent tout était soudainement remis en cause par une bande de juristes qui ne pratiquaient pas la même langue. L’incompréhension à leur égard était entière et réciproque et, aussi curieux que cela puisse paraître, y compris envers celui qui se prétendait en charge de sa défense.

Pour autant, André Rastagnac avait parfaitement appréhendé l’enjeu du débat auquel il était en train d’assister depuis les premières loges. À l’issue de ces interminables discussions, le président du tribunal allait prendre une décision relevant de la plus haute importance. Plusieurs scénarii étaient susceptibles de décider de son sort, lesquels oscillaient entre l’incarcération, le sursis partiel ou la libération pure et simple. Sa rêverie fut interrompue par la voix forte du président.

— Maître Pedretti, il est grand temps à présent d’entendre votre réquisition.
— Je vous en remercie, répondit le Procureur, tout en prenant la direction de la barre.

À ce stade, il marqua un silence dont le caractère volontaire ne faisait aucun doute.

— Monsieur le Président, il n’est pas dans mes habitudes de manquer de nuances en confondant le primo-délinquant avec un accoutumé des faits ou l’auteur d’un délit acculé par la violence de la vie avec celui qui se livre à un acte gratuit. Les rapports humains sont bien trop complexes et c’est pourquoi est-il important de faire preuve de discernement tant il est rare en cette matière que les choses soient entièrement blanches ou entièrement noires. Ce genre de distinguo conditionne entièrement le crédit de celui qui se livre à une analyse comportementale ou psychologique fiable telle qu’elle nous préoccupe à l’heure où je vous parle. Et pourtant, Monsieur le Président, le réquisitoire que je m’apprête à livrer déroge à cette loi humaine et déontologique selon laquelle il convient de pondérer ses propos en toutes circonstances. Dans notre affaire, Monsieur André Rastagnac ne peut se prévaloir de strictement aucune circonstance atténuante. Cet individu intrinsèquement malhonnête a débuté très jeune dans ses agissements odieux. C’est de manière volontaire que je tairai les multiples larcins commis prématurément, simplement pour m’en tenir à l’essentiel et nous éviter à toutes et à tous de passer la nuit dans la salle d’audience. Il n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité lorsque, dans son quartier toulousain du Mirail, il a détecté une infidélité conjugale, laquelle lui a été révélée par le plus grand des hasards. Rien de plus banal dans la vraie vie me direz-vous, un homme marié et père de trois enfants entretenait une relation adultérine avec une femme dont le conjoint n’avait rien trouvé de mieux à faire que d’être régulièrement absent de son domicile. À noter que tous deux demeuraient à proximité et pour tout dire, au fil du temps, tout le voisinage devint au courant de l’existence de cette liaison. Nul ne songea pour autant à s’en offusquer et encore moins à s’en mêler car c’est ainsi que se déroulent les choses dans un monde normal et j’aurais même envie d’ajouter, depuis la nuit des temps. Mais l’expression « tout le voisinage » que je viens de m’autoriser à employer n’englobe hélas pas Monsieur Rastagnac qui n’a pas hésité un seul instant à tirer profit de la situation de la manière la plus vile et crapuleuse qui soit. Cet individu immoral et sans scrupule a adressé des lettres anonymes ainsi que des photographies compromettantes aux deux amants afin de se livrer à un ignoble chantage. C’est ainsi qu’il a contraint ces personnes, qui après tout n’avaient nullement enfreint la loi, à lui fournir des sommes d’argent considérables en les menaçant de dénonciation auprès de leur conjoint respectif. Rastagnac est par ailleurs extrêmement allergique aux efforts de quelque nature qu’ils soient. Or le procédé utilisé s’est traduit par une fort belle affaire à ses yeux car non seulement il s’est avéré extrêmement rémunérateur mais, en outre, il n’y avait là rien de bien fatiguant. C’est pourquoi il a entendu récidiver en recommençant et multipliant cette opération particulièrement rentable. Pour ce faire, il s’est employé à suivre quelques personnes ciblées qui lui paraissaient suspectes eu égard à leur fidélité conjugale. À la longue, l’activité concernée a encore et toujours porté ses fruits si bien que les sommes soustraites de la sorte n’ont eu de cesse d’augmenter. Mais à un moment donné, Rastagnac a entendu changer de braquet en décidant de passer à la vitesse supérieure. C’est alors qu’il a développé Monsieur le Président ce qu’il n’a pas hésité à qualifier de portefeuille de clientèle au cours de l’interrogatoire de police judiciaire.

Un brouhaha dû à l’étonnement collectif émana du public. Le Procureur ne manqua pas l’occasion en marquant une nouvelle pause. Chacune et chacun salivait.

— Tout le monde aura bien naturellement compris que cet ignoble individu, en s’exprimant de la sorte, évoquait le nombre de ses victimes potentielles en lesquelles il ne voit que des ressources financières, un chiffre d’affaires, des vaches à lait, des pigeons, etc. Rastagnac a donc considéré qu’il était possible d’accroître de manière exponentielle le nombre de personnes auprès de qui exercer son horrible chantage. Sa priorité a alors consisté à redimensionner de fond en comble son entreprise malsaine et malfaisante de sorte à amasser, et n’ayons pas peur des mots, une véritable fortune. À compter de ce virage stratégique, il a accédé à la richesse en passant sans aucune transition du statut d’artisan à celui de très gros industriel. Pour ce faire, cette crapule n’a pas hésité à embaucher plusieurs prostituées qu’il a jetées dans les bras d’hommes mariés et tant qu’à faire, en privilégiant les personnes aisées financièrement, commerçants ayant pignon sur rue, chefs d’entreprise, professions libérales, cadres supérieurs, etc.
— Inexact, Monsieur le Président, pas au début. Il n’y avait exclusivement que Maria. Pas au tout début !
— Mais taisez-vous, Monsieur Rastagnac ! cria le Président excédé. Votre tour de parole n’est pas encore intervenu.
— Je vous assure que dans un premier temps, je ne travaillais qu’avec Maria, les autres ne sont arrivées que plus tard.
— Monsieur Rastagnac, considérez que c’est la dernière fois que vous interrompez Monsieur le Procureur sans quoi je n’hésiterais pas une seule seconde à suspendre la séance. Je vous rappelle que votre avocat clôturera les débats, que le dernier mot reviendra à votre défense et que vos agissements actuels sont parfaitement intolérables.

À ce stade, Maître Depeyre se leva et s’adressa à son client auprès de qui il chuchota quelques instants avant de se retourner et d’intervenir à voix haute.

— L’incident ne se renouvellera pas, Monsieur le Président, et je vous prie de bien vouloir nous en excuser.
— Je vous en remercie Maître Depeyre. Monsieur le Procureur, nous vous écoutons.
— Eh bien soit, au risque de vous surprendre, je vais faire une concession à Rastagnac. Mais considérez, Monsieur le Président, qu’il s’agira de la première mais aussi de la toute dernière. Alors, j’en conviens et sans doute a-t-il commencé par s’acoquiner avec une première prostituée avant qu’il y en ait plusieurs, beaucoup d’autres en fait et fort rapidement. Mais l’évolution du nombre de ses complices ne constitue pas le point central du dossier, loin s’en faut. Beaucoup plus important et afin de vous donner un ordre d’idées de l’ampleur de cette diabolique opération, sachez que Rastagnac a acquis, spécialement à cet effet, un appartement spacieux comprenant quatre chambres. Il n’a pas lésiné en équipant chacune de ces pièces de vidéos hight tech, comprenez des caméras particulièrement performantes dans l’obscurité et ce qui a facilité et multiplié ses actions perverses et nuisibles. Un détail important à ce stade, il a acheté ce bien immobilier en pleine propriété en payant comptant l’intégralité du prix d’achat pas même négocié. Par ailleurs, il n’a au grand jamais déclaré le moindre centime auprès des services fiscaux. Cherchez l’erreur ! Les événements se sont alors accélérés à vitesse grand V car le nombre de victimes s’est accru de manière accélérée et, corrélativement, le niveau de ses revenus a littéralement explosé. Pour autant, les investigations policières n’ont pas permis d’en cerner les contours exacts et précis. Nous avons en effet la certitude absolue du fait qu’il a ouvert maints comptes bancaires dans divers paradis fiscaux. Ceux-ci ne nous sont malheureusement pas accessibles par le biais de l’assistance internationale. Mais je voudrais souligner le fait que cette canaille, qui n’a jamais travaillé de sa vie, est néanmoins riche à l’heure où je vous parle, Monsieur le Président. Sans nul doute est-ce même la personne la plus fortunée présente dans cette salle pleine à craquer. Mais bien heureusement, le sort lui a enfin joué des tours après que ce manège infernal a toutefois duré une dizaine d’années. Parmi les très nombreuses personnes appâtées par son armada de prostituées, le plus grand des hasards a voulu qu’un beau jour il soit exposé à un homme marié pour lequel la décision de divorce était déjà prise. Celle-ci consistait à entériner une séparation de fait de longue date alors même que les futurs ex-époux demeuraient encore sous le même toit, chacun occupant un niveau distinct de leur maison à étage. Ce sont ces circonstances rares et exceptionnelles qui ont trompé notre escroc professionnel. Juste retour des choses, le piégeur s’est tout à coup retrouvé piégé. En effet, l’individu concerné ne se sentait nullement menacé par cet horrible chantage dont il n’avait strictement que faire. C’est pourquoi il n’a pas hésité à saisir les services de police judiciaire qui ont enquêté aussitôt et remonté la pelote de laine. C’est ainsi qu’ils ont effectué une surveillance au pied de l’appartement de Rastagnac, ce qui leur a permis d’identifier plusieurs personnes dont l’audition s’est avérée fructueuse. Mais imaginez que ce scénario improbable n’ait pas eu lieu, en pareille hypothèse, Monsieur le Président, ayez la certitude absolue qu’à l’heure où nous débattons, Rastagnac continuerait encore, voire amplifierait, le volume de son commerce répugnant. C’est pourquoi, non seulement les délits de racket et de proxénétisme sont constitués et maintes fois récidivés mais, plus que tout, il est évident qu’aucune circonstance atténuante n’est susceptible d’être retenue en sa faveur, pas l’ombre d’une seule. J’entends donc requérir le maximum de la peine prévue par la Loi car ce ne serait que justice à l’égard des victimes directes et collatérales qu’a générées, à très grande échelle, cet odieux et ignoble personnage.

Pedretti lança un regard circulaire destiné à s’assurer de l’effet dévastateur de son discours dans une salle devenue muette pour la circonstance. Il regagna son siège en trahissant la présence d’une assurance non feinte.

— Maître Depeyre, la parole est à la défense.

L’avocat salivait tant il appréciait ce moment qui marquait l’heure d’entrer sur scène. L’adrénaline n’avait jamais cessé au cours de ces longues années de pratique, selon lui, la condition sine qua non à toute plaidoirie de qualité. Lui aussi se déplaça jusqu’à la barre avec force lenteur avant de marquer une longue pause, manière que le silence s’impose et anesthésie l’effet du discours adverse.

— Je vous remercie Monsieur le Président et j’espère que vous ne m’en voudrez pas si je déroge à la tradition selon laquelle tout juriste qui se respecte examine la forme avant le fond. C’est à titre exceptionnel que je vais inverser l’ordre qui nous est habituel depuis les temps où nous fréquentions les bancs de la faculté de droit. J’entends donc dérouler le présent exposé en évoquant en tout premier lieu la personnalité de mon client qui mérite maints égards tant son enfance a été difficile et compliquée. Il est impossible de partager l’avis de Monsieur le Procureur, lequel ne parvient pas à déceler la moindre circonstance atténuante. Permettez-moi, Monsieur le Président, de souligner le fait que son père, alcoolique notoire, n’a eu de cesse de cumuler les périodes de chômage. J’ajoute que la castagne de ses trois enfants comptait parmi ses habitudes nocturnes et la mère d’André Rastagnac n’en était pas davantage exonérée. Observez également qu’en tant qu’aîné de la fratrie, mon client a eu le mérite d’accompagner ses frères et sœurs…

Rastagnac n’en revenait pas tant cet individu insipide prenait radicalement sa défense. Il n’avait aucun souvenir d’avoir au grand jamais été décrit de manière aussi avantageuse. Finalement, cet avocat insignifiant et déconnecté des réalités parvenait à le surprendre. Et puis il portait bel et bien une alliance à l’annulaire gauche et sans doute était-il marié. Peut-être fallait-il lui envoyer Colette dans les bras, manière de voir comment se comporterait-il face à la tentation. Pas facile de lui résister à celle-là. Sa réflexion fut interrompue par la tonalité de la plaidoirie.

— … et à présent, Monsieur le Président, je voudrais en venir sur la forme de la procédure judiciaire, laquelle est à l’origine d’une violation manifeste des droits de la défense. Dans sa rédaction du procès-verbal, l’officier de police judiciaire a négligé le fait de donner connaissance au Procureur de l’ensemble des motifs de la garde à vue. Rien que ça ! Par suite, je demande l’annulation pure et simple des pièces présentes au dossier. Corrélativement, la relaxe de mon client me paraît constituer la seule et unique réponse judiciaire envisageable.

Sur ces entrefaites, Maître Depeyre regagna sa place sans mot dire. Il savait avoir frappé très fort et, qui plus est, il était sûr de son fait tant il avait scruté en long, en large et en travers la jurisprudence applicable.

— Délibéré dans quelques instants, intervint le Président.

***

Dans le hall du tribunal, Maître Depeyre était entouré par une foule d’admirateurs, telle une véritable vedette de cinéma. Plusieurs confrères s’étaient précipités afin de le féliciter chaleureusement eu égard à sa brillante victoire constituée par la relaxe pure et simple de son client. Aussi incroyable que cela fût, André Rastagnac était à ses côtés, libre de ses faits et gestes. Les journalistes étaient également présents et l’avocat répondait avec aisance à la multitude de leurs questions. Au loin, quelques cris et insultes émanant de victimes semblaient s’adresser à Rastagnac qui n’y prêtait pas la moindre attention. C’est avec moult satisfactions qu’il préférait se féliciter du choix judicieux de son défendeur. Certes, celui-ci lui avait coûté fort cher, tant ses honoraires étaient sans rapport avec le plafond de l’aide judiciaire qu’il n’avait pas osé solliciter. Mais peu importait, il en avait pour son argent. Il avait initialement envisagé une peine de prison limitée et principalement constituée de sursis. Eh bien non, le verdict avait largement dépassé tous ses espoirs car il était entièrement blanchi. Certes, Maître Depeyre avait exigé qu’il ne réponde à aucun interview, ni aujourd’hui, ni même les jours suivants. Naturellement, cette demande était dérangeante tant était grande sa joie qu’il avait envie de crier à cor et à cri. Mais sa relaxe relevait du domaine du surnaturel, de la sorcellerie et après tout, mieux valait s’abstenir en lui obéissant à la lettre.

Il avait même renoncé à faire chanter cet avocat tant il était satisfait de sa prestation. Cette hypothèse lui avait pourtant momentanément effleuré l’esprit. Mais il fallait définitivement admettre que le fait de le piéger présenterait des inconvénients majeurs dans le cas où il aurait à nouveau besoin de solliciter ses précieux services. On ne sait jamais de quoi l’avenir est fait, autant se montrer prudent en demeurant en bons termes.

Mais voilà que Maître Depeyre s’était extrait de la foule afin de crier dans son téléphone portable.

— Oui Roxana, les détails de ma plaidoirie seront relatés dans la presse écrite de demain.
— Encore une fois, je te félicite car tu es en train d’inscrire une longue série de succès.
— Tu m’en vois flatté et sincèrement touché.
— Mais le soleil ne brille pas pour tout le monde car je suis porteuse de bien mauvaises nouvelles.
— Je suis tout ouïe.
— Eh bien, j’avais réussi à déplacer ma permanence afin d’être disponible pendant les jours à venir. Mais la cause est néanmoins perdue car le confrère qui devait assurer mon remplacement a été victime d’un accident sportif. Il est arrêté médicalement.
— Effectivement, je confirme qu’il s’agit là d’une triste nouvelle.
— Je reste persuadée que tu ne dois cependant pas annuler la sortie car Flavian serait extrêmement déçu.

La discussion ne s’éternisa guère longtemps mais suffisamment néanmoins pour que le nombre d’admirateurs ne fonde comme neige au soleil. Parmi les rares personnes encore présentes à la fin de cette conversation téléphonique restait son client André Rastagnac. Ce dernier n’était quant à lui nullement fâché par le départ de ces juristes arrogants qui l’indisposaient au plus haut point. Il ruminait encore quant à la forme de reconnaissance qu’il s’apprêtait à exprimer à voix haute. Il entendait investir, autrement dit, il acceptait de perdre un peu aujourd’hui en vue de gagner beaucoup demain. C’est pourquoi s’apprêtait-il à se montrer bon et généreux.

— Vous savez Maître, si le cœur vous en dit, je peux vous prêter gratuitement une fille qui travaille pour moi.
— Mais mon cher, de quoi parlez-vous ? Expliquez-vous !
— Après ce que vous avez fait pour moi, je vous dois bien un petit service. Je vous propose de choisir une femme sur mon téléphone portable qui se rendra dans le lieu de votre choix. De la sorte, vous aurez la certitude quant à l’absence de toute caméra.

Ulysse Depeyre entama son week-end sans prendre la peine de répondre.

Chapitre 2

Ulysse avait toujours eu du mal avec le respect des limitations de vitesse à l’égard desquelles il souffrait d’une allergie chronique. Force était de reconnaître que ce matin-là était loin de faire exception à la règle, bien au contraire. Au volant de son bolide allemand flambant neuf, le trajet lui paraissait feutré tant le moteur donnait généreusement sans manifester le moindre signe de souffrance. C’était à peine s’il parvenait à entendre son ronronnement. À ses côtés, son fils unique Flavian n’avait pas été insensible à ce silence au point d’avoir momentanément cédé à la somnolence. Mais à présent, il émergeait peu à peu et sortait péniblement et lentement de sa léthargie. Certes, aucun des deux hommes n’affectionnait les levers matinaux mais la montagne c’est la montagne et il fallait savoir la mériter. À cette heure-ci de la journée, et qui plus est, en fin de semaine l’autoroute qui reliait Toulouse aux Pyrénées était parfaitement dégagée. Déjà, les reliefs les plus prometteurs leur donnaient l’eau à la bouche. Le soleil reflétait des couleurs orangées qui auraient mérité un arrêt sur image. Aucun obstacle, pas un seul nuage n’obstruait la vue et les tout derniers sommets enneigés demeuraient parfaitement visibles.

Flavian avait choisi l’Occitan parmi les épreuves optionnelles du baccalauréat. Il déclencha le poste avant de déceler une fréquence radio qui diffusait les flashes d’information dans cette langue romane. L’actualité nationale et internationale fut balayée sommairement avant une musique douce et apaisante de Los de Nadau.

— Un petit café ne serait pas de refus, suggéra-t-il.
— Après quoi, peut-être désireras-tu tenir le volant ?
— Pourquoi pas ? Cela aurait le mérite de me tenir éveillé.

La sortie qui faisait jour avait été imaginée par ses parents en vue de tenter de renouer le dialogue au sein de la cellule familiale. Mais la chose semblait bien compliquée à réaliser en raison de l’absence de Roxana empêchée au tout dernier moment. Ce coup du sort n’était pas de nature à améliorer la situation et aucun parfum d’optimisme n’imprégnait les lieux. Pour autant, allait-il falloir baisser les bras et laisser faire ? Flavian avait récemment révélé son intention de mettre un terme à ses études en faculté de droit et ce dont s’inquiétaient ses parents. Leur fils considérait avoir fait fausse route et entendait reconsidérer son orientation. Rien d’extraordinaire à cela sauf que c’était loin d’être la première fois qu’il leur faisait le coup et son crédit en était singulièrement entamé. Certes, on n’aurait pas mieux demandé qu’à le croire, l’aider et le soutenir dans ses choix. Cependant, rien de bien concret ou de fiable ne se profilait à l’horizon car ses motivations n’étaient guère palpables. Contrairement à ses parents, il était né dans un milieu social favorisé. Il n’avait jamais manqué de quoi que ce soit sur le plan matériel et, corrélativement, il n’était pas du tout animé par cette envie forte, obsessionnelle et revancharde de réussite professionnelle. Sans doute, au plus profond de lui-même, était-il convaincu que l’argent se gagne facilement et que « la vie est un long fleuve tranquille » (film d’Etienne Chatiliez-1988). Sans doute également, ses parents avaient-ils contribué à la naissance de ce sentiment en n’insistant pas suffisamment sur les difficultés et privations qui avaient pourtant caractérisé leur jeunesse. Ulysse se demandait si son inconscient n’avait pas gommé et refoulé ces souvenirs en vue de le protéger.

La pause-café intervint dans une des rares aires d’autoroute en service proposées aux automobilistes. À l’issue de ce prompt arrêt, Flavian se décida à conduire le bijou mécanique qui lui avait été si aimablement proposé.

— Je te serai reconnaissant de ne pas trop appuyer sur la pédale de droite.
— Mais rassure-toi, je ne roulerai pas plus vite que tu viens de le faire, s’amusa-t-il.
— Voilà qui est rassurant, fut répondu en déplorant amèrement le retour cinglant du boomerang.

Pour autant, Ulysse jugea opportun de ne point relever le ton dont il appréhenda la teneur, un brin provocatrice. Les occasions de déraper ne manqueraient sans doute pas tout le long de ce week-end au vert. Cependant, son épouse ne lui pardonnerait jamais de s’être montré maladroit ou d’avoir manqué de patience à l’égard du fiston adoré. Il se résigna donc à admirer la chaîne Pyrénéenne dont la proximité mettait en valeur la superbe et l’immensité. Sur les toits des habitations, la tuile rose avait fait place aux ardoises, témoignant ainsi du passage progressif de la plaine à la montagne. La Garonne, que l’on n’avait de cesse de remonter, avait pris des dimensions plus sympathiques en passant du statut de fleuve à celui de rivière. La beauté du cours d’eau allait crescendo, d’abord en amont du confluent de l’Ariège puis du Salat. Tout ceci aurait été parfait si seulement Flavian avait daigné ralentir, aussi peu soit-il. Mais que nenni, il se délectait en multipliant les accélérations violentes et en sollicitant l’armada de chevaux dissimulée sous le capot. Les dépassements de véhicules étaient nombreux, parfois même osés et toujours agressifs.

Mais la route goudronnée cessa enfin à hauteur du village d’Oô. Les deux hommes prirent alors tout le temps nécessaire afin de se vêtir et préparer religieusement leur équipement de randonneurs de haute montagne. On partait pour vingt-quatre heures non stop et aucun détail ne devait être négligé. On appréciait à leur juste valeur ces instants emplis de magie, ces préliminaires au bonheur et sans pour autant sous-estimer les efforts physiques à venir. Des précautions élémentaires avaient été prises telles que la consultation de la météo. Ulysse mit en évidence sur le pare-brise un papier griffonné, lequel indiquait la date et l’horaire prévisionnel de leur retour ainsi que le numéro de portable de Roxana. On se pommada généreusement afin de se protéger de l’ensoleillement avant de relever à voix haute l’heure qui marquerait le début de l’aventure.

Le sentier se faufilait subtilement à l’intérieur des feuillus mais de temps à autre la vue sur la vallée leur était généreusement offerte. Celle-ci ne manquait pas l’occasion de révéler l’immensité et la somptuosité des prairies verdoyantes. L’omniprésence de l’eau claire générait une atmosphère de fraîcheur et de vitalité. L’ascension s’effectua sans rencontrer de difficulté majeure jusqu’aux abords du lac d’Oô où l’on s’octroya une pause bien méritée. Père et fils furent animés par le souci de reprendre des forces en récupérant de leurs efforts. Tout était organisé d’une main de maître et le casse-croûte requinqua nos deux gaillards en un rien de temps. On s’autorisa à s’attarder quelques instants afin de contempler la transparence du plan d’eau ainsi que la somptueuse cascade avant de reprendre son chemin plus motivé que jamais. Peu de temps après le redémarrage, ils constatèrent que la pente devenait beaucoup plus raide que précédemment. Comme toujours dans ces cas-là, les protagonistes avaient tendance à éviter de s’exprimer à voix haute car il était hors de question de gaspiller inutilement son énergie.

Ulysse était joueur et crut opportun d’augmenter le rythme de la marche, paradoxalement au moment où il était mal sur le plan physique et en présence du pire des dénivelés. Certes, l’opération était éprouvante mais il entendait ainsi impressionner le fiston. Mais celui-ci ne s’en laissa guère compter. Il se livrait à une pratique sportive régulière et c’est de manière fort assidue qu’il assistait aux séances d’entraînement de son club de football. Il ne connaissait que trop l’importance des qualités morales sans lesquelles la compétition n’apporte que déboires et désillusions, l’école de la vie. Lorsque Flavian appréhenda l’accélération de son père, il comprit instantanément le fait qu’il était en présence d’une tentative d’intimidation de sa part. C’est pourquoi il releva immédiatement le défi et accepta le bras de fer. Il prit la décision d’ignorer la douleur en poursuivant la suite de l’ascension au pas de course, manière de poser le décor avec la plus grande insolence. Il avait appliqué mot pour mot les préceptes que son entraîneur lui avait inlassablement répétés, répondre à la provocation par la provocation.

— C’est bon, fit valoir son père vaincu et essoufflé. Que dirais-tu d’un petit arrêt ?
— Mais ceci est une plaisanterie ! Nous venons à peine de nous y remettre et on ne peut tout de même pas passer notre journée à récupérer. Mais ne t’inquiète pas pour cela, je t’attendrai à hauteur du col. Tu peux donc prendre tout le temps qu’il te plaira.
— C’est trop aimable de ta part.

La suite des événements retrouva son cours normal, chacun selon son propre rythme. Ulysse ne compta ni les pauses indispensables ni le nombre de fois au cours desquelles il fut contraint de se désaltérer. La jonction entre les deux hommes intervint, comme prévu, à l’abord d’une redescente. Il fut alors convenu de se rendre au lac de Saussat après quoi regagnerait-on le lac d’Espingo auprès duquel on dresserait un bivouac pour la nuit.

La journée se déroula sans surprise, sans incident notable et conformément aux prévisions, la tente canadienne fut plantée en tout début de soirée. Deux duvets chauds y furent entreposés en se hâtant de profiter de la présence provisoire de la lumière du jour. Dans la foulée, il ne leur fallut guère longtemps pour dresser deux cannes à pêche, des lancers légers télescopiques.

— Je te propose de prélever nos deux premières captures pour le repas de ce soir après quoi nous remettrons les poissons à l’eau en prenant soin de ne pas les blesser.
— Mais ton objectif de deux prises est hors d’atteinte te concernant, plaisanta Flavian. Je me vois contraint de compenser, alors autant m’y employer dès à présent.
— Rassure-toi car je n’aurai pas la cruauté de ne pas partager le dîner avec toi, s’amusa Ulysse à son tour. Tu peux compter sur ma générosité et j’entends bien ne pas t’infliger la pression en cas de bredouille de ta part.

Aussitôt dit, aussitôt fait, père et fils qui avaient d’ailleurs repéré leur poste de pêche depuis belle lurette s’y employèrent avec le plus grand plaisir. À l’instar du lever du soleil, le coucher n’était pas moins propice à l’activité des salmonidés. Ceux-ci ne résistèrent d’ailleurs pas longtemps aux trains de mouches noyées qui leur étaient suggérés. Il était hors de question d’utiliser des appâts vivants dont l’utilisation ne comptait pas parmi leurs habitudes. L’eau était plus claire que jamais et nos pêcheurs scrutaient le lac en parvenant à discerner quelques spécimens situés bien au-delà des bordures.

Ulysse n’avait que trop à l’esprit le fait que Flavian semblait s’être parfaitement décontracté tout le long de cette journée. Mais, pour autant, il considérait plus prudent de ne pas précipiter les étapes. Il n’entacherait donc pas cette sortie qui se présentait sous les meilleurs auspices en prenant des risques inconsidérés susceptibles de la ternir. Une conduite prudente et raisonnée consistait à assurer ces moments de complicité et pourquoi ne pas attendre sagement le retour du lendemain soir à Toulouse ? Il pourrait ainsi compter sur toute la complicité de Roxana, son épouse. Peut-être lui reprocherait-elle d’avoir manqué de courage mais tout ceci n’était rien en comparaison avec un éventuel fiasco qu’elle ne serait pas près de lui pardonner. Il savait pertinemment que toute tentative avortée de sa part ferait l’objet de maints reproches. Sa décision consistant à temporiser fut donc entérinée et l’idée de savourer l’instant présent en ce lieu magique lui était fort agréable.