Ce que je fais - Tome 1 - Laurine Damour - E-Book

Ce que je fais - Tome 1 E-Book

Laurine Damour

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Beschreibung

Jeanne, jeune comédienne de vingt-deux ans, se trouve entraînée dans une expérience qui transformera son existence le temps d’un week-end. Une rencontre inattendue lui fera découvrir les notions de foi, de paix et d’amour. À travers ses voyages et réflexions, elle partage son parcours avec humour et joie de vivre intense. Ce que je fais - Tome I vous mène au cœur d’une histoire romantique, invitant chacun de nous à saisir les merveilles insoupçonnées de la vie.


À PROPOS DE L’AUTRICE

Influencée par les écrits de Françoise Dorin, Daniel Pennac, Gilles Legardinier, Joseph Joffo et Patrick Cauvin, Laurine Damour découvre sa voie créative. Ces auteurs lui ouvrent les portes de Paris, une ville qui nourrit

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Laurine Damour

Ce que je fais

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – Laurine Damour

ISBN : 979-10-422-0394-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour Olivier, Matthieu et Anna, mes trois d’amour.

À celui à qui rien n’est impossible !

Note à l’attention du lecteur

Cette histoire se déroule en 2022, mais c’est un monde sans Covid, sans Brexit et sans enceintes de sécurité sous la Tour Eiffel.

En revanche, tout le reste est vrai !

Bonne lecture !

Chapitre I

Mercredi 4 mai 2022

— Rome, l’unique objet de mon ressentiment, Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant, Rome qui t’a vu naître et que ton cœur adore, Rome enfin que je hais…

— Non, Jeanne, non ! Tu dois faire ressentir au public la colère de Camille contre son frère, sa haine, et ça doit monter petit à petit, et à la fin tu lui en envoies plein la tête, tu exploses ! Tu comprends ?

— Ok Jacques.

Derrière les épais rideaux, le soleil de mai se couche sur les toits de Paris.

Quelle heure est-il ?

Depuis combien de temps suis-je dans cette vaste pièce transformée en salle de répétition ?

Je n’en ai aucune idée. Avec Jacques, je n’ai plus la notion du temps.

Jacques est mon prof de théâtre. 40 ans, œil vif, la Lucky toujours collée au bec et têtu comme on en fait plus, ancien de la Comédie française, c’est un passionné de théâtre.

Ses cours sont réputés, habilités par le Conservatoire, l’entrée se fait sur audition.

Il prépare les postulants aux concours de Grandes Écoles, de Conservatoires.

Je reprends ma scène.

— … Moi seule en être cause et mourir de plaisir.

Ouf, j’en peux plus… Je meurs (c’est le cas de le dire !).

Jacques garde le silence, il cogite.

— Bien, Jeanne, c’est bien. Il te manque un petit je-ne-sais-quoi, mais tu progresses à t’ouvrir. Continue.

— Ok, merci.

Je reprends ma place parmi mes camarades de classe.

Fred et Isabelle passent sur scène, pour les Fourberies de Scapin.

Puis, c’est au tour de Christophe et moi, à nouveau.

Christophe. Mon partenaire de scène dans N’écoutez pas Mesdames de Sacha Guitry. On s’est rencontrés au cours, mais on a fait plus ample connaissance lors de l’anniversaire de notre amie Joëlle. On a parlé et là, çà a fait tilt, enfin, tilt d’amitié pour lui, car pour moi…

Bon bref, c’est pas grave, c’est pas la première fois que je tombe amoureuse de mon « meilleur » ami ! Il me suffit de mettre une bonne grosse sourdine à mon cœur d’artichaut, et me voilà transformée en la meilleure des potes !

En attendant (en attendant quoi d’ailleurs ? qu’il ouvre les yeux et dise « what ? mais tout ce temps que j’étais à ses côtés et je ne l’ai point vue ? » Oui, bon, allez, arrête de rêver les yeux ouverts, ma grande !), donc « en attendant », eh bien, on se met en scène et j’entre dans la peau de mon personnage de Julie-Bille-en-Bois, ancienne danseuse du Moulin-Rouge (rien que ça !).

Oh, mais comme elle est touchante ! Des personnages comme ça, qui vous touchent le cœur, je voudrais tout donner pour les interpréter dans le ton le plus juste.

Me manquerait-il quelques années pour comprendre toute la dimension des sentiments de ce personnage ? Oh, comme j’aimerais avoir ne serait-ce que 10 ans de plus !

Et nous voilà transformés en des personnages de 30 ans de plus que nous.

Et nous voilà à déclamer des tirades, des vers, des répliques, en jouant aux anciens amants alors que je ne rêve que d’une chose, être la sienne actuellement…

Et voilà, Jeanne, encore une fois, tu débloques !

Allez, reprends-toi, joue, interprète, vis ta Julie !

Je bute sur mon monologue.

Jacques nous rattrape :

— Ok, c’est bon, Jeanne tu dois plus te concentrer. Pour aujourd’hui, on va s’arrêter là. Jeanne, on travaillera le monologue de Camille un autre jour. Tu as encore du temps pour choisir tes scènes pour le concours.

Puis, en s’adressant à toute la classe, il annonce :

— Pour notre représentation qui aura lieu fin juin, vous allez interpréter Roméo et Juliette, et j’ai bien réfléchi, dit-il en se tournant vers nous deux, je ne vois que vous pour jouer les rôles principaux, car il y a une belle alchimie entre vous…

Oh, mon Dieu, je vais défaillir…

— … Et j’ai aussi réparti les autres rôles, chacun d’entre vous a son rôle, et souvenez-vous qu’il n’y a pas de mauvais rôle, juste des mauvaises prestations, et vous, vous avez le talent nécessaire pour faire de cette pièce un moment parfait ! Joëlle, tu peux afficher la liste de distribution des rôles, s’il te plaît ?

— Oui, dit Joëlle en prenant la feuille.

— Nous commencerons les répétitions dès la semaine prochaine, merci de commencer à apprendre vos textes ! Je vous rappelle qu’à titre exceptionnel, le cours de ce soir remplace celui de demain et que celui de samedi saute aussi, nous le rattraperons lundi soir. Bon week-end à tous !

Tout le monde se lève et chacun découvre son personnage. Certains sont heureux, d’autres nettement moins, et je vois deux filles qui demandent à Jacques si elles peuvent être Juliette.

Mais Jacques est sûr de lui quant à ses choix.

Christophe, Joëlle (heureuse de faire la nourrice de Juliette) et moi ramassons nos affaires et sortons du cours.

Dehors, elle nous quitte pour aller prendre son métro.

Nos colocations ne sont pas éloignées l’une de l’autre, y en a pour quinze minutes de marche depuis le cours de Jacques. Christophe et moi rentrons ensemble à pied. La nuit est belle, une nuit de mai où, malgré le soir de semaine, les gens prennent le temps à la terrasse des bistrots, à parler, boire, rire…

La fin d’un cours de théâtre est généralement bercée par une sorte d’engourdissement, comme une bulle ou une énorme fatigue, comme si l’âme était usée par l’interprétation de tous ces personnages, comme si…

— Y a du monde chez toi ? me demande Christophe.

— Heu… oui, mes deux colocs. Pourquoi ?

J’avoue, je suis à la fois surprise, car je ne m’attendais pas à sa question et que j’étais perdue dans le flot de mes pensées.

— Pour rien… Tu viens prendre le petit-déj chez moi demain avant de partir au boulot ? Il faut que je te parle d’un truc.

— Oui, si tu veux. Y aura ton coloc ? (Histoire de savoir si on sera seuls, ou pas.)

— Je sais pas, oui, peut-être. Je t’attends pour 8 h. Ça t’ira ?

— Ok.

On est arrivés en bas de chez moi.

— À demain, Christophe.

— À demain, Jeanne.

La bise. Le cœur qui saute.

Et je pousse la porte, n’attendant déjà qu’une seule chose : être demain matin…

Qu’est-ce qu’il veut me dire ? Et… Qu’est-ce que je vais me mettre ?

En montant les escaliers jusqu’au 5e étage, je pense, je fais valser toutes mes pensées, dans un beau boxon.

Comment donner plus de profondeur à Julie ? Quelles scènes vais-je présenter au concours ? Bon, en même temps, c’est dans neuf mois, mais vaut mieux que je m’y prépare longtemps à l’avance. Où est-ce que j’ai pu mettre mon exemplaire de Roméo & Juliette, histoire d’apprendre mon texte et de ne pas me lancer en pure impro, genre, je lui déclare ma flamme : « Ô Christophe, mon beau Christophe, pourquoi suis-je aussi débile ? ». Comment je m’habille demain matin ? Bon, pas de panique. C’est pas la première fois qu’on prend le petit-déj ensemble, vu la courte distance qui nous sépare, et puis il faut que ce soit aussi compatible pour aller bosser, hôtesse d’accueil dans un centre de santé – bien-être pluridisciplinaire, qui regroupe des kinés – ostéopathes – nutritionnistes – coachs sportifs – et profs de yoga. À côté de l’Étoile. Un vrai miracle d’avoir eu ce poste d’ailleurs, je pense que le fait d’avoir obtenu un BTS accueil m’a donné une sacrée chance, malgré mon manque d’expérience.

Mes parents voulaient que je poursuive de hautes études supérieures dans la biologie comme eux, chercheurs-professeurs en microbiologie, mais je leur ai tenu tête en choisissant la voie des planches.

Je voulais cependant avoir un métier dans les mains avant de me lancer dans l’inconnue du Théâtre, parce que je suis bien au courant qu’il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus et que je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche.

Bref, c’est un beau bazar dans ma tête et je suis à la limite du pétage de plomb !

Donc, je me calme, je respire en me concentrant sur les marches d’escalier.

Quand je rentre, mes deux colocs sont là, en train de regarder Grey’s Anatomy.

Je me laisse tomber sur le canapé à leur côté.

Laurel et Soizic.

J’ai eu de la chance de tomber sur elles !

Et sur cet appart ! Situé à côté de la gare de l’Est, avec trois grandes chambres et un grand salon-cuisine, une vue traversante magnifique à Paris, et surtout, le bailleur-propriétaire nous a fait un contrat de fou. Trois ans renouvelables, on part quand on veut (ça, c’est la loi) dès lors qu’on prévient un mois à l’avance, et surtout, un mois à demi-tarif à condition de libérer les lieux pour le mois d’août où il loue à la semaine pour des touristes, au prix du mois.

En une semaine, il reçoit ce qu’il touche en un mois.

C’est pour cela qu’il ne prend que des étudiants-étudiantes, et que moi, j’ai pu l’avoir, car mon travail est fermé tout le mois d’août !

Depuis qu’on cohabite début septembre dernier, on a fait connaissance, on respecte l’univers de chacune, les habitudes et autres particularités qui font un être humain, qualités et défauts.

Et top du top, on s’entend bien, on devient même très bonnes copines !

Bien sûr, on parle (on est des Vénusiennes après tout !), on se confie nos vagues quotidiennes, elles sont au courant pour Christophe, je suis au courant des aléas de leur cœur. Elles connaissent Christophe et reconnaissent volontiers que c’est plus qu’agréable de le regarder, et moi, je ne peux qu’approuver, je me délecte de ses paroles, mais bien sûr, je ne peux le montrer, je reste dans mon personnage de bonne copine, d’amie même. D’ailleurs, je ne mens pas, je suis effectivement son amie… mais avec un cœur gros comme le Sacré-Cœur !

Eh oui, je le reconnais pleinement, je me suis faite friendzoner en beauté !

C’est pas grave, le tout, c’est que j’arrive à ne plus penser à lui toute la journée !

Du coup, je leur dis pour mon petit-déj avec lui demain matin, et comme je m’y attendais un peu, leurs réactions ne se font pas attendre :

— Non mais sérieux, Jeanne, comment veux-tu t’en sortir si tu n’arrêtes pas d’être à ses pieds ? balance Soizic.

— Attends, t’es sûre qu’il s’est aperçu de rien ? questionne Laurel.

— Heu, non, je crois pas…

— Moi, je ne comprends pas pourquoi tu ne lui as toujours pas dit tes sentiments.

— J’y arrive pas, je suis pétrifiée, je crains trop que ce ne soit pas réciproque. Au moins, là, on est amis, c’est déjà bien !

Non mais quelle pitouze !

— Et pourquoi il t’a demandé s’il y avait du monde chez toi ? Il voulait venir maintenant ? questionne Laurel.

— Et c’est quoi ce truc qu’il veut te dire ?

— Heu… Je ne sais pas… (impression d’être un lapin pris dans les phares d’une voiture). Peut-être me parler de Roméo & Juliette ?

— Comment çà Roméo et Juliette ? Tu veux te suicider par amour ?

— Non, pas du tout ! Notre prof nous a choisis pour interpréter Roméo et Juliette dans les rôles-titres.

— Ah ben, ça va pas t’aider à te changer les idées ! balance Soizic.

— Bon, admettons, et qu’est-ce que tu vas mettre ? dit Laurel plus pragmatique.

— J’sais pas, un truc qui soit compatible avec mon boulot, parce que j’y vais juste après.

— Oui, normal, Christophe est sur ta route.

— Une robe, oui, ta robe bleue ?

— Oui, je vais voir si je peux la mettre.

Je me lève, les laissant à leur épisode qu’elles avaient mis en pause.

Dans ma chambre, je me dis que non, je ne devrais pas me mettre en quatre. De toute façon, s’il avait eu le moindre penchant pour moi, je l’aurais vu ou il me l’aurait dit, je ne sais pas, ça me semble trop beau qu’il puisse me trouver à son goût.

Comment ? Moi, manquer de confiance en moi ?

Voyons donc ! Point du tout… À peine… Si peu…

Eh oui, à vous, vous qui venez d’entrer dans ma vie, je vous invite au spectacle, installé/installée dans votre fauteuil ou sur votre lit, dans un bus ou sous la couette, sur votre transat de jardin ou sur votre serviette de plage. Venez assister à mes turpitudes intellectuelles. Bienvenue dans ma vie, moi, Jeanne Baland, 22 ans tout rond, hôtesse d’accueil qui rêve de vivre de l’art de la scène, auburn rousse claire (surtout l’été) et bouclée sur la longueur, yeux bleu-gris, 1 m 68, ni grosse ni mince, un peu sportive quand ça me prend (pas souvent), et toujours partante pour faire la fête, danser, rire, et boire un (petit) verre (même si, finalement, je n’en ai pas vraiment besoin).

Mon visage n’est pas celui d’une beauté fatale, mais on peut dire que j’ai du charme, voire que je suis jolie, mais j’ai beaucoup de mal à le dire. Je préfère que ce soit les autres qui le disent, non pas par vantardise ou orgueil, mais juste que le fait que je le dise et j’ai l’impression d’être justement arrogante – orgueilleuse – vantarde…

Mais quand je calme mes démons de sous-estime (pas souvent non plus), je reconnais que je me plais, que je m’aime bien, même si, des fois, j’ai juste envie de me mettre des claques !

Comme en ce moment précis où je tergiverse, je me prends la tête, au lieu de retrouver Shakespeare…

Bon, allez, la méthode est que je renverse tout pour trouver. De toute façon, c’est rangé de manière très aléatoire. Enfin, sous une pile de bouquins, je retrouve mon précieux ouvrage.

Et sans perdre un instant, malgré l’heure tardive et le bordel environnant, je me plonge avec délectation dans cette tragédie.

Chapitre II

Jeudi 5 mai

Ouh la… J’ouvre un œil… Mon réveil sonne, me hurle de me lever… Dur… Ouh là là…

Je découvre que je me suis endormie, toute habillée au milieu d’un océan de boxon dans mon lit, Shakespeare imprimé sur ma joue gauche.

Impression d’avoir livré un combat contre les Capulet et Montague réunis.

Oh là là, il faut que je me lève, je vais être en retard !

Ok, bon, allez, une douche, un coup de brosse, un léger coup de maquillage, parce que quand même tu vas bosser après, et voili voilou, me voilà devant mon armoire.

Bon, allez, zappe Christophe, même si les papillons dans le bidon me prouvent le contraire, et habille-toi, fonction hôtesse d’accueil.

Haut classique, pantalon bien coupé, une paire de ballerines, et hop, je cours à la boulangerie.

Ben oui, quand même, je vais pas y aller les mains vides, et puis c’est normal, on fait comme ça, les autres fois. Et là, là, précisément, si j’étais détachée et cool, je ne saurais exactement le nombre de fois où je suis venue, ou il est venu, pour qu’on partage le petit-déj, mais là, je suis tellement « papillonnée » quand je pense à lui, ou que je le vois, que je sais exactement : il est venu deux fois et moi une fois, deux avec celle d’aujourd’hui.

Oui, bon, on peut pas dire qu’on soit de gros habitués. Mais c’est la première fois qu’un… copain ? ami ? mec ? bref, un bipède mâle avec qui je m’entends bien me propose des petits-déj.

Il fait super beau dehors, un beau ciel bleu avec un vrai soleil. Différent du soleil d’hiver qui ne fait qu’acte de présence, d’un jaune… jaunâtre et surtout sans aucune chaleur.

Lui, celui de ce matin, ah, ça fait du bien !

Un vrai soleil de mai, plein de douceur et de promesses !

Je regrette presque de n’avoir pas enfilé une robe ! (bleue)

J’interphone.

— Oui ?

— C’est moi, c’est Jeanne.

Au cas où il attendrait d’autres filles.

— Ok monte !

Oui ben, c’est sûr, je vais pas bouffer mon croissant sur le trottoir.

Bon, ça fait partie des phrases qu’on dit de façon très mécanique, presque automatique, sans vraiment penser au vrai sens ou…

Ok, son ascenseur est très rapide. Je suis devant chez lui. Et voilà, les papillons raboulent. Merde. Bon, allez, c’est un pote, c’est un pote, c’est un pote, c’est un…

La porte s’ouvre sur Éric, le coloc de Christophe, sur le point de partir rejoindre son travail à la Bourse.

— Salut Jeanne, entre. Il finit de se préparer. Moi, j’y vais. Bonne journée, salut !

— Heu, salut, bonne journée ! (on va éviter de lui souhaiter « bonne Bourse », ça pourrait être mal interprété.)

Je vais à la cuisine ouverte, séparée du vaste salon par un bar assez large pour servir de table.

Je pose le sac de viennoiseries et me hisse sur un tabouret.

— Salut, Jeanne, ça va ?

Christophe entre, en enfilant un t-shirt (oh là là… cache-moi ces abdos que je ne saurais voir…) et se met à préparer les cafés.

— Tu prends du sucre ou pas déjà ? Je ne m’en souviens plus.

— Heu, non, ça ira, merci.

— Merci pour les viennoiseries, c’est gentil.

— C’est normal.

Je bois en silence. Nous croquons dans nos croissants.

Allez Jeanne, détends-toi, c’est ton ami après tout.

— T’as bien dormi ? lui demandai-je.

— Oui, ça va, et toi ?

— Moi, ouh là, je me suis embrouillé la tête avec les Montague et Capulet, mais je suis contente, j’ai retrouvé mon livre de Roméo & Juliette !

— Sérieux, tu t’y es déjà mise ? Regarde…

Et là, il sort de la poche arrière de son jean son exemplaire à lui, tout tordu, genre j’ai dormi avec.

— Je vois qu’on a eu les mêmes copains cette nuit, dis-je.

— Effectivement, je vois qu’on est sur la même longueur d’onde, on va s’y mettre à fond !

—Yes !

Je ne sais pas s’il fait ou non référence à la scène 5 de l’acte I, aux baisers que nos personnages échangent suite à leur coup de foudre. C’est vrai que ça me chamboule, le fait de savoir que je vais, pardon, que Juliette va embrasser Christophe, je veux dire Roméo.

Mais je ne dois pas fantasmer là-dessus. Après tout, c’est du théâtre.

Oh là là, je vais l’embrasser… !

Respire Jeanne, n’oublie pas que c’est ton ami, qu’il te voit comme telle, donc, respire. Même si tu n’y arrives pas, fais semblant.

On se regarde, complices, et on sourit.

Parler avec lui redevient simple, fluide. Je mange avec délice ce croissant de bonheur, j’ai deux ailes que j’essaie en vain de ne pas déployer.

— Ok, se lance-t-il, il fallait que je te parle de quelque chose…

— C’est pour ça que tu m’as demandé s’il y avait du monde hier soir chez moi ?

— Oui. Bon, alors, je ne sais pas comment je peux te dire ça…

— Oui ?

Mes oreilles s’ouvrent, mes ailes se figent, mon cœur s’enflamme, s’emballe, se met à danser la gigue irlandaise ; bon sang, Jeanne, calme-toi !

— Peu de personnes sont au courant, car c’est une décision que j’ai prise récemment…

Mon cœur s’arrête. Quelle décision ?

— … Je vais partir pour les États-Unis. Je vais tenter ma chance à Hollywood.

Le croissant ne passe plus, le sol s’écroule, s’ouvre en deux, juste en dessous de mon tabouret de bar et je tombe dans les méandres de la Terre, engloutie par les profondeurs du désespoir…

J’ai la gorge étranglée.

Ok Jeanne, ressaisis-toi, il est devant toi et il attend ta réaction.

— Quoi ? Euh… wouah, c’est heu… génial !

— Merci, je savais que je pouvais compter sur toi, me dit-il avec un grand sourire dévastateur.

Bon, ok, mon ami, mon cœur se casse et toi, tu souris comme un abruti qui n’a toujours rien vu et rien compris.

Pas grave. Je suis démolie.

— Et du coup, tu pars quand exactement ? T’as un plan là-bas ? demandai-je, l’air totalement détaché. (Un vrai travail de comédie !)

— Un copain d’Éric peut m’héberger, la cousine de son meilleur ami (rien que ça ?) travaille à la MGM et aussi, j’ai été contacté par une agence de pub franco-américaine, ici, à Paris, pour faire des shootings et castings à Hollywood pour leur boîte. Ils recherchent un profil français, parlant couramment l’anglais, mais avec l’accent français. Rien n’est encore signé, enfin, sauf ici en France, j’ai un contrat avec cette agence mais là-bas, c’est pas encore sûr que ça marche.

— T’as un contrat depuis quand ?

— La semaine dernière.

Et tu ne m’as rien dit, lâche ?

Inspiration, expiration.

— Je croise les doigts pour toi.

Non, c’est vrai, je lui souhaite de réussir et d’être heureux.

Non mais regardez-moi, quelle poire !

— Et tu pars quand alors ?

— Dès que j’aurai de leurs nouvelles, dès que j’ai le feu vert, dès que j’ai mon passeport et autre document nécessaire pour aller aux États-Unis.

— Ça peut prendre combien de temps ?

— Entre un mois ou deux.

— Et juste, comme ça, mais tu comptes être là pour le spectacle ? Parce que si Roméo se barre aux States, Juliette va se sentir un peu ballotte, toute seule sur scène…

J’ai peut-être été un tantinet agressive sur ce coup.

Là, il me regarde bien fixement et me dit :

— J’aimerais partir juste après, c’est pour ça que je fais comme si, j’apprends déjà mon texte. J’ai pas l’intention de laisser tomber le spectacle, ni toi…

(Mon cœur, je défaille…)

— … Après tout, t’es une fille formidable, ma partenaire de scène, la meilleure pote que j’ai eue !

Et vlan, remise à sa place de bonne vieille copine bien proprement. Adieu romance.

— C’est gentil, merci, pour moi aussi, tu comptes beaucoup et je suis vraiment contente pour toi (si je fais abstraction de mon cœur).

Et là, je regarde l’heure qui, pour une fois, me sauve la mise, car j’ai le cœur dans les chaussettes, pardon j’en ai pas, dans les ballerines et encore je suis gentille, il doit être à peu près au centre de la Terre, tellement il a chuté.

Il n’est pas remonté depuis tout à l’heure.

Je suis une morte vivante.

— Bon, il faut que j’y aille, je te laisse.

— Ok, bon on se voit quand pour commencer à répéter ?

— Heu, chais pas, tu me dis tes dispos par sms ? (Juste incapable de réfléchir là, maintenant, tout de suite.)

— Ok, à plus, et bonne journée, Jeanne, dit-il en me raccompagnant à la porte.

— Merci, toi aussi.

Je sors. Je suis sonnée. Non, je ne l’ai pas vu venir celle-là.

Merci la vie. Sympa.

Bon, allez, courage, ma Jeanne, positive.

Même si là, présentement, c’est juste pas possible, car la tête trop dans le guidon, mais allez, hop, un éléphant se mange petit bout par petit bout. Pauvre bête.

Et regarde, toute la journée, tu vas pouvoir t’entraîner dans un rôle de composition de : « nous-sommes-heureux-de-vous-accueillir-dans-notre-établissement » avec un grand smile collé sur ta figure !

Oh, mon Dieu, il va partir… et je vais pleurer… et j’ai pas fini mon croissant.

Chapitre III

Jeudi 5 mai

J’ai mal aux zygomatiques, tellement je me force de sourire à mon poste.

Bon, pour l’instant, ça n’a pas l’air de choquer les gens ni ma collègue Monique ni les kinés – ostéopathes – nutritionnistes – coachs sportifs – et prof de yoga qui passent me voir régulièrement au sujet de rendez-vous et divers détails.

Je ne sais pas comment j’ai fait pour venir jusqu’ici, ni comment, quoi, qui, ou que. Je suis complètement à côté de mes pompes.

Je réponds aux questions de façon mécanique, limite robotique.

On vient de m’arracher le cœur, de le donner en pâture à un troupeau de bisons des plaines américaines.

Arrrgh. Non. Sont herbivores ces bêtes-là. Pas possible.

— Centre de santé Saint Honoré, bonjour, que puis-faire pour vous ?

Et voilà, je suis en mode mécanique, je souris, je renseigne. Quelle heure est-il, Madame Persil ? L’heure de me foutre en l’air, Monsieur Tortionnaire.

Je ne vois pas comment je vais tenir toute la journée ainsi.

Bon, allez, respire et relativise.

Ok, il s’en va. Sans même savoir ce que je peux ressentir pour lui.

Alors quoi ? Tu vas lui dire ou non ? Bien sûr, je n’ose pas !

Ce serait tellement simple si j’avais ne serait-ce qu’un minimum de confiance en moi !

Et puis quoi, serait-il judicieux de lui dire ?

Après tout, que ce soit réciproque ou non, il se casse ! C’est son rêve, sa destinée.

Et toi, quelle est la tienne ? Rester à ton poste bien sagement en continuant tes cours ?

Ah ben non, bien sûr, il y a le concours du Conservatoire !

Mais est-ce là toute ta vie ? N’y a-t-il pas d’autres options au cas où tu te plantes ?

J’ai réellement mal. Bon, je fais quoi maintenant ? Deux options : la première, je m’effondre comme une masse molle, je m’anesthésie le cœur à grands coups de saucisson, baguette, chips et crème glacée, je squatte le canapé et me repasse l’intégrale de Grey’s Anatomy ou Jane The Virgin. Et après je pleure sur les kilos que j’aurais à perdre et le temps perdu.

Deuxième solution : tu te prends par la main, et tu te relèves, tu te bouges le popotin, tu invoques ce Dieu dont tu as vaguement entendu parlé, parce qu’après tout, il a l’air de s’occuper de cas désespérés, et tu vois ce qui se passe…

Cécile, une fille de mon BTS, m’avait parlé de Dieu, de sa façon d’intervenir dans notre vie, de son existence, de son « action toute puissante ». Je ne disais rien à l’époque, parce que je ne me sentais pas vraiment concernée, je l’écoutais juste, un peu par politesse, beaucoup par respect de sa foi, puisqu’elle respectait mon athéisme, et aussi parce qu’elle était bien sympa, et que je m’entendais bien avec elle. Mais j’avoue que je n’étais pas du tout intéressée.

Et aujourd’hui, je repense à ses paroles, à ce Dieu vers lequel on peut se tourner quand on a besoin de lui, qui nous écoute.

Alors oui, je suis intriguée par cette deuxième option, il y a comme quelque chose de nouveau, de mystérieux, comme une nouvelle aventure, car malgré tout ce que Cécile m’a dit sur ce Dieu, c’est son expérience à elle, pas la mienne, et du coup, tout est à découvrir, c’est un nouveau voyage, et va savoir s’il peut faire quelque chose pour moi…

Tiens, c’est curieux quand j’y pense, je n’ai même pas pensé à l’option « je me mets dans le théâtre et j’oublie tout, je ne pense plus qu’à ça ».

Oui, c’est bizarre quand on sait à quel point je suis passionnée par le théâtre !

Mais bon, le fait d’invoquer ce Dieu-dont-Cécile-m’a-parlé ne va pas m’empêcher de continuer à persévérer dans ma conquête des planches ! Et je ne parle pas de menuiserie (ouh, elle est costaud celle-là, Jeanne, franchement t’as pas honte ?) (Oui bon, je sais, je peux faire mieux, mais voyez-vous, je suis à bout !)

« Heure » de ma pause. Envie de me retrouver seule, à ne parler à personne.

Je ne vais certes pas invoquer Dieu maintenant, d’ailleurs, je ne sais vraiment pas comment faire. Ni s’il existe vraiment. Ni de perdre mon libre arbitre. Pas envie de perdre ma liberté.

Mais suis-je libre ? (Ouh là, ça devient un peu trop philosophique pour une pause déjeuner.)

Donc, pour l’instant, on met cette option de côté.

Ok, bon, j’ai ramené mon Roméo & Juju, dans l’espoir d’apprendre, et c’est vrai que je n’ai pas franchement la tête à ça, ni le cœur, mais quoi, c’est pas cet abruti qui va me détourner de mon but, et ça passe par ce spectacle, par cette représentation du cours de Jacques, dans un petit théâtre du Xe arrondissement, pas très loin de son cours.

Finalement, penser à cette pièce me fait du bien, me sort de mes idées noires.

Et après tout, si je lui disais ? Oui ? Non ?

Eh ben, j’en sais rien.

Bon, on verra bien comment ça se présente.

Alors, me voilà en train d’apprendre mon texte, de me répéter le rôle de cette jeune, plus jeune que moi, qui aime et est aimée en retour… elle.

Téléphone. Joëlle. Ah oui, je ne dois rien dire, c’est encore un secret.

Christophe m’a dit de ne rien dire. Donc, à mon amie Joëlle, je ne dois rien dire.

Je décroche, juste pour voir ce qu’elle veut me dire, pas pour me confier.

— Salut Joëlle.

— Salut, ça va ? Je te dérange pas ?

— Non, je suis en pause.

— T’es en train de manger ? Je peux te rappeler plus tard si tu veux.

— Non, non, t’inquiète pas (je me rends compte que je n’ai pas pris mon repas).

— J’ai un truc à te dire, mais je ne sais pas comment…

Décidément, ils se sont donné le mot.

Quoique son ton à elle est bien plus léger, voire frivole.

— Vas-y, je t’écoute.

— Je dois aller en Suisse pour le week-end, mon cousin Serge, qui fait partie d’une troupe de théâtre de rue, m’a proposé d’aller le voir. Il va participer à un festival, bon, j’ai pas tout compris, mais il aimerait que je vienne ce week-end chez lui, et du coup je lui ai demandé si je pouvais venir avec toi et il m’a dit oui, au contraire, que tu serais la bienvenue.

— Mais, t’as pas les 18 ans de ta petite sœur ce week-end ?

— En fait, elle va à Disney avec ses copines, c’est son cadeau, et on fête son anniversaire ce soir avec mes parents !

— Ah, c’est cool ! Mais, il ne me connaît pas ton cousin !

— En fait, je lui ai déjà parlé de toi, et je t’en ai déjà parlé aussi. Tu sais, c’est celui qui fait du cirque, Serge, avec qui j’ai passé mes vacances, quand j’étais petite en Suisse, on a deux ans d’écart…

— Ah oui, je m’en souviens ! Et qu’est-ce que tu lui as dit sur moi pour qu’il veuille que je vienne ?

— Juste que tu es ma meilleure amie et que tu fais du théâtre, et que t’es douée ! Alors tu viens ?

Oh, Joëlle, ma chère Joëlle !

Juste ce qu’il me fallait pour me changer les idées ! Parfois, la vie est sympa aussi !

— Et on partirait ce week-end, ce week-end, là, juste demain soir ?

— Oui, je sais, je m’y prends un peu tard, mais ça s’est décidé juste là.

— Ok ! C’est parti pour Genève ! Tu sais, c’est exactement ce dont j’avais besoin. Tu tombes vraiment à pic !

— Cool, bon, je m’occupe des billets, tu me rembourseras plus tard.

— Ok cool, merci.

— D’ailleurs, j’ai vu un train qui partait à 16 h 18 et on arrive à Genève à 19 h 30 et on reviendra dimanche soir à 18 h 30, arrivée Paris 21 h 45. Ça te va ?

— Génial, c’est génial ! Et très précis ! Merci d’avoir pensé à moi !

— Mais de rien, c’est normal, et puis j’ai vraiment hâte que tu rencontres mon couz. Tu vas voir, il est vraiment super gentil ! Je suis trop contente d’y aller avec toi, on va voir sa compagnie et tout ce qu’ils font, ça va nous faire du bien. Au niveau théâtre, on va apprendre des trucs, tu vas voir. Hou, que je suis contente qu’on y aille ensemble ! Et puis (elle est lancée !) tu vas aussi faire la connaissance de mes grands-parents, parce qu’ils vivent là-bas aussi. En fait, ils se partagent la maison, et puis tu vas voir où j’ai passé tous mes étés. Je t’en ai déjà parlé d’ailleurs, tu m’avais appelée Heidi, tu te souviens ? Non, sérieux, j’suis trop contente que tu viennes avec moi !

On se dit au revoir et on raccroche, toutes contentes l’une comme l’autre.

Me voilà reboostée, pleine d’un nouveau feu, d’une nouvelle vie.

Je suis heureuse du changement, et aussi de découvrir ce côté de vie de Joëlle. C’est vrai qu’elle m’en a souvent parlé de son enfance en Suisse, quand elle allait voir ses grands-parents pendant les vacances et qu’elle passait du temps avec sa petite sœur et son cousin, il les faisait rire en faisant le clown ou des blagues, avec tous leurs autres cousins.

Je repars comme en 40, même si j’ai le cœur encore bien douloureux, cette promesse de voyage est une ouverture, une fenêtre dans ma pièce sombre.

Et là forcément, mon cerveau, ma mémoire me rappelle une réplique de La Mélodie du Bonheur :

Là où le Seigneur ferme une porte, ailleurs Il ouvre une fenêtre.

Ça, c’est des années de veillées de Noël à passer ce film du coup, je le connais par cœur, merci, Maman ! Alors ok, c’est vrai que je venais de parler de ce Dieu-dont-Cécile-m’a-parlé et que là, boum, petite référence à lui. Dois-je y voir un signe, une sorte de réponse à une prière que j’ai eu du mal à émettre ? Va savoir, je préfère pas trop y penser pour l’instant.

Et existe-t-il seulement ? Ou tout cela ne serait que pure coïncidence ?

Je suis toute à ma joie et mon excitation de ce voyage.

Les questions fusent dans ma tête comme des pétards du 14 juillet :

Que fait la Troupe ? Qui est ce cousin ? Comment va-t-on apprendre ? Quoi ? Qui ? Qu’est-ce ? Oula ! J’ai hâte d’en savoir plus ! Ça me fait bizarre (mais de façon positive !) aussi de faire la connaissance de ses grands-parents !

Du coup, quand je retourne à mon poste, je constate que :

Un, j’ai faim, et deux, je souris pour de vrai ! L’après-midi se déroule bien vite, tellement j’ai la tête ailleurs, tellement j’ai des questions dans la tête ! J’ai même pas demandé le pourquoi du comment.

Rien, juste partir, quitter Paris et tout ce qui s’y rattache…

Après tout, il se barre aux USA, ben moi, je vais en Suisse !

Oui, je sais, çà fait pas le même effet… Mais demain soir :

Je me casse !

Chapitre IV

Vendredi 6 mai

Avez-vous déjà essayé de préparer votre valise pour un endroit que vous ne connaissez pas, où vous ne savez pas ce qui vous y attend, où vous ne savez pas ce que vous allez faire, bref, pour la plus parfaite destination inconnue (malgré le fait de connaître le nom de votre destination, mais que se cache-t-il derrière ?) le tout en ayant un degré d’alcool qui vous fait prendre les décisions les plus insensées ? C’est pas mal, je vous le conseille !

Donc, je sais que j’ai sauté quelques wagons, je reprends, je remonte le temps de ces dernières heures qui furent relativement folles, juste avant notre départ… ou plutôt la tentative désespérante (ou désespérée ?) de faire une valise pour le temps d’un week-end.

Quand je suis rentrée chez moi, le jour du coup de fil de Joëlle, il n’y avait personne, les filles n’étaient pas encore rentrées. Je me suis posée sur le canapé, la tête pleine de sentiments contradictoires, à balancer entre la déprime totale de mon amour non réciproque pour Christophe, son départ, son regard qui me fait vaciller dans un monde de licornes roses et d’angoisse pure, et cette aventure pour un week-end, l’inconnu qui met du piment dans la vie, la promesse d’un chemin parsemé de points d’interrogation…

J’ai pris la décision de ne pas me laisser aller, de me secouer les puces, le cœur, et de me concentrer sur cette promesse pleine de points d’interrogation.

Je me suis levée, j’ai mis de la musique et j’ai dansé comme une folle !

Ah que ça fait du bien ! Sentir mon corps se libérer des tensions de tristesse, me sentir vivre, rejoindre l’espoir et quitter la déprime !

Dancing with myself, merci, Billy Idol !

Je m’éclate totalement, je laisse tout tomber, je laisse tout aller…

Et c’est ce moment-là que les filles ont choisi pour revenir ensemble, rentrant par le même métro de leurs cours, respectifs et voisins, de marketing (pour Laurel) et infirmière (pour Soizic). D’abord, elles se sont arrêtées net, et puis, après un très court instant de surprise, elles m’ont rejoint dans mon délire, et c’est ainsi qu’a commencé une belle soirée !

Et on a fait des mojitos, et on a fini à… pas d’heure, avec les voisins !

Ah oui, que cela fait du bien !

Mais le lendemain, ben il faut aller au travail, et faire le sac pour la merveilleuse-aventure-du-week-end ! Avec un mal aux cheveux à se raser la tête !

Donc, j’en suis là, entre le réveil du matin et l’heure de partir au boulot, à refaire la valise commencée la veille, à ne savoir que prendre, entre le trop et le pas assez, entre le trop habillé et le trop relax… Trop trop trop !

Alors, regarder la météo de Genève pour ce week-end, et ok, un peu de fantaisie, un peu de confort, un peu de passe-partout, un peu de tout.

Voilà mon sac qui ressemble à une vache pleine.

Alors, on l’accouche de son veau, et hop, c’est bon, un sac facile à transporter !

La journée me semble interminable !

Je souris, je réponds, j’ai l’impression d’être complètement guillerette, limite je fais des petits bonds sur place. Ce qui fait à la fois froncer les sourcils et rire Monique.

Et puis, l’heure du départ, des papillons dans le ventre.

Message sms de Christophe qui demande mes disponibilités pour répéter.

Estomac en vrac, qui vient de se taper un tour de grand 8. Papillons out.

Je lui réponds par message vocal :

— Salut Christophe, je pars ce week-end pour la Suisse, je serais disponible lundi matin vers 9 h, donc si ça te convient, dis-moi et on avisera où on répète. Bon week-end, bise.

Légèrement sèche, quand même. Pas l’habitude de me montrer « dure », parce que pour moi c’est dur, ce ton-là. D’habitude, je demande toujours s’il va bien, etc. Là, rien, que dalle, niet.

De plus, je reviens le dimanche soir, donc j’ai été délibérément dans le vague (ridicule ? Oui, j’avoue.)

Je prends le RER A, direction Gare de Lyon, tout en retrouvant les bons papillons dans le ventre, ceux qui annoncent le départ, le voyage, l’excitation d’un changement, une nouvelle aventure.

J’adore partir !

Je retrouve Joëlle dans la gare, devant Le Train Bleu, on a bien précisé notre lieu de retrouvailles, car ça grouille de monde un vendredi soir !

On se prend dans les bras, elle est aussi excitée que moi, deux gamines ! Et on se marre !

Voilà, ce voyage promet d’être plein de belles découvertes, je n’ai jamais eu l’occasion d’aller à Genève. Alors oui, tout ça, c’est plein de nouveautés, de découvertes, et c’est vraiment ce qu’il me fallait pour « oublier » Christophe, tant est-il possible de l’oublier tout en apprenant mon rôle de Juliette.

D’ailleurs toujours pas de réponse de sa part. Bon, non, je ne vais pas commencer à me ronger les sangs au risque de pourrir mon week-end magique.

Magique parce qu’inexepected, inattendu.

Je tente d’en savoir un peu plus auprès de ma fée Joëlle :

— Bon alors, dis-m’en un peu plus, lui demandai-je, une fois installées à nos places.

— Ok alors, qu’est-ce que tu veux savoir ? À propos de Serge, de sa troupe ou d’autre chose ?

— En fait, pourquoi il t’a demandé de venir ? Pourquoi ce week-end précisément ? Et du coup pourquoi moi aussi ?

— Ok, alors je l’ai appelé hier et j’ai eu plus de précisions sur ce que je n’avais pas tout capté. Ils préparent leur participation à un festival qui se tiendra fin août, et il m’a demandé si je voulais y participer, j’ai dit oui.

— Génial ! C’est cool ! C’est quoi comme festival ?

— Alors, c’est un festival des Arts de la Scène, qui a lieu à Amsterdam, fin août, et qui réunit des troupes et compagnies de toute l’Europe – géographique pas politique –, des compagnies différentes de cirque-spectacle de rue, de théâtre plus classique ou d’improvisation. Je lui ai demandé si je pouvais t’emmener, ça peut être une super expérience ! Serge m’a dit que si ça t’intéresse, tu es la bienvenue !

— Et toi tu vas faire quoi ?

— Je vais chanter !

— C’est vrai que t’as une super voix !

— Merci !

— Parle-moi un peu de sa troupe ?

— Ils font du cirque de rue genre cracheurs de feu, acrobates, conteurs, un peu comme au Moyen-Âge tu vois. Elle s’appelle Tous en Cène (comme le dessin animé ?) avec un C.

— Qui veut dire ?

Joëlle se tortille un peu, légèrement gênée d’un coup par la tournure de la conversation.

— Je t’ai déjà parlé des origines protestantes de ma famille ?

— Heu, non, je ne crois pas.

— C’est pas quelque chose que j’étale, bon, je n’en ai pas honte, mais pour moi, c’est plus un héritage culturel que spirituel, donc, je n’en parle pas à tout le monde.

— Et quel est le rapport avec la compagnie de ton cousin ?

— Serge est allé plus loin que la « tradition familiale », il a voulu savoir qui était ce Jésus dont on a entendu parler étant gamins, il a lu la Bible, et est allé dans une église. Parallèlement, il suivait des cours de cirque, et d’histoire aussi, parce qu’il est passionné par ça. Une fois finit ses études d’histoire, il a trouvé la Compagnie Internationale, faite d’artistes de toutes nationalités, qui voyageait partout dans l’Europe, et même le monde entier. C’est une compagnie composée de chrétiens, mais qui jouaient dans tous les milieux et avec une action humanitaire, selon où ils allaient. Il y est resté deux ou trois ans, je ne sais plus, et puis quand il est rentré en Suisse, il a monté cette compagnie, avec des amis chrétiens, dans la maison de notre grand-père, ils se la partagent, et d’ailleurs elle n’est pas à Genève même, mais à Vandoeuvre, c’est juste à côté.

— Ok, donc là, t’es en train de me dire qu’on va passer le week-end avec des chrétiens, chez tes grands-parents ? dis-je un peu effrayée.

— Oui, mais rassure-toi, ils sont normaux ! Et mes grands-parents sont super gentils ! En fait, c’est vrai j’aurais pu te le dire avant, surtout que je ne connais pas la troupe de Serge, mais je le connais bien, lui, et il n’est pas… comment dire ? Ce n’est pas un fou furieux de la Bible, il ne va pas te taper dessus jusqu’à ce que tu te convertisses !

— Heu… tant mieux ? Je ne sais pas si c’est fait pour me réconforter, mais honnêtement, je ne suis pas super à l’aise.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, peut-être parce que je ne connais pas du tout le milieu chrétien, protestant c’est ça protestant ? (elle acquiesce) encore plus ; que je crois que c’est la première fois que je vais rencontrer des protestants, à part ma copine de BTS, alors passer tout un week-end avec eux…

— Y a vraiment pas de quoi flipper ! Ce sont des gens comme les autres, ils ne sont pas parfaits !

— Oui, je m’en doute, mais bon, c’est que justement, je commençais à me poser des questions sur Dieu et que là, tu vois, d’un coup boum, tu m’emmènes passer un week-end avec des gens qui croient en lui… Alors, bon, ça me trouble un peu.

— Ben justement, c’est super, comme ça tu pourras poser toutes les questions que tu veux à Serge, je suis sûre qu’il sera content d’y répondre.

— Oui, ben on verra. Mais au fait, et toi du coup ? Tu crois ?

— Oui… non… oui… en fait, je crois que Dieu existe, mais je n’ai pas de relation avec lui, encore moins avec Jésus, je crois à l’Horloge et l’Horloger.

— Ah oui « Si le monde est une horloge, il faut bien un Horloger », Voltaire.

— C’est ça !

— Et ça le dérange pas ton cousin qu’on soit pas chrétiennes pour jouer dans sa troupe ?

— Non, il est loin d’être sectaire ! Tant qu’on est pas contre et qu’on respecte !

— Oui, bien sûr… Et là, il vient nous chercher à la gare ou comment ça se passe ?

— Oui, il vient effectivement nous chercher à la gare, puis il nous emmène directement à la maison.

— Ok, super !

— Oui, tu vas voir, ça va nous faire un bien fou ! Quitter Paris et tout, et tout…

Gros sous-entendu, autant pour elle que pour moi. Elle aussi a un cœur compliqué, une situation analogue à la mienne, mais c’est elle qui friendzone ce (pauvre) Bruno.

Mais qui, lui, a eu le courage de le lui dire.

Joëlle et moi restons silencieuses, comme pour savourer cet instant, comme pour nettoyer ce « et tout et tout… »

J’aime les trajets en train, la France est un pays magnifique, on y croise tellement de paysages différents, de couleurs, de diversités, on ne peut vraiment pas s’ennuyer en regardant tous ces paysages. D’abord, quitter Paris, traverser son interminable banlieue, pas toujours très rose.

Et puis, boum, un champ, et des vallées, et de vastes étendues agricoles, des éoliennes.

Je sais qu’elles font débat, mais moi, je les trouve belles, ces grandes fleurs métalliques agitant leur bras avec nonchalance.

On a de la chance, il fait super beau, du coup, la nature offre aux usagers de la SNCF un panel de couleurs absolument incroyable ! Mes yeux se perdent dans cette étendue, mes pensées sont réduites au silence (ou presque !), mon cœur est rempli de beauté et de douceur…

Manque plus que les licornes ! J’ai la tête remplie de pensées qui valdinguent suite à ma conversation avec Joëlle. C’est vraiment trop bizarre que je pense à Dieu et boum ! Honnêtement, ça me fait un peu peur.

Trois heures et quinze minutes plus tard, après avoir gardé le silence, regardé un magazine de mode, papoté sur plein de broutilles, échangé nos points de vue sur plusieurs auteurs, nous arrivons à Genève. Joëlle et moi débarquons sur le quai de la gare, ne sachant trop où aller.

Bon, le cousin devrait être dans les parages, mais où ?

Tout d’un coup, celui qui s’approche de nous prestement est juste… magnifique !

Jeanne ferme la bouche, tu vas finir par baver.

Christophe ? Qui ? Hein ? Mais de quoi tu m’parles ?

— Hey ! Salut cousine ! lance-t-il avec un énorme sourire à rendre jalouses toutes les publicités de dentifrices réunies.

Oh, mon dieu, c’est le cousin !

— Salut mon cousin ! lance Joëlle en se jetant à son cou.

— Alors, ça va ? dit-il en desserrant leur étreinte, vous avez fait bon voyage ?

I’ve Just Seen A Face des Beatles dans la tête.

Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai d’un coup cette chanson dans la tête.

— Oui ! Et voici Jeanne. Jeanne – Serge, Serge – Jeanne.

(T’es sérieuse ? J’ai le générique d’un animé des années 80 maintenant ! Non, mais sérieux tu l’as fait exprès ? Jeanne et Serge !)

— Bonjour, dis-je.

— Bienvenue en Suisse dit-il en me faisant les trois bises de Genève.

Je ne peux pas bouger. J’arrive à prononcer :

— Merci, et merci pour l’invitation, c’est gentil !

— De rien, c’est avec plaisir, Joëlle m’a beaucoup parlé de toi ! Je peux vous prendre vos bagages ?

Et galant avec ça !

— Qu’est-ce que tu lui as dit sur moi ? chuchotai-je à Joëlle en aparté.

— Rien de plus que ce que je t’ai dit, mais je t’avais dit qu’il est super sympa !

Non Jeanne, purée de cœur d’artichaut à la noix de coco surgelée !

Non mais sérieusement, stop !

Il se retourne vers nous, en souriant.

Oui, bon, c’est vrai. Il est waouh, avec ses yeux verts, ses boucles brunes bien souples, et son bouc de mousquetaire, et… cette impression extrêmement louche d’être arrivé chez moi…

Mais je te rappelle que c’est pour fuir ce genre de situation que tu es là, donc, focus sur le théâtre, pas sur autre chose.

Tout de suite, je vais mieux.

Rien de tel qu’un bon petit coup de pied aux fesses, pardon au cœur, pour le remettre d’aplomb !

Nous marchons jusqu’à sa voiture, une vieille Polo des années 2000, mais qui roule encore apparemment. Serge met nos sacs dans le coffre, je prends place à l’arrière.

— Allez, on va à la maison, ça va faire plaisir à Papy et Nonna de te revoir !

— Ah oui, j’ai hâte de les revoir ! dit Joëlle, heureuse de retrouver son cousin, ses grands-parents, toute une partie de sa vie, oubliée par le rythme de Paris.

— Alors Jeanne, me dit-il en regardant dans le rétro pour me voir, tu es déjà venue à Genève ?

— Pas du tout ! C’est une grande première !

— Alors, il faut absolument que tu la visites un peu ce week-end ! Bon, j’ai prévu pas mal de choses, notamment vous montrez ce qu’on a idée de faire pour le festival, et votre participation, mais on aura quand même le temps de se balader un peu, c’est pas très loin de Vandoeuvre !

— Avec plaisir !

Ce week-end promet d’être… merveilleux !

J’espère que je n’ai pas trop les yeux qui brillent quand même…

Chapitre V

Vendredi 6 mai

— Tu peux nous en dire un peu plus sur ta troupe ? demande Joëlle.

Serge roule à bonne vitesse, et se montre disponible pour la conversation.

— Oui, bien sûr, en fait, ce n’est pas ma troupe, même si j’en suis officiellement le responsable. Quand on est revenus de la Compagnie Internationale…

— Qui ça « on » ? interroge à nouveau Joëlle.

— « On », c’est Sylvestre, Déborah, Martin et moi. Donc, quand on est revenus de la Compagnie, on a créé cette troupe, et du coup, il y a dans Tous en Cène pas mal de nationalités différentes. Sylvestre est Camerounais, Martin est Suisse, Déborah est Française, et moi, Anglo-Suisse. Et puis, Paul, de Belgique ; Marjolaine, Genevoise de parents antillais. Sarah et Rebecca sont sœurs et viennent de Lausanne, comme Martin, ils sont venus nous rejoindre, et nous formons toute la troupe !

— Ah d’accord ! C’est un beau mélange !

— Complètement ! Ah ! On est presque arrivés !

Et il nous raconte l’histoire de cette Maison, avec une certaine émotion dans la voix quand il parle de son grand-père, et même de son père (même si on décèle que ce n’est pas la même émotion) et qui, lui, vit à Londres.

Joëlle reste silencieuse, la tête envahie par ses souvenirs qui remontent à la surface comme des bulles, qui éclatent dans ses yeux leur donnant une lueur de nostalgie et de joie.

Serge nous conduit jusqu’à cette ancienne ferme suisse qu’il partage avec ses grands-parents, qui en avaient fait une auberge quand ils travaillaient encore, accueillant tous les enfants et petits-enfants pendant leurs vacances, d’où les souvenirs merveilleux de Joëlle.

Ce n’est plus une auberge, mais elle accueille toute la troupe de Tous en Cène.

Les quelques pas que j’ai faits dans le jardin m’ont tout de suite dépaysé !

Juste l’air… J’ai respiré à pleins poumons !

Cette campagne, ces vallées, la vue au loin sur le lac Léman… Waouh… Une paix incroyable…

Nous allons à une grange aménagée en salle de répétition, qui servait de lieu de réception. Un plafond haut avec des poutres épaisses qui se croisent, ça sent le rustique, le terroir, le « vrai ».

Bubamara du film Chat Noir Chat Blanc.

Des artistes qui voltigent en tous les sens, au rythme de cette musique tzigane, si entraînante, si joyeuse, qui donne envie de sauter, de tourner, de saluer, de sourire.

Ils sont moins d’une dizaine à faire les acrobates, montant les uns sur les autres en pyramide humaine, équilibriste sur la Grosse Boule ou à jongler avec cinq balles.

Je ne dis pas un mot, tout ce que je vois m’impressionne, je suis en pleine découverte de tout, de tous, de cet art de la rue, du cirque que je ne connais pas ou si peu.

— Les amis ! crie Serge en baissant le son de la musique, Joëlle et Jeanne sont arrivées !

Les amis s’arrêtent, et viennent vers nous pour nous saluer, nous souhaiter la bienvenue.

Je suis sous le charme de l’accent de certains ! C’est la Suiiisse !

On sourit, on se fait la bise, on hésite sur deux ou trois, on rit un peu, c’est la connaissance des uns et autres, c’est la farandole des prénoms, je sais déjà que je leur ferais répéter.

— Je vous accompagne dans ton ancienne chambre, et on se retrouve en bas pour le repas ?

— Parfait ! dit Joëlle.

En y allant, il nous montre une maison (un peu plus petite et un peu éloignée du corps principal) où vivent leurs grands-parents, absents à ce moment, mais que nous verrons tout à l’heure.

Serge nous conduit au travers de cette grande maison qui a traversé les siècles (depuis le XVIe quand même !)

Joëlle se remémore les images de son passé, de son enfance.

Il y a trois étages (mais le dernier sous les combles est fermé), salle de bains-toilettes à chacun d’entre eux, et huit chambres réparties de droite et gauche d’un couloir. Tout en nous décrivant la répartition des chambres, il nous amène au deuxième étage, à l’ancienne chambre de Joëlle qu’elle partageait avec sa petite sœur, avec deux lits, un lavabo avec miroir, un placard, et une vue magnifique sur la campagne et au bout, le lac Léman ! C’est magnifique ! Je revis ! Je ne pense plus du tout à ce que j’ai laissé à Paris, c’est une autre vie, une autre dimension !

Une fois la porte fermée, Joëlle et moi nous regardons et nous étouffons un hurlement de joie, ce qui donne un hululement de chouette sous un coussin.

Deux gamines ! Mais qu’est-ce qu’on est heureuses !

L’esprit chamboulé, je descends avec Joëlle rejoindre les autres dans la cuisine, l’ambiance est bonne, il y a quelque chose d’indéfinissable, mais à peine perceptible, dans leur façon d’être, d’agir, de se parler les uns aux autres, qui m’échappe complètement.

Ce n’est pas quelque chose de flagrant qui saute aux yeux, non, c’est plutôt, je ne sais pas, comme un parfum, une fragrance… Ils s’envoient des vannes, ils rient, ils se parlent, ils ne sont pas toujours tendres, en fait des gens normaux quoi !

Mais… je ne sais pas… je croise peut-être trop de sarcastiques, de critiques, je n’ai pas l’habitude des gens heu… heureux, même s’ils sont comme « les autres » ?

On prépare des pâtes, une quantité astronomique avec plein de fromage (suisse !)

Et on parle, et on me pose plein de questions, et je ne sais plus à qui je réponds.

Ni à qui je pose mes questions.

Et en même temps, c’est fou, je ne ressens aucun jugement, ils sont tellement… paisibles et si plein de vie, de joie, et sans être des « ravis de la crèche » en même temps !

On se met tous à table, une belle tablée de dix personnes.

Il y a Sarah, Sylvestre, Rebecca, Paul, Marjolaine, Martin, Déborah, tous ceux qui forment Tous en Cène, avec Serge, bien sûr.

Et je suis en train de passer un des meilleurs moments de ma vie !

Ils sont tous tellement gentils ! Tellement… simples, mais pas débiles, hein, et vraiment pas le genre non plus à être snob et compliqués, et j’en vois pas mal des comme çà dans le théâtre, des qui se prennent pour de grands acteurs alors que… non quoi.

Peut-être que moi aussi d’ailleurs, je suis un peu (ou beaucoup) comme ça ?

Ça y est, je commence à me remettre en question…

Pourquoi d’ailleurs ? Est-ce le fait de me retrouver avec ces personnes, là, qui semblent si, comment dire ? pleines ? remplies ? épanouies ? et pourtant imparfaites. Je ne sais pas, je ne sais pas comment décrire !

Les mots me manquent et c’est réellement la première fois de ma vie que ça me fait cet effet !

Alors, voilà, je passe cette soirée avec ces gens qui ont un « je-ne-sais-quoi » de différent de toute personne que j’ai pu rencontrer avant ce soir.

Et oui, je passe une merveilleuse soirée, quoique je sens que je n’ai pas ce « truc », cette fragrance. Et je me demande ce que c’est, mais je n’ose pas demander.

Est-ce dû à la Suisse, loin de Paris et de sa légendaire amabilité ? Ou serait-ce autre chose ?

Les grands-parents des cousins arrivent, au moment du dessert, de la tisane, Joëlle leur saute au cou « Papy, Nonna ! » ils se mettent à table avec nous, ils m’accueillent chaleureusement, ils sont effectivement très gentils.

De leurs prénoms Pierre et Lucie (mais je n’ose pas les appeler ainsi, même si toute la troupe le fait), on sent que la vie ne les a pas épargnés, et pourtant, ils ont une lueur dans les yeux, qui donne envie de croire que tout est possible…

Ils appellent leur grand-mère Nonna, elle est Italienne.

Quand le moment de remonter dans nos chambres fut arrivé, je n’ai pas vu le temps passé.

J’étais bien, j’étais paisible, j’avais passé une super soirée, à parler avec tout le monde.

J’étais à des années-lumière de savoir à quel point ma vie était sur le point de basculer.