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L’inspecteur Patrick Mainure est un flic sans prouesses du SRPJ de Lille. Sa retraite imminente, il se voit confier une affaire facile. En effet, dans le Nord de la France, à quelques kilomètres de Lille, au cimetière du village de Carnin, une dame âgée a été retrouvée inanimée sur la tombe de son mari décédé depuis peu. A priori, une crise cardiaque. Toutefois, cette enquête qui devait être une simple formalité mènera l’inspecteur beaucoup plus loin qu’il ne pouvait l’imaginer…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné de littérature depuis plus de quarante ans,
Pascal Henin s’intéresse particulièrement aux romans, aux récits historiques et aux ouvrages sur l’Égypte ancienne. Grâce à sa riche expérience de lecteur, l’écriture s’est imposée à lui et, comme une évidence, il est passé du côté de celui qui tient la plume, afin d’écrire ce roman qu’il cherchait et qu’il ne trouvait pas.
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Pascal Henin
Cène
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pascal Henin
ISBN : 979-10-377-7270-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Honni soit qui mal y pense »
Expression du XVIe siècle
Pour mon père
1
Nous sommes dans le Nord de la France et plus précisément dans la commune de Carnin, limitrophe avec le Pas de Calais. Près de Seclin. Mille âmes. Un terrain de foot, un terrain de pétanque, peu de commerces, des fermes, un coiffeur, un café, une médiathèque et un distributeur de produits locaux très appréciés des villageois et des gens de passage. Comme tous les villages de France, les commerces de proximité ont fini par fermer au profit des zones commerciales. Néanmoins, la vie reprend peu à peu avec déjà ce distributeur qui a un certain succès. De ce fait, la commune envisage de créer une petite zone d’activités participatives appelée le Tiers-Lieu. Lieu multifonctionnel et intergénérationnel. Un embryon de marché est aussi de retour le lundi. L’église Saint Christophe, rue Roger Salengro, veille sur le village. Il faut dire aussi, qu’aux heures de pointe, cela circule à Carnin. Passage obligé pour les travailleurs du secteur de Lille. Un projet de contournement du secteur de la Haute-Deule est reporté maintes et maintes fois. En attendant, cela fait trembler la maison de Marguerite Pavois tous les matins et tous les soirs. La maisonnette de rue qui se situe rue Roger Salengro, près de l’église a vécu et est toute ridée, comme Marguerite. Ses volets défraîchis tiennent debout comme ils le peuvent et Marguerite aussi. Le fidèle chien, Nestor, dix-sept ans quand même, boite un peu. Marguerite aussi.
Les murs blancs ne sont plus blancs. La pierre bleue du seuil d’entrée est creusée par l’usure. Marguerite n’a plus la force d’entretenir sa maison ni trop les moyens. Marguerite à quatre-vingt-sept ans. Petite et un peu voûtée, mais encore fière. Les yeux sont transparents et les cheveux couleur grand-mère. Elle porte une blouse sur sa robe d’un autre temps, comme toutes les grands-mères qui ont vécu de peu. Elle a travaillé toute sa vie et même plus pour conforter sa modeste retraite. Fille de fermiers, elle connaît bien la terre. À seize ans, pour s’émanciper, elle a quitté la ferme pour se faire embaucher à la filature de Roubaix et se transformer en jeune fille moderne. Quand les filatures ont disparu pour le tout « made in China », elle a tenu une petite épicerie qui faisait le bonheur du village. Jusqu’à soixante-dix ans quand même, ce n’est pas rien. Faute de repreneur, la petite épicerie n’est plus depuis longtemps. Barthélémy Pavois, quatre-vingt-neuf ans, son compagnon de route depuis soixante-huit ans, fut fabriquant de peinture chez Théodore Lefebvre dans la commune de Lomme durant toute sa carrière. Un seul emploi de seize à soixante-cinq ans comme on n’en fait plus. Toute l’équipe l’appelait « le nuancier ». Il savait mélanger les couleurs à la louche. Jamais gréviste, jamais malade et toujours à l’heure. Alors respect. Barthélémy part en retraite à soixante-cinq ans sans prime de départ, mais avec un bleu de travail tout neuf offert par les collègues et brodé en douce par son épouse « Le Nuancier », avec un grand N. Pour s’occuper de trop de temps libre, un potager de deux cents m2 a bien fait l’affaire, et le bleu aussi. Croyant et pratiquant, il participait à la paroisse de l’église pour les petites réparations. Et bien sûr, il ne manquait jamais la messe du dimanche. Mais voilà, Barthélémy, à force d’inhaler les essences de peinture et de fumer des gauloises sans filtre, les poumons en ont pris un bon coup.
Ses deux vieux cancers accrochés comme une sangsue ont fini par réussir à le terrasser. Bon, il est vrai à quatre-vingt-neuf ans, c’est le temps où on a le droit de mourir. Jacques Brel disait dans une de ses dernières chansons, « Mourir la belle affaire, mais vieillir... » Les funérailles ont eu lieu le onze novembre. Il y avait le maire et son adjointe, ses voisins, peu de monde, quelques dévots, et Marguerite bien sûr. Son fils n’est pas venu, fâché avec son père depuis quarante ans. Ils ont la rancune tenace dans la famille. De toute façon, on ne sait pas où il vit et s’il est vivant. Depuis quinze jours, Marguerite pleure seule son compagnon de route dans des mouchoirs en tissu. Elle aurait préféré partir avant lui. Elle se demande comment elle va faire toute seule. Elle réfléchit, fait le bilan de sa vie, ses jours heureux et d’autres moins. Il faut qu’elle se secoue, qu’elle bouge. Elle doit honorer la mémoire de son défunt mari. Elle se lève du vieux fauteuil qui respire encore le tabac de son homme et qui est le sien désormais. Elle ne pourra jamais s’en séparer. Elle se rend dans la salle de bains et Marguerite se regarde dans le seul miroir de la maison.
— Mon Dieu que je suis vieille.
2
Nous sommes le dix-huit novembre deux mille vingt et il est dix-sept heures trente. Marguerite a décidé de rendre visite à son mari au cimetière. Avec le temps maussade de ces dernières semaines, le plafond est bas et il fait déjà noir. Il ne fait pas très chaud non plus. Le cimetière est dans la même rue que son habitation, à quelques dizaines de mètres. Particularité, le cimetière entoure l’église, à part l’entrée principale. Elle a acheté un bouquet de fleurs blanches pour changer celles qui doivent être fanées. Marguerite enfile ses chaussures, endosse son manteau, s’enroule d’un châle. On n’est jamais trop prudent, surtout que le brouillard tombe aussi. Elle prend son bouquet et sort de la maison en fermant à double tour par habitude. Le brouillard l’accompagnera. Il ne fait vraiment pas chaud. Les candélabres sont déjà allumés et plongent la rue étroite dans une lumière blafarde. L’hiver se prépare petit à petit. Elle se dirige vers le cimetière, traverse la route au passage piéton et passe le porche en métal rouillé de l’entrée du royaume des morts. Les tombes sont encore fleuries des chrysanthèmes de la Toussaint. Elle marche prudemment en s’appuyant sur sa canne le long de l’allée de gravillons qui crissent à son passage. La voilà devant la tombe de son mari qui sera la sienne aussi quand le moment sera venu. La concession et les frais d’obsèques pour tous les deux étaient déjà réservés et réglés depuis cinq ans. L’église Saint Christophe, au centre du cimetière, impose sa grandeur. Marguerite se signe et enlève les fleurs fanées du pot gravé aux initiales de son défunt mari. Elle met le bouquet frais dans le pot et harmonise les fleurs. Elle se dit que pour l’hiver, un bouquet artificiel ferait plutôt bien l’affaire. Elle y réfléchira plus tard.
Elle va déposer les fleurs fanées derrière l’église dans le bac prévu à cet effet et revient vers la stèle pour prier. Marguerite à l’automne de sa vie est de plus en plus croyante. Pour se rassurer, au cas où. Surtout depuis que Barthélémy est parti. Elle ferme les yeux et commence sa prière.
Bizarrement, elle ne se sent pas à l’aise. Elle a même des frissons. Un sentiment de ne pas être seule. Certainement la fraîcheur de la nuit et cette brume qui la transperce. Marguerite sent comme une odeur d’éther. Inquiète et peu rassurée, la vieille dame ouvre les yeux et relève la tête.
3
— Alors inspecteur, vous en pensez quoi ?
— C’est quand même bizarre, Monsieur le Maire. D’après les premières constatations, cette pauvre dame n’a aucune contusion, rien. Sa dépouille est déjà bien rigidifiée. D’après les premières constatations, elle serait morte certainement hier soir. Peut-être une crise cardiaque. Elle n’a pas l’air d’avoir été agressée et son sac à main était là. Donc, pour résumer, le curé du village qui l’a découverte ce matin est venu sonner à la porte de la mairie. Arrivé sur place et constaté le décès, vous avez appelé la police. Les légistes sont arrivés ensuite et après leurs premières constatations, ils émettent quand même un petit doute sur la cause de la mort.
— Un doute sur la crise cardiaque ?
— Oui, regardez son visage.
L’inspecteur Mainure soulève la couverture posée sur le corps.
— Oui, je l’ai vu quand j’ai vérifié si elle respirait encore. Cela m’a surpris aussi.
— Je veux bien le croire.
— On dirait qu’elle a vu les anges. Son visage a l’air tellement paisible. Ses yeux sont grands ouverts et elle sourit. C’est surprenant ! J’ai déjà vu des personnes décédées et c’est assez stressant, mais devant madame Pavois, je n’ai ressenti que de l’apaisement. C’est étrange, non ?
— Oui, c’est étrange, comme vous dites. Moi aussi d’ailleurs, j’ai ressenti la même impression. Bon ! Après le passage de « Pola », le corps sera emmené pour l’autopsie anatomopathologiste au cas où on trouverait quelque chose, et aussi pour le permis d’inhumer.
— Pola ?
— Oui ! notre photographe. Polaroid si vous préférez. Le roi de la photo criminelle. Vous lui présentez une photo qu’il a prise il y a cinq ans, il vous donne le nom de l’affaire. Un homme remarquable. Vous savez si elle était appréciée au village cette dame ? Madame comment ?
— Elle s’appelle Pavois Marguerite. Oui, elle était très appréciée. C’était un couple discret et sans histoire. Son mari est décédé il y a peu. Apparemment, elle venait justement fleurir sa tombe. C’est triste quand même. Elle n’aura pas tardé à le rejoindre.
— Oui. J’ai vu la date du décès sur la stèle. Bon, Monsieur le Maire, je vous laisse. Je dois voir le curé du village. Je vous contacte après l’autopsie si une enquête est ouverte par le S.R.P.J de Lille. Je vous donnerai aussi le permis d’inhumer. Elle a de la famille, des amis ?
— À ma connaissance un fils. Je pense qu’il doit avoir une soixantaine d’années, maintenant. Mais ils ne se sont pas vus depuis des décennies. Ils étaient fâchés pour je ne sais quelle raison. Des histoires de famille. Je ne sais pas où il vit. Il faudra que je le contacte pour la succession, si je trouve son adresse et le notaire. Ils étaient propriétaires de leur bien.
— Pour cela, on s’en charge, ne vous inquiétez pas. Nous trouverons certainement les éléments à leur domicile.
— Ah bon, d’accord inspecteur.
— Parfait. Voici ma carte si vous voulez me joindre. À bientôt, Monsieur le Maire.
— Au revoir Inspecteur. Inspecteur comment déjà ?
— Mainure. Patrick Mainure. Ah oui, vous pouvez m’indiquer où loge votre curé ?
— À la paroisse catholique Notre-Dame-des Marais, c’est rue Pasteur à Annoeullin, le village à côté. Son nom est Yves Launier.
— Ah bon ! Il ne loge pas à Carnin ?
— Houlà ! Il y a longtemps que vous n’avez pas fréquenté l’église, Inspecteur ?
— C’est-à-dire que je suis fâché avec l’église depuis le décès de mon père.
— Vous savez les curés sont maintenant une espèce en voie de disparition. Alors, pour pallier ce problème, un homme d’Église a en charge plusieurs communes. Il n’y a plus beaucoup de messes à Carnin.
— Ah d’accord. Merci pour l’info.
— Monsieur le Maire, au revoir.
— Inspecteur, bonne journée.
— Bon les gars, vous pouvez emmener le corps, je passerai tout à l’heure à l’institut. Moi je vais voir le prêtre qui a découvert madame Pavois. À tout à l’heure. Francis, tu vas à la PJ porter les premiers éléments à Basile pour voir si son service trouve quelque chose au sujet du fiston. Il va falloir le contacter, à moins qu’il ne soit déjà au courant.
4
C’est devant une maison de rue, située rue Pasteur sur la commune d’Annoeullin et à quelques mètres de l’église du Sacré Cœur que se retrouve l’inspecteur Mainure. Une maison du nord, en briques rouges, rejointoyées depuis peu. Les menuiseries sont en PVC blanc et semblent récentes. Deux étages pour l’édifice surplombé d’un cache moineau stylisé en bois peint en blanc. Une belle restauration qui lui donne une fière allure.
L’inspecteur sonne, attend un petit moment. Personne ne vient ouvrir. Il sonne encore et enfin ça bouge à l’intérieur. La porte s’ouvre.
— Bonjour Monsieur, que puis-je pour vous ?
— Bonjour mon père, je suis l’Inspecteur Mainure, Patrick Mainure, de la police judiciaire de Lille. J’aimerais converser avec vous d’un sujet particulier.
— Le père Launier, oui. Mais je ne suis pas le père Launier, je suis juste Monsieur Lionel Blanchar, responsable de l’équipe animation de la paroisse. Mais entrez, Monsieur le Curé est ici. Installez-vous dans cette petite salle d’attente, je vais le prévenir. Inspecteur Mainure, c’est ça ?
— Patrick Mainure, tout à fait !
— Et c’est à quel sujet ?
— C’est en rapport avec la dame âgée qui a été retrouvée décédée au cimetière de la commune de Carnin, Madame Pavois. Monsieur le curé vous a certainement relaté l’événement. J’aurais aimé lui poser quelques questions, comme c’est lui qui a découvert cette pauvre dame.
— Oui en effet, il m’en a parlé ce matin. Pauvre Marguerite. Paix à son âme. Elle était très appréciée ainsi que son mari que je connaissais bien. Je vais prévenir mon père de votre arrivée. Asseyez-vous en attendant. Il est en rendez-vous.
— Merci bien.
L’inspecteur reste debout, intrigué par cette pièce d’un autre temps, aux tapisseries délavées. Un gros contraste par rapport à la rénovation de l’extérieur. Elle n’est pas très éclairée, mais ça lui donne un charme. Fut une époque, cette demeure devait être bourgeoise. Le parquet lamellé aurait besoin d’un bon décrassage et d’être vitrifié. Des rideaux rouges en velours pendent devant les fenêtres. L’inspecteur les écarte un peu ce qui provoque un nuage de poussière qui sent le renfermé. Un vieux feu à charbon certainement éteint depuis longtemps trône encore avec fierté dans un coin de la pièce. Un seau à charbon est posé à côté, à moitié plein. Vestiges du passé. Un porte-parapluie déglingué en fonte se distingue à côté de la porte, avec à sa base un égouttoir en faïence ébréchée blanche. Deux parapluies vu leur fraîcheur, oubliés certainement il y a quelques années, se tiennent ensemble par une grosse toile d’araignée. Deux bibliothèques imposantes en chêne occupent tout un mur. Trois tiroirs sur le bas et quatre portes vitrées laissent apparaître un tas de livres apparemment de tout âge. Des livres religieux bien sûr. « Histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament », « Sermon sur les évangiles », « Le petit catéchisme », « La Sainte Bible », Émile Zola, Victor Hugo, Paul Claudel. Dans l’autre bibliothèque, des bandes dessinées pour enfants, des livres religieux éducatifs certainement destinés au catéchisme, des missels et quelques registres de naissances, mariages et décès. Un très joli crucifix en bois est accroché au-dessus de la porte. C’est certain, le Christ est en bronze. Cette pièce pourrait être agréable si elle était rénovée. L’inspecteur allait s’asseoir quand il entendit deux personnes dans le couloir qui se saluaient. La porte d’entrée s’ouvrit et se referma. Un homme d’environ cinquante ans apparut au seuil de la salle d’attente en tenue civile, le visage souriant, cheveux gris très courts, lunettes fines en écailles.
— Bonjour Monsieur l’inspecteur, je suis Yves Launier, le curé de la paroisse. Enchanté de faire votre connaissance.
— Bonjour Monsieur. Enchanté aussi. Il y a bien longtemps que je n’ai pas parlé avec un curé. Je dois dire « mon père » c’est ça ?
— Oui, mon fils, ou Monsieur Launier, faites comme vous voulez. Vous avez des souvenirs de votre communion ?
— Hou là !
— Je m’en doutais un peu. Rassurez-vous. Vous n’irez pas forcément en enfer. Il faudra que je vous réserve un après-midi complet pour vous confesser… Je plaisante, bien sûr. Mais pensez-y quand même.
— Je n’y manquerai pas.
— De venir vous confesser ?
— Non, d’y penser !
Éclats de rire du curé.
— Je vous ai bien eu. Bon, venez avec moi dans mon bureau, nous serons plus à l’aise.
— Je vous suis, mon père.
— Bien ! Vous voyez il y a déjà du progrès… mon fils.
L’inspecteur suit l’homme de foi dans un méandre de couloirs jusqu’à son bureau.
— Entrez dans mon capharnaüm. Désolé, mais il n’y a que comme cela que je m’y retrouve.
En effet, la pièce n’est pas plus grande que la salle d’attente, un peu moins vieillotte peut-être. Même déco, sans la poussière et un énorme bureau en chêne encombré de tas de dossiers et d’objets plus ou moins religieux. Un magnifique sous-main en cuir, un stylo plume Mont-Blanc et une grosse loupe.
— Asseyez-vous inspecteur.
— Merci.
Le curé fait le tour de son bureau et s’installe dans un vieux fauteuil en cuir craquelé.
— Monsieur Mainure, Lionel m’a dit que vous veniez au sujet de cette pauvre Marguerite ?
— Oui, c’est ça Monsieur le curé. Heu, on peut dire aussi monsieur le curé ?
— Bien sûr, tant que vous ne m’appelez pas, ma sœur.
Sourire jusqu’aux oreilles du père Launier.
Les joues de Patrick prirent une belle couleur écarlate.
— Comme vous êtes apparemment la première personne qui ait découvert le corps, je fais une petite enquête de routine pour la demande du permis d’inhumer. C’est une procédure normale.
— Oui, je comprends. Pauvre Marguerite. Paix à son âme. Allez-y, je vous écoute.
— On m’a rapporté que vous étiez passé au village de Carnin ce matin vers huit heures. Je suppose que c’est une habitude ?
— Oui, je suis allé à l’église Saint Christophe pour ouvrir les portes. Des gens viennent y prier en journée. Vous savez que Saint Christophe est le protecteur des voyageurs et notamment des automobilistes.
— Oui, je le sais bien. Ce fut une mode de mettre un médaillon à son effigie sur le tableau de bord des voitures. Mes parents en avaient mis une dans la Peugeot 403.
— Bien inspecteur, nous progressons toujours. Il y a encore beaucoup de gens qui en mettent. Cela ne fait pas de mal une protection spirituelle.
— C’est le Maire de la commune de Carnin qui m’a rapporté que vous officiez ici. Vous faites la messe aussi à Annoeullin ?
— En fait, la paroisse du doyenné Mélantois Carembault comporte six clochers. J’officie ici même où il y a deux églises, à Carnin, Allennes les Marais, Bauvin et Provin. J’ai l’habitude de faire le tour des communes tôt le matin. J’officie aussi sur les paroisses de Gondecourt et Phalempin à l’occasion. Je suis ici depuis août deux mille vingt. Avant, je prêchais à Coudekerque-Branche près de Dunkerque. Je m’entendais très bien avec les carnavaleux. Je représentais un peu le curé du carnaval. J’en étais même le curé officiel. Cela fait plus de vingt ans que j’ai été ordonné prêtre. Et vous, vous êtes gendarme, c’est ça ?
— Du tout, je suis de la police judiciaire depuis plus de trente ans. Rien à voir avec l’armée. J’approche la fin de carrière, alors on me ménage. On me dirige vers la porte de sortie tout doucement sans me le dire, mais je ne suis pas dupe. Juste trop vieux pour les grosses affaires. Après, j’en ai assez vu des diableries… Euh, excusez-moi pour le terme mon père.
— Je vous en prie
— Bon, j’ai toujours tendance à m’étaler. Venons-en au fait. Donc vous confirmez bien avoir découvert le corps de Marguerite Pavois ?
— Oui, c’est moi. Pauvre Marguerite ! Je pense que le Tout-Puissant l’a accueilli tout de suite. Son visage dégageait tellement de douceur. Vous pensez bien que des personnes décédées je suis habitué à en voir, mais là, Marguerite semblait si heureuse. J’ai recouvert son visage avec mon manteau et je me suis précipité à la mairie qui est à quelques pas. C’est l’avantage des petits villages, rien n’est jamais loin. Elle était encore fermée donc j’allais appeler monsieur le maire sur son portable. Dieu merci, il arrivait juste à ce moment-là. Je l’ai informé de ma découverte, il a appelé tout de suite les secours et nous sommes allés directement au cimetière. Monsieur le maire m’a rendu ma veste, il s’est approché de Marguerite pour vérifier si elle respirait encore et constatant son décès, il a recouvert le corps d’un plaid qu’il a pris dans sa voiture. Je reconnais que je n’ai pas eu le réflexe de contrôler son état avant d’aller à la mairie. Avec le brouillard de ce matin, je reconnais avoir été un peu déboussolé.
— Je vous comprends mon père.
— Vous savez de quoi elle est décédée ?
— Pour l’instant, l’équipe de l’institut médico-légal n’a pas relevé de traces de coups apparents, ni de sang. Ils ont emmené le corps pour l’autopsie qui nous en dira plus. À cette heure-ci, ils privilégient la crise cardiaque. Mais on ne sait jamais, il y a tellement de façons de mourir. Ce qui est singulier, c’est sa béatitude. On a l’impression qu’elle a vu le paradis ou Dieu en personne.
Le père se signe.
— Je suppose que le Malin n’est pour rien dans cette affaire. Vous savez inspecteur, quand on croit en Dieu et a toutes ses bienfaisances, on est bien obligé d’admettre que ce démon existe et pourrait user de ses malveillances.
— Revenons dans mon domaine, mon père. Vous l’appelez par son prénom, vous la connaissiez bien ?
— Je suis ici depuis six mois pour une mission religieuse et je ne connais pas encore grand monde, j’ai tant de villages à m’occuper. Je sais que Marguerite était appréciée du village, toujours gentille et souriante. Elle venait parfois à la messe, mais plus pour les grandes occasions comme Noël, Pâques ou lors de mariages ou enterrements. Je la savais triste de ne plus voir son fils. Elle m’a confié qu’elle allait au sanctuaire Sainte-Rita à l’église Saint-Eubert à Vendeville.
— Sainte-Rita ?
— Oui, Inspecteur ! Revenons dans mon domaine.
Sourire du prêtre.
— Sœur Rita de Cascia, religieuse italienne au XVe siècle. C’est la Sainte des causes désespérées, des choses impossibles et des femmes mal mariées.
— Si j’avais su pour les quelques enquêtes que je n’ai jamais résolues.
Sourire de l’inspecteur.
— Oui, mais tous les inspecteurs ne sont pas Maigret ou Colombo. En fait, Marguerite est surtout connue de par Barthélémy son mari. Je connaissais bien mieux Barthélémy pour son implication envers l’église. La première fois que je l’ai remarqué, c’était le premier dimanche où j’officiais sur Carnin. Pendant la messe, plusieurs fois je me suis senti attiré par son regard. Un regard profond. Un regard rempli… comment dire… rempli de gentillesse, de bienfaisance. J’en étais troublé au point de balbutier sur mon oratoire. J’ai tout de suite pensé que c’était un homme de bien, à qui on pouvait inspirer une grande confiance. J’avais même l’impression qu’il m’accompagnait dans mon discours. À la fin de l’office, j’ai voulu le rencontrer pour faire sa connaissance, mais il était déjà parti. Le dimanche suivant, j’officiais à l’église et qu’elle ne fut pas ma surprise, il était là. J’ai interrogé Monsieur Blanchar, le responsable de l’équipe animation. Il vous a accueilli tout à l’heure. Il m’est d’un grand service. Il m’a appris qu’il le connaissait bien, qu’il s’appelait Barthélémy Pavois et qu’il ne lésinait pas de son aide pour la paroisse. Il était bricoleur et nous a dépannés très souvent bien qu’il ne faisait pas partie de l’équipe. Bref, du coup, je me suis empressé de le rencontrer pour faire sa connaissance. Il parlait avec une voix très posée. Il était d’une grande écoute envers son prochain. Il relativisait facilement sur les sujets un peu épineux. Nous avons sympathisé très rapidement et sommes devenus un peu amis. J’ai vite compris qu’il était croyant. Je lui ai proposé de faire partie de la paroisse, mais il a décliné mon offre en disant que nous étions bien assez comme cela et déjà bien efficaces. Nous avons discuté un peu religion. Il ne voulait pas trop s’étendre là-dessus, mais je sentais bien qu’il connaissait le sujet et beaucoup plus qu’il ne le montrait. Il dégageait une telle sérénité. Un dimanche à la sortie de la messe, deux hommes étaient en train de se disputer pour je ne sais quelle raison. Il s’est approché d’eux, a discuté avec. Apparemment, il les connaissait. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, cinq minutes après, les deux protagonistes étaient calmés et se serraient la main. Étonnant non ? Malgré le peu de temps que nous passions ensemble, je le considérais comme un grand ami. Il me disait toujours qu’il avait une mission à accomplir. Il n’a jamais voulu me dire de quoi il s’agissait. Je suis très bouleversé de son décès. Et voilà que Marguerite s’en va le rejoindre peu de temps après.
— Merci mon père. Donc ce couple était plutôt aimé de tout le monde. Vous ne voyez pas un motif, une vengeance qui aurait poussé quelqu’un à attenter à la vie de Madame Pavois ? Je dis cela sans arrière-pensée, et c’est toujours dans les questions procédurales en cas de décès à l’extérieur. Je pense personnellement que Madame Pavois s’est éteinte de mort naturelle. L’autopsie nous le confirmera certainement. Vous saviez qu’ils avaient un fils ?
— Oui, nous en avons discuté plusieurs fois ensemble. Barthélémy se serait fâché avec son fils Stéphane il y a très longtemps. Stéphane était devenu plutôt marginal à son adolescence. Peu intéressé par les études, il séchait souvent l’école. Une grande déception pour son père. À force de traîner, il a fini par avoir quelques mauvaises fréquentations. Un jour, la police est venue l’interpeller chez ses parents pour un vol de voiture. La clémence du juge ne lui a valu qu’un avertissement. Son père lui a fait la morale. Il est retourné à l’école quelques semaines. Un soir, il est rentré très tard et il était ivre. Marguerite m’a raconté que c’était la seule fois où son père s’est vraiment mis en colère. Pendant la dispute, Stéphane a insulté son père, alors Barthélémy l’a giflé. Stéphane qui titubait déjà à cause de l’alcool est tombé et de son blouson, plusieurs billets de cent francs à l’époque sont sortis de sa poche. Stéphane a ramassé l’argent, s’est levé, a poussé son père et s’est enfui. Barthélémy et son épouse l’ont recherché pendant plusieurs semaines jusqu’à ce qu’ils reçoivent une lettre de Stéphane. Il savait qu’ils étaient à sa recherche. Il leur a demandé de le laisser tranquille et qu’il ne voulait plus les revoir. Cela doit faire quarante ans maintenant. C’est triste non ?
— Oui, en effet, les enfants sont quelques fois ingrats.
— Barthélémy a toujours regretté son geste, mais il ne l’a jamais reconnu devant son épouse.
— Bon, plus rien d’autre concernant la découverte du corps ?
— Maintenant que vous le dites, au cimetière ce matin, il y avait comme une légère odeur d’éther, mais je pense que cela devait être à cause du brouillard. Vous n’avez pas senti vous-même cette odeur au cimetière ?
— Non, mais quand je suis arrivé, le brouillard s’était levé. Cela devait être ça. Bon, je note quand même. Mon père je vous remercie de toutes ces informations. Je retourne au cimetière au cas où quelque chose nous aurait échappé et je passe à l’institut médico-légal de Lille. Je vous tiens au courant ainsi que monsieur le maire.
— Je vous raccompagne à la sortie. Et n’hésitez pas à revenir.
— Pour ?
— Pour votre foi, inspecteur, votre foi !
— Hum ! On verra, on verra. Au revoir mon père.
Les deux hommes se quittèrent en se serrant la main. Patrick se dit qu’il était tombé sur un prêtre bien singulier et surtout très sympathique. Pour la première fois, depuis bien longtemps, Patrick ne se sentit pas bloqué par cet homme d’Église. Il pensa à son père, disparu bien trop tôt. Une larme perla sur sa joue. Cela faisait vingt-huit ans aujourd’hui que son père était décédé. Il avait soixante ans.
5
L’inspecteur rejoint le parking pour récupérer son véhicule, passe devant une boulangerie bio, bipe l’ouverture des portes et monte dans sa voiture.
— Eh zut, Annie m’a demandé de prendre du pain avant de rentrer. Comme si je n’avais que cela à faire. Chéri, tu pourras prendre du pain ? Pas de problème, je vais voir l’éviscération du macchabée tué par balles et je passe à la boulangerie. Une baguette pistolet c’est ça ?
Très drôle, je t’aime quand même.
Grrr !
Bon allez !
L’inspecteur après avoir pris son pain et un petit pain au chocolat qui n’était pas prévu remonte dans sa voiture.
— Bon ! Surtout pas de trace de miettes dans la voiture sinon je suis grillé. Bof une petite entorse au régime. Ni vu, ni connu. Hum ! Ce n’est pas mauvais quand même. Il ne manque plus qu’un petit café. Après avoir englouti son petit pain, Patrick relut et compléta son carnet de notes. Il sortit de sa voiture pour secouer les miettes dénonciatrices, reprit sa place, démarra le moteur.
6
Arrivé au cimetière, un crachin se mit à tomber. Un bon crachin du Nord, bien transperçant. Muni de son parapluie, l’inspecteur s’approcha de la tombe du mari de Marguerite. Sur la stèle, en plus de Barthélémy est inscrit aussi celui de Marguerite auquel il ne manque plus que la date de décès.
— Je n’aimerais pas cela. Voir ma tombe avec mon nom dessus : Patrick Mainure, décédé le… C’est morbide.
L’inspecteur n’observe rien de particulier autour de la tombe. Il fait le tour des allées, rien non plus. Reviens devant la stèle, essaie d’imaginer la scène. Il s’accroupit, car une chose l’intriguait. Il baissa la tête pour inspecter la surface du marbre. Il glissa son index dessus. Une légère substance lui collait au doigt. Il le sentit. Une légère odeur d’éther s’en dégageait.
— Bizarre cette odeur. Mais bon, ça doit être l’effet du brouillard. Une affaire qui va être vite réglée. Je vais encore passer plus de temps avec la paperasse qu’avec l’enquête. Enfin, elle a peut-être vu le fantôme de son mari. D’où le visage expressif. On verra bien à l’institut médico-légal de Lille s’ils ont découvert des traces et la raison de sa mort. Ce serait quand même étonnant qu’elle se soit fait agresser. Son sac à main était intact, ses clés et son portefeuille dans son sac et pas de traces physiques d’agression. Et pour l’odeur d’éther, je pensais que le curé avait peut-être trop forcé la veille sur le vin béni. Ce ne sera pas le crime du siècle. Allez, à l’institut.
L’inspecteur retourna à sa voiture, démarra et prit la direction du CHU de Lille où se trouve l’unité médico judiciaire au 1er Étage du bâtiment, rue André Verhaege. Une équipe pluridisciplinaire secondait le service pour assurer la prise en charge des plaignants, victimes d’agressions et un certificat médico-légal initial descriptif pouvait être délivré pour le dépôt de plainte.
L’institut réalise environ six cents autopsies par an et six mille cinq cents consultations. L’activité a explosé depuis ces dernières années et est proche de la rupture. Elle tient pour l’instant, grâce à une organisation sans faille. Interviewé par la Voix du Nord, le directeur professeur en avait fait un état alarmant en deux mille dix-neuf.
Arrivé à Seclin, au giratoire de l’épinette pour prendre l’accès à l’autoroute, la circulation s’amplifiait déjà. L’autoroute A1 saturait tous les jours aux heures de pointe et aussi à cause du pourcentage impressionnant de poids lourds qui s’accaparaient les deux voix de droite. Vu la vitesse excessive et le peu de respect des distances de sécurité, des accidents plus ou moins graves se produisaient et neutralisaient une ou deux voies, si c’était pas les trois, pendant des heures.
— Eh ben ! Il est dix heures trente et c’est encore le boxon. Sortons la baguette magique.
L’inspecteur planta son gyrophare bleu aimanté sur le toit de la voiture, mit la sirène en marche et emprunta la bande d’arrêt d’urgence. Il fallut trente minutes accompagnées de coup de klaxon, engueulades et expressions fleuries pour que Patrick arrive enfin sur le parking du CHU. Plus de place comme d’habitude, il se gara à quelques pas sur le trottoir en posant bien en évidence son badge de police pour éviter de faire sauter un éventuel PV et sortit de la voiture.
— Houla ! il y a encore des miettes de petit pain sur le siège. Il sort une petite brosse du vide-poche et évacue les miettes de la voiture. Hé, hé ! c’est quand même bien d’être équipé. Ça évite les engueulades.
L’Institut Médico-Légal est un bâtiment blanc, assez moderne, de deux mille deux avec un seul étage. Il remplace l’ancien qui était entré en service en mille neuf cent trente quatre.
Le sous-sol abrite deux salles de dissection équipées de tables en aluminium, baignoires, etc. Le centre lillois est le seul à pratiquer les autopsies à l’échelle régionale. On peut dire que la mort est une spécialité lilloise. L’autopsie finit toujours par la remise en état du corps pour la restitution à la famille d’une dépouille présentable. Il arrive aussi qu’il soit impossible de montrer le corps tellement il est amoché ou en décomposition avancée.
L’inspecteur passe le sas et se présente à l’accueil.
— Bonjour Bernadette.
— Tiens ! Bonjour Patrick, tu vas bien ? Il y a un moment que l’on ne t’a pas vu.
— Oui, c’est assez calme pour moi en ce moment. Proche de la retraite, on me ménage hein !
— Tu parais si jeune pourtant.
— Tu devrais prendre rendez-vous chez l’ophtalmo.
— J’ai mes nouvelles lunettes depuis une semaine. Bon, allez t’es vieux, ça te va ?
— Non, plus ! Je suis venu voir Mon cher Deplaire. Je lui ai envoyé un colis ce matin.
— Celui qui nous est arrivé en deux, trois fois ? Un suicidé qui a sauté du pont sur l’A1 ?
— Beurk ! Tu es morbide ! C’est pour ça que c’était le foutoir sur l’autoroute. Non, c’est une dame âgée.
— Oui, j’ai enregistré l’entrée. Une dame âgée du village de Carvin.
— Carnin, pas Carvin. Oui, c’est cela. Tu peux m’annoncer.
— Je vois s’il est dans son bureau.
— Jean Pierre. Il y a Patrick Mainure qui veut te voir, il peut monter ? Ok merci.
— C’est bon, tu peux y aller. Tu connais le chemin.
— Merci, je prends l’ascenseur.
— Pour un étage ? Ah oui c’est vrai, il faut ménager le préretraité.
— Bon, c’est bon là !
— Oui, Papi !
L’inspecteur finit par prendre l’escalier qui mène au premier étage. Il se dirige vers le bureau du responsable et toque à la porte.
— Entre Patrick, entre.
— Salut, Jean Pierre, comment tu vas ?
— Bien, bien. Assieds-toi.
— Merci
— Tu veux un café ?
— À cette heure-ci ?
— Tu sais, moi j’en bois toute la journée.
— Bon ! Ok alors.
Le responsable de l’IML se lève et prépare les deux cafés avec une belle machine à expresso Delonghi.
— Dis donc, vous êtes bien équipés à l’IML.
— Ho, ho ! Tu rigoles. Je l’ai payée avec mes sous. T’as vu la bête. Depuis le temps que j’en rêvais. Du sucre ?
— Oui, je veux bien. Deux.
Jean Pierre Deplaire est un homme d’une cinquantaine d’années qui paraît moins. Grand, athlétique, les yeux profonds. Un homme qui s’entretient, sûr de lui. Quelques coupes poussiéreuses par rapport à sa pratique assidue du tennis trônent au-dessus d’une bibliothèque. Surtout parce que son épouse lui a dit un jour : Pas de ces horreurs à la maison. Bref, un homme craint et respecté dans son service, contrairement ou chez lui, il la ramène beaucoup moins.
— Tiens voilà ton café. Désolé, je n’ai pas de cuillère. L’inspecteur sort un Bic de sa veste et mélange son sucre avec.
— Alors qu’est-ce qui t’amène ?
— Je viens au sujet de la personne que je t’ai envoyée ce matin. Madame Marguerite Pavois. On l’a retrouvée morte devant la tombe de son mari au cimetière de la commune de Carnin. Tu as déjà pu faire l’autopsie ?
— Tu plaisantes ? Elle est descendue au sous-sol il y a peut-être une demi-heure. C’est Patrick Derhin, mon assistant qui s’en occupe. Pour l’instant, elle est au frigo et je pense qu’il devrait l’autopsier en début d’après-midi. Tu n’auras pas les résultats avant au moins dix-huit heures et le rapport, je te l’envoie. Elle a été agressée ?
— Tes collègues pensent plutôt à une crise cardiaque. Mais comme elle est décédée à l’extérieur dans un lieu public, on est obligé de te l’envoyer.
— Oui, je sais. Ils nous gonflent avec leurs protocoles. Comme si on n’en avait pas assez avec les crimes, les féminicides et les règlements de compte. Alors la retraite, ça approche ?
— Tu ne vas pas t’y mettre aussi.
— Quoi, qu’est-ce que j’ai dit ?
— À la PJ, ils me ménagent, Bernadette en bas qui ironise, toi, et ma femme aussi. Tu n’as pas oublié ton cache-nez ? Mets ton bonnet ! Na ! na ! na ! Tu ne sais pas que mes gosses m’ont offert des charentaises pour la fête des Pères.
— Super ! Je n’en ai jamais eu moi.
— Enfin bref. Patrick, mon assistant finit d’autopsier un SDF qu’on a retrouvé mort dans la gare de Lille Flandres. Tu te rends compte, c’est un usager qui s’en est aperçu vers sept heures ce matin. Des centaines de personnes sont passées à côté de lui. Ils pensaient certainement qu’il dormait ou cuvait son vin. Son chien était à côté de lui et le veillait. Le monde est indifférent.
— C’est triste en effet. Bon ! j’y vais. Je repasse vers dix-huit heures, ça ira ?
— Oui, cela devrait être bon, mais je ne te promets rien.
— Ok ! on aurait pu déjeuner ensemble, mais je suis déjà retenu.
— Je te remercie, je déjeune chez moi.
— Tu donneras le bonjour à Annie.
— Je n’y manquerai pas. À tout à l’heure.
L’inspecteur quitte le bureau de son ami, emprunte l’escalier et repasse devant l’accueil.
— À plus, Bernadette. T’as vu, j’ai pris l’escalier.
— Oui, pour descendre.
— J’te parle plus. Salut.
7
Mainure se gare devant son petit pavillon de banlieue situé dans un lotissement sur la commune de Verlinghem qui recense environ deux mille cinq cents habitants. C’est un village calme aux abords de la campagne. Selon une légende, l’eau de la fontaine de Saint-Chrystole, située à cet endroit, aurait des vertus curatives. Elle soulagerait les maux de tête, la fièvre et les problèmes oculaires. Une dame non-voyante aurait jadis recouvré la vue. Saint-Chrystole veillerait sur Verlinghem depuis plus de sept cents ans. La fontaine est classée monument historique depuis mille neuf cent vingt.
À part la pelouse tondue par son mari, les fleurs et plantes de jardin, c’est la passion de madame Mainure. Annie a organisé son jardin à rendre jaloux le voisinage et ça marche.
— Bonjour chérie, je suis rentré. Hé, j’ai pas oublié le pain et bio encore.
— Bonjour, c’est bien mon grand.
Là-dessus, elle se met sur la pointe des pieds pour coller un baiser sur les lèvres de son mari et frotte l’imper d’un revers de la main.
— Hum ! Tu as mangé quelque chose toi ?
— Non, non ! J’ai juste bu un café sur le tard avec Jean Pierre. Tu verrais la machine à café qu’il a, une merveille ! C’est une Delonghi, je crois.
— Tu connais le prix ?
— Non.
— Ben, tu regarderas, cela freinera tes envies. Tu veux boire un verre avant de manger ?
— Euh ! Non, on a dit : Plus que le soir et encore.
— Bien ! C’était un test pour ton régime.
— Bof, ce n’est pas un petit verre qui fait grossir.
— Non, mais les cacahuètes qui vont avec, si ! Allez, enlève ta veste, on mange dans dix minutes.
— Déjà ?
— Tu rentrerais plus tôt au moins. Il est presque treize heures.
— Ça sent bon, c’est quoi ?
— Risotto aux crevettes.
— Je t’adore.
— Tu m’étonnes, gourmand comme tu es. Allez, à table. Sers-nous un verre d’eau.
— On boit pas du vin avec un risotto.
— Non, non ! Même pas en rêve.
— J’aurai essayé.
Annie remplit les assiettes quand le portable de Patrick bipe en musique.
— C’est quoi cette musique ?
— Chérie, c’est juste un message. C’est le générique de Colombo.
— Vous êtes vraiment des gamins au SRPJ.
— C’est Basile. Je passe à la PJ tout à l’heure. Ils ont des infos concernant mon affaire de ce matin.
— C’est quoi ton affaire de ce matin ?
— Oh, une vieille dame qu’on a retrouvée morte devant la tombe de son mari qui est enterré depuis une quinzaine de jours.
— C’est gai. Bon ! allez, mange ! Cela va refroidir.
Après le repas, le café et une courte sieste, l’inspecteur reprend la route direction la police judiciaire de Lille. Bouchons, gyrophare…
8
Après la réussite de son concours avec mention « Assez bien », le jeune inspecteur Patrick Mainure fut intégré au commissariat central de Roubaix Tourcoing. La première enquête auquel Patrick pût participer était une intervention en pleine nuit, vers le quartier chic et fleuri Edouard Vaillant, près du parc Barbieux à Roubaix.Quartier réputé pour sa bourgeoisie. C’était sa première nuit de permanence et ça commençait fort. Un appel anonyme d’une cabine téléphonique localisée près du parc Barbieux avait signalé qu’un individu louche aurait pénétré dans une maison cossue du secteur. Le temps de sauter dans une voiture de service banalisée, après avoir enfilé leur gilet pare-balles, les quatre policiers, dont Patrick, arrivèrent tambour battant à l’adresse indiquée et se garèrent à une centaine de mètres tous feux éteints. Juste au moment où ils s’approchaient de l’entrée de la maison bourgeoise, un homme vêtu d’une veste de sport foncée, capuche sur la tête, sortit précipitamment du domicile et leur tomba dans les bras. Ce fut une arrestation des plus rapides inscrite dans les annales de la police de la région. L’énergumène se retrouva menotté et surveillé par un des quatre membres des forces de l’ordre. Les trois autres pénétrèrent dans la maison avec méfiance. L’homme n’était peut-être pas seul. Malheureusement, un drame était arrivé. Ils découvrirent deux corps tués par balle dans la chambre principale.
Franck Morriaux, l’assassin présumé, était connu des services de police pour multiples cambriolages, mais jamais pour crime de sang. Une arme munie d’un silencieux avait été retrouvée sur lui, ainsi que quelques centaines d’euros et une montre en or. L’affaire était limpide.