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Jean Teyssier, surnommé « Cévennes », rentre blessé et couvert de gloire dans son village de Banne en 1810. Considéré comme un traître à la République pour avoir servi l’Empire, il retrouve néanmoins Julie, celle qu’il avait délaissée. Mais son bonheur est de courte durée : un tueur implacable assassine sa promise et Jean est accusé de meurtre. Traqué, il cherche à démasquer le véritable coupable, qui continue sa sinistre besogne, afin de venger Julie et de prouver son innocence. Ce roman est basé sur des faits réels, notamment l’histoire de la « Bête » du Bas Vivarais et de l’Uzège ayant causé la mort de vingt-quatre femmes et enfants entre 1809 et 1816. À travers l’imaginaire, il apporte des réponses aux interrogations que pose cet épisode dramatique totalement méconnu.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Armand Guérin puise dans un imaginaire riche en images et en recherches historiques, ainsi que dans les lieux qu’il fréquente pour façonner des personnages réels ou inventés. Il les intègre dans des dédales aventureux, où fiction et réalité s’entremêlent subtilement.
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Armand Guérin
Cévennes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Armand Guérin
ISBN : 979-10-422-3862-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Jean Louis Eugène Chevalier (1818-1892)
et Auguste Teyssier (1828-1919),
mes arrière-arrière-grands-pères.
À Paul Flandin mon grand-père
et à mon arrière-grand-oncle Caire de Blazaire,
que cette histoire fait revivre à leur insu !
Ils ne m’en tiendront pas rigueur.
Quand la bête sauvage
Poursuivra nos enfants,
Quand la grêle et l’orage
Menaceront nos champs ;
Ô vous, mère des mères,
Ah ! Protégez toujours
Nos enfants et nos terres,
Mère de bon secours.
Chant religieux à Notre-Dame du Bon Secours – XIXe siècle
Les numéros rencontrés dans le texte renvoient au glossaire en fin de volume.
Pourtant, la journée s’annonçait agréable.
Le temps est clément bien que frais, la pause dans cette auberge avenante a permis à Antoine Ferré de récupérer de la fatigue due à cette longue cavalcade depuis le quartier général de Truxillo (1), dans la poussière ocre des grands chemins Andalous.
Courir à bride abattue pour porter des messages, de plus en temps de guerre, estafette (2) ce n’est pas une mission de tout repos.
La servante gironde a été aimable, et le patron généreux l’a abondamment abreuvée de bon vin et bonne chère.
Alors qu’il avait repris tranquillement sa route vers l’armée française des maréchaux Victor (3) et Sébastiani (4), deux dragons espagnols, surgis de nulle part, l’ont pris en chasse, les emmerdes…
Impossible de se dissimuler sur cette immense plaine, couverte seulement d’une maigre végétation, sans chemin creux ou ravine salutaire.
Derrière lui, sûrs de pouvoir capturer leur gibier, les Espagnols semblent vouloir faire durer le plaisir, chevauchant, hilares, à sa droite, puis à sa gauche, lui criant des invectives humiliantes…
Antoine, couché sur l’encolure de sa monture, constate, désespéré, que son avance diminue rapidement et que c’en est fait pour lui.
Alors que le bruit de la cavalcade se fait plus proche dans son dos, il voit surgir de derrière une ruine cernée de cyprès quatre dragons français sabres au clair.
Sans ralentir, les cavaliers frôlent Antoine et c’est le choc rapide qui projette les Espagnols dans la poussière andalouse, le corps percé par les armes meurtrières.
Les cadavres Espagnols détroussés de leurs armes et objets personnels, les chevaux capturés, les dragons reviennent vers Antoine qui pied à terre les attends à l’ombre d’un maigre acacia.
— Oh là, l’homme ! Tu reviens de loin ! Nous apportes-tu des nouvelles du pays ? interpelle un dragon qui s’approche de lui tenant sa monture par le licol.
— Si fais camarade ! Merci pour le coup de main, sans vous, il en était fait de moi, et du courrier ! répond l’homme.
— Nous revenions de reconnaissance lorsque nous avons compris que tu avais un petit problème, nous ne voulions pas perdre les nouvelles de chez nous… la chance est avec toi, explique un dragon, profitant de la pause improvisée pour bourrer une pipe en terre blanche.
— J’avais l’Espagne entière au cul… plaisante Antoine avant de poursuivre, inquiet. Et déjà depuis plusieurs lieux… conduisez-moi rapidement à Victor et Sébastiani, il y a urgence.
— Regarde ! Tu y étais presque, au bout de la piste, ils sont là tous les deux !
D’un geste ample, le dragon désigne au loin un immense camp de toile que l’homme découvre non loin planté au bas de la colline.
La plaine en bordure du fleuve grouille d’uniformes colorés qui s’affairent entre les faisceaux de fusils et les tentes enfumées par les braseros allumés, l’armée de Napoléon.
— Foutre ! Si avec tout ça on ne leur met pas la pâtée aux Espagnols ? Moi c’est Antoine, lance l’estafette impressionnée.
— C’est pas gagné camarade, ils sont coriaces, très coriaces… Mais assez causé, viens, je t’emmène voir les grands chefs. Moi c’est Teyssier, appelle-moi « Cévennes » c’est mon surnom parce que j’en suis des Cévennes, tu piges ? Je commande juste cette brigade, pas encore l’armée entière, mais ça ne saurait tarder, content de te connaître. Allez en selle, suis-nous !
Promptement, Antoine saute sur sa monture et s’engouffre à la suite des dragons dans une sente abrupte qui plonge vers le campement.
Sans vraiment ralentir l’allure, Cévennes et ses hommes pénètrent entre les tentes jusqu’à parvenir à celle du commandement, plantée sur un monticule au-dessus du fleuve.
Les Maréchaux, magnifiquement vêtus et chapeautés, sont en grande discussion, campés autour d’une vaste table couverte de documents.
— Cuesta (5) est là, à portée de canon, dit Victor…
— Il nous faut nous décider et préparer l’attaque pour le petit matin, Cuesta doit croire que nous nous installons ici pour une longue villégiature, il ne nous attend pas aussi rapidement.
Sébastiani s’est plongé sur les plans annotés de toute part et relève le nez alerté par le bruit des sabots qui approchent.
Jean a sauté de cheval et se met au garde à vous impeccable les bottes dans la poussière andalouse, partout poussée par le vent s’élève en tourbillonnant.
Il joue irrespectueux dans les plumes immaculées qui ornent les chapeaux pimpants des gradés, soulevant les grandes cartes bariolées posées sur une grande table devant eux.
— Maréchal !
— Oui Teyssier ?
— Faites excuse, il y a là une estafette qui vous cherche d’urgence, et, pour ce qui est de nous, nous revenons du contact des Espagnols. Cuesta lève le camp, ses troupes, trente mille hommes ou plus se retirent à Medellín (6).
— Qu’est-ce qui lui prend à ce bougre… ça change tous nos plans, ne pouvait-il pas rester tranquille… Bon travail Cévennes, va te reposer, les jours qui viennent devraient être mouvementés. Tu peux disposer Teyssier, bon travail !
Jean se retire respectueusement et après avoir salué à nouveau, s’engage sur le sentier qui descend vers ses hommes, tenant son cheval par la bride.
L’estafette lui emboîte le pas en courant, un pli levé à bout de bras
— Oh Cévennes ! Tu es bien Jean Teyssier, j’ai un pli pour toi !
— Un pli… Donne bon Dieu ! hurle Jean en arrachant l’enveloppe des mains d’Antoine, qui de suite s’en retourne précipitamment vers les maréchaux.
Ces derniers l’attendent, poings sur les hanches.
— L’amour, c’est plus urgent que la guerre à ce qui nous semble jeune homme, lui lance furibond Victor.
— Je sais pas Monsieur, il a fallu un an pour le lui apporter son pli, alors vous comprenez… répond l’estafette.
Jean, sans attendre, décachette le pli et, tout en dégringolant la colline, commence à lire avidement.
— Alors Teyssier ! Des nouvelles de ta douce ? lui lance Bertrand, un de ses compagnons à forte moustache.
L’impertinent se voit récompenser d’une outre de vin qui vient s’écraser sur sa tête, et macule gravement sa belle livrée.
À l’écart, appuyé contre un arbre, Jean se plonge, les larmes aux yeux dans la lecture de la missive.
Banne le 3 juin 1808
Au Maréchal des logis Jean Teyssier 2e Régiment de Dragons
Aux Armées
Mon cher Jean, mon bien-aimé,
voilà déjà trois années passées depuis que tu es parti, pour disais-tu défendre la Nation.
Trois ans que Dragon de la grande Armée, tu te bats de Prusse en Autriche, en Pologne, et maintenant voilà que tu exposes ta vie aux armes des Espagnols.
Ici, à Banne, la vie s’écoule bien vite à t’attendre, les travaux des champs à aider mon père occupent mes journées, mais le soir ton souvenir me hante, et je me trouve bien seule dans ma couche et les heures sont éternité.
Mon père qui t’a en grande estime me console, lui qui voudrait bien voir sa descendance courir dans la cour te garde les meilleures terres des Lébres et de la Nogaréde.
La maison des Sauts que tu aimes tant il nous la réserve pour abriter notre foyer.
Le grand cerisier devant la façade au sud est couvert de fruits cette année.
Ta pauvre mère s’échine à dépierrer des clos pour toi dans le serre du Mas et la combe de Robert, pour, dit-elle, que tu y plantes les plus beaux oliviers du pays.
Ceux de mon père sous le château et l’église, qui font sa grande fierté, ceux qu’il a plantés depuis de longues années et qui font cette huile dont tu raffoles pour faire frire les aubergines, ils t’attendent, puisqu’ils font aussi partie de ma dot, avec tout son bien puisqu’il n’a que moi au monde.
L’Antoine du Roussier, le châtelain des Larques, il lorgne dessus depuis longtemps, car dans le pays il n’en est pas de plus beaux, mais il ne décolère pas quand mon père lui répond que tout ça, c’est pour le Teyssier qui est l’amoureux de sa petite Julie !
Ton père, Bizet s’il en est, ne décolère pas aussi, mais lui, c’est contre toi de te voir servir un Empereur, lui qui ne supporte pas les rois, comment veux-tu qu’il aime ton Napoléon.
Le Louis ton frère, bien beau garçon ma foi, est toujours amoureux de moi, ou de mes terres ? Et ne manque pas une occasion de me déclarer sa flamme.
Il me dit à juste raison, que le temps passe et que toute défraîchie, dans quelques années tu ne voudras plus de moi, que pour les militaires les filles ne manquent pas.
Moi, je ne l’écoute pas et je t’attends fidèlement comme aux premiers jours de notre amour.
Banne se remet doucement des agitations et des haines révolutionnaires des années passées, mais il reste des traces enfouies dans les mémoires et souvent des vengeances non encore assouvies de par le pays.
Le château qui faisait notre fierté est là, carcasse, vide et noircie, pour rappeler à tous les jours funestes
Les pics du sieur Colomb, son nouveau propriétaire, le démontent sans pitié.
Tâche de te préserver des coups de tes ennemis et reviens vite près de moi au pays pour que nous construisions ensemble ce foyer harmonieux et calme dont nous avons rêvé.
Ta promise qui t’aime,
Julie Combaluzier
Le camp est silencieux en cette nuit seulement perturbée par les cris rauques de quelques charognards nocturnes.
Seule vie apparente, la silhouette des gardes d’astreinte qui tentent de se réchauffer aux quelques braseros rougissants.
Soudain, des hommes apparaissent, lanternes à la main se déplaçant furtivement de tente en tente, secouant les pieds de soldats les uns après les autres et à voix basse, l’index sur la bouche
— Chutttt ! Faites silence, debout, on lève le camp, ordre du Maréchal, regroupement dans une heure avec armes et bagages !
— Pourquoi en pleine nuit bon sang de bois ? Je suis crevé moi ! éructe Jean en sortant comme un fou de sa tente.
— C’est un ordre… tu ne discutes pas… l’estafette de l’autre jour, elle apportait de mauvaises nouvelles, des renforts espagnols arrivent bientôt, le temps presse, les grands chefs accélèrent les événements…
Deux heures après, l’armée de Victor et Sébastiani quitte les bords du fleuve laissant, derrière elle, les restes fumants des braseros sur un terrain ravagé sous les regards désespérés des habitants du village proche.
— Où allons-nous ? Que nous réserve-t-on, Gargasse, toi qui sais tout, bon Diou ? lance Jean à son ami de longue date, gascon de naissance.
— Medellín, mon pauvre, l’enfer assuré, nous allons au casse-pipe !
— Ne vends pas ta peau aussi vite l’ami, nous avons survécu jusque-là… Ce ne sont que des Espagnols tout de même…
Et de partir d’un grand fou rire.
Non loin de là, Victor et Sébastiani se retournent sur leur selle, intrigués par la gaieté soudaine de leurs hommes…
— Ils sont bien de bonne humeur pour aller au danger ne trouves-tu pas ? s’étonne Victor.
— C’est Cévennes qui les mène, il sait y faire pour les assurer de leur force, c’est un magnifique combattant, ils lui font confiance…
Se disant, Sébastiani tend tout à coup le bras en direction de Medellín, une ville endormie qui vient d’apparaître au détour du chemin.
— Elle semble vide… ils ont évacué la ville, que nous préparent-ils ?
Seuls des chiens errants parcourent encore les ruelles, lorsque les troupes entrent dans la cité.
Escorté par une escouade de dragons, l’État-Major escalade à cheval la colline qui domine la ville.
Victor et Sébastiani, campés à l’avant du vieux fort déserté qui couronne la cité, sont entourés des chefs de corps, ils forment un impressionnant arc de cercle aux couleurs bigarrées.
Longues vues collées à l’œil, ils scrutent, plumes au vent, le large paysage qui s’étend à leurs pieds.
— Ils nous attendent de pied ferme… dit Victor, sceptique…
La scène qu’ils découvrent est impressionnante… de l’autre côté du fleuve, en retrait du vénérable pont, les Espagnols ont pris position en arc de cercle et sur des points stratégiques.
— Un vrai piège à loups, comme une pince de crabe prête à se refermer, ose Sébastiani.
— Six canons, c’est une chance ! Qu’en penses-tu Lasalle (7) ?
L’artilleur fait la moue un long moment dans un silence pesant…
— Les nôtres sont plus précis maréchal, nous allons les pilonner le temps qu’il faudra pour les faire taire.
— Bien… le nombre n’est pas de notre côté les amis, nous sommes sept mille, eux trois fois plus, qu’importe… Nous vaincrons ! Pour l’Empereur ! lance Sébastiani.
— Pour l’Empereur ! reprend l’ensemble de l’État-Major exalté.
— Chacun à son poste, n’attendons pas le grand jour pour attaquer… ils nous attendent, soit ! Ne les décevons pas, nous arrivons ! rétorque Victor.
Rapidement, les événements s’enchaînent.
Lasalle subitement déchaîne le feu de ses pièces d’artillerie judicieusement disposée dans le coteau, placées au-dessus de la ligne de frappe des canons espagnols, contraints de les relever sous les tirs nourris des Français, ce qui leur cause de lourdes pertes en matériel et en hommes.
Pendant une heure, un déluge de boulets s’abat sur la plaine, semant le désordre dans les lignes parfaitement organisées de Cuestas…
De courageux fantassins français en profitent pour franchir à découvert le vieux pont, se dissimulant sur les berges en pentes.
Brutalement, un silence de mort s’installe sur le champ de bataille.
Un énorme nuage de poussière flotte sur la plaine et peine à se dissiper.
Les hommes se regardent inquiets, le moment approche, la grande faucheuse, ou la gloire ?
Le silence est soudainement rompu par un brutal et angoissant roulement de tambours.
— Chargez ! Sus aux Espagnols ! lancent les gradés.
Les fantassins du général Laval surgissent des berges du fleuve et attaquent de front le mur formé par les troupes espagnoles.
Ils s’engouffrent par les brèches que l’artillerie a provoquées dans les rangs serrés, piétinant les cadavres mutilés.
Les dragons se sont approchés du pont.
Subitement, galvanisés par le général Latour-Maubourg, sabre au clair, ils franchissent au galop le fleuve et foncent droit sur les fantassins espagnols qui commencent à reculer.
— Dragons de la deuxième ! De la quatrième ! Chargez !
Jean en première ligne exulte et charge en hurlant.
Gargasse tombe parmi les premiers, empalé sur la lance d’un fantassin.
Il reste en selle comme ahuri par l’étrange objet qui avec la violence du choc s’est cassé dans sa carcasse.
Il chevauche encore quelques mètres, regardant la lance qui continue de pendre de son flanc inondé de sang, pour chuter un peu plus loin au milieu du tumulte rageur.
— Putain… Putain… quelle merde ! balbutie-t-il en tombant lourdement.
Au soir, alors que le soleil baisse à l’horizon et fait flamboyer la ville de l’autre côté du fleuve, Jean cherche comme un dernier devoir la dépouille de son ami parmi les monceaux de cadavres, hommes et bêtes mélangés dans la même orgie sanglante en un immense charnier (8) que survolent les charognards.
Des chiens errent à la recherche de leur part de ce festin royal, chair humaine ou animale mélangées.
Il le retrouve à moitié enfoui sous la carcasse éventrée d’un cheval d’où s’échappe une nuée de mouches.
Il a le plus grand mal à l’extraire de la masse sanguinolente.
Sur le corps meurtri de son compagnon, en fouillant dans sa besace et dans ses poches, Jean récupère une pipe de terre blanche, une blague à tabac et quelques monnaies de petite valeur, le seul patrimoine de Gargasse, en plus de sa bravoure et dont il n’a plus rien à faire dans l’autre monde.
— Je ne vais pas te laisser là Gascon, tu mérites mieux que ce bourbier macabre, mon frère.
Il le charge sur sa monture et revient à pas lents vers le pont qu’il a franchi au petit matin en hurlant pour la charge héroïque.
Jean n’a qu’une égratignure à la jambe, balafre légère laissée par un méchant sabre qui a déchiré son bel uniforme…
Le soleil tape dur depuis le matin sur la grande piste qui mène à Salamanque…
Jean doit y conduire les Dragons placés sous son autorité renforcée depuis Medellín par sa bravoure remarquée et pour laquelle il s’est vu gratifié d’une splendide décoration qui bringuebale sur sa poitrine…
Midi approche, hommes et bêtes commencent à languir de la pose…
À distance suivent les chariots pour se garder du nuage de poussière ocre que lève sous les sabots une brise turbulente.
Apparaissent en contrebas les toitures d’un petit village, out semble parfaitement calme…
Parvenu sur la grande place, Jean, d’un geste, envoie des cavaliers en reconnaissance dans les étroites ruelles qui partent de celle-ci.
Rapidement, les cavaliers reviennent et rassurent leur chef sur l’absence de danger.
— Pied-à-terre !
Un groupe d’hommes, attiré par le bruit des sabots sur les calades qui pavent la place s’est formé à l’ombre d’un porche devant ce qui semble être une maison publique…
Jean accompagné de son second, P’tit Louis Coste qui parle l’espagnol appris par sa mère se dirige d’un bon pas vers eux
— Ombre ! Qui es-tu… ? Je cherche le Maire ou quelqu’un de responsable !
— Je suis votre homme Monsieur, répond l’homme le plus âgé dans un français parfait.
— Mais que voilà une belle surprise, notre discussion en sera grandement facilitée Ombre… Il nous faut du ravitaillement, et nous sommes prêts à payer… ou prendre si nécessaire, rétorque Jean.
— Nous avons, Monsieur, du blé, de l’huile et des moutons que nous pouvons vous vendre à bon prix, mais Monsieur, nous ne sommes pas bien riches et méritons notre pitance tous les jours, tout comme vous méritez la vôtre.
— À la bonne heure Ombre, nous paierons donc, mais à notre prix… Saboul ! appelle Jean.
Un homme descend d’un chariot et rejoint le petit groupe en courant.
— Saboul ! Occupe-toi de négocier tout ça pour ce qu’il nous faut jusqu’à Salamanque… ordonne Jean, et d’entraîner P’tit Louis par le bras vers une tonnelle qu’il comprend appartenir à une auberge vu le nombre de clients attablés sous son ombre.
— Allons nous humidifier le gosier camarade, on dit que le vin d’ici est des meilleurs… lui dit-il à l’oreille.
— De toi à moi Coste, Saboul va les payer avec ce que nous avons ramassé dans le campement de Cuestas, c’est de bonne guerre, il faut bien leur rendre un peu d’argent… dit, un large sourire aux lèvres, le Dragon en se retournant pour observer les édiles locaux en grande discussion avec l’intendant.
Les voyant approcher, des clients se lèvent et quittent rapidement la terrasse, abandonnant leurs verres et cruchons sur les tables de bois.
— Ils n’ont plus soif, ou c’est notre odeur qui les incommode ? questionne Jean à la cantonade.
— Les deux peut-être… tant pis pour eux, il en restera davantage pour nous n’est-ce pas le Coste ?
Et de rire de plus belle en regardant approcher une splendide serveuse aux cheveux longs et noirs comme les corbeaux.
— À boire vindiou ! Du vin et du meilleur ! hurle Jean en se laissant choir face sur un large banc.
— Para beber buen Dios, y lo mejor ! reprend P’tit Louis pour être sûr que la servante ait bien compris la commande…
Celle-ci disparaît promptement par l’étroite porte de l’auberge, pour revenir rapidement chargée de pichets emplis de vin aux couleurs de miel.
— Oh le divin nectar ! intervient Jean, le nez planté dans le corsage de la demoiselle penchée pour emplir les verres.
Verres aussitôt vidés et emplis à nouveau.
De nouveaux pichets se succèdent ainsi alors que passe le temps et que la faim commence à tenailler les estomacs des deux hommes.
Apparaît alors dans l’entrebâillement de la porte une magnifique créature aux longs cheveux de jais, relevant doucement un pan de sa robe et de ses jupons, elle ne laisse aucun doute sur son offre alléchante.
— P’tit Louis, nous avons largement satisfait au besoin du gosier, mais avant de satisfaire celui de la panse, je crois qu’il est temps de satisfaire au besoin du corps, puisque l’on m’y invite de si aimablement… Prestige de l’uniforme P’tit Louis, l’uniforme…
Attends-moi là, ne bouge pas, surveille pour moi les négociations, dit Jean, en se levant.
— Garde-moi ce pistolet, attention il est chargé, moi je vais me servir d’un autre traquenard, dit-il en adressant un énorme clin d’œil à son second.
La belle Espagnole s’est éclipsée dans le noir de la porte, Jean y disparaît rapidement à son tour.
Un long et obscur couloir s’ouvre devant lui, il s’y engage rapidement, débouche sur une cour étroite et sombre… personne.
Une porte claque derrière lui, il se retourne sur six hommes armés de longs couteaux, de haches et de gourdins.
Le temps qu’il réagisse, les coups commencent à pleuvoir.
— Maldito francés ! ¡ Que rebientes !
Jean parvient pourtant à dégainer son sabre qu’un coup de hache vient briser immédiatement.
D’un geste désespéré, il plante le moignon d’acier dans le ventre d’un de ses assaillants qui s’écroule dans un cri rauque de souffrance.
Les coups redoublent, les lames lui trouent la peau de partout, il s’écroule sur les pavés couverts de sang.
Au sol, les coups de pied pleuvent sans cesse, quand un homme bondit sur lui et s’acharne avec une redoutable lame acérée sur son visage.
Jean l’entend dire en mauvais français…
— Avec cette gueule, tu pourras même plus baiser tes putasses françaises beau gosse, rentre chez toi étranger, en enfer !
À cet instant, la jeune femme débouche sur la terrasse et se précipite vers P’tit Louis en hurlant…
— Venez vite !
Votre compagnon, ils vont le tuer… j’ai cru qu’ils voulaient simplement lui faire peur !
D’un bond, P’tit Louis s’engouffre dans le couloir et débouche dans la cour, pistolet à la main.
Il y découvre son ami au sol, évanoui, un homme en train de lui taillader méticuleusement le visage.
Un coup de feu part, la tête de l’homme expose en partie, il s’écroule raide mort sur Jean.
Les autres agresseurs ont disparu par une porte dérobée.
P’tit Louis débouche brusquement dans la salle d’auberge, le corps de Jean ensanglanté dans les bras.
Une table est débarrassée sans ménagement, les pichets et verres qui l’encombraient volent aux quatre coins de la salle d’auberge.
Jean inconscient y est allongé dessus dans son bel uniforme maculé de sang qui lui est promptement retiré.
À l’extérieur, la chasse à l’homme a déjà commencé.
À coup de pied et de crosses, les Dragons explosent les portes closes, pénètrent en hurlant à l’intérieur des maisons, poussant dehors les villageois.
Les hommes sont séparés des femmes et des enfants, un interrogatoire brutal commence dans un coin de la place.
— Parle charogne ! Toi tu as une sale gueule, je parierais que tu es dans le coup… Où sont-ils ? Qui ? Combien ? Tu vas parler charogne ! hurlent les soldats.
— Viens par-là !
Et de brutaliser les villageois qui ne comprennent même pas pourquoi, ces français les interrogent.
Le visage fermé, les hommes ne parlent pas, fixant les militaires d’un regard noir.
Un officier arrive, accompagné du médecin du corps.
— Où est-il ?
Un Dragon désigne l’auberge du sabre qu’il tient en main… le médecin s’y précipite.
L’officier fait signe à P’tit Louis de le rejoindre, les deux hommes échangent quelques mots, puis le gradé regarde la splendide montre à gousset qui pend à son côté…
— Assez perdus de temps comme ça, nous sommes déjà très en retard et risquons de tomber sur les renforts espagnols que nos éclaireurs nous signalent arrivant de l’est…
Allez ! Réglez-moi ce problème vite fait ! Payez-les en bon métal, à bon compte pour le ravitaillement, et pour la fourberie… pas en or bien entendu… en plomb, et du bon… !