Château de Fleurac - Hildegard Holtschneider-Baer - E-Book

Château de Fleurac E-Book

Hildegard Holtschneider-Baer

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Beschreibung

Dans de lieux secrets du Périgord, depuis plus de 1000 ans, le savoir intemporel de la création s'est trouvé préservé. Il va revenir mais sous une forme nouvelle. Le mythe, la rationalité, la spiritualité et la science s'associent d'une façon différente tout comme le font le visible et l'invisible. Si les gens ne s'écartent pas du monde sensible et connu, ils s'égarent et ne saisissent pas qu'il s'agit juste d'un jeu de l'esprit. On trouve dans ce roman aussi des légendes écrites sur . les truffes . le vin Sauternes . le Noyer . le Sureau . l'ours de la vallée de la Loue . la Déesse dans le bosquet de la Châtaigneraie . les belles choses de la vie

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Sommaire

Prologue

Marguerite arrive au Château de Fleurac

Marguerite et les fantômes: Berthe

Marguerite voit pour la première fois l’âme de Fleurac

Marguerite et les fantômes : Berthe

Marguerite est enseigné par la Déesse

La Légende du Sauternes

La Déesse dévoile à Marguerite ses pouvoirs de médium

Marguerite et les fantômes: Louise

Marguerite passe une nuit agitée.

La Légende du Noyer

Marguerite trouve la boule de cristal

Marguerite et les fantômes: la petite fille aux ailes de papillon

La Légende des Truffes

Marguerite et les fantômes: la petite fille aux ailes de papillon

Marguerite prend la boule de cristal

La Légende du Sureau

Marguerite rêve de son amant

Marguerite et les fantômes: Marie de Rouffier

Marguerite trouve les trois bagues magiques

La Légende de l’Ours de la Loue

Marguerite rencontre son amant

La Légende de la Déesse dans le bois sacré des châtaignes

Marguerite et les fantômes : La trahison de Louvain

Marguerite comprend que toute la création a une âme

Marguerite et les fantômes: la Grotte de Lascaux

Marguerite et les fantômes: Louvain

Marguerite abuse du Sauternes

Marguerite et les fantômes: la vieille chamane

La Légende des belles choses

Marguerite rachète l'âme du château de Fleurac

Epilogue

Prologue

En des temps très reculés, alors que vivaient encore des magiciens et des fées, la croyance en un dieu unique n’existait pas. A cette époque régnait une Déesse qui formait un couple fusionnel avec son Dieu bien-aimé. Elle symbolisait la création, la magie et tenait entre ses mains divines, des pouvoirs exceptionnels et incarnait la femme aux multiples visages : la vierge, l’amante, l’ancêtre, l’indomptable, la justicière.

Ses sentiments, ses pensées, tout comme son cœur et son âme, étaient purs. Son image d’une beauté et d’un érotisme incroyables, a été immortalisée des milliers de fois par des sculpteurs qui l’ont fixée dans la pierre. Reine de la Terre et du Ciel, elle connaissait tous les secrets de la Création : le pouvoir des mots, le rythme, le son …

Elle, la Déesse de l’amour se transformait en une lumière vivante qui rayonnait dans le cœur de ceux qui la vénéraient et les guidait sur le chemin étroit et tortueux de la vie.

L’acte d’amour devenait une merveilleuse communion entre un homme et une femme. Ils se rejoignaient pour accéder à la lumière divine ; une grâce soudaine s’emparait d’eux et ensemble, ils découvraient la connaissance,

la vérité, la force. Les hommes lui donnaient des noms différents : Isis, Astarte, Aphrodite, Venus mais aussi Maîtresse des Larmes car son existence était faite de souffrance.

Maintenant le passé se mêle au présent et le présent se mélange au passé. Marguerite, une de filles de la Déesse, est venue sur la terre et personne ne sait qui elle est vraiment, entend les voix de ses aïeux, de sa mère et reçoit leurs messages.

Marguerite arrive au Château de Fleurac

Sur une colline, elle voit un château de conte de fées. On le dit pourtant maudit et hanté par des bandes de fantômes. Marguerite sait qu’elle est parvenue à destination ; maintenant elle doit briser la malédiction qui pèse sur ce château.

Le soleil illumine encore le village et les bois qui l’entourent. C’est un beau soleil d’automne qui bouleverse Marguerite. Elle se sent fébrile et son cœur s’emballe, lorsqu’elle atteint les hauteurs de Fleurac, son regard ne peut se détacher du château accroché à une des plus hautes falaises du village.

Elle longe un chemin, passe à côté de deux cyprès dont les silhouettes élancées bougent au moindre vent. Ce décor lui rappelle tant de souvenirs. Elle sait qu’elle est de retour chez elle, même si le château a bien changé, depuis sa longue absence. Son cœur bat la chamade et elle pose ses mains sur sa poitrine pour mieux sentir ces incroyables palpitations. Elle ferme les yeux et lance un vibrant appel aux ombres du passé :« Aidez- moi, vous que j’ai perdus. Aidez-moi, vous qui gardez ce secret. Aidez-moi, c’est maintenant ou jamais. »

Elle se souvient de ce secret, de cette étoile à huit branches qui certains soirs, éclairait le château. C’est tout ce qu’elle sait de ce lourd mystère que le manoir abrite encore. Elle franchit le portail en fer forgé et aussitôt des tonnes de souvenirs l’assaillent. Marguerite reste figée, la peur la paralyse, car elle sait qu’elle ne pourra pas supporter que ce passé honteux resurgisse. Mais elle se domine et reprend sa marche; se trouve maintenant devant le château. Le bleu des volets l’étonne, ils devraient être aussi blancs que la neige. Marguerite aperçoit une jeune fille de petite taille à la beauté rare et harmonieuse. Ses cheveux foncés descendent en vagues douces, jusqu’à ses hanches. Elle entend alors des propos singuliers, sortir de la bouche de ce petit ange :

« La visite du musée ne commence que dans un quart d’heure ».

Elle se met en colère sans raisons et apostrophe la jeune fille :

« Pourquoi ne pas proposer une visite maintenant ? »

Mais elle regrette déjà son emportement, promène son regard sur la jeune demoiselle et sent monter en elle un trouble inexplicable. Ses souvenirs volent à son secours : autrefois une autre jeune fille, tout aussi belle, tout aussi gracieuse, vivait ici.

Alors, elle se met à pleurer et ses larmes ruissellent sur ses joues. Cette fille aurait dû diriger un vaste empire mais avait été dépouillée de son pouvoir. Pourquoi? Elle avait livré un secret à des malfaiteurs qui cherchaient à s’en emparer, car il recelait un trésor incommensurable, à tous ceux qui en avaient connaissance, il déposait et dépose encore des richesses incommensurables.

Mais le temps est venu pour le trésor de tomber entre d’autre mains que celles de personnes avides de pouvoir, car leur travail de destruction est terminé : il est presque épuisé, sa richesse, son réseau invisible, qui conduisait de la Terre jusque dans les voies claires et puissantes de la Lumière vers le champ galactique des Pléiades, ces étoiles sublimes et lointaines. Les Ténèbres se sont suffisamment enrichies grâce à lui, elles l’ont dévoré à pleines dents. L’ atmosphère est devenu irrespirable.

C’est comme si tout souffle disparaissait. Le poison de la dictature, la folie du pouvoir contaminent tout: la pierre, le feu, la terre, l’eau, l’air, les humains, les animaux et les plantes sont impuissants face à tous ces périls, l’angoisse recouvre tout.Pendant que certains s’acharnent à tout anéantir, d’autres en silence regardent avec horreur, les forces les plus sombres leur imposer les pires malheurs, cancer sans contrôle. Le destin a créé la belle Marguerite, pour qu‘elle arrache le secret aux puissants, aux cupides, aux riches profiteurs et à tous ces voleurs avides de pouvoir. Et ce trésor, elle doit l’offrir au monde. Elle sait combien le fardeau est lourd à porter. C’est un combat à la vie, à la mort, une lutte entre le paradis et l’enfer. Elle a un terrible devoir à accomplir, une bataille meurtrière à mener et elle n’est pas sûre de l’emporter. Les voiles

s’estompent, la mémoire refait surface, les fantômes du passé approchent. Elle se penche, attrape une poignée de gravier marbré de blanc et de gris, laisse les pierres lui filer entre les doigts, comme si elles étaient des perles puis elle les regarde s’entrechoquer, s‘éparpiller et finir inertes sur le sol. Elle pense : savent-ils que j’avais commencé à percer leur secret, grâce aux précieux écrits que j’avais découverts ?

Mais, il ne s’agissait que de fragments, aux indices faibles. Alors, je suis de retour pour continuer mes recherches. Les yeux fermés, elle voit ceux à qui elle doit le soustraire. Ils se croient les plus grands, se drapent d’arrogance, intriguent, trahissent. Ils s’attribuent des titres, se croient sages mais ils sont incultes.

Cachés dans des châteaux ou des grottes, ils commentent des écrits impénétrables qu’ils sont les seuls à savoir déchiffrer. Ils augmentent leur fortune, pratiquent le népotisme, bazardent des terres, empoisonnent le sol et l’eau, s’enferment dans leurs sociétés secrètes et refusent d‘admettre que leur pouvoir ne sera pas éternel. Ils ne s’aperçoivent pas qu‘il s’étiole, malgré la protection d‘ une armée de démons. Ils sont aussi éloignés de la Sagesse que la Terre l’est du Soleil. Ils s’imaginent tout connaître de Dieu, du Monde, de la Création, du Ciel et de l’Enfer.

Ils se gonflent d’importance, s’enrichissent, se glorifient, s’élèvent en rabaissant les autres, et ne veulent pas voir que les temps ont changé.

Le pouvoir les enivre, ils ont le sentiment de tout dominer, de tout diriger, ils brisent toute résistance grâce à leur richesse, mais ils ont oublié une chose : l’ Amour, quelque soit le nom qu’on lui donne: Dieu, Déesse… le Cosmos … la Nature …la Création.

C’est l’Amour qui a conçu ces secrets et qui maintenant, exige la fin de ces comportements insensés.

Marguerite sait qu’une lutte farouche l’opposera à ses ennemis. Elle est persuadée qu’ils ne renonceront pas à ce qu’ils possèdent, pense que la bataille s’annonce, car les démons s‘insinuent partout où ils le peuvent. Elle sent qu’il lui faut se rendre au château, vite, ils commencent à la cerner !

Vite, elle doit y aller car un torrent de haine s’abat sur elle et ce flot l’entraîne malgré elle, vers le piège qu’ils lui tendent. Elle doit résister coûte que coûte! Tout ce qu’il y a autour d‘elle commence à se déformer, elle entend le gravier qui craque, voit des touristes arriver; la visite guidée du musée commence.

Pour se protéger, elle se mêle à la foule, le rythme de son cœur s‘emballe. Dans le château, elle a une révélation lumineuse, elle sait maintenant qu’elle a besoin, du bâton, des anneaux, de la boule et de la coupe magique, pour triompher.

« Aidez-moi «, murmure-t-elle, «aidez-moi vous que j’ai perdus. Aidez-moi à retrouver ce trésor; j‘ignore par où je dois commencer mais il me faut récupérer mon pouvoir magique, pour rétablir le réseau jusqu’aux Pléiades. «

Alors qu‘elle rejoint le groupe de touristes prêt à visiter le château, d’obscures puissances la saisissent. Prise de faiblesse, elle ne tient plus sur ses jambes, supplie ceux qu’elle a perdus de l‘aider. La panique s’empare d’elle, un mauvais pressentiment l’étreint, serait-ce la fin ? Des milliers d’années pèsent sur elle comme autant de rochers. Elle veut y mettre fin, à la culpabilité, à l’expiation, à la destruction et à la rage. Mais peu à peu, elle s’enfonce dans l’inconscient et s’évanouit, a sous-estimé les maîtres des Ténèbres qui refusent de se laisser déposséder de leurs secret. Ils se pensent maîtres du destin pour l’éternité et rien ne les empêchera de poursuivre leurs forfaits !

Ceux à qui elle a demandé de l’aide se hâtent. Toute seule, il lui est impossible d‘ affronter un tel ennemi. Ils se dépêchent et entrent dans son sommeil d‘agonisante. Des sons très doux bercent Marguerite et voguent sur des paroles, comme une chanson:

« Nous t’offrons des dons divins, utilise-les, ils te protégeront des ténèbres. Nous t’enverrons aussi celui qui a su magistralement les employer, il t’apprendra. «

À son réveil, elle pense qu’elle vient de vivre un conte de fées. Autour d‘elle se sont rassemblés des anges, des druides, des fées et des êtres célestes. Ils lui ont offert un concert, un ballet, spectacles inoubliables dont la scène était un bois sacré.

Marguerite reprend ses esprits, son évanouissement l’a fatiguée mais dans sa tête demeurent des images et des sons merveilleux. Quand elle se relève, le rythme est né en elle. On l’a allongée sur un canapé couleur crème, très proche d’un miroir doré et d’une cheminée de marbre. Tous la regardent, ils paraissent inquiets, mais elle murmure:

« Donnez- moi un peu de temps pour me remettre et je m’en irai. «

Elle souhaite quelques instants de calme, ferme les yeux et sent quelqu’un s’approcher d‘elle. Serait-ce un démon ? Non ! L’inconnu effleure Marguerite, parcourt son corps qu’il enveloppe de lumière. Quand tout le gris a disparu, elle le reconnaît clairement. Il sourit, passe la main dans sa perruque longue.

À son tour, elle sourit parce que cette perruque lui rappelle une période de l’histoire qui lui est très chère : c’est le temps des meubles les plus fins aux formes splendides, légères et aériennes où le blanc s’unit à l’or. C‘est le temps des jardins à la française dont les formes maîtrisées et géométriques témoignent d’une victoire sur les impulsions incontrôlées et demeurent les symboles éternels des correspondances, entre rythmes, mots et sons.

Et lui, fils splendide des Muses *, continue de sourire. Elle a compris, connaît toute son œuvre note par note, l’a traduite en mots et sait qu’elle recèle un pouvoir magique.

* Johann Sebastian Bach

Il demande:

« Quels sont tes tourments, où t’ont-ils blessée? Au pied, à la cheville, au sein ou au cœur de ta féminité? Il suffit d’écouter plus profondément ma musique … un passage, une seule aria que tu dois écouter plusieurs fois.

Alors tu comprendras tout ce qui jusqu’à présent, t’échapper.

La connaissance te frappera comme l’éclair, sinon appelle-moi. Je te donnerai des solutions, pour combiner mots, rythmes et musiques. C’est ainsi que se crée la magie. Laisse les te mépriser, ils n’y arriveront pas si tu restes forte. Des combats acharnés t’attendent, moi aussi j’ai combattu comme toi. Ceux qui nous ont précédés sur cette terre, nous aident lorsque le moment est venu. Alors va !

Même si tu es épuisée, désespérée, même si la solitude t’accable, je t’aiderai, c’est mon destin. «

Il prend sa main, s’incline, baise son front et lui tapote la joue. Elle veut le retenir et prend conscience de son amour pour lui. Mais il s’en va.

Elle se lève, ne parvient pas à quitter le château dans lequel elle déambule, comme une âme en peine. L’aurait-on oublié ? Elle se trouve maintenant dans ce qui devait être la chambre à coucher d’une Vicomtesse, son nom est Berthe de Beauroyre.

Le soleil d’automne brille toujours et traverse les hautes fenêtres, mais soudain, une sorte de brume menaçante enveloppe le paysage. Les horloges du temps s’inversent, le passé revient.

Marguerite et les fantômes: Berthe

Marguerite voit une femme, la Vicomtesse Berthe de Beauroyre. A côté d’elle apparaît un petit homme fougueux, à la barbe blanche, Albert de Beauroyre, le Vicomte. Il est très fier de lui, se prend pour le nombril du monde. Marguerite a envie de lui dire :« Arrête, ne fais pas tout pour toi- même, cesse d’être égoïste, narcissique ! »

Mais il refuse de l’entendre.

Dans ce château, la peur et le passé flirtent comme deux amoureux qui tremblent à l’idée de voir renaître, ce qu’ils veulent oublier.

Au-dessus de la grande cheminée en marbre de Carrare, le miroir encadré d’or a perdu tout son éclat. Le lit taillé dans un beau bois de chêne, porte des sculptures dorées devenues totalement mates. Le ciel de lit, tout en soie, craque comme s’il allait se déchirer. Une épaisse couche de poussière le recouvre et masque sa couleur. C’est le dortoir de Berthe.De très belles chaises Louis XVI parées d’un tissu précieux, délicatement brodé, rappellent la prospérité passée de la noblesse et son amour du luxe et des belles choses.

Malheureusement, tout ce qui brille, attire les âmes qu’elles soient belles ou laides mais cet étalage de richesse, les éloigne de la splendeur céleste. Ici tout est à l’abandon, rien n’est entretenu. Mais cet état de délabrement, ne dérange pas le maître de maison. Il a gaspillé sa fortune, a vendu les biens hérités de ses ancêtres, car il aime vivre, sans compter.

Albert a profité de la vie, tout en se moquant éperdument de ses folles dépenses. Jamais, il n’a imaginé qu’un jour ou l’autre, il serait obligé de changer de train de vie.

Et pourtant, il ne regrette rien! Chez l’épicier, il avoue que sa vie lui a donné entièrement satisfaction. Pour rien au monde, il n‘en modifierait une minute, même pas une seconde.

« Pas une seconde !» dit-il souvent avec véhémence.

Il a tout perdu, tout dilapidé, sans se rendre compte qu’il deviendrait bientôt très pauvre. Les arbres ont été coupés et liquidés à bas prix, les terres cultivées ne lui appartiennent plus, les troupeaux sont partis chez le boucher, il fallait bien trouver de l’argent. Son immense fortune, n’est plus qu’un souvenir, seul le château témoigne de sa richesse d’antan. Il n’a plus de revenus et se débrouille comme il peut, pour survivre, accumule les dettes, doit de l’argent à tous les commerçants de Montignac qui exigent d‘ être payés, le plus rapidement possible et en espèces. Tous ses fournisseurs, bien que pressés, devront attendre: les poches de Monsieur le Vicomte sont désespérément vides !!

La haine, la colère brille dans les ses yeux et cela n’arrange rien !

Malgré tous ses problèmes, le Vicomte se sent toujours supérieur. Quand on lui demande de s’acquitter de ses dettes, il s’énerve, n’éprouve, d’ailleurs, que du mépris pour ces gens du peuple. Son arrogance, sa façon de se moquer des autres, le rendent particulièrement impopulaires auprès de tous ses débiteurs qui redoutent, avec juste raison, de n’être jamais remboursés. Lui, qui se considère comme un maître de l’art de vivre, doit désormais se priver. Comme il n’a plus d’argent, il va lui falloir accepter une existence de mendiant. Boire de l’eau, manger du pain rassis, alors qu’il n’apprécie que le Sauternes et le Foie gras. Quelle tristesse, lui le bon vivant, le dépensier, en est réduit à se passer de tout ce qu’il aime !

Plein de rage et de rancœur, envers la terre entière, il part à la recherche d’une bonne bouteille de vin. Il fouille, méthodiquement, tous les endroits de la maison susceptibles de receler des bouteilles; hélas il n’a pas de chance, de la cave à la cuisine, en passant par le grand salon, il ne trouve rien à boire ! Il se demande comment il va pouvoir sortir de cette situation. Toute la dot de Berthe, tout l‘argent qu’elle lui a apporté, une fois déposé entre ses mains de panier percé, s’est envolé.

Berthe ne bouge pas, elle n’a pas un regard pour cet homme qui la déteste. Le Vicomte la trouve sotte, il la compare souvent à une chèvre attachée à un piquet qui ne bouge pas, même lorsqu’elle n’a plus rien à brouter. Il ne lui viendrait même pas l’idée de s’échapper et de chercher un autre pâturage !

Sa femme est une oie, une véritable idiote qui ne possède plus aucun intérêt, surtout depuis qu’elle est ruinée! Pourtant, il aime les femmes bien qu’ils les jugent énervantes, ambitieuses et qu‘il les rendent

responsables des maux qui empoisonnent la vie des hommes ! Il s’interroge aussi sur la monogamie, pourquoi n’avoir qu’une seule femme ? Lui se refuse à passer toute sa vie auprès de la même épouse. La fidélité, lui semble particulièrement ridicule. Les Mormons, les Musulmans ont bien plusieurs femmes et ne s’en portent pas plus mal. Voilà des sociétés qui lui semblent plus adaptées à ses désirs.

Il imagine son château rempli de femmes nanties de belles dots. Grâce à elles, il serait au moins millionnaire. Si ce rêve devenait possible, il n’aurait plus à s’inquiéter. Ses femmes lui donneraient du plaisir et de l’argent. Toutes ces femmes réunies sous son toit, feraient de lui un homme très, très riche.

Il pourrait de nouveau acheter tout ce qu’il aime, montrer sa fortune aux autres et les rendre malades de jalousie. Par contre, il sait, par expérience, que certaines femmes se lassent assez vite de l’amour. Le devoir conjugal devient une vraie corvée et il faut, au creux du lit, tenter de renouer avec le plaisir d’avant.

Il reste persuadé que quelques coups de fouet sur leurs fesses rebondies, réveilleraient l’ardeur de ces dames et il se voit très bien, manier le fouet ! Il aurait et du plaisir et de l’argent, ces problèmes disparaîtraient et il ne serait plus obligé de se demander comment boire et manger à sa guise. Il regarde encore Berthe, pourquoi est-elle encore là, alors qu’elle l’exaspère et qu’il n‘ éprouve plus aucun sentiment pour elle.

Albert se demande pourquoi Dieu a créé ce genre de femmes ? C’est vrai que tout avait très mal commencé avec Eve. D’abord, la rencontre

avec le serpent, puis la cueillette de la pomme qui allaient précipiter les humains, dans un monde couvert de tentations et de fautes. Il s’empresse d’oublier ses interrogations, pour ne plus penser qu’à un bon Foie gras accompagné d’un vin généreux et magnifique. Comme son estomac est vide, et que ses pensées sont noires, il se met à réfléchir au couple qu’il forme avec Berthe. Elle ne lui sert plus à rien, ils n’ont plus ces liens que le curé, le jour de leur mariage, avaient qualifié de sacrés. Berthe lui a donné une fille, vilaine de surcroît, il aurait préféré un garçon qui aurait assuré la pérennité de cette grande famille, se venge, en se disant qu’il a deux femmes à la maison, pour lui tout seul !

A force de se repasser le film de sa vie ratée avec Berthe, il s’emporte et furieux, se lance, une nouvelle fois, à la recherche d’une bouteille et d’un morceau de pain et court comme un fou à travers le château, se livre à une véritable inspection des armoires, des buffets, des placards mais il n’y a rien à manger, rien à boire dans sa demeure.

Si Berthe n’avait pas regagné sa chambre, il l’accablerait de tous les défauts possibles et imaginables, il l’insulterait aussi, pour qu’elle saisisse l’horreur de leur situation, n’éprouve plus que de la haine pour elle. Son agitation augmente, il tourne en rond, tel un fauve en cage et hurle de désespoir :

» Que faire ? Que faire ? »

Il court à nouveau dans le château, cherche, cherche. Sa haine pour sa femme qui s’est couchée tranquillement, grandit jusqu’à l’infini. Il n’a plus un sou, ne peut plus rien acheter, sauf s’il s’abaisse à faire des ronds de jambe à tous ces marchands, désormais plus riches que lui. Il n’en peut plus, refuse cette misère et déplore, plus que jamais, l’indifférence de Berthe. Il lui faut du vin pour oublier, pour se griser et voir la vie en rose. Il sonne le seul serviteur demeuré au château.

Un brave garçon attaché à la famille de Monsieur le Vicomte et qui ne se fait pas payer. Il lui ordonne d’atteler son dernier cheval à la voiture, pour se rendre à Montignac où il compte faire quelques courses.

Au bout d’une heure de voyage, l’attelage entre dans ce bourg cossu et se dirige vers la boutique du marchand de vin. Albert entre, se fait le plus aimable possible et demande du vin au commerçant. Son propriétaire qui s’appelle Moribord refuse de lui vendre une bouteille, même la moins chère! Il faut d’abord qu’il paye, après il pourra choisir son vin.

Moribord déteste ce noble qui se croit tout permis et qui donne une très mauvaise image de la noblesse de Montignac. Il pense à Berthe, la revoit lorsqu’elle était jeune et pas encore mariée avec ce pourri. C’était une très jolie demoiselle, toujours très bien vêtue, toujours gentille et souriante.

Il aimait la regarder passer, lorsqu’elle se rendait en famille à la messe du dimanche. Sa démarche légère et aérienne, le ravissait.

Il se demande, s’il aura la chance de la revoir. On lui a raconté qu’elle avait bien changé et qu’on avait beaucoup de mal à la reconnaître. Il ferme un instant les yeux, s’imprègne de l’image de Berthe, dans la fraîcheur de la jeunesse et se souvient qu’il était amoureux d’elle.

Cependant, l’épouvantable Vicomte est toujours là, il tempête, tape du pied et exige du vin.

Moribord résiste, pas d’argent, pas de vin ! Il se calme car il a vraiment envie d’empoigner le Vicomte par sa redingote et de le jeter dehors. Mais il sait que c’est un homme important, et que cette affaire pourrait lui nuire. Alors, il se contente de lui répéter que s’il veut du vin, il doit le payer tout de suite car il ne lui accordera pas de nouveau crédit.

Le Vicomte ne répond pas. Il est assis à côté du comptoir et semble chercher une solution. Il sort brutalement de son mutisme, se frotte les mains car il vient de trouver une idée géniale, commence par commander, un baril de vin, du Cognac et du Foie gras. Moribord n’en revient pas, quel culot ! Il n’a pas un sou et commande des produits très chers et lorsque le marchand lui demande comment il va payer, le Vicomte semble gêné. Il regarde ses mains, baisse les yeux et semble chercher ses mots. Moribord s’impatiente, il a besoin de savoir comment cette grosse facture, lui sera réglée.

Il pousse le Vicomte à parler mais ce dernier lui fait vite comprendre qu’en tant que seigneur, c’est lui qui décide et il prend un malin plaisir à le faire attendre. Lorsqu’il se décide enfin à parler, il le fait à voix basse, sur le ton de la confession: « Pour te payer, je t’autorise à passer deux heures au lit avec mon épouse, Berthe de Beauroyre. « Moribord vacille, il se demande s’il a bien entendu et s’il a tout compris. Mais le Vicomte rajoute: « Elle gémit toute la journée au lit, cette fois, elle gémira avec toi !« Cette proposition malsaine donne envie de vomir à Moribord. Il a du mal à respirer et il manque s’étrangler de stupéfaction. Jamais il n’aurait imaginé que cet homme pour lequel il n’a aucune sympathie, puisse être aussi malhonnête, aussi dégoûtant.

Mais le Vicomte sait, qu’en d’autres temps, le marchand de vin trouvait Berthe très à son goût et il en profite. Moribord tétanisé par cette proposition, n‘arrive plus à s’exprimer. Alors le Vicomte qui mène le jeu, se met à lui poser des questions :

« Tu es d’accord ou pas ? Si oui, tu portes ma commande demain à l’aube, et je te guiderai jusqu’à la chambre de Berthe. Personne n’en saura rien, tout comme moi, tu resteras discret. «

Le Vicomte se tourne vers lui, un sourire narquois flotte sur ses lèvres, lorsqu’il ajoute: « Tu ne dis mot, donc tu consens, alors à demain. « Moribord est médusé; jamais il n’aurait imaginé que Monsieur de Beauroyre le rembourse, en lui offrant deux heures d’amour avec son épouse. Il reste sans bouger, comme assommé. Le Vicomte profite de l’engourdissement du marchand, pour ouvrir la porte de la cave et y descendre. Il désire goûter ce qu’il a commandé. Moribord retrouve enfin ses esprits et le rejoint dans ce cellier qui regorge de bons crus. Le châtelain toujours aussi fier de lui, se pavane au milieu des futs et des cruches.

Sur la table de noisetier, il choisit une cruche, la débouche et approche sa bouche du robinet, pour y accueillir un peu de vin. Il le trouve bon, pas trop fort et très fruité. Puis il passe à une autre cruche, enlève le bouchon et regarde s’écouler un excellent Bordeaux.

Le commerçant réagit enfin, arrive en trombe et veut empêcher le Vicomte de continuer à jouer avec son argent. Ce vin est cher et plaît beaucoup à ses riches clients, il faut en finir avec ce gaspillage, coûte que coûte.

Albert de Beauroyre semble très heureux de ce qui se passe, éclate même d’un rire diabolique et bouscule Moribord qui, devant autant de violence, renonce à lui faire face.Il pense que ce sale type est un détraqué, capable de lui casser une cruche sur la tête, tant il est énervé et mauvais. C’est un démon pense le marchand de vin et il

prie, pour qu’un jour quelqu’un l’attaque et le punisse, comme il le mérite.

Pourtant, il est né dans une bonne famille mais il a bafoué tous les principes qui lui ont été donnés. Il boit cet excellent vin, sans se rendre compte de sa qualité, ce qui compte pour lui, c’est d’avaler, d’absorber ce liquide qui lui manque tant, dés qu’il en est privé.

Moribord en conclut qu’il n’aime rien ni personne, à part lui. Il salit et détruit tout ce qu’il touche : le vin, sa femme, son enfant. Quand il estime qu’il a suffisamment bu, le Vicomte décide de regagner son château. Du regard, il provoque le commerçant qui baisse les yeux, sa propre faiblesse le consterne. Albert de Beauroyre sort de la boutique, se retourne et s’écrie :

« A demain, mon cher, avec ma commande bien sûr ! «

Il claque la porte dont les vitres craquent et rejoint sa voiture à cheval. Moribord le regarde s’éloigner, il est encore bouleversé par ce qu’il vient de vivre. Il aimerait remettre de l’ordre dans sa cave, mais il se sent trop faible, trop agité pour le faire.

Dans la rue, les sabots du cheval de Monsieur le Vicomte résonnent sur les pavés ; Moribord respire, le diable s’éloigne.

Il est tellement impressionné, qu’il croit avoir rencontré Satan en personne, a besoin d’oublier ces terribles paroles et cette affreuse scène qui s’est déroulée dans la cave.

Alors, il ouvre son placard sculpté fait en bois de noyer, il en sort un verre en cristal taillé, attrape une bouteille de Sauternes et se verse une belle rasade de ce vin doré, pose la bouteille sur le comptoir et s’installe dans une chaise confortable. Le liquide jaune le rassure, il est si beau, brillant comme de l’or. Les verres se succèdent et Moribord se sent de mieux en mieux. Le vin efface sa terrible journée avec le Vicomte et gomme sa peur du lendemain.

Encore une fois, le Sauternes a chassé les démons. Bien qu’assis, il a l’impression de voguer au milieu des cieux.

Le Sauternes le fait voyager, c’est toujours comme ça, avec ce vin magique. Et il se met à rêver de se trouver une fois, au moins, avec une noble dame dans un beau manoir. Chaque pièce contiendrait des merveilles : miroirs dorés, couvertures de soie, meubles sculptés, tableaux … La noblesse l’excite, pas l’épouse de Monsieur le Vicomte que l’on dit bien laide, bien grosse.

Il chasse de sa tête ces ragots de village et revoit la jeune fille d’avant son mariage, si jolie, si légère. Et en plus elle est noble, alors il ferme les yeux et de dit que la proposition du Vicomte, lui est plutôt agréable. Entrer dans ce cercle fermé qui regarde les autres de haut, ne lui déplaît pas. Contempler les belles choses qui meublent le château, admirer les dorures, les soies lourdes et chatoyantes et enfin s’emparer du corps d’une femme noble, comme d’un fruit défendu ! Mais quelle sera la réaction de Berthe, quand elle comprendra que son mari l’a vendue, pour quelques heures à ce boutiquier ? Il imagine qu’elle se sentira terriblement humiliée, lorsqu’elle connaîtra la vérité, mais elle survivra et s’enfoncera dans l’oubli et le renoncement.

Il passe sa nuit à imaginer, ses fameuses deux heures avec Berthe. Il dort très peu et se réveille avant le chant du coq. Il charge la commande tout seul car personne, à part lui, ne doit connaître le nom du destinataire.

Dés que les produits sont placés dans le chariot, il prend la direction de Fleurac. La route est mauvaise, garnie de trous et de bosses, et le chariot bouge dans tous les sens.

Heureusement, le chargement est bien attaché. Il n’accorde que peu d’importance à la majestueuse forêt de chênes qu’il traverse et pousse son cheval à forcer l’allure ; il lui tarde de parvenir au château.

De loin, il aperçoit la noble bâtisse posée au sommet d’une falaise, qui domine des vallées enchantées. Il parcourt l’allée qui mène au domaine, arrête son chariot devant le grand escalier et se rend compte que personne ne l’attend. Aucun valet en vue, il descend du chariot et regarde vers le village, a peur que des curieux le voient livrer du vin de si bon matin. Il se raisonne, qu’importe l’heure , vendre du vin, c’est son métier. Après tout, on peut raconter ce qu’on veut au village, il s’en moque ! Il fait le tour du parc, regarde par les grandes fenêtres, les lueurs douces du soleil levant, lui permettent de distinguer de bien belles choses. Une grande cheminée, des murs ornés de boiseries, des meubles sculptés, cette vaste salle respire la beauté et la richesse. Moribord, homme d’affaires avisé donne un prix à ce qu’il voit; il croit qu’il pourrait se rembourser largement avec ces beaux objets. Il se dit que vivre dans un tel décor doit être un grand bonheur et il se met à envier les nobles. Par contre, il commence à redouter cette aventure. Il a mauvaise conscience et regrette d’avoir dit oui si vite. Il s’est laissé convaincre par la douce fascination, que la jeune Berthe exerce encore sur lui. Il a cédé trop vite, sans penser à ce que son mari lui inflige. Oui se dit Moribord, il la tue en lui imposant des amants et il a le sentiment qu’il va participer à ce meurtre.

Plongé dans ses pensées, il n’a pas vu assis au coin du grand escalier, le Vicomte en personne. Il fume un gros cigare, un Havane, dont les volutes de fumée bleutée dansent au-dessus des marches. Les yeux d’Albert de Beauroyre se fixent brusquement, sur le tonnelet de Cognac que Moribord porte sur son épaule. Il ordonne aussitôt au

marchand de lui servir un verre. En homme organisé, il a amené un verre-ballon décoré d’étoiles dorées. Moribord verse le Cognac, le Vicomte admire la belle couleur ambre et respire les senteurs boisées diffusées par cette boisson. Il chauffe le verre, en le faisant tourner entre ses deux mains, puis il boit, fait un signe de la main à Moribord, pour lui indiquer que son Cognac est de qualité. Notre marchand de vin très flatté, remercie monsieur le Vicomte, en inclinant la tête. Les verres se succèdent et Albert de Beauroyre invite le marchand à le suivre à l’intérieur du château.

Moribord est au comble de l’excitation, bientôt il va revoir Berthe. Le Vicomte s’est assis sur une chaise et il a posé ses jambes sur la table comme un manant inéduqué. Il semble satisfait, même son regard s’est adouci. Moribord ne tient plus en place, il est entré dans ce château de contes de fées mais il n’attend plus qu’une seule chose, pénétrer dans la chambre de la Vicomtesse.

Il paraît que c’est la plus belle pièce du château. Le Vicomte semble prendre un malin plaisir à le faire attendre. Il regarde le marchand, ricane, jette le bout de son Havane et lui dit qu’il l’autorise à gagner l’étage où se trouvent les chambres. Moribord hésite mais le châtelain le rassure, il n’a rien à craindre, il n’y a aucun serviteur. Puis grisé par le Cognac, sa tête devenue très lourde … Moribord quitte la pièce, non sans avoir regardé cet homme si fier, vaincu par cet alcool si fort. Et Berthe comment va-elle le recevoir ? C’est une noble dame plutôt orgueilleuse et lui n’est qu’un simple commerçant. Cependant, il n’ose gagner l’étage, il a peur que la Vicomtesse outragée ne l’expulse de sa chambre et ne se montre violente. Il s’imagine en chien battu, obligé de se sauver, sans résister.

Du coup, il revient sur ses pas et regarde encore le Vicomte assoupi. Jamais il n’aurait cru qu’il boive autant, il lui trouve une allure de prédateur dont le cou de taureau accentue la brutalité.

A force de tourner en rond dans la pièce, Moribord bute dans une chaise. Le bruit réveille le Vicomte qui s’étonne de voir le marchand à ses côtés. Il lui conseille de vite rejoindre Berthe, sa femme lui obéit, comme toutes les autres d’ailleurs. Toutes les femmes lui courent après et se prosternent à ses pieds. Il leur plaît, un point c’est tout. Pourtant, elles savent qu’il peut se montrer sévère et les punir, en les fouettant.

De toutes les façons, si Madame de Beauroyre refuse les avances de Moribord, il n’a qu’à se payer en emportant les fauteuils dorés qui valent plus chers que son cognac.

Moribord se décide à gagner l’étage mais il a compris que le vicomte torture sa femme. Il se dirige vers le bel escalier de pierre blanche, gravit les marches et frappe à la porte de la chambre.

Comme personne ne répond, il ouvre et découvre, avec stupéfaction, une pièce où tout scintille. Tout est blanc et doré et resplendit comme un soleil d’été.

Moribord cligne des yeux, tant il est ébloui par cette profusion d’or.

Il pleut sur le Périgord depuis des semaines et ce déluge semble vouloir s’éterniser. La Vézère déborde et menace tout ce qui se trouve sur son chemin. Les habitants tremblent à l’idée de perdre ce qu’ils possèdent et vivent dans la peur. La moisissure s’étale sur les murs comme une lèpre et son odeur fétide se répand, dans toutes le maisons.Les habitants n’en peuvent plus et finissent par se plaindre de tout : de l’orage, de la tempête et de Dieu qui ne fait rien pour eux. De plus, cette eau particulièrement froide glace les os.

Pour se réchauffer, il faut allumer du feu dans les cheminées. On se demande comment sera l’hiver? Lorsque la cheminée s’éteint parce que la dernière bûche a brûlé, on boit du vin. L’alcool chauffe les corps et procure un sentiment de bien-être. Puis on se couche sous de gros édredons de plume; les corps se rapprochent, s’étreignent, on s’aime. Le lendemain, il faut se lever pour aller travailler.

Dehors la pluie battante continue de frapper tout ce qu’elle croise. On a beau s’envelopper dans de grandes pèlerines, le froid humide paralyse peu à peu ceux qui sont dehors. Alors le travail devient une corvée, un supplice. Ce temps détestable, chacun le supporte comme une punition. Parfois, il faut savoir accepter la souffrance, et se dire que seul l’amour apportera l’apaisement.

Et les nobles de Montignac, que deviennent-ils ? Ils restent cachés dans leurs manoirs, protégés des intempéries par des murs épais, habitués depuis des siècles à résister à bien des assauts. De l’aube au crépuscule, un ciel qui hésite entre le noir et le gris recouvre Montignac et sa campagne. L’ombre règne partout et élimine peu à peu le moindre trait de lumière. Les habitants perdent la notion de temps et ne savent plus, si c’est le matin ou le soir.

Ils sont désorientés et pour oublier, ils s’entassent dans la boutique de Moribord qui ne désemplit pas. Accoudés au comptoir ou assis aux longues tables, ils boivent pour fuir la réalité. On consomme du vin, du bon car Moribord sait le choisir, chez lui, la piquette aigre et imbuvable n’existe pas ! L’odeur de vin envahit la pièce, elle se mélange à la transpiration, au tabac et ça pue! Les hommes n’en ont cure.

Ils s’attardent, discutent et rentrent chez eux où les attendent leurs femmes. Ils doivent respecter l’heure qu’elles leur imposent, celle du repas qui correspond au retour du travail. Bientôt dans la boutique de Moribord pleine à craquer, éclate une vilaine affaire.

Ce jour-là, il fait très froid et il pleut à torrent. L’eau s’infiltre partout et rien ni personne n’y échappe. Cérannes, le boucher, entre chez le marchand de vin. Il s’arrête au comptoir et passe sa commande tout en y glissant une allusion au Vicomte.

« Peux-tu me vendre un pichet de ta meilleure barrique de Bordeaux, à moins que monsieur le Vicomte, n’ait tout avalé. A Montignac, notre existence serait tranquille, si ce monstre n’existait pas. «

Tous les autres se mettent à rire et ils imaginent, avec un certain plaisir, la disparition de ce sale bonhomme.

C’est alors que Vervères, le marchand de biens s’approche du boucher, le tire par sa veste, lui caresse le menton et le félicite pour sa bonne mine. Cérannes n’apprécie pas du tout, il le repousse et s’insurge: « J’en ai assez de ce type. Depuis des années, il me mène en bateau et me ment en permanence. Si dans mon enfance, on ne m’avait pas appris à respecter les nobles, il y a longtemps que je l’aurais saigné, comme un vulgaire cochon. «

Une nouvelle fois, les hommes éclatent de rire. Cérannes poursuit sa diatribe contre Albert de Beauroyre:

« Il me doit une fortune. Il exige toujours ce qu’il y a de meilleur et moi comme un imbécile, je lui ai toujours fourni ce qu’il commandait.

De l’oie bien grasse, du veau blanc et tendre, du filet de bœuf, du gigot d’agneau, en bref que des bons morceaux qu’il ne m’a jamais payés. Vervères, tu aurais pu me prévenir que ce satané nobliau, n’avait plus un sou. Toi, tu savais que depuis des années, il vendait ses terres. Alors pourquoi, tu n’as rien dit ? «

Le marchand de biens hausse les épaules, les autres le bousculent et le tailleur intervient:

« Oui, Vervères tu nous a trompé. Ce Vicomte nous nargue, il joue de son prestige pour nous impressionner. Et nous, on se laisse manipuler ! Il nous demande de ramper devant lui et on s’exécute aussitôt. On s’incline devant cet orgueilleux, et on lui obéit parce-qu’il est châtelain

et qu’il porte une particule! Du coup on lui livre nos produits et en contrepartie, on ne reçoit même pas un centime. «

Puis le jardinier prend la parole: « Cet homme me commande de superbes bouquets et cet escroc sait qu’il ne me les paiera jamais. Monsieur le Vicomte ne manque pas d’audace, il se croit tout permis.«

Et le jardinier de Montignac continue:

« Le pire c’est que je ne sais pas lui dire non! Il arrive comme un roi descendu de la plus haute tour de son palais, fier comme un paon et il me donne des ordres, me considère comme un inférieur et par dessus le marché, il me prend pour un imbécile. Je crois que nous avons oublié la révolution et que nous repartons en arrière, comme si rien ne s’était passé. Il faudra un jour renouer avec les grands principes de 1789. Monsieur de Beauroyre ignore que tous les hommes sont égaux et il nous le prouve, en nous méprisant. Je ne suis pas un oracle mais je suis persuadé qu’un jour ou l’autre, il y aura un retour de bâton. «

C’est alors qu’intervient le propriétaire de l‘auberge de la Clef d’Or:

« Chez moi, il vient avec des amis, ils consomment tous gratuitement et jamais le Vicomte ne propose de régler la note.

Une fois, je lui ai réclamé l’argent qu’il me doit, il s’est fâché et il m’a menacé des pires châtiments. Alors, je me suis tu car il me fait peur et je redoute sa violence. Quand il débarque chez moi, il dirige mon personnel, comme si mon affaire lui appartenait.

Que fait ce Vicomte pour les autres ? Rien, car il sait prendre mais il ne sait pas donner. Il ne nous protège plus, il n’aide ni les pauvres, ni les faibles, ni les malades, par contre, il se sert de nous et exploite notre lâcheté. Il mange, il boit comme un trou, il fait la noce, pendant que nous travaillons et on ne sait pas comment se faire payer, c’est un comble! Cet individu est infect, malhonnête et nous continuons à lui faire des courbettes, c’est le monde à l’envers. «

Ils boivent et boivent encore, il fait tellement froid. Moribord surnommé Le Maigre, tourne en rond dans sa boutique. Il regarde les verres se vider et attend pour proposer de les remplir, ce n’est pas bon signe.Il a bien changé depuis que son histoire avec Berthe, n’est plus un secret.

Marguerite voit pour la première fois l’âme de Fleurac

Marguerite s’émerveille quand la vision du village de Montignac s’estompe. Elle est de retour dans la chambre de Berthe de Beauroyre, voit le baldaquin tout en soie qui couronne le grand lit blanc. Donc c’était ici …

Pourquoi de telles histoires ? Où est cette Berthe ?

Sa peur grandit, car soudain la grosse femme, Berthe se tient si près d’elle, que Marguerite pourrait la toucher. Elle a le visage boursouflé par les larmes, les cheveux sales et emmêlés, les vêtements déchirés et en plus, c’est horrible, elle parle ! Un esprit qui parle comme un vivant ? Marguerite stupéfaite l’entend lui ordonner :

« Donne-moi une bouteille de Sauternes, donne-moi un verre, laisse-moi être toi, je m’introduis en toi, je te guide, je sais où il y a de délicieuses bouteilles dans la cave.

Bois, parce que je bois en toi. Comment me supporterais – je suis dans le royaume des morts sans une goutte de vin? Je suis toute seule dans cette pièce détestable, avec mes meubles pour uniques compagnons.

Ah! Combien de temps vais-je demeurer là! Je ne peux pas me glisser dans un autre royaume, parce que l’horreur est ancrée en moi et que je ne parviens pas à m‘en défaire. L’épouvante me saisit devant cet homme, le Vicomte, qui a massacré ma vie, abîmé mon enfant et dilapidé toute ma fortune. Une onde de choc me submerge, lorsque l’image de tous les gars qu’il m’envoyait me revient. Leurs corps empestaient et cette odeur infecte me poursuit encore. Tu n’imagines pas ce que …»

Marguerite lève la main droite :« Tenez Berthe », dit-elle durement, car elle sent que ce fantôme ne veut pas mourir et qu’il souhaite se glisser en elle. Ou-a-t-il toujours été en elle ? Endormi dans son inconscient ? Réveillé maintenant ? Quoi qu’il en soit, elle ne peut pas revivre la vie de Berthe, elle doit lui faire comprendre que son temps est passé. Mais comment l’aider? Que peut-elle faire, afin que cette créature en finisse avec son voyage sans fin et qu‘elle cesse de nuire à ce qu’elle touche, la terre, l’eau, l’air, tout simplement parce qu’elle veut retrouver un corps, et des sens qui l’ont abandonnée depuis si longtemps.

Un nouveau fantôme arrive. Berthe lui tourne aussitôt le dos, elle ne désire pas le voir. C’est Louise, Louise de Beauroyre, mince, petite, avec un gros nez et des cheveux fins. Louise, enfant de Berthe, Louise s’approche.

« Pourquoi veux-tu partir ?» demande Marguerite à Berthe, « c’est pourtant ta propre fille. »

Berthe ne répond pas, elle s’enfuit et Marguerite craint de ne pas parvenir à la retenir. Mais Marguerite fait quelques pas et l’arrête brutalement. Elle semble hésiter un instant puis appelle Berthe. Dans le ton de sa voix, percent la malveillance et la colère.

« Pourquoi ne veux-tu pas rester à mes côtés ? Tu n’as pas envie de m’héberger et de me donner ton corps comme nouveau logis ? Suis-moi, je vais te fournir une portion d’homme et tu découvriras ce que sont les sens. Ecoute-moi, tu peux sentir, goûter et pour clore cette réjouissance, nous partagerons un flacon de Sauternes. Qu’en dis-tu ? »

A travers ce discours, Marguerite sent que Berthe a mauvaise conscience. Elle s‘est rendue coupable d’une faute grave. Quelque chose ne va pas entre elle et sa descendante. Elle a dû manquer à ses devoirs de mère. C’est pour cette raison qu’elle se trouve dans le château, condamnée à l’état de fantôme. Elle réfléchit à tout ça, mais brusquement elle est prise de malaise. Sa tête tourne, elle est proche de la syncope. Une douleur violente s’installe. Elle part de sa hanche droite et s’étend jusqu’à sa poitrine. Elle a le sentiment d’être paralysée et souffre en plus, d’une soif terrible. Peu à peu son état s’améliore, elle retrouve ses esprits et pense de plus en plus que Berthe porte certainement, une tache #morale indélébile.

Marguerite connaît bien les fantômes et ne veut pas s’attarder auprès d’elle. Marguerite craint que cette femme morte, depuis des lustres, la domine et s’empare d’elle comme d’un jouet et en fasse sa marionnette. Mais elle dépasse son angoisse et toutes ses réticences, pour lui expliquer qu’elle est venue pour la sauver. Louise s’approche, se mouche le nez en reniflant très fort. Elle se tient debout très droite, très raide et pourtant elle semble pleine de douceur. Elle prend Marguerite par la main et l’emmène silencieusement, dans une autre pièce.

C’est apparemment un salon, Marguerite y découvre un canapé noir et rouge recouvert d’un tissu fleuri et une armoire japonaise. Louise ressemble à un automate mais au-delà se cette apparence, elle dégage une impression de force inattendue.

Elle paraît tellement tourmentée, tout en elle a dû souffrir et son pouvoir s’est vraisemblablement brisé d’une façon très étrange. Que lui a t-on fait? Berthe cherche encore à partir et refuse de regarder Louise mais Marguerite s’interpose. Aucun mot n’est échangé mais un combat commence, il oppose Marguerite Berthe. Leurs regards se concentrent sur Louise. Elles la dévisagent et Berthe se souvient qu’au pays, on l’appelait: La Louise.

Pendant que leurs regards se posent sur cette fille, de la musique entre dans la pièce d’une manière tellement inhabituelle, que toutes les trois prennent peur.

Il y a d’abord un chant cristallin et le scintillement de tout ce verre si fin, si pur puis le son d’une robe blanche taillée dans un épais brocart, dont le bas émet des craquements, en effleurant le parquet. Marguerite, Berthe et Louise stupéfaites voient un enfant qu’elles ne connaissent pas.

Il porte une précieuse robe de brocart, mais est-ce un enfant? A première vue, la réponse est non. Marguerite, Berthe et Louise sont à la fois surprises et émerveillées car il a conservé une forme enfantine, alors qu’il est vieux, très vieux. Devant cette créature étrangement déformée, à la tête auréolée de boucles blondes et légères, un homme est agenouillé.

Dans l’infinie luminosité de l’espace, Marguerite voit clairement dans son cerveau. Elle y distingue des ulcères, des nœuds, qui détournent les impulsions qui ne lui sont pas destinées. Elle comprend qu’il s’agit d’un esprit limité et d’une âme noire. L’enfant défiguré reste muet.

La lumière si vive tout à l’heure commence à pâlir, car l’homme à genoux ne produit que du noir. De grands personnages font irruption dans la pièce. Comment sont-ils entrés ? Le cœur de Marguerite accélère, elle a une envie folle de les rejoindre, de voler jusqu'à eux, elle les connaît tous ! En dépit de tous ses efforts, elle reste bloquée, collée au plancher, mais s’écrie :

« Vous que j’ai perdus, dites-moi qui est cet enfant défiguré ? «

Tous ces sons lui sont familiers, elle a l’impression d’une ruche en train de bourdonner. Des énergies se manifestent et se répondent, cet endroit aurait-il une âme? Marguerite réfléchit rapidement car elle a envie d’offrir une réponse à sa question.

« Mais qu’est-ce que l’âme ? La terre, ce lieu possèdent peut- être une âme ? Si l’on considère que l’âme est un souffle, un principe vital qui anime tout être vivant, humain, animal ou végétal, alors beaucoup de corps différents de celui des humains, renferment aussi une âme. Elle en conclut que les pierres qui composent ce château, ont une âme. «

Mais une fois encore, elle se sent mal, elle touche son visage, il lui paraît couvert de bosses. Elle veut bouger mais il lui est impossible d’avancer, ses pieds refusent de faire le moindre pas. Que lui arrive-il ? Pourquoi doit-elle subir autant de tourments ? Les grands et si beaux personnages se rapprochent de plus en plus. Eux aussi, regardent l’enfant qui apparaît bien triste, bien sérieux.

Brusquement, une sonnerie stridente inonde la pièce d’un bruit aigu et infernal. C’est le moment de partir disent les grands personnages, en plus la lumière faiblit, c’est le signal du départ. C’est le moment que l’enfant choisit, pour se retourner vers ceux qui parlent. Il les écoute attentivement et il les entend prononcer cette phrase :

« Tu dois lui pardonner, tu dois le faire, sinon tu resteras dans l’obscurité et il en sera de même pour tout le Périgord. » Alors, le lèvres de l’enfant se ferment. L’éclat du verre disparaît comme par enchantement, la magnifique robe de brocart se déchire et la lumière si brillante s’envole vers d’autres cieux. L’homme qui se prosternait devant l’enfant, se confond pratiquement avec le parquet, il est tellement penché qu’il va tomber, pense Marguerite.

Elle ouvre et ferme les yeux pour mieux saisir ce tableau irréel mais avant qu’elle ne comprenne, l’homme se dématérialise devant elle.Une phrase lui parvient distinctement:

« Tu seras racheté, alors pardonne lui. » L’enfant secoue la tête et se met à crier:

« Non, je ne peux pas. Je ne peux pas lui pardonner ! «

Ce refus, il le répète à plusieurs reprises et sa voix se fait de plus en plus forte. Puis le calme revient et le silence règne de nouveau. Ces scènes auxquelles elle vient d’assister, l’ont terriblement fatiguée. Dans sa tête, elle repasse le scénario invraisemblable qui vient de se dérouler sous ses yeux ébahis: trois fantômes, un enfant sans âge, un homme au comportement plus qu’étrange et ces personnages qu’elle a crus reconnaître.

Tous ces mystères l’affolent, ils l‘attirent vers un autre monde et elle se demande avec angoisse, jusqu‘où l’entraîneront-ils? Il n’y avait plus un seul bruit mais tout d’un coup, des pas lourds accompagnés d‘un claquement de talon très sec, résonnent. Marguerite est terrorisée et la silhouette qu’elle aperçoit, n’est pas faite pour la rassurer.

En effet, c’est celle de l’homme qui s’est évaporée sous ses yeux. Il a retrouvé son enveloppe humaine et promène son regard noir sur tout ce qui l’entoure. Brutalement face à lui, se dresse une pierre sortie de nulle part.

Elle tourbillonne, avance, recule et sa force et sa puissance cherchent à refouler cet individu sorti des ténèbres. Cependant, l’homme se défend et il parvient à bloquer cet ennemi minéral qui

désire le punir de son avidité. Désormais, il n’y a plus de lumière, l’obscurité règne partout.

Et sous le regard de Marguerite, l’homme agenouillé aux pieds de l’enfant qu’elle croyait humble, affiche le visage de la haine. La robe de brocart brille encore et Marguerite entend les voix du ciel, qui s’éloignent comme le vent qui s’en va :« Il faut lui pardonner. »

Mais cette fois, l’enfant ne répond pas. L’homme au regard rempli de cupidité se tient près de l’enfant. Il touche la robe de brocart et tire sur une manche pour la faire glisser et s’en emparer. Les bras arrondis de l’enfant sont prêts à laisser s’échapper sa riche tenue. Marguerite dans un sursaut, lui intime l’ordre de cramponner le tissu avec ses mains :

« Tiens le crie-t-elle, accroche tes doigts au brocart et serre le bien, il faut que tu conserves ta robe. »

L’image s’est fanée. C’est trop pour moi, pense Marguerite. Ce château rempli de fantômes, de Dieux et ces âmes défigurées qui s’y baladent, je ne comprends pas ce que je fais au milieu de ce tableau totalement délirant.

Je dois les racheter, oui mais comment ? Toutes ces questions sans réponses me donnent le vertige. Je sens que je deviens folle ! Mais tant pis, je dois rester, C’est un devoir. Mais il va me falloir dépasser, la terreur et l’horreur que m’inspirent ces phénomènes irrationnels.

Elle respire profondément et après sa longue réflexion, elle retrouve un peu de sérénité. Mais Berthe vient aussitôt troubler ce petit moment de quiétude. Sa voix remplit la tête de Marguerite, elle veut du vin, s’agite comme une forcenée, elle a soif et ne veut pas attendre davantage.

Marguerite furieuse réalise que Berthe s’est réfugiée dans son corps. Alors, Marguerite lui ordonne de se taire et de sortir, puis elle ajoute qu’elle est la maîtresse et que maintenant, c’est elle qui dirige.

Effrayée Berthe se tait. A la fenêtre, elle entend Louise se moucher, une fois de plus. Marguerite se tient à côté de Louise, regarde audelà des collines, tellement caractéristiques du Périgord.

Sur la route des Eyzies, elle distingue la silhouette harmonieuse d’une demoiselle qui chante et porte une robe ancienne, un modèle d’autrefois. C’est la première fois que le fantôme de Louise parle:

« C’est ma mère, Berthe de Veaux, c’est Berthe. »

De nouveau, les aiguilles du temps tournent. Le soleil d’automne rayonne et passe à travers de hautes fenêtres. Il a encore suffisamment de vigueur, pour réchauffer les cœurs et inviter Marguerite à ouvrir les yeux et à se réveiller.

La mémoire revient doucement, prête à pousser les portes d’un douloureux passé.

Marguerite et les fantômes : Berthe

Berthe chante, esquisse des pas de danse, se met à valser, rêve de s’envoler et de flotter au-dessus de l’horizon.

Pourrait-elle être plus heureuse? Elle est belle et riche et ses parents l’aiment. Son père l’adore et il veut pour elle un très beau mariage. Lui n’est qu‘un bourgeois parvenu dont le nom de Veaux, ne comporte pas de titre. Il veut que son enfant unique entre dans la grande la noblesse, qu’elle devienne Marquise ou Comtesse ! Cette ascension scellerait définitivement sa réussite financière.

Il reçoit la demande en mariage du Vicomte de Beauroyre pour sa fille, au bon moment, mais il est déjà contrarié car le titre magnifique de son futur gendre, est terni par le manque d’argent de cette famille. Pourtant, qui pourrait paraître plus noble que le Vicomte, toujours souriant, élégant, sublime. Même lorsqu‘il montre ses chaussettes de soie fine, en les remontant sur ses jambes courtes, même lorsqu‘il sirote un verre de Pinot et qu’il mentionne que c’est une simple boisson paysanne, il conserve une distinction extraordinaire. Ensuite, il ajoute qu’il vient de se régaler, avoue que ce vin a très bon goût et qu’il le trouve vraiment très bon, oui très bon. Mais, lui possède un muscadet exquis et noble dans son placard. En tout cas, le Vicomte a fière allure, mais pourquoi est-il si pauvre?

Depuis que les négociations de mariage ont commencé, le vieux de Veaux n’a plus envie de boire du Pinot. Son futur gendre n’a même pas de profession, il n’a jamais travaillé de sa vie. Cela le contrarie un peu plus chaque jour, et il se demande pourquoi lui, de Veaux, devrait financer le Château de Fleurac que ces nobles ne peuvent plus entretenir et qu’ils ne sont même pas sûrs de conserver. Trop de dettes accumulées et quand il faudra les payer, ils descendront tous de leur piédestal ! L’orgueil par excellence.

De Veaux se souvient de la première fois où il s’est rendu au château. C’est la mère brune et mince, qui l’avait accueilli dans une salle garnie de meubles superbes ; il n’avait jamais rien vu de semblable, au cours de sa longue vie.

La dame vêtue de soie brune, ne lui avait que peu parlé. Pauvre de

Veaux, ses vêtements démodés faisaient de lui un paysan, sans allure, et ses bottes laissaient supposer qu’il sortait des champs. La dame froide et hautaine, le regardait comme s’il était venu pour vendre des articles de pacotille. Elle le prenait pour un de ces marchands ambulants qui courent les routes du Périgord, en toutes saisons. De Veaux se sentait méprisé, alors qu’il venait offrir sa fille adorée, ce qu’il avait de plus cher au monde, au fils de la châtelaine. Mais ce projet n’intéressait pas Madame de Beauroyre.

Elle se moquait de ce futur mariage et encore plus de celle qui allait épouser son fils. Il voulait juste de l’argent. Par contre, elle savait que son fils avait besoin d’argent. Sa cupidité surpassait celle de ses propres parents. Mais comme elle n’avait rien de commun avec ce type en bottes qui traînait dans son salon, elle ne trouvait rien à lui dire. Ce de Veaux n’était qu’un campagnard et elle n’avait aucune envie de supporter sa compagnie mais il le fallait, c’est lui qui était riche. Elle songeait à son fils paresseux qui refusait de travailler, et qui dépensait le peu d’argent qui leur restait.

Elle devait accueillir cet abruti de son mieux, en se faisant aimable, n’admettait pas que cet homme possède une immense fortune, elle ressentait une énorme injustice et la jalousie s’insinuait peu à peu en elle. Quand elle observait ce de Veaux, elle se demandait comment il avait réussi à accumuler autant de biens, alors qu‘elle courait à la ruine.

Elle était assise là, face à ce bonhomme, pour un enfant qu’elle avait mis au monde, mais dont elle ne tolérait plus les agissements.