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Un dossier compromettant refait surface après la vente d'une propriété sur les hauteurs de Lyon...
Gonzague de Villemarchand, alias le « Major Thompson », vient d’acquérir une maison de maître « Les Florets » sur les hauteurs de Lyon. Il fait une étrange découverte dans une des caves de ses dépendances ; un dossier compromettant pour l’industriel qui vient de lui vendre cette demeure… Sa conscience interpellée, il s’en ouvre à ses amis : Eleftherios de Corfou, professeur de médecine, Marius Beljean, gérant d’une société artisanale et Maurice Béguin, artiste peintre et retraité.
Chaque année, au mois de juin, depuis dix ans, accompagnés de leurs épouses, tous se réunissent plusieurs jours chez Marius et Léna Beljean en Provence, dans un lieu paradisiaque, qui abrite la « Bastide Rouge » sous l’ombre protectrice de Chronos, chêne géant et séculaire… Ils viennent là pour lâcher prise, et s’affranchir des adversités de la vie le temps des vacances… La magnificence de la nature au mois de juin, la musique, la médecine, le suspens se mêlent à des fresques de vie et donnent naissance à un polar inattendu et surprenant…
La conscience de Gonzague de Villemarchand est tiraillée. Lorsqu'il se confie à ses amis pendant les vacances, le repos tant attendu fait vite place à un polar aux multiples rebondissements !
EXTRAIT
Gonzague parlait sans condescendance, mais avec la sincérité décalée de ces personnages appartenant encore à un autre monde…
S’étonnant d’un tel courrier, Emma reprit :
— Que de mystères cet homme entretient ! Et puis t’adresser un courrier postal, n’est-ce pas curieux ? Il ne peut pas t’envoyer un texto comme tout le monde maintenant !
— Non, vois-tu, il appartient comme moi à ces gens sûrement un peu rétrogrades, j’en conviens, mais qui préfèrent écrire avec de l’encre et une feuille de papier, pesant chaque mot, chaque phrase, leur donnant leur véritable sens, et ce, sans aucune faute d’orthographe et de grammaire… Et il est vrai, ma chérie, sans vouloir te faire offense, que la grammaire et l’orthographe sont pour toi des valeurs étrangères…
— Pour en revenir à ce monsieur Peltain, je l’ai rencontré lors de ma première visite des « Florets ». Pour pouvoir répondre à mes questions, l’agent immobilier, à la demande de mon vendeur, le Dr Offsherman, était accompagné de cet homme. Détenteur des secrets de cette demeure, de ses jardins, et ses belles annexes, il a régné sur ce paradis en ville pendant plus de quarante ans, faisant certainement partie de la garde prétorienne de la famille Offsherman…
Il m’a fait découvrir la maison, les jardins, avec force détails et précisions historiques et culturelles, dignes d’un conservateur de musée !
Cet homme est remarquablement instruit en littérature et histoire de l’art. Je le soupçonne d’être versé aussi en sciences, ce qui ne serait pas étonnant, vu l’entretien, que nous aurons demain…
— Pour changer de sujet, dit Emma un peu irritée, voici le retour du marché qui s’annonce, j’entends la voiture.
L’assistance se gaussait déjà et pariait sur les commentaires et divers comptes-rendus qui très souvent marquèrent leurs annales. Cette fois-là, ce fut une perle que Maurice offrit… Chargé par Léna, de récupérer des gigots d’agneau commandés la veille dans une boucherie sur la route de leurs emplettes, il ne manqua pas de faire part de son point de vue sur la qualité de la bouchère :
— Voyez-vous les amis, même parée à l’ail, comme ses gigots, de cette bouchère je n’en voudrais pour rien au monde !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une carrière de trente ans dans l’industrie pharmaceutique,
Hélène Martinot livre ici son premier roman. Elle nous convie à un voyage poétique entre la Provence de Barjavel et de Giono, et au fil de ses lignes dans une intrigue policière haletante.
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Hélène Martinot
Chronos ou c'est dans les détails que se cache le diable
Roman
© Lys Bleu Éditions – Hélène Martinot
ISBN : 978-2-85113-825-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
C’est souvent à la fin de l’hiver, quand la nature se presse à vouloir rentrer dans le printemps, que le vent du sud chaud et puissant balaie la Provence en rafales et tourbillons.
Entre ces deux saisons, son souffle profond joue dans les collines, erre dans les champs et les bosquets, comme pour les réchauffer et les réanimer, après le froid qui les a engourdis. Les hautes herbes, les basses branches et les arbustes luttent contre ce vagabond avec la grâce de gymnastes en équilibre sur leurs tapis de sol.
Depuis le sommet du talus, dominant l’entrée du chemin qui conduit à la bastide rouge, inquiète, la chienne Mirza, regarde s’agiter la campagne et interroge de son œil vif son vieux congénère Tibalt…
— Nous passerons la journée à l’abri au garage, dans notre panier…
Le vieux chien, d’un bâillement généreux, acquiesce à cette complicité animale sous l’anthropomorphique et attendri regard de Léna, leur maîtresse, adossée les bras croisés, à un des deux immenses troncs de Chronos. Chronos, chêne géant et séculaire a tout vu, tout entendu, tout abrité et sûrement aussi tout protégé…
Lui, ce matin ne bouge pas. À peine livre-t-il l’extrémité de ses immenses bras à la fougue du vent, acceptant de lui donner à casser comme pour le satisfaire, ses seules quelques branches sèches, qui en tombant l’aident à se renouveler. Le grand maître n’a pas encore donné le signal du printemps, rien ne point au bout de ses mains. Il faudra attendre la caresse des soleils printaniers pour que naissent les premières frondaisons tant espérées.
Léna et Marius attendaient pour les deux semaines reliant l’Ascension à la Pentecôte, la venue de leurs amis lyonnais et parisiens. Depuis quelques années déjà, il était de coutume de partager des journées de détente à l’abri des bruits de la ville, dans la douceur de la pinède encore épargnée par les fournaises de l’été, mais juste réchauffée aux soleils de la fin du printemps. Exhalant les odeurs des bois et des prés, dans des subtilités de fragrances fines et suaves, la Provence est à cette période de l’année dans toute sa magnificence.
Installés sous l’ombre du grand Maître, Léna et Marius patientaient tranquilles, heureux de cette attente.
Au bout du chemin, la « Morgan », vieille automobile anglaise et racée d’Emma et Gonzague s’annonça. L’élégance du vert bouteille de sa rutilante carrosserie apparut au milieu de la bande de velours rouge, que décrivaient les coquelicots semés là par les hasards des vents. Les genêts se mêlaient à eux dans une palette blonde illuminée et éclatant à la lumière du soleil.
La voiture ralentit progressivement. Les deux amoureux savouraient le moment de l’arrivée et le bonheur des vacances débutantes. La voix cristalline d’Emma s’échappa par la fenêtre :
— Hello, les amis ! Trois heures de bouchon, mais quelle joie d’être là !
La Morgan, conduite par le « Major Thompson », le très chic et élégant Gonzague, nommé ainsi pour ses cachemires trois fils, ses chemises et cravates de soie, et sa prédilection pour le sport cynégétique, alla se garer sous l’abri réservé aux automobiles de sa condition… Gonzague n’avait pas seulement une prestance physique, il possédait aussi l ’élégance du cœur, très étendue diraient d’aucuns…. D’un geste assuré et altier, il sortit de sa voiture, précédé par son Emma légère et toujours souriante, même face à l’adversité…
Les embrassades à peine échangées furent tout de suite suivies par l’arrivée de la voiture des autres amis lyonnais, conduite par le « Professeur Eleftherios de Corfou », à côté duquel sa belle et blonde épouse, Blandine, exerçait une surveillance sans relâche sur les mèches de cheveux de son mari de Professeur, qu’elle trouvait toujours en pétard selon ses dires !
Débarrassée de son quant–à–soi lyonnais, Blandine se libérait de la tension des exigences de sa vie professionnelle et affichait son bonheur d’être là.
— Mes amis, enfin nous sommes arrivés ! Nous rêvons de cette semaine avec vous depuis le début de l’année, quel bien cela va nous faire !
Elefther, ravi lui aussi de laisser derrière pour quelque temps, les contraintes de son métier, s’empressa d’acquiescer aux paroles de son épouse. D’origine grecque, à n’en pas douter…, ses amis l’appelaient « Elefther », pour faire plus court.
Professeur de médecine et physiologiste, inventeur génial rêvant du Nobel, Elefther avait toujours l’œil sceptique et étonné du scientifique, même quand les alcools des Côtes du Rhône, excitaient en fin de soirée ses neurones bien gras… Ici et maintenant, il venait lui aussi lâcher prise.
Leur labrador noir, étendu à l’arrière de la voiture, n’avait pas son pareil pour s’en extraire à la vitesse de l’éclair, aller satisfaire ses besoins naturels, puis sauter ensuite dans la piscine. Le sphinx des lieux, le chat Rourou, toujours sur ses gardes à la vue de l’intrus, retrouvait son perchoir situé sur l’une des plus hautes branches de Chronos, afin d’analyser le danger de la situation dans un repli stratégique.
Mirza et Tibalt ne tardaient pas eux aussi à s’insurger, mais les présentations faites, la diplomatie et le bon sens canin et félin, sûrement mieux répartis que dans le genre humain, prenaient le pas sur ces querelles animales. Ainsi, même cette gent passait ensemble un séjour des plus délicieux !
La fin de l’après-midi accueillit Jeanne et Maurice, les
« Parigots » perpétuellement en conflit, mais inséparables ! Maurice le peintre, amusa longtemps les vacances par ses bons mots, ses galéjades acides et cyniques, jamais vulgaires, mais désenchanta souvent celles de son épouse. Ses observations acérées mettaient parfois mal à l’aise, cependant, ô combien faisaient-elles rire !
L’attachement réciproque de ces deux – là, se nourrissant de querelles, de retrouvailles, dans une complicité intellectuelle étonnante, faisait penser à ces héros de roman, qui ne sachant se passer l’un de l’autre, sont cependant incapables de vivre ensemble sans se déchirer, reliés malgré tout par une mystérieuse alchimie…
Souvent, lors du séjour venaient se greffer les fidèles marseillais, avec lesquels le monde se refaisait dans le partage de soirées mémorables…
Tous, se retrouvaient comme si la veille seulement les avait séparés. Durant l’automne et l’hiver, leurs obligations professionnelles respectives les accaparaient ; ils attendaient ces moments avec l’impatience des enfants, la semaine précédant la sortie des classes annonçant les grandes vacances.
Ces vacances étaient bien plus que l’occasion de retrouvailles. Elles transformaient la vie pour un temps, en parenthèses légères d’amitié partagée. C’était une suspension en dehors du monde, une harmonie avec la nature, un hymne aux rires, à l’humour, à la danse et la musique, à la paresse, à la bonne chère, aux bons vins, enfin à la vie. C’était un bain d’insouciance à l’âge de la maturité, un bain à l’émollient de la fraternité.
Ce jour-là, l’arrivée d’Emma et Gonzague ne se e déroula pas comme à l’habitude. Gonzague trahissait une inquiétude inaccoutumée et l’œil de Marius s’aperçut de son trouble… Ces deux, très complices, n’avaient nul besoin de parler pour se comprendre.
Sans plus attendre et à l’écart, Marius questionna Gonzague sur la tempête qui semblait s’agiter sous son crâne…
— C’est ennuyeux, mon cher Marius… Je suis embarrassé par un problème de conscience…
— Mais, que me dis-tu là ?
— Tu sais que j’ai acheté il y a un mois une maison de maître à Lyon, « Les Florets ». Cette demeure appartenait à un industriel de la pharmacie. Dans les années cinquante, il fit construire son siège social, toujours existant, sur une partie du terrain où se trouve le bien que je viens d’acquérir.
Attenantes au mur d’enceinte, séparant ma propriété de cette entreprise, s’élèvent de charmantes dépendances. Elles étaient autrefois les habitations des gardiens des lieux, enfin, des gens de maison ! Ces communs désormais sont à moi. Je projette de les réhabiliter en chambres secondaires, salons de lecture, et de billards pour accueillir les amis. Mais là, n’est pas l’objet de mon propos, il s’agit de bien autre chose.
Ainsi hier matin, venu revoir les lieux et descendant dans la cave d’une de ces deux annexes, je fis une découverte bien singulière, pour le moins troublante…
Dans cette pièce voûtée et humide, à peine éclairée, j’aperçus derrière les escaliers de pierre, deux larges caisses de bois en partie recouvertes de sombres toiles de jute, elles-mêmes surmontées de casiers rouillés, à l’intérieur desquels avaient dû voisiner les meilleures bouteilles de la région lyonnaise. Je pensai, doux rêveur, découvrir là, quelques nectars subtils, oubliés par les maîtres de céans, et me plonger dans le romantisme de la mémoire d’un monde, où les règles de l’art de recevoir, n’étaient pas une simple vue de l’esprit…
Débarrassant ces boîtes de Pandore, de ce qui encombrait leur ouverture, sans résistance, leur contenu s’offrit à moi. Pêle-mêle, s’entassaient dans ces caisses marquées par le temps et recouvertes d’une fine pellicule de moisissure, des crayons de papier, des blocs-notes, des stylos-feutres et « bic » perdant leur encre, des rouleaux de scotch collés entre eux et autres articles de papeterie. Puis, des feuilles vierges à l’entête de
« Kremser Science », nom du laboratoire de mon vendeur, glissèrent d’une pochette d’épais papiers Kraft marron. Mes rêves s’arrêtèrent aussitôt, déçu de cette découverte sans aucun intérêt. Je m’apprêtai donc à refermer la caisse, lorsqu’au fond, une chemise cartonnée très robuste et sanglée d’un ruban rouge attira mon œil… Je la saisis intrigué, une curiosité inexpliquée me poussa à l’ouvrir. Ce fut difficile, tant le lien était serré ; mais mon couteau suisse en vint à bout. Et là, m’attardant à lire et à relire, comme aimanté, je compris que je venais de découvrir ce que j’aurais préféré ne jamais savoir !
Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, à l’écoute de Gonzague, Marius ne put dissimuler sa stupéfaction exprimée par un « Ça alors ! », qui dans son vocabulaire provençal, traduit la marque suprême de la surprise et de l’étonnement.
En une minute, il devint le codétenteur d’un secret, qui pour le moins allait faire vaciller ses convictions et l’engager dans une aventure peu ordinaire au nom de l’amitié et de la solidarité. Très vite, il comprit l’importance des enjeux. Sans aucune hésitation il apporta son soutien sans faille à son ami. La fidélité et la confiance, sans lesquelles les relations sont artificielles, ont toujours été pour lui le socle le plus solide et le véritable ciment des amitiés durables. De cette confiance et fidélité, Marius personnage entier, allant jusqu’au bout, ne s’est jamais exonéré. Alors, la brève mais édifiante conversation, échangée en aparté, fut conclue par ces mots :
— Tu le sais bien, Gonzague, tu peux compter sur moi !
— Merci, mon cher ami, je connais la valeur de ton amitié, mais ne veux pas perturber ces vacances en si agréable compagnie ! Tout s’annonce sous de si beaux auspices !
— Gonzague, cesse les mondanités, au moins entre nous deux… Peut-être l’as-tu déjà fait, mais je crois qu’il faut en parler à Elefther, car versé en la matière, son point de vue est incontournable.
— Oui, dès demain je m’entretiendrai avec lui sur le sujet.
— Très bien, attendons. Demain, il fera jour !
Le Major Thompson opina du chef, qu’exceptionnellement il n’avait pas couvert et emboîta le pas au maître des lieux, rejoignant les amis déjà réunis au « Petit Café »…
Le « Petit Café » est le nom donné à l’abri provençal, jouxtant la piscine et joliment bâti en pierres et tuiles de la région. Un point de vue stratégique, s’offre à l’observateur attablé, permettant sans être vu, de voir tout ce qu’il se passe sous Chronos le grand chêne et devant la maison… Comme Chronos, le « Petit Café » lui aussi, protégea soirées, réunions et agapes entre amis, arrosées des meilleurs crus de cette région où Bacchus a dû naître…
Margot, cheville ouvrière de la cuisine, s’était affairée à en préparer le comptoir sur lequel rivalisaient tapenades, poivrons grillés, croûtons rôtis à l’huile d’olive parsemés de quelques truffes râpées, dont les miracles de la congélation permettaient d’en déguster hors saison les saveurs toujours intactes. Ce festival de couleurs et délices, accompagné par le traditionnel champagne de bienvenue, ouvrait les hostilités…
« À la santé, à l’amitié, à l’amour, à nos hôtes, à nous tous, nos femmes, nos chevaux, nos escaliers et à tous ceux qui… » était l’antienne du cercle…
À les observer tous ensemble, on comprenait aisément ce qui les reliait ; un certain art de vivre et surtout celui de saisir la réalité de la fragilité de la vie, que leur rappelaient au quotidien leurs expériences professionnelles. L’oncologie, nom savant et moins brutal à l’esprit que celui de cancérologie, est le domaine dans lequel évoluaient quelques uns de ces amis… À l’exception de Marius comptable, DRH, et homme à tout faire d’une petite entreprise fabricant des biscuits et autres spécialités provençales, de Gonzague, marchand de biens en région lyonnaise et de Maurice à la retraite d’une vie de concepteur d’espaces et « designer » comme disent les Anglais.
Elefther, le professeur, exerçant son art dans un centre hospitalier universitaire en physiologie pédiatrique et adulte, était aux premiers rangs des témoins quotidiens de la souffrance, lorsque la santé se dérobe pour laisser la place au désarroi.
Les filles, depuis des années au service de l’industrie pharmaceutique, tant malmenée trop peu de fois à tort…, côtoyaient la face du décor où l’exercice de l’information médicale ne souffre d’aucune approximation, d’aucun message erroné. Médiane de survie globale, taux de réponse aux traitements, effets secondaires indésirables… Tous ces mots animaient leur tête au quotidien… Attachées à ce métier, elles l’exerçaient avec unique et seul objectif, l’intérêt des patients, la rigueur, et l’honnêteté de ceux qui y durent. Alors ces retrouvailles, cette respiration, cette complicité dans ce lieu enchanteur, étaient les revanches nécessaires et salvatrices prises sur les adversités de la vie.
Le prix de la souffrance, les espoirs déçus, les pertes de chance, les injustices de la vie basculant et condamnée trop tôt, sans rien n’y pouvoir faire, tout cela participait à la nécessité de se blinder et de lutter face aux vents contraires.
Ce soir-là au couchant, le ciel s’habilla de rose et bleu, diffusant au travers des feuilles de Chronos une pluie de lumière irisée, s’infiltrant depuis sa canopée pour atteindre à ses pieds l’herbe encore verte et tendre de la fin du printemps… Puis le jour finissant, fleurs et feuilles se replièrent pour s’endormir le temps d’une nuit méritée et paisible. Douce et chaude, la caresse du soleil, à l’aube naissante, viendrait les réveiller. Dans ces lieux isolés, où la nuit se pare d’une activité animale intense, les oiseaux nocturnes dans des concerts à peine murmurés, se lancent des appels ponctués de longs sifflements s’invitant les uns et les autres à répondre. Leurs échos harmonieux traversent ainsi la nuit. Si Mozart devait s’en mêler, le sublime serait atteint.
Après plusieurs coupes de bulles, l’assemblée passa à table. Ce ne fut pas Mozart, mais Boby Lapointe, qui accompagna le dîner… Le ton était donné. L’annonce du programme des deux semaines à venir excita la curiosité…
L’arrivée prévue et pour quelques jours de leur Italienne préférée Victoria et de son fiancé Henri, qu’elle viendrait présenter enchanta l’assistance. Victoria, oncologue dans un centre hospitalier universitaire, aimait venir partager ces moments hors du temps et se vider la tête.
Maurice, tout émoustillé à l’idée de rencontrer cet Henri, encore inconnu, se fendit d’un de ses bons mots dont il détenait les secrets :
— Victoria, si elle a la devanture, elle a aussi le fonds de commerce… Alors l’Henri, il faudra qu’il assure et sache aussi entretenir la boutique…
Les fous rires ne se firent pas attendre ; les métaphores de Maurice agitèrent le groupe qui ne fut pas prêt à rejoindre les bras de Morphée, spéculant une grande partie de la nuit sur cet inconnu tant attendu ! Il serait inspecté, évalué et jugé… Aux lendemains, il réussit l’examen de passage et devint l’ami et la référence œnologique de la bande ! Pharmacien de profession et œnologue à ses heures, il leur permit de découvrir tout ce que la vigne peut donner de meilleur. Ses qualités de cuisinier et fin gourmet, ajoutées à cela, l’homme fut accepté dans le cercle, avec même, un satisfecit !
La nuit fut courte. Contrairement à ses habitudes, Gonzague se leva avant Emma, arborant de noires lunettes de soleil cachant des yeux bordés de reconnaissance et d’un indéniable manque de sommeil…
— Gonzague déjà debout ? articula Léna d’une voix encore tout engourdie.
Accoudée au comptoir du petit café, tasse d’arabica à la main, elle avala sa première gorgée sans laquelle, le matin, rien chez elle, ne peut se mettre en route… D’un geste amical, elle l’invita à prendre place autour de la table dressée pour le petit déjeuner. Léna observa la satisfaction de son cher ami à la vue de la tasse en fine porcelaine de Limoges qu’elle lui tendit… Se souvenant du jour où il lui dit « Ma chère Léna, si je devais boire mon thé matinal dans des tasses de faïence, mes sangs et mes humeurs en seraient retournés ! » Ainsi, devant une telle injonction, il n’était désormais plus possible d’offrir du thé au Major Thompson dans d’autres réceptacles… Et de fait, les petits déjeuners étaient servis pour tous dans de la porcelaine.
Gonzague s’installa et prit ses aises ; si son éducation ne le lui avait pas interdit, les ressorts réfrénés de son machisme aristocratique se seraient bien détendus pour aller réveiller Emma et lui demander de beurrer ses toasts… Emma lui était toute dévouée, telle une abeille butinant autour de lui, son amour par-ci, son amour par-là….
Elle avait besoin de cette relation, lui donnant l’impression de créer une dépendance de l’un envers l’autre pour toujours… Sans naïveté, elle se livrait à cet exercice de dévouement comme pour consolider des liens que la vie pourrait rompre sans préavis. Intuition prémonitoire, ou soumission exercée par une passion qui l’asservissait ? Certainement l’un et l’autre ! Et le gentleman, dans son confort bourgeois et assumé, abusait avec amour de la sollicitude de sa bien-aimée.
Ce matin-là, inhabituellement, il prit son petit déjeuner sans Emma sous le regard étonné de Léna qui voyait dans cette évolution de mœurs matinales, la seule raison d’une nuit agitée… Mais en fait, il attendait Marius, tôt levé d’ordinaire. Cependant, dans la nonchalance des premiers matins de vacances, Marius traîna au lit et arriva à la table une bonne demi-heure après.
Il but rapidement son café et partit discuter avec Gonzague de la stratégie à mettre en place pour tenter de régler au mieux l’affaire.
Elefther était déjà là, Blandine à ses côtés, coiffée, parée et parfumée, faisant contraste avec la décontraction de son époux, dont l’objectif du jour était de construire un cerf-volant, afin d’évaluer la résistance à l’avancement que pourraient exercer la matière et la trame de sa toile, sur les courants aériens ! Le tout, quantifiable sur une échelle de vitesse, interprétable et compréhensible de lui seul… Travaillant sur la rhéologie, science des flux et précisément des flux sanguins, il souhaitait établir un parallèle aérien et obtenir une preuve de concept supplémentaire, selon laquelle, l’athérome (plaques de cholestérol déposées sur les parois des vaisseaux), et les perturbations du flux vasculaire déjà très bien décrites, étaient étroitement liées… Ainsi, la force de la résistance à l’avancement aérien pourrait servir de modèle, pour calculer cette même force athéromateuse, opposée au flux sanguin dans les parois… Le domaine était en effet aérien…
Admiratifs de sa masse de connaissances, de sa curiosité scientifique et médicale toujours en alerte, tous et chacun étaient honorés de partager avec lui des moments privilégiés. Elefther appartenait à ces scientifiques artistes et souvent poètes, ne réduisant pas la science à des chiffres seuls, issus de calculs statistiques aux résultats croisés et comparés, pour aboutir à une finalité juste et démontrée. Il est de la trempe de ceux qui savent, au-delà des démonstrations, se nourrir de l’intuition irrationnelle des pressentiments humains, guidant l’observation préalable des grands chercheurs. Et c’est toute cette intuition, qui sert son art de la médecine et de la recherche.
La mèche bien sûr en bataille, ordinateur à la main, feuilles de notes et dossiers sous le bras, il alla s’isoler sous un coin de Chronos et s’immergea dans son orbe, d’où personne ne pouvait l’extraire, tant il y était tout entier concentré. Dans ces moments-là, seul son chien à ses côtés était toléré. Aussi personne n’osait le déranger…
Sachant que son époux serait inabordable, tant il parut décidé à se plonger dans ses aériens travaux, Blandine prit le parti d’accompagner les Parisiens, Jeanne et Maurice, faire quelques courses au marché provençal du bourg voisin. La présence de la belle Blandine aux côtés de Maurice donna à son ego déjà très boursouflé, un argument supplémentaire d’autosatisfaction… Entre les deux filles, il se plaisait à faire le galant pour se rassurer sur ses capacités à séduire. Il les amusait parfois, avant de très souvent, les agacer…
Ce jour-là, Gonzague osa une incursion et Elefther, étonné de voir son ami s’approcher de la table de ses calculs expérimentaux, l’accueillit avec enthousiasme.
— Vois-tu Gonzague, je crois que je tiens une hypothèse solide pour construire ma démonstration ?
— Elefther, sans aucun doute, tu parviendras avec talent et rigueur à établir les preuves de ce que tu souhaites démontrer ! Mon ami, pardonne-moi d’oser venir t’interrompre, je souhaiterais te parler d’un sujet qui me trouble et pour lequel je requiers ton avis.
Elefther, étonné par la solennité du ton, bien qu’habitué à l’emphase naturelle de Gonzague, referma tout de suite son ordinateur.
— Tu ne me déranges jamais ! Et de plus, mes travaux actuels ne sont pas urgents et par ailleurs je suis en vacances !
— Oui, c’est vrai, n’oublie pas que tu es en vacances…
— Rien de grave j’espère, reprit Elefther, invitant Gonzague à venir lui parler discrètement à l’abri du bosquet de lilas proche de Chronos, pensant qu’il s’agissait d’un problème personnel et confidentiel de santé.
Là, sous l’ombrage à l’écart, un banc de bois attend les spectateurs venus arbitrer les parties de pétanque se jouant sur le terrain de boules lui faisant face. Les deux amis s’y installèrent et Gonzague déroula son histoire. Elefther, tout ouïe, en appréhenda très vite les tenants et les aboutissants.
— Mais, quel hasard ! J’ai fait une grande partie de mes études de médecine avec le fils aîné des Offsherman ; son prénom est Eberd. Je me souviens fort bien de lui, un bon copain très brillant, qui a terminé son cursus médical en Allemagne. Il est parti à la fin de l’année du concours national de l’internat, après l’avoir réussi très bien classé, dans les dix premiers, me semble-t-il.
Personne n’a rien compris aux raisons de son départ. Depuis je ne l’ai plus jamais revu, et n’ai plus eu de nouvelles. Pourtant il faisait partie de mes très bons amis de fac ! Si la vie permettait à nos routes de se croiser à nouveau, j’en serais enchanté, mais cela me paraît peu probable. Dans mes souvenirs, il n’était pas en très bons termes avec son père ; ce dernier était PDG du laboratoire Kremser Science et c’est donc ce monsieur Offsherman qui t’a vendu son hôtel particulier ?
— Oui, c’est tout à fait cela Elefther.
— Vois-tu Gonzague, je me suis déjà rendu plusieurs fois dans ta demeure, avec Eberd, il y a maintenant plus de trente ans. J’ai en mémoire une immense bâtisse, dans un parc verdoyant aux cèdres géants. Elle se situe sur la colline saint-Romain, non loin de la faculté de médecine de Lyon Sud. C’est donc cette maison que tu as achetée ? Alors, bravo Gonzague ! À l’époque, c’était splendide, je pense que cela a dû le rester ! Mais en y pensant, il me semble que quelques mois avant le départ d’Eberd pour l’Allemagne, il s’était produit quelque chose d’étrange dans le développement d’un médicament du laboratoire de son père ! Un de leurs produits était passé en phase trois avec une rapidité pour le moins déconcertante !
Mes excuses, pour mon jargon médical ! Pour l’homme de la rue, la phase trois d’un médicament ne dit pas forcément grand-chose ! En fait, il s’agit de la période de développement où l’essai sur l’homme doit permettre d’enregistrer les résultats d’efficacité, de tolérance. C’est presque toujours lors de cette phase trois, que le laboratoire chargé du développement d’une molécule va demander à l’appui d’un dossier médical étayé, une autorisation de mise sur le marché, ou A.M.M. Bien sûr, il ne faut pas que les résultats soient biaisés… De nos jours, les contrôles sont assez draconiens et rigoureux, mais il y a trente ans en arrière, les A.M.M étaient plus facilement délivrées… Et la pharmacovigilance moins active… Nous avons malheureusement vu les désastres que cela a pu engendrer… Et crois-moi Gonzague, je suis vraiment très choqué et affligé dans mon éthique médicale et scientifique, mais à la fois peu surpris ! Par le passé, j’ai dû me confronter à des individus sans scrupule, capables d’interpréter favorablement des résultats plus que douteux, voulant servir des fins industrielles pharmaceutiques ! Je leur ai opposé une radicale fin de non-recevoir, menaçant de les traîner en justice. Je n’en ai plus jamais entendu parler ! Mais, je dois t’avouer que cette histoire m’a laissé un goût très amer, sur ce que peut devenir la morale médicale de certains, face aux intérêts financiers…
À l’évocation de ce mauvais souvenir, en un éclair, Elefther décida de s’investir dans cette affaire et d’en étudier à fond le dossier.
— Si tu le veux Gonzague, puisque jeudi tu te rends à Lyon avec Marius, je te propose de vous accompagner.
— Elefther, je n’osai te le demander… mais j’accepte très volontiers !
Confidences faites et accords pris, le professeur retourna à ses calculs.