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Le bonheur se niche dans l’instant. Comment le saisir, le célébrer chaque jour, pour nous sentir plus heureux ? Courons vers lui, dans le pré, chez un ami, sous la pluie, au bord de la mer ou au fond du jardin ! Ne le laissons pas filer ! Ce livre de chroniques tente de débusquer la joie qui sommeille en chacun de nous. Rappelons-nous : le marchand de glace, ce dîner entre amis, notre petit dans les vagues, la balade à la campagne, les mains dans la terre, les crêpes de maman, la nuit des étoiles filantes. C’est au fil des saisons et au long de ce chemin, léger, drôle ou poétique, que Martine Bronzin vous emmène.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Professeure de littérature et de langue française,
Martine Bronzin écrit depuis toujours pour son plaisir et se consacre aussi à ses autres passions, sa famille, ses amis, la peinture, la nature et les voyages. Après On fera la fête sous le parasol rouge et Sucrés-salés, nos souvenirs d’enfance, elle nous livre ici son troisième récit.
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Seitenzahl: 226
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Martine Bronzin
Cours-y vite, il va filer…
Petites chroniques du bonheur quotidien
Roman
© Lys Bleu Éditions – Martine Bronzin
ISBN : 979-10-422-1586-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Joséphine, Marie-Thérèse, Anny et Daniel
qui furent mes murs porteurs.
L’illustration de couverture est une aquarelle de l’autrice.
Le bonheur
Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite.
Le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite.
De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé.
Paul Fort
Depuis toujours, il me semble que la transmission de valeurs et d’émotions positives est l’élan porteur de toute vie. À mon tour, profondément, je tente d’être ce maillon, par l’écriture et par ma façon de vivre, de passer le relais en brandissant ce message : le bonheur se niche dans l’instant. Célébrons le quotidien !
Les petits moments de la vie, doux ou amusants, quelquefois difficiles aussi, animent ces chroniques qui s’échelonnent sur quatre ans, de l’été 2020 à l’été 2023, en suivant le rythme des saisons.
Après Sucrés salés, nos souvenirs d’enfance, paru en 2022, ce récit renoue avec mon premier récit, On fera la fête sous le parasol rouge, paru en 2021, et avec le désir de partager ces instants éphémères qui, mis bout à bout, formeront un collier de fleurs que nous porterons joyeusement, qui grefferont des ailes à notre âme et viendront nous apaiser, chaque fois que nous en aurons besoin. Car c’est dans ce quotidien, insignifiant en apparence, que sont tapies les plus grandes joies, celles que d’aucuns appellent bonheur… Cette joie et cette bonne humeur ne demandent qu’à refaire surface en nous et à s’épanouir pour endiguer nos souvenirs les plus sombres.
Ainsi, avec patience et lenteur, poésie et tendresse, humour et philosophie, je tente de débusquer le bonheur, mon tamis à la main, penchée sur la rivière qui coule sous mes yeux. Je suis un chercheur d’or…
28 juin : la belle échappée
Si quelquefois nous ne pouvons pas faire d’immenses conquêtes ou de lointains voyages, si l’espace nous est restreint, comme il le fut cette année-là, à cause de la pandémie, il reste toujours une porte entrouverte sur un petit plaisir simple, comme celui de faire une escapade au début de l’été, deux jours volés à la routine pour nous rappeler les chansons douces du temps d’avant : Bruges.
Ce matin-là, dès potron-minet, après avoir avalé les kilomètres entre Bruxelles et Bruges, l’envie nous avait pris d’aller mettre les pieds dans l’eau. Après tout ce temps à tourner en rond, emmurés dans notre cabane et prisonniers de nos bulles, après cette première vague de pandémie qui nous avait vidés, essorés, trempés à nouveau, nous nous sommes offerts le temps et l’espace, deux luxes suprêmes, en prenant le train. Nous nous sentions comme des enfants excités de faire l’école buissonnière. Mettre les pieds dans l’eau… Nous avions oublié.
Zeebruges. La mer est là, devant nous. À droite, on distingue le port et à nos pieds se déroule une grande plage, de sable et de temps libre, une vacance de tout.
Nous enlevons nos chaussures et là, soudain, l’enfance est sous nos pas, d’abord dans cette sensation de fraîcheur, puis sous la plante des pieds qui souffre sur les milliers de coquillages brisés, enfin sur les vaguelettes de sable dur. Au loin, le regard est attiré par un attroupement de mouettes rieuses – le rire, c’est bien ce qu’il nous fallait en ce moment ! –, ensuite par un voilier, enfin par deux hommes traînant un filet derrière eux.
La brise salée nous lèche doucement le visage. Nous avançons vers l’eau, si calme, en cette matinée lumineuse et les pieds dans les vagues froides, nous déambulons, main dans la main.
En fin de matinée, nous repartirons vers Bruges, emportant dans nos chaussettes quelques grains râpeux de liberté.
Bruges la Calme nous attend, en cette année où les touristes étrangers l’ont désertée. À toute chose, malheur est bon.
La grande chambre au plafond haut est fraîche ; nous y posons nos valises et repartons nous promener dans la ville, contemplant, comme pour la première fois, les maisons de bois de la vieille cité, ses saules penchés sur le canal, ses jardins coquets au bord de l’eau, sous les feuillages, ses madones et ses façades à pignons. Treize heures, déjà ! En terrasse, nous commanderons au serveur masqué des croquettes aux crevettes et deux grandes bières dorées, pleines de mousse et de joie.
L’après-midi, nous louons des vélos et je remonte en selle après bien des années… Pour la première fois sur un vélo électrique. C’est parti ! Sur les vieux pavés de Bruges, je ne suis pas peu fière, moi qui pensais ne plus avoir assez d’énergie, ou d’équilibre, moi qui me sentais déjà vieille, peut-être ? Me voilà comme cette jeune fille, puis cette jeune maman, qui trimballait toute sa petite famille, chien compris dans un petit panier, entre Bruges et Damme. Le passé revient m’envahir comme les herbes folles du chemin.
Décor carte postale : le canal, les rangées de peupliers sagement alignés, le petit chemin qui les longe, les poules d’eau, les vaches, les chevaux de trait, les moulins, les ânes et puis nous qui pédalons, tranquillement… À bicyclette, je ressens soudain la joie de ma propre maman, qui, dans son enfance, roulait par monts et par vaux. Car, comme l’écrivait Philippe Delerm, on « est » vélo ou bicyclette, chapeau de paille ou maillot moulant, lenteur ou vitesse, vieil engin noir ou mécanique fluo… Moi, je suis bicyclette, comme dans la jolie chanson de Montand. Il n’y a que la lenteur qui convienne au bonheur, n’est-ce pas ?
Le soir arrive, où Bruges, plus belle que jamais, nous voit flâner le long des canaux. C’est bon, la solitude et la beauté, alliées de ce début d’été si fragile et si particulier.
En quittant Bruges, le lendemain et en nous promettant d’y revenir, nous faisons un dernier tour à la plage. Lui, pour marcher en bronzant, moi pour nager. Je rentre lentement dans l’eau froide. Autour de moi, des enfants rient. En plissant les yeux sous le soleil, je pense à mon père, qui aimait tant se baigner dans la mer. Tout en contemplant l’horizon et en respirant le parfum salé des embruns, une sensation fraîche et vivifiante m’envahit lentement. Le corps s’abolit, le temps disparaît pour ne laisser place qu’au présent, à l’instantané du bien-être.
C’est un moment de joie comme nous pouvons tous en créer, dans notre vie quotidienne. Une escapade, une échappée, une image lumineuse à conserver pour les jours plus gris. Comme l’écureuil, je fais des provisions.
14 août : jour de pluie
J’ai couru dans le jardin, je me suis laissé engloutir : l’eau m’a avalée, a glissé sur mes cheveux, sur mes yeux, sur la robe rouge d’été, enfin la pluie et cette sensation de fraîcheur que j’attendais depuis des jours !
Plic, ploc, l’eau chante sur les pots en terre, plic, ploc, elle rebondit sur les pierres de la terrasse, plic, ploc, les fleurs des hibiscus s’épanouissent, plic, ploc, les géraniums ouvrent leurs feuilles pour engloutir le précieux liquide, plic, ploc, l’herbe rousse du jardin se gorge d’humidité boueuse. Glouglou, rit la gouttière et l’eau dévale partout, tandis que l’escargot glisse silencieusement dans un ravissement gluant. Je reste là, trempée, à respirer l’instant de l’eau.
L’instant de l’eau, je le savoure de tant de façons. Lors des bains de mer froids et toniques, quand les vagues mugissent autour de moi ou encore, comme au festival Esperanza, avec mes filles, pendant que les trombes d’eau s’abattaient sur nos têtes. Comme ce jour-là, au Burkina, lorsque je courais en riant dans les flaques couleur rouille tandis que la latérite du sol africain éclaboussait ma robe claire. Enfant, en courant vers l’école sans mettre mon capuchon, je riais aussi, tout comme avec mon chien, dans le parc, bien plus tard, sous l’averse chaude de l’été. Toute petite fille déjà, je tentais d’attraper les éclairs dans mes mains. Pour moi, la pluie, c’est cela, un moment de joie, une parenthèse délicieuse. Toutes ces gouttes de joie sont là pour nous faire oublier nos larmes.
Je ne nage pas sous l’eau, je n’ai pas appris. Tant pis ! Pour le moment, je nage de bonheur en marchant sous la pluie, I am walking in the rain, singing in the rain, laughing in the rain...
16 août : jour de piscine
Jeudi, c’est « jour de piscine », comme quand on était gosses. Enfant, je détestais ça. Je nageais mal, j’avais très peur de l’eau et je grelottais en attendant mon tour au bord du petit bassin. Un calvaire froid et humide. Transformé en joie, plus tard, bien plus tard et en une petite activité à partager à deux, chaque semaine.
L’eau ne me semble plus si froide, les vingt longueurs habituelles s’enchaînent gentiment, un point à l’endroit, un point à l’envers, ligne après ligne, et le temps glisse sur la peau rafraîchie.
Mais la piscine au temps du covid, c’est le parcours du combattant !
Nous voilà donc partis, maillot en dessous des vêtements, car les cabines sont interdites dès l’entrée et nous attendons notre tour, un peu comme avant l’oral, dans une cabine de groupe, chacun se déshabillant et jaugeant l’autre, les robes tombant sur des ongles de pied sans verni ou sur un petit bedon survenu, on ne sait quand, quelque part, lorsque nous étions à la cabane, contraints à grignoter et à espérer… Pour l’heure, puisque nous avons la chance de pouvoir enfin faire à nouveau certaines activités et que nous sommes trop loin de la Lesse pour pouvoir faire du kayak, il reste la natation ! Il nous faut donc accepter ce premier supplice et surmonter l’absence d’intimité et le regard oblique des nageurs honnêtes. Nous voici enfin appelés et chacun essaie de se précipiter dans un couloir de nage, car le maximum est de deux par couloir, les autres devant attendre sagement sur le bord.
Enfin dans l’eau ! Pas un chat, ou presque… Le rêve à ce point de vue. Après, c’est selon. Moi, je ne mets pas la tête sous l’eau alors j’essaie d’éviter les nageurs qui remontent en me croisant, tels de gros phoques, narines ouvertes, soufflant, qui sait, Dieu sait quel virus à la surface de l’eau, fût-elle chlorée… La méfiance règne en ces temps difficiles.
Heureusement, je suis un peu à l’écart, dans le dernier couloir, et sagement, j’enchaîne mes petites brasses au son d’une musique tonitruante. Pourquoi diable ne pensent-ils pas à mettre un peu de musique classique quand on se baigne ! Cela changerait de leur sempiternel matraquage d’oreilles et cela nous ferait un temps suspendu, une bulle d’eau calme à savourer… Mais, hélas, nous sommes bien loin de l’harmonie de la harpe et ils l’ont décidé pour nous, c’est ce que crie la chanson : on ira tous, tous, tous, à Torremolinos ! Enfin, l’année prochaine peut-être…
Vingt bonnes minutes plus tard, le souffle court et les cheveux mouillés, je me dirige vers les douches. Ah non, pas de douche ? Bon, soit… On n’est pas à une frustration près en cette époque troublée, on ne va pas faire la fine bouche. Enfin, je récupère mes affaires au bord du bassin et je cours, grelottante, me rhabiller en cabine. Pas de possibilité non plus de se sécher les cheveux… Je me regarde furtivement dans le miroir : quelle bobine ! Mais mon chéri m’assure que je suis jolie avec les cheveux mouillés. Même si j’ai du mal à le croire, ça fait du bien ! J’irai donc au resto comme ça.
En effet, notre petit plaisir, c’est d’aller au resto après la piscine. Ce n’est peut-être pas très logique… Mais nous sommes comme cela, lui et moi : pas très logiques.
Nous prenons le plat du jour et moi, un grand Apérol, orange comme la joie, question de fêter un peu cet été si étrange.
En nous regardant sans rien dire, nous avons soudain pensé que nous avions bien de la chance, malgré la pandémie, d’être là, en bonne santé, à la terrasse d’un resto, avec les cheveux mouillés.
18 août :jour de balade
C’est avec une amie. Danielle, ce matin. On s’est dit la veille : « on y va ? » et le jour même : « rendez-vous à neuf heures et demie là-bas ? » Les mots ne font aucune entrave, ne disent aucun superflu. Elle m’attend devant le grand portail, assise sur une pierre, avec son chien Gaspard, qui s’égosille de plaisir à la vue du mien.
Nous marchons d’un bon pas, mais pas trop, car nous voulons aussi profiter du moment. Cet été nous semble tellement morne, insipide et fade. Alors une jolie balade, c’est un privilège que nous apprécions. Mon amie me montre une aigrette dans l’herbe, tout près du premier étang. Nos chiens sont heureux, même Charlie, devenu aveugle. Ce matin, il fait doux. Nous longeons un autre étang, sur la droite. Les saules se penchent et chuchotent à l’eau moussue, couverte de nénuphars, des secrets millénaires.
Nous sommes au parc de la Hulpe, dans un havre de paix, l’escalier descend vers l’étang et pour un peu, nous entrerions tout habillées dans l’eau verdâtre. Nous contournons le bout de l’étang, remontons vers les larges pelouses. Nous prenons le temps de nous asseoir sur un banc, de donner une friandise aux chiens, de rire à deux, d’évoquer un voyage que nous avons fait ensemble, une sortie, un souvenir de nos enfants, ou alors de nos conjoints. On peut rire de beaucoup de choses, à nos âges, on a tellement pleuré. Mais il n’y a pas de larmes, ce matin, il n’y a que nos pas, la lumière, les feuilles, les troncs des séquoias, et nos paroles calmes qui rêvent de l’Afrique.
Nous contournons le château. Les sculptures moussues et muettes des jardins et des parcs me fascinent toujours, elles sont comme des fantômes silencieux qui nous relient au passé. Le lierre enrobe le château comme le velours d’un écrin le ferait d’un bijou. La belle au bois y dort-elle toujours ? Nous traversons la pelouse et puis lentement, nous descendons l’escalier qui mène vers l’autre étang, en contrebas, celui des cormorans, celui près de la taverne de l’Homme Bleu. L’homme au chapeau, sculpté par Folon, est là, assis sur un banc, un oiseau à ses côtés. Il lit pour l’éternité.
Nous remontons l’allée à présent. La balade touche à sa fin. Mon chien halète. Sur la grille du parc, en sortant, un pull est accroché. C’est le mien, perdu au hasard d’un sentier, je ne m’en étais même pas aperçue ! Je suis si distraite pour les choses insignifiantes. Ce pull n’est-il pas un joli signe que le plus important est ailleurs ? En effet, la vie nous donne tous les jours une chance à saisir, une heure à voler à la routine et à oublier le temps, en compagnie d’une amie, d’un amoureux ou d’un chien.
19 août : la nuit des étoiles filantes
C’est le soir de l’anniversaire de ma fille Delphine, mon point de repère pour contempler les étoiles. Contempler le ciel d’été est le privilège des insomniaques, des rêveurs ou des poètes. On se couche dans l’herbe fraîche, on s’assied sur un vieux banc ou, plus confortablement, emballé dans une grande couverture moelleuse, sur une chaise longue. Il y a plein de silence et plein de lumière. Lentement vient la conscience, puis la joie, d’appartenir à l’infiniment petit, à notre humble condition d’humains et simultanément, à l’immensité de la beauté de l’univers. Il arrive même que nous sentions la présence de ceux qui nous ont quittés et que nous les imaginions, tout là-haut, en train de nous sourire.
En contemplant le ciel étoilé vient parfois, si nous le regardons assez longtemps pour apercevoir une étoile filante, la certitude que chaque vie a un sens. Nous sommes dans un tourbillon lumineux qui nous happe, nous fascine, nous engloutit et nous envoûte lentement du bonheur d’être au monde. C’est comme si on chipait un morceau d’éternité sans que personne ne nous voie…
Chacun cherche, cligne des yeux, pointe du doigt. Voici la Grande Ourse. Les noms mythologiques et mystérieux des constellations, des étoiles et des planètes tournent dans nos têtes de néophytes. Cassiopée, Orion, Pégase, Phœbus, Sirius, Saturne, l’étoile du berger, Pluton, Jupiter, la lune, bien sûr, la lune ! Nous sommes si bien, dans la lune ! Les noms s’affolent et notre imagination aussi : astéroïdes, comètes, poussières d’étoiles, trou noir, année-lumière. Nous voici, en effet, projetés à des années-lumière de notre petit jardin. Nous voilà donc reliés à l’infini, à la recherche de l’espace, de l’univers, essayant de nous situer, de nous imaginer à notre juste dimension. Reliés… Nous en avons tellement besoin !
Tu me le disais avec les yeux écarquillés : « mais qu’y a-t-il derrière tout ça, maman ? Et si c’est l’infini, alors qui a créé l’infini ? » Cette question immense au fond de tes yeux sombres, ma petite Delphine, te laissait le sourire aux lèvres.
Peut-être y a-t-il, pour chaque âge de la vie, une question différente à résoudre ? Je suis à ce moment de mon existence où le mystique reprend ses droits, sans doute parce que la mort se rapproche lentement, comme une vérité à laquelle on ne peut échapper et qui nous interdit l’orgueil de la supériorité. Si l’on ne se tourne pas vers Dieu, il reste, malgré tout, les nuits étoilées, pour parier, comme Pascal avant nous, sur son existence.
Souvenir ancien : les cigales font chanter la nuit. La lune est assise calmement, en haut de la colline, dans ce pays boisé des Cévennes. Par milliers, les étoiles au-dessus de ma tête, dans le parfum doux du romarin. Du ciel, toujours, m’est venue la paix.
C’est alors que le plus grand feu d’artifice commence. Une à une, fusent de partout les étoiles filantes. Je reste longtemps couchée dans l’herbe fraîche, le regard rivé vers l’espace et je fais des vœux tout en plissant les yeux pour mieux contempler. La voûte céleste m’appelle à son mystère. Je suis cet animal terrestre, enraciné à la terre, la tête dans la lune et l’âme dans les étoiles. Les étoiles filantes tombent à présent, en rires courts et lumineux, en plein mois d’août. Les Perséides tiennent leur promesse. Mes vœux tiendront-ils les leurs ? Croire, c’est espérer. Et puis, avec l’âge, contrairement à ce que l’on pourrait penser, on a des myriades de vœux à faire. Alors, je tente !
Comme il est doux de savoir que le temps s’arrêtera encore bien plus tard dans notre histoire, par une belle nuit d’été, lorsque les voix s’estomperont, que s’épaissira l’obscurité et que s’allumera le ciel, dans un camping, sur un chemin de Cévennes, dans la nuit d’un lion qui rugit, au bord de l’océan qui respire lentement, autour d’une piscine où des rires pétilleront comme des bulles de champagne, avec un amoureux, une maman, des enfants, des amis ou un chien, ou juste seule face au miracle de la beauté. Nous avons tant de chance d’avoir en nous, à la fois cette trace et cette promesse d’une nuit étoilée d’été, la rêverie de tous les instants vécus et celle de tous les moments à venir. Je suis une voleuse d’étoiles. Chuuut… Ne le dites à personne !
21 août : jour de foire
La foire du Midi, à Bruxelles, n’a pas eu lieu, cette année. Retour sur ce plaisir presque démodé.
Souvenir de jeune maman. Excitées comme des puces, nos filles sautaient de la voiture. C’était le plein été. Une odeur grasse de frites et de beignets poissait l’air chaud. On entendait le vacarme assourdissant des montagnes russes où de petites voitures plongeaient et grimpaient au rythme des hurlements des passagers. Les attractions étaient réellement renversantes ! Nous déambulions, notre barbe à papa brandie au-dessus de la mêlée. Au loin émergeait, souveraine, l’immense grande roue, avec ses minuscules nacelles qui virevoltaient en silence dans le ciel bleu de Bruxelles. Puis, le château des horreurs dressait son décor de carton-pâte, avec ses monstres et ses squelettes, ses dragons lumineux et ses gorilles de pacotille. Assises dans nos petits wagons, nous hurlions ensemble, Céline, Delphine et moi, venues pour le grand frisson, cramponnées l’une à l’autre. Sur la gauche, les miroirs déformants du palais des glaces avaient beau me sourire, je ne pénétrais pas dans le labyrinthe de verre qui me donnait toujours une affreuse sensation de claustrophobie. Plus loin, il fallait renverser des boîtes de conserve avec de grosses balles de chiffon et pour les plus grands, tirer à la carabine pour tenter de remporter une photo.
Au stand de la pêche aux canards, des dizaines de canetons, jaunes et blancs, glissaient sagement sur l’eau, balançant leur bec en souriant béatement. Vous saisissiez une canne et pendant de longues minutes, votre papa et moi, nous observions vos mouvements maladroits pour attraper l’un d’entre eux. Le forain les retournait ensuite et comptait les points : « 14, mademoiselle ! Mademoiselle peut choisir un cadeau… » Vous choisissiez une valisette fermée à clé avec un petit cadenas, ou une grosse peluche qui venait encombrer un peu plus votre chambre. Nous poursuivions notre chemin sous la chaleur du mois d’août. Le soir tombait lentement sur la grande allée où fourmillait, à cette heure, la population cosmopolite de Bruxelles qui donnait à la foire du Midi son parfum d’exotisme, parmi les odeurs enveloppantes de beignets, de hot-dogs, de crêpes, de gaufres et de frites.
Nous nous arrêtions devant les petites voitures qui se suivaient, bien sagement, sur les rails de cette piste de safari carton-pâte. Puis venait le tour des autos tamponneuses et des poneys qui tournaient sagement sur le sable de leur manège. Vous vouliez grimper sur leur dos, je refusais.
Soudain, l’attraction la plus extraordinaire, la plus vieille aussi, se dressait devant nous. Lorsque j’étais petite, j’aimais m’installer sur un carrousel, assise fièrement sur un cheval de bois, et me laisser tournoyer au son de l’orgue. Je vous revois, de la même manière, cette année-là, en robes de coton, vous levant pour saisir la « floche » qui se balançait au-dessus de votre tête, et la brandir, victorieuses.
Les manèges – l’aviez-vous observé ? – pourraient être une métaphore de nos vies : trois petits tours, et hop l’enchantement est fini, ou il recommence, c’est selon. Accepter que la vie soit un manège, une sorte de carrousel enchanté et désenchanté, où l’on monte, où l’on descend, une roue qui tourne, mimant l’éternelle répétition de nos émotions, du jour et de la nuit, des saisons et des âges…. On naît, on meurt, tout recommence et tout est bien, sans doute.
À présent, c’est au tour de mes petits-enfants d’agripper le cheval de bois et les mille et un miroirs dorés tournent à nouveau, comme la terre, immuablement, sur une musique désuète, celle de la féerie de l’enfance. Qui sait, Eva et Baptiste rêveront-ils peut-être, comme moi à leur âge, de faire comme Mary Poppins, de quitter la foule et de s’élever dans les airs, bercés par ce mouvement doux et répété, pour s’évader dans un paysage qu’eux seuls auront imaginé.
Ainsi les chevaux du manège enchanté tournent-ils pour toujours dans nos têtes d’enfants.
26 août : au camping
Il y a longtemps, c’était cela, les vacances : l’autoroute, la nuit, puis la liberté du camping, cette espèce de « no mans land », de sas à décompression. Car dans un camping, le temps d’un été, le vacancier a le sentiment d’être un nomade des temps modernes et d’échapper à ses habitudes, même si, en réalité, il n’en est rien.
Nous partions, nous aussi, vers cette terre promise toute simple et pas trop chère. Dans l’obscurité de la nuit, nous avalions en silence, suivant les rubans blancs de la route, quelque mille kilomètres avec deux fillettes endormies à l’arrière. Le matin, elles ouvraient les yeux sur des champs de tournesols et la voiture semblait glisser dans l’air bleu et jaune, façon Van Gogh, jusqu’aux « Champs blancs » ou au « Bois fleuri ».
Le petit mobile home tenait ses modestes promesses, à l’ombre d’un pin parasol. Les enfants s’extasiaient sur leurs lits couchettes, puis elles enfilaient leur maillot et elles couraient vers la piscine. Le midi, nous déjeunions sur la terrasse et la salade valsait dans le grand plat en bois. Le soir, nous préparions un barbecue, entre voisins. On prenait l’apéro, puis on allait écouter de la musique et danser en riant tout en essayant de suivre le nouveau rythme de l’été. La danse des canards et la lambada se succédaient, quelques slows langoureux ou une animation pleine de paillettes et de strass. Les enfants du club organisaient des spectacles, parfois il y avait des concours de déguisement, des soirées à thème. Devenues ados, nos filles se préparaient minutieusement et ressortaient du mobile home pomponnées, bronzées, maquillées, soudain si femmes, si belles, pour une soirée bain mousse à laquelle nous les laissions partir, en savourant le calme de la nuit tombée.
Le lendemain matin, après les joies de la plage et la baignade en mer, les jeux de piscine et les concours de pétanque se succédaient. Nous aimions y participer, compter les points, commenter les exploits de notre équipe, un verre de rosé ou un pastis à la main. Puis nous partions pour une petite excursion, découverte d’un joli village de France endormi sous la chaleur, visite d’un aquarium spectaculaire, promenade parmi les vignes jusqu’à la cascade ou la chapelle de l’ermite.