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Sucrés-salés, nos souvenirs d’enfance dépeint les moments, les lieux, les objets qui font partie de la mémoire collective des enfants des années 60. Quel goût avait-elle, notre enfance, entre la magie de Saint-Nicolas, les longues journées d’école, l’odeur de la colle blanche et les parties de Monopoly ? Quelle saveur avait-elle, entre papa et maman, avec nos peurs, nos rêves, nos joies et nos échecs ? Cet ouvrage, voyage dans le temps, plein de nostalgie heureuse et amère à la fois, nous propose d’aller à la recherche du goût sucré-salé de notre enfance.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Martine Bronzin, Bruxelloise, est née en Afrique. Professeure de littérature et de langue française, elle écrit depuis toujours pour son plaisir et se consacre à sa famille ainsi qu’à ses autres passions : la peinture, la nature et les voyages.
Sucrés-salés, nos souvenirs d'enfance est son second ouvrage publié.
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Seitenzahl: 141
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Martine Bronzin
Sucrés-salés,
nos souvenirs d’enfance
Roman
© Lys Bleu Éditions – Martine Bronzin
ISBN: 979-10-377-5123-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termesdes paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que lescopiesoureproductionsstrictementréservéesàl’usageprivéducopisteetnondestinéesàuneutilisationcollectiveet,d’autrepart,sousréservedunomdel’auteuretdelasource,quelesanalysesetlescourtescitationsjustifiéesparlecaractèrecritique,polémique,pédagogique,scientifiqueoud’information, toute représentationou reproductionintégraleou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de sesayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles L.335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.
À Céline et à Delphine
On est de son enfance comme on est d’un pays.
Antoine de Saint Exupéry
La balançoire, illustration de couverture, est une huile sur toile de 50x60, réalisée par Brigitte Correia.
Brigitte Correia est une peintre autodidacte Française.
Ses histoires se racontent sur des toiles, avec l’aide de brosses, de couteaux, avec les doigts parfois, à la peinture à l’huile, si riche d’infiniment de couleurs ! « La couleur c’est la vie », écrit-elle.
Je tiens à remercier chaleureusement l’artiste d’avoir accepté que son tableau fasse écho à mon récit.
C’est un drôle de pays, l’enfance. Lorsqu’on s’en retourne faire un tour là-bas, on y puise toutes sortes de souvenirs : ceux qui rient comme un coffre entrouvert sur des livres d’images et d’autres qui sanglotent, tels de vieux ours en peluche déglingués. Alors, un jour, bien des années plus tard, on se pose la question : étions-nous si heureux, au pays de l’enfance ? Plus le souvenir s’éloigne, plus les photos et la vérité deviennent floues… C’est alors que les mots tus et les bouches cousues enfouis en nous, enfuis de nous, les éclats de rires et de voix tapis dans notre mémoire ressurgissent soudain.
C’est joli, l’enfance, le plus souvent. Il ne nous reste qu’à déguster ses Madeleines de Proust et à verrouiller ses armoires trop sombres.
La vie, c’est ça : passer son temps à refermer les portes derrière lesquelles on entend des cris et ouvrir nos fenêtres sur des chants d’oiseaux.
Je vous emmène donc dans mon jardin d’enfance, soixante ans plus tard. Peut-être, tout compte fait, ressemble-t-il au vôtre ?
Je m’appelle Martine et, à première vue, enfant, je ressemblais à l’héroïne des livres d’images : une petite fille modèle. Par ailleurs, nous sommes nées toutes les deux à la même époque, dans les années cinquante. À part cela, je n’ai pas grand-chose en commun avec elle.
Tout d’abord, Martine, celle dont le petit frère se prénomme Jean et dont le chien s’appelle Patapouf, n’a pas de cousine qui porte le même prénom, moi si. L’autre Martine, que tout le monde dans notre famille surnomma la grande Martine, a six ans de plus que moi.
La petite Martine, quant à elle, n’a ni frère ni sœur. Elle est si unique que ses parents n’ont probablement pas voulu lui infliger cela. Dommage, elle se serait bien vue grande sœur à défaut de grande Martine…
Enfin, Martine, celle que tout le monde connaît, n’a pas beaucoup voyagé, elle est restée à la ferme, à la mer ou au camping. La petite Martine a eu plus de chance à ce sujet, car elle est née en Afrique et ses parents l’ont emmenée en vacances dans de jolis coins d’Europe.
Mais commençons par le début : Martine au Congo…
En effet, avant que les mots de l’enfance viennent prendre possession de nous et nous emportent sur les rivières du temps, il me faut écrire comment notre famille en est arrivée là, dans la grande métropole africaine.
Je vous présente mon père, jeune homme de 24 ans, prêt à s’expatrier, ayant fini ses études et diplôme d’ingénieur électricien en poche. Il est d’une famille modeste et habite à Saint-Gilles, une commune de Bruxelles, non loin de l’avenue Louise, dans un vieil appartement haut perché, qu’il partage avec ses deux sœurs aînées et ses parents.
Mon grand-père, Enea, est un immigré italien, originaire de Trieste, arrivé en Belgique en 1923. Ma grand-mère Antoinette et lui avaient 24 ans quand ils se rencontrèrent. Elle lui interdit alors de parler l’italien, pour qu’il s’intègre plus vite. Ils se marient et ont trois enfants.
Mon père est le benjamin de la fratrie, Jacqueline et Anny sont ses aînées. Ce sera une enfance sévère pour lui, faite de privations, de quelques chantages affectifs et de coups de ceinture sur les fesses.
Mais Daniel est adulte en 1954, il est courageux, prêt à tout, et surtout, à partir. Il ne connaît pas encore Anny, ma mère. Ce soir-là, c’est l’hiver, il va la chercher à la demande de ses amis, pour l’emmener danser. Il sonne à la porte d’une élégante maison de maître bruxelloise. La jeune fille ouvre. Maman me le dira, des années plus tard : c’était lui, lui et son visage maigre, ses yeux profonds, son sourire malicieux et… son lacet défait. Comme le jour de notre mariage, ajoute-t-elle en riant. « La petite bourgeoise », telle qu’elle se définit, tombe alors sous le charme. Pourtant, quand il lui annonce, au cours de la soirée, qu’il va s’expatrier au Congo, elle le toise en lui disant qu’un aventurier, ce n’est pas pour elle… Daniel part donc seul vers le continent inconnu.
Sur la vieille photo, je les observe. Ils sont tous venus lui dire au revoir sur le tarmac de l’aéroport de Zaventem. De longues traînées de pluie, sous les tâches jaunies de la photo, pleurent pour eux. À cette époque, l’Afrique, c’est le bout du monde… Reverront-ils leur fils, leur ami, leur frère ? Anny, la jeune fille sage de Bruxelles, le rejoint quelques mois plus tard et l’épouse au Congo. Leur destin est en marche…
Il est temps, à présent, de parcourir ensemble les allées de mon enfance africaine, liégeoise, puis bruxelloise, mais aussi les allées de toutes nos enfances. Les mots qui s’y cachent sont comme des Pierrots Gourmands, de la barbe à papa ou des pommes d’amour. Car, le plus souvent, la douceur habite l’enfance. Le plus souvent.
On ne garde pas beaucoup de souvenirs de notre prime enfance. En voici un, pourtant. J’ai trois ans et un petit ours en peluche que je surnomme Tintin. Le jeune Africain qui travaille chez nous a une initiative des plus gentilles : laver ma peluche puisque la malheureuse bête traîne à longueur de journée dans la poussière rouge de la terre africaine.
Maman et moi partons pour la journée. Alors Henri découd patiemment le petit ours, le lave, le fait sécher sur la corde, en pièces détachées : les oreilles, les membres, le torse. Il pose le tout sur la table, avec la paille qui sèche, elle aussi, la paille du ventre de Tintin, et ses yeux de verre, à côté du museau en laine tout décomposé. Quelle drôle de boucherie ! : « Bonjour, je voudrais du museau, mettez-m’en cent grammes. »
En voyant ce massacre, je fonds en larmes. Notre gentil boy, tout triste, se confond en excuses tandis que mon regard, lui aussi, doit être tout décomposé… Tintin en mille morceaux, une histoire décousue…
Il pleuvait, cette nuit-là. Blottie dans mon lit, j’écoutais la puissance de l’orage africain. Le lendemain, la terre serait chaude et humide, l’air serait doux. La silhouette de ma mère se détacha soudain dans la lumière de la porte entrouverte. On ne dira jamais assez combien les portes entrouvertes peuvent apaiser la nuit. Et pourtant, j’étais à mille lieues de comprendre ce qui allait m’arriver.
En effet, maman ne me réveille jamais la nuit, pourquoi le ferait-elle ? Pourtant, c’est bien elle qui s’approche de mon lit et me prend dans ses bras. Je suis tout à fait réveillée à présent et je perçois inconsciemment l’air soucieux de mes parents.
Ils me tendent une valisette de carton rouge… Je l’ouvre : c’est une panoplie de docteur. Sous les élastiques, une seringue, une éponge, un stéthoscope, un flacon, un bandeau avec une croix rouge. Je serre la valisette contre moi, et me voilà partie, ma poupée sous le bras.
Je ne sais pas ce qui m’arrive, bien sûr. Ils ont dû me serrer fort dans leurs bras, maman a dû pleurer. Ce n’est sûrement pas de gaieté de cœur qu’ils m’éloignent d’une situation politique dangereuse. Je vais partir pour l’Europe. Seule.
Mais pourquoi maman n’est-elle pas rentrée avec moi à Bruxelles ? La seule réponse que j’obtins, bien des années plus tard : « je n’y ai pas pensé, ton papa avait besoin de moi. »… Il y a des mystères que les enfants ne percent pas toujours, même devenus adultes. C’est papa, en tout cas, qui me conduit jusqu’à l’avion, cette nuit-là. La gueule béante m’engloutit.
Nous sommes en 1960 et la guerre a éclaté au Congo. Je pars donc seule, cette nuit-là, confiée à deux dames que je ne connais pas. Je n’ai aucun souvenir de ces femmes ni de mon arrivée. À Zaventem, une infirmière me tient à bout de bras en criant : « Le bébé de madame Bronzin ? » Me voici aux enchères ! Adjugée, ouf ! Deux dames et un monsieur se précipitent. À leurs regards attendris sur la photo, on devine que ce sont mes grands-parents. Pour moi, de parfaits inconnus.
Le soir, les avions bourdonnent au-dessus de Bruxelles. Le cœur gros, j’interroge ma grand-mère paternelle : « C’est l’avion de maman ? » « Chuuut, DODO », grogne-t-elle, un doigt posé sur la bouche, debout au pied du lit dans son peignoir en nylon, sa longue chevelure rousse défaite. Au-dessus de mon lit, un masque africain en bois, effrayant. À tout moment, j’imagine qu’il va prendre vie ou me fracasser le crâne en tombant. Parfois, ma Bonne-Maman – dont le surnom ne lui colle pas à la peau – me raconte des histoires étranges, des contes fantastiques qui me font peur. Bon-Papa, quant à lui, s’approche doucement de mon lit et attend sans mot dire, jusqu’à ce que je m’endorme.
Dans ce petit appartement bruxellois, loin de mes parents, je me mets à penser que j’ai perdu ma mère, perdu mon père, perdu ma maison. J’ai peur de cette grand-mère sans tendresse qui met le petit pot rouge au milieu du salon pour que j’y fasse pipi et je sais aujourd’hui d’où me vient ce besoin de demeurer dans une maison qui soit abri, refuge, sécurité, ventre de mère ou carrure de père.
Mes parents rentreront, l’un après l’autre, quelques mois plus tard. Maman se retrouvera dans l’avion avec des femmes en combinaison, qui ont fui et ont tout perdu. Elle revient avec le fils d’un ami, qui a eu plus de chance que moi, puisqu’il est avec ma maman. Pendant ce temps, je l’attends en me rongeant les ongles.
Nous resterons peu de temps à Bruxelles, chez ma grand-mère maternelle, car papa obtient un emploi à Liège. De cette grande ville ensommeillée d’été, je ne me rappelle presque rien, et seul vagabonde dans ma mémoire un joli pont où des anges jouent de la trompette. Ma chambre donnait sur un parc, elle était claire et des animaux gambadaient sur les murs. Près de la porte, il y avait un banc rouge et une table de la même couleur, à ma hauteur, qui s’ouvrait comme un pupitre ; j’y glissais mes crayons de couleur.
Alors commençait la féérie des siestes… Sagement, je laissais maman refermer la porte, puis j’allais m’installer devant mon pupitre, j’en soulevais silencieusement le dessus pour y prendre mes crayons, et calmement, je faisais connaissance avec les mots de mes livres d’images… Dans l’incapacité de les lire, j’en tournais les pages et je dessinais chaque lettre : « Bonjour minet, bonjour minette, comment vas-tu ? J’ai tant de choses à te dire… » Bleu, jaune, rouge, les crayons glissaient sur les feuilles cartonnées. Comme un moine copiste, je persévérais dans mes enluminures, car un livre, c’est certain, illumine une vie. Enfin, le soir, quand maman me lisait une histoire, je lui disais très exactement à quel moment tourner la page. Il faut savoir tourner les pages.
« Car sa peau est douce comme la mousse des bois… », à l’ombre d’un grand arbre tentaculaire : mon père. Il prenait décidément beaucoup de place, autant de place que sa générosité et sa tyrannie réunies.
Je me rappelle pourtant que maman n’était pas si effacée, dans ma prime enfance. La fillette que j’étais admirait sa beauté, ses lèvres maquillées, ses cheveux tout courts, ses longues boucles d’oreilles, ses jupes chamarrées qui valsaient à chacun de ses pas. Maman repense, avec des larmes dans les yeux, à ma naissance lorsque mon parrain d’Afrique lui avait dit que j’étais « un bien joli bébé ». C’est à peu près tout ce que je sais de nous. Elle qui a pourtant une si bonne mémoire ne se rappelle pas si elle m’a allaitée.
Maman n’était pas non plus effacée dans sa jeunesse. J’ai du mal à imaginer cette petite fille frondeuse et garçon manqué, si différente de la jeune femme posée, gracieuse et mondaine qu’elle fût lorsque je suis rentrée dans sa vie. Lorsqu’elle était jeune fille, elle était entourée des copains de son frère, parcourant la campagne à bicyclette, espiègle et gâtée par son papa qui lui pardonnait tout, bien qu’il fût autoritaire et qu’elle en eût peur, faisant le mur à la pension où elle était écolière, lisant en cachette sous les couvertures, avec une lampe de poche. Maman, une enfant rebelle ? Comme je l’envie !
Ainsi força-t-elle ses parents à accueillir sous leur toit, en secret (monsieur le curé ayant demandé à la messe quelle famille voulait bien les héberger), deux soldats américains tandis qu’Emilie, la servante de ma grand-mère, revenait avec cette petite fille de douze ans à la maison en donnant du « mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que ton père va dire ? »
Plus tard, elle coupa, sans en demander la permission, ses longues boucles brunes et je parie qu’on entendit à nouveau Emilie : « Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que ton père va dire ? » Résistante, toujours, à sa manière… Souvent privée de sortie le week-end – beaux résultats, mais mauvaise conduite –, elle devait rester à l’école, si bien que son papa offrait alors un bouquet de fleurs à la sœur supérieure pour faire tomber la punition.
Aujourd’hui, il lui arrive quelquefois de redevenir une petite fille narquoise et taquine. Alors nous rions ensemble. C’est comme un petit brasero qui s’allume dans le froid.
J’adore aussi quand maman me parle de ses nombreux amoureux, de sa copine Nicole, avec laquelle elle partait en vacances à Paris, ou de Robert, qui fut son grand ami d’adolescence, connu pendant la guerre quand mes grands-parents avaient fui vers la France, en Aveyron, laissant derrière eux leur maison grande ouverte. « À quoi bon la fermer, s’ils veulent entrer, ils entreront », dit alors mon grand-père… Là-bas, près de Rodez, Robert et Anny faisaient ensemble des escapades dans la campagne et s’appelaient en cachette pour se rejoindre, avec un petit pipeau. Parfois encore, maman me parle de ses voyages en famille en Suisse, au fond de la voiture familiale que Désiré conduisait à tombeau ouvert…
La maman que je me rappelle, moi, celle de mon enfance, celle que j’aime, c’est celle qui m’emmenait avec elle faire les emplettes, celle qui m’achetait des vêtements en cachette en faisant mentir ma grand-mère, complice de cette arnaque dirigée pour écarter la méfiance de papa, très tatillon avec les comptes. L’argent nous manquait un peu. Pourtant je n’en ai jamais souffert, je ne l’ai jamais ressenti et mes Saint-Nicolas étaient celles d’une princesse. C’est maman encore qui me gardait à la maison, anxieuse, sous prétexte que j’étais malade, alors que j’aurais pu, très probablement, aller à l’école, c’est elle qui m’achetait de gros éclairs au chocolat qui s’enroulèrent bien vite autour de ma taille et de mes hanches, mais c’est toujours elle qui me conduisit chez le médecin pour perdre les mêmes kilos superflus. Son amour se manifesta souvent sous la forme culinaire, c’était sa manière à elle de m’aimer.
Plus tard, et même si les années ne se rattrapent guère, je voyais son amour lorsqu’elle guettait sur mon visage une trace de pleine lune. Elle ne m’en disait rien, ou alors seulement : « Manges-tu assez ? » mais le plus important était dit, à mots couverts.
Cependant, force fut de constater que, progressivement et insidieusement, maman devint dépendante de mon père, tant financièrement qu’humainement. Celle qui avait été une enfant, puis une jeune fille libérée, disparut ainsi. Enfin, quoi qu’il en soit, l’ombre de mon père était là, au-dessus de moi, de nous. Il faisait un peu froid, quelquefois.