D’un monde à l’autre - Claude Portenseigne - E-Book

D’un monde à l’autre E-Book

Claude Portenseigne

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Beschreibung

D’un monde à l’autre raconte le parcours de Marc Berthier, restaurateur et navigateur, qui revient à Strasbourg après avoir quitté la ville en raison de la controverse suscitée par ses affirmations sur la communication avec l’au-delà. Après une séparation difficile, il reprend les rênes de son restaurant, puis, en quête de réconfort, il se lance dans une croisière en Méditerranée. C’est à bord de ce paquebot que l’extraordinaire se produit, bouleversant ainsi sa perception de la réalité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une bataille contre la maladie, Claude Portenseigne a trouvé dans l’écriture un moyen d’expression. De son hommage au corps médical dans Le temps d’une vie à son exploration du roman policier avec DGSE contre ETA, son livre "D’un monde à l’autre" révèle sa rébellion innée et son influence de Nietzsche.

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Claude Portenseigne

D’un monde à l’autre

Roman

© Lys Bleu Éditions – Claude Portenseigne

ISBN : 979-10-422-0390-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Envie de prendre le large

Marc, ce matin, n’a pas le moral.

Il pense à son fils resté à Moréa avec sa maman.

Il pense à Karine, sa femme de vingt ans de moins que lui, qui ne le supportait plus.

Il a quitté le Pacifique et est revenu à Strasbourg s’occuper de son restaurant.

Il a repris sa place de chef, derrière les pianos, sans passion.

Ce matin, il décide de changer d’air.

En lisant son journal, ses yeux sont attirés par une publicité.

Partez en croisière en Méditerranée, sur un bateau de rêve !

Voici comment, une semaine plus tard, il se retrouve à Trieste à l’embarquement du bateau de croisière « Le Bordighera ».

Magnifique navire de 250 mètres, appartenant à une célèbre compagnie de navigation italienne.

On lui a attribué, sur bâbord, une jolie cabine au pont No 6, une cabine avec balcon et vue sur la mer.

Le bateau est luxueux, avec un hall central où atterrissent deux ascenseurs aux cabines vitrées ressemblant à des carrosses.

Au centre, un bar immense en marbre noir ceinturé de cuivre jaune où s’activent une dizaine de barmen.

De nombreux fauteuils et tables basses composent le mobilier, en périphérie, quelques somptueuses boutiques de luxe.

À chaque pont, des bars et des coins-repas qui servent en permanence, viennoiseries et repas complets.

Une tentation permanente que les touristes apprécient beaucoup, au vu de la fréquentation. Il est en effet difficile de s’asseoir à une table libre.

Une galerie marchande où l’on trouve de tout, des magasins d’alcool, de tabacs, une pharmacie, des bazars, des bijouteries et des magasins de souvenirs.

Tout est fait pour oublier les problèmes du quotidien.

D’immenses salles de restaurant sur deux étages, reliés entre elles par un somptueux escalier aux rampes brillantes de cuivre.

Le personnel, en habit, accueille et choie les convives. Il pratique un service à la française, un maître d’hôtel pour cinq tables, un serveur pour trois.

La mise de table est impeccable, quatre jeux de couverts, quatre verres différents, serviette disposée sur l’assiette de façon originale à chaque service.

Les coursives qui mènent aux cabines sont décorées et recouvertes d’une épaisse moquette.

Le bateau appareille, s’éloigne lentement du quai grâce à ses propulseurs latéraux.

Ce départ, notre ami le suit depuis le pont supérieur, au milieu de nombreux croisiéristes.

Chapitre II

Surprise

Après avoir fait le tour du propriétaire, parcouru les coursives, vu le théâtre, le casino et les ponts extérieurs, Marc rejoint sa cabine pour se préparer pour le dîner.

À ce moment, une voix venue d’ailleurs envahit son esprit.

Ce n’est pas Pierre, son frère avec lequel il converse d’habitude, une voie différente, une voie intrigante.

— Bonjour, Marc, je suis Joël, un esprit de l’autre côté du mur.
— Bonjour, comment pouvez-vous communiquer avec moi ?
— Cela n’est pas important.

Il faut que tu saches que nous te suivons depuis Rome où tu as fait escale et où nous étions en congrès.

Nous avons embarqué en même temps que toi.

— Pourquoi dites-vous, nous ?
— Parce que nous sommes une centaine et que nous nous sommes donné une mission.
— Quelle mission ?
— Celle de détourner ce bateau, et tu vas nous y aider.
— Vous déraillez complètement. Je suis ici pour me détendre et compte bien le faire. Comment pourriez-vous m’y obliger ?
— Ce n’est pas difficile, d’abord, regarde nos pouvoirs.

Immédiatement après ces mots, le lourd vase de verre rempli de fleurs et placé sur la table basse est fortement projeté sur la glace située au-dessus de la commode.

— Cela te suffit-il ou désires-tu que nous saccagions l’ensemble de la cabine ?

Marc est sidéré.

— Non, quel est votre plan et que souhaitez-vous que je fasse ?
— Notre plan, tu le connaîtras plus tard, sache que nous n’en voulons pas à la vie des passagers. Nous voulons le bateau.

Sur la centaine, certains, une quinzaine, ont préféré s’occuper des machines.

Très complexe, le centre de propulsion.

Personne, hormis le personnel qui y est affecté et les officiers responsables, n’est autorisé à visiter.

Il s’agit du cœur du navire, avec ses immenses générateurs électriques, qui fournissent la puissance aux moteurs du navire.

Une nouvelle technologie, des hélices orientables à l’arrière, entraînées séparément par des moteurs électriques.

Des propulseurs latéraux et avant permettent une rotation du navire, le tout alimenté par une installation électrique complexe.

De nombreux tableaux de contrôle, disposés çà et là, permettent de gérer l’ensemble de la propulsion.

Les « Esprits » vont avoir du travail !

Une vingtaine est partie se poster aux différentes cuisines, d’autres s’occupent des ascenseurs et le reste folâtre dans les coursives, prêts à ficher la pagaille.

Tu vas demander à voir le commissaire de bord lorsque tu seras au bar central, tu lui expliqueras la situation, je serai à tes côtés.

Tu lui demanderas à voir le commandant et, ensemble, nous lui donnerons nos consignes.

— Vous êtes complètement cinglés, ça ne marchera jamais, ils vont me prendre pour un fou.
— Ne t’inquiète pas, c’est prévu, allons-y.

Marc longe le couloir, complètement dérouté, il débouche sur le palier des ascenseurs et emprunte une de ces cabines qui font le va-et-vient.

Il s’approche du bar et demande à être reçu par le commissaire de bord.

— C’est à quel sujet ? demande l’employé.
— Dites-lui que c’est une question de sécurité.
— Mais encore, on vous a dérobé quelque chose ?
— Non, cela intéresse la sécurité du navire, un détournement est en passe de se produire.
— Vous voulez détourner ce navire ? Vous êtes complètement fou.
— Je détiens des informations de la première importance, je ne détourne pas ce navire.
— Bien, je vais voir.

Plusieurs minutes plus tard, le même employé, suivi d’un petit homme au visage buriné et aux cheveux gris, arrive au bar.

— Alors, on me dit qu’un détournement du navire se prépare, que vous auriez des informations à me communiquer ?
— Oui, vous n’allez probablement pas me croire, me prendre pour un fou, mais une centaine d’esprits malveillants envisagent de prendre les commandes du bateau.

Le petit homme se retourne vers son employé, pouffe de rire et dit :

— Un fou, vous avez raison, raccompagnez monsieur à sa cabine.
— Croyez-moi, je communique avec eux. Ils m’ont choisi parce que j’avais cette possibilité.
— Raccompagnez, monsieur, j’ai d’autres chats à fouetter que d’entendre de telles bêtises.

À ce moment, alors que le bateau ne subit aucun tangage, les bouteilles situées derrière le bar commencent à tomber une à une sur le plancher.

— Je vous avais prévenu, ils sont déterminés. Afin que vous en soyez persuadé, ils vous demandent d’éloigner tout le monde du centre du hall.
— Pour quoi faire ?
— Dans dix secondes, le grand lustre va se décrocher, me disent-ils.

Les employés du bar s’activent à éloigner les promeneurs, et…

Effectivement, dix secondes après, dans un fracas épouvantable, le lustre en cristal, de plus de deux cents kilos, s’écrase sur le plancher.

Le petit homme regarde, ahuri, les débris du grand lustre.

De nombreux croisiéristes attirés par le fracas affluent venant des coursives et découvrent effarés le spectacle.

— Alors, convaincu ?
— Que désirent-ils ?
— Ils souhaitent que vous appeliez le commandant, qu’il vienne ici, au bar.
— Ça va être difficile.
— Ils me disent que si le commandant refuse, ils coupent l’électricité du bateau.

Pour preuve, dites au commandant que, à partir de maintenant, le bateau ne peut plus communiquer avec la terre. Ils ont brouillé les communications.

Le commissaire de bord saisit son téléphone portable intérieur et appelle le commandant. Il explique la situation.

— Oui, commandant, c’est incroyable.

Non, commandant, ils ont coupé aussi les communications radio.

Bien, Commandant, nous vous attendons au bar principal.

Le bruit ayant attiré de nombreux curieux, le personnel s’empresse de les rassurer, et fait évacuer la zone.

Arrive, quelques instants plus tard, un homme d’une cinquantaine d’années, portant beau dans un uniforme blanc immaculé, le commandant entouré de deux lieutenants.

— Alors, c’est vous qui voulez détourner mon navire ?
— Non, commandant, je suis un passager comme les autres qui désirait passer une semaine de croisière et me détendre.
— Pour vous détendre, vous allez vous détendre, emmenez monsieur en cellule.
— Vous ne devriez pas, commandant, dit le commissaire de bord, regarder les dégâts aux alentours. Je crois que l’histoire est grave.

Le pacha regarde autour de lui, la situation, il est effaré.

— C’est vous qui avez fait ça ?
— Commandant, afin que vous compreniez la situation, je dois, même si cela vous paraît difficile à croire, vous expliquer certaines choses.

Depuis mon plus jeune âge, je suis télépathe, mon frère jumeau est décédé et j’ai continué à échanger avec lui. Des esprits malveillants ont profité de ce don pour nous forcer à faire ce qu’ils veulent. Ils veulent votre bateau et m’ont assuré qu’ils ne s’en prendraient pas aux passagers.

— Et ils s’imaginent que cela va se passer comme ça ? Ils se trompent.

Immédiatement après les derniers mots du commandant, les propulseurs du bateau se mettent à l’arrêt. Le téléphone portable du Pacha se met à vibrer.

— Évidemment, que je m’en suis rendu compte, demandez au chef mécanicien de remédier immédiatement à la situation.

En regardant Marc :

— Vous serez responsable s’il arrive quelque chose à ce navire.
— Je n’y suis pour rien, ils sont une centaine et tiennent les commandes.
— Mais oui, un fou. Enfermez-le.

Immédiatement, les lumières s’éteignent, les ascenseurs s’arrêtent, tout ce qui marche à l’électricité s’arrête.

— Je n’y suis pour rien, vous devriez les écouter par ma voix.

Joël, le chef, me demande de vous dire que nous devrions monter sur la passerelle et discuter. Si vous acceptez, il remettra l’électricité en service.

— Bien, suivez-moi, avec votre Joël.

Immédiatement, la lumière revint au grand soulagement des passagers et du personnel.

Arrivé sur la passerelle, le commandant est assailli par des officiers inquiets.

— Commandant, le chef mécanicien n’y comprend rien, tout paraît en ordre, mais les machines refusent de démarrer.
— Commandant, les différentes radios ne fonctionnent plus, seuls, les radars fonctionnent ainsi que les sondeurs.
— Du calme, messieurs, retournez à vos postes et restez vigilants.

Quant à vous, dit-il à Marc, suivez-moi.

Ils s’enferment dans le bureau du commandant.

— Bien, que veulent-ils ?
— Tout d’abord pour détendre la situation, ils vous redonnent votre moyen de locomotion.

Le doux tremblement des machines parvient aux sens du Pacha qui pousse un soupir de soulagement.

— Parfait, voici ce qui va nous permettre de discuter calmement.

Vous savez, je ne crois ni aux fantômes ni aux phénomènes surnaturels, je ne crois pas plus à votre histoire de discussions avec l’au-delà.

Il faut cependant remarquer qu’il se passe sur ce bateau des choses inexplicables.

Alors, que voulez-vous ?

— Moi, rien.

Si ce n’était que moi, j’irais dans ma cabine et je m’offrirais un bon whisky.

— Bon, alors, que veulent-ils ?
— Joël souhaite dans un premier temps que vous gardiez le même programme de navigation afin de ne pas inquiéter les passagers.

Il vous autorise une seule liaison radio avec votre compagnie pour les rassurer, mais attention, aucune alerte, ils veillent.

— Ils me demandent de vous dire qu’ils lisent dans chacun de vos esprits, si un seul prend une décision contraire à leur désir, ils sont capables du pire.

Ils vous autorisent à faire comme prévu, l’escale de Split, à faire descendre les touristes et vous veillerez à les rembarquer, sinon ils vous réservent une surprise.

— Quel type de surprise ?
— Du genre où vous perdez le bateau.
— Et comment feront-ils ?
— C’est là, la surprise.

Dans deux jours, il vous donnera de nouvelles consignes par ma voix.

— Tout ce barouf pour ces simples exigences ?
— Ne vous inquiétez pas, me dit-il, vous aurez du suspense.
— Et vous, je peux vous joindre où ?
— Cabine 614, commandant.
— Vous pouvez aller.

Après que Marc eut quitté la passerelle, le commandant appelle un jeune lieutenant.

— Vous me pistez ce gus nuit et jour, accrochez-vous à la vidéo et ne le lâchez pas. Vous me prévenez immédiatement si quelque chose vous semble bizarre ou s’il essaie de pénétrer dans les zones techniques ou de services.
— Bien, Commandant.
— Autre chose, lorsque vous serez sûr qu’il quitte sa cabine pour un certain temps, faites-la fouiller discrètement.

Arrivé dans sa cabine, Marc s’aperçoit immédiatement que le désordre a été réparé. La femme de chambre a dû être surprise de voir tout ce verre au sol et la glace éclatée. Sur la table trône un nouveau bouquet dans un magnifique vase en verre.

— Dans 24 heures, me dit Joël, tu descendras à l’Escale de Split, tu joueras au touriste comme si de rien n’était. Je te signale que tu seras suivi, comme tu es suivi sur le bateau par toutes les caméras, ordre du commandant.

Pendant ta promenade, je réserve avec mes amis quelques petites surprises au Pacha, afin de te dédouaner.

Nous leur expliquerons à ton retour.

— Ah, tout de même, tu prends soin de moi !
— N’oublie pas qu’à la fin tu resteras seul, j’assure tes arrières.
— Tu penses que je dois te remercier ?
— Disons que je prends soin de mon associé.

Le lendemain, Marc suit l’arrivée du paquebot dans la rade de Split depuis la terrasse de sa cabine. La vue est magnifique, cette baie bleue ainsi que ses collines verdoyantes accueillent le navire. La ville ancienne, située dans la presqu’île, éclabousse le paysage d’une tache de couleur ocre.

Il descend à terre et dédaigne la visite organisée que propose la compagnie. Il se promène dans ces ruelles étroites, monte et descend une multitude d’escaliers, si bien qu’arrivé devant le palais Dioclétien, il est fatigué.

Il choisit une terrasse et déguste une orange pressée qui lui redonne de l’énergie. L’escale ne dure que cinq heures, il décide de visiter le palais et la cathédrale Saint-Domnius. Vers 17 heures, il regagne le bateau et décide de prendre une douche bien gagnée.

— Tu ne trouves pas que quelque chose à changer dans ta cabine ?
— Non, pourquoi ?
— Ils ont fait du bon travail de professionnel. Ils ont tout retourné, tout fouillé. Je les ai regardés faire, ils sont repartis déçus.
— Ma cabine a été fouillée ?
— Ordre du commandant.
— Il va en entendre parler celui-là.
— Ne t’inquiète pas, il ne va pas tarder à t’appeler.
— Pourquoi ?
— Nous avons un peu désorganisé le service pendant ton absence.
— Qu’avez-vous fait ?
— Dans un premier temps, nous avons coupé l’éclairage des couloirs bâbord une heure. Puis celui de tribord, également une heure. Nous nous sommes aussi amusés avec les ascenseurs, bloquant ainsi certains passagers restés à bord.
— Bravo, je vois que vous savez vous faire aimer.
— Ne t’inquiète pas, il va bientôt venir te faire chercher.

Effectivement, vers 19 heures, alors que le navire devait quitter le port, le commandant envoie un marin prier Marc de le suivre sur la passerelle.

— Vos petits copains sont satisfaits, j’imagine. Ils ont perturbé le service durant une grande partie de l’escale.
— Commandant, ce ne sont pas mes amis, je suis pris en otage comme vous.
— Demandez-leur de remettre les machines en marche, je dois prendre la mer.
— Commandant, Joël va parler par ma bouche, je ne peux rien faire, réussit à dire Marc avec difficulté en grimaçant comme s’il ressentait une douleur.

« Commandant, voici mes consignes, vous allez descendre la mer Adriatique jusqu’à Corfou, puis vous prendrez le cap 180°. Je vous dirai que faire à ce moment. »

— Et si je refuse ?
— Je prends les commandes du bateau et nous y allons malgré tout.
— Comment dirigerez-vous un bateau de cette importance ?
— Nous donnerons les ordres nécessaires au pilote automatique et aux ordinateurs qui gèrent ce magnifique navire. C’est aussi simple que ça. Maintenant, puisque je pense que vous êtes d’accord, je vous rends vos moteurs.

Une douce vibration se fait sentir, le téléphone sonne :

— Commandant, les machines seront prêtes dans quelques minutes.

Et la croisière continue. La musique du bar ainsi que le brouhaha des passagers montent lentement jusqu’à la passerelle.

Marc, un peu sonné, descend vers sa cabine pour prendre un peu de repos.

Cependant, sur la passerelle, le commandant réunit ses officiers

— Messieurs, nous sommes devant une situation inhabituelle, non prévue dans les manuels de ce navire.

Des entités immatérielles auraient pris l’esprit d’un de nos passagers, et à travers lui, nous menacent.

Avez-vous des suggestions ?

— Pourrions-nous prévenir les autorités ?

Immédiatement, les lumières de la passerelle se mettent à clignoter.

Le commandant :

— Vous avez la réponse.

Ils veillent, nous espionnent, faites attention à ce que vous faites et vous dites. Nous n’avons pas affaire à une situation ordinaire, nous nous battons contre des fantômes.

Dans sa cabine, Marc, allongé sur son lit, réfléchit aux derniers événements.

Il sent que son frère essaie d’entrer en contact avec lui. Il y a comme un frein à la communication, mais le lien du sang est le plus fort. Faiblement, le signal lui parvient.

— Marc, je suis prisonnier d’esprits mauvais, ils ont appris que nous communiquons. Ils veulent se servir de toi, fais attention.
— Pierre, je te reçois faiblement.
— Ils sont plusieurs à m’entourer pour m’empêcher de communiquer avec toi, ils ont appelé d’autres esprits en renfort depuis que je te parle. Bientôt, tu ne m’entendras plus. Prends garde à toi, mon frère, je ne peux rien faire.

Puis, le silence.

Marc ne sait comment contacter Joël, il attend, bien décidé à réagir.

Le bateau navigue lentement vers la mer ionienne, les passagers ne se doutent de rien, et profitent joyeusement des piscines, des bars et autres distractions.

Le soleil rougit à l’horizon, à l’instant où le bateau passe par le travers de Corfou.

— Il est temps d’aller voir le capitaine.
— Joël, je ne bougerai pas, tant que mon frère sera séquestré par vos copains.
— Vous n’avez pas le choix.
— Vous pouvez saccager cette cabine, l’ensemble du bateau, je n’en ai rien à foutre.
— Nous pouvons être redoutables, vous savez.
— Si je me suicide en me jetant à l’eau, vous êtes foutus. Je n’en peux plus, je m’arrête.
— Bon, calmons-nous, nous allons trouver une solution.
— La solution est toute trouvée, vous libérez mon frère, je peux converser de nouveau avec lui, et je continue à collaborer.
— Vous me demandez beaucoup, lorsqu’il sera libre, il peut nous dénoncer et des millions d’esprits nous feront prisonniers. Nous n’existerons plus.
— C’est votre problème.
— Je dois contacter mes collègues.

Il est 20 heures 30, Marc se dirige vers la grande salle à manger. Par table de six, les convives se réunissent, les serveurs s’empressent, c’est le service à la Française, la grande classe.

Les plats se succèdent, les vins également, l’ambiance est détendue. Chaque convive conte une anecdote des croisières précédentes, Marc écoute, l’esprit ailleurs.

Son esprit critique de cuisinier analyse les plats en professionnel.

Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas conquis. Il n’en dit rien à ses voisins qui, apparemment, sont éblouis par les nappes blanches, le ballet des serveurs et les vins à profusion.

Il imagine les cuisines gigantesques pour nourrir 1000 personnes par service, des brigades de 50 personnes, des menus préparés avec soin et pesés au gramme près.

Rien à voir avec sa cuisine, fine et régionale.

Joël essaie de lui parler, Marc répond :

— C’est mon moment de détente, à tout à l’heure.

Le repas terminé, Marc va fumer une cigarette sur le pont en regardant les étoiles.

— C’est le moment, Marc, nous devons parler au commandant.
— Vous ne lâchez jamais le morceau, vous.
— Quand l’heure est arrivée, il faut y aller, dirigeons-nous vers la passerelle.

Pour accéder à la passerelle, il faut emprunter un ascenseur privé.

Un interphone permet d’en demander l’accès.

Ils sont reçus, enfin, Marc est reçu, car personne ne voit Joël, par un équipage réticent au visage fermé. Le commandant arrive.

— Commandant Joël va prendre la parole, dit Marc en grimaçant.
— Que me voulez-vous encore ?
— Je désire que vous preniez le cap 180 et localisiez au radar tous les bateaux de réfugiés en provenance de Libye.
— Je le fais déjà pour éviter de les percuter. Je les signale aux garde-côtes.
— Maintenant, vous allez les recueillir, sans rien signaler à personne.
— Et qu’en fais-je ?
— Vous les lavez, les nourrissez, les logez.
— Vous plaisantez ?
— Nullement, vous avez suffisamment de vivres pour cela, quant aux matelas, vous en avez un stock suffisant.
— Et je fais cela combien de temps ?
— Le temps que je jugerai nécessaire.
— Que se passera-t-il si je me révolte ?
— J’arrête les moteurs et crée une voie d’eau qui fera couler le bateau rapidement.

Après quelques instants, le téléphone sonne.

— Commandant, nous avons une voie d’eau à la centrale de désalinisation, c’est important, il faut m’envoyer du monde pour colmater.

Le commandant regarde Marc. C’est OK.

La fuite d’eau s’arrête.

— Prévenez Monsieur Berthier lorsque vous aurez repéré le premier bateau.

La nuit est calme, soudain, vers 5 heures, un point minuscule illumine le radar à l’azimut 200, distance 10 milles nautiques.

Branle-bas le combat sur la passerelle, le commandant est appelé, Marc est réveillé.

Le navire réduit sa vitesse et se dirige lentement sur l’objectif, le jour se lève, il s’agit d’un bateau de pêche, rempli de passagers qui agitent frénétiquement les bras.

L’accostage se fait en douceur vers huit heures.

De nombreux passagers, le long des bastingages, assistent à l’opération.

Des femmes, des enfants transis, des hommes en short et t-shirt mouillés, disparaissent dans les entrailles du navire.

Le contraste entre le froid du matin et la température des coursives les réconforte.

Les hommes sont séparés des femmes et des enfants. Ils sont tous conduits dans un local réservé au personnel où ils peuvent prendre une douche.

Bientôt, un marin leur apporte des boissons chaudes et des viennoiseries confectionnées à bord.

Dans la journée, trois autres sauvetages sont réalisés, ce qui porte à 156 le nombre de rescapés recueillis.

— Que pense faire votre ami ? demande le commandant à Marc.
— 200 de plus, et je les débarque, me dit-il.
— Mais où vais-je les mettre ? Nous sommes sur un bateau de croisière, pas un cargo.
— Débrouillez-vous, dit-il encore.

Là-dessus, Marc s’écroule, terrassé par un malaise.

— Transportez-le à l’infirmerie et tenez-moi informé de son état de santé, dit le commandant.

Marc se réveille dans un lit d’hôpital, un docteur à ses côtés, ne comprenant pas ce qui lui arrive.

— Il y a longtemps que vous n’avez pas dormi ?
— J’ai dormi la nuit dernière jusqu’à ce que le commandant m’appelle, vers 6 heures du matin, me semble -t-il.
— Votre tension est très basse, vous êtes épuisé. Quelque chose vous tracasse ?
— Demandez au commandant.
— Bon, reposez-vous, je vous ai fait une piqûre de remontant. Dans quelques heures, vous serez sur pied.

Notre malade dort toute la journée, ne se réveille que vers 20 heures. Il quitte l’infirmerie et se dirige vers sa cabine où l’attend une hôtesse confortablement installée dans sa cabine installée dans un fauteuil.

— Que-faites-vous dans ma cabine ?
— Ordre du commandant, je veille sur vous.
— Je suis capable de me surveiller moi-même.
— En voilà des manières, je pensais les Français plus galants, vous pourriez m’offrir un verre, façon de faire connaissance. J’ai veillé moi-même au remplissage du frigo.
— Soit, Champagne ?
— Champagne.
— Et vous pensez me suivre partout ?
— Je vous accompagne, vous êtes célibataire, nous irons au restaurant ensemble, n’ayez crainte, je quitterai l’uniforme de la compagnie.
— Et plus, si affinités ?
— Pourquoi pas ? Je reconnais bien le Français qui sommeille, dit-elle en souriant.
— Si vous ne voyez pas d’inconvénients, je prends une douche et vous attends ici dans une demi-heure ?
—