Des amours grain de sable - Daniel Christe - E-Book

Des amours grain de sable E-Book

Daniel Christe

0,0

Beschreibung

Une étincelle, un coup de foudre et l’idylle est là, à portée de main. Puis, contre toute attente, un inopiné grain de sable vient briser ce fragile fil menant à l’amour. D’une page à une autre, allez à la découverte de personnages candides, frêles, respectables et en quête d’affection.


À PROPOS DE L'AUTEUR


À la suite de ses nombreuses participations à des concours de nouvelles, Daniel Christe s’engage à faire connaître ses écrits aux lecteurs à travers le monde. Des amours grain de sable est son premier recueil publié.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 156

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Daniel Christe

Des amours grain de sable

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Daniel Christe

ISBN : 979-10-377-6058-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Son plus beau cadeau de Noël

Personne n’a pu se reposer en toute confiance dans mon amour et je ne me reposerai, à la fin, dans l’amour de personne.

Emmanuel Carrère

Tout juste sortie du cinéma, aveuglée par la lumière vive du boulevard et un soleil de décembre encore bien vigoureux, Julie profite avec bonheur de l’instant. Avec volupté, la boule de feu se love lentement dans les draps colorés aimablement préparés par l’océan. Comme des chevets géants, les deux tours, rosies par ses derniers rayons, semblent veiller sur le Vieux port.

Encore toute bouleversée par les dramatiques images d’un film qu’elle voit pour la troisième fois, Julie se laisse porter, ballottée par la foule tout à coup pressée d’effectuer ses derniers achats de Noël. Pour la circonstance, les rues ont accueilli avec bonheur un toit de guirlandes multicolores. Les vitrines, maquillées de neige artificielle, tentent de donner le change malgré la douceur de la température alors que Noël est tout proche.

Comme beaucoup de flâneurs, Julie a elle aussi attendu le dernier moment pour effectuer ses achats. Célibataire, ses cadeaux se résument à peu de choses. Certaine que son père, amateur de bons vins, appréciera ce magnum de Margaux repéré dans la vitrine d’une vinothèque de la rue Saint-Yon, elle prend tout son temps, d’autant plus qu’elle hésite encore pour le cadeau de sa maman.

Arrivée sur la petite place à l’angle de la rue du Minage et de la rue du Temple, Eugène Fromentin, perché tout en haut de son socle de pierres blanches de « Crazannes », observe d’un air détaché tous ces gens affairés, les mains encombrées de paquets plus ou moins volumineux. Un sapin, dont la cime flirte avec le firmament, tout de blanc vêtu et planté là provisoirement, semble très fier d’exhiber à la foule ses branches agrémentées de boules polychromes et costumées de dentelles.

Au pied de cet arbre gigantesque, un violoniste tente vainement de distraire un flot humain semblable à des robots. L’esprit occupé par ses achats, la foule passe sans même prêter une oreille attentive à la musique et aux chants mélodieux d’un troubadour anonyme venu bénévolement les distraire. Seules quelques vieilles personnes, apparemment moins pressées, font cercle autour de lui, attentives et émues par les miaulements de son violon.

Attirée par les airs « tzigane » et la voix chaude et puissante de l’artiste, Julie s’arrête net. Elle ne comprend rien aux paroles de ces chants venus probablement d’un pays d’Europe centrale, mais la voix est si belle, la musique si ensorcelante, qu’elle est incapable de faire un pas de plus. Discrètement, se dissimulant derrière un vieux monsieur coiffé d’un feutre noir, elle observe avec intérêt cet artiste inconnu. L’archet paraît voler tant il effleure avec délicatesse chaque corde, arrachant au violon des sons emplis d’émotion.

La beauté de cette musique la touche au plus profond d’elle-même, allant jusqu’à lui provoquer un frisson innocent lui parcourant insidieusement le dos. Son regard est bien incapable de se détacher des mains et du visage du beau jeune homme jouant et chantant comme un Dieu. Elle se surprend même à fermer les yeux pour mieux déguster ce pur moment de bonheur et oublier la foule bruyante et irrespectueuse qui la bouscule sans raison.

C’est le silence soudain qui la sort de son rêve, sans qu’elle ait pris conscience du temps écoulé. Seuls les pas pressés des derniers badauds résonnent sur les pavés de la place maintenant désertée. Discrètement, sans bruit, l’artiste a disparu avec les derniers spectateurs. Gênée de se trouver ainsi abandonnée et sans raison apparente, elle s’enfuit en courant, craignant sans doute d’être poursuivie par le fantôme de l’artiste.

Impossible pour elle de chasser de son esprit la musique et le visage de cet excellent musicien, doué et beau à la fois. Son image s’est comme incrustée de force dans sa mémoire de jeune femme. Julie se souvient avec précision de ses mains frêles et pourtant si agiles conduisant son archet avec une rare maîtrise. Et que dire de sa voix ensorceleuse à l’accent slave ? Peut-être lui manque-t-il déjà ?

Arrivée dans son confortable studio décoré avec goût, elle ressent soudain comme un vide. Il lui est désormais impossible de penser à autre chose qu’à l’inconnu de la petite place. Réflexion faite, elle se demande pourquoi elle ne l’a pas approché de plus près, se reprochant surtout n’avoir pas osé lui parler. Timide, complexée, Julie n’arrive pas à vaincre cette peur irrationnelle qui l’empêche d’aborder les hommes. Née avec une malformation altérant son visage depuis sa naissance (fente palatine appelée vulgairement « bec de lièvre »), elle a subi plusieurs opérations venues pratiquement à bout de cette injuste disgrâce. Seule une cicatrice se remarquant à peine reste visible sur sa lèvre supérieure.

Les moqueries de ses camarades d’école, qu’elle a trop longtemps supportées, sont autant de blessures indélébiles qui encombrent à tout jamais sa mémoire. Aujourd’hui encore et malgré les années passées, le traumatisme reste présent. Le seul fait de penser à cette légère marque l’empêche de jouir pleinement de la vie. Le regard de la foule, plus encore celui des hommes, l’épouvante et l’inquiète. Julie ne parvient pas à croire que l’on puisse se retourner sur elle, sur son corps pourtant parfait et son élégance de femme, mais uniquement sur sa cicatrice.

Une folle et incontrôlable envie de le revoir s’est subitement emparée d’elle, juste pour entendre à nouveau cette voix suave, mais surtout pour chaparder et conserver en elle, chaque trait de son visage qu’elle enfouira au plus profond de son cœur. Osera-t-elle enfin se montrer ou continuera-t-elle ce puéril jeu de cache-cache ?

Le lendemain, son travail tout juste terminé, elle se précipite dans la foule encore plus dense et pressée que la veille la conduisant directement au pied du grand sapin. Le temps change vite en bord de mer. Hier ce soleil éclatant, aujourd’hui une pluie fine et glaciale s’est abattue sur la ville. La nuit est tombée d’un coup et a gagné méchamment les rues luisantes devenues des miroirs. Les notes d’une musique qu’elle reconnaît aussitôt se faufilent le long des façades. Le musicien est bien au rendez-vous. À chaque pas la rapprochant de l’artiste, Julie sent son rythme cardiaque s’accélérer. La reconnaîtra-t-il ? L’a-t-il d’ailleurs réellement remarquée hier soir ? Julie ignore pourquoi faire preuve de tant de précipitations à retrouver cet inconnu alors que la plupart des hommes lui font habituellement peur. Elle ne cherche aucune réponse à ses ridicules et inutiles interrogations, n’ayant plus qu’une envie : le retrouver au plus vite.

Guidée, happée, aimantée par les miaulements saccadés du violon, elle s’arrête cette fois à deux pas de l’artiste. Comme la veille se fait discrète, mais pas trop, craignant qu’il ne la remarque pas. Il fait froid, très froid. Usant d’un alibi puéril, Julie cache son visage et peut-être sa cicatrice derrière une grande écharpe de laine blanche. Ainsi camouflée, elle ose affronter furtivement son regard pour aussitôt le porter sur ses mains et son violon. Le miracle attendu se concrétise enfin quand l’artiste lui adresse un sourire, comme pour la remercier de sa présence, preuve qu’il l’a bien reconnue.

Étonnée, émue, elle se retourne précipitamment, persuadée que ce sourire, véritable cadeau, s’adresse à quelqu’un d’autre, probablement à une jeune fille bien plus jolie qu’elle. Pourtant, il n’y a personne derrière elle. Julie devine alors ses joues s’empourprer, son corps se déliter. Envisageant un court instant la fuite, elle se reprend aussitôt, n’étant venue que pour lui.

L’artiste joue avec ferveur des airs venus de ces contrées où le froid et la neige ne manquent jamais le rendez-vous de Noël. La tête amoureusement penchée sur sa mentonnière paraît comme soudée à son violon. Probablement fatigué par plusieurs heures de station debout, le violoniste joue assis, ce qu’elle n’avait pas remarqué la veille. Ses yeux mi-clos, protégés par de longs cils noirs et soyeux, fixent les cordes de son instrument que l’archet, aussi léger qu’une plume, caresse à une vitesse folle. Sans toutefois comprendre les paroles de ses mélodies, Julie devine tout ce qu’elles peuvent révéler et ce qui est probablement enfoui en elles. Rien qu’à voir les expressions de son visage, elle en découvre le sens. À lui seul, son violon exprime les doutes, les joies, mais aussi l’espoir de lendemains heureux et une folle envie de vivre !

Parfois, brièvement, son regard glisse sur elle, comme s’il lui destinait personnellement sa mélodie. Prudemment, Julie relève la tête tout en recevant simultanément une œillade langoureuse de l’artiste plantant avec audace ses yeux dans les siens, la laissant sans réaction. Croyant devenir sa proie et son otage, elle souhaite néanmoins que cet instant de bonheur puisse durer toujours !

Julie reste persuadée qu’il ne joue et ne chante que pour elle. Sans s’interrompre, il enchaîne avec une époustouflante virtuosité les airs entraînants que l’on doit jouer les jours de fête dans son pays. Subjuguée, elle met un instant ses yeux au repos afin de mieux goûter cette merveilleuse musique et oublier les bruits parasites de la foule pressée. Frustrée, son regard se concentre sur la moitié visible de son beau visage, l’autre étant amoureusement collée à son violon qu’un instant elle envie. Elle aussi aimerait se laisser caresser par cette joue et ce menton mal rasés. Par moment, les paupières du violoniste se soulèvent, découvrant de grands yeux d’un vert si clair qu’on pourrait les croire transparents. Julie remarque son nez légèrement aquilin se gonfler à chaque inspiration. Une bouche charnue et sensuelle, faite tout spécialement pour les baisers, laisse entrevoir des dents d’une blancheur éclatante. Ses longs cheveux noirs et bouclés se balancent au rythme de la musique, découvrant une oreille bien faite destinée à guetter chaque note.

Il doit avoir le même âge qu’elle, la trentaine tout au plus. Lui aussi dévisage secrètement la jeune femme pour mieux se souvenir d’elle, ses yeux captant et enregistrant toutes les formes de cette beauté inconnue. En rentrant chez lui ce soir, il saura la décrire en détail. Malgré l’obstination dont Julie fait preuve à vouloir dissimuler son visage derrière son écharpe, il se souviendra de sa chevelure flamboyante, de sa peau légèrement ambrée laissant deviner quelques taches de rousseur. Lui aussi s’est laissé apparemment prendre au piège de ses grands yeux abrités derrière de longs cils noircis par le fard. Sans être très grande, sa tenue décontractée et sportive lui confère une allure de jeune femme élégante, comme justement il les aime.

Le charme est brutalement rompu par sept sons brefs et clairs qu’égrène laconiquement la grosse horloge, rappelant à tous que la fête est finie pour ce soir. Un à un, les magasins répondent au signal, baissant aussitôt leurs rideaux dans un vacarme étourdissant. Avec des gestes lents et soigneux, le musicien range alors son instrument et ses partitions sous les chauds et derniers bravos des spectateurs encore présents.

Après un timide salut de la tête, Julie envisage avec regret de partir lorsque le jeune homme, le visage éclairé d’un sourire séduisant, l’invite à s’approcher.

— Mademoiselle, puis-je vous demander un petit service ?

— Oui, bien entendu, lui répond sans réfléchir une Julie tout excitée et ravie qu’il se soit adressé à elle !

— Habituellement, c’est ma mère qui m’aide à transporter tout mon matériel à la maison, mais aujourd’hui, il me semble bien qu’elle a dû m’oublier ! J’habite tout près, pourriez-vous m’aider en poussant mon fauteuil jusqu’à mon domicile se trouvant tout près d’ici ?

Jusque-là, Julie n’avait vu que le beau musicien, ignorant sincèrement son infirmité. La rue du Temple, débarrassée de la foule et des chants, est à nouveau plongée dans un méchant silence. Loin d’imaginer ce jeune homme prisonnier de ce maudit fauteuil le reliant encore au monde, une angoisse soudaine envahit sa poitrine. Refusant cette cruelle vérité, elle refuse et tente de se rassurer, croyant à une immobilisation temporaire.

— Je m’appelle Nicolas ! lui lance-t-il en se retournant vers son guide.

— Moi c’est Julie ! lui confie-t-elle aussi vite.

Comme s’il la connaissait depuis toujours, Nicolas lui confie son violon soigneusement rangé dans son étui de cuir qu’elle porte à son épaule. Prenant soin d’éviter les obstacles de la rue et ainsi harnachée, Julie pousse avec fierté et dextérité cet étonnant attelage. De peur sans doute qu’on ne les prenne pour des saltimbanques ou peut-être sûrement par crainte d’être reconnue par une de ses collègues de bureau, elle presse sciemment le pas.

— Vous conduisez comme une vrai pro ! Laissez-moi deviner, vous êtes infirmière !

— Perdu !

Puis, subitement, un doute probablement idiot l’envahit. Tout en appréhendant de quitter bien trop tôt ce charmant jeune homme, Julie redoute une mise en scène peut être préméditée, voire un piège sordide. Ces idées folles nourrissent alors en elle une angoisse irraisonnée, allant jusqu’à lui faire redouter une issue fatale. Elle flaire son cœur s’emballer, une douleur violente s’emparer de sa poitrine. Muette et songeuse, elle freine inconsciemment sa course en éprouvant malgré tout un certain plaisir de se savoir utile.

— Prenez à droite, voyez cet immeuble aux portes rouges, j’habite ici ! Nous sommes presque arrivés !

Bien évidemment, Julie s’est promis de refuser toute invitation de la part de cet inconnu. L’aventure va donc prendre fin au pied de ce bâtiment.

— Merci mademoiselle ! Pouvez-vous appuyer sur le bouton situé sous la plaque de marbre blanc ?

Julie s’exécute sans précipitation. La porte à deux battants libère alors un passage suffisant pour un fauteuil roulant. L’accès à un grand vestibule s’offre aussitôt à sa vue, l’entrée donnant directement sur une pièce où, discrètement, elle remarque un impressionnant piano blanc la meublant à lui seul.

Leurs regards se croisent, Nicolas hésite un instant. Pourtant, il n’invite pas son cicérone à entrer. Rassurée mais déçue à la fois, Julie aurait malgré tout souhaité profiter encore un peu de sa présence.

— Je vous remercie beaucoup pour votre gentillesse, lui dit-il avec courtoisie. Je n’ose pas prendre davantage de votre temps, certain que votre famille vous attend pour le réveillon, mais accepteriez-vous de venir mercredi vers dix-sept heures, après mon dernier cours ? Nous prendrons un café ou un thé et ferons davantage connaissance. J’aurai beaucoup de joie à vous revoir et à parler avec vous !

Avec peut-être un peu trop de précipitation, Julie accepte avec enthousiasme ce rendez-vous secrètement espéré.

— Oui, avec plaisir, mais pas avant dix-huit heures trente, juste après mon travail, lui répond-elle d’une voix éraillée.

En guise de salutation, Nicolas lui tend une main douce et vigoureuse, tout en lui rappelant son invitation :

— J’attends votre visite avec impatience !

Leurs regards se croisent une dernière fois avant que la lourde porte rouge ne se referme lentement sur Nicolas. S’approchant alors timidement de la plaque qu’elle avait tout juste eu le temps d’apercevoir en sonnant, elle lit :

« Nicolas Doré, professeur de musique ».

Soulagée, heureuse, elle réalise soudain que Nicolas, l’étonnant musicien, existe réellement ! Cette révélation agit alors sur elle comme un tranquillisant. D’un pas redevenu miraculeusement léger, l’esprit libéré de ses sottes angoisses, Julie n’a plus qu’une idée en tête, le revoir au plus vite.

Il lui faut pourtant absolument modérer cette impatience dont elle fait trop souvent preuve. Deux jours. Deux jours interminables la séparent de son rendez-vous. Une éternité !

Julie en aurait presque oublié le réveillon de Noël prévu chez ses parents ainsi que les cadeaux qu’elle leur destine. La vinothèque ayant prolongé son heure de fermeture, elle se précipite dans le magasin presque désert et, comme un zombie, erre parmi les rayons à la recherche du magnum de Bordeaux aperçu voici quelques jours. Pour sa maman qu’elle sait gourmande, elle choisit une boîte de chocolats fourrés à l’Armagnac.

Malgré les merveilleux souvenirs des Noëls passés auprès de ses parents qu’elle adore, cette fin d’après-midi demeure pour elle un instant inoubliable. Serait-ce donc tout simplement ça le bonheur ?

Ce soir, Julie fait preuve d’une gaieté et d’une inhabituelle décontraction. Elle rit, plaisante, chantonne. Comme une petite fille éprouvant le besoin d’être cajolée, elle s’assied sur les genoux de son père, l’embrasse comme lorsqu’elle était enfant, puis court se réfugier dans les bras de sa maman, la couvrant de baisers. Comme ils aimeraient la voir toujours ainsi !

— Toi, tu es amoureuse !lui lance son père en riant.

Ils aimeraient tant que leur fille mette rapidement fin à un célibat qui les inquiète et les angoisse, qu’elle cesse enfin de fuir les hommes et parvienne à fonder un foyer. Ils sont si impatients de gâter et aimer de futurs petits-enfants.

Joyeuse comme jamais, Julie rit, plaisante en leur racontant, avec moult détails, sa rencontre toute récente avec le plus beau et le plus fabuleux des artistes. Excitée comme une collégienne après son premier rendez-vous, elle ne tarit pas d’éloges sur ce bel inconnu. Il lui tarde pourtant de se retrouver seule, de ne penser qu’à celui qui la fait déjà tant rêver. Tous les prétextes lui sont alors bons pour écourter la soirée. Indulgents et soupçonnant un rendez-vous amoureux, ils ne la retiennent surtout pas !

Le pas léger, Julie vole plus qu’elle ne marche vers son petit nid douillet, prête à consacrer ses pensées au seul Nicolas, certaine de rêver et de revivre les instants bien trop brefs passés auprès de lui et des espoirs naissants la faisant espérer un bonheur qu’elle ne croyait jamais connaître. Néanmoins, Julie se pose mille questions à son sujet, tout en se l’imaginant libre, bien entendu !

« Est-il encore capable de s’habiller seul ? Faire sa toilette sans aide ? Jusqu’où la paralysie l’a-t-elle gagné ? Est-il condamné à passer le reste de sa vie célibataire, ignorant pour toujours les joies de l’amour ? Peut-il encore seulement espérer avoir des enfants ? »

Autant de questions qui la dérangent et la troublent alors qu’elle ne le connaît que depuis deux jours seulement. Afin de se rassurer, elle l’imagine encore célibataire et libre, peut-être même prêt à fonder un foyer.

De toute évidence, ce garçon lui plaît. Son charme, sa douceur et son talent ont su ouvrir en grand les portes de son cœur. Julie se sent prête à oublier son handicap qui d’ailleurs ne l’effraye absolument pas, ne voyant en lui que l’homme rayonnant et doué d’un prodigieux talent. Il ne lui manque plus qu’à faire connaissance avec son âme pour peut-être l’aimer tout à fait. Encore deux jours d’attente !

Dormir ! Dormir afin de chasser ces idées saugrenues, dormir pour mieux rêver de lui !