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Tiphaine est une jeune fille qui court sur les sentiers les plus escarpés de France. Elle aime la nature, les endroits sauvages, et s’aventure dans les randonnées les plus difficiles telles que le GR20 en Corse, les sentiers de la Réunion et beaucoup d’autres. Avec son compagnon, Kévin, qui attend la fin de ses aventures pour qu’ils fondent une famille, la vie promet d’être belle. Toutefois, les imprévus du destin en décideront autrement. Bientôt, elle apprendra au cours de ses exploits que la maladie qui sévissait sur sa famille, il y a quelques années, revient en force et cela bouleversera ses projets. Elle devra faire face non seulement à l’affection héréditaire, mais aussi à de petits secrets de famille.
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Marie-Lou Clairet
Des bleus au cœur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marie-Lou Clairet
ISBN :979-10-377-5798-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À tous ceux qui souffrent de maladies génétiques.
En particulier à mes enfants, petits-enfants, frère et sœur,
cousins et cousines qui ont,
ou peuvent avoir ces bleus au cœur.
Ce roman est aussi dédié :
À ma mère décédée en 1966,
À mon père décédé en 1984.
À mes frères Roger et Yves décédés en 1976 et 1980 à l’âge de 20 ans et 19 ans,
sans avoir eu recours à cette transplantation,
ce qui leur aurait permis de rester encore avec nous.
À ma sœur Éliane décédée en 1980 (accident)
Aux membres de ma famille
qui sont atteints de cette maladie
qui leur laisse des bleus au cœur.
L’ennemi de notre famille s’appelle « le gène TNNT2 », diagnostic de la cardiomyopathie hypertrophique familiale.
Afin de démontrer qu’un minuscule gène anormal peut brusquement chambouler toute une vie, j’ai invité ce « gène coupable » dans le corps de mon héroïne Tiphaine, dans « Des bleus au cœur ».
***
Bien que construit sur des témoignages réels, ce roman reste entièrement une fiction, bâti sur des aveux de personnes touchées par ce gène.
Les protagonistes qui l’animent sont purement imaginaires de même que leur destin.
En aucun cas un rapprochement ou une ressemblance ne peut être affilié à un personnage vivant ou ayant existé.
Témoignage authentique de mon frère Gilles Rossi, malade depuis 2011 et qui porte un défibrillateur.
Le jour où j’ai vu mon cardiologue pour une visite de routine, après avoir terminé l’échographie, il m’annonce qu’il me faisait hospitaliser tout de suite, que j’avais une insuffisance cardiaque. Ils me donneraient un traitement approprié avant de me poser en urgence un défibrillateur. En quelques jours seulement, ma vie a changé à jamais. Des médicaments matin et soir et à vie font partie de mon quotidien. Les années sont passées et si on ne s’habitue pas vraiment à ce traitement médicamenteux et aux visites régulières chez son cardiologue, je sais que tout cela me maintient en vie. En dix ans, mon défibrillateur s’est déclenché trois fois. Sans ce petit appareil, je ne serais plus de ce monde. Je compare cette annonce comme un tremblement de terre dans mon existence. On sait que cela peut arriver, mais on ne sait jamais quand. La maladie ne guérit pas, elle se stabilise grâce au traitement, mais hélas, elle peut s’aggraver aussi. Pour moi, c’est cette dernière option. Les essoufflements sont constants et inconfortables, le fait de déplacer simplement une chaise me fatigue. J’ai l’impression que je ne suis plus bon à rien, mais je remercie la médecine pour tous ces progrès qui m’ont donné la joie de connaître mes petits-enfants et j’espère les voir encore grandir. Ce gène que j’ai en moi, je l’ai transmis à deux de mes enfants. Je tremble pour leur avenir. Je n’ai pas peur de la mort, mais j’ai peur de ne plus vivre pour voir les belles choses de la vie.
Ce jour-là, la pluie ne cessait pas de tomber, pourtant, elle n’affectait pas le moral de Tiphaine Lambert. Bien au contraire, plus que jamais, elle restait motivée, car sa première grande épreuve sportive allait enfin voir le jour. Celle qui lui tenait à cœur depuis plusieurs mois. Depuis une bonne décennie, elle courait sur les sentiers les plus esquintés de France. D’abord, dans sa région du Forez puis, vu ses performances non négligeables et encourageantes, petit à petit, elle s’inscrivait dans des courses un peu plus difficiles. Seule dans sa maison à Mornand-en-Forez aux Piards, Tiphaine préparait avec soin ses affaires pour cette nouvelle course qui aura lieu dimanche 20 juillet 2014 à Tréffort dans l’Isère. Des affaires pour une journée et ses accessoires de toilette étaient enfouis dans un premier sac. Quant à son sac de sport, elle lui accordait une attention particulière : vêtements de sport, compléments nutritifs, chaussures de trail, sa crème « Nok » pour la préparation de ses pieds et son camelbak pour l’hydratation, sans oublier ce que les organisateurs demandaient à chaque participant, couverture de survie, lampe frontale, sifflet, certificat médical, etc. Une fois son sac prêt, elle s’installait dans son canapé pour étudier cette fois-ci, l’itinéraire jusqu’au lieu de la compétition. Malgré une météo peu favorable, elle restait optimiste. Depuis plusieurs mois, elle se préparait pour cette nouvelle épreuve de trail, suivie de sa chienne Nayade, docilement, elle la précédait sans jamais s’éloigner. Jamais auparavant, Tiphaine n’avait couru sur une distance aussi longue. Si d’habitude, elle se limitait à une trentaine de kilomètres, bientôt, elle se lancerait sur un circuit de cinquante-cinq kilomètres avec un dénivelé de 2100 mètres. Le surlendemain, elle saurait où elle en était dans ses performances sportives, son objectif était de faire le GR20 en Corse. Le moral toujours au top, elle savait qu’elle pouvait le faire. Plus que tout, elle désirait vivre cette aventure, malgré les réticences de son compagnon Kévin qui l’en dissuadait à chaque fois qu’elle abordait le sujet. Puis devant son obstination, il acquiesça. Il la conduirait et l’attendrait à l’hôtel comme il le faisait depuis qu’elle sillonnait les sentiers de France. Ce 20 juillet, exceptionnellement il ne pourrait pas l’accompagner.
Tiphaine le savait, elle l’aura au téléphone et il lui demandera si tout va bien, voire s’inquiétera, malgré la confiance qu’il lui témoignait depuis leur rencontre il y a une dizaine d’années. Pour la première fois, elle serait sans lui ni avec sa chienne Nayade. Le lendemain, elle prendrait la route et dormirait à l’hôtel pour être prête et reposée au départ de sa course à 8 heures.
Elle arrivait un jour avant pour repérer le terrain sur quelques kilomètres. Elle entamait la randonnée à pied en scrutant les éventuels pièges des chemins. Une petite appréhension, lorsqu’elle abordait la passerelle himalayenne de 220 mètres de long, 1,20 mètre de largeur et de 45 à 85 mètres au-dessus des eaux du Drac, affluent du Rhône. Tiphaine avait le vertige, mais elle en avait vu d’autres et commençait à faire la traversée. Soudain, à mi-parcours, elle ressentit une forte oppression dans la poitrine. Obligée d’interrompre sa course due à un essoufflement inaccoutumé suivi d’une douleur. Cet essoufflement était anormal, jamais auparavant, elle n’avait ressenti une gêne similaire. Quelques minutes lui furent nécessaires pour retrouver une respiration normale. Prudente, elle préférait regagner son hôtel, puis elle informait Kévin de son problème. La recommandation de rentrer n’eut aucun effet sur sa décision. Entêtée et obstinée, elle décidait malgré tout de prendre le départ comme prévu. Elle regrettait lui avoir confié cet incident, cela n’avait fait qu’accroître son inquiétude.
Sur la ligne du départ, sa puce de chronométrage fixée sur sa chaussure, elle restait concentrée, après un échauffement dans la souplesse, elle était ravie d’être là. Elle passait un dernier appel à son ami pour le rassurer.
— Je n’ai plus mal, ça devait être nerveux. J’ai eu une grande appréhension en abordant la passerelle, car j’ai un peu le vertige, tu le sais bien. Mais j’ai pris sur moi et au bout de deux ou trois minutes, tout allait mieux. Ne t’inquiète pas. Je suis en pleine forme et je suis trop heureuse de faire cette course.
— D’accord lui répondait Kévin, en dissimulant son angoisse.
— Il faut que j’y aille, l’appel commence. À plus tard, je t’appelle dès que j’arrive. Bisous, bisous.
— À bientôt, prends soin de toi. Oh ! Tiphaine, si ça ne va pas, tu abandonnes, promis ?
Elle raccrocha trop rapidement et ne put entendre cette dernière recommandation.
Le nom de Tiphaine Lambert venait d’être cité au micro, elle leva le bras pour signaler sa présence aux organisateurs. Chacun se motivait à sa façon, certains sautillaient, d’autres jouaient avec leur respiration, Tiphaine essayait de ne penser à rien. Concentrée à fond, elle entendra à peine le coup de révolver qui lançait le départ. Elle fut entraînée, presque malgré elle, dans sa course par le mouvement des nombreux concurrents. Arrivée à la passerelle, la même crainte s’emparait d’elle, néanmoins sans ressentir le moindre signe de détresse dans la poitrine, elle continuait à courir en oubliant l’incident de la veille. Elle suivait de nombreux compétiteurs et elle entendait derrière elle, le souffle des autres adversaires. Elle se sentait en forme et avec légèreté, elle avalait les trente premiers kilomètres sans trop de souffrance, contrairement aux dix derniers. Parfois, dans les ascensions difficiles, elle manquait de souffle. Elle se disait que c’était normal, jamais elle n’avait couru une épreuve aussi longue, alors elle continuait à courir à son rythme. Elle était capable de déjouer les pièges des chemins rebutants. Elle était à l’écoute de son corps et malgré l’essoufflement, elle sentait qu’elle pouvait faire des exploits. Son moral était d’acier et ses jambes aussi, donc les derniers kilomètres étaient encourageants, surtout lorsqu’elle réussissait encore à doubler des adversaires. Sur le dernier kilomètre, elle se payait le luxe de dépasser encore deux participants. Elle sentait pourtant une fatigue pesante lui casser les jambes, mais encore un dernier effort, se disait-elle. Elle recherchait ses dernières forces en imaginant Kévin sur le bord du chemin en train de l’encourager, comme à chacune de ses courses. C’était avec ces belles images chimériques qu’elle trouvait la force de terminer les derniers cent mètres devenus de plus en plus pénibles. Enfin, elle poussait un cri de délivrance en franchissant la ligne d’arrivée sous des tonnerres d’applaudissements. Elle entendait à peine le commentateur annoncer sa première place en tant que féminine. Maintenant, elle pouvait relâcher tous ses muscles, elle se pliait en deux pour retrouver un souffle qui avait bien du mal à revenir, puis se redressait et inspirait à fond. Après quelques étirements, elle revenait à sa voiture garée toute proche. Elle était ravie, elle s’asseyait sur le siège passager et appelait son ami pour lui dire à quel point elle était heureuse d’avoir aussi bien réussi ce défi.
— J’y crois pas, j’ai réussi à le terminer, tu t’en rends compte. Je suis folle de joie. Je crois même que je suis la première féminine. Je te rappelle plus tard quand j’aurai mon classement, lâcha-t-elle dans l’euphorie.
Elle retournait sur la ligne d’arrivée pour voir terminer d’autres concurrents. Elle se trouvait dans une autre dimension tellement sa joie était grande. Tout à coup, une violente oppression dans la poitrine la plia en deux et l’empêcha de respirer normalement. Comme la veille, la douleur était très vive et rapide. Celle-ci reprit deux ou trois fois de suite. Un spectateur tout proche lui demanda si tout allait bien, elle ne répondit pas, elle ne le pouvait pas, alors les secours étaient appelés et bien vite, elle se retrouvait entourée de deux secouristes de la croix rouge. Après l’avoir examinée, un secouriste lui dit que tout allait bien, que c’était sûrement dû aux efforts fournis, puis il la laissait repartir. Tiphaine se sentait mieux, lorsqu’elle se rendit aux résultats déjà affichés. Elle relisait plusieurs fois ce qu’elle avait eu du mal à entendre lors de son passage sur la ligne. Première féminine, Tiphaine Lambert 4 h 21 min 19 s Le temps du vainqueur Gabin Moutulet 3 h 40 min 38 s Après avoir tous les renseignements, elle reçut sa coupe en tant que première féminine, puis elle se hâta de rentrer chez elle. Elle appela de nouveau Kévin pour lui dévoiler avec fierté sa performance inespérée, mais omit de lui signaler l’incident après la course. Elle était si fière d’elle, qu’elle ne souhaitait pas gâcher son retour. Elle arriva en milieu d’après-midi à Mornand où elle se reposait jusqu’au retour de son compagnon.
Elle savait déjà qu’elle tiendrait sous silence ce problème de santé pendant longtemps.
Tiphaine continuait à courir, son objectif : faire le GR20 en Corse. Depuis environ six mois, elle n’avait plus aucun problème d’essoufflement et s’en réjouissait. Elle commençait à s’entraîner pour ce nouveau défi. A presque 30 ans, elle prenait la décision avec Kévin de faire le GR20 et qu’après elle arrêterait de courir ou de randonner car à son âge, il fallait penser maintenant à fonder une famille, ce dont ils rêvaient tous les deux. Cette sage décision remplissait de joie le cœur de Kévin. Il était aux petits soins pour elle et l’aidait de son mieux pour son dernier grand défi avant d’être maman : Le GR 20, mythique sentier de randonnée qui traverse la Corse, de Calenzana au nord à Conca au sud, soit une course de 180 km à travers les montagnes, réputé le plus dur d’Europe. Tiphaine voulait accrocher cette épreuve à son beau palmarès. Elle pensait y arriver, pourquoi pas elle, se disait-elle souvent. Sa forme le lui permettait.
Par tous les temps, elle s’entraînait, sillonnait les Monts du Forez, du Lyonnais, les monts d’Auvergne, partout, elle cherchait la difficulté. Presque tous leurs week-ends se passaient sur les sentiers raides de la région et parfois, ceux des Alpes, là où ils aimaient séjourner pour un week-end. Kévin la suivait sans broncher, mais la laissait partir seule avec Nayade pour les entraînements. Il les attendait à l’appartement, loué pour l’occasion. Dès ses 20 ans, Tiphaine aménageait avec Kévin et depuis sans aucune ombre, ils vivaient heureux. Il savait qu’elle tiendrait sa promesse, après cet ultime défi, elle lui donnerait l’enfant qu’il désirait depuis si longtemps. Ce bonheur-là, il le mettait en attente. Il patientait, car il sentait qu’elle n’avait pas fini de courir et il craignait qu’elle ne le lui reproche un jour. Après ce dernier exploit, ils seraient comblés par leur rôle de parent. Il avait dans ses projets d’épouser cette gazelle, comme il la surnommait depuis longtemps. Néanmoins, il attendait le moment propice pour lui faire sa demande.
Ce matin, Tiphaine était un peu souffrante, rien de méchant, un rhume qui ne passait pas aussi vite qu’elle l’aurait souhaité. Donc pas de chevauchée dans les montagnes voisines, elle restait au chaud et se soignait. Tandis que Kévin partait donner un coup de main à un ami dans la maison qu’il construisait, elle décidait de faire son ménage à fond. Fenêtres grandes ouvertes, elle exécutait avec courage les tâches ménagères. Elle fut interrompue par une pression dans la poitrine. Depuis quelques instants, elle se rendait bien compte que sa respiration devenait de plus en plus difficile. Elle s’essoufflait pour un rien, alors qu’elle commençait tout juste la corvée ménagère. Elle s’assit un instant en attendant que cela se passe. Puis reprit son activité pour la terminer tant bien que mal. Inquiétée par ces essoufflements à répétition, sans rien dire, elle retourna voir son docteur qui lui conseilla par précaution de consulter un cardiologue, mais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, il faut plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Profondément déçue, elle accepta le rendez-vous qu’on lui proposait en urgence, le 20 juin. Son départ en Corse était fixé au 15 juin, dans quelques jours seulement. Le temps de se rendre en Corse la veille et l’aventure commencerait. Kévin avait pris ses congés en avance pour être avec elle. Il l’encouragerait de son mobil-home, comme ils en avaient convenu ensemble.
Ne se considérant pas comme une experte, elle se donnait 15 jours, une étape par jour. Tiphaine sera rassurée de le savoir tout près, pourtant elle lui cacha encore son rendez-vous tardif chez le cardiologue. Canalisée sur les préparations de ce voyage, elle oublia elle-même cette visite.
Depuis presque un an, elle se préparait pour cette randonnée, elle cherchait sur internet, dans les revues de grandes randonnées tous les conseils donnés pour mener à bien ce genre d’expédition. Pour terminer ce géant dans de bonnes conditions, 12 kilomètres paraissaient être une bonne moyenne, cela peut paraître peu, mais elle prenait toutes les précautions possibles et raisonnables. Ce qui était moins sensé, c’était qu’elle cachait justement à sa famille son problème d’essoufflement.
À fond sur les conseils de personnes chevronnées, dans leur blog, elle prenait note de ne pas partir avant juin, car les refuges n’étaient pas encore gardés et certains sommets pouvaient être encore enneigés. De même qu’il était fortement déconseillé de prendre le départ après la fin août en raison de certaines sources qui pouvaient être taries en cette période de l’année. Elle savait parfaitement qu’elle subirait un soleil agressif, des orages ou de la brume enveloppant la montagne au risque de s’égarer. Mais la réputation du GR20 en Corse ne serait pas aussi légendaire avec tous ses kilomètres à travers les montagnes, s’il n’y avait pas d’obstacles aussi diversifiés. N’était-il pas réputé pour être le plus coriace d’Europe ?
Tiphaine en était bien consciente et s’y préparait avec le plus grand soin, sans rien négliger. Grâce à internet, elle étudiait les étapes, les unes après les autres, elle apprenait qu’au nord, elle aurait des passages bien plus escarpés et très techniques, tandis qu’au sud les chemins seraient moins accidentés et le terrain moins vallonné, c’est pourquoi les guides conseillaient de faire cette traversée du nord au sud, le plus facile pour la fin. Ses refuges étaient réservés depuis quelques jours. Déjà, l’impatience l’envahissait. Les sacs à dos étaient prêts et attendaient dans l’entrée. Le départ pour l’aéroport de Lyon était imminent. Là encore, elle était raisonnable en mettant briquets, ciseaux, couteaux et bâtons de marche dans un sac qui sera dirigé vers la soute. Ils embarquaient pour Calvi où ils atterriraient une heure vingt plus tard. Tiphaine était détendue et admirait par le hublot l’étendue d’eau qui se trouvait en dessous de l’appareil. Son esprit était déjà sur le circuit et ils eurent une petite pensée pour Nayade qui était restée en pension chez Sylvie, la mère de Tiphaine. Ils s’étaient farouchement interdit de faire voyager leur gentille chienne en soute. Quant à Kévin, il était tourmenté. Il se posait des tas de questions et ne trouvait pas forcément les réponses. Il regrettait un peu ce qu’il s’apprêtait à faire. Comment allait-elle réagir en apprenant qu’il l’accompagnait tout le long du parcours ? songeait-il avec incertitude. Elle ignorait qu’il s’entraînait à son insu et voulait lui faire la surprise. Maintenant, il en avait la capacité, mais il n’avait pas la préparation suffisante pour ce genre d’épreuve sportive. Il avait vraiment peur de conduire Tiphaine à un échec, elle ne lui pardonnerait jamais. Le cheminement convenu entre eux, était qu’il l’attendrait au camping, les deux premiers jours. Par la suite, il se rendrait à la station de ski d’Ascu Stagnu, après au refuge de Capanelle, ancienne bergerie. Enfin, il irait l’attendre au point final à Conca, d’où ils rejoindraient l’aéroport ensemble. Cette idée avait réjoui et rassuré la jeune femme. Kévin était vraiment mal à l’aise, il se demandait comment et quand, lui avouer ce changement dont lui seul avait pris l’initiative.
Quelques heures après l’atterrissage, un taxi les transportait à Calenzana où se trouvait le camping. Très spacieux, les deux jeunes amoureux apprécièrent leur premier hébergement et décidèrent de visiter les alentours. Tiphaine riait de bon cœur, elle était heureuse et Kévin n’en demandait pas plus. Il la soutenait et chassait ses derniers doutes. La confiance revenue, elle savait maintenant qu’elle y arriverait.
Durant la soirée, Tiphaine lui proposa tout à coup.
— On va étudier ensemble la route qu’il faut que tu prennes pour rejoindre Ascu Stagnu. Toi aussi, tu ne dois pas t’égarer, lui dit-elle sur un ton de plaisanterie. Après on ira louer une voiture.
Il n’avait plus le choix, il fallait dire la vérité.
— Chérie, j’ai une surprise pour toi, j’espère que cela te fera plaisir.
Tiphaine le regardait toute souriante, elle était belle, mais Kévin ne se laissait pas attendrir.
— Je prends le départ avec toi, avoua-t-il enfin, soulagé.
La jeune femme resta paralysée sous l’effet de la surprise.
— Mais voyons Kévin, c’est impossible, tu n’as pas d’entraînement, on ne fait pas une randonnée comme le GR20 sur un coup de tête. C’est une blague, tu vas te blesser, c’est certain.
— Je me suis entraîné, dit-il aussitôt. Chaque fois que tu partais courir, moi aussi, j’allais de mon côté pour marcher durant des heures. Certes, mon entraînement est moins sérieux que le tien, mais je t’assure, je suis prêt à te suivre. Je t’en prie ma chérie, je veux le faire avec toi. J’ai en poche mon certificat médical et dans mon sac, tout ce qu’il faut pour une longue randonnée. Tu vois, je ne suis pas si novice.
À cet instant, Tiphaine ne savait comment prendre cette nouvelle. Toute sa préparation en solitaire s’effondrait de façon inattendue.
— Et s’il se blessait ? Le sport, il le regarde bien calé dans son canapé. Son entraînement ne sera peut-être pas suffisant, pensait-elle, inquiète.
Pourtant dans son for intérieur, elle sentait un bonheur intense peu à peu l’envahir.
Ne voulant pas la laisser partir seule dans cette immensité si austère parfois, Kévin insistait.
— Quoi qu’il arrive, je serais à tes côtés, je t’en prie, laisse-moi t’accompagner.
Pour toute réponse, Tiphaine lui sauta au cou et l’embrassa fougueusement. Cette surprise la rassurait et lui faisait tant plaisir. Kévin n’en revenait pas et regrettait de s’être autant tourmenté depuis leur départ.
Ensemble, ils décidèrent d’aller acheter une paire de bâtons pour Kévin.
La journée s’annonçait belle, Tiphaine se leva aux aurores pour profiter de la fraîcheur matinale. Elle prépara un petit déjeuner copieux, car le déjeuner serait pauvre. Kévin la rejoignait, il était enchanté de sa décision et de vivre cette aventure avec elle. Leur conversation ne s’éloignait pas du trajet de cette première étape. Ils allaient se rendre à Ortu di U Piobbu. En franchissant cette distance, ils découvraient à quel point ils étaient heureux de vivre cette épopée ensemble. Une distance de 10 500 km environ avec un dénivelé positif de 1360 m et 60 m de dénivelé négatif était à parcourir pour cette première étape. C’était la première fois que Kévin se lançait dans une aventure comme celle-ci. Toujours derrière son bureau, il admettait ne jamais avoir été tenté par une activité sportive, quelle qu’elle soit. Cependant, il ne pouvait se faire à l’idée de savoir Tiphaine seule dans ce vaste espace corse, cheminant sur des circuits dangereux, malgré la rencontre avec d’autres randonneurs. Le poids du sac sur une quinzaine de jours pourrait faire plier sa gazelle, ou bien n’importe quel incident à issue dramatique pourrait lui arriver, malgré tout le sérieux de la jeune athlète.
Agréablement surpris par leur performance de cette journée, pourtant pas facile avec un départ grimpant, ce sommet leur permettait d’admirer la vue lointaine sur Calvi et la mer. Ils arrivaient au refuge fatigués, mais enchantés. Kévin n’en revenait pas, il ne criait pas victoire, il savait combien, certaines étapes lui feraient courber le dos et déformeraient son visage d’épuisement et de douleur. Il savait aussi le prix à payer pour être émerveillé par tant de beauté qu’offraient les reliefs Corses. Après une nuit chaotique, tous deux trouvaient enfin un peu de sommeil après avoir enfoncé dans leurs oreilles des bouchons antibruit pour oublier les ronflements qui troublaient parfois le silence de la nuit.
Au cours de la deuxième étape, des échauffements commençaient à brûler les pieds de Kévin, la descente redoutable n’arrangeait pas la chose ni les montées et descentes qui s’enchaînaient sur les crêtes. Les soins que lui faisait Tiphaine, le soir dans chaque refuge le soulageaient et le remettaient sur pied. Lorsqu’ils se reposaient un peu en cours de journée, l’athlète stagiaire posait ses chaussures et soignait de nouveau ses pieds. Il les laissait à l’air et changeait de chaussettes humides à cause de la sueur, terrain propice aux ampoules.
Pour la troisième étape, ils quittaient Carozzu jusqu’à Ascu Stagnu, la fatigue commençait à se faire vraiment sentir, surtout pour Kévin. Tiphaine semblait survoler les obstacles au grand étonnement de son ami. Il abordait cette nouvelle épreuve avec appréhension, la dureté du chemin parsemé de roches qui ne faisait que monter et descendre, ce qui maltraitait ses articulations, il masquait sa souffrance et abordait vaillamment les épreuves. Heureusement, une belle surprise les attendait sur le parcours. Tout à coup, se dressait devant eux, la passerelle suspendue de Spasimata qui leur permettait de découvrir un magnifique panorama avec frissons garantis. Ils prenaient le temps de faire des photos, des dizaines de clichés. Soudain, Tiphaine devenait pâle et mal à l’aise sur cette traversée. Elle se rappelait la traversée de la passerelle du Monteynard à Tréffort, son visage devenait livide. Lancé en premier sur cette passerelle, Kévin se retourna pour voir si tout allait bien. Soudain, il la vit en difficulté. Il rebroussa chemin et accourra près d’elle. Tremblante, elle ne pouvait cacher son mal-être et demandait de se reposer dès la passerelle franchie. Elle s’étendit un instant dans l’herbe.
— Ça ne va pas, tu es toute pâle. Tiens, bois un peu, lui dit-il en lui tendant sa gourde et mange cette barre de céréales, ça te fera du bien.
En discutant, il s’aperçut que dans sa réserve, elle n’avait plus d’eau. Furieux, il éleva la voix.
— Tiphaine, tu aurais dû le dire, on aurait cherché de l’eau, tu sais bien qu’on n’en trouve pas partout dans ces montagnes.
Elle reconnut avoir commis une grosse erreur, si elle avait été seule, cela aurait pu avoir des conséquences fâcheuses. Grâce à la réserve d’eau de Kévin, ils terminaient l’étape sans trop de soucis. Cette erreur lui servirait de leçon et elle veillerait avec beaucoup d’attention à sa provision d’eau avec autant d’attention que ses portions alimentaires.
Depuis leur départ matinal, les six heures trente de marche se faisaient sentir, avec beaucoup de souvenirs en tête, ils finissaient la journée épuisés, mais satisfaits.
La quatrième étape leur réservait encore bien des surprises, étant la plus mythique et la plus redoutée des étapes du GR20. Partis avant le lever du soleil, l’étoile du système solaire les surprenait déjà sur les chemins escarpés. Les montées et les descentes étaient très impressionnantes au niveau de la célèbre traversée du cirque de la solitude. La marche était freinée en raison du passage à la queue leu leu vers les chaînes et les échelles qui étaient mises à la disposition des randonneurs, afin de faciliter leur progression, ce qui permettait à tous les deux d’avancer avec assistance. L’ascension obligeait les marcheurs à redoubler de prudence à cause des chutes de pierres des randonneurs qui se trouvaient au-dessus. Malgré les précautions, des cailloux dégringolaient des versants pentus et pouvaient à tout moment être meurtriers. Kévin avait lu des passages sur ce fameux cirque de la solitude et en toute discrétion, avait glissé dans son sac des crampons et une corde d’alpiniste « au cas où ». Bien qu’essoufflés par les efforts fournis et le poids du sac à dos, nos deux randonneurs avançaient lentement avec courage, redoublant de prudence jusqu’au refuge à Tighjettu. Tiphaine avait bien du mal à retrouver son souffle.
Mais vu le monde amarré aux chaînes pour l’escalade périlleuse, elle était obligée de continuer pour ne gêner personne. Durant cette ascension, un essoufflement important par l’effort, par un manque d’air et par un cœur au rythme accéléré, elle s’aidait au maximum à avancer en appuyant sur ses cuisses. Après avoir eu raison de cette montée grâce aux encouragements de Kévin, elle continuait avec beaucoup de difficultés. Les chemins pierreux ne lui facilitaient pas la tâche. Le fait de marcher sur des cailloux, roulant sous les pieds, la déstabilisait régulièrement et ajoutait une fatigue supplémentaire.
— C’est l’épreuve la plus difficile que j’ai faite, je n’en peux plus et dans un geste d’abandon, elle s’asseyait pour permettre à ce cœur affolé de retrouver une cadence moins alarmiste. Kévin la laissait reprendre son souffle, lui tendait sa gourde d’eau, une barre de céréales à manger et quelques fruits secs. Elle n’avait plus de force, une grande fatigue l’envahissait. Il ne trouvait plus les mots pour lui remonter le moral, il pensait même l’obliger à abandonner. Il se félicitait même de l’avoir escortée dans cette traversée sauvage. Son rythme cardiaque retrouvait son allure de croisière, le repos lui redonnait des couleurs. Elle se releva et lança à Kévin.
— Encore un effort et on sera au refuge, fit-elle sans conviction.
Elle n’était pas du genre à abandonner, demain, elle reprendra le départ j’en suis sûr, pensait le jeune homme en l’aidant à replacer son sac sur le dos.
Le soir, à peine le temps de se restaurer, déjà elle s’allongeait dans son lit et s’endormait comme un bébé jusqu’au matin pour se lancer à l’assaut d’une cinquième étape, plus courte et moins pénible, elle leur permit de récupérer un peu de la journée précédente. Leur cadence moins cassante leur redonnait confiance. Alors qu’ils escaladaient le col de Foggiale, un vrombissement troubla le silence. Tout à coup, surgit des pics montagneux, juste devant eux un hélicoptère faisant des rotations au-dessus de leur tête. Surpris, ils stoppèrent leur effort pour observer l’oiseau de fer. Après avoir tournoyé un instant, l’appareil reprenait de l’altitude et s’éloignait peu à peu, survolant les montagnes.
— C’est bizarre, on dirait qu’il cherche quelque chose, s’écria Tiphaine.
— Tu sais en montagne, ce n’est pas rare de voir ces engins voler. C’est l’unique moyen de locomotion rapide. Rien d’étonnant d’en voir un.
— Oui, mais d’habitude c’est pour transporter des charges dans des endroits inaccessibles, non ?
— Chérie, ils recherchent peut-être quelque chose ou quelqu’un.
— Oui, tu as sûrement raison. J’espère que personne n’est en difficulté, affirma Tiphaine en imaginant un pire scénario du fait de ses essoufflements. Il faudrait un hélicoptère pour venir les chercher ici.
Ils prirent le temps de contempler les figures impressionnantes que faisait l’hélicoptère, jusqu’à ce qu’il se transforme en un minuscule point noir dans le ciel bleu.
Puis, ils reprenaient leur progression pour atteindre enfin Ciottulu di i Mori à 1991mètres d’altitude d’où ils purent admirer le panorama avec, en face la Paglia Orba, troisième sommet de Corse avec ses 2525 mètres et le fameux Capu Tafunatu avec son trou au sommet. Mais trop fatigués par ces précédentes étapes et surtout par l’ascension du Cirque de la Solitude, ils ne firent pas l’effort de s’en approcher. L’altitude obligeait Tiphaine à reprendre souvent sa respiration, car l’air lui manquait.
Le lendemain, l’étape suivante devait les conduire jusqu’au refuge de Manganu où ils dormiraient à la bergerie de Vaccaghja. Un lieu renommé et tenu par un vrai corse.
Un site grandiose, où ils pouvaient admirer le lac de Nino et les Pozzines, ces fameuses pelouses qui l’entourent. Ce lieu est aussi la source du plus long fleuve de Corse : le Tavignano. Cette journée s’achèvera au refuge de Manganu. Encore une nuit de repos bien méritée.