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Pour tenter de sauver son journal en faillite, Dino Mancini envoie Lindsay, une photographe, dans les Alpes afin de rapporter des photos pour son nouveau magazine intitulé « Bien vivre dans nos régions ». Pourtant, la jeune femme ignore tout de la montagne, ces immensités sauvages l’impressionnent et lui font peur en même temps. Accompagnée d’un guide peu rassurant, Lindsay s’arme de courage pour découvrir à ses côtés les richesses de la vallée de la Clarée. Dans un décor de rêve, en pleine nature perchée à plus de 1596 mètres d’altitude, comment peut-elle imaginer que la malveillance et la jalousie puissent surgir du passé et lui provoquer bien des soucis ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Marie-Lou Clairet est fascinée par les paysages montagneux tels ceux d’Izoard, du Galibier, ou encore de l’Alpes d’Huez. Aimant la photo, il était naturel que Lindsay, son personnage principal, soit photographe. L’intrigue du récit se construit autour de cet environnement, où les bergers et les troupeaux jouent un rôle majeur.
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Seitenzahl: 301
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Marie-Lou Clairet
Névache, un refuge en montagne
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marie-Lou Clairet
ISBN : 979-10-422-3658-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Vanessa ou un village d’enfance pour refuge, Société des écrivains, 2010
Au fil du temps, Biographie, Edilivre, 2015
Sur les pas d’Anouchka, Edilivre, 2017
Le Toinon, Edilivre, 2018
Le mystère de Montbrison, Edilivre, 2020
Des bleus au cœur, Le Lys Bleu Éditions, 2022.
Ne te moque pas de ma demeure, la poutre en est inclinée et la chambre petite, mais la lune qui brille sur la montagne est à moi.
Sin Heum
Pourtant que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer, qu’en voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver ?
Jean Ferrat
Les nœuds sacrés de la vraie amitié se forment bien plus facilement sous un humble toit et dans les cabanes de bergers que dans les palais des rois ou dans les somptueux édifices élevés par les faveurs de Plutus.
Ludovico Ariosto, dit l’Arioste
Lindsay Lenoir regardait s’éloigner le taxi qui venait de l’amener de la gare de Briançon à Névache, petit village perché à 1596 mètres d’altitude dans les Hautes Alpes. Le journal, pour lequel elle travaillait, était sur le point de déposer le bilan et pour sauver ce qui pouvait l’être encore, Mancini Dino, PDG, croyait fortement au succès de son nouveau magazine. Des photos et des textes authentiques assurant que notre pays était riche de merveilleux endroits où il faisait bon vivre.
En tant que photographe, Lindsay était envoyée pour faire un reportage en montagne, afin de rapporter de belles images sur la faune, la flore et les habitants de la vallée de la Clarée. Sans vraiment connaître la haute montagne, elle acceptait sans protester. Elle posa ses valises à Névache, bourgade authentique qui s’étire depuis le hameau de Plampinet jusqu’à celui de Ville-Haute, laissant sur sa route les hameaux Roubion, Sallé, le Cros et Ville-basse.
Son collègue Gaspard devait sillonner la région strasbourgeoise. À lui de démontrer, grâce à son reportage, qu’il faisait bon vivre en Alsace.
En ce mois de septembre, la saison d’hiver n’avait pas vraiment commencé, bien que la neige ait déjà recouvert les plus hauts sommets.
Le soleil brillait encore et permettait de s’attarder dans les rues de la petite station de ski sans remontées mécaniques. Lindsay se dirigeait vers le « chalet d’en Hô », où se trouvait sa chambre « Cristol » au charme montagnard. Un spa était disponible et espérait bien en profiter. Elle ressortit satisfaite, puis se rendit à l’office du tourisme. Là, on devait lui remettre le nom du guide qui l’accompagnerait pour trois jours. La durée totale de la mission s’échelonnerait sur cinq journées. Quelques instants après, elle glissait dans sa poche le morceau de papier sur lequel étaient inscrits un nom et un numéro de téléphone que lui avait remis l’hôtesse d’accueil avec un sourire légèrement envieux et quelques paroles rassurantes.
— Vous avez bien de la chance, Mademoiselle, beaucoup aimeraient être à votre place. Tanguy est une personnalité très appréciée dans le village, en plus, il est beau gosse, ce qui ne gâche rien, affirma-t-elle d’un air malicieux. Il sait tout faire, il a plusieurs cordes à son arc, comme on dit. Que ce soit en tant que moniteur de ski ou guide de montagne, tout le monde se l’arrache. Vous vous entendrez sûrement bien avec lui, il est très gentil et très compréhensif.
— Tu parles, claironna sa voisine, beau gosse oui, mais c’est un véritable ours, pas gracieux pour deux sous, je ne comprendrai jamais les femmes. Moi, je préfère mille fois Axel, comme moniteur ou comme guide. En tous les cas, je vous la souhaite bonne. C’est un ours sauvage, voilà ce qu’il est vraiment, votre guide.
À entendre les avis contradictoires des deux collègues, Lindsay ne prêta plus vraiment attention à ces remarques, elle les remercia toutes les deux, puis sortit en leur adressant un sourire et un poli « Bonne soirée, Mesdames ».
Après son départ, les deux femmes poursuivirent leurs avis sur Tanguy.
— Arrête Jacqueline, tu dis ça parce que tu es déçue qu’il t’ignore tout le temps et tout le monde sait qu’il te plaît depuis toujours.
— Tu dis n’importe quoi, Sandrine ! ajouta aussitôt la jeune fille dont les joues s’empourprèrent immédiatement.
Tandis qu’elles continuaient leurs échanges flatteurs pour l’une, désagréables pour l’autre, Lindsay flânait un peu, histoire de prendre ses repères dans ce lieu inconnu pour elle. Elle repérait la boulangerie du Cristol et l’épicerie Nev’alpine la plus proche, dans laquelle elle entra pour acheter deux cartes postales et de quoi se restaurer le soir même. En ressortant de l’épicerie, elle remarqua les derniers randonneurs qui redescendaient de la montagne et regagnaient leur hébergement. Le soleil disparaissait derrière les montagnes, baignant les cimes enneigées d’une lumière dorée. La jeune femme imita les sportifs et regagna son refuge. Il fallait encore qu’elle appelle le guide pour prendre rendez-vous. Elle aperçut un groupe de quatre personnes qui discutaient et riaient un peu fort.Tout à coup, un individu du groupe restreint se tourna et croisa son regard. Ce qui la charma et la perturba à la fois. Bien que captivée par ce regard silencieux et envoûtant, elle se dirigea vers son hôtel. Avant d’entrer dans le bâtiment, elle se retourna et vit l’homme qui l’observait toujours.
Pour sûr, ce regard ne les avait pas laissés indifférents l’un comme l’autre. Pourtant, Lindsay se persuada qu’elle n’était pas là pour faire des connaissances, mais uniquement pour son travail de photographe. Son avenir en dépendait. Surprise et charmée, malgré tout, la jeune femme rentrait séduite. Quant à l’homme, troublé et déçu, il regagnait aussi son chalet, situé 500 mètres plus haut.
Un peu plus tard, la jeune femme sortit le morceau de papier de sa poche puis fit le numéro. Le guide donna l’heure du rendez-vous.
— 6 heures, si tôt ? s’écria-t-elle.
— Mademoiselle, il faut marcher pendant une longue période et grimper dans la montagne, cela demande beaucoup d'efforts, dit-il d’une voix hostile. En ce qui concerne les photos, la lumière est bien plus agréable, bien que la météo ne soit pas favorable ces temps-ci. Si vous voulez observer la faune, c’est tôt le matin ou tard le soir, vous devez le savoir, ça non ?
Lindsay resta sans voix, il continuait d’un ton peu agréable.
— Encore une chose, Mademoiselle, ne venez pas en chaussures de ville, prenez aussi une veste chaude. On monte en altitude et à cette époque de l’année, le froid gagne vite. De même dans votre sac à dos, n’oubliez pas votre ration d’eau et de nourriture pour la journée, maugréa-t-il. Après avoir insisté sur la nécessité d’être ponctuelle, il raccrocha.
Lindsay demeura quelques instants l’air stupéfait.
— Pour qui, se prend-il celui-là ? Quel goujat, pesta-t-elle désenchantée.
Aussitôt, les paroles exprimées par les dames de l’office du tourisme lui reviennent en tête. Si l’une le défendait ouvertement, l’autre n’hésitait pas à le traiter d’ours sauvage. Contrariée, elle donna raison à cette dernière. Elle mangeait son sandwich en se postant sur le balcon de sa chambre, observant les dernières allées et venues des gens. Inconsciemment, elle cherchait l’inconnu qui hélas avait disparu lui aussi. Elle décida d’aller faire un tour jusqu’à l’auberge repérée à son arrivée.
Elle y entra et se commanda une infusion qu’elle prit à même le comptoir. La vie à l’intérieur était bruyante, un groupe d’amis fêtait un anniversaire. Ils avaient l’air de beaucoup s’amuser, en raison du bruit, elle préférait rejoindre le silence de son logement. Sur le chemin, elle aperçut l’homme au regard fascinant en compagnie d’une dame.La rencontre de leurs regards la bouleversa à nouveau.
Derrière les crêtes, le disque rouge du soleil couchant avait disparu et s'était éteint pour la nuit. Obnubilée par l’appel téléphonique du guide, Lindsay eut du mal à trouver le sommeil. Ce guide, qu’elle allait devoir côtoyer durant trois jours, le supporterait-elle à ses côtés ? Elle se tranquillisa lorsqu’elle se mit en tête de se rendre à l’office du tourisme le lendemain dès son retour pour demander à changer d’accompagnateur.
Le lendemain matin, après avoir chaussé ses chaussures de marche, à contrecœur, elle alla à ce fameux rendez-vous, la boule au ventre.
Dans la fraîcheur matinale de septembre, soudain, elle se sentit bien seule. L’air frais l’obligea à fermer la fermeture éclair de sa veste polaire. Les premières lueurs n’apparaîtraient que dans une demi-heure, peut-être plus. Pourquoi lui avoir donné un rendez-vous si tôt ? À cette heure-ci, personne ne sortait avant le lever du soleil, seul le maraîcher était debout pour ses livraisons et le boulanger qu’elle imaginait devant son pétrin. Un chien errant traversait la rue en flairant le sol sans même porter attention ni au livreur ni à elle. Le doute s’était immiscé dans son esprit, elle appréhendait la venue du guide comme une corvée. Soudain, une grande solitude s’empara d’elle. Elle se demandait bien ce qu’elle faisait ici. Elle regrettait d’avoir accepté ce travail, surtout que cela ne servirait à rien, car, pensait-elle, l’entreprise était déjà condamnée depuis longtemps.
La déception qu’elle ressentait à cet instant précis lui donna l’envie de fuir et de rentrer chez elle à Lyon. Tout à coup, un 4x4 arriva et stoppa devant elle. L’homme de la veille, lui apparut comme un miracle. Les regards se croisèrent de nouveau, avec les mêmes effets que la veille, lui faisant oublier son état d’âme. En observant la jeune femme frigorifiée, l'homme esquissa un sourire, puis, d'un ton joyeux, sans réellement réfléchir, lui suggéra de prendre un café pour se réchauffer. Elle était déçue de ne pas pouvoir satisfaire sa requête.
Sa réponse le surprit.
— Non, je ne peux pas, j’attends quelqu’un.
Il sortit du véhicule, s’approcha de la jeune femme et enchaîna.
— Par pur et agréable hasard, ne seriez-vous pas Lindsay Lenoir ?
Elle n’eut pas le temps de répondre.
— Je suis Tanguy Martin, votre guide, son cœur se mit à battre à grands coups, désormais.
Lindsay n’en croyait pas ses oreilles. Déçue à deux reprises, elle l'observait et tout de suite, elle s'interrogeait.
— Était-il un véritable ours sous sa carapace de beau gosse, comme l’avait si bien décrit l’hôtesse de l’office du tourisme ?
Elle ne savait que penser de cette situation. Sans attendre une confirmation à sa question, il lui prit son sac à dos, le glissa dans le coffre de sa voiture et l’invita à monter à bord, oubliant le café.
S’installant au volant, il démarra en lui faisant part de cette heureuse coïncidence, puis expliquait le déroulement de leur journée. En pleine stupéfaction, Lindsay continuait à se poser des questions.
— Quel monstre était-il vraiment ? Allait-elle bien s’entendre avec lui ? Était-il un bon guide ? Que signifiaient toutes ces remarques contradictoires sur lui, était-il un Don Juan ou un véritable sauvage des montagnes ? Elle pensa tout à coup à l’air fuyant qu’elle devait montrer à l’instant présent et s’efforça de lui faire confiance, tandis que malgré tout, le silence se faisait autour d’eux. Quant à Tanguy, on devinait bien qu’il était ravi de ce coup du sort.
Lorsqu’il stoppa le moteur, il lui annonça avec un visage rayonnant.
— On ne peut pas aller plus loin en voiture, c’est donc ici que commence la grimpette. Vous vous sentez d’attaque ?
Craintivement, elle acquiesça en scrutant avec crainte, le sentier étroit et sinueux qui se présentait devant eux. Elle prit son sac et le positionna sur son dos en gardant toujours le silence. Tanguy prit le sien également. Un vrai sac de montagnard.
— Qu’avait-il bien pu mettre dans ce sac ? songea-t-elle en lui voyant une besace si remplie.
Durant environ deux heures, ils escaladaient des pentes raides tout en faisant plus ample connaissance. La tension causée par l’attitude de Lindsay retombait peu à peu. Ils s’arrêtaient de temps en temps pour se désaltérer ou grignoter des fruits secs que lui proposait le montagnard. Il prenait le temps de lui montrer les endroits qui valaient le coup d’être immortalisés sur une photo. Les marmottes qui émergeaient de leur terrier au lever du jour furent les premières captives de la carte mémoire. Le magnifique panorama qui surgissait devant eux, après une escalade raide et escarpée, lui sembla être tout simplement une récompense des efforts fournis. Ce guide, finalement, se montrait plutôt attentif, protecteur, il ne ressemblait pas du tout à l’homme qu’elle avait eu au téléphone, encore moins à l’ours dont il avait été baptisé avec mépris.
Depuis leur départ, le ciel était resté voilé, mais à la mi-matinée, le soleil déchirait enfin ce rideau opaque laissant apparaître une lumière plus propice aux prises de clichés. Le terrain rocheux laissait place à des étendues de prairies. Fatiguée par cette marche inhabituelle, Lindsay vacilla. Tanguy s’en aperçut. Sans émettre la moindre remarque, il proposa aussitôt de s’arrêter sur ce plateau verdoyant pour se reposer un peu et prendre une collation. Soulagée, Lindsay accepta avec plaisir. Afin d’apaiser ses pieds, elle commença à enlever ses chaussures.
— Laissez-les à l’air libre, le temps que l’on se repose, lui conseilla le guide.
La randonneuse novice le regarda d’un air curieux, alors, il précisa.
— Vos pieds, laissez-les à l’air.
La jeune femme obtempéra et se déchaussa sans rien dire. Sous la pression du massage, qu’elle exerçait sur ses pieds douloureux, une grimace lui modifia légèrement le visage. Tanguy dissimula un sourire du coin des lèvres. Par expérience, il avait connu ces désagréments d’amateur lors de longues distances parcourues à travers les monts et vallées. Ses nombreux clients apprentis subissaient souvent le même sort, raison pour laquelle, il prévenait tous les randonneurs qui croyaient connaître la montagne. Il se rappelait comme les ampoules l’avaient handicapé dans ses débuts de montagnard, durant son enfance auprès de son père, lui-même alpiniste. Mais ce qui l’agaçait le plus, c’était les personnes qui se présentaient en espadrilles ou autres chaussures non conformes à ce type de randonnées sur divers terrains. Cela avait la particularité de le mettre en colère, d’où peut-être l’austérité dans ses propos au téléphone.
Il retarda volontairement le départ en lui offrant un café de son thermos et une part de cake tiré du sac, fait par lui-même, au grand étonnement de la jeune femme. Elle ne put s’empêcher de ressasser.
— Où est donc passé l’ours avec lequel, je devais randonner, pourquoi m’a-t-on dit cela sur lui et pourquoi il avait l’air si dur au téléphone ? Pendant cette pause, Tanguy surprenait la jeune femme en pleine songerie. Il s’était rendu compte qu’elle avait un air triste malgré qu’elle fût heureuse d’être dans la nature, lui avait-elle avoué quelques minutes après s’être élancée dans les chemins rocailleux.
— Vous semblez bien songeuse, regretteriez-vous d’être là en cet instant ?
— Non, bien sûr que non, vos montagnes sont si belles, fit-elle sans arrière-pensée.
La réponse toucha le guide, mais en observant son air surpris, elle poursuivit.
— C’est à cause de mon boulot, s’entendit-elle répondre, le journal pour lequel je travaille est sur le point de déposer le bilan. Pour être la dernière embauchée, je sais que je serai sur la liste des premiers licenciés. Et trouver du travail de nos jours, ce n’est pas facile, déplora-t-elle attristée.
Tanguy eut de la compassion pour elle. Elle lui confia que d’après son patron, ce nouveau magazine était le moyen de sauver l’entreprise, mais elle-même n’y avait jamais cru. Il la rassurait en lui laissant l’espoir que tout pouvait marcher dans le bon sens.
Au bout de dix minutes, il donnait l’ordre de lever le camp. Lindsay renfila ses chaussures, ses pieds s’étaient bien aérés et séchés.
Cette seconde partie se fit dans un décor époustouflant. Des sommets enneigés au loin semblaient fusionner avec le ciel. Enfin, ils atteignirent le sommet d’une crête, son regard se portait sur un village situé au creux de la vallée avec ses toits en ardoise et sur un lac aux eaux d’un bleu miroitant. Tout cela baignant dans un grand silence. C’est là qu’ils s’arrêtèrent pour déjeuner. Lindsay était sous le charme, le panorama qui se dressait devant elle l’étourdissait. Jamais, elle n’avait vu de tels paysages. Elle actionnait son appareil photo et prenait des notes sur un carnet entre deux bouchées de sandwich. Bientôt, ils reprirent leur course folle à travers les chemins sinueux. Ils traversaient des prairies et des sous-bois, s’arrêtant le temps d’une photo.
Pendant leur ascension, tout à coup, le son d’un harmonica résonna dans cette grande quiétude. Ils stoppaient leur marche pour mieux entendre, Lindsay écoutait cet air mélodieux. La complainte la renvoya en plein cœur de son enfance. Elle se revoyait petite et espiègle, son bâton à la main, gardant les quelques moutons, aux côtés de son grand-.père et de son chien berger : Gulliver. Soudain, les paroles de Tanguy la sortaient de ses songes.
— Ce doit être Mathias, le berger, dit Tanguy sûr de lui. Pour tuer le temps, il joue souvent de l’harmonica. On va aller à sa rencontre, c’est un vieil ami. C’est bientôt la fin de la transhumance, il a dû commencer à redescendre son troupeau, ajouta-t-il. Une belle occasion de faire de magnifiques photos du troupeau et des chiens.
Ils se dirigeaient vers le berger, guidés par l’air mélodieux.
— Ils sont tout proches, affirma l’homme.
À peine avait-il fini sa phrase, qu’un énorme chien des Pyrénées venait leur tourner autour en jappant. Les devançant, le molosse les empêcha de faire un pas de plus en direction du troupeau. Aussitôt, Tanguy stoppa Lindsay de son bras et tout doucement, sans geste brusque, il se mit devant elle, afin de la protéger. Il saisit un moment de panique chez la photographe.
En pratiquant chaque jour la montagne, il avait l’habitude de rencontrer plusieurs bergers à la belle saison. Tous avaient des chiens bergers, mais de plus en plus, ils faisaient appel à des Patou, chien de protection, en raison du retour des loups dans les Alpes.
— Ne faites aucun geste brusque, c’est un Patou, il protège son troupeau. Il ne nous veut pas de mal, il cherche juste à comprendre si on est un danger vis-à-vis du troupeau, il veut nous intimider et nous dissuader de partir.
Tanguy se mit à parler gentiment à l’animal. Ce dernier arrêta son jappement aussitôt. Il reconnaissait sa voix.
— Alors Shéba, tu ne me reconnais plus ? Où est ton maître, hein ?
Puis il s’adressa à Lindsay.
— En aucun cas, il ne faut caresser un Patou ou une bête du troupeau, continua-t-il, il interpréterait cela comme une agression. Il ne faut pas non plus faire de gestes brusques et surtout ne jamais fuir en courant, il se lancerait à vos trousses. Alors, si on rencontre un troupeau, mieux vaut le détourner. C’est plus sage.
— Mais s’il ne comprend pas qu’on est pacifiques, que va-t-il nous faire ? réussit-elle à formuler, terrifiée.
— Rien, si on ne lui fait pas peur. Je le connais, c’est un brave chien. Il fait juste son boulot.
À ce moment, la musique s’était arrêtée, Tanguy aperçut Mathias qui gesticulait en levant les deux bras et se dirigeait dans leur direction.
— Ho ! Shéba, tu vieillis mon vieux, tu ne reconnais plus Tanguy ? fit le berger en s’approchant pour caresser et rassurer son chien, son harmonica à la main.
— Bonjour Tanguy, c’est la providence qui t’envoie, mon vieux ! fit Mathias, l’air tout retourné.
Ayant compris qu’il n’y avait plus de danger, sans bruit, le Patou s’éloignait des humains et rejoignait le troupeau.
— Tu as un agneau en danger ? s’inquiéta Tanguy en percevant le bêlement désespéré d’un agnelet.
— Tu as raison, il est tombé et a atterri sur une corniche en contrebas. Tu crois que tu peux me le récupérer ? La faille n’est pas large, fit remarquer le berger.
Ensemble, ils s’approchèrent de l’endroit où le drame s’était déroulé une heure plus tôt.
Avec un geste spontané, le guide repoussa la mère qui s’approchait un peu trop près du précipice, elle sentait que son petit était en danger. Un peu plus loin, les deux border Collie : Fanfan et Hulk, rejoints par Shéba, tous trois surveillaient le troupeau avec attention.
Après avoir examiné le précipice étroit, le guide sortit de son sac, tout l’attirail nécessaire pour une descente en rappel.
— Je ne pouvais rien faire, rappela avec regret le vieil homme coiffé d’un béret et portant une veste sans manches de peau de mouton. J’espérais bien que tu te trouverais dans les parages et que tu écouterais le son de mon harmonica.
Ce qu’il ne disait pas, c’est que quelques années en arrière, il avait bien failli y rester. Un sauvetage qui aurait pu mal se terminer.
À l’époque, durant plusieurs jours, une pluie battante avait détrempé le terrain, sous son poids, une petite parcelle de terre se décrocha et lui fit perdre l’équilibre. Mathias glissa et fit une chute d’une dizaine de mètres en contrebas. Conscient, mais avec une jambe cassée, il ne put se tirer d’affaire seul. Ce ne fut que le lendemain matin, qu’un randonneur passant par-là entendit ses appels au secours. Les secouristes de haute montagne arrivèrent très vite sur les lieux et le berger fut emmené à l’hôpital en hélicoptère. Son aide-berger prit les bêtes en charge le temps qu’un remplaçant vienne finir l’estive. Une chute miraculeuse, car il aurait pu se tuer.
Lindsay ne saisissait pas tout ce qui se déroulait devant elle, mais elle vit Tanguy se harnacher. Sous les yeux du berger, le guide fixait le point d’ancrage sur lequel il attachait solidement une corde. Sans un geste de trop, ni maladresse, le montagnard savait ce qu’il faisait. Le berger comprenait chacun de ses gestes. Lindsay, non. Elle commença seulement à saisir, lorsqu’il prononça ces paroles angoissantes.
— Ne t’inquiète pas, je vais te le remonter ton petit étourdi, occupe-toi de la mère.
Lorsque Lindsay saisissait enfin ce qu’il s’apprêtait à faire, elle se dressait devant lui inquiète.
— Vous n’allez pas descendre dans le vide pour un agneau ? C’est trop étroit et profond.
— Prenez des photos, Mademoiselle. Sauver un animal fait aussi partie de la vie en montagne, dit-il avec un sourire rassurant avant de descendre au cœur de la faille.
— Vous êtes complètement fou, cria Lindsay affolée, prenant son visage dans ses deux mains.
Mathias tentait de la rassurer.
— Vous savez, il a l’habitude, il sait ce qu’il fait, n’ayez crainte.
Gardant un œil sur l’amarrage installé par Tanguy, le vieil homme lui rappelait une dernière fois avec une voix lucide et douce.
— Vous devriez faire ce qu’il vous a dit, prendre des photos, car il sera vite remonté, c’est un vrai spécialiste. Il a été un grand alpiniste, ajoutait-il en souriant avec une certaine fierté, d’être son ami.
Plus irritée que rassurée, elle sortit son appareil, s’éloigna de façon à voir le secouriste en contrebas et mitrailla de son reflex le sauvetage insolite, prenant soin de ne pas glisser et disparaître à son tour. Il ne manquerait plus que cela, qu’elle tombe aussi dans ce vide inquiétant, mais si beau à la fois. De son observatoire, elle guettait chaque geste du sauveteur, espérant qu’il remonte vite. Au bout de quelques minutes, qui lui avaient paru être des heures, la voix de l’homme s’élevait enfin jusqu’à eux.
— C’est bon, je l’ai récupéré, je remonte.
Comme par hasard, les bêlements désespérés de l’agneau avaient cessé.
Un instant après, suspendu dans le vide, Tanguy apparut et tendit un sac à Mathias qui se tenait au bord du ravin, afin de rattraper le rescapé terrifié. D’un geste rapide, il le libéra et sans attendre, affamé, l’agneau fila rejoindre sa mère. Pour sûr, une bonne dose de lait lui sera bénéfique. Mathias empoigna fermement le bras du montagnard pour l’aider à s’extraire du vide.
Soulagée, Lindsay resta admirative et finalement le félicita de son exploit. Il avait pris des risques pour sauver cet agneau. Contrairement à ce qu’elle s’était imaginé, il avait le cœur bon. Tout est bien qui finit bien, pensa-t-elle soulagée.
Mathias remerciait son ami, qui, déjà, rangeait son attirail dans son sac. Maintenant, Lindsay savait ce qu’il fourrait dans son sac à dos.
Pendant ce temps.
— Monsieur Mathias, que se serait-il passé si Tanguy n’avait pas été là ? demanda Lindsay.
— Oh ! Chère mademoiselle, avec moi, il n’y a pas de monsieur qui tienne, Mathias suffira. Pour en revenir à votre question, eh bien, le pauvre serait mort. Avec la panique, la fatigue, il serait sûrement tombé de la corniche. Il n’avait pas beaucoup de place. Là, c’était une chute interminable qui l’attendait jusqu’en bas.
— Mais s’il avait réussi, malgré tout à rester sur la corniche, aurait-il eu une chance de survivre ?
— Non, il serait mort de faim et d’épuisement, intervint Tanguy, il est trop petit pour survivre à un tel traumatisme. Il est né quand, Mathias ? Un ou deux jours pas plus ?
— Hier matin.
Hélas, le berger confirmait ces dires.
— Vous savez, Mademoiselle, Tanguy en a sauvé plus d’un, que ce soit chèvre, brebis ou agneau. En vingt ans, on ne compte plus les bêtes qui ont eu la vie sauve grâce à lui, pas seulement de mon troupeau, ceux des autres bergers aussi.
Lindsay acquiesça avec un sourire, puis elle reprit aussitôt.
— Moi, c’est Lindsay, il n’y a pas de mademoiselle qui tienne, corrigea-t-elle à son tour.
Ce vieux berger avait toute l’admiration de la jeune femme. Tanguy s’excusait du retard qu’il lui avait fait prendre. Mais dit-il, demain, je vous conduirai là où il y a des bouquetins. Ce sera un beau spectacle aussi.
La journée avait passé si vite qu’il fallait penser à redescendre. De plus, le temps s’assombrissait de nouveau et déjà quelques gouttes commençaient à tomber.
L’après-midi était bien avancé, lorsque Mathias leur proposa de venir jusqu’à sa baraque, en attendant que cesse la pluie. Il fit rassembler son troupeau par ses chiens et les voilà déjà sur le chemin de la cabane du berger, comme Mathias aimait l’appeler.
Pas mécontent de terminer une journée un peu plus tôt et d’avoir un peu de compagnie.
— C’était un petit troupeau, avait dit Mathias pendant le trajet, il y eut des années où il pouvait avoir jusqu’à 1500 têtes, ces années-là, avait-il précisé, je prenais un aide-berger et j’étais plus jeune, plaisantait-il.
Depuis ses soucis de santé, il se contentait à peu près de 800 bêtes, pour lui cela suffisait amplement. Il savait que bientôt, il baisserait encore le nombre de ce cheptel.
Sans attendre, ils dressaient la clôture provisoire, faite de filets électrifiés pour la nuit, histoire de protéger son troupeau des attaques de loups. Bien que le Patou sache se battre contre ces prédateurs, il arrivait malheureusement que ces derniers réussissent à tuer une ou deux brebis.
Lorsque Lindsay entrait dans la cabane construite de pierre sèche et de bois, elle s’attendait à un refuge rudimentaire, juste avec de quoi tenir les mois d’estive. Mais au lieu de cela, dès la vieille porte en bois franchie, une grande pièce au rez-de-chaussée dans laquelle une petite cuisine était agencée, bien qu’ancienne, elle semblait fonctionnelle. Elle imaginait bien Mathias se reposer dans le fauteuil placé dans un coin, proche de la petite fenêtre. Une table au centre de la pièce avec un banc de chaque côté. Tout contre le mur et sous une lucarne se trouvait le lit du berger remarquablement fait au carré. À la tête du lit, une petite porte à peine de la hauteur d’un homme donnait accès à une minuscule salle d’eau avec douche, tellement appréciée après une longue journée passée dans les pâturages. Mathias était enchanté d’avoir investi l’année précédente, dans un système solaire pour avoir droit à une douche tiède après sa journée de travail, qui se terminait d’habitude vers les 22 heures. À gauche de la porte d’entrée, un vieil escalier en bois assez raide permettait de monter dans l’unique chambre. Mathias avouait qu’il la gardait toujours impeccable, car quelquefois, des randonneurs imprudents s’égaraient ou se laissaient surprendre par la nuit ou encore par une mauvaise météo, alors il leur offrait l’hospitalité pour la nuit. En ce qui concernait la météo, il avait une radio pour connaître le temps et ne pas se laisser surprendre.
Chaque jour incertain, avant de partir, il la consultait pour savoir quoi prendre comme vêtements pour la journée, chauds ou plus légers, cape de pluie, etc.
Tanguy rappelait que bien souvent, il avait dormi dans cette chambre, non parce qu’il avait commis des imprudences de montagnard, mais parce qu’il avait monté à son ami un ravitaillement en nourriture et des pierres de sel pour le troupeau. Quantités suffisantes pour plusieurs semaines et il était trop tard pour redescendre avec les deux ânes.
Après avoir vérifié l’état de ses bêtes, Mathias entrait dans le refuge et suggérait à Tanguy.
— Puisque demain vous montez vers les bouquetins, pourquoi ne pas rester dormir ici, cela vous évitera quelques heures de marche ?
— C’est gentil, oui pourquoi pas, qu’en pensez-vous, Lindsay ? questionna Tanguy content de cette proposition.
Ce refuge ne possédait qu’une seule chambre, où allait-elle dormir ?
Mathias interpréta aussitôt son hésitation et la rassura de suite.
— Ne vous inquiétez pas pour dormir, il y a un deuxième lit, rangé dans la chambre en haut, il y a aussi un paravent que vous pourrez déplier. Vous savez, les randonneurs que j’héberge ne sont pas toujours des couples.
Confiante et rassurée, elle accepta avec plaisir. Elle songeait simplement à tous ces kilomètres d’évités, en restant sur place. De plus en plus, elle appréciait ce vieil homme.
Lindsay lui avouait avoir été très touchée en l’écoutant jouer de l’harmonica. Elle aimait le son mélancolique de ce petit instrument. Mathias en fut ravi, puis il se mit à parler de son métier dont il était si fier, sans oublier de faire allusion encore une fois aux loups, véritable problème qui inquiétait tous les bergers en alpage.
— L’hypothèse d’une attaque de loup traverse forcément l’esprit, racontait-il, alors la nuit, si les aboiements des chiens se font trop insistants, on se lève : il faut aller vérifier. Essayer d’éviter les attaques de loup est aussi une mission que nous avons dû endosser. Voyez-vous Lindsay, être berger en montagne, c’est prendre la responsabilité d’un troupeau, le temps d’un été. Désormais aléatoires, imprévisibles, les attaques sont un élément supplémentaire à gérer. Un bon berger attache de l’importance à redescendre de belles brebis, qui ont bien profité de l’herbe des estives, insistait le vieil homme en se servant une part de fromage.
À plusieurs reprises, Mathias avait connu ce désagrément et n’avait pu être dédommagé par l’état, en raison du peu de perte qu’il avait subi. Ce constat agaçait tous les bergers de France sans qu’ils ne puissent rien faire, à part manifester pour se faire entendre, mais peu de personnes les écoutaient. Alors, ils continuaient à surveiller leurs bêtes jour et nuit, ce qui provoqua du coup un surcroît de travail.
— Mais pourquoi introduire des animaux nuisibles ? interrogea Lindsay.
— Chez nous, certains disent qu’il n’y a pas eu besoin de les réintégrer, ils seraient venus tous seuls d’Italie. D’autres disent qu’ils ont été intégrés. Toujours est-il qu’après leur apparition dans le Mercantour en 1993, le retour du loup reste un sujet d’actualité. Les débats sur leur arrivée demeurent stériles et n’aboutiront pas tant qu’une des deux hypothèses ne sera pas confirmée. De toute façon, cela ne change rien pour nous, ces carnassiers continueront à massacrer nos bêtes et tout le monde s’en fout.
Fatigué de dialoguer sur cette affaire, Mathias vint à parler de l’amitié qui le liait à Tanguy depuis sa naissance. Une amitié sans faille qui durait depuis bien des lustres, comme il aimait dire. Avec sa femme Marie, ils étaient voisins avec ses parents et une grande amitié les unissait. Souvent, Marie gardait le gamin lorsque Louise Martin devait s’absenter pour quelques heures. Tanguy en profitait pour faire faire des bêtises à la petite Lucie, fille de Mathias et de Marie. Après un instant de répit, Mathias changeait de nouveau de conversation et nommait toutes les bêtes que Tanguy avait pu sauver, grâce à ses connaissances de la montagne et grâce à son agilité d’alpiniste.
— Un jour, une brebis était tombée dans une crevasse. Seul, je n’avais pas réussi à la remonter. C’était mon jour de chance, la police avait fait appel à Tanguy en raison de sa parfaite connaissance de la montagne, elle était à la recherche de truands qui tentaient de passer la frontière italienne, afin d’échapper justement à la police. Dans ses jumelles, il avait aperçu un homme près de la crevasse. Croyant que c’était ses fugitifs, il s’était approché et m’a découvert en pleine détresse.
— Il était si épuisé par les longues heures à tenter de sauver sa bête que j’ai eu peur que ce soit lui qui ne tombe dans la crevasse, témoigna Tanguy.
— Si vous l’aviez vu, reprit le vieil homme, pas une seconde d’hésitation à sortir son attirail pour descendre jusqu’à la bête, tout comme cet après-midi pour l’agneau. Après l’avoir remontée, il est reparti rejoindre les policiers et Julien, puis ils ont continué la poursuite des truands. Pour lui, il n’avait qu’accompli son devoir. Pourtant, la descente était beaucoup plus périlleuse qu’aujourd’hui et le poids de la bête, plus lourd que celui de l’agneau.
Gêné, Tanguy lança à mi-voix.
— Ça fait vingt ans à peu près, ma première vraie mission avec mon ami Julien Dalmasso.
— Et vous les avez arrêtés, ces gens ? interrogea Lindsay avec curiosité.
— Oui, on a fini par les avoir, mais pas sans mal. À un moment, on s’était rendu compte avec Julien et les deux gendarmes qu’on escortait que les deux fugitifs avaient tenté de brouiller les pistes en se séparant. Ils nous avaient repérés. On en a fait autant, on venait juste de se séparer en deux groupes, quand j’ai aperçu Mathias. Après avoir récupéré la brebis, j’ai rejoint le groupe et on a fait en sorte qu’ils croient que nous avions perdu leur trace. On les a appréhendés, le lendemain au petit matin, dans leur sommeil.
À la fin de tous ces récits captivants pour la jeune fille, la nuit était tombée depuis un moment. Autour du troupeau, le silence régnait et les bêtes étaient d’un calme paisible, ce qui rassurait le berger. Fin septembre, le soleil se couche tôt. La journée avait été pénible, Lindsay avait beau lutter contre l’endormissement, des bâillements commencèrent à entrecouper les histoires de Mathias.
La soirée avait été parfaite en tout point. Lorsque Lindsay eut terminé l’infusion de tilleul séché que lui avait préparée le berger, elle monta se coucher. Peu de temps après, les deux hommes en firent autant.
La nuit fut courte, fraîche et néanmoins reposante.
À son réveil, derrière le paravent, Tanguy chuchota à Lindsay.
— Je vais préparer le petit déjeuner, vous vous levez ?
— Un timide oui, sorti du dessous des couvertures, lui tira un sourire.
Lorsqu’elle descendit, elle fut un peu embarrassée par les regards qui convergeaient vers elle. Mathias avait allumé la cheminée qui diffusait déjà une douce chaleur. D’ordinaire, il ne prenait pas le temps de chauffer la pièce pour lui seul, aujourd’hui, il avait des invités qui avaient su rompre sa solitude pour un soir, il savait qu’une flambée serait appréciée. À cette altitude, quelle que soit la saison, les matins restaient frais. Tandis que crépitait l’âtre, tous trois se mirent à table pour prendre un copieux petit déjeuner. Pas le temps de traîner, car Mathias commençait ses journées de bonne heure. Aujourd’hui, il voulait changer son troupeau de pâture, la dernière prairie avant sa descente dans la vallée. Le troupeau se régalera de cette herbe pas encore foulée. Il préparait sa musette dans laquelle, il enfouissait son casse-croûte de midi et du soir, sans oublier la pharmacie d’alpage. Bien que rudimentaire, elle contenait les remèdes essentiels pour parer au plus urgent pour lui et pour ses bêtes. Ses gestes matinaux se ressemblaient chaque jour, pourtant nécessaires pour une longue journée, parfois loin de sa cabane.