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Paimpol pour Freddy ? C’est le retour aux sources pour une semaine de vacances bien méritées. Tréguier, sa cathédrale et son cloître ? C’est le début des embrouilles ! Et Saint-Brieuc alors ? C’est la cerise sur le gâteau et le lieu d’une nouvelle aventure palpitante prenant sa source à Paris dans les années 1400, qui va faire couler beaucoup d’encre, mais surtout beaucoup de sang ! On y retrouvera bien sûr notre héroïne Freddy, enquêtrice ô combien attachante, sans oublier de dire gourmande, curieuse, un peu têtue, un brin menteuse, légèrement de mauvaise foi et très souvent borderline… mais tellement sympathique !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard KOPKA, Breton de coeur, d’âme et d’esprit comme son nom ne l’indique toujours pas, est né en 1961 en Lorraine où il a grandi dans le village de Trieux. Après une vie professionnelle passée dans l’industrie, il s’installe à Saint-Brieuc en 2015.
Passionné d’art, d’histoire de France, de légendes, d’arbres, de vieilles pierres et d’enquêtes, il signe ici son deuxième roman dans lequel revient l’enquêtrice de Secret de tombe à Paimpol.
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Je remercie les personnes qui m’ont soutenu pendant toute la réalisation de mon travail et tout particulièrement Isabelle B., pour avoir été la première à y croire, pour sa ténacité et sa détermination, pour avoir donné l’impulsion par ses encouragements, pour sa patience et son écoute, ses précieux conseils et ses compétences.
J’associe également Sylvie L.M.P., Chantal Q., Anne-Marie L., Laurence T.L. et Catherine K.M. pour le temps consacré à la lecture et aux corrections, la pertinence de leurs remarques et, bien sûr, la qualité de nos discussions toujours constructives.
Je n’oublie pas de citer Axelle K.P. et Juan P. pour leur soutien permanent.
Enfin, ce travail n’aurait pu être réalisé sans l’aide du diocèse de Saint-Brieuc et en particulier Marie-Bernadette D.B. pour la transmission de ses connaissances, son temps accordé et nos nombreux entretiens. Également l’Amicale des moulins, fontaines et lavoirs de Saint-Quay-Portrieux et notamment Didier et Edmond pour notre rencontre et les nombreuses explications données avec passion.
Que l’ensemble des personnes citées soit assuré de ma profonde reconnaissance.
Et merci à vous tous, lectrices et lecteurs, de m’avoir encouragé à poursuivre l’écriture.
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Dans les années 1400 – Paris
Le coche à deux chevaux attelés remonta la rue du Temple en direction du nord où chaque pas et chaque tour de roues sur les pavés de pierres en signalaient inexorablement la présence. C’est par la porte éponyme située sur l’enceinte de Philippe Auguste qu’il quitta Paris, laissant de côté la tour César et le donjon dont on ne devinait qu’à peine les contours malgré leur taille. La nuit était presque noire et un faible croissant de lune apportait un peu de lumière, permettant aux rares ombres en mouvement de pouvoir enfin se détacher et d’épaissir un peu plus le mystère. De hautes cheminées laissaient échapper des fumées grisant le ciel au-dessus des maisons à colombages, identifiées par des enseignes indiquant le nom de l’habitant aussi bien que l’activité marchande que l’on pouvait y trouver. La possession d’un laissez-passer accompagné de quelques pièces d’or avait grandement facilité le passage de ce qui pouvait apparaître comme le premier obstacle à l’expédition à réaliser. La méfiance devait être absolue, car l’absence de risque n’existait pas. Des traîtres, il y en avait partout, avides de pouvoir, avides d’argent et avides du sang de leurs ennemis : les derniers évènements vécus en avaient donné la preuve et aucune place n’était disponible dans les esprits de chacun pour que le moindre doute s’y installe.
Les ordres avaient toujours été clairs et ne prêtaient pas à confusion non plus : « Je ne suis pas malade donc rien ne peut ou ne doit m’arriver. Si par malheur je perds la vie, victime d’un accident malheureux, transpercé par une arme ou même emprisonné, vous aurez à tout détruire. Ce qui fait notre force aujourd’hui ne devra en aucun cas tomber aux mains de l’ennemi qui pourrait en faire mauvais usage en répandant le mal sur cette Terre. Quand viendra ce jour, n’oubliez jamais que vous avez prêté serment et que vous me devez allégeance. »
Celui qui avait énoncé et répété sans cesse ces paroles venait de mourir par le poison, de la main de ses ennemis qui brûleraient un jour en enfer jusqu’à la fin des temps. Arsenic ou dérivés, mercure, cyanure, herbes toxiques ou cantarella ? Sa mort, programmée, avait été différée et imprévisible, certainement par l’absorption de faibles doses journalières. Aucun antidote connu n’en avait neutralisé la toxicité et parmi tous les secrets d’apothicaires nul n’avait permis de le garder en vie. Il était mort dans des souffrances terribles, jetant des cris effroyables, le corps tordu par la douleur, les yeux exorbités et se retournant, semblant chercher son esprit perdu dans les tréfonds de tout son être. Et les nombreux à se réjouir de sa mort et à festoyer se voyaient déjà jouir des pleins pouvoirs et maîtres du monde…
En attendant, les deux derniers membres de l’ordre devaient appliquer les ultimes volontés. Ainsi, tout ce que la bâtisse contenait avait été détruit, cassé ou brûlé à l’acide… enfin, presque tout ! D’un commun accord entre les deux hommes, pour ne pas dire entre ces deux frères, Hugues et Jean, une grande malle avait été préparée. L’objectif était simple et sans équivoque : y ranger tous les livres et les plans devant permettre rapidement de reconstruire, à l’identique et en un lieu sûr, ce qu’ils venaient de réduire à néant. Et le temps pressait ! Seuls survivants, ils devaient à tout prix fuir rapidement Paris, car des mains assassines cherchaient également à s’abattre sur eux dans le but de les éliminer.
Au pas et lesté d’une lourde malle, le coche prit la direction de la ville de Chartres où chaque arbre croisé et chaque buisson pouvaient être source de guet-apens par des bandits de grand chemin. Les montures devaient être ménagées afin d’arriver jusqu’aux abords de la cathédrale, lieu où des partisans pourraient leur apporter gîte, couvert et cachette. Mais d’ici là, il y aurait à trouver de quoi changer les chevaux et se nourrir ailleurs que dans les relais habituels, car ces derniers pouvaient être surveillés. Les nombreuses pièces d’or en leur possession seraient une aide très précieuse et un véritable atout, sans aucun doute ! À moins que le métal jaune n’attise toutes les convoitises et leur assure une mort prématurée…
« Si Dieu le veut, nous aurons la vie sauve. Si Dieu le veut, les livres parleront. Si Dieu le veut, nous mourrons en terre celtique… »
De nos jours, jeudi 3 novembre, vers 15 heures – Tréguier
La photo prise la veille avait gagné du terrain dans l’esprit de Freddy, devenant élément perturbateur de sa nuit en la rendant pratiquement blanche. Et maintenant qu’elle était de retour sur place, dans le cloître de la cathédrale Saint-Tugdual, elle pestait ! L’agacement était palpable et l’énervement avait produit des rougeurs sur son visage et à la base de son cou. Seule dans les lieux, elle avait pourtant le sentiment d’être surveillée, certainement par ces têtes sculptées sous les corbeaux de pierre soutenant les poutres de la voûte en bois. La jeune femme continuait à chercher depuis presque vingt minutes. Le gisant de Guillaume Le Floch, abbé de Beaulieu de 1406 à 1426 – selon la pancarte fixée au pied de l’édifice –, semblait être figé pour l’éternité ! La sculpture monoxyle et chacun de ses recoins avaient été touchés, effleurés, poussés, enfoncés… rien ! Rien n’avait bougé… Pareil pour le mur latéral et les colonnes de pierre, mais aussi les dalles de sol faites de pavés rectangulaires inégaux dont les surfaces avaient été, au cours des siècles, polies et à certains endroits creusées par les sandales des chanoines ou celles des marchands à l’époque où ces lieux leur étaient loués. Le petit morceau d’étoffe vu la veille sur la photo, coincé entre la partie supérieure de la statue funéraire et ses pierres de soutènement avait attiré l’œil d’abord, puis l’attention et la curiosité ensuite de la jeune journaliste : il se trouvait toujours au même emplacement, dépassant seulement d’un petit centimètre. En tirant dessus de toutes ses forces – difficilement compte tenu du peu de prise – Freddy n’avait pas réussi à le récupérer ! C’était donc bien la preuve irréfutable qu’il devait exister un mécanisme assurant l’ouverture du gisant ! Sinon, comment ce morceau d’étoffe coincé entre deux pierres immobiles se serait retrouvé là ?
Déçue, pour ne pas dire dégoûtée de la vie, Freddy cessa toutes palpations et, pour retrouver son calme, s’assit sur le banc de pierre pourtournant du cloître sur ses quatre faces. Au moment où elle se laissa tomber d’un coup et de tout son poids, un déclic se fit alors entendre et la dalle sur laquelle se trouvait la statue couchée pivota à l’horizontale, axée au niveau de la tête, et libéra une ouverture. Le mouvement s’accompagna d’un bruit continu de frottement de pierres. À cet instant, l’immobilisme de la jeune journaliste aurait pu être figé pour les siècles à venir dans un tableau d’Edward Hopper. Le temps de l’immortalisation de ce moment écoulé, comme assise sur un gros ressort prêt à se détendre, la jeune femme se retrouva catapultée en position debout. Elle découvrit alors à l’intérieur du gisant l’existence d’un escalier l’invitant à l’emprunter.
Pragmatique – c’est l’une de ses qualités – Freddy sortit de son sac à dos sa paire de gants en latex qu’elle enfila puis saisit sa lampe-torche. Elle projeta le puissant faisceau à l’intérieur de l’ouverture qu’elle balaya par mouvements successifs et nerveux. Elle visualisa ainsi l’une après l’autre, la dizaine de marches se présentant à ses yeux, constatant qu’il fallait être mince, voire maigre, pour pouvoir descendre : mais par-dessus tout, il ne fallait pas avoir la trouille ! Sur ce dernier point, une peur viscérale d’affronter l’inconnu semblait entamer un premier round, sans observation aucune, face à la curiosité maladive de la jeune journaliste. Après plusieurs secondes de réflexion, Freddy prit sa décision : « Même si ma dernière heure devait sonner, je dois savoir », pensa-t-elle… ou tenta-t-elle de se persuader qu’il fallait le penser ! D’un mouvement fébrile, elle enjamba alors la pierre sur laquelle était fixé le nom de l’abbé de Beaulieu, posa le pied sur la première marche et, tenant son sac serré contre sa poitrine, amorça la descente. Il était clair qu’il fallait avoir la ligne pour pouvoir être capable d’avancer et que tout excès de table devait se payer immédiatement ! Il revint alors à la mémoire de cette passionnée d’architecture de bâtiments de culte l’existence de certains passages dans des lieux où il fallait garder une taille fine pour pouvoir prétendre y accéder.
Dans une situation pareille à un chausse-pied trouvant place dans une vieille godasse, Freddy avança en tâtonnant chaque marche du bout de ses chaussures, avant que ses semelles y prennent successivement un appui sûr et définitif. Au passage, elle ramassa le bout de tissu qu’elle mit machinalement dans sa poche. C’est au moment où la jeune femme posa le pied sur le dernier bloc de pierre, constituant la base de l’escalier, qu’un mécanisme inverse déclencha le glissement de la dalle située au-dessus de sa tête et par là même la fermeture du gisant. Avec l’arrêt du bruit du glissement pierre sur pierre, le noir absolu s’était installé définitivement dans ce décor que seule l’ellipse lumineuse issue de la torche venait perturber. Le deuxième cerveau de la journaliste envoya un signal sans équivoque, provoquant instantanément une douleur violente et aiguë. Elle passa l’une de ses deux mains sous son sac afin de se tenir fortement le bas-ventre, tout en maintenant fermement serrées ses deux jambes. À cet instant, le pronostic intestinal était engagé et Freddy ne devait pas perdre de vue qu’elle n’était pas assise sur une cuvette de WC : une lutte interne s’engagea alors !
Le plafond, en pierres de taille, était équipé d’éclairages pareils à des hublots. À l’aide de sa lampe et en se déplaçant tout en suivant des yeux les fils électriques raccordant entre eux les différents points lumineux, elle finit par trouver un interrupteur qu’elle manœuvra. La lumière envahit alors la pièce, permettant à la jeune journaliste d’en apprécier le volume : une dizaine de mètres de longueur, au moins six de large, en forme de cave voûtée avec une hauteur de trois bons mètres au point le plus haut. Côté mobilier, un équipement qu’elle jugea modeste et dépouillé : il y avait une table centrale en bois de chêne dont le plateau avait au moins dix centimètres d’épaisseur et devait peser un âne mort avec, certainement en plus, les deux sacoches remplies de pierres. De chaque côté se trouvaient des bancs et au fond, près d’une porte fermée, deux armoires. Les quelques toiles d’araignées, çà et là, rassurèrent Freddy quant au côté sain des lieux, pour ne pas dire “saint” : seules quelques traces de salpêtre en bas des murs témoignaient de remontées d’humidité. Sur la gauche, un autre escalier, pas très large, que la jeune femme alla regarder pour en connaître la destination : nulle part, car il était bouché en partie haute. Autre point rassurant, le fait que l’ensemble du mobilier n’était pas arrivé par les escaliers tout juste empruntés, sous forme de puzzles 3D à reconstituer : il y avait donc quelque part un autre accès qu’il faudrait trouver ! Enfin, et Freddy l’avait sentie dès le début de la descente des marches, la présence d’une odeur agréable rappelant la période de Noël où se mêlent vin chaud, cannelle et anis étoilé, déclenchant par association d’idées et d’images dans son cerveau – tout droit sortie d’une case de sa mémoire d’enfant – la vision d’un Père Noël souriant et rondouillard, avec sa hotte sur le dos.
Cette bonne odeur s’intensifia au fur et à mesure qu’elle s’approcha de cette porte située au fond de la pièce qu’elle n’hésita pas une seule seconde à ouvrir. Avant de franchir la profonde embrasure permettant d’apprécier l’épaisseur du mur, Freddy prit soin d’éteindre la lumière derrière elle. Devant ses yeux, une autre pièce de même facture aux pierres taillées, certainement millénaires. Au fond se trouvait une grande cheminée où un homme à cheval aurait presque pu se cacher, le seul problème étant bien sûr de faire descendre le cheval par les escaliers ! À côté de l’âtre, une grande quantité de bois, et en partie centrale se trouvait une structure métallique en fer forgé faisant office de chenets. Un feu ardent, éclairant ainsi la pièce, permettait de chauffer ce qui ressemblait à un énorme plat à poissons, une sorte de saumonière de presque deux mètres de longueur et d’une section carrée d’environ soixante centimètres. Devant cette gamelle des plus rustiques, Freddy humait la bonne odeur, laissant définitivement au rancart tant sa peur que ses maux de ventre. La jeune femme prit le temps de regarder, de part et d’autre de cette imposante cheminée, les étagères contenant des pots de verre ou de céramique. Ils possédaient tous un nom latin et on y trouvait des herbes, des aromates ou des poudres à la disposition de quelques savants herboristes ou apothicaires.
Le regard de Freddy poursuivit la lecture de ces éléments de rangement. Il y avait également, conservés certainement dans un liquide à base de formol, quelques batraciens de toutes espèces et autres rampants de diverses longueurs et d’aspect spiralé dont les paires de crochets semblaient prêtes à injecter quelques venins mortels. La visite tourna au vinaigre et Freddy tomba en horreur lorsqu’elle vit une série de pots contenant des organes humains d’adultes : pieds, mains, nez, oreilles, doigts, os divers, peaux… de toutes formes et de toutes dimensions ! Elle semblait être en pleine visite d’un laboratoire d’anatomie. La jeune femme ressentit les spasmes de la nausée : elle se pinça les lèvres, le temps qu’une exponentielle inverse vienne amortir les secousses répétitives en s’atténuant, pour enfin disparaître. Freddy était en proie à un séisme intérieur. Sur une table monastère placée en retrait et couverte par une toile laissant seulement visibles ses pieds, se trouvaient plusieurs boîtes en bois finement ouvragées, surmontées d’un couvercle de verre. On trouvait également ce qui pouvait s’apparenter à des bocaux ou éléments de conservation de tailles et de volumes différents. Il y avait enfin deux gants en tresse d’amiante et à côté une spatule en bois devant servir à remuer la préparation mijotant gentiment, pour ne pas dire tranquillement à feu doux.
Freddy se délesta de son sac et enfila les deux gants. Elle s’approcha du couvercle qu’elle saisit délicatement par les deux poignées supérieures puis le posa sur la table et enleva les deux gants. Pelle en bois en main, elle s’approcha du plat maintenant découvert et marqua un temps d’arrêt, humant puis regardant l’écume en surface et le potage où des lambeaux de viande tournoyaient dans un bouillonnement parfumé et incessant. Le visage de Freddy se crispa à nouveau et l’impression qui la traversa en la glaçant lui fit mettre sa main devant la bouche. Une simple idée prémonitoire. À l’aide de la spatule qu’elle plongea, elle releva difficilement une partie de ce qui cuisait dans ce court-bouillon d’automne. Une secousse se produisit chez la jeune femme au moment où son regard se posa sur ce qu’elle venait de remonter à la surface : il s’agissait d’une cage thoracique humaine. Elle laissa redescendre doucement les ossements encore garnis d’une partie des chairs et de la peau, tout en poussant un cri d’horreur étouffé. Comme une confirmation nécessaire au fait qu’elle n’avait pas rêvé, elle replongea la pelle de bois à l’extrémité de cette marmite et en remonta ainsi un crâne : un seul œil se trouvait encore dans son orbite et semblait la regarder avec insistance ! Tentant de retrouver son calme en exécutant chacun de ses gestes pratiquement au ralenti, Freddy reposa la pelle délicatement sur la table, enfila à nouveau les gants et remit le couvercle. Un désordre encéphalique régna pendant lequel elle se demanda comment elle allait faire pour ne pas vomir son estomac, sans oublier au passage, ses viscères abdominaux ! Sans avoir eu le temps de trouver une réponse rapide et sensée, elle fut interrompue par un bruit de glissement de pierres venant de la première pièce : il était clair à cet instant que quelqu’un serait là dans quelques secondes…
La jeune journaliste eut tout juste le temps de ramasser son sac à dos et de se glisser sous la table, cachée par la toile et assise sur la barre à chats assurant la jonction entre les deux pieds massifs soutenant le lourd plateau. Une mixture de peur et d’angoisse, d’inquiétude et de détresse, d’épouvante et de panique envahit alors Freddy. Sur l’échelle de Richter où l’on donne une magnitude maximum de neuf, le séisme ressenti par la jeune femme devait culminer au moins à quinze !
Habillé d’une robuste étoffe de laine brune, un homme s’approcha de la table pour se saisir de la paire de gants afin d’enlever à son tour le couvercle.
À l’aide de la spatule en bois, il remua longuement la préparation culinaire puis s’attarda sur les chairs encore solidaires des différentes parties du squelette qui cuisait. Il plaça deux beaux morceaux de bois supplémentaires dans le feu puis, après les avoir cherchés des yeux, attrapa deux pots à épices dont il vida une partie du contenu dans le chaudron tout en remuant avec soin et délicatesse.
De son côté, Freddy claquait des dents en sourdine, se disant qu’elle ne voulait pas finir dans la casserole ! Tel un réflexe de Pavlov, elle fouilla instinctivement dans ses pensées les meilleures et vit apparaître les bras de John qui l’avait enserrée, des bras protecteurs, des bras sauveurs… Mais il lui fallait garder les deux pieds sur terre : John n’était pas là !
Un autre homme vint rejoindre le premier, habillé dans la même tenue spartiate. La jeune journaliste, qui avait ouvert ses yeux à nouveau, découvrit alors les pieds nus équipés de sandalettes de cuir de ces deux hommes discutant autour de la table.
— Dans deux ou trois heures, nous devrions être prêts pour la dernière étape : les restes du Grand Maître pourront être placés dans les reliquaires et rejoindre son cœur que tu as déjà préparé.
— Oui, il faudra que tout soit fini dans quarante-huit heures afin de pouvoir livrer l’ensemble pour la cérémonie du lendemain à Saint-Étienne.
Puis les voix s’atténuèrent, devinrent inaudibles, les deux personnes étant certainement sorties de la pièce.
Freddy était tétanisée et ne savait que faire. Les deux hommes se doutaient-ils de sa présence, attendaient-ils qu’elle bouge ? Non ! S’ils avaient douté de quoi que ce soit, ils auraient tout simplement regardé sous la table. Elle en déduisit sans risque que sa cachette devait être sûre ! Elle décida d’attendre encore un moment et chaque seconde sembla interminable. Dans son esprit, tournant en boucle, les deux mots « mos Teutonicus », ou technique funéraire datant de l’époque médiévale, de démembrement du corps suivi d’une cuisson pour le détachement de la chair et des os. L’image de Saint-Louis apparut alors, mort à Carthage en 1270 en retour de croisade et dont le corps fut ainsi préservé de la putréfaction avant d’être ramené à la basilique de Saint-Denis pour y reposer pour l’éternité – ou presque.
Mais comment Freddy s’était-elle retrouvée embourbée dans un tel merdier et surtout comment faire pour en sortir ?
30 octobre – 55, rue de Seine, Paris
Ce dimanche d’automne avait été pour Freddy synonyme de récupération après cette journée extraordinaire vécue la veille au Louvre : le dossier “Josef Boberski”, lors de son enquête à Paimpol, n’avait pas fini de la poursuivre ! Fainéantant saucissonnée dans sa couette, elle passa une grande partie de l’après-midi à répondre à tous les SMS et autres messages reçus sur sa boîte électronique ou ses différents comptes sur les réseaux sociaux, félicitations nourries à tour de bras pour la conclusion, heureuse autant qu’inattendue, de son enquête…
Le lendemain, elle arriva au siège du journal La Magie des arts en milieu de matinée pour annoncer à son boss – comme elle l’avait décidé – qu’une petite semaine de congés s’imposait, nécessité obligatoire et non négociable pour elle de faire une véritable coupure.
La Bretagne était en ligne de mire, tout juste placée derrière la ligne de l’horizon. Il ne restait alors qu’à déterminer le jour du départ. Quant au moyen pour y arriver, Freddy avait eu le temps d’y réfléchir : finalement, entre un bateau sur la Seine jusqu’à Rouen puis un vieux gréement jusqu’à Paimpol contre un train au départ de la gare Montparnasse, c’est la deuxième solution qui avait emporté la mise… dans un mouchoir de poche et d’une courte encablure, le recours à la photo ayant été à un moment donné envisagé…
Le patron du journal, Gérard Morel, que tout le monde continuait d’appeler “Gé”, avait habitué son personnel à le trouver enterré toute la journée derrière des montagnes de livres et revues empilés sur son bureau situé à l’étage du dessus. Il n’en dépassait la tête que si l’interlocuteur venu le voir savait par ses propos faire briller ses yeux et dresser ses oreilles à la manière du loup de Tex Avery. Et seul le bruit de ses doigts glissant sur le clavier de son PC, mais également quelques grognements lâchés par bribes de temps en temps, assuraient de sa présence. Il était donc clair que la demande de Freddy pour s’échapper momentanément du circuit journalistique, et ce, au moins pendant une semaine afin de se ressourcer en terre celtique, ne l’avait pas vraiment branché.
Ainsi, après une vingtaine de secondes à grommeler dans sa barbe de huit jours, il sortit la tête coiffée d’une chevelure hirsute de son bunker en cellulose : il constata alors que Freddy était déjà partie sans même avoir attendu son approbation…
— De rien, hurla-t-il en direction des escaliers que la jeune journaliste avait empruntés à toute berzingue pour retourner sans plus attendre à son bureau…
Si dans la soirée du 29 octobre, Freddy était rentrée seule à son studio, protocole oblige, après une dernière coupe de champagne prise au Louvre avec John, elle décida de composer le numéro de celui qui avait tenté de la foudroyer en l’embrassant goulûment. « Le protocole, c’est bien ! Ne pas coucher le premier soir : je suis d’accord ! Mais dès le lendemain, on peut considérer que j’ai respecté les règles », annonça-t-elle clairement au moment où le technicien travaillant au Louvre répondit à son appel.
— Salut, Freddy.
— Bonjour, John… Tu vas bien depuis samedi soir ?
— Justement, depuis samedi soir, je n’ai pas encore dormi… J’ai gardé mon téléphone à la main, mes yeux rivés dessus et j’ai attendu patiemment ton appel…
— Ça va, n’exagère pas, on est lundi et il est 16 heures, tu devrais t’en remettre !
— En fait, cela dépendra de l’objet de ton appel ! Soit tu me dis que pour samedi, il faut considérer qu’il ne s’est rien passé, juste ce que l’on pourrait appeler une simple glissade entre toi et moi et pas plus, soit…
— Je t’appelle pour savoir si tu es dispo ce soir pour que l’on grignote un truc ensemble ? demanda Freddy, coupant ainsi la parole à son interlocuteur et mettant fin aux questions d’ordre métaphysique pouvant rapidement devenir interminables…
— Demande à un aveugle s’il veut voir, ironisa John. Vers quelle heure et où ?
— Écoute, je suis encore au journal, mais je vais partir dans la demi-heure, le temps de regrouper toutes mes affaires, dire au revoir à tous : je suis en congé ce soir… Je rentrerai ensuite chez moi… disons 19 h 30. Et je te propose “La Table des gourmets”, rue des Lombards, dans le 4e.
— Oui, je connais, c’est super, ambiance médiévale garantie, on mange dans une chapelle.
— Yes !
— OK, je t’embrasse. À tout’.
« Voilà, ça c’est fait », pensa Freddy qui affichait clairement la banane. D’une main, elle fit glisser ce qui se trouvait sur son bureau et de l’autre, tenant sa besace grande ouverte, récupéra pêle-mêle un ensemble de crayons et un bloc-notes, le liner pour accentuer ses yeux en amande, une gomme, le câble du chargeur du portable, une clé USB, une brosse à cheveux et un vieux peigne où il manquait deux dents sur trois, et enfin son disque dur externe. La tablette numérique retrouva sa protection en toile doublée “peau de bête” spéciale hiver : elle finit sa course également dans son fourre-tout. Elle alla ensuite faire le tour de tous ses collègues présents, leur expliquant successivement et avec insistance qu’elle serait bien restée par solidarité, mais que par respect pour ses ancêtres bretons elle se devait d’aller en pèlerinage en Terre sainte.
— Vous ne pouvez pas comprendre, c’est dans le génome ! Je vous rapporterai des galettes-saucisses, ajouta-t-elle avant de quitter le bâtiment haussmannien situé dans la rue Réaumur, presque à l’angle avec le boulevard de Sébastopol.
Freddy sortit de sa douche et pendant qu’elle se séchait les cheveux à l’aide d’une serviette éponge elle sélectionna sur son portable le morceau d’anthologie Don’t Stop Me Now, mit le volume du téléphone à fond les bielles et déclencha la chanson du groupe Queen. Elle tenta ainsi de suivre le grand Freddy qui envoyait la soudure : c’était certain, concernant le prénom, la jeune journaliste était full raccord avec le chanteur. Par contre, pour le reste, ce n’était pas gagné : une centaine d’heures de cours de chant à prendre ne pourraient suffire à combler ce fossé de taille abyssale ! Heureusement, elle était seule dans son studio, donc personne à faire fuir à oreilles rabattues ! En d’autres époques, elle aurait sûrement fini attachée et suspendue à un arbre, bâillonnée afin d’éviter toute pollution sonore d’un village gaulois en fête.
Après trois minutes vingt-neuf d’un anglais massacré à la française – une spécialité du territoire – Freddy rangea ensuite grossièrement sa chambre puis tira sur la couette afin d’en couvrir le matelas posé à même le sol. Jean, bottines, chemisier blanc ouvert laissant apparaître le bas de son cou, parfum, elle mit une écharpe et enfila son manteau qu’elle boutonna jusqu’en haut, mit son chapeau et quitta le studio. À pied pour avoir le temps de réfléchir et prendre la fraîcheur qu’offrait gratuitement et généreusement la saison en cours, la jeune femme rejoignit la Seine par la rue Saint-André-des-Arts. Elle emprunta le pont Saint-Michel, et traversa l’île de la Cité. Elle se dirigea ensuite vers la tour Saint-Jacques avant de s’engager sur le boulevard de Sébastopol. À 19 h 25, elle était devant le restaurant, au 14 de la rue, toute fière d’arriver la première ! Masqué par un groupe de fumeurs, John était déjà là ! Elle se jeta dans ses bras grands ouverts et les deux Homo sapiens restèrent emboîtés un long moment sur le trottoir avant décollement, franchissant ensuite la porte de l’établissement.
— Salut, Freddy, lança l’homme situé derrière la caisse centrale, en voyant la jeune journaliste entrer.
— Ça va, Bob ? lui demanda-t-elle. Contente de te revoir, ça fait longtemps !
— La 23, je te l’ai réservée, la table est indiquée, c’est au fond, à droite, lui dit-il, bras tendu et index pointeur, limite accusateur.
— Merci, lui répondit-elle tout sourire.
— Il s’appelle Robert ? demanda le jeune homme tout en suivant Freddy.
— Non, il s’appelle Jérémy, pourquoi ?
— Parce que Bob est le diminutif de Robert !
— On m’appelle bien Freddy !
— Oui, mais ton prénom, c’est Frédérique !
— Je ne vois pas le rapport, conclut Freddy qui avait décidé d’avoir le dernier mot, un peu comme d’habitude finalement… pour ne pas dire tout le temps !
Une échappée gastronomique à la française plus tard, une analyse fine à la Sigmund Freud pendant tout le repas – digne d’un docteur Freddy – elle avait décortiqué John sous toutes les coutures, en long, en large et en travers, bien décidée à savoir quel était l’énergumène qui se trouvait en face d’elle : le résultat lui donnait satisfaction ! Après quelques mots échangés avec Bob entrecoupés de sourires tout en sortant du restaurant, Freddy et John rejoignirent le boulevard de Sébastopol. Elle se rapprocha de lui, feignant la présence d’une température sibérienne qui se serait abattue soudainement sur la capitale le temps du dîner. Elle prit le bras du jeune homme qu’elle serra fortement, lâchant une onomatopée signifiant clairement qu’elle avait froid. Tous les sens en éveil et sans perdre le nord, John demanda :
— On fait quoi ?
— On pourrait aller chez moi prendre un café, j’ai aussi de la vodka !
— Mon toubib m’a conseillé l’arrêt définitif du café, annonça-t-il froidement…
Vers 6 h 30 et sans faire de bruit, John se leva et alla prendre une douche, laissant la jeune journaliste sous la couette et le cadavre de la bouteille du breuvage soviétique couchée à même le sol. Vers moins le quart, habillé, il secoua doucement la jeune femme afin de lui signifier son départ imminent.
— Reste encore cinq minutes, lui dit-elle.
— Je ne peux pas, il faut que je sois au taf très tôt… mais je peux revenir si tu veux ?
— Euh… on s’appelle, répondit Freddy, changeant de ton et coupant court à la demande.
Elle laissa ainsi planer le doute dans l’esprit du jeune homme : c’était peut-être la dernière fois qu’il avait séjourné rue de Seine, en tout cas au 55 avec Freddy. Avant de quitter la pièce, il regarda cette femme dont il observa la partie visible, une tignasse courte mais ébouriffée, dépassant à peine de la couette…
Vendredi 1ernovembre, 10 h 18 – Saint-Brieuc
Avec une précision à laquelle la SNCF n’avait plus habitué ses usagers depuis bien longtemps – usagers et ascendants d’usagers sur au moins trois générations –, le train en provenance de Paris-Montparnasse arriva à l’heure et entra en gare de la cité briochine. Montée sur quatre roulettes indépendantes non motorisées, la valise de Freddy se retrouva sur le quai le temps de le dire. Quelques marches plus tard et un passage devant la plaque commémorative de Fulgence Bienvenüe, rappelant aux Parisiens de passage que leur métro était avant tout breton, Freddy passa le hall des arrivées et se retrouva à l’extérieur devant la gare. Un SMS reçu quelques minutes plus tôt lui avait indiqué que sa cousine serait en retard à cause des travaux de transformation du quartier et qu’elle aurait à être patiente. Devant cette construction massive des années trente, Freddy n’eut à attendre que quelques minutes, écouteurs aux oreilles, juste le temps pour elle de terminer I’m Still Standing de ce diable d’Elton John.
— Salut, Freddy, lança Amélie à celle qui venait d’ouvrir la porte arrière de sa voiture pour y fourrer sa valise. Fais gaffe au siège avec les roulettes !
— Grrr, bougonna la jeune journaliste. Salut, cousine, tu vas bien ?
— Super ! Je suis contente de te voir.
— Moi aussi, et ça fait du bien de savoir que je suis là pour une semaine… j’en ai besoin, je n’en peux plus ! annonça-t-elle, détachant toutes les syllabes de la phrase pour en accentuer l’importance.
— Tu m’étonnes, avec ce que tu viens de vivre…
Freddy profita des kilomètres entre Saint-Brieuc et Paimpol pour faire à sa cousine une synthèse du dossier Boberski dont les échos s’étaient propagés bien au-delà des frontières françaises, arrivant même jusqu’en Bretagne !
Et pour Freddy, le programme de la journée à Paimpol était simple et ne proposait aucune alternative : repas chez l’oncle et la tante, parents d’Amélie, débarquement ensuite dans la maison de mémé en haut de la rue de l’église pour y prendre ses quartiers pendant son séjour. Passage au cimetière de Dunant pour un recueillement en ce lendemain de Toussaint. Visite de courtoisie à la marbrerie Karadec afin de saluer ses amis d’enfance de toujours, Thibault et Yann, puis repos jusqu’au lendemain.
Et pour démarrer ce passage en terre costarmoricaine sur les chapeaux de roues, une première épreuve de taille se présentait à Freddy, et non des moindres : affronter la cuisine que sa tante préparait avec beaucoup d’amour mais très peu de compétences – pour ne pas dire absence !
Chaque plat présenté fut à lui seul une épreuve à surmonter et Freddy eut l’impression d’être dans une discipline des JO, le genre “le décathlon du déjeuner”. Il est bon de préciser que cette activité existait également dans la catégorie “dîner”, construite en grande partie avec les restes du midi, voire même des midis d’avant…
La jeune journaliste eut la chance de croiser dans son assiette l’une des nombreuses spécialités que sa tata maîtrisait avec brio : les spaghettis à la polonaise !
— Tu es sûre que ce n’est pas à la bolognaise, avait demandé la jeune femme lors de la présentation du plat avant partage, moment solennel où il ne manquait que les hymnes et la présence de Dieu !
— Non, non, avait répondu la mère d’Amélie, c’est comme à la bolognaise, mais sans la viande !
— Ah, d’accord ! Moi, annonça Freddy, je râpe du pecorino dessus, du sarde, c’est du costaud, fort en bouche, alors je le mélange avec du parmesan pour adoucir.
— Rien de tout cela, répliqua la tante en accentuant sa réponse tout en secouant énergiquement sa main droite pour repousser cette vraie bonne idée. Moi, je rajoute sur les pâtes fumantes de la Vache qui rit que je laisse fondre !
— Bon, ben, bon appétit à tous, conclut Freddy, tête baissée, au pied du mur de six mètres à sauter… absence de perche !
Après avoir, dans sa tête, décerné à moult reprises les médailles à l’oncle et à la cousine, tous deux parfaitement heureux d’ingurgiter ces désastres culinaires, Freddy fut déposée chez mémé. L’idée qui trotta dans sa tête à ce moment fut de prendre rendez-vous avec le Norbert de la télé pour un redressement qui s’imposait – peut-être le seul d’ailleurs où ce grand cuisinier pourrait échouer avec brio. Les clés de la maison avaient été données par la tante au moment du départ, accompagnées d’une liste de consignes couchées sur papier, à respecter scrupuleusement. La jeune journaliste s’était empressée de la mettre en boule au fond de la poche de son jean.
— Tu ne l’as même pas lue ! précisa la tante.
— T’inquiète, répondit Freddy, je gère… La maison de mémé, je la connais comme ma poche… Et d’ailleurs, surenchérit-elle, tu n’étais pas née que je la connaissais déjà !
— Sacrée Freddy, tu ne changeras donc jamais !
— Un peu comme toi, rétorqua la jeune femme, et tu viens de nous en donner encore la preuve…
— Tu ne t’es pas régalée avec ce que j’ai préparé ? demanda la tante piquée au vif.
— Ah, si si ! assura Freddy. Très bon ! finit-elle par ajouter en toute hypocrisie afin d’éviter un incident diplomatique fâcheux.
Digne d’une organisation et d’une stratégie quasi militaire, un peu comme un défilé de la Légion étrangère un 14 juillet sur les Champs-Élysées, le planning de l’après-midi établi par Freddy fut respecté à la lettre, rien ne dépassa, pas même l’ombre d’une oreille !
Fleuri de chrysanthèmes, dont les jaunes, mauves et blancs parsemaient de jolies touches de couleur la pierre tombale à dominante grise, le lieu de repos de mémé et des deux générations qui l’avaient précédée fut le théâtre d’une émotion non retenue. Comme toujours, proche ou lointain, ce passé toujours à l’affût dans la mémoire refaisait surface, provoquant dans le cerveau, un télescopage d’évènements, heureux ou tristes. Freddy ne fut pas épargnée par cette règle où tous les tiroirs des souvenirs s’étaient soudain ouverts, pratiquement en même temps… Sans oublier ceux encore récents du secret de cette tombe qu’elle avait face à elle et des conséquences mises au jour par la jeune journaliste dans le cadre de son enquête…
Plusieurs mouchoirs en papier humidifiés plus tard, la jeune journaliste alla fleurir la tombe d’Alexandre et Angèle*, ensemble pour l’éternité. Puis elle arpenta le cimetière, allée après allée, lisant ou relisant les noms de famille et les dates inscrites sur toutes ces tombes. Elle tenta d’associer ces locataires ayant pris perpétuité – la vraie, pas une que le monde des hommes a inventée et qui se réduit à vingt-deux ans – à des quartiers, des rues ou des maisons de la ville. C’était un grand livre ouvert où l’on n’arrêtait jamais d’écrire et où était gravé le passage de tous ces Paimpolais sur terre comme en mer…
Puis Freddy se rendit jusqu’à la marbrerie Karadec attenante au cimetière, espérant la présence des deux descendants de cette illustre famille afin de pouvoir accoster à nouveau sur le quai des vivants. Yann en premier puis Thibault, en retard d’une courte tête, vinrent la serrer successivement dans leurs bras, il fut nécessaire de leur préciser :