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Dans cette allégorie mathématique, l'auteur donne vie aux dimensions géométriques.
Edwin Abbot nous fait découvrir les aventures d’un Carré, habitant de Flatland, le Pays Plat. À l’aube du deuxième millénaire, ce proéminent mathématicien est initié aux mystères de la troisième dimension – voire d'autres encore. Avec de nouvelles illustrations par Débora Bertol.
Satire pointue sur la religion et la société victoriennes, ce roman est considéré comme l’un des précurseurs de la science-fiction.
EXTRAIT
Imaginez une vaste feuille de papier sur laquelle des figures géométriques se déplacent librement, mais sans pouvoir s’élever au-dessus ou s’enfoncer au-dessous, tout à fait comme des ombres, et vous aurez une idée assez exacte de mon pays et de mes compatriotes. Hélas, il y a quelques années encore, j’aurais dit « de mon univers » : mais maintenant mon esprit s’est ouvert à une conception supérieure des choses.
Dans un tel pays, vous vous rendrez compte immédiatement qu’il ne peut exister rien de ce que vous appelez « solide » ; mais vous supposerez, me semble-t-il, que nous pouvons au moins distinguer visuellement les triangles des carrés et des autres figures qui s’y déplacent, comme je vous l’ai décrit. Au contraire, nous ne pouvons rien percevoir de tel, au moins avec une netteté suffisante pour nous permettre de distinguer une figure d’une autre.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Une fantaisie logique en forme de satire géométrique que n’aurait pas reniée Lewis Carroll, à offrir comme curiosa aux amateurs de science-fiction et autres lecteurs de contes philosophiques. -
De Litteris
Classique inclassable, longtemps ignoré en France,
Flatland séduit par sa logique mathématique qui, elle seule , autorise la prouesse de décrire la société d'un univers à deux dimensions, plat, sans haut ni bas, peuplé de figures géométriques ayant leurs mœurs, leur religion, leurs classes sociales. -
Claude Ecken, Le Bélial
À PROPOS DE L'AUTEUR
Edwin A. Abbot était un professeur et théologien anglais.
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Seitenzahl: 180
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Aux habitants de l’Espace en général, et à H. C. en particulier, cette œuvre est dédiée par un humble carré originaire du Pays des Deux Dimensions dans l’espoir que, tout comme lui-même a été initié aux mystères des trois dimensions, alors qu’il en connaissait seulement deux, ainsi les citoyens de cette céleste région élèveront de plus en plus leurs aspirations vers les secrets de la quatrième, de la cinquième ou même de la sixième dimension, contribuant ainsi au développement de l’imagination et peut-être au progrès de cette qualité excellente et rare qu’est la modestie au sein des races supérieures de l’humanité solide.
Si mon pauvre ami de Flatland conservait encore la vigueur intellectuelle dont il jouissait quand il commençait à composer ces mémoires, je n’aurais pas besoin de le représenter dans cette préface, dans laquelle il désire, tout d’abord, remercier ses lecteurs et critiques de Spaceland, dont l’appréciation, avec une célérité inattendue, exigeait une deuxième édition de son œuvre ; ensuite, pour présenter des excuses pour certaines erreurs et fautes de typographie (dont il n’est cependant pas entièrement responsable) ; enfin, pour corriger un ou deux malentendus. Mais il n’est plus le Carré d’antan. Des années d’emprisonnement et le fardeau encore plus lourd à supporter des sarcasmes et de l’incrédulité générale, combinés avec la décadence naturelle de la vieillesse, ont effacé de son esprit beaucoup d’idées et de concepts, ainsi qu’une grande partie de la terminologie qu’il avait acquis pendant son court séjour à Spaceland. Il m’a donc demandé de répondre à son nom à deux objections précises, de nature intellectuelle pour la première et morale pour la seconde.
La première objection est qu’un habitant de Flatland, lorsqu’il se trouve devant une ligne, voit quelque chose qui doit lui sembler non seulement long, mais aussi épais (s’il n’avait pas une certaine épaisseur, l’objet contemplé ne serait pas visible) ; et par conséquent il devrait (selon ces critiques) reconnaître que ses compatriotes ne sont pas seulement longs et larges mais également épais (bien que dans une très faible mesure) ou encore hauts. Cette objection est plausible et, pour les habitants de Spaceland, presque irrésistible, au point que, lorsque je l’entendis pour la première fois, je ne savais pas quoi répondre. Mais mon pauvre ami l’a fait d’une façon qui me semble tout à fait satisfaisante.
« J’admets », m’a-t-il dit lorsque je lui ai mentionné cette objection, « j’admets la vérité des faits de votre critique, mais je réfute ses conclusions. Il est vrai que nous avons à Flatland une troisième dimension non reconnue, que l’on pourrait appeler « hauteur », tout comme vous avez vraiment chez vous, à Spaceland, une quatrième dimension non reconnue, pour laquelle vous ne possédez pas encore de nom mais que j’appellerai « extra-hauteur ». Moi-même – qui ai été à Spaceland et ai eu pendant vingt-quatre heures le privilège de comprendre la signification du terme « hauteur » – je reste perplexe à présent devant cette notion et je ne peux plus la saisir ni par le sens de la vue, ni par le raisonnement ; elle nécessite de ma part un acte de foi. »
« La raison en est évidente. L’idée de dimension implique une direction, implique une possibilité de mesure, implique le plus et le moins. Or, toutes nos lignes sont égales et infinitésimalement épaisses (ou hautes, si vous préférez) ; par conséquent, elles n’ont rien qui puisse orienter notre esprit vers l’image de cette dimension. Le « micromètre » le plus « délicat » – comme l’a suggéré trop hâtivement l’un de vos critiques – ne nous servirait de rien, car nous ne saurions ni que mesurer, ni dans quelle direction le faire. Quand nous voyons une ligne, nous voyons quelque chose qui est long et brillant ; l’éclat, tout autant que la longueur, est nécessaire à l’existence d’une ligne ; si l’éclat s’évanouit, la ligne disparaît. Voilà pourquoi tous mes amis de Flatland – lorsque je leur parle de cette dimension non reconnue qui, pourtant, est en quelque sorte visible dans une ligne – me répondent : « Ah, vous voulez dire l’éclat. » Et quand je réplique : « Non, je veux dire une véritable dimension », ils me rétorquent : « Alors mesurez-la ou dites-nous dans quelle direction elle s’étend. » Cela me réduit au silence, car je ne peux faire ni l’un ni l’autre. Hier encore, lorsque le Cercle Suprême (autrement dit, notre Grand Prêtre) est venu inspecter la prison d’État et qu’il m’a rendu sa septième visite annuelle, en me demandant pour la septième fois si je me sentais mieux, j’ai essayé de lui prouver qu’il était non seulement long et large mais également « haut », bien qu’il ne le sût pas. Quelle était sa réponse ? « Vous dites que je suis « haut » ; mesurez ma « hauteur » et je vous croirai. » Que faire ? Comment pouvais-je relever ce défi ? J’ai perdu contenance et il est reparti triomphant. »
« Cela vous semble-t-il toujours étrange ? Alors imaginez-vous dans une situation semblable à la mienne. Supposez qu’une personne de la quatrième dimension condescende à vous rendre visite et vous dise : « Chaque fois que vous ouvrez les yeux, vous voyez une figure plane (qui a deux dimensions) et vous inférez un solide (qui en a trois) ; mais en réalité vous voyez aussi (bien que vous ne le sachiez pas) une quatrième dimension, qui n’est ni la couleur, ni l’éclat, ni rien du genre, mais une véritable dimension, dont je ne peux cependant pas vous indiquer la direction et que vous ne pouvez pas mesurer. » Que répondriez-vous à ce visiteur ? Ne le feriez-vous pas enfermer ? Eh bien, tel est mon destin ; et nous agissons aussi naturellement, nous, habitants de Flatland, en condamnant à la détention perpétuelle un Carré coupable d’avoir prêché la troisième dimension, que vous, habitants de Spaceland, en expédiant dans vos geôles un Cube coupable d’avoir prêché la quatrième dimension. Hélas, combien l’humanité est aveugle et prompte à persécuter, et comme elle se ressemble dans toutes les dimensions ! Points, Lignes, Carrés, Cubes ou Extra-cubes, nous sommes tous enclins aux mêmes erreurs, tous esclaves de nos préjugés dimensionnels respectifs. Comme l’a dit l’un de vos poètes :
« Une touche de la Nature rend tous les mondes semblables. » »
Sur ce point, les arguments du Carré me paraissent incontestables. J’aimerais pouvoir dire que sa réponse à la seconde objection (d’ordre moral) est aussi claire et convaincante1. On lui a reproché d’être misogyne ; et comme cette critique lui est adressée, avec une certaine véhémence, par un sexe que la Nature a mis dans une position de supériorité numérique à Spaceland, je serais heureux de pouvoir la réfuter, autant qu’il m’est possible de faire en toute honnêteté. Mais le Carré est si peu habitué à notre terminologie morale que je lui ferais une injustice si je transcrivais littéralement sa défense contre cette accusation. Cependant, en tant qu’interprète de sa pensée, et pour la résumer, j’ai constaté que, pendant ses sept années de détention, il a changé d’avis tant sur les femmes que sur les Isocèles et les classes inférieures. Personnellement, il se rapproche maintenant des idées de la Sphère, selon laquelle les Lignes Droites sont, sur bien des points importants, supérieures aux Cercles. Mais, fidèle à son rôle d’historien, il s’est identifié (peut-être trop étroitement) aux points de vue généralement adoptés par ses collègues de Flatland et (à ce qu’on lui a dit) même par les historiens de Spaceland, qui (jusqu’à une date très récente) ont rarement jugé digne d’attention la destinée des femmes et des masses, et ne l’ont jamais portée une considération attentive.
Dans un passage encore plus obscur, il désire maintenant réfuter les tendances circulaires ou aristocratiques que certains de ses critiques lui ont naturellement attribuées. Tout en rendant justice aux facultés intellectuelles qui ont permis à un petit nombre de Cercles de préserver pendant plusieurs générations leur suprématie sur l’immense multitude de leurs compatriotes, il croit que l’histoire de Flatland parle d’elle-même, sans nécessiter de commentaires de sa part, et montre que les révolutions ne peuvent pas toujours être supprimées par l’abattage. Il pense également que la Nature, en condamnant les Cercles à l’infécondité, les a condamnés à l’échec ultime. « Je vois là », ajoute-t-il, « l’accomplissement d’une grande loi commune à tous les univers : tandis que la sagesse de l’homme croit œuvrer à un objectif, la sagesse de la Nature le contraint à travailler dans un autre but, très différent et meilleur. » Pour le reste, il demande à ses lecteurs de ne pas supposer que tous les détails de la vie quotidienne à Flatland doivent nécessairement correspondre à ceux de Spaceland. Il espère toutefois que, dans l’ensemble, son ouvrage pourra séduire l’imagination de certains habitants de Spaceland et amusera du moins ces esprits modestes et modérés qui – en parlant de choses importantes mais situées en dehors des limites de l’expérience – refusent de dire aussi bien « cela ne peut pas être » que « cela est obligatoirement ainsi et nous savons tout ce qu’il y a à savoir là-dessus ».
« Soyez patient, car le monde est large et vaste. »
J’appelle notre monde Flatland (le Pays Plat), pas parce que nous l’appelons ainsi, mais pour vous aider à mieux en saisir la nature, vous, mes heureux lecteurs, qui avez le privilège de vivre dans l’Espace.
Imaginez une vaste feuille de papier sur laquelle les lignes droites, les triangles, les carrés, les pentagones, les hexagones et les autres figures, au lieu de rester fixes à leur place, se déplacent librement, mais sans pouvoir s’élever au-dessus ou s’enfoncer au-dessous, tout à fait comme des ombres – à cela près qu’elles sont dures et ont des bords lumineux – et vous aurez une idée assez exacte de mon pays et de mes compatriotes. Hélas, il y a quelques années encore, j’aurais dit « de mon univers » : mais maintenant mon esprit s’est ouvert à une conception supérieure des choses.
Dans un tel pays, vous vous rendrez compte immédiatement qu’il ne peut exister rien de ce que vous appelez « solide » ; mais vous supposerez, me semble-t-il, que nous pouvons au moins distinguer visuellement les triangles des carrés et des autres figures qui s’y déplacent, comme je vous l’ai décrit. Au contraire, nous ne pouvons rien percevoir de tel, au moins avec une netteté suffisante pour nous permettre de distinguer une figure d’une autre. Nous ne voyons rien d’autre que des lignes droites ; et je vais vous en démontrer rapidement la raison.
Placez une pièce de monnaie sur l’une de vos tables dans l’Espace et, en vous penchant dessus, observez-la. Vous y verrez un cercle.
Mais maintenant, en reculant vers le bord de la table et en vous baissant progressivement (ce qui vous rapprochera de plus en plus des conditions dans lesquelles vivent les habitants de Flatland), vous constaterez que, sous votre regard, la pièce devient ovale. Enfin, quand vous aurez placé votre œil exactement au bord de la table (ce qui fera réellement de vous, pour ainsi dire, l’un de mes compatriotes), vous verrez que la pièce a complètement cessé de vous paraître ovale et qu’elle est devenue, à votre regard, une ligne droite.
Il en serait de même si vous preniez pour objet de vos observations un triangle, un carré ou toute autre figure découpée dans du carton. Regardez-la en vous plaçant de manière que votre œil soit au bord de la table : vous verrez qu’elle cesse de vous apparaître sous la forme d’une figure et qu’elle devient en apparence une ligne droite. Prenons pour exemple un triangle équilatéral qui représente chez nous un commerçant appartenant à la classe respectable. La figure 1 vous montre ce commerçant tel que vous le verriez en vous penchant au-dessus de lui ; les figures 2 et 3 vous le montrent tel que vous le verriez si votre œil approchait du niveau de la table ou le rasait presque ; et si votre œil était exactement au niveau de la table (c’est ainsi que nous le voyons à Flatland), vous ne verriez qu’une ligne droite.
Pendant mon séjour à Spaceland, j’ai entendu dire que vos marins connaissaient des expériences très similaires lorsqu’ils traversaient vos océans et discernaient à l’horizon quelque île ou rivage éloigné. Ces terres lointaines peuvent voir des baies, des promontoires, des angles nombreux et de toutes dimensions, mais à une certaine distance vous ne voyez aucun de ces éléments (sauf, il est vrai, si votre soleil brille sur elle et révèle les parties en saillie ou en retrait grâce au jeu de la lumière et des ombres), rien d’autre qu’une ligne uniforme et grisâtre sur la mer.
Eh bien, c’est exactement ce que nous voyons quand une de nos connaissances triangulaires ou autres s’approche de nous à Flatland. Comme il n’y a chez nous ni soleil, ni lumière de nature à produire des ombres, nous ne disposons d’aucun de ces adjuvants qui viennent au secours de votre vue, chez vous, à Spaceland. Si notre ami se rapproche, nous voyons sa ligne s’élargir ; s’il s’éloigne, elle diminue ; mais il est toujours à nos yeux une ligne droite. Qu’il soit Triangle, Carré, Pentagone, Hexagone, Cercle ou ce que vous voudrez, il n’est pour nous qu’une ligne droite et rien d’autre.
Vous vous demandez peut-être comment, dans ces circonstances désavantageuses, nous parvenons à distinguer nos amis les uns des autres ; mais la réponse à cette question très naturelle sera plus judicieuse et plus facile quand nous en arriverons à la description des habitants de Flatland. Pour l’instant, permettez-moi de reporter ce sujet à plus tard et de vous dire un ou deux mots sur le climat et les maisons de notre pays.
Chez nous, tout de même que chez vous, il y a quatre points cardinaux : le nord, le sud, l’est et l’ouest.
Comme il n’y a pas de soleil ou d’autres corps célestes, il nous est impossible de déterminer le nord à la façon habituelle, mais nous avons notre propre méthode. Chez nous, une loi de la Nature fait qu’une attraction constante s’exerce en direction du sud ; et, bien que dans les régions tempérées cette attraction soit très légère – au point que même une femme, évidemment supposée bien portante, peut parcourir plusieurs centaines de toises en direction du nord sans grande difficulté – ses effets sont cependant assez sensibles pour nous servir de boussole sous la plupart de nos climats. De plus, la pluie (qui tombe à intervalles fixes), venant toujours du nord, nous est une aide supplémentaire ; et, dans les villes, nous nous fions aux maisons dont les murs latéraux sont, bien entendu, généralement orientés vers le nord et vers le sud afin que les toits forment obstacle à la pluie qui tombe du nord. Dans la campagne, où il n’y a pas de maisons, les troncs des arbres nous servent de guides. Dans l’ensemble, nous n’avons pas autant de mal que vous pourriez le croire à déterminer notre position.
Néanmoins, dans nos régions plus tempérées, où l’attraction qui s’exerce en direction du sud n’est guère ressentie, il m’est arrivé parfois, dans quelque plaine désolée où il n’existait ni maison ni arbre pour me servir de repère, de rester immobile pendant plusieurs heures, en attendant l'arrivée de la pluie pour pouvoir poursuivre mon voyage. La force de l’attraction est beaucoup plus éprouvante pour les personnes âgées ou affaiblies, et surtout pour nos délicates femelles, que pour le robuste sexe mâle, de sorte qu’un homme bien élevé, s’il rencontre une dame dans la rue, lui cédera toujours le côté nord – ce qui n’est pas à proprement parler facile lorsqu’on est pris de court, que l’on ne jouit pas d’une santé excellente et que l’on se trouve dans une région où il est difficile de distinguer le nord du sud.
Nos maisons n’ont pas de fenêtres, car la lumière nous arrive également à l’intérieur et à l’extérieur, de nuit comme de jour, en tous lieux et à tous moments. D’où ? Nous l’ignorons. « Quelle est l’origine de la lumière ? » C’était là, jadis, pour nos érudits, une question du plus haut intérêt que l’on se posait fréquemment, et l’on en a cherché la solution à maintes reprises, sans autre résultat que de peupler les asiles de fous. En conséquence, après avoir vainement tenté de restreindre indirectement ces recherches en les rendant passibles d’une lourde amende, la législature, à une époque relativement récente, les a interdites absolument. Moi – hélas, moi seul à Flatland maintenant – je ne connais que trop bien la véritable solution de ce mystérieux problème, mais mon savoir ne peut être intelligible à un seul de mes compatriotes ; et l’on m’accable de sarcasmes – moi, l’unique détenteur des vérités de l’Espace, moi qui ai formulé la théorie de l’introduction de la lumière à partir du monde des trois dimensions – comme si j’étais un fou parmi les fous ! Mais trêve de digressions pénibles, retournons à nos maisons.
La forme que l’on adopte le plus communément pour la construction des maisons est à cinq côtés, ou pentagonale, comme dans le schéma ci-joint. Les deux côtés nord, CD, DE constituent le toit et n’ont généralement pas de porte ; il y a à l’est une petite porte pour les femmes ; à l’ouest, une autre, beaucoup plus grande, pour les hommes ; habituellement, le côté sud, ou plancher, n’en comporte pas.
Les maisons carrées et triangulaires ne sont pas autorisées, et ceci pour la raison suivante. Les angles d’un Carré (et davantage encore ceux d’un Triangle Équilatéral) étant beaucoup plus pointus que ceux d’un Pentagone, et les lignes des objets inanimés (tels que les maisons) étant plus obscures que celles des hommes et des femmes, il s’ensuit que les coins d’une résidence carrée ou triangulaire risqueraient fort d’infliger une blessure sérieuse à un voyageur étourdi ou peut-être distrait qui se jetterait brusquement contre eux ; et par conséquent, dès le XIe siècle de notre ère, les maisons triangulaires ont été universellement interdites par la loi, les seules exceptions étant les fortifications, les poudrières, les casernes et autres bâtiments officiels, dont il n’est pas désirable que le grand public approche sans circonspection.
À cette époque, la construction de maisons carrées était encore admise partout, bien que découragée par une taxe spéciale. Mais, environ trois siècles plus tard, les législateurs décidèrent que, dans toutes les villes où la population excédait dix mille habitants, l’angle d’un pentagone était, pour une maison, le seul qui fût compatible avec la sécurité publique et que, l’on n’en pouvait point autoriser de plus grand. Le bon sens de la communauté a secondé les efforts de la législature et maintenant, même dans les campagnes, la construction pentagonale a pris le pas sur toutes les autres. Ce n’est à présent que de temps en temps, dans certaines régions agraires très reculées et arriérées, qu’un antiquaire peut encore découvrir une maison carrée.
La plus grande longueur ou largeur d’un habitant adulte de Flatland peut être évaluée à onze de vos pouces environ. Douze pouces sont considérés comme un maximum.
Nos femmes sont des Lignes Droites.
Nos soldats et nos ouvriers des classes inférieures sont des triangles qui ont deux côtés égaux, mesurant chacun approximativement onze pouces, et une base ou troisième côté si courte (souvent pas plus d’un demi-pouce) qu’ils forment au sommet un angle très aigu et très redoutable. Et même, quand leur base est du type le plus dégénéré (d’une longueur qui n’est pas supérieure à un huitième de pouce), c’est à peine si l’on peut les distinguer des Lignes Droites ou femmes, tant leur sommet est pointu. Chez nous, comme chez vous, ces triangles-là se nomment Isocèles, pour les différencier des autres ; et c’est sous ce nom que je les désignerai dans les pages suivantes.
Notre classe moyenne se compose de Triangles Équilatéraux, c’est-à-dire dont tous les côtés sont égaux. Les membres des professions libérales et les gentilshommes sont des Carrés (c’est à cette classe que j’appartiens personnellement) et des figures à cinq côtés ou Pentagones.
Vient ensuite la noblesse, qui comporte plusieurs degrés, en commençant par les figures à six côtés, ou Hexagones, et ainsi de suite, le nombre des côtés augmentant sans cesse, jusqu’aux personnages qui reçoivent le titre honorable de Polygones. Enfin, lorsque le nombre des côtés devient si grand, et les côtés eux-mêmes si petits qu’il est impossible de distinguer la figure d’un Cercle, elle entre dans la classe circulaire ou ecclésiastique : c’est la classe la plus élevée de toutes.
C’est une loi de la Nature chez nous qu’un enfant mâle aura toujours un côté de plus que son père, de sorte que chaque génération s’élève (en règle générale) d’un échelon sur la voie du développement et de l’anoblissement. Ainsi le fils d’un Carré sera un Pentagone ; le fils du Pentagone, un Hexagone, etc.