Fucking quarantaine - Laura Wilhelm - E-Book

Fucking quarantaine E-Book

Laura Wilhelm

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Beschreibung

Presque vingt ans de mariage, deux adolescents à la maison et une carrière florissante. Maëlla a tout pour être heureuse. Tout ? C’est ce qu’elle croit.

Ce qu’elle ne voit pas c’est qu’elle s’est oubliée elle-même dans son chemin de vie, la charge mentale l’oblige à garder la tête dans le guidon, jusqu’à ce que …

Entre drames familiaux, challenges professionnels et soucis de santé, sa crise de la quarantaine va la bousculer au point de la mettre au pied du mur.

Son mariage survivra-t-il ?


EXTRAIT "C’est une idée qui a commencé à me trotter dans la tête avant la proposition de mon boss… mais pourquoi pas après tout ? Quand je pense aux centaines d’heures écoulées, au salaire de misère pour lequel je travaille, qui sera certes augmenté, mais pas assez selon moi, et aux avantages que le poste d’associée me donnerait, mais qui ne me suffisent pas. Il est peut-être effectivement temps finalement."


À PROPOS DE L'AUTRICE

Laura Wolhelm -  Laura est l'auteure de la trilogie de romance fantastique "Azmel" publiée chez Sudarènes Éditions. Également auteure de la saga drame contemporain "Souvenirs Introuvables" publiée en autoédition, elle termine actuellement les corrections de son nouveau roman feel good "Fucking quarantaine!" qui sera publié courant 2024 chez Sudarènes Éditions.

Le premier tome d'"Azmel" a été écrit pour sa petite sœur (Laura avait tout juste 19 ans) et n'était, au départ, pas du tout destiné à être publié. Mais ce livre a tellement été apprécié que son entourage l'a poussé à la publication. Cette concrétisation de son rêve d'enfant est vécue comme une incroyable aventure humaine.

Aujourd'hui, Laura est maman d'une petite fille et travaille dans le commerce. Un emploi du temps plus que chargé mais où elle trouve tout de même le temps pour ses deux passions: la lecture et l'écriture.

Début 2022, la fille de Laura a souhaité l'accompagner en séances de dédicaces et a eu l'idée d'écrire son propre livre. Un projet que Laura a tout de suite soutenu. Ce livre, "Kelly a perdu sa susu" est l'aboutissement d'un vrai travail d'équipe entre sa fille, Licia mais aussi Pauline, leur illustratrice et Scarlett, sa webdesigner.

Son expérience d'auteure lui a appris de nombreuses choses et c'est pourquoi, après plus de quatre ans de coaching littéraire privé, Laura à mis en ligne diverses astuces & conseils d'auteur pour tout ceux qui veulent se lancer dans le grand bain.

Très proche de ses lecteurs, elle a créé un compte Intagram pour pouvoir échanger avec eux : @laurawilhelm_auteure. Si vous le souhaitez, n'hésitez pas à lui rendre visi









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Laura Wilhelm

 

 

 

 

 

 

Fucking quarantaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« À toutes ces femmes qui avancent chaque jour

en se demandant si elles sont à leur place,

 

À ces couples qui doutent de leur amour

et à ceux qui ont peur qu’on les remplace,

 

Osez, pardonnez et soyez forts

Même si la vie vous demande des efforts

L’enjeu mérite largement vos inconforts »

 

(Laura Wilhelm)

Prologue

 

La gare de Saint-Pancras International est blindée de touristes français. Il est vingt heures trente et je viens de poser mes pieds à Londres pour la première fois de ma vie.

L’architecture typique des bâtiments, qui représente bien le style néo-gothique de l'époque, me saute aux yeux. Je me sens petite et le stress de cette nouvelle vie qui s’annonce monte peu à peu jusqu’à imprégner chaque parcelle de mon corps.

Mon short en jean encaisse les bourrasques glacées et je frissonne en regrettant la chaleur du sud de la France.

Quand je suis partie ce matin, il faisait déjà vingt-sept degrés et je n’ai pas pensé que la température pouvait être si différente ici. Quelle erreur ! Je grogne à l’intérieur de moi.

Ma valise est lourde et, même si elle a des roulettes, j’ai du mal à la déplacer.

Mes premiers pas vers l’inconnu… un talon qui casse entre deux cailloux et une chute qui me vaut deux belles égratignures sur chacun de mes genoux ! Des talons… quelle idée ça aussi !

Heureusement, les passants se sont arrêtés et m’ont aidée à me relever. Je n’ai pas bien compris ce qu’ils m’ont dit, mais je les ai remerciés au moins vingt fois pour leur gentillesse.

En France, je suis sûre que personne n’aurait pris le temps de me venir en aide et que certains auraient même un peu ri de ma mésaventure.

Arrivée devant l’entrée, je balaye du regard autour de moi. Valentina, ma future colocataire, doit arriver d’un moment à l’autre.

Je pose ma valise, m’assois dessus et attends quelques minutes. La nuit est déjà tombée ici et le ciel est si chargé que je n’arrive pas à voir les étoiles.

Le cœur serré, je pense à mes parents. Ils n’étaient pas vraiment d’accord avec moi pour ce voyage, mais j’en ai besoin. Il fallait absolument que je m’éloigne de Saint Maximin et pas pour deux semaines, non, je devais disparaître totalement.

Mon t-shirt à manches longues recouvre les bleus encore bien trop visibles sur mes bras. Mes côtes ne sont pas complètement remises, mais je devais partir au plus vite pour qu’il ne me retrouve pas.

Cette hospitalisation m’a permis de comprendre que ma relation amoureuse était devenue destructrice, et c’est là, dans cette chambre d’hôpital à l’odeur aseptisée, que mon instinct de survie a pris le dessus sur mes sentiments. Et malgré tout ce que je ressens pour lui, je dois déposer les armes… abandonner pour me reconstruire loin de lui.

C’est alors que je me suis souvenue de Valentina, une fille de mon âge avec qui je correspondais quand j’étais au collège. Elle était venue à la maison lors d’un échange scolaire quand on était en quatrième, et on avait plus ou moins gardé contact toutes ces années.

Mes émotions me submergent soudain. Tout le haut de mon corps n’est qu’une douleur lancinante. Insidieuse et glaciale, elle a déjà transpercé mon cœur et l’a réduit en miettes. Pourtant, j’ai toute la vie devant moi et je refuse de céder à la panique.

La seule issue au chaos qu’est devenue ma vie réside en Valentina et aux projets que nous avons mis en place pour les prochains mois. Ça ne durera peut-être pas, mais je dois essayer. Pour moi, pour surmonter tous ces problèmes.

Quand je l’ai appelée il y a environ dix jours pour lui demander si je pouvais lui rendre visite, elle a tout de suite compris que ça n’allait pas et m’a proposé de passer les deux mois d’été avec elle, chez ses parents, en attendant.

Puis, au fil de la discussion, on a évoqué son job de barmaid et le fait que son boss cherchait quelqu’un pour renforcer ses équipes en juillet et août.

Alors me voilà, à me geler les miches en plein centre de Londres pour une durée que je ne saurais déterminer. En septembre, nous emménagerons ensemble, car nous allons suivre nos cours à l’université.

Je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que je voudrais faire plus tard, mais j’ai repéré un petit cursus dans le marketing et la communication qui m’intéresse. Alors pourquoi pas ? Et puis, ça me permettra d’apprendre à parler anglais. De nos jours, c’est un gros plus sur le CV quand on veut intégrer une bonne entreprise en France.

— Maëlla ?

Une voix féminine m’appelle. Je relève les yeux vers la fine silhouette qui vient de se poster juste devant moi et esquisse un frêle sourire avant de me mettre debout.

— Yes.

Ses yeux, d’un marron intense, sont surlignés d’un trait d’eye-liner noir, ce qui ajoute une certaine puissance à son regard. Sa jupe patineuse orangée lui arrive sous les genoux et elle porte une veste en cuir bien cintrée au niveau de la taille.

Derrière elle, un jeune homme, qui doit avoir à peu près son âge, croise les bras sur son torse bombé. Il a sur le visage les mêmes taches de rousseur qu’elle, mais lui, contrairement à mon amie, a plutôt l’air de bouder.

Valentina me prend dans ses bras et m’arrache un gémissement. Je m’écarte doucement et remonte une manche de mon t-shirt pour lui montrer pourquoi.

— Oh my god1 ! s’écrie-t-elle. What happened2 ?

Je comprends qu’elle me demande ce qu’il s’est passé et lui réponds que c’est une longue histoire que je préfère lui raconter plus tard, lorsque nous serons rentrées.

Elle fait signe au garçon de prendre ma valise.

— It’s my brother3… heu, sorry4, pardon… Lui, se reprend-elle en montrant le garçon du doigt, lui c’est Sean, mon frère.

Il remonte ses lunettes sur le haut de son nez, me toise de haut en bas, toujours sans un mot, sans la moindre expression sur son visage et récupère mon bagage.

— Qu’est-ce qu’il a ?

— Oh rien… je l’ai un peu, comment on dit en français ? Ah oui ! Je l’ai un peu o-bli-gé à m’accompagner.

Elle appuie sur chaque syllabe du mot « obligé ». Je vois bien qu’elle fournit un gros effort pour communiquer avec moi et j’en suis plus que ravie.

Quelques heures plus tard, me voilà installée dans la chambre d’amis du manoir parental. Une somptueuse demeure ancienne aux escaliers gigantesques où de grands tableaux représentant certainement leurs ancêtres sont accrochés aux murs.

J’ouvre ma valise et en sors les quelques vêtements, que j’y avais entassés à la va-vite, pour les déposer dans la grande armoire murale. Je n’aurais besoin que d’une demi-étagère pour le moment, mais je me dis qu’avec mon premier salaire je pourrais agrandir un peu cette garde-robe.

Quand je reviens à ma valise, juste sous mon journal intime, je mets la main sur une petite boîte en carton avec une enveloppe scotchée dessus que je m’empresse d’ouvrir.

 

« Ma puce

Un petit cadeau pour que tu penses à moi tous les matins.

Prends soin de toi.

Je t’aime.

Maman »

 

Sur la boîte, il y a un autocollant à l’effigie de « Madame Monsieur », cette vieille série de livres pour enfants que j’aimais tant.

De l’intérieur, j’en sors un gros mug où le personnage de Madame Bonheur m’observe tout sourire.

Mon cœur se serre à nouveau. J’ai le sentiment de l’avoir abandonnée. Ai-je fait le bon choix ?

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Plus de vingt-trois ans plus tard

 

 

La tête encore plongée dans mes rêves, j’observe mon mug « Madame Bonheur » comme s’il allait se remplir tout seul.

Un courant d’air frais frôle mes jambes nues et provoque des milliers de petits frissons qui remontent allégrement jusque dans ma nuque.

— Tout va bien chérie ?

La voix rauque de mon mari me fait sursauter et je lâche ma tasse préférée qui finit par exploser sur le carrelage de la cuisine.

Je me retourne et le toise de haut en bas. Les multiples taches de rousseur qui parsèment son corps lui donnent un charme irrésistible.

Je laisse échapper un petit rire discret pour me moquer de la scène qui vient de se dérouler. C’est tout moi ça, distraite et maladroite.

Sean, tout en évitant les morceaux de porcelaine, met moins de cinq secondes pour me rejoindre. Sa bouche se colle tendrement à la mienne pendant que ses bras musclés entourent mes épaules. Tout son être m’enivre. Son odeur du matin, ma préférée, titille mes narines et me couvre de bien-être.

— On n’est pas bien réveillé ce matin, Madame Waincroft ?

Son accent anglais me fait chavirer, et ses magnifiques yeux me déshabillent déjà à travers ses lunettes pleines de traces de doigts. Je les lui enlève et les pose sur le plan de travail en céramique avant de lui rendre son baiser. Plus langoureux cette fois-ci, plus sensuel.

Dehors, le soleil est déjà levé, mais il ne brille pas encore, de légers nuages encore roses et violets traînent ici et là dans l’océan du ciel encore un peu sombre au-dessus de la maison.

Mon mari me soulève et m’assoit juste à côté de la machine à café. La température de la pièce vient de prendre vingt degrés.

Ses mains passent sous mon débardeur et s’accrochent dans mon dos, je sens la tension monter d’un cran et enroule mes jambes autour de lui.

— Beurk ! Dégueu !

Mon fils de douze ans entre dans la cuisine avec une moue dégoûtée et, sans se rendre compte des éclats de tasse qui jonchent le sol, plonge dans les placards pour préparer la table du petit déjeuner.

Au même moment, Sean s’écarte de moi discrètement en mettant ses mains devant son boxer. Il m’envoie un clin d’œil, récupère ses lunettes et disparaît aussi vite que son ombre dans les escaliers.

Toute pantelante, je descends du plan de travail et ramasse les morceaux de Madame Bonheur avant de préparer le repas le plus important de la journée.

— Je l’aimais bien celle-là, me dis-je à moi-même.

— Quoi ?

Comprenant que Tinoé m’a entendue, je répète :

—  J’aimais bien cette tasse.

Ses petits yeux, d’un marron très foncé, me transpercent le cœur tout à coup.

— Tu as cassé Madame Bonheur ?

— Mmmm…

Je n’arrive même pas à répondre avec des mots clairs, je n’ai pas l’habitude d’être matérialiste, mais je tenais vraiment à ce mug.

Une boule gonfle dans ma gorge et m’empêche de déglutir. C’était un cadeau de ma mère. Ça peut paraître idiot comme ça, mais cet objet m’aidait vraiment à attaquer la journée du bon pied.

— Hello la compagnie !

Sayaline, suivie de près par Luffy et visiblement de bonne humeur ce matin, s’installe devant son assiette à son tour.

Le petit chien se place exactement au même endroit que tous les jours, sous la chaise de sa maîtresse.

Les œufs et le bacon cuits, je dispose les plats au centre de l’îlot central, qui fait office de table à manger, pour que chacun puisse se servir à sa guise. Puis je sors le jus d’orange que mon mari a pressée hier soir et sers les enfants avant de grimper sur la chaise haute pour me mettre face à mon assiette.

— Merci m’man, lâche ma grande avec un sourire jusqu’aux oreilles.

Je suis certaine qu’elle a quelque chose derrière la tête, ce n’est pas dans ses habitudes d’être joyeuse et sympathique au réveil. Et comme je la connais par cœur, j’attends patiemment qu’elle place le sujet qui l’intéresse au détour d’une conversation. Qu’est-ce que ce sera cette fois ? Une rallonge d’argent de poche ? Un nouvel ordinateur portable ou un nouveau téléphone peut-être ?

Une odeur de musc et d’après-rasage émane des escaliers et précède Sean. J’inspire la fragrance et mon corps y réagit instantanément. Mon cœur accélère sa cadence et je sens mon pouls cogner plus fort dans mes poignets.

— Hello kids5, dit Sean en entrant dans la cuisine.

Comme tous les matins, il passe derrière Saya, l’embrasse sur une joue, recule et embrasse l’autre joue sans qu’elle se retourne. Et comme chaque matin, j’éclate de rire pendant qu’il recommence l’action avec Tinoé. C’est leur truc à eux pour se dire bonjour, et tous les jours je me dis que j’ai de la chance de les avoir dans ma vie ces trois-là.

À mon grand étonnement, Sean prend place avec nous et se sert une grosse assiette en plus de son café habituel. Sayaline me lance un regard surpris derrière ses petites lunettes. Le voir agir ainsi c’est un peu comme si les poules avaient enfin des dents ! Je hausse un sourcil, méfiante, mais le petit déjeuner se déroule à merveille et j’arrive à me détendre un peu.

— Tiens, pendant que je vous ai tous les deux en même temps et dans la même pièce, commence Saya en levant son index.

Un sourire discret se dessine au coin des lèvres de mon mari pendant que ses yeux me transpercent d’ondes bienveillantes.

Bah voilà, je savais bien qu’elle voulait nous parler d’un truc !

Je réponds :

— On t’écoute.

Ma jeune fille se frotte les mains et joue du regard avec son père.

— Ma classe organise un bal de charité dans quelques semaines, les bénéfices seront reversés aux familles des élèves en difficulté pour les aider à payer la cantine et les fournitures scolaires qui leur manquent en milieu d’année.

— C’est génial ça, approuve Sean.

Encouragée, elle continue :

— Oui, dans ma classe on a deux élèves qui ne peuvent pas manger à leur faim. Ils apportent leur sandwich, mais c’est toujours pareil et parfois fait avec du pain rassis. Même l’hiver ! C’est trop horrible !

— Ces élèves sont de la même famille ? demande Sean comme si ça avait une importance cruciale.

Notre fille croque dans son bacon à pleines dents et avale une gorgée de son jus.

C’est vrai que nous ne nous posons jamais la question, car, comme nous ne manquons de rien, nos besoins primaires étant assouvis, nous ne nous rendons pas forcément compte que ce n’est pas le cas pour tout le monde.

— Ouais, heu… oui, pardon, se reprend-elle, ce sont des frère et sœur.

— Et comment allez-vous procéder pour gagner cet argent ?

Je prends ma tasse de café bouillant entre les mains. La conversation devient très intéressante.

Cette action menée par des jeunes pour deux de leurs camarades est très louable et est, à mon avis, une très bonne façon d’apprendre à nos enfants que la vie n’est pas facile pour tous.

— Nous ferons payer l’entrée un euro symbolique par personne, les consommations au bar seront payantes et les bénéfices du repas seront reversés en totalité aux familles.

Elle donne un petit morceau de bacon à son chien qui jappe d’impatience depuis quelques minutes.

— J’aime cette solidarité entre vous, dis-je. C’est une très bonne chose.

Mon mari pose sa main sur ma cuisse en signe d’accord.

— Et pourquoi pas proposer un appel aux dons ? Je ne sais pas, peut-être faire une pancarte super grande avec une tirelire géante en dessous ?

Sayaline avale la dernière bouchée de son petit déjeuner et nous offre un sourire radieux. Elle repousse ses petites lunettes noires en forme de rectangles sur le haut de son nez, range l’une de ses mèches blondes derrière son oreille droite et se lève de sa chaise pour sortir de la pièce.

Puis, comme si elle venait d’avoir une illumination, elle revient sur ses pas et embrasse son père sur la joue de manière exagérée.

— Papa, tu es un génie !

Mon regard se pose sur Tinoé.

— Tout va bien mon grand ?

Il me regarde d’un air penaud et baisse à nouveau les yeux sur son bol de céréales.

Mon mari regarde sa montre, prend un air de chef d’entreprise et m’embrasse avant de se lever de table.

— C’est pas que, mais je dois aller ouvrir les portes à mes employés, dit-il sur un ton nonchalant.

Un sourire involontaire se colle sur mes lèvres et je secoue la tête.

— Vantard…

— Un jour, toi aussi tu auras ta propre entreprise mon amour.

Je grogne, il aime me narguer et je déteste ça !

Alors qu’il s’éloigne, je reporte mon attention sur mon cadet.

— Tino ? Quelque chose ne va pas ?

Je connais cette expression sur son visage, ça n’annonce rien de bon.

Son nez se retrousse, ses sourcils se froncent, mais pas un mot ne sort de sa bouche.

— Tino ?

— Mmm… laisse-moi tranquille s’il te plaît.

J’ai la sensation qu’il veut me parler de ce qui le tracasse, mais qu’il a honte de quelque chose. A-t-il fait une bêtise au collège ? Le son de sa voix est plaintif, presque inaudible. Je vois bien qu’il y a un problème et je ne compte pas le lâcher avant qu’il crache le morceau.

Soudain, une idée me traverse l’esprit. Mon fils ne lève même pas la tête quand je manque de faire tomber la chaise en me redressant.

Je fonce dans les escaliers et monte jusqu’au grenier. Un sentiment de crainte me parcourt, mais je décide d’ignorer cette fichue trouille que je traîne depuis que j’ai vu la scène avec les enfants dans le film Sinister.

Par réflexe, je secoue la tête pour chasser les images de ma tête et grimpe les dernières marches qui me séparent de mon objectif.

La pièce baigne dans la pénombre, mais je sais exactement où je vais. Encore quelques pas vers le fond, à droite, juste au-dessus de la bibliothèque où Saya range ses vieux livres.

Je sens la poussière s’infiltrer dans mes sinus quand je soulève la boîte en plastique qui contient ce que je cherche. Je l’ouvre, bingo ! Je tousse, replace la boîte en haut du meuble branlant et redescends aussi vite que je suis montée.

De nouveau dans la cuisine, j’observe mon fils encore attablé. Il est de dos et ne voit pas ce que j’ai dans les mains. Je m’approche doucement comme s’il n’avait pas entendu le vacarme dans les escaliers. Le cœur palpitant à fond, j’espère vraiment que ça va marcher.

Toujours derrière lui, j’avance lentement l’objet de mon comportement impulsif dans sa direction et j’emprunte une voix masculine et drôle comme on peut l’entendre dans les dessins animés de Walt Disney.

— Bonjour jeune Tinoé… on ne se sent pas d’humeur joyeuse aujourd’hui ?

Un sourire timide naît sur son petit visage d’ange. Puis, quelques secondes passent et ses lèvres s’ouvrent largement pour découvrir ses belles dents blanches.

— Nelby !

Tino attrape son vieux lapin doudou défraîchi et le serre fort contre lui. Ses petits yeux se remplissent de larmes que je vois réprimées. Il sait faire ça lui ? Ravaler sa souffrance ? À son âge ? Il garde son visage impassible pendant que mon cœur de maman se brise contre ma poitrine.

J’avais raison. Il se passe bien quelque chose. Mon fils en souffre et ne me fait pas assez confiance pour m’en parler. Je pensais que lui donner son ancienne peluche fétiche lui ferait du bien et l’aiderait à se confier, mais ce n’est pas le cas. Et si je lui laissais le temps de venir à moi ? Et si sa détresse avait au contraire besoin d’être soulagée maintenant ?

Mon impuissance me pousse à prendre mon fils dans mes bras. Le menton posé sur sa tête, je serre un peu plus fort son petit corps contre le mien.

— Tu sais que tu peux tout me dire mon fils…

Il secoue la tête de manière affirmative.

— Même si ce n’est pas aujourd’hui, même si ce n’est pas quelque chose de grave… quoiqu’il puisse se passer dans ta vie c’est important pour ton père et moi.

Ses yeux brillants me fixent tout à coup.

— Je sais maman, mais t’inquiète pas, je gère.

Je me pince les lèvres pour ne pas ajouter quelque chose qui le mettrait mal à l’aise.

— OK mon cœur, je te fais confiance. Et si tu as un problème, tu n’hésites pas à venir m’en parler. D’accord ?

Je lui tends mon poing pour qu’il checke avec moi. Je vois une pointe de moquerie dans son regard, mais il s’exécute avec enthousiasme.

Quand il a cogné son poing contre le mien, il me montre sa main, que je m’empresse de claquer à mon tour et là… dans la même nanoseconde, on éclate de rire en sortant nos index et majeurs pour imiter le lapin.

— Ah bah voilà ! Enfin un beau sourire sur ce visage d’ange !

Je fais quelques pas pour monter me préparer à l’étage. Seulement, je me rappelle que Tinoé a son bus dans quelques minutes et je me retourne dans un mouvement vif.

— Bonne journée !

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

 

J’adore le vendredi d’ordinaire. Quels que soient le temps ou la saison, toutes mes fins de semaine sont rythmées de la même façon : petit déjeuner en famille, matinée de préparation des réunions et présentations de l’après-midi et de celles du début de la semaine si on a le temps, puis déjeuner en amoureux à l’Imprévu, présentations devant les clients, récupération des enfants et dîner avec les amis.

Mais aujourd’hui n’est vraiment pas le bon jour. J’enchaîne les galères au travail et Sean a annulé notre déjeuner. Je suis fatiguée, déçue et overbookée !

De l’autre côté de la vitre qui sert de mur à mon bureau, je vois mes collègues plaisanter dans l’open-space. Le rire cristallin de mon assistante me tape sur le système. Elle n’a pas de travail à faire, celle-là ? Mais je réalise avec honte que j’ai tellement l’habitude de tout vouloir contrôler que je ne délègue que le strict minimum.

Les autres cadres de la boîte la font plus bosser que moi c’est certain. Ce n’est pas qu’elle n’a pas les compétences, loin de là, je pense juste que c’est moi qui ai du mal à gérer mes dossiers si je n’ai pas totalement la main dessus. Voilà que je regrette déjà mes mauvaises pensées envers elle, il me faut vraiment une pause sinon je vais me mettre à maudire toutes les personnes qui travaillent ici.

Les mains moites, je repose la pile de feuilles désordonnées sur mon bureau. L’horloge murale indique seulement dix heures du matin et mon impatience me titille déjà. La journée va être longue.

Tous les yeux se tournent vers moi quand je sors de mon antre. Ils doivent certainement se demander pourquoi, car ce n’est pas dans mes habitudes. Mais là, il me faut une dose de caféine bien corsée parce que les clients que j’ai en ce moment me donnent vraiment du fil à retordre.

— Bonjour Maëlla !

La voix enjôleuse et suave de notre directeur de la clientèle me sort de ma rêverie.

Il insiste :

— Comment vas-tu ce matin ?

Étant donné ma mauvaise humeur actuelle, j’hésite à lui répondre un truc bien cinglant. Seulement, je me fais violence parce que je suis au travail.

L’air entre dans mes poumons avec plus de ferveur pour me donner la patience et renforcer le masque de Wonder Woman que je me force à porter ici.

— Te dire que tout va bien serait un mensonge… le dossier Jellos est en train de me rendre chèvre.

— Un café ? Allez viens, je vais te donner un coup de main si tu veux.

Je me renfrogne un peu et accepte son aide malgré moi. C’est difficile d’admettre que j’ai besoin qu’on vienne à ma rescousse, mais je vais faire une exception. Après tout, aujourd’hui je suis noyée et sa vision du projet pourrait grandement faciliter mon job.

Sans un mot, il me devance dans la salle de repos et fait couler les deux cafés. Je détourne le regard quand je me rends compte que je suis en train de le reluquer de haut en bas.

Son pantalon à pinces kaki est ajusté au niveau des fesses et sa chemise couleur crème lui tombe sur les reins de façon hyper sexy. La forme des muscles de son dos parfaitement dessinés atteste des nombreuses heures qu’il passe à la salle de sport et donnerait envie à n’importe quelle femme normalement constituée. Je me mords la lèvre inférieure tout en baissant la tête vers mes escarpins.

— Un sucre c’est ça ?

J’acquiesce et retourne dans mon bureau avec Raphaël sur les talons.

Il s’installe dans le petit canapé de cuir blanc et pose les tasses sur la table basse.

— Bon, qu’est-ce qui te bloque ?

Je récupère les feuilles et tente de les remettre dans l’ordre maladroitement. Quelques-unes finissent par s’échapper et volent doucement jusqu’au sol en stratifié gris mat qui recouvre tout l’étage.

Jellos est une entreprise plutôt jeune, son concept un peu particulier et mal connu en France. Il y a bien des alter ego en Amérique, mais le public français, un peu vieux jeu et réfractaire au changement, rend le lancement des produits un peu compliqué.

La startup propose des gelées aux fruits, un peu sucrées et alcoolisées. Chaque recette est élaborée par un Chef de cuisine moléculaire qui travaille exclusivement pour eux. J’ai pu en déguster certains et j’ai été franchement emballée. C’est frais, le goût est délicieux et ça fond dans la bouche. Il y a de nombreux parfums, mais celui que j’ai préféré c’était celui au Génépi qui m’a rappelé mon coup de cœur pour les montagnes.

J’ai tout de suite accepté le contrat, mais je ne me suis pas rendu compte tout de suite de la complexité de leur demande. Ils aimeraient casser les codes. Leurs mots à eux étaient : « rassembler », « complicité », « amour ou amitié », « soirée arrosée ».

J’avais bien fait des esquisses, laissé planer mon inspiration, mais les seules choses tangibles que j’avais en tête ne collait pas avec tous leurs mots.

— Je voudrais proposer une campagne de pub qui s’adresse aux jeunes, mais qui pourrait également convenir aux personnes de mon âge.

Il boit son café avec un bruit que je déteste. J’ai horreur des sons de déglutition, et c’est encore pire quand la personne mange à côté de moi.

— Mais tu sais que tu ne peux cibler les deux en même temps parce ce n’est pas le même public…

— Et donc pas les mêmes attentes des moments de fête.

J’attrape la tasse qui m’est destinée et avale une gorgée qui me brûle le palais et l’œsophage en même temps.

L’expression de son visage est difficile à décoder, il réfléchit, hausse un sourcil tout en se grattant l’arête du nez. Puis, après quelques instants, une petite lueur marque ses traits.

—  Si tu veux combiner les deux publics, tu peux t’appuyer sur une vision familiale où on verrait les deux générations ?

— Mais Jellos ne veut pas de cette image de famille, ils veulent garder une image fashion.

— En quoi le fashion ne pourrait pas rimer avec famille ? Trop « Hasbeen » ?

Il marque bien les guillemets avec ses doigts et adopte une moue moqueuse.

— Dans la création de projets, tu es illimitée niveau imagination. Tu veux un œil nouveau sur ton produit ? Tu peux peut-être faire un plan avec des amis quarantenaires qui se retrouvent lors d’un repas, puis les jeunes qui les rejoignent en fin de soirée et qui avalent les derniers Jellos des parents qui se trouvent sur la table.

Je marque un temps de réflexion. L’idée ne me déplaît pas, mais il manque quelque chose pour passer de la pub lambda au « waouh » qu’attend le client.

— J’aime bien, j’avoue…

Raph se redresse, je peux voir la marque de sa main sur la table basse. Pourquoi a-t-il les mains moites ?

— Tu aimes, mais tu penses que ce n’est pas assez ?

—  C’est ça, oui.

Il se mord l’intérieur de la joue et ça le rend encore plus désirable.

Bon Dieu, mais qu’est-ce qu’il me prend ? Les deux boutons du haut de sa chemise sont ouverts et laissent entrevoir quelques poils très clairs ici et là.

—  Alors il faut creuser, reprend-il.

— De la musique… une chanson particulière qui lierait les deux générations par exemple.

— C’est ça !

Je pense aux reprises de Jean Jacques Goldman d’il y a plusieurs années. Comment s’appelait le groupe déjà ? Ah oui ! Génération Goldman. « Envole-moi » ? Non, pas celle-là. Je l’aime beaucoup, mais il faut quelque chose qui rallierait plus les différents âges.

— Oula, ça y est, tu tiens un truc je le sens !

Mes yeux doivent parler pour moi.

— Merci Raph, tu m’as mise sur la bonne voie.

Il se lève, prend son mug en forme de grosse tête de Lego et me claque l’épaule avec douceur.

— Travail d’équipe Madame Waincroft.

Je retourne prendre place sur mon fauteuil, ouvre mon ordinateur portable et lance mon logiciel de création.

— Maé ?

— Mmm ?

Vu l’effet qu’il a sur moi en ce moment, je ne préfère pas croiser son regard.

— N’hésite pas si besoin.

Je n’entends même pas sa phrase. Mon esprit est déjà en train de réfléchir aux chansons et aux différents décors que je vais mettre en place pour la campagne.

 

 

Lorsque je rentre à la maison, je suis complètement épuisée. Mon estomac me ronge depuis des heures parce que je n’ai pas pris le temps de manger, j’ai les pieds en compote et les enfants n’ont pas arrêté de se disputer sur le trajet du retour.

Malgré cette journée fatigante, je suis contente du travail que j’ai effectué et je trépigne d’impatience à l’idée de recevoir mes meilleurs amis ce soir.

Dans la salle de bains, je regarde l’image que me renvoie le miroir et je n’apprécie pas vraiment ce que je vois. Les épaules tombantes, une frange défraîchie qui n’a plus aucune classe, une couleur de cheveux, naturelle, mais trop fade que j’ai toujours détesté et des seins qui ne sont plus de toute première jeunesse.

Tout en massant mes pieds endoloris et pleins d’ampoules qui cicatrisent, je m’accorde un instant de silence.

Je me suis peut-être oubliée en chemin depuis toutes ces années ?

— Mamaaaaaaaaannnnnnnnnnnnnnnnnnnn !

Il n’y a pas moyen d’être tranquille cinq minutes dans cette maison.

— Oui mon chat ?

Un bruit de pas sourd fonce dans ma direction.

— Tu sais où est le câble pour recharger les manettes de la console ?

Ah oui, le câble que j’ai subtilisé en douce mercredi dernier pour qu’il arrête de jouer à ces jeux vidéo trop violents pour lui.

— Oui Tino, je sais très bien où se trouve ce câble.

Il attend la fin de ma réponse dans l’espoir d’avoir une bonne nouvelle. Mais je ne lui donnerai pas ce plaisir à moins d’obtenir un accord avec lui.

Je reprends :

— Mais je ne te le donnerai pas ce soir.

Il croise les bras devant son torse en mode défensif.

— Mamaannnn !

Il peut essayer ses yeux de tueur : ça ne marche pas.

— Tu ne l’auras pas aujourd’hui, mais je peux te le rendre demain si tu veux profiter de ta console ce week-end. Je t’ai déjà dit que je ne veux pas que tu y passes tout ton temps libre. Alors à partir de maintenant, c’est uniquement le week-end et compteur limité à une heure par jour.

Sa petite moue trop mignonne me touche profondément.

— Bon, d’accord…

Et il tourne les talons pour repartir dans sa chambre. Je déteste faire preuve d’autorité, mais c’est le seul moyen pour le faire grandir et devenir un homme convenable. Il est important de poser des limites pour qu’il puisse se construire dans un environnement stable, mais j’ai horreur de le voir déçu comme ça.

Après m’être préparée, je m’occupe du repas. Les amis doivent arriver d’un instant à l’autre et toute ma cuisine est dans un état lamentable. Sean n’est pas encore rentré et je peux entendre la musique rock de Saya résonner à l’étage. Je suppose qu’elle est déjà en train de confectionner la pancarte et les invitations pour le bal de charité. Elle adore ça, ma fille, organiser, planifier… tout comme sa mère d’ailleurs.

Je n’arrête pas de penser à Raph et à ce que j’ai ressenti tout à l’heure. Je me pose énormément de questions sur ma vie de couple et sur ma capacité à plaire à la gent masculine. Suis-je aussi jolie qu’il y a vingt ans ? Mon corps plaît-il encore aux hommes après toutes ces années d’oubli ? Et si Sean se lassait de moi ? Peut-être devrais-je faire quelque chose de nouveau ? Me couper les cheveux ? Changer de maquillage ? Et Sean ? L’alchimie est-elle toujours aussi vive que ce que je crois ? J’écarte doucement ces idioties de mon esprit avant de commencer mes préparations culinaires.

Mon téléphone indique déjà dix-neuf heures trente. Alors, je m’attelle à la tâche plus ardemment. Le poulet est dans le four avec les pommes de terre. Les haricots verts sont en train de cuire tranquillement avec la marinade et je m’occupe de tout nettoyer quand la sonnette de l’entrée retentit dans toute la maison.

Mince ! Je n’ai pas encore mis la table, ni préparé les apéritifs !

Le carillon sonne une seconde fois, puis une troisième avec insistance. Je me doute bien de qui est arrivé en premier !

— Olaaaaaaa !

Laëtizia entre en trombe en me collant un sac en papier plein de cochonneries dans les mains.

— Ça tombe bien ! Je crois que j’ai oublié d’en acheter tout à l’heure, dis-je en l’embrassant très fort sur ses deux joues.

Elle me regarde comme si c’était une évidence.

— Tu oublies toujours les gâteaux apéro ma caille !

Pas faux…

— Va t’installer, il me reste encore deux, trois, trucs à faire avant que tout le monde soit là.

Elle m’observe une seconde et plante son regard presque noir dans le mien.

— À quel moment tu as cru que j’allais te laisser seule dans ta cuisine ?

Elle éclate de rire et prend la direction de la pièce maîtresse. Mon amie est très élégante ce soir, elle l’est toujours d’ailleurs, mais je ne peux m’empêcher d’avoir un petit pincement d’envie en la voyant.

Son caraco en soie rose poudré a l’air d’avoir été taillé sur mesure pour ses jolies formes et le pantacourt de marque très connue qu’elle porte lui va à ravir. Marron brillant, il s’accorde à la perfection avec ses talons aiguilles fermés de la même couleur.

On ne voit que le bas de la cicatrice géante qui lui mange toute la jambe gauche ; mon amie a trop longtemps complexé sur cette trace d’un passé qu’elle aurait préféré oublier, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas et elle l’arbore plus comme un accessoire de mode que comme un défaut qu’il faut cacher.

— Le poulet va cramer, constate-t-elle d’un air moqueur.

Sans réfléchir, je me précipite vers le four, l’ouvre et attrape le plat d’un geste vif.

La douleur quasi instantanée qui arrive à mon cerveau me fait comprendre que je n’ai pas mis les gants de protection.

Je repose le poulet dans la seconde qui suit et me brûle les deux avant-bras contre les parois du four à cause du sursaut de surprise.

— Oh non !

Ma première réaction est de crier des insultes contre ce fichu plat. La souffrance, immédiate, s’infiltre jusqu’en haut de mes bras. Mes doigts ont presque collé sur le verre. J’ai un mal de chien !

Tizy n’a pas attendu que je reprenne mes esprits et m’attire tout de suite vers l’évier avant de placer mes mains sous l’eau froide.

— Tu t’es pas loupée…

Le bout de mes pouces, index et majeur sont blancs et je vois déjà les cloques se former.

— Aïe !

À cet instant, malgré l’horrible brûlure qui me lance puissance mille dans mes doigts jusque dans ma colonne vertébrale, je pense à mon poulet et à mes invités.

— Tizy ? Tu peux éteindre le four et sortir cette sale bête de là, s’il te plaît ?

Elle acquiesce d’un air compatissant et s’exécute tout de suite. Une fois que le repas a été mis à l’abri et recouvert, mon amie revient vers moi. Son regard inquiet en dit long.

— Bon, toi tu restes ici, m’ordonne-t-elle. Tu as toujours des bandages et de la crème dans ta pharmacie ?

Je hoche la tête de haut en bas , mais me mords l’intérieur de la joue pour ne pas crier à quel point j’ai mal.

— Non, mais quelle cruche je fais !

Non seulement je m’en veux à moi-même, mais en plus de ça je réalise à quel point les prochains jours vont être compliqués avec au moins six doigts non fonctionnels. Entre les tâches ménagères, les repas et les activités du week-end… l’accrobranche de dimanche. Oh non ! L’accrobranche ! Manquait plus que ça ! Les enfants vont être super déçus si j’annule à la dernière minute. La douleur me lance en me faisant hoqueter. Bon sang !

La sonnette retentit à nouveau. L’eau glacée coule sur mes mains et je n’ai vraiment pas envie de couper le contact avec la sensation fraîche que me procure le liquide.

Après quelques secondes, je ferme tout de même le robinet et prends le chiffon qui traînait juste à côté pour m’essuyer.

— Entrez, crié-je.

J’entends la porte d’entrée s’ouvrir bruyamment. Suzana et Eddy entrent, suivis de près par leurs quatre enfants et mon mari.

Suzana m’embrasse et me tend un magnifique bouquet de lilas roses et blancs. Mes fleurs préférées !

Je hume le parfum en fermant les yeux un très court instant. Ses enfants, Kylian, Samuel et Noé, me saluent aimablement et Eddy, son mari, me colle deux grosses bises sur les joues pendant qu’Anaëlle, leur fille de deux ans qui est dans les bras de son papa, en profite pour attraper une mèche de mes cheveux et la mettre entre ses dents.

Au moment où mon ami recule, je sens la mèche tirer et éclate de rire en appuyant doucement sur la bouche du bébé pour me libérer.

— Quelle coquine !

Suzana récupère la petite et m’offre un large sourire d’excuses. Pendant que la petite troupe se dirige vers la table sous notre véranda, Sean me prend dans ses bras.

Une salve de douleur me traverse encore une fois lorsque mes mains attrapent sa veste de costume pour l’attirer un peu plus contre moi. Je serre les dents.

— Désolé du retard, j’ai été retenu au bureau.

Je m’inquiète.

— Tout va bien ?

Il passe sa main sur son front, la petite ride horizontale est plus prononcée que d’habitude et la veine sur sa tempe gauche est gonflée. Je devine que tout ne se déroule pas comme il veut, il est stressé.

— Ça va, on a eu quelques galères aujourd’hui. L’un de nos plus gros clients nous a claqués entre les doigts et on va devoir pallier son absence.

Il m’embrasse sur le front, une goutte de sueur coule le long de sa nuque, juste derrière son oreille droite.

— Je monte prendre une douche et j’arrive.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

Assise en tailleur sur le tapis de ma chambre, je profite de la matinée pour faire un peu de rangement dans les affaires. Le linge propre et repassé a traîné toute la semaine dans la buanderie et je me retrouve à trier les chaussettes de toute la famille à même le sol.

Sean est parti travailler super tôt, annulant notre week-end accrobranche avec les enfants à cause de ses problèmes au boulot. Ce qui, en soi, m’arrange beaucoup, car mes mains ne m’auraient pas permis de passer un bon moment. Les cloques sont bien visibles et me font super mal. Aurais-je dû me rendre à l’hôpital pour contrôler ces blessures ? Promis, demain je vais chez le médecin… c’est peut-être plus grave qu’il n’y paraît.

Sayaline, très déçue que notre sortie soit reportée, est partie avec Suzana hier soir pour dormir chez eux. Comme Kylian et elle sont amis depuis toujours, il lui a proposé de se joindre à lui et ses amis pour leur randonnée à la Sainte Victoire de ce matin.

Je prends une grosse inspiration en repensant à ce que nous a révélé Suzana hier soir. Mes mains tremblent, je suis encore sous le choc de son secret.

Après le repas, les filles m’ont aidée à débarrasser la table pendant que les hommes et les enfants entamaient une partie de poker. Tizy nous racontait encore ses désastreuses aventures via les sites de rencontres et tout à coup, notre amie a fondu en larmes.

Étonnées, nous avons laissé tomber ce que nous faisions et nous sommes précipitées à ses côtés.

— Que se passe-t-il Nana, ai-je demandé.

Elle tremblait comme une feuille, le visage rougi et les larmes coulaient à flots.

Tizy a posé sa main sur son épaule pour la rassurer.

— Tu sais que tu peux tout nous dire.

Elle a hoqueté puis s’est confiée entre deux sanglots.

—  Non, c’est trop dur.

Je me suis mise à genoux devant elle et j’ai pris ses mains dans les miennes.

—  Nana, si tu as un problème et que c’est dur à porter au point de te mettre dans cet état-là, il faut que tu en parles. Ça va te ronger sinon…

—  C’est trop tard, c’est trop tard, c’est trop trop trop tard.

Son corps s’est mis à trembler. Ses cheveux longs, naturellement blonds, étaient trempés par endroits. Ses yeux, d’un magnifique bleu azur, étaient injectés de sang et ses joues toutes rondes encore plus gonflées.

—  De quoi tu parles ma chérie ?

Elle reniflait, respirait difficilement, tentait de se ressaisir, mais sans succès. Les pleurs ont redoublé de plus belle. Tizy et moi l’avons prise dans nos bras pour l’aider à se calmer. Quelque chose de grave était arrivé. Quelque chose de tellement grave qu’elle n’osait même pas en parler à ses meilleures amies.

À part nous montrer présentes pour elle, nous ne pouvions rien faire d’autre. Alors, je lui ai pris la main et l’ai aidée à se relever.

— Viens, on va prendre l’air.

J’ai lancé un regard à Tizy pour lui demander silencieusement de prévenir les autres que nous sortions.

Peut-être que l’éloigner de la maison et de tout le monde lui ferait du bien et l’aiderait à se confier plus facilement. Elle ne devait pas garder ça sur le cœur plus longtemps.

Nous avons donc marché jusqu’au petit parc qui se trouve à l’autre bout du lotissement. Enfin seules, Suzana s’est assise entre nous deux, l’air plus calme. Je voyais bien qu’elle luttait contre elle-même et qu’elle tentait de refouler ses nombreux hoquets. Elle essayait de reprendre le contrôle, mais la lutte était rude.

—  Ça va mieux ? demanda Tizy en allumant une cigarette.

— Je… j’ai trompé Eddy…

Une bombe… j’ai ressenti comme une déflagration exploser à l’intérieur de moi. L’image de femme parfaite que j’avais de mon amie s’est fissurée pour éclater en mille morceaux.

Tizy et moi n’avons trouvé aucun mot pour la réconforter sur le moment et ses pleurs ont recommencé à la secouer. Heureusement que nos familles se trouvaient à bonne distance pour ne pas entendre ce qui se tramait ici.

— Mais que… pourquoi ?

—  Je ne sais pas les filles, c’est juste… arrivé comme ça.

Je n’ai pu m’empêcher de penser à son mari et à ses enfants.

—  Tu n’aimes plus Eddy ?

Elle a encore reniflé. La voir ainsi, perturbée et honteuse, m’a brisé le cœur. D’autant plus que je la connais depuis si longtemps… je ne l’aurais jamais cru capable de faire ce genre de chose. Elle qui est si loyale et droite dans ses baskets d’ordinaire. Qu’a-t-il bien pu se passer dans sa tête et dans sa vie pour qu’elle mette un coup de couteau si radical à son contrat de mariage ?

— Si, si… bien sûr que je l’aime. De tout mon cœur.

J’ai essayé de la comprendre, mais rien n’y fait.

— Et cet homme avec qui tu as … heu… que ressens-tu pour lui ?

Sa mâchoire s’est crispée violemment.

—  C’est le père d’une des petites que je garde. Il… il…

Tizy lui a tendu sa cigarette avec un sourire compatissant.

— Non ! ai-je crié en lui arrachant des mains. Tu sais bien qu’elle a arrêté cette saleté depuis dix ans !

Je l’ai écrasée sur la pelouse encore mouillée par l’arrosage automatique du soir et ce geste m’a valu une violente poussée de douleur à mes doigts cramés.

— Et si j’en ai besoin ce soir ?

Suzana a avancé sa main vers Tizy pour lui en réclamer une autre.

— Et que vont penser les autres si tu rentres avec l’odeur de cette saleté sur toi ? Tu as vu dans quel état tu es ? Tu crois que ton mari ne va pas se poser de questions si tu reviens là-bas bouffie par les larmes avec une haleine qui empeste ?

— Et si ça la soulage ?

Suzana s’est levée brusquement.

— Oh ! Je vous rappelle que je suis là ! Et aucune de vous n’a le droit de parler en mon nom, cria-t-elle.

Nous nous sommes regardées quelques secondes sans un mot et plutôt confuses. Elle n’avait pas tort. Qui sommes-nous pour parler d’elle de cette façon en sa présence ? Elle seule doit faire ses propres choix.

— Oui j’ai fait n’importe quoi, oui je m’en veux terriblement. Et oui, j’ai envie de cette fichue clope !

Alors, elle a pris le paquet que Tizy avait fini par poser à côté d’elle et s’en est allumé une. Seulement, elle n’avait certainement pas calculé que le manque d’habitude allait lui provoquer une quinte de toux phénoménale. Sans réfléchir plus longtemps, elle l’a rendue à Tizy qui se marrait en douce.

— Tu as peut-être raison finalement, a-t-elle dit à mon intention.

Les filles se sont mises à rire plus franchement, mais moi j’en étais incapable. Troublée et choquée par ce que je venais d’entendre, j’ai préféré garder mon calme pour ne pas accabler mon amie plus qu’elle ne l’était déjà.

Lorsqu’elle fut calmée, nous sommes rentrées comme si de rien n’était, comme si la bombe n’avait pas explosé… et personne n’a rien remarqué.

Suzana a merdé, vraiment merdé, mais je suis son amie et je me dois de la soutenir envers et contre tout. Pourtant j’ai du mal. J’ai un peu de mal à comprendre son comportement… Pourquoi ne s’est-elle pas simplement contentée de fantasmer sur cet homme ? Qu’est-ce qui l’a poussé à franchir la limite ?

Je me sens mal à l’aise et je n’arrive pas à calmer ma nervosité. Je connais Eddy depuis presque aussi longtemps que Suzana. C’est aussi mon ami. Et les enfants… bon sang, les enfants… Je suis si troublée que je ne sais pas quoi faire. J’en veux à mon amie d’avoir été aussi irresponsable et ma loyauté envers elle me percute de plein fouet, ce qui rend les choses encore plus difficiles à digérer.

Si elle a mis autant de temps à craquer, à nous en parler, c’est qu’elle doit être consciente de ses actes. Seulement le regret n’efface pas le passé. Comment va-t-elle vivre avec cette trahison ? Comment va-t-elle pouvoir regarder son mari et ses enfants dans les yeux ?

Tout en terminant de ranger le linge dans le dressing de ma chambre, je continue de réfléchir à la situation. Ça me rend dingue, mais je réalise que je n’ai pas d’autre choix que d’être présente pour elle le temps qu’elle se pardonne à elle-même. Le reste de l’histoire, c’est elle qui l’écrira, c’est elle qui devra faire ses propres choix. Finira-t-elle par l’avouer à Eddy ? Seul le temps nous le dira.

 

 

Ce soir, Tino est parti chez Suzana pour jouer avec Noé et Samuel. Mon amie m’a presque supplié de lui confier mon fils. Elle doit avoir envie de s’occuper les mains et, comme je la connais par cœur, je me doute bien qu’elle a dû préparer une demi-douzaine de plats différents pour le dîner.

C’est donc seule, encore une fois, que j’entame la soirée. Sean n’est pas rentré et n’a pas donné de nouvelles de la journée malgré mes nombreux SMS.

Je ne m’inquiète pas outre mesure pour son absence, mais ça m’agace de plus en plus et je ne vais pas réussir à me canaliser très longtemps si ses absences répétées viennent à perdurer.

Les bulles de savon se collent à ma peau, le sel de bain couleur lavande donne une couleur magnifique à la mousse qui me chatouille la poitrine.

En silence, je rumine et me rends folle avec toutes ces questions inutiles qui traînent dans ma tête. Sean doit avoir de bonnes raisons pour ne pas être à la maison à vingt et une heures un samedi soir non ? Alors pourquoi ça me blesse autant ? Parce que tu es sa femme idiote ! Suis-je la seule à trouver ça louche ? Pourquoi remettre en question la confiance que nous avons construite ces dix-neuf dernières années ? Tout simplement parce que ta meilleure amie vient de tromper son mari et que tu crains que le tien soit en train de faire la même chose.

Je frappe l’eau avec force.

— Bon sang, Suzana !

Avec ses bêtises elle a réussi à pervertir l’image de mon propre mariage. Ou alors, peut-être que je ne plais plus autant à Sean qu’au début ? Peut-être qu’il n’a plus envie de passer du temps avec moi comme avant… C’est vrai que les choses ont changé avec le temps, mais je me suis toujours dit que ce sont les aléas de la vie et qu’il fallait justement passer au-dessus des difficultés, affronter les épreuves ensemble et soudés. Et là, je n’ai plus l’impression de former une équipe avec mon mari.

Avec le recul, je constate amèrement que le lien qui nous a unis s’est peut-être bien effiloché.

Il a commencé à me mettre à l’écart depuis que Tizy a quitté son entreprise pour ouvrir son studio photo. Qu’est-ce que je pouvais y faire moi ? Et puis, c’est lui qui avait insisté pour qu’elle se lance à son compte ; alors pourquoi est-ce que je devrais payer la conséquence de son départ ?

Une bulle éclate contre mon doigt de pied. Je me rends compte que l’eau est devenue froide et que je n’ai même pas pris le temps de me laver.

Un coup d’œil sur la petite pendule en quartz rose qui se trouve juste au-dessus du miroir m’indique qu’il est déjà vingt-deux heures trente… et Sean n’est toujours pas là.

Je finis de me laver et sors du bain plus énervée que jamais. Quand il va rentrer, il va m’entendre celui-là !

C’est après avoir englouti mon repas devant la télé que j’entends le cliquetis de la clef tourner dans la serrure. Je me retourne et me lève pour lui faire face quand il aura passé la porte.

— Bonsoir, ma chérie, dit-il dans le vide sur un ton mielleux.

Il se moque de moi là ? Je l’observe accrocher ses clefs dans la boîte à clefs qui se trouve juste à droite de la porte. Sean titube, rate le crochet et finit par poser son trousseau au-dessus de la boîte comme si de rien n’était.

Je crois qu’il n’a pas compris que j’étais là, juste devant lui, et encore moins que j’ai cerné pourquoi il n’a pas donné signe de vie de la journée.

— Tu préfères te saouler avec tes potes plutôt que de passer le week-end avec ta femme, c’est ça ?

Il sursaute, croyant certainement que je n’étais pas dans la même pièce que lui. Puis, il s’approche de moi, tente de me prendre dans ses bras, mais je recule. Il pue l’alcool et la transpiration.

— T’étais ou ? Je t’ai envoyé des dizaines de messages.

Mon ton est froid. J’espère obtenir une réaction de sa part, mais il essaie une nouvelle approche.

— Je sais. Je n’ai pas d’excuses… avoue-t-il. J’ai oublié mon téléphone au boulot et je suis allé chez Jordan et Lily.

— Et tu ne pouvais pas demander à Lily de m’envoyer un message pour me prévenir ? Comment tu crois que je me sens, là ?

Il sourit d’un air mauvais et je n’aime pas du tout le regard qu’il me lance.