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À 19 ans, Gaëdig épouse un marin plus âgé qu’elle, peu affectueux et souvent parti. Seule pendant des mois, elle trouve le bonheur dans les bras de Guillaume et de cette « faute » naît un fils. Gaëdig est alors amenée à se battre contre tous et à mentir afin de ne pas abandonner son enfant, dont le patronyme sera changé pour celui de sa mère.
Gaëdig ou l’héritage du nom est le témoignage émouvant d'Armelle Renaux-Lefebvre, un hommage rendu à sa famille maternelle.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Armelle Renaux-Lefebvre voue une véritable passion à l’histoire et à la généalogie. La découverte des actes d’état civil de ses arrière-grands-parents est l’élément déclencheur qui lui a permis de réaliser Gaëdig ou l’héritage du nom, son premier ouvrage.
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Armelle Renaux-Lefebvre
Gaëdig ou l’héritage du nom
© Lys Bleu Éditions – Armelle Renaux-Lefebvre
ISBN : 979-10-377-7544-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Juliette, ma fille ; à Pétula, mon amie,
et à Emmanuel, mon époux.
Je remercie mes amies françaises et italiennes, et en particulier Virginie ainsi que Sonia, pour leurs encouragements et leur soutien.
Sans vous, mon manuscrit aurait rejoint les autres au fond d’un tiroir ou serait à la poubelle.
Merci à Larissa, des éditions le Lys Bleu,
pour sa patience et ses conseils.
Tous les personnages de la famille de Gaëdig ont existé. Les évènements ainsi que les dates sont réels et ont été vérifiés.
Cette histoire est celle d’une petite Bretonne née à Trédrez, en 1816, à une époque où on ne doit vivre que selon les principes dictés par la religion et les lois écrites par des hommes. Pendant la Révolution française, les femmes ont obtenu des droits. Une relative égalité avec les hommes leur a été accordée. Cependant, en 1804, le code Napoléon les renvoie à leur statut de femme sous tutelle du père, puis du mari.
L’adultère de la femme est jugé très sévèrement, alors que l’homme a tous les droits. Les enfants naturels n’ont aucun droit, de même que les filles-mères.
L’héroïne est une petite fleur qui tient tête à tous pour garder son fils et l’homme qu’elle aime sans perdre sa dignité. Pour elle, la morale n’est pas celle imposée par la société ni par Dieu, mais celle régie par l’amour.
Dans le 19e siècle qui la voit naître et vieillir, Gaëdig est un exemple de volonté et de droiture pour certains, et un affront aux bonnes mœurs pour d’autres.
De Trédrez à Saint-Michel-en-Grève, et jusqu’à Dinard, en passant par Plufur et Loguivy-Plougras, Gaëdig suivra une route difficile et éprouvante aux côtés de son époux tant aimé et de ses enfants.
Marguerite Le Dret a donné son nom à son fils aîné, Guillaume, né de ses amours interdites, avec celui qui deviendra son second mari. Mon grand-père racontait, non sans humour, que son véritable nom était « Le Dret dit Kerloc’h de la vallée des Singes » et non pas Le Dret tout court. L’histoire de Gaëdig a donné naissance à cette légende dont l’explication n’avait jamais été donnée jusqu’à maintenant.
Première partie
Une enfance bretonne :
Trédrez, août 1816, « l’année sans été »
Octobre 1820
Quelle chaleur ! mais quelle chaleur ! Ma Doué, elle n’a pas eu aussi chaud depuis la Fête de Sainte-Marie il y a 10 ans ! Et pourtant, il fait froid depuis de longs mois.
Il n’y a pas eu d’été, cette année, ni de printemps, d’ailleurs. C’est toujours l’hiver. Le ciel est resté couvert et gris. Des nuages de suie se sont déposés partout et le blé n’a pas beaucoup poussé. L’herbe est rare et les bêtes sont maigres.
Marguerite est épuisée. Elle, dont la santé a vacillé depuis qu’elle attend son deuxième enfant. Son corps frêle s’est alourdi depuis neuf mois
, mais elle est restée mince, peut-être un peu maigre, avec le peu qu’elle mange.
Elle fait la part belle à ses hommes à table. Et son dos qui la fait tant souffrir… Quand elle file la laine pendant 10 heures de suite, elle pleure dans son coin. Il ne faut pas le faire voir aux voisines.
François n’est pas souvent là, et quand il rentre, lui aussi est fatigué. Préposé aux Douanes royales, c’est un bien beau titre. Cependant, pour nourrir son monde, il en faut un peu plus. 12 heures d’affilée, de jour comme de nuit sur les chemins de ronde au bord de la grève, tous les jours que Dieu fait à surveiller la mer et les champs, au vu et au su de tout ce que la terre de Bretagne compte de malfaiteurs et de voleurs de grand chemin. Il faut qu’elle travaille dur.
Surtout qu’Alexandre, à plus de 3 ans, est déjà un sacré gaillard qui ne laisse pas sa galette au chien !
Pour le moment, elle se concentre sur sa douleur. Ce petit être qu’elle a eu tant de plaisir à concevoir (même si elle ne doit jamais le dire) est en train de lui arracher les tripes. Elle ne doit pas crier. Tout juste pleurer. De toute façon, elle ne peut pas empêcher les larmes de couler sur son joli visage brûlant de fièvre et de fatigue.
Dans une dernière contraction et un ultime effort, le nouveau-né peut enfin respirer. Elle ne sait pas ce que c’est, mais les cheveux noirs plaqués sur son crâne rose sont les siens. Ceux de François sont plus roux.
La matrone qui l’a accouchée se précipite sur son couteau et tranche le cordon, emmaillote le bébé hurlant et finit le travail.
Une fois délivrée, elle prend son enfant dans les bras : une fille. C’est une fille ! Quel bonheur après son Alexandre ! Une fille qui pourra, si elle survit, l’aider dans son quotidien.
Ce sera Marguerite. Comme elle. Comme sa grand-mère. Quand il rentrera, tard ce soir, François fera sa connaissance et la vie reprendra son cours, à quatre.
Et les voisines qui sont déjà là à contempler ou à épier le moindre défaut, la moindre ressemblance avec quelqu’un qui ne serait pas d’ici… (sait-on jamais !) Les commères sont toutes à l’affût du faux pas qui alimenterait les veillées des siècles à venir.
Eh bien non ! la Marie-bédasse du Bout de la Grève n’aura pas cette joie !
Il va falloir qu’elle trouve autre chose. Elle aussi, la jolie Marguerite, elle aime bien rire en écoutant les histoires de la Marie-Yvonne qui a fauté avec le Jean de Saint-Michel-en-Grève. Même qu’il a quitté la région ! On ne l’a jamais revu. Mais ça fait bien 20 ans maintenant qu’on se repasse le même conte sinistre et drôle.
En attendant, elle hurle à plein gosier, la nouvelle Marguerite. Elle l’appellera Gaëdig, Petite Marguerite. Elle a faim. Elle tête goulûment le sein blanc et lourd de sa mère, et enfin repue, s’endort dans ses bras. Marguerite s’endort aussi, enfin !
Quand il rentre après avoir passé 12 heures dans la fraîcheur anormale de cette nuit d’août, dans son bel uniforme en drap un peu défraîchi qui lui tient chaud toute l’année – en ce moment ce n’est pas désagréable malgré la saison –, il n’entend pas un bruit. Une peur viscérale l’étreint quand il pénètre dans la masure au sol en terre battue, toute petite, mais si bien tenue par sa Marguerite. Et si… non ! il voit la vieille qui file la laine devant le lit-clos sculpté, assise sur le trépied de sa femme. Elle lui offre un sourire heureux et édenté.
— C’est une fille ! la mère et l’enfant dorment à poings fermés. Dame, elles ont bien travaillé toute la nuit !
Il est rassuré et fier, François. Il se penche sur ses deux beautés et embrasse Marguerite sur son front moite de sueur qui retient des mèches de cheveux noirs et humides.
Il contemple leur enfant. Les larmes lui viennent, mais il ne doit pas pleurer devant la vieille qui y verrait un signe de faiblesse et d’offrande au Malin.
Elle en ferait des histoires à dormir debout et à en avoir peur la nuit.
Marguerite ouvre ses yeux noirs en amande et le regarde avec amour. Elle est fatiguée, épuisée et en vie. Elle est là, allongée dans son lit-clos, belle comme le jour où il l’a vue pour la première fois à la Saint-Jean il y a neuf ans.
Il se souvient de cette nuit chaude et illuminée par les feux autour desquels dansaient les jeunes gens de Ploulec’h. Il était rentré de l’armée et d’une campagne assez éprouvante peu de temps auparavant, et était venu rendre visite à son jeune frère, Alexandre. Avec ses joues rougies par la danse et le feu, elle était de loin la plus jolie fille qu’il ait vue. Elle dansait avec la légèreté d’un lutin.
Il n’avait pas osé l’aborder, mais l’avait dévorée des yeux pendant longtemps si bien que son frère s’en était aperçu et lui avait soufflé :
— Marguerite est un bon parti !
Ne sachant que répondre, François l’avait regardé, étonné.
— Elle était promise à un gars du pays qui n’a pas eu ta chance à la guerre. Elle n’était peut-être pas d’accord pour cette union, mais comme son promis est mort il y a déjà 3 ans et qu’ils n’avaient même pas annoncé leurs fiançailles, la belle s’en est remise, reprit Alexandre.
— Comment ça, elle s’en est remise ? demande François sur ses gardes.
— Ne te méprends pas. Elle est sage comme une image, mais a bien décidé de choisir son parti. Son père est bourrelier et est déjà remarié deux fois. Elle a à peine connu sa mère et a été élevée par une brave femme. La nouvelle femme de son père ne s’occupe pas de ce que fait Marguerite. Elle a beaucoup à faire avec ses enfants et ceux du lit précédent.
Mais la maman de la jolie Marguerite lui a laissé une jolie petite maison à Ploulec’h ainsi qu’une bonne terre qui lui venaient de sa propre mère.
François était resté pensif un long moment, jusqu’à ce que son frère lui donne une bourrade dans le dos, le faisant avancer d’un pas au passage de Marguerite.
Elle lui avait souri et tout avait commencé. Après de longues palabres entre les deux familles et après leurs fiançailles, le couple s’était marié en janvier 1809.
Et ils avaient été des plus heureux.
Partis de Ploulec’h après avoir vendu la maison et la terre, ils s’étaient installés à Trédrez où ils avaient acheté cette demeure et un bout de terrain qui, malheureusement, ne donnait pas grand-chose.
Devenu douanier, François s’était rapproché de la caserne des douanes où il ne pouvait loger faute de place. La bâtisse avait été réquisitionnée pour y abriter les soldats mobilisés là depuis des années.
Des bruits de pieds nus derrière lui le ramènent brusquement à la réalité. C’est son fils qui a échappé à la Tordue quand il a vu son père par la lucarne de la masure d’en face.
Il saute dans ses bras et cache son visage dans son cou. C’est qu’il a eu peur en entendant les vieilles raconter des histoires de bêtes qui viennent prendre les mamans et les enfants qui naissent. Il ose enfin regarder. Maman lui sourit et elle tient dans ses bras un petit paquet duquel émerge ce qui doit être une tête. C’est tout rose, fripé, pas très propre avec des cheveux noirs. Son père lui dit que c’est sa petite sœur et qu’il faudra être gentil et protecteur avec elle. Une sœur !
Comme la sœur du Julien qui le suit partout. Il ne comprend pas, du haut de ses 3 ans, pourquoi on lui inflige ça, mais il s’en remettra !
« Elle s’appellera Marguerite, dit sa mère dans un sourire fatigué et néanmoins radieux. Elle sera notre Gaëdig ! »
« D’accord, dit François. Il faut que j’aille à la Mairie avec mes témoins. Je vais demander à Pierre et François qui doivent encore être aux champs. Mais la mairie est fermée à cette heure. On ira demain matin. »
Il repart dans la grisaille. Il ne sait même pas l’heure qu’il est tant le soleil est voilé. Ils n’ont jamais connu ça par ici. Le même temps humide, gris, depuis des mois. À peine un peu moins froid depuis quelques semaines. Les terres n’ont rien donné ou presque. Les laboureurs vont prendre la mer, pour sûr ! Il faut manger et nourrir sa famille.
La vieille lui a dit que l’enfançon était né après prime. Alors, on dira 7 heures ce matin.
Il court vers ses amis : François Geffroy et Pierre Montfort. Ils sont laboureurs et sont en train de se crever la paillasse dans leurs champs pierreux pour essayer de sauver quelques boisseaux de blé. La terre vaut plus cher quand elle donne du beau blé, mais ici on cultive aussi le blé noir qui pousse partout, sans soleil et sous la pluie, et qui permet aux femmes de nourrir toute la maisonnée. On vend le blé aux gens de la ville et on garde le sarrasin pour ne pas mourir de faim.
Avec leurs douces fleurs blanches ou roses, les champs de sarrasin à perte de vue font presque oublier la rudesse du sol.
« Mes amis ! C’est une fille, robuste et goulue. Elle est née ce matin quand j’étais à la Lieue de Grève ! Marguerite va bien. La petite s’appellera aussi Marguerite, mais pour nous ce sera “Gaëdig”. On va boire une bolée à sa santé. »
Pierre et François ne se font pas prier. Fatigués de leur journée et heureux pour leur ami, ils quittent les champs et s’en vont chez Marie-Perrine, le café où ils ont pris leur première cuite, ensemble, tous les trois. Il y a si longtemps !
Le lendemain de ce jour mémorable, nos trois compères, la tête un peu lourde du cidre âpre et sec ingurgité dans l’euphorie du moment, déclarent la naissance de Marguerite LE DRET, née à Trédrez le 8 août 1816 de François LE DRET, 34 ans, préposé aux Douanes royales, de Trédrez Cotes du Nord, et de Marguerite CORSON, son épouse, 36 ans, filandière de Ploulec’h.
Gaëdig a grandi. Elle est belle et un peu effrontée. Depuis qu’elle a appris à marcher juste à son premier anniversaire, elle trottine. Toujours derrière sa maman à observer ses faits et gestes.
Elle observe tout de ses yeux sombres et perçants. Elle s’applique à reproduire ce que font les grands. Elle aide déjà maman à laver les bols et à mouiller le sol en terre pour empêcher la poussière de s’infiltrer partout. Dans les galettes et les crêpes, c’est dégoûtant !
Une véritable petite ménagère, haute de 3 ans et demi.
Maman est souvent fatiguée et quelquefois elle grossit, et on accueille une petite sœur.
Elle a vu Anne arriver. Anne n’a pas voulu rester. Après quelques mois, elle est partie. Papa et maman pleuraient. En revanche, Gaëdig était contente de retrouver sa place dans le lit-clos, au pied de ses parents, à côté d’Alexandre. Son dieu !
Elle adore, son grand frère. Il l’embête parfois, mais il lui prend la main aussi pour aller chercher les œufs au poulailler. Parce qu’elle craint un peu le coq et l’oie. Les poules, ça va. Elles ont l’air tellement bêtes !
Alexandre est gentil et patient avec Gaëdig. Il lui apprend comment construire des bateaux avec des feuilles de chêne et des brindilles ; de fiers vaisseaux qui fendent les eaux du ruisseau. Ils jouent ensemble dans les trous d’eau de la grève, les algues devenant des forêts inexplorées où des êtres inconnus défendent leur territoire à coups de pinces. Pendant ce temps, ils oublient que maman ne peut pas s’occuper d’eux, car elle ne se sent vraiment pas bien.
Depuis quelque temps, elle est toujours pâle et très fatiguée. Elle ne mange rien et elle a encore un gros ventre. Le soir, Gaëdig pose sa tête sur ce gros oreiller tout dur et attend qu’il lui donne un coup. Elle a peur de ça aussi. Alexandre, lui, fait le fier à bras, mais n’en mène pas large. Tout ça, ce sont des histoires de filles qui ne le regardent pas. N’empêche que maman n’est plus comme avant.
Dehors, il pleut. On est le 30 mai 1820. Après des mois tout gris, il commence à faire meilleur. La terre ne donne toujours pas grand-chose, sauf le blé noir.
Encore et toujours. On ne peut pas acheter de blé tendre pour faire le pain, car il coûte trop cher. Alors, on fait avec ce qu’on a. Les filandières se racontent des histoires de guerres et de famine qu’elles tiennent des femmes de marins qui ont voyagé. Les pêcheurs rapportent toujours leur poisson ; on n’en manque jamais. Celui qui vit dans les eaux peu profondes comme ceux qui passent au large. Toute l’année, on a du poisson.
Il y a de plus en plus de gars qui partent à la pêche (et beaucoup qui ne reviennent pas).
Les veillées tournent autour des drames et des larmes depuis toujours ici. Les fortunes se font et se défont autour des campagnes de pêches.
L’oncle Alexandre, le frère de son père, a une jolie et grande maison en pierre de taille, mais il part souvent, et longtemps, en mer. À Terre-Neuve. Son frère, Alexandre, veut partir là-bas quand il sera plus grand. Enfin, quand on voudra bien de lui sur un bateau.
Ce soir, il n’y a personne pour raconter des histoires de bateau perdu. La vieille matrone qui l’a vue naître est là. Elle a l’air inquiète. Maman est fatiguée et pousse des petits cris en se tenant le ventre dans le lit-clos. Elle l’a vue par la porte entrouverte. Elle a entendu dire aussi que maman a de la fièvre et qu’elle crache le sang. On chuchote un mot qu’on ne doit pas prononcer trop souvent. Tuberculose ! Elle et son grand frère ne doivent pas rentrer. Ils doivent rester dehors ou chez la voisine. Ils y passent la nuit, serrés l’un contre l’autre pour ne pas avoir froid, pour ne pas avoir peur. Au petit matin, ils entendent de l’autre côté de la ruelle, un cri qui ressemble à celui d’un chat qui se bat avec un ennemi juré. Ils sortent en courant. La vieille est là. François aussi. Il est tout pâle.
Ils entrent avec lui sur la pointe des pieds et voient leur maman tenant dans ses bras un ballot de linge.
On leur présente Marie-Jacquette. Née ce 31 mai 1820 à 7 heures du matin. Marguerite ne quittera plus le lit-clos. Entre deux quintes de toux, elle nourrira au mieux la petite chose toute menue qui n’a pas l’air de boire beaucoup. La Jeanne, la voisine du bas de la grand-rue, essaie de lui faire téter son propre sein, elle qui a trop de lait depuis la naissance de son garçon, mais la petite s’endort sur la besogne, même en mettant de la goutte sur le téton. Elle aussi a de la fièvre.
Le temps passe. L’air est plus chaud. Gaëdig fait de son mieux pour rester en place et ne pas faire de bruit. Chaque jour que Dieu fait, elle va rendre visite à sa mère qui reste clouée au lit avec cette fièvre dévorante qui lui fait les joues rouges et les yeux creux. Et cette toux qui lui arrache des larmes tant elle est forte. Elle n’est pas autorisée à l’approcher.
Un jour, la vieille débarque avec une femme à l’air sévère, un peu bête aussi, qui regarde la maison d’un air dégoûté. Julienne qu’elle s’appelle, mais il faut dire Julie. C’est plus joli…
Une parente lointaine de la vieille, qui vit à Saint-Michel-en-Grève. Une vieille fille qui se loue à la journée pour faire le ménage ou aider aux champs.
Gaëdig et Alexandre ne l’aiment pas. D’emblée, ils l’affublent de surnoms plus grotesques les uns que les autres, Alexandre surtout. Elle, elle n’a pas assez d’imagination à son âge. « Cul d’oie » ou « la dinde », elle comprend quand même, et ça la fait rire malgré la tristesse qui règne dans la maison.
Julienne Le Marec s’installe donc à Trédrez, chez François et Marguerite. Elle est là pour aider au ménage, à la cuisine et pour surveiller les enfants. Elle dort sur une paillasse près du foyer. La vieille s’occupe de Marguerite et de Marie-Jacquette.
Chaque jour qui passe devient un calvaire pour les deux petits. Entre leur maman qui ne sort plus du sommeil agité dans lequel la maladie l’a précipitée et leur papa qui part travailler de longues heures, ils sombrent dans une mélancolie que seuls leurs jeux dans les champs environnants viennent interrompre.
Un matin de juin (le 26 précisément), ils voient arriver la lugubre procession. C’est le curé et ses deux enfants de chœur qui apportent l’extrême-onction à Marguerite. Des voisins sont partis chercher le père à Locquémaux. Il arrive juste à temps pour recueillir le dernier souffle de son épouse.
Marguerite Corson est morte le 26 juin 1820 à 13 heures. 26 jours après avoir donné naissance à Marie-Jacquette. Elle avait 40 ans.
L’enterrement a lieu le lendemain matin au cimetière de Trédrez qui jouxte l’église Notre-Dame. Il fait beau et chaud. Les enfants ne comprennent pas tout, mais ils savent que maman est remplacée par la Julienne et que plus rien ne sera comme avant.
Ils rentrent à la maison. Julienne Le Marec s’installe. Jeanne donne toujours le sein au bébé qui reste apathique et fiévreux, et leur papa est tombé dans une sorte d’hébétude après la mort de sa tendre Marguerite. Il ne parle plus, lui qui déjà n’était pas causant.
Il sait que les maladies font des ravages depuis toujours, mais il ne pensait pas que cela frapperait son épouse. Il a deux enfants à nourrir et à protéger, mais le cœur n’y est pas.
Toutefois, après l’été, François leur annonce que Julienne va devenir leur nouvelle maman. Une nouvelle femme pour cet homme qui ne peut s’occuper seul de ses enfants ni vivre ouvertement avec une femme qu’il n’a pas mariée, sous son toit. Il y a beaucoup réfléchi et les commères l’ont aidé à prendre cette dure décision, mais c’est la seule solution.
Julie sera donc la nouvelle femme de François, mais certainement pas une maman.
Gaëdig et Alexandre ne le veulent pas, et la Julienne encore moins. Elle n’a aucune patience, elle qui à 38 ans est encore fille et n’a donc jamais eu d’enfants (« Dieu m’en préserve » !).
Mais elle veut bien épouser le François qui est un beau gars, préposé aux Douanes royales, et propriétaire de la petite maison où il habite avec ses enfants et qui lui revient de droit, elle dont personne n’a voulu jusque-là.
Affublée d’un fort mauvais caractère et d’un gros cul, elle n’a ni grâce ni beauté.
Du courage pour travailler, certes. Mais du reste, non.
Le 14 octobre, tout le monde s’en va à pied à Saint-Michel-en-Grève. Il fait encore beau ce jour-là. Ils longent la mer par le chemin des douaniers que François connaît si bien. Les enfants sont ravis de cette aventure qui rompt la monotonie de leur quotidien. Ils n’ont pas encore pris la mesure de cette journée : papa et la Julienne vont se marier. Mais c’est jour de fête et ils se sont lavés (un peu) et habillés de propre ce matin. Ils vont même manger dehors, dans la cour de ferme d’un ami du père. Ce n’est bien sûr pas joyeux, le souvenir du décès de Marguerite hante encore tous les esprits, mais la vie continue, comme disent les grands.
De retour à Trédrez, le soir, ils sont tous épuisés d’avoir tant marché et mangé. D’avoir un peu bu aussi, pour certains. Les langues se sont déliées d’ailleurs.
Aux phrases susurrées après un coup de coude discret, comme « Tu ne trouves pas qu’elle est trop vieille, la Julienne ? » succèdent les « Dame, oui ! » et les « Elle n’a aucun bien, et en plus fagotée comme un épouvantail », « Elle est aigrie, la pauvre vieille fille », « Elle n’aime pas les petits, ça se voit ».
Elle n’est pas aimée, la fille de Ploumilliau ! Elle se donne de grands airs de dame de la ville. Une ville, ça ! À peine deux fois Trédrez. Et ça se donne des airs…
« Tous nos vœux de bonheur, très chère Julienne ! » l’hypocrisie est sur toutes les lèvres, dans tous les gestes du quotidien. Sinon, on s’ennuierait ferme !
Julienne n’est pas femme à se laisser abattre par tant de méchanceté, même si les remarques acerbes glanées ici et là lui font un pincement au cœur. La vie n’a pas été très douce avec elle et elle compte bien se rattraper !
En attendant, il va falloir songer à agrandir la masure devenue trop petite pour tout ce monde. Dame ! deux adultes, deux enfants, un nouveau-né et la nourrice, ça rétrécit grandement l’espace. On prendra sur la cour de derrière, près du poulailler, pour loger les enfants.
On quémande donc de la pierraille aux amis laboureurs, même si une planche clouée entre le poulailler et le lit des petits aurait fait l’affaire, selon Julienne ! Ce n’est pas ce qui manque, la pierre. C’est plus solide que des planches. Bien ajustée et le sol bien battu, ça fera une pièce de plus, aveugle et de taille plus que modeste, dans laquelle on ne peut poser que leur paillasse pour deux, certes, mais un espace supplémentaire apprécié.
Les jours se suivent et Gaëdig, qui a de plus en plus de mal à respecter l’ordre établi par sa marâtre, supporte tant bien que mal sa nouvelle vie.
La petite Marie-Jacquette est toujours plus faible et plus pâle. Elle s’éteint le 1er novembre, 15 jours après le remariage de François. La Jeanne peut ranger ses tétons et emporter son lait, on n’a plus besoin d’elle ici.
Julienne peut régner en maîtresse sur la masure, même si elle doit reprendre le travail de filandière laissé vacant par le rappel à Dieu de Marguerite. Il faut bien aider si l’on veut vivre, et quitte à remplacer Marguerite, autant tout faire comme elle.
Deux ans après son mariage, elle donne naissance à son premier enfant. À son âge ! 40 ans et un premier gosse. Ma Doué beniguet ! c’est qu’il a encore de l’ardeur, le François ! Lui aussi a 40 ans, mais il n’a pas à supporter une grossesse et tous les maux qui l’accompagnent.
Elle grossit, elle enfle ! les enfants s’en amusent, pour sûr ! Alexandre se gausse tant qu’il le peut, lui qui va sur ses 9 ans et attend avec impatience ses 10 ans pour embarquer à la pêche avec l’oncle qui porte le même prénom. Son parrain !
Le père et l’oncle sont tombés d’accord, mais il doit attendre ses 10 ans.
Gaëdig, elle, voit bien le changement physique de Julienne. Elle est comme maman quand elle attendait les petites sœurs qui ne sont pas restées.
Son caractère aussi change : elle est encore plus mauvaise avec elle. Elle refuse de lui donner son surnom et l’appelle Marguerite. Pas grave, elle est heureuse de s’appeler comme sa maman. Et puis, de toute façon, elle ne l’appelle presque jamais.
Le 14 novembre 1822, elle met au monde un garçon, Charles. Il est fort, robuste et braillard ! Quel tintamarre il fait quand il a faim, celui-là ! Un vacarme pareil on n’a pas idée ! Gaëdig est vite excédée par tout ce bruit. Elle quitte de plus en plus souvent la maison pour courir à la falaise regarder la mer, cueillir des fleurs des champs ou parler aux vieilles bienveillantes qui l’incluent volontiers dans leurs bavardages.
On se raconte des histoires de marins parcourant les mers du monde entier. On parle de régions dont les noms n’inspirent que crainte et curiosité.
On se remémore des gars partis sur la « petite Louison » ou embarqués sur le « Soleil Levant ». Beaucoup ne sont pas revenus. Péris en mer, qu’elles disent. Elle tremble d’effroi en imaginant son frère tomber dans l’eau et ne plus revenir. Et puis il y a ces histoires de bateaux qui partent à la découverte des « Îles » ou qui font la course.
La course ? Elle imagine les bateaux essayant l’un de rattraper l’autre comme quand elle joue avec son frère et les autres enfants dans la rue. Des bateaux avec des voiles immenses qui se courent après ? Comme les feuilles de chêne sur le ruisseau ? Les grandes personnes jouent comme les enfants, mais avec des jouets à leur taille.
Un petit frisson bien effrayant, mais tellement agréable parcourt l’échine de toutes les femmes, vieilles et jeunes, à l’évocation de ces noms inconnus. Terre-Neuve et le brouillard qui engloutit tout, d’un seul coup. Les hommes, les chaloupes, tout disparaît pour ne plus jamais revenir. Il y fait toujours froid et humide. Gaëdig se demande bien pourquoi les marins partent si loin pour trouver la même chose qu’ici : le temps et le poisson.
On parle de l’Inde et de ces hommes qui vivent nus dans des maisons en or. Elles rient. Nus ? Ils n’ont pas de quoi se vêtir malgré leurs maisons en or ? Et avec toutes ces étoffes qu’on dit plus douces que le duvet des oisillons ou plus chatoyantes que l’eau calme au soleil de mai, ils ne peuvent pas s’habiller ?
Gaëdig souhaite ne jamais connaître ces pays lointains qui lui paraissent effrayants. De toute façon, les femmes restent à la maison !
Et le Nouveau Monde ! qu’a-t-il de nouveau, ce monde ? Il paraît qu’on peut y faire du commerce ! Mais pourquoi partir si loin et si longtemps alors qu’on trouve ce que l’on veut au marché de Trédrez ou de Saint-Michel-en-Grève ! La petite Marguerite a encore beaucoup de choses à découvrir. Elle qui tremble d’effroi à l’évocation de la Lieue de Grève et de sa plage immense.
On raconte que des bandits de grand chemin se cachent sous le goémon ou dans le sable pour surprendre les voyageurs assez imprudents pour voyager seuls et qui prennent la route la plus directe qui relie Saint-Michel à Saint-Efflam, c’est-à-dire la plage, à marée basse ou descendante. Ils détroussent les malheureux et abandonnent leurs dépouilles à la mer.
Un bandit fait le guet à la taverne et écoute – et quelquefois fait parler – les voyageurs trop bavards ou à l’esprit embrumé par la goutte servie généreusement par le malfrat. Celui qui ne veut pas attendre un groupe avec qui faire route, accompagné des gendarmes, peut être sûr qu’il ne rejoindra pas l’autre côté.
Quand il est sûr d’avoir ferré le bon poisson, le voleur rejoint ses acolytes et ils se mettent en place. S’ils sont trop visibles sur le Grand Rocher, ils forment des monticules de sable ou étalent des algues et se cachent dessous. Quand le voyageur les voit, il est déjà trop tard…
La maréchaussée et les douaniers ne peuvent pas grand-chose, à part surveiller la côte et accompagner les voyageurs qui le demandent à travers la passe, et leur assurer protection.
Gaëdig a 8 ans maintenant et elle devrait aller à l’école du curé ou chez l’instituteur (quel mot difficile à retenir), mais elle n’est pas assidue. Et tant qu’elle commence à ânonner les Ave et autres Pater Noster en latin, le recteur de Saint-Michel est content.
Que demander de plus à une fillette qui filera la laine ou le lin, plus tard se mariera et s’occupera de son mari et de ses nombreux enfants ? Gaëdig n’a pas envie d’apprendre à lire et à écrire. D’ailleurs, pourquoi apprendre le français alors qu’entre eux les gens parlent breton et le curé parle latin ? Tout est tellement compliqué avec les adultes.
Alexandre apprend mieux qu’elle. Il sait déjà écrire son nom et compter. Il sera un grand marin, un jour. Il lui a promis de l’emmener loin. Peut-être jusqu’à Saint-Malo.
François est toujours parti, tous les jours et quelquefois la nuit entière. Il rentre fatigué. Il est taciturne de nature et même s’il aime ses enfants, il ne le montre pas souvent. Sombre de caractère, petit et sec, il rit rarement, sauf aux fêtes du village, quand le cidre remplace l’eau du puits. Là, tout le monde y va de sa chanson. On danse aussi aux mariages ou aux baptêmes. Même Alexandre est revenu tout guilleret après le dernier pardon. Gaëdig n’aime pas trop le cidre ni la goutte qui fait pleurer tellement ça pique la gorge et les yeux. Les hommes deviennent rouges et parlent fort en se tapant dans le dos. Certaines femmes aussi, d’ailleurs. Il y en a même qui se sont retrouvées dans de drôles de situations.
Les filandières racontent aux veillées, en filant, qu’une de Saint-Michel a été retrouvée derrière le Marché Couvert en train de « faire son affaire » avec un gars de la Vallée. Toute retroussée qu’elle était ! c’est le mari qui l’a trouvée, la cherchant partout, avec son marmot sur les bras qu’elle avait oublié sur un banc. Elle avait tâté de la bouteille. Et pas qu’un peu ! Le mari lui a filé une rouste mémorable devant l’assemblée hilare. Le gars n’a pas demandé son reste, et tout bourré qu’il était, il a rangé son matériel et on ne l’a jamais revu. Il doit encore courir, le bougre, avec sa culotte qui tombait et son chapeau qui s’envolait. Les tétines des nourrices en ont vu aussi passer de la goutte pour donner de l’appétit aux nourrissons ; bien que ça n’ait pas toujours l’air de leur plaire.
Papa ne boit que pendant les fêtes. Il garde son cidre et sa goutte pour les « grandes occasions ».
D’ailleurs, l’occasion se présente avec l’arrivée, en juin de cette année 1824, de Anne qui voit le jour le 3. Une jolie petite fille un peu rousse qui ne fait pas autant de bruit que Charles. Julienne est vite remise et fait même une brève apparition dans la cour le jour du baptême, juste quelques minutes, pour montrer sa fierté et sa joie, avant de retourner au lit. Le fameux cidre coule à flots, car il fait chaud en cette fin de printemps.
Les hommes profitent une nouvelle fois de ces festivités pour enfin boire un bon coup ensemble. On chante de nouveau et on danse au son de la vielle. Les sonneurs ne viennent que pour les mariages et les pardons, mais la fête est belle et on mange plus que d’habitude. Le parrain d’Anne a distribué des noix et des noisettes de l’année dernière, et aussi quelques cerises et des groseilles.
Les enfants sont tout barbouillés et vont certainement passer un bon bout de temps dans les fourrés ou dans les champs avec une courante terrible, mais ils s’en moquent.
La vie suit son cours et Gaëdig grandit. Elle ramasse les œufs, lave le linge avec Julienne. Surveille Charles qui ne rate pas une occasion de se mettre dans des situations dangereuses ou du moins compliquées. Il n’a pas 2 ans, mais cavale comme un cabri et se cogne partout. Il est même tombé dans la marmite que sa mère avait mise à sécher devant la porte. Quelle histoire pour le récupérer et l’empêcher de recommencer !
Alexandre, lui, attend toujours son embarquement. Il aide aux champs les amis de son père. Il regarde la mer avec envie et impatience. Il veut partir et découvrir la mer plus loin que Saint-Malo, et même plus loin encore. L’oncle Alexandre a parlé d’un port immense qui s’appelle Le Havre. Ses yeux brillent à l’évocation de ses noms. Il s’imagine déjà sur un de ces gigantesques navires, aux voiles gonflées, qui sillonnent les mers et les océans. Il en a entendu des histoires et des contes. Il veut voir tout ça. Il partira le 1er mars 1825 sur « l’Intrépide », et ne reviendra que très longtemps après.
Gaëdig aime surtout aller laver le linge à la fontaine et aider à porter les baquets. Elle ne peut pas encore pousser la brouette avec tout ce linge dedans, mais elle sait déjà frotter à la brosse en chiendent et frapper au battoir.