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1861. Guillaume-Jean a bientôt dix-sept ans et navigue sur la Rance avec son oncle Alexandre et son cousin. Comme pour la plupart des hommes à cette époque, deux possibilités s’offrent à lui : devenir marin ou paysan. Un jour de tempête, il assiste au naufrage d’une barge durant lequel plusieurs personnes trouvent la mort. Ce terrible évènement lui fait prendre conscience qu’il n’est pas fait pour ce métier, même sur les canaux. Il a peur et prend une décision qui bouleversa le cours de sa vie…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Armelle Renaux-Lefebvre voue une véritable passion à l’histoire et à la généalogie. Pour écrire, elle s’inspire des actes d’état civil de ses ancêtres, devine leurs rôles et implications et relie entre eux les faits et les dates. Elle compte à son actif plusieurs livres, notamment Gaëdig, ou l’héritage du nom.
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Seitenzahl: 131
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Armelle Renaux-Lefebvre
Guillaume-Jean,
marin ou paysan
© Lys Bleu Éditions – Armelle Renaux-Lefebvre
ISBN : 979-10-422-1820-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je veux des bords de mer et des vagues salées,
Je veux le vent brûlant et la bise glacée,
M’étendre et me rouler sur le sable doré,
Attendre tous les soirs que l’Astre soit couché,
Monter à l’abordage d’un trois-mâts fatigué,
Qui aurait parcouru les mers du monde entier.
Je veux pouvoir rêver sur son pont déglingué,
Au soleil de Sicile ou face à un glacier.
Je veux narguer les étoiles, faire fuir les goélands
Et hisser la grand-voile, affronter tous les vents,
Pour partir avec toi par-delà l’océan
Tenir tête sans crainte à tous les éléments.
Que mes rêves d’enfant ne soient pas des chimères
Et prendre dans mes bras ce que donne la mer.
20/09/2022
Armelle Renaux-Lefebvre
Versi al Tramonto. Marsala
À Juliette, ma fille, mon soutien, toujours de bon conseil
À Emmanuel, mon époux, mon artiste, que je remercie pour la toile qu’il a peinte pour ma couverture.
Merci à toutes celles et à tous ceux qui me suivent
et m’encouragent.
En ce début d’année 1861, Guillaume-Jean Le Dret dit Kerloc’h va sur ses dix-sept ans et navigue depuis bientôt cinq ans sur la Rance avec son oncle et son cousin François de presque trois ans son aîné. De Dinan à Saint-Malo ou Dinard, ils transportent du bois et des pierres de taille pour les nouvelles constructions qui poussent comme le chiendent sur la côte.
Saint-Énogat disparaît peu à peu parmi les belles maisons que se font bâtir les riches Anglais en s’étirant du côté de Dinard. Il est pourtant bien joli ce petit village de pêcheurs. Guillaume aime y venir avec son cousin charger les sacs de goémon sur la charrue du père Augustin. À marée basse, les goémoniers sont à pied d’œuvre pour couper avec leur faucille et récolter à la fourche ce précieux engrais qu’ils revendent aux fermes. Une fois séché, il sert de litière et de nourriture aux vaches quand le fourrage est rare. D’ailleurs, les femmes aussi utilisent cette algue pour rembourrer les vieux matelas.
Guillaume et François donnent un coup de main aux ramasseurs pour remplir la charrette et la suivre au rythme d’un cheval débonnaire jusqu’à l’embarcadère.
Les sacs sont chargés sur la « Marie-Jeanne » pour ne pas revenir à vide à Dinan. L’oncle Alexandre a quelques contrats pour le retour. Il livre le goémon à une fermière de Pleurtuit qui envoie un de ses employés à la toute nouvelle Cale de Jouvente. Ainsi, le voyage à Dinan rapporte un peu plus.
Guillaume fait confiance à Alexandre, mais il n’est jamais vraiment rassuré. Les chargements de bois et de pierres alourdissent le bateau et il faut être un très bon marinier pour ne pas chavirer au beau milieu de la Rance. C’est tout un art d’arrimer correctement la marchandise.
L’oncle connaît sur le bout de ses doigts les heures de basse et de pleine mer ; il sait quand la marée sera étale leur permettant un moment de répit. Pendant les marées de vive-eau, elle est agitée et pleine de pièges. Ce n’est pas parce que la Rance est une rivière qu’elle est calme toute l’année. Et les vents qui soufflent quelquefois avec rage peuvent drosser les bateaux sur la rive ou sur un banc de sable.
On a vu des péniches se mettre en travers et couper la route dans les deux sens aux autres embarcations. Plusieurs heures et beaucoup de monde sont nécessaires pour redresser la situation en remettant le bateau dans les eaux navigables.
Sur toute la partie qui va de Saint-Malo à l’écluse du Châtelier, ils naviguent dans l’estuaire en évitant les bancs de sable qui se déplacent au gré des courants et la vase qui s’accumule régulièrement.
Ce n’est qu’après qu’ils rejoignent les eaux calmes du canal inauguré en 1834. Un jour de grand vent et de fort coefficient de marée, Guillaume se fait une promesse qu’il tiendra toute sa vie.
Alors qu’ils approchent du Châtelier, la première en remontant vers Dinan, un chaland jaugeant bien plus que leur « Marie-Jeanne » chargé de bois, mais visiblement mal arrimé, chavire sous leurs yeux. Malheureusement une quinzaine d’ouvriers qui regagnent tous les jours la scierie, où les troncs doivent être débités, s’y trouvent aussi et sont jetés à l’eau sans qu’on ne puisse rien y faire.
Certains réussissent à nager, d’autres sont secourus par des embarcations à proximité. L’oncle Alexandre repêche trois de ces infortunés et les sauve de l’hydrocution et de la noyade. Cinq autres ne sont pas aussi chanceux. Leurs vêtements rapidement saturés d’eau les alourdissant, ils ne peuvent nager et Guillaume les voit disparaître dans les eaux grises et furieuses avant qu’aucun autre bateau ne parvienne à leur hauteur. Le regard effaré et les hurlements des hommes qui se noient le poursuivront jusqu’à la fin de ses jours. Il n’oubliera jamais leurs mains qui s’agitent encore alors qu’ils sont sous l’eau.
On retrouvera les corps bien plus loin et bien plus tard.
Traumatisé, après avoir aidé au sauvetage, comme dans le brouillard, il dit à voix haute : « je ne veux pas être marin ! »
Son destin est donc scellé. Il fera tout, n’importe quel travail mal payé, éreintant, sale, mais sur terre ! il se le promet.
Comme il est sous contrat avec Alexandre et qu’il ne veut pas paraître ingrat, il décide tout de même de terminer la saison. L’oncle sait bien que Guillaume ne sera jamais un grand marin, ni sur la mer ni sur les fleuves et canaux. Aussi ne lui a-t-il jamais proposé de faire les voyages en amont. De Dinan à Rennes où il a fait négoce de cidre, de grain et de sel en part à deux avec la Fanchenn il y a bien longtemps, avant qu’elle ne devienne sa belle-mère, il continue à naviguer sur le canal en transportant la même marchandise et du vin de Bordeaux et de Gascogne au retour. Ces voyages-là l’ennuient un peu, mais rapportent pas mal d’argent.Quand il retournera « dans l’estuaire » comme il le dit, il parlera à Gaëdig, sa sœur et mère de Guillaume.
Il essaiera de trouver un engagement durable dans une des fermes qu’il connaît bien. D’ailleurs, il a déjà sa petite idée. Entre deux saisons de navigation fluviale, quand l’oncle Alexandre part au cabotage sur la côte bretonne, Guillaume a l’habitude depuis deux ans de louer ses bras dans des fermes près de chez ses parents, à Ploubezre.
Au début du mois de mars, il laisse son embarcation aux bons soins du chantier naval de La Richardais, qui appartient aux frères de Joséphine Legobien, pour quelques réparations avant de continuer les voyages le long du canal et s’en va la trouver.
Cette femme au caractère bien trempé, née à Saint-Servan 49 ans auparavant, courageuse et instruite, élève seule ses trois enfants. L’aîné, Joseph, issu de son premier mariage, est du même âge que Guillaume et navigue depuis 4 ans.Joséphine, veuve pour la seconde fois, n’a pas voulu convoler de nouveau et doit faire preuve de beaucoup de courage pour éduquer Joséphine, neuf ans, Pierre, sept ans et Guillaume, cinq ans, tout en gérant sa ferme à La Boussarde. Son premier époux, Frédéric, était marin et peu de temps après leur mariage célébré en décembre 1833, il prend la mer pour ne revenir que 3 ans plus tard. Joséphine n’aura pas eu le bonheur de mener une première grossesse à terme. Après 4 mois à Pleurtuit, en septembre 1837, Frédéric embarque de nouveau pour les Antilles et revient en mai 1841. La sage Joséphine l’attendait toujours. Leurs retrouvailles furent de courte durée, l’armateur du brick « Le Souvenir » ayant un nouveau contrat à honorer en Méditerranée. Ils partiront en juin et seulement pour deux ans. Ce n’est que de retour en France en septembre 1843 qu’il fait la connaissance d’Augustin, leur premier fils, né en mars 1842 et âgé déjà d’un an et demi.
Ce bonheur sera de courte durée, car la vie de marin reprend le dessus et il repart pour les Antilles en décembre, laissant une épouse enceinte de leur deuxième enfant. Il ne le sait pas.
Frédéric meurt des fièvres le 23 mai 1844 à l’hôpital de Pointe-à-Pitre. Et ce même jour, à des milliers de kilomètres de l’île de Guadeloupe, leur fils aîné Augustin meurt à Pleurtuit d’une pneumonie. Désemparée et ne sachant pas encore que son époux n’est plus (elle ne l’apprendra que quelques mois plus tard) elle fait face courageusement et met au monde son deuxième fils, Joseph, le 4 juillet 1844.
Son second mari Pierre Daniel est mort en 1857, de la tuberculose, la laissant avec quatre enfants âgés de deux à treize ans.
Alexandre a bien connu Pierre, qui lui aussi était descendant d’honorables propriétaires terriens des côtes du Nord. Pendant des années, il convoyait son bois de charpente et ses céréales jusqu’à Dinard et Saint-Malo. Ils étaient amis, et Alexandre n’a jamais laissé Fine dans l’embarras. Il a continué à transporter quelques marchandises pour son compte à elle.
Depuis son deuxième veuvage, Joséphine ne se ménage pas. Deux de ses enfants vont à l’école : sa fille Joséphine et Pierre. L’aînée, une fois rentrée à la maison, prend en charge les tâches ménagères et la surveillance de ses deux frères. Elle apprend à lire et à compter au plus jeune, Guillaume, qui n’ira chez l’instituteur que l’année prochaine.
La veuve Daniel, qui descend d’une grande famille de maîtres-charpentiers et de constructeurs pleurtuisiens ainsi que de nobliaux dinannais de belle lignée, est allée à l’école, elle aussi. Pierre va chez le maître d’école dans une pièce attenante à la mairie, tandis que sa fille se rend chez les sœurs. Il n’est pas question d’accepter la mixité, monsieur le recteur y est formellement opposé ! Les jeunes garçons apprennent à lire, écrire et compter. Le jeune maître fraîchement débarqué de Paris leur inculque un peu d’histoire et de géographie. Chez les sœurs, Joséphine coud et ravaude autant qu’elle lit et écrit, mais quand elle a le temps elle interroge son petit frère pour en apprendre un peu plus. Ce sont de dures et longues journées pour des enfants, mais ils ne peuvent pas faire autrement.
Dès qu’Alexandre a eu vent de la volonté de son neveu de rester à terre, il a pensé à la ferme Legobien. Guillaume aime les animaux et les champs. Il n’est pas feignant, loin de là. Il n’aime pas se trouver sur l’eau, c’est tout.
Arrivé à la Boussarde, Alexandre est accueilli comme un membre de la famille. Il prend Joséphine dans ses bras et lui claque trois grosses bises sur les joues. Elle a l’air fatiguée, la Fine.
Fine, c’est le gentil diminutif que lui avait donné son regretté Pierre. Ça lui allait bien, tant elle était gracieuse et mince comme une brindille. Aujourd’hui, elle est plus maigre que mince et même si elle est toujours avenante, on voit bien qu’elle est épuisée.
— Alexandre ! Quelle surprise ! s’écrie-t-elle lorsqu’il la lâche. Entre donc boire une bolée de cidre. Tu veux une galette ? Je te prépare une petite collation ?
— Ce n’est pas de refus, Fine. Je suis venu à pied de La Richardais et il ne fait pas froid pour un début mars. J’ai avalé de la poussière en veux-tu en voilà, malgré les fondrières laissées par les averses des semaines passées ! répond-il en riant.
Ils rentrent dans le corps principal de la ferme. Bien tenue et prospère, son exploitation à la Boussarde est réputée pour ses vaches et ses champs de blé et de maïs. La terre est bonne dans le coin, pas loin de la Rance. Les terres et la ferme viennent de sa famille maternelle et Fine fait fructifier l’héritage de ses enfants jusqu’à ce qu’ils le reprennent à leur compte un jour.
Elle reste un temps songeuse et tout à coup se reprend :
— Dis-moi, il n’est pas arrivé un malheur au moins ? Non, avec ta mine réjouie, je ne le pense pas. Qu’est-ce qui t’amène ici, donc ?
Alexandre, après avoir étanché sa soif en regardant Fine lui couper des tranches de pain et du lard, lui demande :
— Tu cherches toujours un gars pour te donner un coup demain ?
— Oui, pour sûr ! lui répond-elle. Je ne rajeunis pas ! Et mes enfants vont à l’école sauf le petit Guillaume. Ils m’aident comme ils peuvent, mais je veux qu’ils aient un peu d’éducation.
— Comment ça, tu ne rajeunis pas ? Tu es encore plus jeune que la dernière fois que je t’ai vue, la flatte Alexandre.
— Dame, j’ai fêté mes 49 printemps le 4, il y a 5 jours !
— Tous mes compliments pour cette année de plus !
— Merci, réplique-t-elle tout de même flattée. Pour ce qui est des garçons de ferme, ils se font rares ; nos hommes veulent tous partir naviguer pour rentrer riches et gras. Quand ils reviennent. Et quelques-uns sont déjà partis pour Paris ou Le Havre. Il n’y a plus que des saisonniers dans le coin. Et ce n’est pas la crème du métier, je peux te le dire ! J’en réveille plus d’un à coups de pied aux fesses, endormis dans le foin ou même dans le fumier, souls qu’ils sont quand ils reviennent du cabaret. Mais tu as quelqu’un en tête ?
— Mon neveu Guillaume-Jean, le fils de ma sœur Gaëdig, cherche un engagement.
— Mais je croyais qu’il naviguait avec toi sur la Rance.
— C’est le cas, mais il n’est pas fait pour ça.
— Il est flemmard, ton neveu ? demande Fine, soupçonneuse.
— Pas du tout ! C’est un brave gars. Un peu taiseux, mais courageux. Et il aime les bêtes. Rien ne lui plaît plus que de soigner les vaches et les moutons. D’ailleurs, il se loue depuis quelques années déjà chez des cultivateurs du côté de Ploubezre entre deux campagnes de fluvial. Mais il lui faudrait du travail pour plusieurs mois dans l’année. Pour sûr, il n’est pas feignant, mais, que ça reste entre nous, il a peur de naviguer ; même sur les canaux ou sur la Rance. Il ne se sent bien qu’à terre. Et après ce qu’on a vécu dernièrement, il est décidé à finir son contrat avec moi et à chercher un engagement dans une ferme.
— Tu me rassures ! Que s’est-il passé dernièrement, pour qu’il soit effrayé à ce point ?
— Tu as entendu parler du chaland qui a chaviré au Châtelier ? J’ai repêché trois des marins tombés à l’eau. Malheureusement, cinq autres se sont noyés sous nos yeux. Et notre Guillaume, déjà peu à l’aise sur l’eau, a juré haut et fort qu’il ne serait jamais marin.
— Alors, c’était toi ! Je comprends mieux ton neveu ! Quand on n’est pas fait pour ça, la navigation n’a rien d’attirant. Il a quel âge maintenant ?
— Il a presque 17 ans et c’est un sacré gaillard ! Pas très grand, mais fort et courageux.
— Tu peux me l’amener quand ? demande Fine. Il n’est plus sous contrat ?