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Face à un texte rédigé par un être cher, Hélène s’interroge : est-ce le début d’un ouvrage ? Ces pages manuscrites, certaines tachées et usées, d’autres écornées, témoignent de l’expression d’un doute malheureux sur la transmission des auteurs familiaux. Emplie de nostalgie, ce récit éveille en elle le désir de le parcourir afin de communiquer avec Antoine, son bien-aimé disparu. Submergée par tous ces mots et émotions, elle se questionne sur la trame littéraire d’Antoine : autobiographie ou fiction ? Quoi qu’il en soit, Hélène se réserve ces moments, peut-être les derniers, car à chaque lecture, les souvenirs de sa vie antérieure émergent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Serge Ollivier compte à son actif plusieurs ouvrages, notamment "Je pars" et "Les âmes du silence", tous deux publiés par Le Lys Bleu Éditions. Il poursuit son parcours littéraire avec "L’écho du silence", une exploration des chemins du destin à travers l’affirmation de soi.
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Serge Ollivier
L’écho du silence
Roman
© Lys Bleu Éditions – Serge Ollivier
ISBN : 979-10-422-2078-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Vivre, c’est expérimenter de manière continue ce qui résulte d’une situation de rencontre.
Piera Aulagnier
Hélène regardait les enfants qui jouaient en toute confiance, sous la surveillance des mères, dans le parc où les fleurs de printemps redonnaient, comme chaque année, la vie à tout cet environnement accueillant. Elle pensait instantanément au destin, en général, à leurs destins, à son destin. Mais que pouvait-elle en dire exactement ? Peu, en si peu de temps. La surprise, l’étrangeté, l’inattendu formatent sa venue, sa sentence. À l’exemple de Janus et ses deux visages, le sort accorde une vision vers l’avant, une autre vers le passé. Elle repensait aux événements où cette puissance supérieure annonçait la lumière par la nouveauté, le changement, la chance, l’opportunité, à ceux où l’ombre marquait la sanction, la punition, le fatal, l’irréversible.
Étrangement, toutes ses pensées immédiates reposaient sur des flashs d’histoires, d’actions, de lieux de vie qui ne l’incitaient pas à la minute même à les dérouler comme des chapitres à retracer. Ces instantanés rappelaient des voix, des visages, des lieux, des accidents, des incidents, des gens aimés, des inconnus. Elle admettait l’impuissance humaine à tout contrôler, à se remémorer les milliers de choses survenues. Elle savourait les surprises des réminiscences. Sous l’effet de ses pensées zigzagantes, des sursauts internes, elle regardait avec tendresse et amusement les scènes de vie animées à quelques mètres d’elle. Elle observait leur insouciance, leur plaisir à partager ces instants de la récréation. Les corps en mouvement, les cris désordonnés annonçaient l’apprentissage du lien, le futur renouvellement des générations, la reproduction d’une utopie, la violence des affects.
Les bruits des allées et venues de ces petits corps dessinaient des poursuites groupales. Ils trompaient les errances solitaires. Ils gardaient les pleurs intérieurs. Ils clamaient haut et fort les exploits des montées suivies des descentes du petit et grand toboggan. Ils soulignaient les bousculades, volontaires ou malencontreuses, explosées de colères adressées à l’autre, prenant quiconque à témoin. Ils acclamaient les réussites des premières fois après les hésitations ou les insouciances des prises de risque. Ils marquaient les ambivalences du jeu, du poussé ou du retenu, d’un trait du sadisme ou de la provocation amicale. Ils annonçaient les attirances saluées par la main dans la main. Ils subissaient silencieusement les rejets marqués par les tirages de cheveux. Ils rappelaient les enjeux pulsionnels chez ces petits bouts en train. Tout se répétait depuis la nuit des temps. Elle n’oubliait pas ceux du monde des adultes. Une image de torrent, alternant calme et furie, selon le bon vouloir de la nature, l’amenait étrangement à penser à l’avenir de l’humanité, au devenir de ces chérubins. Son espoir balançait entre plusieurs visions chahutées entre le froid et le chaud du pessimisme et de l’optimisme. Le monde, était-il en train de vaciller ?
La vie, modelée par la contradiction des envies et des élans, s’affichait là, à quelques pas. Ce vivant répétait depuis des ères le mouvement des aiguilles de l’horloge de l’humanité. Cette animation, faite de cris improvisés par une meute de bambins, soutenue par des déplacements colorés de la palette des couleurs, offrait en quelque sorte le spectacle d’un feu d’artifice enchanté par l’improvisation de la bande-son. Toute cette clameur se déchargeait sous le regard de ces jeunes femmes, allures modernes pour certaines, manières conservatrices pour d’autres, styles rebelles chez quelques-unes. La fierté du maternel se fissurait aux moindres stress engendrés par les chutes, les pleurs, les heurts. Elle n’avait jamais éprouvé ces frissons, parfois exagérés, liés au statut de maman. L’expérience de la maternité ne figurait pas sur la liste de ses regrets. Aurait-elle eu cette patience de mettre une part de sa vie au service des grossesses, de l’éducation, des peurs des lendemains, de l’idéal des réussites ? Elle ne savait pas. Elle ne se sentait plus concernée.
Elle se souvenait. Enfant unique, heureuse, même sans père, elle vécut avec Alicia les vingt premières années de sa jeunesse. Sa mère, employée de bureau, fit toute sa carrière dans une banque. Elles habitaient un appartement dans un HLM ; huit étages, sans oublier un ascenseur digne d’une promotion sociale. L’architecture excluait le balcon pour humer les premières traces de la pollution. Le parc pour s’époumoner au grand air, sautiller comme des jeunes animaux sauvages, se trouvait à quelques kilomètres, de l’autre côté de la cité.
Ses deux meilleures amies, Roselyne et Anne, vivaient à l’étage du dessous. Les intérieurs se confondaient comme des imitations involontaires. Les tables et les chaises présentaient la richesse du formica. Une même superficie, encombrée de mobiliers de style dépareillé, valorisait une cuisine qui dégageait des odeurs similaires. Les crucifix, les causes partagées sans la pratique, s’affichaient dans les mêmes angles, sans oublier les brins de lauriers au-dessus des têtes de lit rappelant la bénédiction de l’année en cours.
Elles se nommaient sœurs de cœur. Leurs tenues vestimentaires affichaient le milieu social de la classe moyenne. Elles construisaient leur destinée en argumentant des ambitions rapprochées. Elles soulevaient les mêmes préoccupations du quotidien sans la crainte de l’avenir. Elles s’accoutumaient à vivre la simplicité du lien. Elle la mettait au service de la politesse. Un va-et-vient entre les deux appartements, des pauses dans les escaliers occupaient les temps de la convivialité, des encas, des devoirs partagés, des amusements de petite fille, et plus tard des parlottes d’adolescente. La tranquillité acoquinée à l’obéissance, le non-questionnement du monde, l’ignorance des enjeux planétaires marquèrent les années qui passèrent très vite. Trop vite. L’innocence, le charme du tout suggéraient que chaque pas dans la vie annonçait de nouvelles perspectives. Les emplois du temps ne supposaient pas la démesure des passions.
Le plus souvent, elle choisissait l’autonomie de son espace personnel. Au début de sa quarantaine, Antoine entra dans sa vie. Son long célibat ne lui sembla pas trop pesant bien que certaines soirées passées devant la télé semblaient interminables. Elle adorait l’être solitaire qu’elle manifestait aux moments des recueillements. Elle voyageait dans le monde des ailleurs, allongée sur le sable d’une plage où le bruit des vagues la berçait jusqu’à l’endormissement. Les promenades en forêt, en vacances à la campagne, chez les grands-parents vieillissants, éblouies de l’inattendu, faisaient oublier le train-train quotidien. Assisse, les jambes en croix, la lecture la happait pour rêver les envolées des mots. La découverte d’une exposition l’incitait à apprendre et apprécier l’art. De temps en temps, elle retrouvait ses deux amies pour partager des projets de voyage, pour rire simplement des instants de la camaraderie. L’amitié demeurait centrale dans ses relations affectives. Avec Antoine, ils vivaient le monde comme des particules libres reliées aux brouhahas du quotidien.
Plus loin, la continuité de l’agitation s’accordait à la réalité du jour ensoleillé. Une ménagerie abritait des canards, des oies, autres animaux à la vue des promeneurs, des bambins, des solitaires, des désorientés. Les cancans, les criaillements concurrençaient les vocalises, les symphonies des oiseaux. Elle pensait aux serins, aux perruches, à tous ces autres oiseaux, elle ne connaissait pas les noms, cloîtrés dans la petite volière vue sur sa gauche. Ils paraissaient libres par la répétition de leurs hymnes sans oublier la spontanéité de leur langage. Emprisonnement et liberté, ces deux mots vibraient à cet instant où l’harmonie et la dysharmonie proposaient les gammes musicales d’un orchestre bigarré.
La mort, inattendue et sournoise, se collait instantanément à ses souvenirs. La vue de la génération à laquelle elle n’appartenait pas encore, déambulant le corps serré, les pas mesurés dans les allées de la répétition de la douleur, indiquait son présent. Elle prévoyait également un avenir qui se rétrécissait inévitablement. Elle pensa au chant du cygne, repris par les auteurs, les poètes, annonciateur des fins de vie ou des dernières paroles, à la perte dans cette lutte sur l’inéluctable, au dernier témoignage d’Antoine, plus particulièrement à ce dernier au revoir juste avant de franchir la porte, annonçant à tout à l’heure. La fin des mots d’Antoine se résumait à une invitation à plus tard.
La pensée de Montaigne : La mort n’est pas le but de la vie, mais le bout de la vie traversa son esprit. Elle la relativisait, pensant aux clins d’œil de l’âme voyageuse d’Antoine. Les trajets de vie des êtres humains, notés de traces aux pointillés visibles ou invisibles, sont singuliers. Heureusement ! pensa-t-elle. La chance, la malchance apparaissaient-elles de connivence avec le hasard ? Une question qu’elle se posait subrepticement à la vue de ce petit garçon. Il se relevait d’une chute, pleurant et observant le trop d’une petite égratignure. La tristesse ne l’envahissait pas. La journée était éclairée par un ciel dégagé. La température incitait à la mobilité, au changement, au renouveau.
Elle se présentait seule, assisse sur ce banc, en proximité d’un bouquet de châtaigniers adossés pour certains à des marronniers, pour d’autres à des chênes. Cet enclos rappelait un champ transformé en jardin tout fou, aménagé en toute permission dans sa forme et son style. Il autorisait la gratuité de le traverser sans la crainte d’aplatir ou de déterrer la pelouse. Les conditions d’une amende du garde champêtre ne complétaient aucun article du règlement intérieur. Quelques mauvaises herbes prouvaient que ce lieu n’était pas l’œuvre d’un grand jardinier comme André Le Nôtre. La vision spatiale se limitait aux arbustes implantés autour de ce périmètre. La simplicité de son organisation certifiait l’idée d’un espace intime, chaleureux, bienveillant. Les différents coloris des fleurs et des plantes valorisaient cette saison.
Elle se voyait tout de même quelque peu vieillie, plus lente dans ses déplacements. Elle sollicitait le temps de vie. Elle supposait un indéfini à la vue d’un bleu clair flamboyant. Ce plafond accentuait l’espace infini de son regard. Que restera-t-il d’elle après ce passage terrestre ? Et, cette terre, en transformation permanente par les Hommes, pour le bien comme pour le pire, que deviendra-t-elle ?
Sauf l’hiver, saison de la perte des feuillages pour certains, ces arbres offraient, sans l’attente d’un retour, ce coin d’ombre rafraîchissant qu’ils chérissaient ces dernières années, surtout le dimanche, seul jour où ils ne travaillaient pas. Devenus des habitués de ce lieu, comme de bons locataires des petits mètres carrés proposés, pas très loin d’un vieux manège qui tournait, comme dans l’ancien temps, dans le sens inverse de la trotteuse d’une montre, ils demeuraient à l’affût de la disponibilité de ce siège en bois strié, dépeint par les ans. Il le voulait difficilement partageable. Ils s’assuraient d’être les premiers profiteurs, assis à ce rendez-vous hebdomadaire, en dehors des temps froids ou pluvieux.
Chacun apportait un livre ou une revue pour satisfaire le plaisir de l’évasion. Ils s’oubliaient à la découverte des textes courts ou des romances annoncées. Les phrases lues, dans le silence, par ces deux retirés, se baladaient incognito dans cet espace propice aux moments du repos, de la détente, de la rêverie. La pause permettait l’échange littéraire considéré comme leur jeu à eux. Ils voulaient croire en l’éternité des idées. Ils n’étaient pas dupes du jour fatal de l’un ou de l’autre. Antoine avait malgré tout la fâcheuse habitude de palabrer à la moindre évocation d’un auteur.
Elle ne croyait pas avoir été soumise au choix dans la vie, entre solitude et vulgarité, comme le suggérait un certain philosophe. Ces arbres qu’elle regardait comme une amoureuse isolée, quand allaient-ils mourir ou se retrouver déracinés par des vents violents ?
Antoine l’avait quittée brutalement. Un an déjà. Elle ne choisissait pas la solitude. Elle la subissait dorénavant, tout en ressentant ce brin de liberté, à être soi-même, dans ses gestes et décisions, dès le lever du jour. Elle ressentait poindre une énergie qui l’incitait à voler de ses propres ailes, plus exactement, à expérimenter ce qu’elle n’avait jamais osé écrire depuis longtemps dans son agenda. C’était nouveau. Elle avait soixante-quatre ans. Elle souhaitait s’inscrire dans une chorale et pourquoi ne pas voyager !
Que voulait dire faire son deuil ? Et si c’était le deuil qui nous oblige à être ! Rolland Barthes signifiait dans sa réflexion que la langue contraint à dire. Chacun échoue toujours à parler de lui-même. Le couple, imposerait-il une perte de son être profond ? Cette question la gênait quelque part. Elle avait aimé Antoine. Elle l’aimait encore. Elle ne supposait pas une grande frustration ou un grand manque à son affranchissement. Pour autant, elle s’était confrontée à des petits talus à franchir. Elle percevait l’ubac et l’adret des risques possibles. Elle resta le plus souvent à la lisière, excepté deux ou trois fois où elle sollicita la peur d’être reconnue et jugée. Elle questionnait le désir, son désir d’hier, son désir d’aujourd’hui, son vouloir-vivre.
Elle soupesait ce texte d’une centaine de pages. Le considérait-elle comme un début de manuscrit ? Peut-être ! Elle pensait à l’écriture d’un malaise. À chaque fois, la rêverie nostalgique, sans le flux de la mélancolie, déclenchait l’envie de le relire comme pour fixer un bonjour, un bonsoir, une bonne nuit à son disparu. Le feuilletage des hier occupait le passe-temps. Ces copies de papier, écrites à la main, par Antoine, certaines maculées par endroits de taches séchées, d’autres écornées à force de les triturer dans tous les sens, décrivaient un doute malheureux sur la transmission des auteurs familiaux. Ses proches, censés participer à la construction de la vie de l’enfant, devenu cet homme, avaient peut-être échoué. Cette rédaction témoignait d’une implosion psychique à un moment particulier et tardif.
Là, elle s’accordait le temps de la dernière fois. Elle interrogeait la trame littéraire prise par Antoine. Était-ce une forme d’autobiographie, ou au contraire déroulait-il une liste de confidences ? Peu importe, se disait-elle ! Allait-elle les conserver sous cette forme volante ? Pourquoi ne pas les relier pour en sortir un fascicule ? Elle n’ignorait pas le rappel émotionnel provoqué par la vue d’une photo d’un être cher. Un regard s’amuse, par inadvertance, de quelques anecdotes de vie. Il soulève quelques situations de partage. Il défile quelques minutes de complicité. À d’autres moments, pris par les allées et venues dans la pièce, il ignore les amertumes.
Là, cet écrit risquait de demeurer au fond d’un tiroir, à l’exemple d’une relique délaissée. Un bouquin, avec une belle couverture, pour elle seule, mis en avant sur une étagère, figurerait au contraire comme un hommage à son alter ego. Il prolongerait un engagement différent d’un amour. Il rappellerait plutôt une amitié amoureuse. Elle ne sentait pas prête à répondre à ces questionnements. Inscrire un tel projet dans un ordre du jour paraissait décalé, voire plus éloigné de son projet de vie en cours. Elle portait une attention familière, mêlée de respect, aux pensées formulées par Antoine. Elle parcourait une plume personnelle, intime. Elle la supposait réparatrice des incompréhensions d’Antoine. Ses croyances semblaient exagérées. À la découverte des mystères de ses parents, il chuta sans la garantie d’un filet de protection. Elle le comprenait de cette manière.
Quel regret ! Antoine vivait un malaise profond. Cette situation avait totalement échappé à sa surveillance amicale. Pourquoi n’avait-il pas témoigné sa stupéfaction à l’issue du passage de Lola ? Et cette chute ! Malencontreux accident, acte délibéré pour en finir, prise de risque inconsciente, elle restait attachée au témoignage du conducteur. Il certifiait qu’Antoine ne pouvait pas ne pas l’avoir vu arriver sur sa droite.
Elle doutait encore de la décision de l’une des trois Parques signant la fin des fins. L’angoissé du lendemain s’oublia, volontairement ou involontairement, en traversant la rue. Son visage tourna à la dernière seconde vers la voiture qui arrivait dans son bon droit. La chute, après cette fulgurante envolée, fut mortelle. Sa tête heurta violemment la bordure du trottoir. L’instant se déclara fatal, au point de signer le dernier instant de son vivant. Les traces de sang, restées quelque temps sur le bitume, marquèrent le constat de son dernier souffle. Le clap de fin autorisait l’accès à un autre monde inconnu.
Ses yeux commencèrent à redécouvrir les premières lignes du document tenu fermement dans sa main droite. Un malin coup de vent pouvait provoquer l’envol de ces pages. Elle ne devait ni les laisser divaguer dans les airs ni se cacher sous des branchages. Elle aimait la calligraphie des mots associés les uns aux autres. Elle commençait une nouvelle lecture. Combien de fois l’avait-elle lu ? Une feuille de l’un des arbres tomba sur le sol, tout près d’elle. Le signe d’un ailleurs. Elle ne chutait pas pour annoncer le renouvellement des saisons. Elle était tout simplement plus fragile que les autres.
Je m’appelle Antoine. Au début de l’été dernier, pendant quelques jours, je fus interné en urgence, à la clinique du Soleil.
Quelques mois avant mon hospitalisation, une jeune femme venue de l’Andalousie, se prénommant Lola, presque vingt ans plus jeune que moi, arriva incognito devant la librairie. Je sortais pour aller boire un café. Mon louchement, détail donné par sa mère pour me reconnaître, l’incita à m’interpeller. Elle s’annonça comme la fille d’Edith ; une ancienne amie de ma mère. Au fur et à mesure de la conversation, plus exactement du monologue, un temps révolu resurgit au point de faire les liens sur mon enfance. Tout redevenait une actualité surprenante à mon âge avançant.
Ce contact contraria un équilibre construit depuis quelques années. Ses confidences engendrèrent un effet papillon quime sidéra au point de déclencher, presque instantanément, une colère froide. Elle ne s’aperçut pas de l’uppercut qu’elle m’adressait de manière naïve. Sous l’effet du saisissement, je l’écoutais sans réagir. J’acceptais ses propos comme une évidence à ne pas contrarier, à ne pas contredire. Elle les prononça avec une assurance proche de la jubilation. Elle certifiait des vérités dérangeantes, difficiles pour moi à accepter, à intégrer. Je répondis machinalement à ses questions les plus urgentes. Je compris très vite que son passage s’inscrivait dans un programme de voyage de courte durée accompagné d’une curiosité. Elle cherchait davantage à entendre un essentiel à sa compréhension d’une époque qu’un développement narratif trop long. Je réussis à lui formuler que le relent de ce passé était étroit et court compte tenu de la surprise.
Malheureusement, cette rogne resta certainement trop contenue pendant quelques semaines. Je la ruminai sans en confier les causes à Hélène, mon épouse. Cette rage solitaire, silencieuse, ravageuse m’amena à monter un scénario d’usurpateur. Les vérités de Lola pénétrèrent dans mon esprit au point de se transformer en une idée fixe : mon monde familial m’apparaissait comme une fausseté. Étrangement, comme pour chasser ces débordements, me punir plus probablement, je pris la décision, jugée insensée par la suite, de rechercher un éditeur afin de publier, comme si j’en avais été l’auteur, sous le pseudo de Léo Vivaldi, un manuscrit, retrouvé sur une étagère. Je supposais qu’il avait été écrit par quelqu’un de très proche.