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« L'erreur spirite » de René Guénon est un ouvrage fondamental qui décortique avec une précision chirurgicale les fondements et les pratiques du spiritisme. Dans cette analyse percutante, Guénon dévoile les dangers et les illusions inhérents à ce mouvement spirituel moderne. L'auteur commence par retracer les origines du spiritisme, remontant à ses racines dans le mesmérisme et le magnétisme animal. Il expose ensuite méthodiquement les théories et les pratiques spirites, les confrontant aux principes de la métaphysique traditionnelle. Guénon démontre comment le spiritisme, loin d'être une voie spirituelle authentique, n'est qu'une déviation moderne qui égare ses adeptes. Au coeur de sa critique, Guénon s'attaque à la notion de médiumnité, pierre angulaire du spiritisme. Il explique comment les phénomènes psychiques observés lors des séances spirites peuvent être expliqués par des causes naturelles, sans recourir à l'intervention des « esprits des morts ». Cette analyse s'inscrit parfaitement dans la catégorie des « Études ésotériques » sur les plateformes de vente en ligne. L'ouvrage aborde également les dangers psychiques et spirituels auxquels s'exposent les pratiquants du spiritisme. Guénon met en garde contre les risques de déséquilibre mental et de possession psychique, offrant ainsi une perspective critique essentielle pour quiconque s'intéresse à l'« Occultisme et paranormal ». « L'erreur spirite » ne se contente pas de critiquer ; il propose une alternative en présentant les principes de la spiritualité traditionnelle. Guénon oppose à l'illusion spirite la sagesse des traditions orientales et occidentales, offrant ainsi une voie de « Développement personnel et spirituel » authentique.
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Seitenzahl: 661
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Avant-propos
PREMIÈRE PARTIE
DISTINCTIONS ET PRÉCISIONS NÉCÉSSAIRES
Chapitre I - Définition du spiritisme
Chapitre II - Les origines du spiritisme
Chapitre III - Débuts du spiritisme en France
Chapitre IV - Caractère moderne du spiritisme
Chapitre V - Spiritisme et occultisme
Chapitre VI - Spiritisme et psychisme
Chapitre VII - L’explication des phénomènes
DEUXIÈME PARTIE
EXAMEN DES THÉORIES SPIRITES
Chapitre I - Diversité des écoles spirites
Chapitre II - L’influence du milieu
Chapitre III - Immortalité et survivance
Chapitre IV - Les représentations de la survie
Chapitre V - La communication avec les morts
Chapitre VI - La réincarnation
Chapitre VII - Extravagances réincarnationnistes
Chapitre VIII - Les limites de l’expérimentation
Chapitre IX - L’évolutionnisme spirite
Chapitre X - La question du satanisme
Chapitre XI - Voyants et guérisseurs
Chapitre XII - L’antoinisme
Chapitre XIII La propagande spirite
Chapitre XIV - Les dangers du spiritisme
Conclusion
En abordant la question du spiritisme, nous tenons à dire tout de suite, aussi nettement que possible, dans quel esprit nous entendons la traiter. Une foule d’ouvrages ont déjà été consacrés à cette question, et, dans ces derniers temps, ils sont devenus plus nombreux que jamais ; pourtant, nous ne pensons pas qu’on ait encore dit là-dessus tout ce qu’il y avait à dire, ni que le présent travail risque de faire double emploi avec aucun autre. Nous ne nous proposons pas, d’ailleurs, de faire un exposé complet du sujet sous tous ses aspects, ce qui nous obligerait à reproduire trop de choses qu’on peut trouver facilement dans d’autres ouvrages, et ce qui serait, par conséquent, une tâche aussi énorme que peu utile. Nous croyons préférable de nous borner aux points qui ont été traités jusqu’ici de la façon la plus insuffisante : c'est pourquoi nous nous attacherons tout d’abord à dissiper les confusions et les méprises que nous avons eu fréquemment l’occasion de constater en cet ordre d’idées, et ensuite nous montrerons surtout les erreurs qui forment le fond de la doctrine spirite, si tant est que l’on puisse consentir à appeler cela une doctrine.
Nous pensons qu’il serait difficile, et d’ailleurs peu intéressant, d’envisager la question, dans son ensemble, au point de vue historique ; en effet, on peut faire l’histoire d’une secte bien définie, formant un tout nettement organisé, ou possédant au moins une certaine cohésion ; mais ce n’est pas ainsi que se présente le spiritisme. Il est nécessaire de faire remarquer que les spirites ont été, dès l’origine, divisés en plusieurs écoles, qui se sont encore multipliées par la suite, et qu’ils ont toujours constitué d’innombrables groupements indépendants et parfois rivaux les uns des autres ; si même il était possible de dresser une liste complète de toutes ces écoles et de tous ces groupements, la fastidieuse monotonie d’une telle énumération ne serait certes pas compensée par le profit qu’on en pourrait retirer. Et encore faut-il ajouter que, pour pouvoir se dire spirite, il n’est nullement indispensable d’appartenir à une association quelconque ; il suffit d’admettre certaines théories, qui s’accompagnent ordinairement de pratiques correspondantes ; bien des gens peuvent faire du spiritisme isolément, ou en petits groupes, sans se rattacher à aucune organisation, et il y a là un élément que l’historien ne saurait atteindre. En cela, le spiritisme se comporte tout autrement que le théosophisme et la plupart des écoles occultistes ; ce point est loin d’être le plus important parmi tous ceux qui l’en distinguent, mais il est la conséquence de certaines autres différences moins extérieures, sur lesquelles nous aurons l’occasion de nous expliquer. Nous pensons que ce que nous venons de dire fait assez comprendre pourquoi nous n’introduirons ici les considérations historiques que dans la mesure où elles nous paraîtront susceptibles d’éclairer notre exposé, et sans en faire l’objet d’une partie spéciale.
Un autre point que nous n’entendons pas davantage traiter d’une façon complète, c’est l’examen des phénomènes que les spirites invoquent à l’appui de leurs théories, et que d’autres, tout en en admettant également la réalité, interprètent d’ailleurs d’une façon entièrement différente. Nous en dirons assez pour indiquer ce que nous pensons à cet égard, mais la description plus ou moins détaillée de ces phénomènes a été si souvent donnée par les expérimentateurs qu’il serait tout à fait superflu d’y revenir ; du reste, ce n’est pas là ce qui nous intéresse particulièrement, et nous préférons, à ce propos, signaler la possibilité de certaines explications que les expérimentateurs dont il s’agit, spirites ou non, ne soupçonnent certainement pas. Sans doute, il convient de remarquer que, dans le spiritisme, les théories ne sont jamais séparées de l’expérimentation, et nous n’entendons pas non plus les en séparer entièrement dans notre exposé ; mais ce que nous prétendons, c’est que les phénomènes ne fournissent qu’une base purement illusoire aux théories spirites, et aussi que, sans ces dernières, ce n’est plus du tout au spiritisme que l’on aurait affaire. D’ailleurs, cela ne nous empêche pas de reconnaître que, si le spiritisme était uniquement théorique, il serait beaucoup moins dangereux qu’il ne l’est et n’exercerait pas le même attrait sur bien des gens ; et nous insisterons d’autant plus sur ce danger qu’il constitue le plus pressant des motifs qui nous ont déterminé à écrire ce livre.
Nous avons déjà dit ailleurs combien est néfaste, à notre avis, l’expansion de ces théories diverses qui ont vu le jour depuis moins d’un siècle, et que l’on peut désigner, d’une façon générale, sous le nom de « néo-spiritualisme ». Assurément, il y a, à notre époque, bien d’autres « contrevérités », qu’il est bon de combattre également ; mais celles-là ont un caractère tout spécial, qui les rend plus nuisibles peut-être, et en tout cas d’une autre manière, que celles qui se présentent sous une forme simplement philosophique ou scientifique. Tout cela, en effet, est plus ou moins de la « pseudo-religion » ; cette expression, que nous avons appliquée au théosophisme, nous pourrions aussi l’appliquer au spiritisme ; bien que ce dernier affiche souvent des prétentions scientifiques en raison du côté expérimental dans lequel il croit trouver, non seulement la base, mais la source même de sa doctrine, il n’est au fond qu’une déviation de l’esprit religieux, conforme à cette mentalité « scientiste » qui est celle de beaucoup de nos contemporains. De plus, parmi toutes les doctrines « néo-spiritualistes », le spiritisme est certainement la plus répandue et la plus populaire, et cela se comprend sans peine, car il en est la forme la plus « simpliste », nous dirions même volontiers la plus grossière ; il est à la portée de toutes les intelligences, si médiocres soient-elles, et les phénomènes sur lesquels il s’appuie, ou du moins les plus ordinaires d’entre eux, peuvent aussi être facilement obtenus par n’importe qui. C’est donc le spiritisme qui fait le plus grand nombre de victimes, et ses ravages se sont encore accrus en ces dernières années, dans des proportions inattendues, par un effet du trouble que les récents événements ont apporté dans les esprits. Quand nous parlons ici de ravages et de victimes, ce ne sont point de simples métaphores : toutes les choses de ce genre, et le spiritisme plus encore que les autres, ont pour résultat de déséquilibrer et de détraquer irrémédiablement une foule de malheureux qui, s’ils ne les avaient rencontrées sur leur chemin, auraient pu continuer à vivre d’une vie normale. Il y a là un péril qui ne saurait être tenu pour négligeable, et que, dans les circonstances actuelles surtout, il est particulièrement nécessaire et opportun de dénoncer avec insistance ; et ces considérations viennent, pour nous, renforcer la préoccupation, d’ordre plus général, de sauvegarder les droits de la vérité contre toutes les formes de l’erreur.
Nous devons ajouter que notre intention n’est pas de nous en tenir à une critique purement négative ; il faut que la critique, justifiée par les raisons que nous venons de dire, nous soit une occasion d’exposer en même temps certaines vérités. Alors même que, sur bien des points, nous serons obligé de nous borner à des indications assez sommaires pour rester dans les limites que nous entendons nous imposer, nous n’en pensons pas moins qu’il nous sera possible de faire entrevoir ainsi bien des questions ignorées, susceptibles d’ouvrir de nouvelles voies de recherches à ceux qui sauront en apprécier la portée. Nous tenons d’ailleurs à prévenir que notre point de vue est fort différent, sous bien des rapports, de celui de la plupart des auteurs qui ont parlé du spiritisme, pour le combattre aussi bien que pour le défendre ; nous nous inspirons toujours, avant tout, des données de la métaphysique pure, telle que les doctrines orientales nous l’ont fait connaître ; nous estimons que c’est seulement ainsi qu’on peut réfuter pleinement certaines erreurs, et non en se plaçant sur leur propre terrain. Nous savons trop bien aussi que, au point de vue philosophique, et même au point de vue scientifique, on peut discuter indéfiniment sans en être plus avancé, et que se prêter à de telles controverses, c’est souvent faire le jeu de son adversaire, pour peu que celui-ci ait quelque habileté à faire dévier la discussion. Nous sommes donc plus persuadé que quiconque de la nécessité d’une direction doctrinale dont on ne doit jamais s’écarter, et qui seule permet de toucher impunément à certaines choses ; et, d’autre part, comme nous voulons ne fermer la porte à aucune possibilité, et ne nous élever que contre ce que nous savons être faux, cette direction ne peut être, pour nous, que de l’ordre métaphysique, dans le sens où nous avons dit ailleurs que l’on devait entendre ce mot. Il va de soi qu’un ouvrage comme celui-ci ne doit pas pour cela être regardé comme proprement métaphysique dans toutes ses parties ; mais nous ne craignons pas d’affirmer qu’il y a, dans son inspiration, plus de métaphysique vraie que dans tout ce à quoi les philosophes donnent ce nom indûment. Et que personne ne s’effraie de cette déclaration : cette métaphysique vraie à laquelle nous faisons allusion n’a rien de commun avec les subtilités rebutantes de la philosophie, ni avec toutes les confusions que celle-ci crée et entretient à plaisir, et, de plus, la présente étude, dans son ensemble, n’aura rien de la rigueur d’un exposé exclusivement doctrinal. Ce que nous voulons dire, c’est que nous sommes guidé constamment par des principes qui, pour quiconque les a compris, sont d’une absolue certitude, et sans lesquels on risque fort de s’égarer dans les ténébreux labyrinthes du « monde inférieur », ainsi que trop d’explorateurs téméraires, malgré tous leurs titres scientifiques ou philosophiques, nous en ont donné le triste exemple.
Tout cela ne signifie point que nous méprisions les efforts de ceux qui se sont placés à des points de vue différents du nôtre ; bien au contraire, nous estimons que tous ces points de vue, pour autant qu’ils sont légitimes et valables, ne peuvent que s’harmoniser et se compléter. Mais il y a des distinctions à faire et une hiérarchie à observer : un point de vue particulier ne vaut que dans un certain domaine, et il faut prendre garde aux limites au delà desquelles il cesse d’être applicable ; c’est ce qu’oublient trop souvent les spécialistes des sciences expérimentales. D’un autre côté, ceux qui se placent au point de vue religieux ont l’inappréciable avantage d’une direction doctrinale comme celle dont nous avons parlé, mais qui, en raison de la forme qu’elle revêt, n’est pas universellement acceptable, et qui d’ailleurs suffit à les empêcher de se perdre, mais non à leur fournir des solutions adéquates à toutes les questions. Quoi qu’il en soit, en présence des événements actuels, nous sommes persuadé qu’on ne fera jamais trop pour s’opposer à certaines activités malfaisantes, et que tout effort accompli dans ce sens, pourvu qu’il soit bien dirigé, aura son utilité, étant peut-être mieux adapté qu’un autre pour porter sur tel ou tel point déterminé ; et, pour parler un langage que quelques-uns comprendront, nous dirons encore qu’il n’y aura jamais trop de lumière répandue pour dissiper toutes les émanations du « Satellite sombre ».
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Puisque nous nous proposons de distinguer tout d’abord le spiritisme de diverses autres choses que l’on confond trop souvent avec lui, et qui en sont pourtant fort différentes, il est indispensable de commencer par le définir avec précision. À première vue, il semble que l’on puisse dire ceci : le spiritisme consiste essentiellement à admettre la possibilité de communiquer avec les morts : c’est là ce qui le constitue proprement, ce sur quoi toutes les écoles spirites sont nécessairement d’accord, quelles que soient leurs divergences théoriques sur d’autres points plus ou moins importants, qu’elles regardent toujours comme secondaires par rapport à celui-là. Mais ce n’est pas suffisant : le postulat fondamental du spiritisme, c’est que la communication avec les morts est, non seulement une possibilité, mais un fait ; si on l’admet uniquement à titre de possibilité, on n’est pas vraiment spirite par là même. Il est vrai que, dans ce dernier cas, on s’interdit de réfuter d’une façon absolue la doctrine des spirites, ce qui est déjà grave ; comme nous aurons à le montrer par la suite, la communication avec les morts, telle qu’ils l’entendent, est une impossibilité pure et simple, et ce n’est qu’ainsi que l’on peut couper court à toutes leurs prétentions d’une manière complète et définitive. En dehors de cette attitude, il ne saurait y avoir que des compromissions plus ou moins fâcheuses, et, quand on s’engage dans la voie des concessions et des accommodements, il est difficile de savoir où l’on s’arrêtera. Nous en avons la preuve dans ce qui est arrivé à certains, théosophistes et occultistes notamment, qui protesteraient énergiquement, et avec raison d’ailleurs, si on les traitait de spirites, mais qui, pour des raisons diverses, ont admis que la communication avec les morts pouvait avoir lieu réellement dans des cas plus ou moins rares et exceptionnels. Reconnaître cela, c’est en somme accorder aux spirites la vérité de leur hypothèse ; mais ceux-ci ne s’en contentent pas, et ce qu’ils prétendent, c’est que cette communication se produit d’une façon courante en quelque sorte, dans toutes leurs séances, et non pas seulement une fois sur cent ou sur mille. Donc, pour les spirites, il suffit de se placer dans certaines conditions pour que s’établisse la communication, qu’ils regardent ainsi, non comme un fait extraordinaire, mais comme un fait normal et habituel ; et c’est là une précision qu’il convient de faire entrer dans la définition même du spiritisme.
Il y a encore autre chose : jusqu’ici, nous avons parlé de communication avec les morts d’une façon très vague ; mais, maintenant, il importe de préciser que, pour les spirites, cette communication s’effectue par des moyens matériels. C’est là encore un élément qui est tout à fait essentiel pour distinguer le spiritisme de certaines autres conceptions, dans lesquelles on admet seulement des communications mentales, intuitives, une sorte d’inspiration ; les spirites les admettent bien aussi, sans doute, mais ce n’est pas à celles-là qu’ils accordent le plus d’importance. Nous discuterons ce point plus tard, et nous pouvons dire tout de suite que la véritable inspiration, que nous sommes fort loin de nier, a en réalité une tout autre source ; mais de telles conceptions sont certainement moins grossières que les conceptions proprement spirites, et les objections auxquelles elles donnent lieu sont d’un ordre quelque peu différent. Ce que nous regardons comme proprement spirite, c’est l’idée que les « esprits » agissent sur la matière, qu’ils produisent des phénomènes physiques, comme des déplacements d’objets, des coups frappés ou d’autres bruits variés, et ainsi de suite ; nous ne rappelons ici que les exemples les plus simples et les plus communs, qui sont aussi les plus caractéristiques. D’ailleurs, il convient d’ajouter que cette action sur la matière est supposée s’exercer, non pas directement, mais par l’intermédiaire d’un être humain vivant, possédant des facultés spéciales, et qui, en raison de ce rôle d’intermédiaire, est appelé « médium ». Il est difficile de définir exactement la nature du pouvoir « médiumnique » ou « médianimique », et, là-dessus, les opinions varient ; il semble qu’on le regarde le plus ordinairement comme étant d’ordre physiologique, ou, si l’on veut, psycho-physiologique. Remarquons dès maintenant que l’introduction de cet intermédiaire ne supprime pas les difficultés : il ne semble pas, au premier abord, qu’il soit plus facile à un « esprit » d’agir immédiatement sur l’organisme d’un être vivant que sur un corps inanimé quelconque ; mais ici interviennent des considérations un peu plus complexes.
Les « esprits », en dépit de l’appellation qu’on leur donne, ne sont pas regardés comme des êtres purement immatériels ; on prétend au contraire qu’ils sont revêtus d’une sorte d’enveloppe qui, tout en étant trop subtile pour être normalement perçue par les sens, n’en est pas moins un organisme matériel, un véritable corps, et que l’on désigne sous le nom plutôt barbare de « périsprit ». S’il en est ainsi, on peut se demander pourquoi cet organisme ne permet pas aux « esprits » d’agir directement sur n’importe quelle matière, et pourquoi il leur est nécessaire de recourir à un médium ; cela, à vrai dire, semble peu logique ; ou bien, si le « périsprit » est par lui-même incapable d’agir sur la matière sensible, il doit en être de même de l’élément correspondant qui existe dans le médium ou dans tout autre être vivant, et alors cet élément ne sert à rien dans la production des phénomènes qu’il s’agit d’expliquer. Naturellement, nous nous contentons de signaler en passant ces difficultés, qu’il appartient aux spirites de résoudre s’ils le peuvent ; il serait sans intérêt de poursuivre une discussion sur ces points spéciaux, parce qu’il y a beaucoup mieux à dire contre le spiritisme ; et, pour nous, ce n’est pas de cette façon que la question doit être posée. Cependant, nous croyons utile d’insister un peu sur la manière dont les spirites envisagent généralement la constitution de l’être humain, et de dire tout de suite, de façon à écarter toute équivoque, ce que nous reprochons à cette conception.
Les Occidentaux modernes ont l’habitude de concevoir le composé humain sous une forme aussi simplifiée et aussi réduite que possible, puisqu’ils ne le font consister qu’en deux éléments, dont l’un est le corps, et dont l’autre est appelé indifféremment âme ou esprit ; nous disons les Occidentaux modernes, parce que, à la vérité, cette théorie dualiste ne s’est définitivement implantée que depuis Descartes. Nous ne pouvons entreprendre de faire ici un historique, même succinct, de la question ; nous dirons seulement que, antérieurement, l’idée qu’on se faisait de l’âme et du corps ne comportait point cette complète opposition de nature qui rend leur union vraiment inexplicable, et aussi qu’il y avait, même en Occident, des conceptions moins « simplistes », et plus rapprochées de celles des Orientaux, pour qui l’être humain est un ensemble beaucoup plus complexe. À plus forte raison était-on loin de songer alors à ce dernier degré de simplification que représentent les théories matérialistes, plus récentes encore que toutes les autres, et d’après lesquelles l’homme n’est même plus du tout un composé, puisqu’il se réduit à un élément unique, le corps. Parmi les anciennes conceptions auxquelles nous venons de faire allusion, on en trouverait beaucoup, sans remonter à l’antiquité, et en allant seulement jusqu’au moyen âge, qui envisagent dans l’homme trois éléments, en distinguant l’âme et l’esprit ; il y a d’ailleurs un certain flottement dans l’emploi de ces deux termes, mais l’âme est le plus souvent l’élément moyen, auquel correspond en partie ce que quelques modernes ont appelé le « principe vital », tandis que l’esprit seul est alors l’être véritable, permanent et impérissable. C’est cette conception ternaire que les occultistes, ou du moins la plupart d’entre eux, ont voulu rénover, en y introduisant d’ailleurs une terminologie spéciale ; mais ils n’en ont point compris le vrai sens, et ils lui ont enlevé toute portée par la manière fantaisiste dont ils se représentent les éléments de l’être humain : ainsi, ils font de l’élément moyen un corps, le « corps astral », qui ressemble singulièrement au « périsprit » des spirites. Toutes les théories de ce genre ont le tort de n’être au fond qu’une sorte de transposition des conceptions matérialistes ; ce « néo-spiritualisme » nous apparaît plutôt comme un matérialisme élargi, et encore cet élargissement même est-il quelque peu illusoire. Ce dont ces théories se rapprochent le plus, et où il faut probablement en chercher l’origine, ce sont les conceptions « vitalistes », qui réduisent l’élément moyen du composé humain au seul rôle de « principe vital », et qui semblent ne l’admettre guère que pour expliquer que l’esprit puisse mouvoir le corps, problème insoluble dans l’hypothèse cartésienne. Le vitalisme, parce qu’il pose mal la question, et parce que, n’étant en somme qu’une théorie de physiologistes, il se place à un point de vue fort spécial, donne prise à une objection des plus simples : ou l’on admet, comme Descartes, que la nature de l’esprit et celle du corps n’ont pas le moindre point de contact, et alors il n’est pas possible qu’il y ait entre eux un intermédiaire ou un moyen terme ; ou l’on admet au contraire, comme les anciens, qu’ils ont une certaine affinité de nature, et alors l’intermédiaire devient inutile, car cette affinité suffit à expliquer que l’un puisse agir sur l’autre. Cette objection vaut contre le vitalisme, et aussi contre les conceptions « néo-spiritualistes » en tant qu’elles en procèdent et qu’elles adoptent son point de vue ; mais, bien entendu, elle ne peut rien contre des conceptions qui envisagent les choses sous de tout autres rapports, qui sont fort antérieures au dualisme cartésien, donc entièrement étrangères aux préoccupations que celui-ci a créées, et qui regardent l’homme comme un être complexe pour répondre aussi exactement que possible à la réalité, non pour apporter une solution hypothétique à un problème artificiel. On peut d’ailleurs, à des points de vue divers, établir dans l’être humain un nombre plus ou moins grand de divisions et de subdivisions, sans que de semblables conceptions cessent pour cela d’être conciliables ; l’essentiel est qu’on ne coupe pas cet être humain en deux moitiés qui semblent n’avoir aucun rapport entre elles, et qu’on ne cherche pas non plus à réunir après coup ces deux moitiés par un troisième terme dont la nature, dans ces conditions, n’est même pas concevable.
Nous pouvons maintenant revenir à la conception spirite, qui est ternaire, puisqu’elle distingue l’esprit, le « périsprit » et le corps ; en un sens, elle peut sembler supérieure à celle des philosophes modernes, en ce qu’elle admet un élément de plus, mais cette supériorité n’est qu’apparente, parce que la façon dont cet élément est envisagé ne correspond pas à la réalité. Nous reviendrons là-dessus par la suite, mais il est un autre point sur lequel, sans pouvoir le traiter complètement pour le moment, nous tenons à appeler dès maintenant l’attention, et ce point est celui-ci : si la théorie spirite est déjà fort inexacte en ce qui concerne la constitution de l’homme pendant la vie, elle est entièrement fausse lorsqu’il s’agit de l’état de ce même homme après la mort. Nous touchons ici au fond même de la question, que nous entendons réserver pour plus tard ; mais nous pouvons, en deux mots, dire que l’erreur consiste surtout en ceci : d’après le spiritisme, il n’y aurait rien de changé par la mort, si ce n’est que le corps a disparu, ou plutôt a été séparé des deux autres éléments, qui restent unis l’un à l’autre comme précédemment ; en d’autres termes, le mort ne différerait du vivant qu’en ce qu’il aurait un élément de moins, le corps. On comprendra sans peine qu’une telle conception soit nécessaire pour qu’on puisse admettre la communication entre les morts et les vivants, et aussi que la persistance du « périsprit », élément matériel, soit non moins nécessaire pour que cette communication puisse avoir lieu par des moyens également matériels ; il y a, entre ces divers points de la théorie, un certain enchaînement ; mais ce que l’on comprend beaucoup moins bien, c’est que la présence d’un médium constitue, aux yeux des spirites, une condition indispensable pour la production des phénomènes. Nous ne voyons pas, nous le répétons, pourquoi, l’hypothèse spirite étant admise, un « esprit » agirait autrement au moyen d’un « périsprit » étranger qu’au moyen du sien propre ; ou bien, si la mort modifie le « périsprit » de façon à lui enlever certaines possibilités d’action, la communication paraît bien compromise. Quoi qu’il en soit, les spirites insistent tellement sur le rôle du médium et y attachent une telle importance, qu’on peut dire sans exagération qu’ils en font un des points fondamentaux de leur doctrine.
Nous ne contestons nullement la réalité des facultés dites « médiumniques », et notre critique ne porte que sur l’interprétation qu’en donnent les spirites ; d’ailleurs, des expérimentateurs qui ne sont point spirites ne voient aucun inconvénient à employer le mot de « médiumnité », simplement pour se faire comprendre en se conformant à l’habitude reçue, et bien que ce mot n’ait plus alors sa raison d’être primitive ; nous continuerons donc à faire de même. D’un autre côté, quand nous disons que nous ne comprenons pas bien le rôle attribué au médium, nous voulons dire que c’est en nous plaçant au point de vue des spirites que nous ne le comprenons pas, du moins en dehors de certains cas déterminés : sans doute, si un « esprit » veut accomplir telles actions particulières, s’il veut parler par exemple, il ne pourra le faire qu’en s’emparant des organes d’un homme vivant ; mais ce n’est plus la même chose lorsque le médium ne fait que prêter à l’« esprit » une certaine force plus ou moins difficile à définir, et à laquelle on a donné des dénominations variées : force neurique, odique, ecténique, et bien d’autres encore. Pour échapper aux objections que nous avons soulevées précédemment, il faut admettre que cette force ne fait pas partie intégrante du « périsprit », et que, n’existant que dans l’être vivant, elle est plutôt de nature physiologique ; nous n’y contredisons pas, mais le « périsprit », si « périsprit » il y a, doit se servir de cette force pour agir sur la matière sensible, et alors on peut se demander quelle est son utilité propre, sans compter que l’introduction de ce nouvel intermédiaire est loin de simplifier la question. Enfin, il semble bien qu’il faille, ou distinguer essentiellement le « périsprit » et la force neurique, ou nier purement et simplement le premier pour ne conserver que la seconde, ou renoncer à toute explication intelligible. De plus, si la force neurique suffit à rendre compte de tout, ce qui s’accorde mieux que toute autre supposition avec la théorie médiumnique, l’existence du « périsprit » n’apparaît plus que comme une hypothèse toute gratuite ; mais aucun spirite n’acceptera cette conclusion, d’autant plus que, à défaut de toute autre considération, elle rend déjà bien douteuse l’intervention des morts dans les phénomènes, qu’il paraît possible d’expliquer plus simplement par certaines propriétés plus ou moins exceptionnelles de l’être vivant. Du reste, au dire des spirites, ces propriétés n’ont rien d’anormal : elles existent chez tout être humain, au moins à l’état latent ; ce qui est rare, c’est qu’elles atteignent un degré suffisant pour produire des phénomènes évidents, et les médiums proprement dits sont les individus qui se trouvent dans ce dernier cas, que leurs facultés se soient développées spontanément ou par l’effet d’un entraînement spécial ; encore cette rareté n’est-elle que relative.
Maintenant, il est encore un dernier point sur lequel nous jugeons utile d’insister : lorsqu’on parle de « communiquer avec les morts », on emploie une expression dont bien des gens, à commencer par les spirites eux-mêmes, ne soupçonnent certainement pas l’ambiguïté ; si l’on entre réellement en communication avec quelque chose, quelle en est exactement la nature ? Pour les spirites, la réponse est extrêmement simple : ce avec quoi l’on communique, c’est ce qu’ils appellent improprement des « esprits » ; nous disons improprement à cause de la présence supposée du « périsprit » ; un tel « esprit » est identiquement le même individu humain qui a vécu antérieurement sur la terre, et, à cela près qu’il est maintenant « désincarné », c’est-à-dire dépouillé de son corps visible et tangible, il est demeuré absolument tel qu’il était durant sa vie terrestre, ou plutôt il est tel qu’il serait si cette vie s’était continuée jusqu’à maintenant ; c’est, en un mot, l’homme véritable qui « survit » et qui se manifeste dans les phénomènes du spiritisme. Mais nous étonnerons fort les spirites, et sans doute aussi la plupart de leurs adversaires, en disant que la simplicité même de cette réponse n’a rien de satisfaisant ; quant à ceux qui auront compris ce que nous avons déjà dit à propos de la constitution de l’être humain et de sa complexité, ils comprendront aussi la corrélation qui existe entre les deux questions. La prétention de communiquer avec les morts dans le sens que nous venons de dire est quelque chose de très nouveau, et elle est un des éléments qui donnent au spiritisme un caractère spécifiquement moderne ; autrefois, s’il arrivait qu’on parlât aussi de communiquer avec les morts, c’est d’une tout autre façon qu’on l’entendait ; nous savons bien que cela paraîtra fort extraordinaire à la grande majorité de nos contemporains, mais pourtant c’est ainsi. Nous expliquerons cette affirmation par la suite, mais nous avons tenu à la formuler avant d’aller plus loin, d’abord parce que, sans cela, la définition du spiritisme demeurerait vague et incomplète, encore que beaucoup puissent ne pas s’en apercevoir, et aussi parce que c’est surtout l’ignorance de cette question qui fait prendre le spiritisme pour autre chose que la doctrine d’invention toute récente qu’il est en réalité.
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Le spiritisme date exactement de 1848 ; il importe de remarquer cette date, parce que diverses particularités des théories spirites reflètent la mentalité spéciale de leur époque d’origine, et parce que c’est dans les périodes troublées, comme le fut celle-là, que les choses de ce genre, grâce au déséquilibre des esprits, naissent et se développent de préférence. Les circonstances qui entourèrent les débuts du spiritisme sont assez connues et ont été maintes fois relatées ; il nous suffira donc de les rappeler brièvement, en insistant seulement sur les points qui sont plus particulièrement instructifs, et qui sont peut-être ceux qu’on a le moins remarqués.
On sait que c’est en Amérique que le spiritisme, comme beaucoup d’autres mouvements analogues, eut son point de départ : les premiers phénomènes se produisirent en décembre 1847 à Hydesville, dans l’État de New-York, dans une maison où venait de s’installer la famille Fox, qui était d’origine allemande, et dont le nom était primitivement Voss. Si nous mentionnons cette origine allemande, c’est que, si l’on veut un jour établir complètement les causes réelles du mouvement spirite, on ne devra pas négliger de diriger certaines recherches du côté de l’Allemagne ; nous dirons pourquoi tout à l’heure. Il semble bien, d’ailleurs, que la famille Fox n’ait joué là-dedans, au début du moins, qu’un rôle tout involontaire, et que, même par la suite, ses membres n’aient été que des instruments passifs d’une force quelconque, comme le sont tous les médiums. Quoi qu’il en soit, les phénomènes en question, qui consistaient en bruits divers et en déplacements d’objets, n’avaient en somme rien de nouveau ni d’inusité ; ils étaient semblables à ceux que l’on a observés de tout temps dans ce qu’on appelle les « maisons hantées » ; ce qu’il y eut de nouveau, c’est le parti qu’on en tira ultérieurement. Au bout de quelques mois, on eut l’idée de poser au frappeur mystérieux quelques questions auxquelles il répondit correctement ; pour commencer, on ne lui demandait que des nombres, qu’il indiquait par des séries de coups réguliers ; ce fut un Quaker nommé Isaac Post qui s’avisa de nommer les lettres de l’alphabet en invitant l’« esprit » à désigner par un coup celles qui composaient les mots qu’il voulait faire entendre, et qui inventa ainsi le moyen de communication qu’on appela spiritual telegraph. L’« esprit » déclara qu’il était un certain Charles B. Rosna, colporteur de son vivant, qui avait été assassiné dans cette maison et enterré dans le cellier, où l’on trouva effectivement quelques débris d’ossements. D’autre part, on remarqua que les phénomènes se produisaient surtout en présence des demoiselles Fox, et c’est de là que résulta la découverte de la médiumnité ; parmi les visiteurs qui accouraient de plus en plus nombreux, il y en eut qui crurent, à tort ou à raison, constater qu’ils étaient doués du même pouvoir. Dès lors, le modern spiritualism, comme on l’appela tout d’abord, était fondé ; sa première dénomination était en somme la plus exacte, mais, sans doute pour abréger, on en est arrivé, dans les pays anglo-saxons, à employer le plus souvent le mot spiritualism sans épithète ; quant au nom de « spiritisme », c’est en France qu’il fut inventé un peu plus tard.
Il se constitua bientôt des réunions ou spiritual circles, où de nouveaux médiums se révélèrent en grand nombre ; d’après les « communications » ou « messages » qu’on y reçut, ce mouvement spirite, ayant pour but l’établissement de relations régulières entre les habitants des deux mondes, avait été préparé par des « esprits » scientifiques et philosophiques qui, pendant leur existence terrestre, s’étaient occupés spécialement de recherches sur l’électricité et sur divers autres fluides impondérables. En tête de ces « esprits » se trouvait Benjamin Franklin, que l’on prétend avoir donné souvent des indications sur la manière de développer et de perfectionner les voies de communications entre les vivants et les morts. Dès les premiers temps, en effet, on s’ingénia à trouver, avec le concours des « esprits », des moyens plus commodes et plus rapides : de là les tables tournantes et frappantes, puis les cadrans alphabétiques, les crayons attachés à des corbeilles ou à des planchettes mobiles, et autres instruments analogues. L’emploi du nom de Benjamin Franklin, outre qu’il était assez naturel dans un milieu américain, est bien caractéristique de quelques-unes des tendances qui devaient s’affirmer dans le spiritisme ; lui-même n’était assurément pour rien dans cette affaire, mais les adhérents du nouveau mouvement ne pouvaient vraiment faire mieux que de se placer sous le patronage de ce « moraliste » de la plus incroyable platitude. Et, à ce sujet, il convient de faire une autre réflexion : les spirites ont conservé quelque chose de certaines théories qui avaient cours vers la fin du XVIIIe siècle, époque où l’on avait la manie de parler de « fluides » à tout propos ; l’hypothèse du « fluide électrique », aujourd’hui abandonnée depuis longtemps, servit de type à bien d’autres conceptions, et le « fluide » des spirites ressemble tellement à celui des magnétiseurs, que le mesmérisme, tout en étant fort éloigné du spiritisme, peut être regardé en un sens comme un de ses précurseurs et comme ayant contribué dans une certaine mesure à en préparer l’apparition.
La famille Fox, qui se considérait maintenant comme chargée tout spécialement de la mission de répandre la connaissance des phénomènes « spiritualistes », fut chassée de l’Église épiscopale méthodiste à laquelle elle appartenait. Par la suite, elle alla s’établir à Rochester, où les phénomènes continuèrent, et où elle fut d’abord en butte à l’hostilité d’une grande partie de la population ; il y eut même une véritable émeute dans laquelle elle faillit être massacrée, et elle ne dut son salut qu’à l’intervention d’un Quaker nommé George Willets. C’est la seconde fois que nous voyons un Quaker jouer un rôle dans cette histoire, et cela s’explique sans doute par quelques affinités que cette secte présente incontestablement avec le spiritisme : nous ne faisons pas seulement allusion aux tendances « humanitaires », mais aussi à l’étrange « inspiration » qui se manifeste dans les assemblées des Quakers, et qui s’annonce par le tremblement auquel ils doivent leur nom ; il y a là quelque chose qui ressemble singulièrement à certains phénomènes médiumniques, bien que l’interprétation diffère naturellement. En tout cas, on conçoit que l’existence d’une secte comme celle des Quakers ait pu contribuer à faire accepter les premières manifestations « spiritualistes »[1] ; peut-être y eut-il aussi, au XVIIIe siècle, une relation analogue entre les exploits des convulsionnaires jansénistes et le succès du « magnétisme animal »[2].
L’essentiel de ce qui précède est emprunté au récit d’un auteur américain, récit que tous les autres se sont ensuite contentés de reproduire plus ou moins fidèlement ; or il est curieux que cet auteur, qui s’est fait l’historien des débuts du modern spiritualism[3], soit Mme Emma Hardinge-Britten, qui était membre de la société secrète désignée par les initiales « H. B. of L. » (Hermetic Brotherhood of Luxor), dont nous avons déjà parlé ailleurs à propos des origines de la Société Théosophique. Nous disons que ce fait est curieux, parce que la H. B. of L., tout en étant nettement opposée aux théories du spiritisme, n’en prétendait pas moins avoir été mêlée d’une façon fort directe à la production de ce mouvement. En effet, d’après les enseignements de la H. B. of L., les premiers phénomènes « spiritualistes » ont été provoqués, non point par les « esprits » des morts, mais bien par des hommes vivants agissant à distance, par des moyens connus seulement de quelques initiés ; et ces initiés auraient été, précisément, les membres du « cercle intérieur » de la H. B. of L. Malheureusement, il est difficile de remonter, dans l’histoire de cette association, plus haut que 1870, c’est-à-dire que l’année même où Mme Hardinge-Britten publia le livre dont nous venons de parler (livre où il n’est d’ailleurs fait, bien entendu, aucune allusion à ce dont il s’agit maintenant) ; aussi certains ont-ils cru pouvoir dire que, malgré ses prétentions à une grande ancienneté, elle ne datait guère que de cette époque. Mais, même si cela était vrai, ce ne le serait que pour la forme que la H. B. of L. avait revêtue en dernier lieu ; en tout cas, elle avait recueilli l’héritage de diverses autres organisations qui, elles, existaient très certainement avant le milieu du XIXe siècle, comme la « Fraternité d’Eulis », qui était dirigée, au moins extérieurement, par Paschal Beverly Randolph, personnage fort énigmatique qui mourut en 1875. Au fond, peu importent le nom et la forme de l’organisation qui serait effectivement intervenue dans les événements que nous venons de rappeler ; et nous devons dire que la thèse de la H. B. of L., en elle-même et indépendamment de ces contingences, nous apparaît au moins comme fort plausible ; nous allons essayer d’en expliquer les raisons.
À cet effet, il ne nous paraît pas inopportun de formuler quelques observations générales sur les « maisons hantées », ou sur ce que certains ont proposé d’appeler des « lieux fatidiques » ; les faits de ce genre sont loin d’être rares, et ils ont été connus de tout temps ; on en trouve des exemples dans l’antiquité aussi bien qu’au moyen âge et dans les temps modernes, comme le prouve notamment ce qui est rapporté dans une lettre de Pline le Jeune. Or les phénomènes qui se produisent en pareil cas offrent une constance tout à fait remarquable ; ils peuvent être plus ou moins intenses, plus ou moins complexes, mais ils ont certains traits caractéristiques qui se retrouvent toujours et partout ; d’ailleurs, le fait de Hydesville ne doit certainement pas être compté parmi les plus remarquables, car on n’y constata que les plus élémentaires de ces phénomènes. Il convient de distinguer au moins deux cas principaux : dans le premier, qui serait celui de Hydesville si ce que nous avons rapporté est bien exact, il s’agit d’un lieu où quelqu’un a péri de mort violente, et où, de plus, le corps de la victime est demeuré caché. Si nous indiquons la réunion de ces deux conditions, c’est que, pour les anciens, la production des phénomènes était liée au fait que la victime n’avait pas reçu la sépulture régulière, accompagnée de certains rites, et que c’est seulement en accomplissant ces rites, après avoir retrouvé le corps, qu’on pouvait les faire cesser ; c’est ce qu’on voit dans le récit de Pline le Jeune, et il y a là quelque chose qui mériterait de retenir l’attention. À ce propos, il serait très important de déterminer exactement ce qu’étaient les « mânes » pour les anciens, et aussi ce que ceux-ci entendaient par divers autres termes qui n’étaient nullement synonymes, quoique les modernes ne sachent plus guère en faire la distinction ; les recherches de cet ordre pourraient éclairer d’une façon bien inattendue la question des évocations, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Dans le second cas, il ne s’agit plus de manifestations d’un mort, ou plutôt, pour rester dans le vague qui convient ici jusqu’à nouvel ordre, de quelque chose qui provient d’un mort ; on y saisit au contraire sur le fait l’action d’un homme vivant : il en est, dans les temps modernes, des exemples typiques, qui ont été soigneusement constatés dans tous leurs détails, et celui qui est le plus souvent cité, qui est devenu classique en quelque sorte, est constitué par les faits qui se produisirent au presbytère de Cideville, en Normandie, de 1849 à 1851, c’est-à-dire fort peu de temps après les événements de Hydesville, et alors que ceux-ci étaient encore à peu près inconnus en France[4]. Ce sont là, disons-le nettement, des faits de sorcellerie bien caractérisés, qui ne peuvent intéresser en rien les spirites, sauf en ce qu’ils paraissent fournir une confirmation à la théorie de la médiumnité entendue dans un sens assez large : il faut que le sorcier qui veut se venger des habitants d’une maison arrive à toucher l’un deux, qui deviendra dès lors son instrument inconscient et involontaire, et qui servira pour ainsi dire de « support » à une action qui pourra désormais s’exercer à distance, mais seulement lorsque ce « sujet » passif sera présent. Ce n’est pas un médium au sens où les spirites l’entendent, puisque l’action dont il est le moyen n’a pas la même origine, mais c’est quelque chose d’analogue, et l’on peut supposer tout au moins, sans préciser autrement, que des forces du même ordre sont mises en jeu dans tous les cas ; c’est ce que prétendent les occultistes contemporains qui ont étudié ces faits, et qui, il faut le dire, ont tous été plus ou moins influencés par la théorie spirite, En effet, depuis que le spiritisme existe, lorsqu’une maison hantée est signalée quelque part, on commence, en vertu d’une idée préconçue, par chercher le médium, et, avec un peu de bonne volonté, on arrive toujours à en découvrir un ou même plusieurs ; nous ne voulons pas dire qu’on ait toujours tort ; mais il y a eu aussi bien des exemples de lieux entièrement déserts, de demeures abandonnées, où des phénomènes de hantise se produisaient en l’absence de tout être humain, et l’on ne peut prétendre que des témoins accidentels, qui souvent ne les observaient que de loin, y aient joué le rôle de médiums. Il est peu vraisemblable que les lois suivant lesquelles agissent certaines forces, quelles qu’elles soient, aient été changées ; nous maintiendrons donc, contre les occultistes, que la présence d’un médium n’est pas toujours une condition nécessaire, et qu’il faut, ici comme ailleurs, se défier des préjugés qui risquent de fausser le résultat d’une observation. Nous ajouterons que la hantise sans médium appartient au premier des deux cas que nous avons distingués ; un sorcier n’aurait aucune raison de s’en prendre à un lieu inhabité, et d’ailleurs il se peut qu’il ait besoin, pour agir, de conditions qui ne sont point requises pour des phénomènes qui se produisent spontanément, alors même que ces phénomènes présentent des apparences à peu près similaires de part et d’autre. Dans le premier cas, qui est la véritable hantise, la production des phénomènes est attachée au lieu même qui a été le théâtre d’un crime ou d’un accident, et où certaines forces se trouvent condensées d’une façon permanente ; c’est donc sur le lieu que les observateurs devraient alors porter principalement leur attention ; maintenant, que l’action des forces en question soit parfois intensifiée par la présence de personnes douées de certaines propriétés, cela n’a rien d’impossible, et c’est peut-être ainsi que les choses se sont passées à Hydesville, en admettant toujours que les faits aient été rapportés exactement, ce que nous n’avons d’ailleurs aucune raison spéciale de mettre en doute.
Dans ce cas qui semble explicable par « quelque chose » que nous n’avons pas défini, qui provient d’un mort, mais qui n’est certainement pas son esprit, si par esprit on entend la partie supérieure de l’être, cette explication doit-elle exclure toute possibilité d’intervention d’hommes vivants ? Nous le croyons pas nécessairement, et nous ne voyons pas pourquoi une force préexistante ne pourrait pas être dirigée et utilisée par certains hommes qui en connaissent les lois ; il semble plutôt que cela doive être relativement plus facile que d’agir là où aucune force de ce genre n’existait antérieurement, ce que fait pourtant un simple sorcier. Naturellement, on doit supposer que des « adeptes », pour employer un terme rosicrucien dont l’usage est devenu assez courant, ou des initiés d’un rang élevé, ont des moyens d’action supérieurs à ceux des sorciers, et d’ailleurs très différents, non moins que le but qu’ils se proposent ; sous ce dernier rapport, il faudrait remarquer aussi qu’il peut y avoir des initiés de bien des sortes, mais, pour le moment, nous envisageons la chose d’une façon tout à fait générale. Dans l’étrange discours qu’elle prononça en 1898 devant une assemblée de spirites, et que nous avons cité longuement dans notre histoire du théosophisme[5], Mme Annie Besant prétendit que les « adeptes » qui avaient provoqué le mouvement « spiritualiste » s’étaient servis des « âmes des morts » ; comme elle se proposait de tenter un rapprochement avec les spirites, elle sembla, avec plus ou moins de sincérité, prendre cette expression d’« âmes des morts » dans le sens que ceux-ci lui donnent ; mais nous qui n’avons aucune arrière-pensée « politique », nous pouvons fort bien l’entendre d’une tout autre façon, comme désignant simplement ce « quelque chose » dont nous avons parlé. Il nous semble que cette interprétation s’accorde beaucoup mieux que toute autre avec la thèse de la H. B. of L. ; assurément, ce n’est pas là ce qui nous importe le plus, mais cette constatation nous donne à penser que les membres de l’organisation dont il s’agit, ou tout au moins ses dirigeants, savaient vraiment à quoi s’en tenir sur la question ; en tout cas, ils le savaient certainement mieux que Mme Besant, dont la thèse, malgré le correctif qu’elle y apportait, n’était pas beaucoup plus acceptable pour les spirites. Nous croyons d’ailleurs qu’il est exagéré, en la circonstance, de vouloir faire intervenir des « adeptes » au sens strict de ce mot ; mais nous répétons qu’il se peut que des initiés, quels qu’ils soient, aient provoqué les phénomènes de Hydesville, en se servant des conditions favorables qu’ils y rencontraient, ou qu’ils aient à tout le moins imprimé une certaine direction déterminée à ces phénomènes alors qu’ils avaient déjà commencé à se produire. Nous n’affirmons rien à cet égard, nous disons seulement que la chose n’a rien d’impossible, quoi que certains puissent en penser ; nous ajouterons cependant qu’il y a encore une autre hypothèse qui peut paraître plus simple, ce qui ne veut pas dire forcément qu’elle soit plus vraie : c’est que les agents de l’organisation en cause, que ce soit la H. B. of L. ou toute autre, se soient contentés de profiter de ce qui se passait pour créer le mouvement « spiritualiste », en agissant par une sorte de suggestion sur les habitants et les visiteurs de Hydesville. Cette dernière hypothèse représente pour nous un minimum d’intervention, et il faut bien accepter au moins ce minimum, car, sans cela, il n’y aurait aucune raison plausible pour que le fait de Hydesville ait eu des conséquences que n’avaient jamais eues les autres faits analogues qui s’étaient présentés antérieurement ; si un tel fait était, par lui-même, la condition suffisante de la naissance du spiritisme, celui-ci serait certainement apparu à une époque beaucoup plus reculée. Du reste, nous ne croyons guère aux mouvements spontanés, que ce soit dans l’ordre politique, ou dans l’ordre religieux, ou dans ce domaine assez mal défini dont nous nous occupons présentement ; il faut toujours une impulsion, encore que les gens qui deviennent ensuite les chefs apparents du mouvement puissent souvent en ignorer la provenance tout autant que les autres ; mais il est bien difficile de dire exactement comment les choses se sont passées dans un cas de ce genre, car il est évident que ce côté des événements ne se trouve consigné dans aucun procès-verbal, et c’est pourquoi les historiens qui veulent à toute force ne s’appuyer que sur les seuls documents écrits n’en tiennent aucun compte et préfèrent le nier purement et simplement, alors que c’est peut-être ce qu’il y a de plus essentiel. Ces dernières réflexions ont, dans notre pensée, une portée très générale ; nous les bornerons là pour ne pas nous lancer dans une trop longue digression, et nous reviendrons sans plus tarder à ce qui concerne spécialement l’origine du spiritisme.
Nous avons dit qu’il y avait eu des cas similaires à celui de Hydesville, et plus anciens ; le plus semblable de tous, c’est ce qui se passa en 1762 à Dibbelsdorf, en Saxe, où le « spectre frappeur » répondit exactement de la même façon aux questions qu’on lui posait[6] ; si donc il n’avait pas fallu autre chose, le spiritisme aurait fort bien pu naître en cette circonstance, d’autant plus que l’événement eut assez de retentissement pour attirer l’attention des autorités et celle des savants. D’autre part, quelques années avant les débuts du spiritisme, le Dr Kerner avait publié un livre sur le cas de la « voyante de Prevorst », Mme Hauffe, autour de laquelle se produisaient de nombreux phénomènes du même ordre ; on remarquera que ce cas, comme le précédent, a eu lieu en Allemagne, et, bien qu’il y en ait eu aussi en France et ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles nous avons noté l’origine allemande de la famille Fox. Il est intéressant, à ce propos, d’indiquer d’autres rapprochements ; dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, certaines branches de la haute Maçonnerie allemande s’occupèrent particulièrement d’évocations ; l’histoire la plus connue dans ce domaine est celle de Schrœpfer, qui se suicida en 1774. Ce n’était pas de spiritisme qu’il s’agissait alors, mais de magie, ce qui est extrêmement différent, comme nous l’expliquerons par la suite ; mais il n’en est pas moins vrai que des pratiques de ce genre, si elles avaient été vulgarisées, auraient pu déterminer un mouvement tel que le spiritisme, par suite des idées fausses que le grand public se serait faites inévitablement à leur sujet. Il y eut certainement aussi en Allemagne, depuis le début du XIXe siècle, d’autres sociétés secrètes qui n’avaient pas le caractère maçonnique, et qui s’occupaient également de magie et d’évocations, en même temps que de magnétisme ; or la H. B. of L., ou ce dont elle prit la suite, fut précisément en rapport avec certaines de ces organisations. Sur ce dernier point, on peut trouver des indications dans un ouvrage anonyme intitulé Ghostland[7], qui fut publié sous les auspices de la H. B. of L., et que quelques-uns ont même cru pouvoir attribuer à Mme Hardinge-Britten ; pour notre part, nous ne croyons pas que celle-ci en ait été réellement l’auteur, mais il est au moins probable que c’est elle qui s’occupa de l’éditer[8]. Nous pensons qu’il y aurait lieu de diriger de ce côté des investigations dont le résultat pourrait être fort important pour dissiper certaines obscurités ; si pourtant le mouvement spirite ne fut pas suscité tout d’abord en Allemagne, mais en Amérique, c’est qu’il devait trouver dans cette dernière contrée un milieu plus favorable que partout ailleurs, comme le prouve du reste la prodigieuse éclosion de sectes et d’écoles « néo-spiritualistes » qu’on a pu y constater depuis lors, et qui se continue actuellement plus que jamais.
Il nous reste à poser ici une dernière question : quel but se proposaient les inspirateurs du modern spiritualism à ses débuts ? Il semble que le nom même qui fut alors donné à ce mouvement l’indique d’une façon assez claire : il s’agissait de lutter contre l’envahissement du matérialisme, qui atteignit effectivement à cette époque sa plus grande extension, et auquel on voulait opposer ainsi une sorte de contrepoids ; et, en appelant l’attention sur des phénomènes pour lesquels le matérialisme, du moins le matérialisme ordinaire, était incapable de fournir une explication satisfaisante, on le combattait en quelque sorte sur son propre terrain, ce qui ne pouvait avoir de raison d’être qu’à l’époque moderne, car le matérialisme proprement dit est d’origine fort récente, aussi bien que l’état d’esprit qui accorde aux phénomènes et à leur observation une importance presque exclusive. Si le but fut bien celui que nous venons de définir, en nous référant d’ailleurs aux affirmations de la H. B. of L., c’est maintenant le moment de rappeler ce que nous avons dit plus haut en passant, qu’il y a des initiés de sortes très différentes, et qui peuvent se trouver souvent en opposition entre eux ; ainsi, parmi les sociétés secrètes allemandes auxquelles nous avons fait allusion, il en est qui professaient au contraire des théories absolument matérialistes, quoique d’un matérialisme singulièrement plus étendu que celui de la science officielle. Bien entendu, quand nous parlons d’initiés comme nous le faisons en ce moment, nous ne prenons pas ce mot dans son acception la plus élevée, mais nous voulons simplement désigner par là des hommes possédant certaines connaissances qui ne sont pas dans le domaine public ; c’est pourquoi nous avons eu soin de préciser qu’il devait y avoir erreur à supposer que des « adeptes » aient pu être intéressés, au moins directement, à la création du mouvement spirite. Cette remarque permet de s’expliquer qu’il existe des contradictions et des oppositions entre des écoles différentes ; nous ne parlons naturellement que des écoles qui ont des connaissances réelles et sérieuses, bien que d’un ordre relativement inférieur, et qui ne ressemblent en rien aux multiples formes du « néo-spiritualisme » ; ces dernières en seraient plutôt des contrefaçons. Maintenant, une autre question se présente encore : susciter le spiritisme pour lutter contre le matérialisme, c’était en somme combattre une erreur par une autre erreur ; pourquoi donc agir ainsi ? Il se peut, à vrai dire, que le mouvement ait promptement dévié en s’étendant et se popularisant, qu’il ait échappé au contrôle de ses inspirateurs, et que le spiritisme ait pris dès lors un caractère qui ne répondait guère à leurs intentions ; quand on veut faire œuvre de vulgarisation, on doit s’attendre à des accidents de ce genre, qui sont à peu près inévitables, car il est des choses qu’on ne met pas impunément à la portée du premier venu, et cette vulgarisation risque d’avoir des conséquences qu’il est presque impossible de prévoir ; et, dans le cas qui nous occupe, si même les promoteurs avaient prévu ces conséquences dans une certaine mesure, ils pouvaient encore penser, à tort et à raison, que c’était là un moindre mal en comparaison de celui qu’il s’agissait d’empêcher. Nous ne croyons pas, quant à nous que le spiritisme soit moins pernicieux que le matérialisme, quoique ses dangers soient tout différents ; mais d’autres peuvent juger les choses autrement, et estimer aussi que la coexistence de deux erreurs opposées, se limitant pour ainsi dire l’une l’autre, soit préférable à la libre expansion d’une seule de ces erreurs. Il se peut même que bien des courants d’idées, aussi divergents que possible, aient eu une origine analogue, et aient été destinés à servir à une sorte de jeu d’équilibre qui caractérise une politique très spéciale ; en cet ordre de choses, on aurait le plus grand tort de s’en tenir aux apparences extérieures. Enfin, si une action publique de quelque étendue ne peut s’opérer qu’au détriment de la vérité, certains en prennent assez facilement leur parti, trop facilement peut-être ; on connait l’adage : vulgus vult decipi, que quelques-uns complètent ainsi : ergo decipiatur ; et c’est là encore un trait, plus fréquent qu’on ne le croirait, de cette politique à laquelle nous faisons allusion. On peut ainsi garder la vérité pour soi et répandre en même temps des erreurs qu’on sait être telles, mais qu’on juge opportunes ; ajoutons qu’il peut y avoir aussi une tout autre attitude, consistant à dire la vérité pour ceux qui sont capables de la comprendre, sans trop se préoccuper des autres ; ces attitudes contraires ont peut-être toutes deux leur justification, suivant les cas, et il est probable que la première seule permet une action très générale ; mais c’est là un résultat auquel tous ne s’intéressent pas également, et la seconde répond à des préoccupations d’un ordre plus purement intellectuel. Quoi qu’il en soit, nous n’apprécions pas, nous exprimons seulement, à titre de possibilités, les conclusions auxquelles conduisent certaines déductions que nous ne pouvons songer à exposer entièrement ici ; cela nous entraînerait fort loin, et le spiritisme n’apparaîtrait plus là-dedans que comme un incident tout à fait secondaire. Du reste, nous n’avons pas la prétention de résoudre complètement toutes les questions que nous sommes amené à soulever ; nous pouvons cependant affirmer que, sur le sujet que nous avons traité dans ce chapitre, nous en avons dit certainement beaucoup plus qu’il n’en avait jamais été dit jusqu’ici.
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Dès 1850, le modern spiritualism était répandu partout aux États-Unis, grâce à une propagande dans laquelle, fait à noter, les journaux socialistes se signalèrent tout particulièrement ; et, en 1852, les « spiritualistes » tinrent à Cleveland leur premier congrès général. C’est aussi en 1852 que la nouvelle croyance fit son apparition en Europe : elle fut importée d’abord en Angleterre par des médiums américains ; de là, l’année suivante, elle gagna l’Allemagne, puis la France. Toutefois, il n’y eut alors dans ces divers pays rien de comparable à l’agitation causée en Amérique, où, pendant une dizaine d’années surtout, phénomènes et théories furent l’objet des discussions les plus violentes et les plus passionnées.
C’est en France, comme nous l’avons dit, qu’on employa pour la première fois la dénomination de « spiritisme » ; et ce mot nouveau servit à désigner quelque chose qui, tout en se basant sur les mêmes phénomènes, était effectivement assez différent, quant aux théories, de ce qu’avait été jusqu’alors le modern spiritualism des Américains et des Anglais. On a souvent remarqué, en effet, que les théories exposées dans les « communications » dictées par les prétendus « esprits » sont généralement en rapport avec les opinions du milieu où elles sont produites, et où, naturellement, elles n’en sont acceptées qu’avec plus d’empressement ; cette observation peut permettre de se rendre compte, au moins en partie, de leur origine réelle. Les enseignements des « esprits », en France, furent donc en désaccord avec ce qu’ils étaient dans les pays anglo-saxons sur nombre de points qui, pour n’être pas de ceux que nous avons fait entrer dans la définition générale du spiritisme, n’en sont pas moins importants ; ce qui fit la plus grande différence, ce fut l’introduction de l’idée de réincarnation, dont les spirites français firent un véritable dogme, alors que les autres refusèrent presque tous de l’admettre. Ajoutons d’ailleurs que c’est surtout en France qu’on paraît avoir éprouvé, presque dès le début, le besoin de rassembler les « communications » obtenues de façon à en former un corps de doctrine ; c’est ce qui fait qu’il y eut une école spirite française possédant une certaine unité, du moins à l’origine, car cette unité était évidemment difficile à maintenir, et il se produisit par la suite diverses scissions qui donnèrent naissance à autant d’écoles nouvelles.
Le fondateur de l’école spirite française, ou du moins celui que ses adhérents s’accordent à regarder comme tel, fut Hippolyte Rivail : c’était un ancien instituteur de Lyon, disciple du pédagogue suisse Pestalozzi, qui avait abandonné l’enseignement pour venir à Paris, où il avait dirigé pendant quelque temps le théâtre des Folies-Marigny. Sur le conseil des « esprits », Rivail prit le nom celtique d’Allan Kardec, qui était censé avoir été le sien dans une existence antérieure ; c’est sous ce nom qu’il publia les divers ouvrages qui furent, pour les spirites français, le fondement même de leur doctrine, et qui le sont toujours restés pour la plupart d’entre eux[9]