L’histoire - Jean-Luc Mansuy - E-Book

L’histoire E-Book

Jean-Luc Mansuy

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Beschreibung

Juin 1915, sous un soleil éclatant, une jeune fille court sur une petite route caillouteuse et sinueuse. Elle vous convie à écouter "l’histoire" , à partager des rires et des larmes, et surtout à découvrir, par les mots, les expériences poignantes et inspirantes qui ont marqué deux vies.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir écrit des contes pour enfants, Jean-Luc Mansuy souhaite à présent honorer une promesse. Cette dernière consiste à raconter une histoire qui se perpétue de génération en génération, mettant en lumière deux femmes qui ont eu une grande importance dans sa vie.





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Jean-Luc Mansuy

L’histoire

© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Mansuy

ISBN : 979-10-422-1812-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour ne pas oublier d’où nous venons, ce petit livre est dédié à tous les membres de ma famille de la branche Bologna-Rossini, mon fils, mes quatre sœurs, mes nièces et neveux, petites nièces et petits neveux, mes cousines et cousins, et à ma petite cousine et petits-petits cousins de la branche Sergi-Rossini.

Partie I

Nonna

L’abandon

À ma mère

Pour la première fois nous connaissons

Un très profond sentiment d’abandon.

C’est vraiment une bien triste saison

Pour cette perceptible trahison.

Ton histoire a bouleversé quatre générations

Et elle aurait certainement ému plus d’un bataillon,

Tant elle est riche de combats et d’émotions,

Moments douloureux ou heureux mais toujours vécus avec raison.

Tu as montré le courage et l’obstination,

L’honnêteté, l’humilité, voire l’abnégation.

Tu aimais la vie, ses plaisirs et son tourbillon,

La beauté, l’élégance et le rouge vermillon.

Et aussi les roses, et le myosotis ton préféré,

Un lien qui résiste au temps, pour ne pas oublier.

Et de la femme, de maman, de mamie, nous nous souviendrons,

Longtemps, bien longtemps encore après leur floraison.

Non ! tu ne nous as pas abandonnés,

Et, pour en avoir un instant douté

Et penser à une trahison,

Je te demande pardon.

jlm

Janvier 2021

Chapitre I

EHPAD

Janvier 2021

C’est peut-être mieux comme ça. Au moins ici, je n’embêterai personne. Mes enfants ont maintenant leur vie et leur propre famille. Je ne veux plus être un poids pour eux, se répète-t-elle en silence comme pour s’en persuader.

Vêtue de sa veste bleu marine préférée ouverte sur un pull blanc et un pantalon noir, chaussée de chaudes pantoufles blanches, elle va découvrir aujourd’hui, à bientôt quatre-vingt-quatorze ans, ce qui sera sa dernière demeure.

Ils appellent ça Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. D’autres le présentent comme l’antichambre.

Perdue, inquiète, lassée, fatiguée de la vie, il n’y a pas d’adjectif pour décrire ce qu’elle peut ressentir à ce moment précis où elle entre dans cette toute petite pièce d’à peine 15 m2. Lentement, son regard en fait le tour : murs blancs entièrement nus et froids, au centre contre la cloison, un lit médicalisé. Dans un coin, une chaise métallique avec accoudoir, posée devant une toute petite table à peine plus grande qu’un plateau-repas. Tout est réduit au minimum.

C’est vrai qu’à notre âge, nous les vieilles personnes, on n’a pas besoin de plus de place. Et puis à quoi cela nous servirait puisque de toute façon moins on bouge, moins on gêne.

Nous sommes loin de la magnifique brochure dont les trop nombreuses photos sur papier glacé vantent ces « prestigieux » établissements.

Beaucoup de promesses, mais rien de vraiment concret, comme d’hab, pense-t-elle.

Pour ne faire de peine à personne, elle esquisse un sourire. Un sourire timide. Elle essaie de ne rien laisser paraître et elle les regarde ranger ses quelques affaires dans le placard, installer son téléviseur, le seul meuble qu’elle a pu emporter.

Ses yeux sont tristes, car elle sait… Les mains croisées sur ses genoux, elle est toute petite dans cette maudite chaise de transfert. Elle porte bien son nom cette chaise. Transfert : de qui, vers quoi ? Certainement pas vers une nouvelle vie. Dès qu’elle est entrée dans cette chambre, même pas d’hôpital, elle a su que c’est ici qu’elle finirait ses sombres derniers jours. Et en cet instant, elle ne souhaite qu’une seule chose : en finir le plus vite possible. Elle est fatiguée. Toute sa vie, elle a lutté. Toute sa vie, elle était forte. Aujourd’hui, elle en a marre. Elle a envie de jeter l’éponge.

Peu importe le décor et tous ceux qui en font partie, elle fera avec. Elle en a vu d’autres. Mais que cela ne dure pas trop longtemps.

***

Passées les premières semaines où elle ne voit pratiquement plus ses enfants, COVID oblige, où même les visites de ceux qui y travaillent se font rares, trop occupés… paraît-il, passées les discussions stériles sur la disparition de sa veste beige et de ses culottes pourtant marquées à son nom comme exigé par la direction, marquage payé 25 euros quand même, elle reste seule devant l’écran allumé juste pour faire diversion, et elle pense.

Elle pense à son passé, à ses enfants, à ses petits et arrière-petits-enfants, à tous ces moments de bonheur, et aussi de douleurs qui l’ont accompagné tout au long de sa longue vie.

Elle revoit aussi ses parents, Félix et Catherine qui, pour vivre pleinement leur amour, avaient tout quitté et étaient venus travailler en France.

Leur histoire, elle l’a tant et tant entendue, vécue et tellement racontée qu’elle ne peut l’oublier. Elle ferme alors les yeux, laisse son imagination vagabonder et dérouler le film de leur vie…

Chapitre II

Felice et Caterina

Juin 1915

Une jeune fille court sur une petite route caillouteuse qui serpente. Elle semble pressée. L’angélus a sonné et elle sera en retard. Son père la grondera. Mais peu importe, à son âge on s’en fout. Elle aura bientôt dix-neuf ans, on est en juin 1915. Le soleil brille encore et les jours n’ont pas de fin. La vigne est déjà bien fleurie, la vendange sera bonne.

C’est un mercredi. Elle a profité de l’absence de son père qui s’est rendu chez un client à Montemaggio, en Italie, pour aller voir, là-haut dans la cité, sa cousine Gabriella, la fille d’un frère à sa maman, un borghese. Là, elles ont passé l’après-midi à flâner dans les petites rues de la capitale puis plus au calme entre les tours et sur le chemin des sorcières. Elles ne s’étaient pas vues depuis la messe de Noël et elles avaient tellement de choses à échanger qu’elles n’ont pas vu les heures passer. Quand la cloche de la basilique del Santo a sonné, elles ont sursauté et se sont vite séparées, sachant qu’elles allaient encore se faire sermonner.

***

Elle a dévalé les pentes du mont Titano, descendu les escaliers quatre à quatre au risque de tomber, puis traversé le pont au-dessus du Rio San Marino. Elle est maintenant à moins de deux kilomètres de chez elle. Elle reprend son souffle. Elle monte sur une petite butte et aperçoit au loin le chemin tortueux qui monte vers son village. C’est très vallonné par ici et elle sait que les deux côtes qui lui restent à monter seront dures. Il n’y a pas un nuage dans le ciel. Elle a chaud. Elle enlève le foulard qui la protège de la poussière et des rayons du soleil, et se remet à courir. Pour gagner du temps, elle décide maintenant de couper par les vignes et les taillis. En sautant d’un petit talus, elle se tord la cheville et manque de tomber lorsque, surgie de nulle part, une main la retient. Une main ferme d’ouvrier, mais douce et rassurante.

— Scusate, lui dit-il en s’esquivant aussitôt.

Sur le coup, surprise et un peu embarrassée, elle ne l’a pas reconnu. Lui, si. C’est Caterina, une des filles de son employeur. Celle dont l’image est gravée à jamais dans sa mémoire depuis cet après-midi du mois de février.

***

Il l’avait aperçue, à la fête de Sainte Agathe, sur la place de Chiesanuova. Installé sur une petite estrade, un petit groupe de musiciens mettait l’ambiance.

Lui jouait du bandonéon en enviant les danseurs de tango qui glissaient et tournaient langoureusement devant lui.

Elle, elle était là, avec sa mère Maria et sa jeune sœur Augusta. « Pas longtemps et juste pour écouter », avait dit Maria.

En l’apercevant debout de l’autre côté de la place et ébloui par sa beauté, il en avait oublié les danseurs.

Il ne voyait qu’elle dans sa petite robe noire, bordée d’un col en dentelle blanche et fermée sur la poitrine par 12 petits boutons recouverts de velours. Une petite ceinture vernie lui affinait sa silhouette et laissait sa robe tomber sur une paire de bottines noires à lacets.

Envoûté par ce regard à la fois vif et pétillant, ces yeux qui ne le quittait pas, il en avait oublié sa musique. Les danseurs s’étaient arrêtés, avaient sifflé, l’avaient rappelé à l’ordre.

Offensée, « partons ! » avait dit sa mère. Et la belle s’en était allée ne laissant paraître plus que ses beaux cheveux noirs, tirés en arrière sur sa nuque en forme d’un petit chignon tenu par un ruban de soie.

Rouge de honte, Felice avait vite repris ses esprits, et… le bandonéon, dans la liesse générale. Mais il avait à jamais gravé son image dans sa mémoire comme le photographe sur la plaque de son appareil. Il s’était alors juré de la retrouver et de lui parler. Quand, en cette fin d’après-midi, le hasard l’avait mise sur sa route.

***

— Scusate… quel idiot je fais se dit-il après l’avoir quitté. Je n’ai même pas osé lui parler. Finalement, c’est mieux comme ça. Qu’est-ce qu’une fille comme elle ferait avec moi, Felice, un povero bracciantecome me al servizio di Molinari (un pauvre journalier agricole au service des Molinari) ?

***

Auguste, le père de Caterina, avare et grand buveur, dirigeait d’une main de maître toute son exploitation et veillait rigoureusement à l’éducation de ses enfants. Une éducation stricte surtout pour les trois filles qu’il surveillait particulièrement.

À la mort de son père, un homme riche et respecté de tous, il avait hérité du moulin et des vignes. Son frère, lui, avait reçu l’hôpital.

Les Molinari, surnommés ainsi parce qu’ils possédaient un moulin, habitaient sur le territoire de la commune de Chiesanuova en République de San Marino, dans un hameau dont la majorité des maisons leur appartenait. Situé sur les hauteurs du quartier des Moulins de Guarda Gualderia, ce petit bourg surplombait le Rio San Marino, un petit cours d’eau qui faisait tourner le moulin d’Auguste Rossini.

Construite presque à mi-chemin entre Chiesanuova et la capitale, la bâtisse, aux murs de couleur beige et aux volets verts, dominait le village. De la fenêtre de sa chambre, qu’elle partageait avec sa jeune sœur Augusta, Caterina pouvait admirer chaque soir le mont Titano que les derniers rayons du soleil coloraient de rouge. Et en regardant la tour de la Cesta se détacher sur ce magnifique ciel bleu sombre, elle s’imaginait là-haut, le visage tourné vers la mer, dans les bras d’un noble et séduisant chevalier à la petite moustache bien taillée.

***

Encore troublée par ce qui lui est arrivé, Caterina ne peut s’empêcher de penser à ce garçon si prévenant et si timide, à ses yeux mi-clos et enjôleurs, à sa petite moustache propre et… bien taillée. Elle ressent encore la chaleur de la main qui l’a soutenue avec fermeté avant de s’en aller sur une douce caresse. Elle le voit s’éloigner, la mèche au vent et sa chemise blanche en flanelle sortie négligemment entre son pantalon et son gilet. Elle baisse les yeux et aperçoit sur le sol le grand mouchoir à carreaux qui était noué autour de son cou pour absorber la sueur de son visage. Elle le ramasse et le met vite dans la poche du tablier qui couvre les modestes habits qu’elle met la semaine pour effectuer les tâches sur l’exploitation familiale.

Tout d’un coup, elle réalise qu’elle connaît ce visage. C’est celui de ce jeune homme au regard tendre et charmeur qu’elle espionne discrètement chaque samedi, le jour de la paye des ouvriers. Celui qui joue du bandonéon le samedi soir dans l’auberge de son cousin. Celui pour lequel elle avait demandé à sa mère de l’emmener à la fête. Celui qui, ce dimanche-là, ne l’avait pas quittée des yeux et que, pour elle, il en avait même oublié les autres. Elle avait d’ailleurs eu de la peine pour lui lorsque les danseurs l’avaient sifflé et plus encore lorsque sa mère Maria avait donné l’ordre de quitter cette place.

Maintenant, elle a honte. Honte de ne pas l’avoir remercié bien sûr, mais surtout de s’être présentée dans cette grossière jupe en coton et ce chemisier blanc souillé.

— Je ne suis qu’une idiote, dit-elle à voix haute en s’assurant ensuite que personne ne l’a entendue. Pourquoi ne lui ai-je pas retenu sa main ? Et lui, ce couillon, pourquoi s’est-il enfui ?

— Cretino. Je ne suis qu’un sot,répète-t-il sans cesse.

— Stupido, bourrique, je ne suis qu’une bourrique, se lamente-t-elle.

Prenant son courage à deux mains, Felice fait demi-tour et se dit prêt à parler à celle qui hante toutes ses pensées. Caterina se remet à courir pour essayer de rattraper celui qu’elle aime en secret.

« Tant pis si cela ne se fait pas. Après tout, j’ai 19 ans et nous sommes maintenant au 20e siècle », pense-t-elle.

Au détour d’une haie, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et se lancent tous les qualificatifs et plus, que la décence nous empêche de citer ici.

Et c’est comme cela que tout a commencé…

Chapitre III

EHPAD

Mars 2021

— Madame, Madame, vous m’entendez ?

Sur cette dernière image, elle ouvre doucement les yeux.

— Vous avez eu un petit malaise. Alors on vous a conduite à l’hôpital. Maintenant, tout va bien. Vous allez pouvoir retourner à l’EHPAD, lui murmure un homme d’une voix douce et rassurante.

— Vous savez, lui répond la vieille dame, je suis mieux ici que là-bas. Mais je n’ai pas le choix.

Dans le VSL qui la ramène à l’établissement, elle revit le moment douloureux où elle a quitté sa maison il y a deux mois.

C’était la meilleure solution, se répète-t-elle. Ce n’était plus une vie pour mes enfants. Les derniers jours, ils étaient obligés de se relayer la nuit parce que j’avais du mal à respirer. Mais eux, au moins, ils étaient là. Là-bas, je ne vois pas grand monde. Je ne peux même pas voir mon frère qui y est également résident. C’est vrai qu’avec cette pandémie il faut éviter les contacts. Mais il y a des limites. Et puis cela ne les empêchera pas, une fois de plus, d’être en quarantaine. Pourtant, les résidents ne sortent pas, ils ne reçoivent aucune visite, alors ?

Elle sait qu’elle va retrouver sa chambre froide aux murs blancs, qu’on lui allumera la télé pour lui tenir compagnie entre deux rares visites du personnel, gentil certes, mais pas souvent là.

***

— Elle devrait faire sa toilette toute seule, avait dit un jour quelqu’un à sa plus jeune des filles.

—