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En 1978, une vague de révolte écologique secoue les océans, propulsant sur le devant de la scène des acteurs majeurs de ce mouvement à l’échelle mondiale. Dans le même temps, deux inconnus se sauvent la vie sans jamais se rencontrer, amorçant ainsi une correspondance mystérieuse où leurs identités restent soigneusement dissimulées. Leur destin se trouve alors étroitement lié à celui d’un navire qui s’apprête à marquer l’histoire à jamais.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Fortement touchée par la cause des animaux,
Estelle Thibeaud choisit de prendre la parole et d’utiliser sa plume pour les défendre, car pour elle, ce sont eux qui en ont le plus besoin. Dans cette lutte inégale pour le droit à la vie, elle se pose en défenseuse charismatique des êtres les plus vulnérables de la nature.
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Estelle Thibeaud
L’océan en bouteille
© Lys Bleu Éditions – Estelle Thibeaud
ISBN : 979-10-422-2834-7
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À Serge pour son temps,
À Lionel pour son soutien,
À mes fils, Ulysse et Pieter sans qui
(sans toutes ces nuits blanches)
ce livre aurait pu être fini plus tôt.
Dans cette famille, on ne manque jamais une occasion pour faire la fête. Un grand festin avait été organisé. C’était l’anniversaire de Trévin. Du haut de ses dix ans, il était le fils aîné de la famille Rochefer. De nombreux préparatifs exécutés la veille avaient donné lieu à cet honorable banquet.
La famille entière s’était déplacée pour l’évènement.
Le logement, situé entre deux gros rochers, était difficilement visible pour celui qui n’en connaissait pas les lieux. Dissimulé derrière une lourde végétation épaisse, la porte d’entrée, ainsi que ses ouvertures étaient difficilement discernables pour un œil novice.
La maison étroite et peu profonde se composait de deux pièces au rez-de-chaussée et d’un grand dortoir à l’étage, où l’ensemble de la famille dormait agglutinée les uns contre les autres, à la nuit tombée.
Contrairement à la salle à manger, la cuisine presque vide se trouvait sur le derrière de la maison. Le contenu retiré de son ventre, seule une marmite encore bouillante trônait par terre. Le salon, assombri par la foule, bouillait de vie, grouillait de monde. Une longue table divinement montée aux couleurs harmonieuses promettait un souper luxueux. Une vingtaine de chaises, toutes occupées par leur convive respectif, se perdaient dans la pénombre de la pièce.
Des bougies avaient été allumées pour l’occasion. À mesure que les flammes s’élevaient lentement, elles éclairaient toutes choses d’une lumière aquarelle. Cette ponctuation de loupiottes, semblable à une pluie d’automne, dévoilait peu à peu dans un jeu d’ombre et de lumière, le festin exposé sur la grande table. Les légumes entassés dans de grands réceptacles éclataient maintenant de leurs couleurs contrastées. Du vert noyé des poivrons, au rouge éclatant des tomates, au jaune doré du citron, jusqu’aux notes plus pâles du navet, toutes les couleurs se mariaient. Les salades ouvertes laissaient leurs cœurs embraser le reste. L’abondance était de mise. Hâte que le repas commence, un petit enfant tapait des mains devant ce spectacle.
À mesure de l’arrivée des convives, le brouhaha ne cessait de s’intensifier. On leur servait l’apéritif à tour de bras, pourvu que les verres ne soient jamais vides. Si tel était le cas, chacun attendait la prochaine vague en levant haut le bras pour exposer le cristal évidé. Ce jour-là, le vin blanc et le rosé coulèrent à flots. Chacun y allait de son pronostic, quant à la durée d’attente, avant de pouvoir s’installer pour déguster ce mets tant désiré. Pour les faire patienter, de petits feuilletés à la viande et des amuse-gueules avaient été servis copieusement dans l’argenterie et la porcelaine disposées sur le buffet familial. À peine dressé, que de grosses mains avides venaient les expédier dans de grandes cavités cariées.
Finalement, le signe tant attendu de s’asseoir arriva par la maîtresse des lieux et tous prirent place sans se faire prier autour de la tablée. Très vite, le bruit des tintements des couverts en argent claqua sur la porcelaine. Dès lors, ce bourdonnement fit accueil à l’arrivée des douceurs sur la tablée. C’est quand les invités virent par l’entrebâillement de la porte de cuisine, la marmite fumante, qu’une clameur rauque, à en faire trembler la toiture, envoûta la maison.
Posée soudainement au centre de la table, la sauce coulait sous le couvercle. Au milieu de l’impatience qui redoublait, certains firent craquer leur chaise sous le poids de l’excitation pendant que d’autres, battant des bras sous le nez de leur voisin, tentaient d’approcher au mieux leur écuelle du réceptacle central pour être servi en premier.
On pouvait maintenant assister à la lueur des rayons de la lune à un spectacle bien déconcertant. Sans l’ombre d’un frisson, ou d’une quelconque prise de conscience, comme on étale un gros gibier sur l’étalage, un homme récemment mort gisait au milieu de la table. L’homme, abandonné dans sa souffrance, en position fœtale, laissait dépasser du couvercle, sa tête ou une tignasse noire de cheveux crépus apparaissait. L’homme avait été choisi grand pour satisfaire l’estomac de tous. Et la matinée avait été rudement occupée à faire cuir tous les sacs de ces moules qui flottaient elles aussi dans ce grand plat plein de sauce. Des cris de joie retentirent à la vue de la viande rouge. Comment une famille habituellement si éduquée, pouvait oublier toute retenue à l’odeur de la chair ? Nous nous serions crus dans une foire. On vidait le plat à grand coup de pelle, tachant la nappe au passage de grandes alvéoles noirâtres.
Dans des craquements sourds, on détachait les mains du malheureux, on se disputait le morceau le plus garni. Certains voulaient du ventre et de l’épaule, d’autres s’attaquaient à la tête, faisant craquer la mâchoire pour l’extraire, tout en certifiant que les joues étaient savoureuses. La bouche tordue, et les cheveux, maintenant éparpillés en motte sur la table, en quelques minutes seulement, le malheureux devint totalement démembré et n’avait plus aucune similitude avec son apparence initiale. La peau rougie par le feu, une plaisanterie au goût douteux le compara à une écrevisse.
Quand enfin les dames furent servies, les hommes se précipitèrent sur les louches afin de remplir au maximum leurs assiettes de sauce aux moules.
Dans la salle à manger, il y a des hommes qui chantent pendant que gît un marin.
L’un se servait les oreilles, pendant que d’autres exprimaient une joie effrayante à imiter les pleurs entendus récemment lorsque ce jeune marin agonisait.
Le linge de la nappe s’ensanglantait à mesure que les mains graisseuses venaient s’essuyer dessus.
Un peu à l’écart, son assiette restée vide, une jeune femme éprouvait un vif pincement au cœur à chaque seconde qui s’écoulait. Elle était incapable de prendre part aux festivités. Ses pensées, infiniment tristes, ne pouvaient faire taire le bruit sourd de ces hommes affamés qui se languissaient, de tant de cruauté.
— Donnez-le-moi ! Donnez-le-moi, vous dis-je de ce bout d’épaule, je n’en ai pas eu assez !
Devant le reste de la dépouille de l’innocent, la jeune fille se fit le serment que ce serait le dernier. Elle éprouvait une vive honte pour ses frères et sœurs.
La troupe se levait et se rasseyait dans des aller-retour incessants pour remplir leur verre de liqueur tel des cannibales dansant en rond autour de leur prisonnier. Leurs dents luisaient maintenant au clair de lune et on parlait des enfants qui bouillaient encore pour le dessert, dans la marmite, sans en avoir l’air désolé. Bientôt, dans un tonnerre d’applaudissements, ceux-ci seraient également servis à table. Les portes de la cuisine s’ouvriront et la cuisinière des lieux apportera de nouveau, dans un bruit assourdissant de tempête, le reste de ce festin funeste.
La jeune femme retenait maintenant ses larmes. Elle paraissait souffrir profondément et éprouvait une sincère pitié pour ce jeune homme, qu’elle voyait… inerte. Et comme elle le regardait, seuls, deux grands yeux vides la fixaient, témoignant silencieusement des conditions d’abatage difficiles, dont il avait été la victime.
Une fois les bambins engloutis, les ventres des invités s’arrondirent. C’est quand la digestion vint à peser que le bruit des discussions s’estompa. Leurs grosses mains raclaient leurs auges pour ne laisser aucun reste. Chacun frappant sa panse d’une lourde main sans vergogne, ils riaient en rotant. Aucune retenue, aucun regret. Les convives ne tarissaient pas d’éloges sur la nature de leur prise et tous, la savouraient maintenant silencieusement. Dans un murmure, elle était parfois jugée savoureuse, délicieuse, juteuse. Il ne resta bientôt plus rien sur la table. Ni enfant ni marin. Même les os avaient été méticuleusement rongés.
Les cages thoraciques des poitrines avaient été vidées de toutes leurs entrailles et gisaient piteusement aux côtés des têtes qui n’avaient plus aucun reste de peau. Tous endormis, les convives rassasiés ronflaient maintenant à gorge déployée.
Tous alanguis, la scène semblait maintenant immobile à l’exception de Trévin. Trévin était un petit garçon de nature toujours très discrète. Il parlait peu et se montrait très timide avec les siens. Il pouvait se montrer totalement muet avec les personnes qu’il ne connaissait pas. Sa chevelure blond vénitien et sa maigreur sans pareil lui donnaient l’aspect d’un petit épouvantail. Ce petit garçon, dont la bouche fine et la peau encore délicate annonçait la jeunesse, avait l’air fragile. Ce soir-là, pourtant, dans le salon, le jeune garçon dansait, tournait et virevoltait. Son haleine lourde traduisait une mauvaise conduite. À son âge, il buvait sans vergogne plus que de raison et ramenait son vice jusqu’au paroxysme de l’indécence. Il s’alcoolisait, à la santé de leurs prochaines victimes, qui viendraient d’ici et d’ailleurs, garnir sa table pour ses prochains anniversaires.
Personne ne jeta un regard, sur cette jeune fille triste qui se levait et prenait congé des lieux. Longeant silencieusement ces grappes d’hommes endormis, elle se dirigea lentement vers la porte. Le cœur lourd, la gorge nouée et le ventre empli de spasmes tant elle avait pleuré, dans l’indifférence la plus totale. Elle n’en pouvait plus. Lentement et pour la dernière fois, elle les dévisagea dans une grimace douloureuse, avant de ne plus se retourner. C’est quand un terrible orage claqua qu’elle prit congé et passa le seuil pour la dernière fois. Elle ne parvenait plus à supporter ce spectacle. Des hommes mangeant des hommes…
Quand la nuit tomba et que l’air se vida, de toute chaleur, l’obscurité se creusa et il lui fallut une véritable raison pour continuer à avancer. Si on n’aperçoit pas au fond du tunnel, la lumière de l’espoir, pour vous guider, une lueur mourante causera votre perte. Pour cette jeune fille, ce fut tout le contraire. Poussée par une force qu’elle n’avait jamais soupçonnée, elle brûlait d’impatience de trouer l’ombre obscure des ténèbres. Personne n’avait fait attention à son ombre silencieuse, qui disparaissait. Pour ne pas garder en mémoire le souvenir de ce qui ne serait plus, elle s’était promis de ne plus jamais se retourner… Elle était surprise, de voir, avec quelle facilité, elle parvenait à exaucer cette promesse. Le cœur battant ardemment vers l’inconnu, elle savait avoir fait le bon choix. Il est certain que quelque chose de meilleur, de plus beau, l’attendait. Après avoir laissé tant de choses sordides derrière elle, il ne pouvait en être autrement. À mesure que les mètres et la distance se déroulaient sous elle, elle sentait l’éloignement d’une emprise. Pour commencer, sa respiration devenait plus sereine, moins saccadée. Elle respirait maintenant à plein poumon, sans aucune douleur. Sa gorge, qui était depuis la veille nouée, commençait à lui faire moins mal. Loin des siens, ELLE REVIVAIT. Sans savoir où elle allait, sa vie commençait à nouveau, enfin !
La famille qu’elle fuyait était dirigée par Zirios, secondé de sa femme Téréna.
Elle n’était que leur fille adoptive depuis maintenant trop longtemps. C’est à son arrivée au sein de cette famille, qu’elle fut prénommée Li-na. Dictée à la hâte, par la nécessité de se soumettre à ce lien de parenté, imposé par la perte de sa mère quelques mois plus tôt, elle savait que la distance l’aiderait à briser celui-ci. Exiger d’elle de se présenter comme leur fille était une souffrance mille fois pleurée.
Zirios et Téréna avaient eu un fils, Trévin. L’enfant roi par excellence, à qui on ne formule aucun refus, de peur d’attiser sa houle colérique. Trévin se comportait avec son entourage comme un roi avec ses sujets. Parfois, en véritable tyran, il savait mener son monde comme il le souhaitait. Beaucoup avaient tenté diverses méthodes, en vain. Rester calme, lui faire accepter son sentiment de frustration, lui fixer des limites claires, tenter de changer son point de vue en lui montrant d’autres exemples… Rien n’y fit. En un mot, Trévin refusait l’autorité, ce qui lui valut une certaine distance avec les autres enfants de son âge qui ne supportaient pas ce comportement. Non loin de le mettre en porte à faux ; cette solitude le conforta dans l’illusion d’être seul au monde. L’égoïsme, par excellence et dans toute sa splendeur.
Dans cette famille adoptive, Zirios était incontestablement le maître des lieux. Épaulé religieusement et de façon assidue par Téréna, sa fidèle épouse, il était craint et respecté de tous. Il gouvernait d’une main de fer ses disciples. De petite taille, il avait une longue chevelure noire qui encadrait un large front. Ses petits yeux d’un marron vif lui offraient un regard pénétrant, de prédation. Rares étaient ceux qui osaient le fixer plus de quelques secondes quand il s’adressait à lui. Digne d’un rapace, son œil glacial s’aiguisait sur les contours des silhouettes de ses interlocuteurs.
Même si les rumeurs allaient bon train pour son goût pour les femmes, on ne lui avait jamais connu de maîtresse officielle. Il ne s’était jamais fait prendre la main dans le sac. L’ayant compris bien trop tôt, le silence de sa femme à ce sujet, pouvait d’ailleurs sous-entendre un consentement subit, toléré ou accepté… Elle seule connaissait les raisons personnelles, de son mutisme.
La devise de Zirios était « diviser pour mieux régner ».
Sa femme, ne souhaitait le bien de personne, elle jouissait des faveurs que lui permettait sa place de femme du chef. Elle se savait souveraine légitime du clan. Comme à son fils, rien ne lui était interdit. Ainsi tout lui était toléré pour faire asseoir l’autorité de la matriarche.
Ce qu’avait pris au début, Li-na, pour une harmonie de vivre ensemble, n’était en réalité qu’une dictature dirigée par la peur. Chacun se soumettait et craignait son voisin. Pour son salut et face à l’abrutissement de son cœur au contact de cette maison, sa décision avait été prise, de les abandonner.
À chaque mètre avalé, et soulagée de sa décision, l’appel du large se faisait de plus en plus sentir, à mesure que la fuyarde avançait.
Pour ce qui était des autres membres qui composaient cette famille, et suite à un accident très grave, dont personne ne connaissait les circonstances exactes, Zirios et Téréna hébergeaient aussi depuis la mort de leurs parents, et par conséquent depuis la naissance, leurs deux nièces Hélène et Vicky. Celles-ci étaient accompagnées, depuis de nombreuses années, de leur compagnon respectif Tim et finalement Pacoye.
Hélène et Tim formaient un jeune couple renversant, autant par leur complicité que par leur beauté indéniable. Ils ne faisaient qu’un. De taille moyenne, voire petite, certains aspects de leur physionomie restaient enfantins. Hélène possédait de longs cheveux blonds, d’un éclat lumineux sans pareil. Une chevelure raide, qui pouvait s’apparenter aux rayons du soleil. Un vent solaire, qu’elle laissait perpétuellement tomber en cascade, le long de son dos, comme un hale lumineux. Tim aimait y perdre sa main, quand il l’escortait en la tenant par la taille. Toujours vêtue de blanc, elle contrastait avec sa moitié qui se complaisait dans le noir. Tim semblait toujours souffrir d’un mal silencieux, dont lui seul connaissait l’origine. D’autant plus que par l’aspect de sa peau mate, ses yeux d’un noir tendre et ses cheveux d’un noir corbeau le rendaient davantage ténébreux. Pourtant, sous ce masque, celui qui savait observer, pouvait lire une tendresse infinie pour Hélène. D’un pas dansant, en lui tenant amoureusement la main, Hélène le conduisait dans les chemins tumultueux de la vie. Hélène et Tim formaient le Ying et le Yang. Ils avaient trouvé leur équilibre.
Vicky, elle, était tout le contraire de sa sœur aînée. D’une largeur plutôt conséquente, disons-le, duveteuse, elle avait davantage hérité des traits du mastodonte, que des traits longilignes de sa sœur. Dépassant en plus, tout le monde, d’au moins deux têtes et marchant d’un pas lourd, le nombre des prétendants ne furent guère nombreux à se bousculer devant sa porte. Elle présentait des cheveux très courts, d’un roux éclatant. Sa peau blanche était recouverte de taches de rousseur. Ses grands yeux verts surplombaient un nez courroucé, dit, en trompette. Toujours de bonne humeur, elle exaltait son entourage par un rire tonitruant et communicatif. Un véritable pachyderme inoffensif, sauf pour la porcelaine. Pacoye, lui, de nature plus réservée, accompagnait sa dulcinée par sa force naturelle. Haut de ses deux mètres, il surplombait également le monde. Très svelte, il présentait une musculature fine aux extensions aussi raffinées qu’élancées. De sa face large et carrée, il semblait avoir été sculpté dans la pierre. Les arcades proéminentes comme les homo sapiens, il rejoignait, là, la finesse de la beauté de sa douce. Ne dit-on pas qui se ressemble, s’assemble… le menton, fait d’un large méplat, lui donnait, là aussi, une tête avec un relief caractéristique des hommes des cavernes. Un vrai couple de géants, fait pour s’entendre et d’une force, à ne plus prouver.
Finalement, cette petite communauté, composée de huit individus, avait pour habitude de vivre recluse entre eux. Très vite isolés du reste de leurs semblables, du fait de leur rigueur peu appréciée, ils ne recevaient de visite que lors des grandes occasions, par exemple, l’anniversaire de Trévin.
Pour cette femme en fuite, l’organisation en interne de cette famille, très hiérarchisée, lui avait permis de trouver sa place et une sécurité tant désirée. Brisant sa solitude, cette famille adoptive, lui permettait de renouer avec ses origines. Plus encore, leur mode de vie lui permettait de se retrouver, pour des raisons personnelles. Cette famille, lui permettait, de mener sa revanche et laissait exploser sa haine viscérale, envers le monde des humains. Cela ne dura qu’un temps. Pour cicatriser de sa blessure, devait-elle répondre de sa haine par la haine ? Cette question la tarauda rapidement, au point de l’empêcher de continuer de chasser. C’est pourquoi cet équilibre ne dura que quelques années, avant que leur régime alimentaire, la chair humaine, ne devienne une véritable aversion pour Li-na. Dès lors, la présence de cette famille lui sembla plus hostile qu’estimée.
L’aspect physionomique de sa famille n’était autre que la peau d’un tueur. Ainsi Li-na ne supporta plus son reflet et celui des siens. Dès qu’elle le croisait dans un miroir, toutes les immondices qu’elle avait commises au simple but de se nourrir lui revenaient en mémoire.
Comme tout prédateur, chaque détail avait été conçu pour tuer. Son apparence était sa première arme. Elle était belle et agissait tel un aimant. Comme arme ultime, elle possédait sa voix. Personne ne résistait à l’entendre chanter et ils arrivaient, en masse. Elle n’avait plus qu’à choisir le plus juteux. Pour ses victimes, s’approcher, c’était mourir. Grâce à cet atout, contrairement à la norme des criminels, elle et les siens n’avaient pas besoin de courir : ils accouraient. Séduits par leurs artifices inutiles, par leur voix et par leur visage, ils venaient d’eux-mêmes se faire liquider.
Elle avait déjà tué beaucoup de personnes.
Même si la jeune femme était une criminelle née capable de vie ou de mort sur presque toutes personnes qui l’entourent, aucune raison ne pouvait justifier ces actes, à partir du moment, où, elle savait que d’autres alternatives étaient possibles.
Non sans mal, la jeune femme désormais en exil avait réussi à aimer sa famille adoptive après de longues années et un travail sur soi considérable jusqu’à ce jour… La fois de trop. Elle ne pouvait supporter davantage leur différence quant au choix de leur vie et de son mode.
Il lui était devenu impossible de partager ce quotidien sanglant avec des individus qui n’avaient aucune morale pour la vie d’autrui et avaient, par conséquent, à ses yeux, perdu leur âme. Aussi magnifique que fût sa beauté légendaire et l’irréfutable envie de s’en approcher, elle-même, ne supportait plus sa peau de meurtrière. Elle aurait pu se consoler si elle avait eu la certitude, un jour, d’avoir le droit à l’enfer après sa mort. Malheureusement personne n’avait le pouvoir de la damner sur le champ.
Au fil des siècles et de tueries, grand nombre de la population avez eu peur des siens à juste titre. À la vue de leur régime alimentaire, le simple fait de leur passage, ou la suspicion de leur présence, ou de leur arrivée sur un lieu, effrayait la foule. Cette vérité, qui vouait son existence à une grande solitude, était une substance amère dans sa bouche. Elle ne pouvait s’y résigner. Elle avait connu de meilleurs jours et il était préférable pour sa santé autant physique que mentale de remédier à cet existentialisme plein de contradictions avec ses croyances. Elle ressentait, pensait, s’estimait et était, autrement, que ce que les autres incarnaient.
Souvent confondue comme une mise au défi quand elle avait voulu ouvrir le dialogue à ce sujet, elle avait reçu bon nombre de menaces non déguisées de la part de Zirios. Une intimidation sans sommation lui avait été réservée et elle aussi, eut peur pour sa propre vie. Parfois, poussée dans le désespoir que lui infligeait le comportement de Ziros, elle aurait voulu sacrifier sa vie pour sauver une de leur proie. En restant ici, inactive, elle se savait n’être qu’un monstre sans conscience. Mille fois, elle avait voulu s’approcher pour s’interposer sans jamais y parvenir.
Il lui fallut longtemps pour comprendre et assimiler que son cœur, son âme, ses croyances et son courage, n’étaient en aucun cas soumis à ceux de sa famille adoptive. Elle était donc libre de ses choix. Libre, de ce qu’elle était et ce qu’elle voulait devenir. Elle ne devait plus se perdre dans l’avidité démentielle des autres.
Cet effroi l’emportait un peu plus chaque jour, la poussant à la panique où la seule solution était de s’enfuir. La terreur l’affolait et elle ne savait plus réfléchir… Elle le comprit, il lui fallut partir.
Ne supportant plus le spécisme sous n’importe quelle forme qui soit, elle savait que d’autres alternatives étaient possibles. Qu’une autre façon d’exister la rendrait plus heureuse. Convaincue de pouvoir changer et faute d’avoir pu convaincre les siens, elle avait choisi l’exil.
Son dessein se dessinait peu à peu, jusqu’au jour, où, ayant la force de mener son choix à exécution, elle abandonna sa famille derrière elle, à mesure qu’elle disparaissait dans l’horizon.
Le 29 novembre 1954, un nouveau chalutier a été lancé au chantier naval Hall, Russell and Compagnie à Aberdeen, en Écosse pour le ministère britannique des Pêches et de l’Alimentation. À savoir que ce bateau fut le premier navire électrique diesel construit au Royaume-Uni.
Le navire a été nommé Sir William Hardy par Mme G. A. Reay, l’épouse du surintendant de la station de recherche de Torry, à Aberdeen. Il mesurait 40 mètres de long, un peu plus de 9 mètres de large et une jauge brute de 418 tonnes. Le nouveau navire a vraisemblablement été nommé d’après Sir William Bate Hardy (1864 - 1934) qui était un biologiste et scientifique alimentaire britannique. Le navire a été utilisé par le ministère de l’Agriculture du Royaume-Uni jusqu’en 1977.
En février 1978 dans les Docks de Londres, le « Sir William Hardy », un vieux chalutier fut racheté par l’ONG écologiste Greenpeace pour quarante-quatre mille livres. Il subit quatre mois de travaux. Pendant plusieurs semaines, de nombreux bénévoles se relayèrent pour restaurer le bateau. Sur le pont, tout fut démonté à commencer par les équipements de pêche. La cale fut transformée en salle de meeting qui sera le théâtre de bon nombre d’actions par la suite. En moins de trois mois, et avec les moyens du bord, le « Sir William », ancien bateau de pêche retrouva une seconde jeunesse pour devenir le Rainbow Warrior (littéralement « Guerrier de l’arc-en-ciel »). Il devint leur premier bateau et navire amiral.
Le guerrier fut mis en service le 29 avril 1978.