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Un an après l’arrestation du Frémisseur, Jules et Naya se réunissent pour un après-midi. Jules reçoit la nouvelle du retour de son premier amour, Camille Rispal, mais leur retrouvaille est brutalement interrompue par des explosions de tramways sur la place des Quinconces. Cette attaque est attribuée à Black Death, un terroriste égyptien. Zoydra décide d’intervenir, mais sa quête le pousse à laisser derrière lui un sinistre sillage de cadavres, créant des désaccords avec ses proches. Cette série d’événements annonce-t-elle sa chute inévitable ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Adrien Zervo prend la plume afin de partager son univers fantastique, élaboré à partir de sa passion pour les superhéros.
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Adrien Zervo
La chute de l’étoile
Tome II
La terre des oubliés
Roman
© Lys Bleu Éditions – Adrien Zervo
ISBN :979-10-422-1432-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Félix Tim, l’inventeur de ma Camille Rispal…
Un an après l’arrestation du Frémisseur…
Fin août, vers cinq heures du matin. Claude, contrôleur SNCF, se demandait ce qu’il faisait là. Le train était vide. Marseille-Bordeaux de nuit, ça n’intéressait plus personne. Il était scandalisé de voir que la compagnie ferroviaire maintenait ce train depuis plus de dix ans, alors que pratiquement personne ne l’empruntait. Il pouvait même allumer une cigarette, cela ne se remarquerait même pas. Le contrôleur descendit du train en gare d’Agen.
Deux passagers montèrent, sans doute des comptables ou des chefs d’entreprise à en juger par leurs costumes élégants. Claude, sifflet en bouche, lança le départ et remonta dans le wagon. Plus qu’une heure avant d’être à la maison. Il effectua une nouvelle ronde pour contrôler les billets des nouveaux arrivants.
Les deux hommes étaient les seuls passagers à bord du wagon numéro trois. Assis à l’opposé l’un de l’autre, Claude dut traverser tout le compartiment. Chacun présenta son billet et le contrôleur retourna au wagon-bar, situé au milieu du train. Comme il n’y avait toujours personne, Claude en profita pour allumer une cigarette bien méritée.
Au même moment, un groupe d’agents de la DGSI1 survolait le train en hélicoptère. Ils étaient quatre, sans compter le pilote. L’appareil se déplaçait à basse altitude. Nicolas Beaumont, chargé de mener l’opération, briefa une dernière fois ses hommes.
— Nous venons d’avoir la confirmation que Djamel Sepi, le bras droit de Black Death, a pris place à bord de ce train, il y a quelques minutes.
Ils venaient de quitter Agen et s’engageaient au-dessus des routes de campagne. Petits villages, de vastes terres agricoles, l’endroit idéal pour extrader le terroriste.
— Comme je vous l’ai dit avant qu’on décolle, reprit Nicolas, cela fait maintenant trois jours qu’il est revenu sur le sol français. La dernière fois qu’il a séjourné dans notre pays, c’était juste avant l’attentat du métro à Toulouse.
Les trois agents qui l’accompagnaient finissaient de s’équiper. Tenue bleu marine en kevlar renforcé, bottes et gilet tactique, fusil d’assaut, arme de poing. Beaumont termina ses explications.
— Lui et Black Death préparent quelque chose. Alors voilà le plan : on le sort de là et on le ramène à Paris pour un interrogatoire musclé.
Les trois agents acquiescèrent. Nicolas interpella le pilote qui ralentit. Il sortit ensuite une corde et ouvrit la porte de l’hélicoptère. Il descendit sur le train en marche et ses hommes firent de même.
— Chef, dit le pilote dans l’oreillette, j’aperçois le contrôleur dans le wagon numéro huit.
— Il est seul ?
— Affirmatif. C’est la prochaine rame.
Nicolas s’accroupit et se dirigea vers le compartiment suivant. En file indienne, ses hommes l’imitèrent.
La porte du train s’ouvrit brusquement. Le vent s’engouffra. Le contrôleur sursauta. Les quatre hommes cagoulés firent leur entrée un à un. Il resta bouche bée, cigarette à la main. Nicolas s’avança et posa l’index sur sa bouche pour ne pas que le contrôleur soit tenté de crier ou d’avertir les autres. Il sortit ensuite sa plaque.
— Je m’appelle Nicolas Beaumont, je suis un agent de la DGSI, services du renseignement.
Tétanisé, l’agent aux cheveux jaunes et à la cravate de travers se présenta.
— Claude, je suis le contrôleur du train.
Sa cigarette se consumait et l’odeur s’évaporait avec le vent. Nicolas avait le visage entièrement recouvert d’une cagoule, ne laissant entrevoir que ses yeux couleur émeraude. Avant de poursuivre la discussion, il ordonna à ses hommes de refermer la porte du wagon.
— Un homme a pris place à bord de ce train en gare d’Agen, dit-il.
— Ils étaient deux, rectifia Claude.
Silence. Beaumont se retourna et vit dans les yeux de ses hommes qu’ils avaient compris : Sepi avait un complice qui voyageait avec lui.
— Décrivez-les, je vous prie.
— L’un d’eux a une cicatrice à la bouche. L’autre est assez âgé, la soixantaine je dirais.
— Dans quel wagon se trouvent ces voyageurs ?
— Le trois.
Le contrôleur indiqua aux agents le chemin à suivre. Beaumont l’attrapa par le bras :
— Pas un mot à qui que ce soit, c’est bien compris ? Il s’agit d’une intervention top secrète.
Claude acquiesça. Les quatre hommes avancèrent silencieusement et quittèrent le compartiment. Plus que quarante minutes avant que le train n’arrive en gare de Bordeaux Saint-Jean.
Tandis qu’ils déambulaient dans les allées, Nicolas faisait tout son possible pour ne pas réveiller les quelques passagers qui dormaient. Il sortit son téléphone portable et s’assura que l’hélicoptère les suivait toujours. Deux minutes plus tard, ils ouvrirent discrètement la porte du wagon numéro trois.
Djamel Sepi avait une cicatrice à la bouche, due à une opération du bec-de-lièvre. Grâce à ce détail, les agents n’eurent aucun mal à le reconnaître. Son complice, assis à l’autre bout du compartiment, était un homme âgé à la silhouette rachitique. Un agent se précipita vers lui et Nicolas braqua son arme sur le bras droit de Black Death.
— Djamel Sepi, dit-il, vous êtes en état d’arrestation.
L’homme ne réagit pas. Il était vêtu d’un costume trois-pièces noir et portait une paire de lunettes de vue rectangulaires. Il haussa simplement les sourcils en voyant le canon du pistolet pointé sur son front :
— Je me demandais quand vous arriveriez, Monsieur l’agent.
Il roulait les « r ». Le terroriste était originaire d’Égypte.
— Fin de la rigolade, Sepi. Toi et Black Death, qu’est-ce que vous préparez ? Un nouvel attentat ?
L’intéressé haussa les épaules.
— Chef, dit l’un de ses hommes, l’hélico nous attend. On l’interrogera plus tard.
— Non, répondit l’agent Beaumont. Je suis sûr que ce salopard prépare quelque chose ici. Et tu vas te mettre à table, c’est moi qui te le dis.
Nicolas ne pouvait contenir sa colère à l’égard du terroriste. Il avait perdu des proches lors de l’attentat du métro. Depuis deux ans, il espérait plus que tout pouvoir arrêter les responsables.
— Pourquoi ne pas suivre le conseil de votre homme, monsieur l’agent ? rétorqua Djamel. J’ai toujours voulu savoir à quoi ressemblaient les locaux de la DGSI avant que je ne les fasse exploser.
— Fils de…
Nicolas lui tira une balle dans le genou. Sepi hurla.
— Je t’avais dit que je n’étais pas là pour rigoler, espèce de taré. Black Death, il est où ?
Toujours aucune réponse. Excédé, il appuya sur la blessure du terroriste qui poussa un nouveau cri de douleur. Le sang formait une tache ovale sur son pantalon.
— Et si vous interrogiez la bonne personne ?
L’agent Beaumont se retourna. L’autre passager, assis au fond du wagon, se leva. Le quatrième agent de la DGSI recula. Il braquait toujours son arme sur lui. Le complice avait les cheveux blancs, quelques rides et portait le même costume que Djamel Sepi. Il ne mesurait pas plus d’un mètre quatre-vingts.
— T’es qui toi, au juste ? demanda Nicolas.
— Je suis l’homme qui mettra fin au règne de la civilisation occidentale.
Contrairement à Djamel Sepi, le vieillard n’avait pas d’accent étranger. Sa voix était grave, puissante et rocailleuse, en totale opposition avec son corps abîmé et sa silhouette rachitique.
— T’es plutôt confiant pour un homme de ton âge.
— Ce masque n’est là que pour me permettre de passer inaperçu.
Nicolas Beaumont sentit la peur envahir son corps. Ses bras tremblaient et il mordait nerveusement sa lèvre inférieure.
— T’es qui, bordel ?
Le vieil homme frappa dans ses mains.
— Je vous pensais plus malins que ça. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi personne n’avait réussi à me prendre en photo ? Vous pensiez sérieusement que j’allais me montrer sous ma véritable apparence ?
Les quatre agents étaient tétanisés, eux aussi. Le vieillard avança d’un pas. Avec un côté très théâtral, il enleva lentement son masque en latex.
Son vrai visage se dévoila, dissimulé en grande partie par de fines bandelettes. Ses lèvres étaient brûlées, ses dents presque argentées. Il scrutait l’agent Beaumont avec des yeux incroyablement jaunes, la marque des héristars.
— C’est moi que vous cherchiez ? demanda Black Death.
— On dirait que c’est mon jour de chance, répondit Nicolas avec une pointe d’humour pour masquer sa peur. Le chef du groupe terroriste des Oubliés et son fidèle toutou.
Il tira une deuxième fois dans la jambe de Djamel, au niveau du tibia cette fois-ci.
— Vous ne sortirez pas vivants de ce train, lança Black Death, j’en ai bien peur.
Il reçut une première balle dans le cœur. Une deuxième dans la tête. Le métal ricocha sur les sièges. Son épiderme était impénétrable. Le terroriste saisit la nuque du premier venu et lui donna un coup de genou dans l’arête nasale. Beaumont vida son chargeur. Sans effet. De la fumée s’échappait de son costume perforé par l’impact des balles. Black Death se jeta sur le suivant.
Sur le côté, Djamel Sepi profita de cette diversion pour sortir un couteau à cran d’arrêt de sa poche et perfora la carotide de l’autre agent qui le tenait en joue. Du sang jaillit de son cou et il s’effondra. Lorsque le troisième homme de la DGSI tira une nouvelle fois sur Black Death, la balle lui ricocha en plein visage.
Beaumont était pris au piège. L’héristar fit un signe de la main à son complice pour lui signifier « je m’en occupe ». À court de solutions, Nicolas s’engagea dans un combat au corps à corps. Il bondit et saisit son adversaire par la nuque. Il lui donna deux coups de genou dans le visage et le plaqua contre un siège.
Avec rapidité, Nicolas sortit une corde de sa tenue et la passa autour du cou du terroriste. Il tira ensuite de toutes ses forces. Malmené au départ, Black Death retourna rapidement la situation à son avantage. Avec deux doigts, il tira si fort sur la corde que Nicolas bascula en avant. Ensuite, l’héristar passa une main autour de sa gorge et lui broya la pomme d’Adam.
— Notre entrevue est terminée, dit-il.
Ses muscles venaient de doubler de volume. En quelques secondes, sa silhouette frêle et mince s’était transformée en un véritable corps d’athlète. Son costume se déchirait au fur et à mesure que sa carrure s’agrandissait. Tenant toujours Nicolas par le cou, il se releva. À présent, sa taille avoisinait les deux mètres.
— Zoy… Zoydra… bégaya l’agent de la DGSI. Il… il va… t’arrêter.
Black Death approcha son visage du sien. Sa peau blanche était brûlée, son haleine empestait la chair en décomposition.
— Personne ne peut arrêter la peur.
Il lâcha prise, Beaumont s’effondra sur le sol. Ses yeux émeraude étaient à présent aussi noirs que la mort.
Black Death aida son complice à se relever et déchira les vêtements des agents décédés pour stopper le saignement. Djamel quitta son siège en boitant et en s’appuyant sur l’épaule de l’héristar.
— Un hélicoptère nous suit, dit Black Death en regardant par la fenêtre du wagon.
— Il faut arrêter le train.
— Avec ta blessure, on n’ira pas bien loin. Il va falloir que je te porte.
— Nous traversons une forêt, remarqua Djamel. Ils ne pourront pas nous suivre. On appellera Farah une fois à l’abri. Elle viendra nous chercher.
— En route, dit Black Death.
Il tira sur le signal d’alarme et le train freina brusquement.
Une semaine plus tard…
Martin Belair était à bout de souffle. Jules Domaire avait une sacrée longueur d’avance sur lui. À cet instant, il regrettait d’avoir fumé pendant toutes ces années. Il regrettait aussi d’avoir proposé au jeune homme de venir courir avec lui. Il n’avait clairement pas la condition physique.
Au début de l’été, Martin s’était pris au jeu des bonnes résolutions. La première : arrêter de fumer. La deuxième, qui paraissait logique : se remettre au sport.
L’ex-profiler, devenu détective, avait pris douze kilos et souffrait d’insomnie et d’anxiété. Il s’était inscrit à une salle de sport quelques semaines plus tôt et passait le plus clair de son temps à faire du vélo elliptique, les rares fois où il y allait. Ce n’était donc pas efficace. Il grossissait et ne se sentait pas plus en forme pour autant.
Depuis qu’il connaissait le secret de Jules, les deux hommes se voyaient de temps en temps et avaient entamé une relation bien différente qu’elle ne l’était au début. Il n’avait pas revu Zoydra ni même fait mention de son fils David, alias le Frémisseur.
Son amitié avec l’assistant parlementaire lui était précieuse. Ils abordaient tous les sujets possibles : vie personnelle ou professionnelle, relations amoureuses, séparations, cinéma, littérature… Et ça lui faisait le plus grand bien.
Martin avait éclaté de rire lorsque Jules avait fait mention de son histoire avec Océane Maillard. « Quel culot ! Tu sais que tout le commissariat voulait sortir avec elle ? ». Il connaissait le début de l’histoire, la commissaire lui en avait déjà touché quelques mots. Mais entendre la version de Jules lui rappelait également le nombre incalculable de fois où Chris, son ancien collègue, avait essayé de draguer Océane, sans comprendre pourquoi elle déclinait ses avances.
— La prochaine fois, on fera de la randonnée, dit Jules en rigolant.
— Tu ne veux pas qu’on se fasse un restaurant plutôt ?
Martin s’était arrêté. Il était essoufflé et se tenait penché, les mains sur les cuisses. Il dégoulinait de sueur.
— En même temps, commenta Jules, quand j’ai vu ta tenue de sport, j’ai bien compris qu’il y avait un souci.
Le détective regarda ses vêtements. Un tee-shirt jaune fluo, un short gris, délavé et avec plein de peluches autour des poches. Quant à ses chaussures, il avait pris la première paire qu’il avait sous le nez, des baskets qu’il n’avait pas enfilées depuis qu’il avait quitté Paris.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Ça fait plus de dix ans qu’on ne produit plus le modèle que tu portes. Ça veut dire que tu n’as pas fait de sport depuis bien longtemps.
Martin rigola nerveusement.
— Tu marques un point.
Il fouilla dans ses poches et découvrit un vieux bracelet en papier sur lequel figurait un numéro.
— Tu sais ce qui me fait rire ?
— Dis-moi.
Martin lui montra sa trouvaille.
— Pour devenir profiler, nous avions des tests de sélection à passer. Figure-toi qu’à la fin des épreuves physiques, j’ai fini sur le podium. Et depuis, je n’ai pas refait de sport.
— Je me souviens quand j’étais humain et que je manquais l’entraînement d’escrime, j’étais surpris de voir à quel point on perd rapidement sa condition physique.
Martin se passa la main sous les côtes et appuya pour faire passer son point de côté.
— Ça ne t’arrive jamais d’être fatigué en faisant tout ce sport ? demanda-t-il.
Jules sourit.
— Tu parles de la course à pied ou bien lorsque j’escalade les immeubles ?
— Les deux. Ça doit être épuisant, je me suis toujours demandé comment tu faisais pour tenir la cadence.
— Je récupère plus vite que la normale. Et je n’ai pas besoin de courir ni de faire attention à ce que je mange, mon corps se régule tout seul. C’est comme un fluide d’énergie qui me traverse.
Indigné, Martin rétorqua :
— Dans ce cas, pourquoi t’embêter à faire tout ce sport ?
— Par plaisir. Ça me détend. Je ne pense à rien d’autre dans ces moments-là.
Ils arrivèrent au début du quai des Marques, près du pont Chaban-Delmas. Martin but l’eau de la fontaine pendant que Jules s’étirait les quadriceps. Comme d’habitude, la chaleur était étouffante. On pouvait apercevoir au loin les enfants qui se faisaient arroser dans le Miroir d’eau. Les fontaines jaillissaient tandis qu’ils sautillaient à pieds joints. Les gouttes s’évaporaient sous la chaleur.
Des passants commandaient des glaces, beaucoup de clients étaient assis sur la terrasse des bars. Jules envoya son emplacement à son amie qui avait prévu de le rejoindre. Alors que Martin était au bout de sa vie, il retrouva soudain son énergie en sentant l’odeur des churros.
— Trop de tentations par ici, dit-il.
— Tu ne vas pas ruiner tes efforts ! commenta Jules.
— Non, t’as raison. Merci de m’avoir accompagné, au fait.
— Je t’en prie. C’est toujours mieux de courir à deux, même si toi tu faisais de la marche rapide.
— T’es vache, rigola Martin. Tu n’as aucune compassion pour les gros !
— N’exagère pas, t’as juste pris du bide, c’est normal pour un gars de ton âge qui a arrêté de fumer depuis pas très longtemps.
Martin s’essuya le front avec son serre-poignet. Il arrêta le chronomètre de sa montre et fut satisfait d’avoir couru pendant plus d’une demi-heure. Quelques minutes plus tard, une jeune femme blonde arriva et prit Jules dans ses bras. Elle serra ensuite la main de Martin et se présenta sous le nom de Naya Volubilis. Il ne l’avait jamais vue auparavant, mais Jules lui avait beaucoup parlé d’elle.
— Comment tu rentres ? demanda le jeune homme.
— Ma voiture est garée à côté.
Le détective le remercia une nouvelle fois pour la séance de running et s’en alla.
Jules prit Naya par la main. Elle portait une robe rouge avec des chaussures à talons assorties. Sa meilleure amie venait d’être diplômée de son école d’ostéopathie en juin dernier. Elle habitait toujours dans le quartier des Chartrons et travaillait à présent dans un cabinet situé à deux rues de chez elle.
— J’ai vraiment la flemme d’aller voir cette expo, avoua Jules.
Naya fronça les sourcils.
— T’es sérieux ? Ce n’est même pas à deux rues d’ici.
— Il faut que j’aille me changer.
Elle souffla.
— Tu ne pouvais pas prévoir ça avant ?
— Ne t’inquiète pas, je n’en aurai pas pour très longtemps.
Elle appuya son index sur son torse tout transpirant.
— N’oublie pas que tu as promis.
— Oui, Naya, je t’ai dit que j’irai au vernissage de tes parents et je suis un homme de parole, tu le sais bien.
La jeune femme sourit. Elle avait la peau très blanche. Bien qu’elle ait passé tout l’été en Martinique avec Théo, Naya n’avait pas du tout bronzé.
Ils marchaient rapidement en direction de l’arrêt du tramway quand soudain, elle se mit à le fixer d’un air inquiet.
— Jules, j’ai quelque chose à te dire.
— Je t’écoute ?
— Je préfère que tu l’apprennes par moi et pas par quelqu’un d’autre.
— Tu me fais peur là…
Naya s’humidifia les lèvres.
— Camille est revenue.
Jules hocha simplement la tête. Il n’avait pas revu Camille Rispal depuis leur séparation, il y a cinq années de cela. Il avait tourné la page. Sa relation avec Océane, aussi courte, fût-elle, lui avait permis d’aller de l’avant.
Il n’était pas retombé amoureux depuis son histoire avec Camille. En fréquentant Maillard, cela lui avait fait prendre conscience qu’il pouvait y avoir un « après Camille ». Il se demandait simplement quand il reverrait son premier amour et dans quelles circonstances cela se ferait.
— Elle t’a envoyé un message ?
— Oui, en début de semaine.
Timidement, il osa une question :
— Tu sais ce qu’elle fait maintenant ?
— Elle a obtenu un poste à France News.
Surpris, Jules demanda :
— Elle a arrêté la fac ?
— Ce n’était pas vraiment son truc. Elle a fait une école de journalisme à Lille, en suivant.
Jules hocha une nouvelle fois la tête. Il n’avait pas forcément envie de s’étendre sur le sujet. Naya avait la faculté de deviner ce qu’il ressentait. Et elle risquait de le cuisiner à propos de Camille, ce dont il n’avait absolument pas envie. Heureusement pour lui, le tramway arriva sur le quai.
La rame était bondée. Naya ne se sentait pas à l’aise au milieu de tous ces gens. Elle était légèrement claustrophobe. Ils se tenaient debout, accrochés à une barre métallique. Malgré la clim, il faisait une chaleur épouvantable.
Un bébé braillait dans une poussette. Son doudou Babar l’éléphant était tombé par terre. Sa mère, pendue au téléphone, ne se souciait nullement du fait que les cris de son enfant dérangeaient tout le monde. Jules espérait qu’elle descendrait au prochain arrêt. Malheureusement, non seulement la femme et son enfant restèrent, mais en plus de cela, d’autres voyageurs arrivèrent, obligeant les passagers à se serrer davantage les uns contre les autres.
L’odeur de transpiration, la saleté des sièges et des vitres, tout ceci lui donnait la nausée. Assis sur les strapontins, un groupe de jeunes diffusait du rap via une enceinte Bluetooth. La musique était agressive, remplie d’injures, mais personne ne manifestait son mécontentement.
Plus que trente secondes avant d’arriver place des Quinconces. La correspondance avec la ligne C allait vider la rame.
Dehors, tout semblait être coordonné. Le tram dans lequel ils voyageaient allait arriver à quai. Celui de l’autre ligne également. Malgré toute cette harmonie, son sixième sens l’alerta tandis que les portes s’apprêtaient à s’ouvrir. Parmi les odeurs, Jules en flaira une qui venait remplir ses poumons. Ce n’était pas une odeur désagréable au premier ressenti. Pas de la sueur, ni de la saleté… mais une odeur de mort.
Jules attrapa instinctivement Naya par le bras. Le tramway ralentit. Sa main était gantée, son tee-shirt avait disparu, laissant place à sa tunique dorée. C’était comme s’il se trouvait dans un autre monde. Naya tourna lentement la tête vers lui et écarquilla les yeux en le voyant se transformer.
Au milieu de tous ces gens, au milieu de cette foule agglutinée dans le tramway, son alter ego prenait la relève. Il n’était pas encore complètement métamorphosé : son visage était toujours découvert. Dans la panique, il n’eut le temps de faire qu’une seule chose : prendre sa meilleure amie dans ses bras et la serrer le plus fort possible.
L’explosion provint de la cabine du conducteur. Un couple de personnes âgées se fit déchiqueter le visage par les flammes. La seconde suivante, le premier compartiment était en feu. Les dizaines de voyageurs présents n’eurent pas le temps de réaliser ce qui était en train de se passer : les flammes ravageaient tout.
Jules serrait Naya de plus en plus fort et acheva sa métamorphose. La mort n’était plus qu’à quelques centimètres d’eux. Zoydra se tenait là, complètement transformé. Il se servit de sa vitesse d’héristar pour se ruer vers les portes de sortie. Il fit sauter la vitre, tenant toujours Naya dans ses bras.
L’explosion se propagea dans tout le tramway. Il n’y avait que le murmure des flammes qui dévoraient la chair des passagers. Les ailes déployées, Zoydra s’éloigna le plus possible et atterrit contre un arbre. Naya ne bougeait plus. Elle avait une barre métallique enfoncée dans sa jambe droite. Son front était ensanglanté. Elle respirait à peine. Lorsqu’il se releva, il découvrit avec effroi le spectacle macabre.
Les quatre tramways avaient explosé simultanément. La place des Quinconces était quadrillée par quatre rangées de flammes. Les clients des restaurants, le personnel des transports, les quelques personnes qui passaient par là, tous se précipitèrent pour voir ce qui était en train de se passer.
L’Ange se tenait debout, encerclé par les explosions. Naya était toujours inconsciente. Les secondes devenaient des minutes, les minutes des heures. Au bout d’un moment, les secours arrivèrent enfin. Hélas, il n’y avait que deux personnes rescapées de cet attentat : Naya et lui-même.
— Mademoiselle, dit l’un des secouristes. Mademoiselle, vous m’entendez ?
Il s’accroupit et posa deux doigts sur la carotide de la jeune femme.
— Que s’est-il passé ?
— Je… je l’ai sauvée de l’explosion, répondit Zoydra.
Nouvel examen. La plaie au front était superficielle. Un autre secouriste arriva avec un brancard.
— Elle respire, dit le premier. Tout va bien, nous sommes arrivés. Vous m’entendez ? Mademoiselle ?
— Jules… chuchota Naya. Jules…
— Restez avec moi, nous allons vous conduire à l’hôpital. C’est vous qui avez prévenu les secours ?
— Non, je… balbutia l’Ange.
— Vous la connaissez ?
— Elle s’appelle Naya. Naya Volubilis. Elle a vingt-trois ans.
— Il faut prévenir sa famille. Mes collègues vont s’occuper d’elle.
Pas de réponse. L’Ange ne pouvait pas décrocher son regard des tramways qui venaient d’exploser.
— Zoydra ?
— Sa famille ? Oui, oui, bien sûr. Je… je m’en charge…
— Voulez-vous l’accompagner dans l’ambulance, Monsieur ?
Zoydra n’entendit pas. Les sirènes de police retentirent. Les pompiers venaient d’arriver eux aussi. Les tramways n’étaient plus que des brasiers géants. Le secouriste répéta la question.
— Oui, je veux être présent à ses côtés.
Il regardait, impuissant, les victimes de l’attentat se consumer dans les flammes. Quelque chose vint heurter ses pieds : c’était la tête de la peluche Babar.
Un an après l’attentat…
Il était retourné au Cap Ferret le temps d’un week-end. Il avait besoin de temps, besoin de se retrouver. Quand il ne se tuait pas au travail, il passait ses après-midi à courir. Il se retrouvait enfin chez lui. Le Cap Ferret, la forêt de pins, la tranquillité de l’océan. Les cigales chantaient. Le soleil éclairait le chemin goudronné de la piste cyclable. L’air était toujours aussi pur.
Il courait de plus en plus vite pour oublier les images des tramways qui prenaient feu place des Quinconces. Les cris de détresse des témoins, les pompiers qui arrivaient sur les lieux bien trop tard. Lorsqu’il traquait le Frémisseur, il voulait sauver tout le monde. Il voulait aussi se défaire de son cauchemar, de la mort de sa sœur, de l’Ange de la mort et de Camille Rispal. À présent, il cherchait à effacer le souvenir de ce que l’on appelait aujourd’hui « l’attentat des Quinconces ».
Comme la première fois où il s’était transformé, il courait torse nu. Ses pas s’enfonçaient dans le sable, ses poings étaient serrés, sa colère se décuplait. Il avait la rage. Il avançait à toute allure, rongé par la culpabilité. Si seulement je ne l’avais pas convaincue de prendre le tramway… Si seulement nous étions allés au vernissage de ses parents, comme c’était prévu au départ…
Jules accéléra la cadence et s’engagea sur un chemin plus étroit. Il sentait le sang qui coulait dans chacune de ses veines. Ses yeux étaient jaunes. Une voix lui murmurait : « Transforme-toi, transforme-toi ! ».
— Nooooon ! hurla-t-il.
Il écrasa son poing contre un arbre. Le pin vola en éclats et le tronc s’écrasa sur le sable. Jules s’agenouilla. Il était en colère après lui-même, après Zoydra. Son alter ego voulait reprendre le dessus.
Encore une fois, le pouvoir de l’Ange avait été balayé par les flammes lorsque l’attentat avait eu lieu. Lui qui était si puissant n’avait pas pu sauver les quatre cents voyageurs qui avaient emprunté le tramway. Lui qui était si puissant n’avait pas pu sauver Naya comme il l’aurait voulu.
Sa meilleure amie avait été hospitalisée. La barre métallique qui s’était enfoncée dans sa jambe lui avait sectionné l’os. Les médecins avaient dû procéder à une amputation au niveau du genou. Jules était resté à son chevet après avoir immédiatement prévenu ses parents. Elle s’était réveillée en larmes. Elle se souvenait parfaitement de ce qui s’était passé. Sa rencontre avec Martin Belair, la femme avec le bébé qui pleurait, la transformation de Jules et puis l’explosion.
Naya n’avait pas posé de question sur Zoydra. Elle n’était ni en colère ni effrayée par le pouvoir de son meilleur ami. Elle était simplement triste de voir que Jules avait autant de responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Mais à aucun moment elle ne lui en voulait pour ce qu’elle avait traversé. Au contraire, elle était soulagée d’être saine et sauve grâce à lui et à son alter ego.
Chaque fois qu’il retournait place des Quinconces, il revivait l’attentat. À travers les vitres des trams, le feu se propageait et dévorait les passagers. Incontestablement, Jules faisait le parallèle avec les fantômes de son passé.
Les flammes dévastatrices lui rappelaient l’incendie et les cris de Florent. Son meilleur ami était prisonnier du feu qu’il venait d’allumer, tandis que Camille gisait sur le sol, inconsciente. Ce jour-là, il pensait avoir fait le bon choix : celui de l’amour. Il se trompait. Une nouvelle fois, les flammes venaient lui rappeler à quel point il avait échoué.
Jules se releva et fut pris d’un vertige. Le ciel s’éclaircit brusquement, ses jambes ne répondirent plus et il s’écroula. Quelque chose lui chatouillait les narines. Il saignait du nez, encore. Il s’allongea au milieu de la forêt, sur des aiguilles de pin. Les nuages défilaient, le soleil se rapprochait. Dans ces moments-là, Jules perdait toute notion du temps.
Ces dernières semaines…
Gérald Bourdon, neurochirurgien, avait vu des milliers de patients défiler sur sa table d’opération en vingt et une années de carrière. Il pensait que plus rien ne pouvait le surprendre. Et puis, il y avait eu la Chute de l’Étoile, l’arrivée des héristars, la transformation de l’ADN humain, l’apparition des pouvoirs, etc. Au beau milieu de tout ce changement, il avait reçu un coup de téléphone de son ancien beau-frère, Martin Belair.
Ce dernier lui avait demandé d’analyser discrètement un échantillon de sang prélevé sur le Frémisseur au début de son enquête. Gérald avait alors étudié clandestinement le sang de l’héristar. Toutes ses analyses ne lui avaient rien apporté sur le plan médical. Le sang des mutants était rigoureusement semblable à celui des humains, à quelques exceptions près.
Mais Gérald avait également découvert la sombre vérité : le Frémisseur n’était autre que David Belair, son neveu. Il avait été anéanti en découvrant cela. Il le revoyait encore bébé en train de jouer avec ses peluches dans son parc… Difficile pour lui de surmonter ce choc.
Plus tard, il avait reçu un autre coup de téléphone pour le moins étrange. Quelqu’un souhaitait être reçu pour une consultation. Il avait demandé à son patient au bout du fil de bien vouloir lui épeler son nom. « Z-O-Y-D-R-A ». Il n’avait pas rêvé. L’héristar, l’Ange gardien de Bordeaux, avait besoin de son aide. Gérald l’avait reçu tard dans la nuit afin que personne ne sache ce qu’il était en train de faire.
Le médecin ne l’avait jamais vu d’aussi près. Il s’attendait à ce que l’Ange soit plus grand, mais il n’excédait pas le mètre quatre-vingts. Sa tunique dorée scintillait à la lumière des néons.
Comme un patient normal, il s’était allongé sur la table d’examen avant d’expliquer son problème.
— J’ai des saignements de nez, avait dit l’Ange.
— Depuis combien de temps ?
— Peu de temps après ma rencontre avec le Frémisseur.
— Ça vous arrive fréquemment ?
— Au début non. C’était pendant que je l’affrontais. Mais ces temps-ci, c’est beaucoup plus régulier. Je dirais une fois par semaine à peu près.
Gérald notait tout sur un calepin.
— Avez-vous eu d’autres symptômes ?
— Des nausées et quelques vertiges.
— Vous êtes déjà tombé malade depuis… enfin, vous savez ?
— Depuis la Chute de l’Étoile, vous voulez dire ? Pas une seule fois. Je ne crains pas le froid, je suis à l’épreuve des balles et mes os se réparent tout seuls.
D’après Martin, l’Ange n’était pas quelqu’un de très bavard. Pourtant, depuis le début de la consultation, il donnait un maximum d’informations.
— Chaque héristar a ses capacités, avait repris Zoydra, vous vous en doutiez.
— Oui.
— Tout ceci est encore un peu confus pour moi. J’essaye de vous expliquer au mieux la situation, mais je suis aussi paumé que vous sur ce sujet.
— Je peux peut-être découvrir des éléments que vous ignorez.
— Si je suis venu vous voir, c’est parce que Martin Belair m’a dit que vous étiez digne de confiance.
— Il a raison. Il m’a demandé d’analyser le sang du Frémisseur quand vous vous êtes battus. Malheureusement, il a fallu du temps pour que je découvre son identité…
Zoydra avait sorti une éprouvette de la poche de son pantalon bleu marine.
— Je sais. J’ai ramené un échantillon de mon sang. Il a un peu séché, mais vous devriez pouvoir en tirer quelque chose.
Gérald commençait à avoir l’habitude de ce genre d’analyse.
— Tout cela prendra certainement des semaines. Je ferai tout mon possible pour que vous n’ayez pas à attendre trop longtemps.
Avant de partir, l’Ange s’était assuré que Gérald n’allait pas vendre la mèche à propos de sa maladie et de son identité secrète.
— Concernant l’échantillon que je viens de vous donner…
— Oui ?
— J’aimerais que tout ce que vous allez découvrir reste confidentiel. Il ne devra pas y avoir de trace quelque part qui permettrait à quiconque de remonter jusqu’à moi.
— Cela va de soi. Je serais renvoyé et radié de…
— Je ne parlais que de ça. Je parlais aussi de mon identité secrète. Mes proches n’ont pas besoin de savoir qui je suis.
— Écoutez, quand le Frémisseur terrorisait la ville, j’ai fait analyser son sang comme si c’était celui d’un humain. Vous savez pourquoi ?
— Dites-moi ?
— Parce qu’il représentait une menace pour nos concitoyens. Ce n’est pas votre cas. Martin vous fait confiance alors je vous fais confiance aussi. Sans votre intervention, le Frémisseur serait toujours en liberté. Je ne ferai pas analyser votre sang pour savoir qui se cache sous cette capuche.
— Merci, Docteur.
Les jours défilaient et sans surprise, toujours aucune nouvelle. Jules s’inquiétait de plus en plus. Le fait de ne pas savoir ce qui provoquait ces saignements lui faisait craindre le pire. Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup de téléphone du médecin. Il dînait avec son grand-père lorsque Gérald l’avait appelé.
— Je ne vous dérange pas ?
— Non, du tout.
Jules lui avait donné le même numéro dont il se servait avec Martin lorsqu’ils traquaient le Frémisseur.
— J’ai les résultats de vos analyses.
— D’accord…
Enfin, les réponses que j’attendais.
— J’ai isolé les molécules, les globules blancs et…
— S’il vous plaît, allez droit au but, Gérald.
Il l’entendit se racler la gorge.
— Les… les nouvelles ne sont pas encourageantes.
— Je vous écoute.
Il s’attendait à n’importe quoi. Une maladie humaine, un « rhume d’héristar » – bien que cette hypothèse fût peu probable –, peut-être même une allergie… Mais pas à ce qu’il allait entendre de la bouche du médecin.
— Il semblerait que votre organisme rejette Zoydra.
— « Rejette Zoydra » ? avait répété Jules.
— Je pense que les molécules des héristars sont censées vous faire évoluer. Le Frémisseur n’avait pas été autant « imprégné » que vous par le gène de l’Étoile. À part son pouvoir de persuasion, il n’avait rien d’autre. Il pouvait tomber malade, mourir renversé par une voiture, etc. Il était presque humain. Vous, c’est différent.
Le jeune homme savait qu’il existait des sortes de catégories pour les héristars. Lucie, par exemple, malgré tous ses pouvoirs, pouvait être tuée par des moyens humains comme une arme à feu ou une explosion.
— Que m’arrive-t-il ?
— Vos jours sur Terre sont comptés, avait répondu Gérald d’une voix grave.
Jules déglutit. Pour la première fois depuis sa transformation, il avait peur.
— Combien de temps ?
— Je n’en ai pas la moindre idée… Quelques semaines, quelques mois, quelques années…
Était-ce de la faute de Zoydra ? Il devait savoir.
— Le processus se déclenche-t-il plus vite au fur et à mesure que je me transforme ?
— Je ne pense pas. C’est un rejet plus général. Comme si vous aviez un cancer.
— C’est irréversible ?
— Je ne sais pas non plus. La science est encore très loin de connaître la complexité de vos gênes et ses limites. Autrement dit, je ne sais pas si un traitement est envisageable ni si traitement il y a.
— Très bien.
— Écoutez, si vous voulez qu’on procède à d’autres…
— Je vous remercie pour vos recherches, Docteur.
Il avait raccroché. Il aurait dû s’effondrer, pleurer toutes les larmes de son corps. Au lieu de cela, il avait choisi une tout autre option : garder cette information pour lui et profiter de chaque instant avant que la mort ne vienne le chercher.
À présent…
Après sa longue séance de running, il rentra chez son grand-père en fin d’après-midi. Il profita du fait que ce dernier faisait la sieste pour se précipiter dans la salle de bains et dissimuler le sang qu’il avait sur le visage. Il fit couler l’eau de la douche durant plusieurs minutes.
Une fois lavé, il lut le message que Martin venait de lui envoyer. Un nouveau profiler allait faire son entrée sur le devant de la scène. Depuis la démission de Belair et le départ précipité d’Océane Maillard, personne n’avait été nommé pour le poste de profiler. Martin lui avait tout expliqué lorsqu’ils s’étaient revus, quelques jours auparavant.
Un an venait de s’écouler après le terrible attentat des tramways et le ministère de l’Intérieur n’avait toujours pas trouvé de candidat pour succéder à Martin. Après avoir été médiatisé, le premier profiler de France s’était fait descendre par les médias lorsque la terrible vérité à propos de son fils avait éclaté.
L’IGPN, la Police des Polices, avait mené une enquête interne pour comprendre les dessous de cette affaire. Il en était ressorti deux choses : premièrement, à cause de ses pouvoirs de persuasion, David Belair pouvait à tout moment interférer dans les investigations de son père sans se faire remarquer. Deuxième chose que Beauvau avait beaucoup de mal à digérer : le fait que Martin Belair avait fait équipe avec Zoydra.
D’après l’ex-profiler, qui avait toujours des relations un peu partout au sein de la police, le ministère cherchait un profil plus jeune, très scolaire et fidèle au protocole. Le côté « borderline » de Martin avait toujours agacé Océane et la hiérarchie. En outre, il leur fallait quelqu’un de neutre, avec un regard neuf et surtout une personne de confiance.
Intrigué, Jules tapa l’identité du nouveau profiler sur internet. Son nom : Mehdi Abar.
Si seulement son père était encore en vie, il aurait été fier de lui. Mehdi Abar, jeune homme issu d’une famille d’origine marocaine, enfant des quartiers parisiens, premier de la classe et ancien fumeur de joints, le premier bachelier de sa famille, le fils aîné de trois frères et sœurs. Lui, Mehdi Abar, le nouveau profiler fraîchement diplômé de son doctorat en sciences criminelles, nommé dans le prestigieux commissariat de Bordeaux. Pouvait-il espérer mieux ?
Son père était décédé quelques années avant la Chute de l’Étoile, lorsque Mehdi n’était encore qu’un adolescent. Il avait œuvré toute sa vie pour que sa famille ne manque de rien. Il s’était éteint dans son sommeil, après seulement quarante-trois années d’existence. Depuis ce jour, Mehdi faisait tout son possible pour que son père, Fayçal, le regarde d’en haut et soit fier de ce qu’il était devenu.
Au départ, si Mehdi Abar avait choisi de travailler au sein de la police, c’était pour une raison bien spécifique : il connaissait les délinquants par cœur. Il avait passé toute son enfance à Sarcelles, élevé au milieu des dealers et des voleurs, là où il assistait à des règlements de compte le samedi après-midi. Il était devenu leur chasseur, leur bête noire, le produit de ces années passées à vivre avec les règles de la rue. Marche ou crève, lui avait-on enseigné.
La mort de son père l’avait terriblement affecté, bien plus qu’il ne voulait l’admettre. À chaque fois qu’il quittait la banlieue pour se rendre à la fac, il se retrouvait au milieu de tous ces blancs, ces gosses de riches qui s’affichaient avec des vêtements de créateurs et des ordinateurs Apple dernier cri. Le genre de personne qui disposait déjà d’un appartement à vingt piges en plein Paris et à dix minutes de la fac, alors que lui, Mehdi Abar, devait prendre les transports pendant quarante-cinq minutes pour rentrer chez lui.
Ces mecs-là n’avaient aucun mérite. Malgré ce contexte familial et social très compliqué au quotidien, Mehdi avait décroché la première place dans son master de Sciences criminelles. Celui que ses camarades aristocrates appelaient « le p’tit cerveau de la Banlieue » leur en avait mis plein la vue avec ses résultats.
Mais ça ne lui suffisait pas. Il se fichait pas mal d’avoir cloué le bec à tous ces bourgeois parisiens. Après toutes ces années d’études (l’École de Police et la faculté) et l’obtention du grade de Commandant, Mehdi avait su saisir sa chance.
Pendant qu’il gravissait les échelons au sein de la police, le monde entier avait les yeux rivés sur Bordeaux. C’est durant l’enquête sur le Frémisseur, que Mehdi avait souhaité devenir profiler.
Il aimait les défis, il aimait les enquêtes, il aimait pourchasser sa proie. Tandis que la commissaire Océane Maillard se faisait malmener à la télévision par le tueur en série, il s’était dit ce jour-là que lui aussi il traquerait des héristars lorsque le moment serait venu. Quelques mois plus tard, Martin Belair, l’ancien profiler, avait remis sa démission après avoir découvert que le Frémisseur n’était autre que son propre fils.
Mehdi avait attendu. Il avait étudié. Il avait postulé. Et puis, son jour de chance était arrivé. Bordeaux se relevait péniblement de l’attentat des Quinconces, tandis qu’il attendait sagement un coup de téléphone de sa hiérarchie. Cette attaque terroriste, aussi grave que tragique, allait lui permettre d’utiliser pleinement son potentiel. Il mettrait à profit toutes ses compétences pour arrêter Black Death.
Succéder à Océane Maillard comme chef de la BRH, c’était du gâteau. Suite aux nouvelles directives de Beauvau, le profiler devenait le chef de sa propre brigade et n’intervenait plus comme consultant. Il dirigeait l’enquête du début à la fin.
On lui avait expliqué qu’Océane avait été dépassée par l’enquête, humiliée par le Frémisseur en direct à la télévision avant d’être séquestrée. Elle n’était pas profiler, mais elle avait une carrière équivalente. Seulement voilà, les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu. Après l’affaire, elle avait démissionné pour travailler comme chargée de sécurité pour la candidate Anne Lepage.
C’est ainsi qu’un an après l’attentat des Quinconces, Beauvau avait trouvé un nouveau cheval de course. Jeune, dynamique, avec d’excellents états de service, le nouveau protégé du ministre de l’Intérieur n’avait pas eu droit à la même cérémonie que Martin Belair, quelques années plus tôt. Pas de remise de diplômes en direct à la télévision, pas de poignées de mains avec le président et le ministre de l’Intérieur. Mehdi entrait dans l’arène, mais par la petite porte.
À vrai dire, le contexte n’était plus du tout le même. Dans chaque grande ville, on avait nommé un profiler. Quelques héristars avaient été repérés, quelques délits avaient été commis par plusieurs d’entre eux, mais rien de semblable à l’affaire du Frémisseur ni aux attentats de Black Death. De ce fait, Medhi avait beaucoup de responsabilités qui pesaient sur ses épaules.
Le profiler buvait un café dans la salle à manger chez sa mère. Dans quelques minutes, il prendrait le train pour Bordeaux. Il vérifia une dernière fois l’horaire sur son téléphone portable. Son petit frère Ryan s’assit à côté de lui, sourire aux lèvres :
— Eh, tu la connais celle-là ?
— Oui ?
— C’est un mec qui a un rendez-vous au restau avec une super meuf. Ça fait des mois et des mois qu’il la drague. Le truc c’est qu’elle a peur. Tu vois, il est vachement beau, beaucoup de charme, et c’est sûr qu’il plaît à toutes les filles. Elle se méfie de lui, elle a peur qu’il veuille juste coucher avec elle et puis basta.
Ryan était très enthousiaste. Depuis ses onze ans, il adorait raconter des blagues à table, en famille et à chaque fois qu’il ressentait de la tristesse chez quelqu’un.
— Donc, reprit le petit frère de Mehdi, ils sont tous les deux au restaurant. Elle lui demande : « Sois honnête s’il te plaît : combien tu as eu de partenaires sexuelles ? ». Et là le mec répond en toute franchise : « J’en ai eu quatre ». La fille est toute contente, elle qui craignait de devenir un nouveau trophée à son tableau de chasse, la voilà rassurée.
— Mhhh ? fit Mehdi, impatient de connaître la chute.
— Du coup, elle lui dit : « Ah ! Chouette ! Je pensais que tu en avais eu davantage ». Et c’est à ce moment-là que le mec lui répond : « Oui, c’était une petite journée ».
Ils éclatèrent de rire. Ryan avait vraiment le don pour lui remonter le moral. Le petit dernier de la famille Abar prit son grand frère dans ses bras.
— Soyez sympas avec maman, dit Mehdi.
— T’es sérieux ? C’est plutôt à elle d’être sympa avec nous, oui ! J’suis sûr qu’elle va nous en faire baver une fois que tu seras parti.
— J’ai déjà quitté le domicile familial quand j’ai eu dix-huit ans et ce n’était pas la mort dans mes souvenirs ?
— Ce n’était pas pareil. T’as un poste de profiler à Bordeaux ! T’imagines ? Plus personne n’a envie d’habiter à Paris. C’est juste la capitale politique de la France. Bordeaux, c’est là où l’Étoile est tombée. Si ça se trouve, toi aussi tu vas devenir un héristar…
Il posa sa tasse de café sur la table basse et fixa son petit frère avec sérieux.
— Ça ne marche pas comme ça.
— J’sais bien, je disais ça pour te taquiner.
— Tu vas me manquer.
— Ne t’en fais pas, j’ai d’autres blagues en stock pour les fois où tu seras triste.
Sa mère et lui avançaient dans le hall de la gare Montparnasse. Au milieu de tout ce brouhaha, un étudiant jouait du piano. C’était la mélodie de Game of Thrones. La voix de la SNCF annonça le numéro de quai de son TGV.
— Tu as ce qu’il te faut pour manger ? s’enquit Nadia.
— Oui, maman, ne t’en fais pas.
— Surtout, ne t’éloigne pas trop du commissariat. Fais bien ce qu’ils te demandent, mais ne prends pas de risques inutiles. Je ne veux pas que tu finisses séquestré comme cette commissaire, Maillard.
— Maman…
— Tu as trente ans, je sais. Mais je suis toujours ta mère et ce pendant très longtemps encore. Alors si j’ai des remarques à te faire, je te les ferai.
— J’allais simplement te dire que vous allez tous me manquer.
— Prends soin de toi, mon fils.
En prenant sa mère dans ses bras, Mehdi eut une drôle d’impression.
— Il faut que j’y aille maintenant.
Il monta dans le train. Lorsque le contrôleur annonça le départ, il se retourna et vit la silhouette de sa mère qui lui disait au revoir. C’est à ce moment-là qu’il sut décrire la drôle d’impression qu’il avait ressentie : la sensation qu’il n’allait jamais la revoir…
Quelques années plus tôt, lorsque Jules était en Seconde…
Il n’arrêtait pas de penser à sa nouvelle voisine, Camille. Il espérait la croiser au lycée. Ils ne s’étaient pas revus depuis qu’ils avaient fumé une cigarette en cachette dans le jardin des Rispal. Le vendredi suivant, en ce début du mois de novembre, les cours de soutien d’Histoire-Géo allaient commencer. Contraint par ses parents d’y assister jusqu’à ce que ses notes s’améliorent, Jules était de mauvaise humeur.
Il pleuvait des cordes, les lycéens s’abritaient sous le préau. Florent Folio, son meilleur ami de l’époque et futur petit copain de Camille, avait du nouveau.
— J’ai checké le Facebook de ta voisine, avait-il dit. Pas mal du tout ! Tu savais qu’elle était landaise ?
— Je ne suis pas un agent de la CIA, avait rétorqué Jules.
— Ne me dis pas que tu ne t’es pas un minimum renseigné sur elle après votre rencontre !
— Et passer pour un mec relou ? « Hey, on est voisins, viens, on s’ajoute ! ».
Florent avait soupiré avant d’expliquer sa théorie :
— Mec, la règle des trois jours.
— C’est quoi cette histoire ?
— Quand tu rencontres une fille qui te plaît, tu ne dois pas faire comme si elle t’intéressait. D’où les trois jours sans lui parler.
Jules, perplexe, fronçait les sourcils.
— Je ne vois pas le rapport.
— Jésus, gros ! Tu crois que s’il avait ressuscité le lendemain de sa crucifixion son plan aurait marché ? Il faut se faire désirer.
— Toi et tes explications religieuses…
— Je suis croyant, Jules.
— Que quand ça t’arrange. Je te rappelle que ton vœu de rester vierge jusqu’au mariage est tombé à l’eau !
— Tu sais bien que ça n’a jamais été sérieux ce truc de chasteté. Melissa me plaisait trop… Et puis, c’était la colo. Si tu ne te fais pas ta première fois quand t’es en colo, c’est que tu n’as rien compris à la vie !
Florent avait perdu sa virginité l’été de ses quinze ans, soit quatre mois plus tôt. Jules se fichait que son meilleur ami l’ait fait avant lui. À quinze ans, il voulait faire sa première fois avec la personne qu’il aimait, même si cela devait prendre du temps.
Le cours d’Histoire était ennuyeux. Quand on évoquait la Grèce Antique, Jules ne pouvait s’empêcher de penser aux films de guerre qu’il adorait regarder avec son père : Troie et 300. Mais le professeur ne parlait ni de l’amour entre Paris et Hélène ni de Léonidas qui avait lutté farouchement contre l’armée Perse avec seulement trois cents hommes.
Il parlait des guerres du Péloponnèse qui opposaient Sparte et Athènes, avec la Paix de Nicias, l’expédition de Sicile et le rôle clé qu’avait joué Alcibiade. Jules savait pertinemment qu’à la fin du cours, il n’aurait rien retenu. En Seconde, il trouvait que le programme d’Histoire passait du coq à l’âne. On s’intéressait d’abord à la démocratie athénienne, puis à la monarchie absolue, avant de terminer le programme par la Révolution française.
Jules enviait ses amis qui devaient jouer au billard dans la salle commune. Et puis, il y avait ce temps affreux dehors qui lui sapait le moral. La pluie ne cessait de tomber, le tonnerre grondait et il faisait froid.
En sortant du cours de soutien, il avait croisé Camille Rispal accompagnée de ses parents. Sa mauvaise humeur s’était subitement envolée. Ils quittaient la Vie scolaire après avoir rempli des dossiers pour finaliser l’inscription de Camille.
— Salut ! avait-il lancé. Ils t’ont dit dans quelle classe tu serais ?
— Hey, avait répondu Camille avec le sourire. Seconde neuf, je crois…
— Dix, avait rectifié M. Rispal.
— Cool, on est dans la même classe.
Elle s’était ensuite retournée vers ses parents :
— Papa, maman, je vous présente Jules Domaire.
Brèves, poignées de mains.
— Domaire, le nom me dit quelque chose, avait répondu Mme Rispal.
— Je suis votre voisin.
— Exact ! avait commenté M. Rispal. Tu habites avec tes parents et ta petite sœur c’est bien ça ?
— Oui, Adèle. On est la maison aux volets noirs.
— Je suis ravie de te rencontrer. Camille nous a dit que vous aviez déjà eu l’occasion de discuter tous les deux.
La jeune fille avait rougi.
— On s’est croisés une seule fois, quand vous avez emménagé.
— Eh bien, avait dit M. Rispal, si l’occasion se présente, on pourrait vous inviter à boire l’apéro. Je t’avoue que nous ne connaissons personne par ici. Pour tout te dire, nous venons des Landes.
Jules avait immédiatement repensé à ce que Florent venait de lui dire quelques heures avant. Il avait fait comme s’il ignorait cette information.
— C’est sûr que ça doit vous changer.
— Camille, avait dit Mme Rispal, je vais faire quelques courses pendant que ton père retourne travailler. Tu veux venir avec moi ?
— Non, Jules va me raccompagner.
L’intéressé n’avait pas pu retenir son sourire.
— À ce soir alors.
Une fois ses parents partis, Camille l’avait pris par le bras :
— T’as une cigarette ?
— Pas sur moi…
— Moi j’en ai si tu veux, avait dit une voix.
Il surgissait de nulle part. Florent avait sorti de la poche de son manteau un paquet de Philip Morris. Il leur en avait donné une à chacun.
— Florent Folio, je suis le meilleur ami de Jules.
— Camille Rispal.
— J’ai beaucoup entendu parler de toi !
Jules l’avait fusillé du regard.
— Tu sais dans quelle classe tu vas être ?
— Seconde dix.
— Intéressant, avait répondu Florent. Tu viendras t’asseoir à côté de nous, ça rendra les cours d’Histoire plus intéressants.
— Pas de problème !
— Allez, faut que je file, j’ai escrime.
En plus d’être l’un des meilleurs joueurs de l’équipe de football américain de Brémontier, Florent pratiquait l’escrime depuis maintenant trois ans. C’était des cours d’Escrime ancienne, une discipline qui avait pour but de mettre en scène des combats chorégraphiés. Quant à Jules, il venait d’entamer sa sixième année d’escrime de compétition. C’était une discipline qui demandait beaucoup plus de pratique et qui nécessitait au minimum trois entraînements par semaine.
Jules avait raccompagné Camille. Sur le trajet, elle lui avait demandé s’il pratiquait un sport. Il avait répondu qu’il en pratiquait deux : du football américain et de l’escrime.
— Tu étais au courant qu’ils venaient d’ouvrir une section cheerleading à l’UNSS ? avait demandé Camille.
— Non. C’est le truc des pom-pom girls ça ?
— Oui. Figure-toi que je m’y suis inscrite.
— On va se voir plus souvent alors.
— J’espère bien !
À présent…
Voilà plusieurs jours que Gérald l’avait appelé. Pas le temps de laisser aller aux émotions. Black Death se rapprochait de Bordeaux. L’attentat des Quinconces n’était qu’un début. Le jeu de piste ne faisait que commercer…
Zoydra se tenait au sommet d’un immeuble. Il tripotait nerveusement l’enregistreur vocal que Martin Belair lui avait remis en début d’après-midi.
L’ex-profiler ne travaillait plus dans la police, mais il avait des contacts un peu partout. Après l’attentat des Quinconces, le détective avait décidé de récolter un maximum d’indices sur Black Death et son réseau terroriste afin d’aider Zoydra. Il se doutait que l’Ange reprendrait du service afin d’arrêter ce meurtrier.
Cela venait à l’encontre de sa décision prise suite à l’arrestation de son fils. Martin s’était juré de se tenir loin des enquêtes sur les héristars. Mais ça, c’était avant que le terroriste ne s’en prenne à la ville. « La sécurité du pays est beaucoup plus importante que mes sentiments », disait-il.
Comme il connaissait des agents de la DGSI, Martin avait réussi à obtenir un nom : Farah. Il avait envoyé tout ce qu’il savait à Zoydra à propos de cette femme, complice présumée de Black Death.
En quittant la police, Martin avait « récupéré » tout un arsenal dédié à l’espionnage et à la surveillance. Micro à longue portée, paire de jumelles à vision thermique, montre talkie-walkie ainsi que tout un tas d’autres gadgets dignes de James Bond.
Le groupe terroriste que Black Death avait formé se faisait appeler les Oubliés. Nul ne savait pourquoi ils avaient adopté ce nom. D’après les renseignements récupérés par Martin, Farah vivait en France depuis plusieurs années. Elle avait grandi au Caire, en Égypte, avant que sa famille ne demande l’asile politique. À part une biographie toute simple, il n’avait rien d’autre à se mettre sous la dent, si ce n’était un enregistrement vocal.
Zoydra brancha ses écouteurs sur l’appareil et démarra la lecture. Il s’agissait de la biographie détaillée de Farah, enregistrée par Nicolas Beaumont, l’agent de la DGSI qui avait perdu la vie un an plus tôt en essayant d’arrêter Djamel Sepi et Black Death.
Bien avant la Chute de l’Étoile, Nasser Seidi remporte les élections présidentielles et législatives. À partir de ce moment, les relations diplomatiques entre l’Égypte et l’Union européenne se dégradent.
L’ONU intervient à plusieurs reprises et dénonce les violences faites aux femmes. Les opposants politiques sont emprisonnés et torturés et des mouvements de résistance s’organisent derrière le Parti indépendant et laïque (le PIL). C’est à ce moment-là que commence l’histoire de Farah.
Après avoir expliqué le contexte politique, Nicolas Beaumont attaquait la suite de l’histoire.
Le père de Farah était un membre éminent du PIL. Il avait organisé plusieurs opérations afin de nuire au gouvernement de Seidi. Cela passait par la dégradation des véhicules militaires, par la diffusion de photos et de vidéos montrant des policiers en train de torturer des opposants et par le boycott des journaux de propagande.
À l’âge de vingt ans, Farah s’était enfuie avec sa mère lorsque son père avait été arrêté et placé en détention. La jeune fille avait alors compris qu’elle ne le reverrait jamais. Elles avaient donc quitté Le Caire pour se rendre à Memphis. Sa mère connaissait un groupe de personnes qui travaillaient pour Amnesty International. De ce fait, les deux femmes avaient rapidement obtenu l’asile politique et avaient pu être rapatriées en France dans la commune de Bergerac, en Dordogne.
S’intéressant toujours au PIL et à l’œuvre de son père, Farah n’avait jamais abandonné son combat pour renverser la présidence de Nasser Seidi. Elle avait étudié les Sciences politiques à Bordeaux, avait passé une année en Chine et avait travaillé un an comme attachée humanitaire à l’ONISEP.
À notre connaissance, la jeune femme n’est jamais retournée en Égypte. À présent, Farah travaille comme correctrice pour une prestigieuse maison d’édition. Elle habite à Bordeaux depuis plus d’un an. Au cours de ses voyages et de son ancien job d’attachée humanitaire, elle a fait la connaissance de Black Death et de son organisation terroriste, les Oubliés.
Nous ignorons les circonstances de cette rencontre et nous ne savons pas non plus quel rôle elle joue dans cette histoire. À mon avis, elle a été séduite par l’héristar et ses idées politiques.
Black Death n’est pas du tout dans une guerre de religion, il ne croit même pas en Dieu. Il dénonce l’oligarchie de la civilisation occidentale qui a toujours fermé les yeux sur les violences commises dans son pays.
Fin de l’enregistrement audio. L’Ange enleva ses écouteurs et sortit le matériel d’espionnage de Martin.
La pluie tombait sans arrêt depuis qu’il s’était réveillé. Trempé jusqu’aux os, fatigué d’avoir joué les espions durant toute la journée, il espérait enfin obtenir quelque chose à ce moment-là. Une fois le microphone longue portée installé, il écouta attentivement la conversation.
Il se situait sur l’immeuble juste en face du hangar dans lequel Farah était entrée, quelques minutes plus tôt. Des hommes l’attendaient, sans doute des sympathisants de Black Death.
Il mit quelques secondes avant de trouver le bon réglage. Il entendit tout d’abord quelques mots, provenant d’au moins trois voix différentes. Il était question d’un nouvel attentat.
— Semaine prochaine, donc, dit une voix de femme.
Sans doute Farah, pensa Zoydra.
— Black Death sera là ? fit une voix d’homme.
— Absolument. Il veut que les Français voient son véritable visage.
— Et Djamel ? demanda une autre voix.
— C’est lui qui est présent sur le terrain, expliqua Farah. Black Death supervise, tu ne le sais toujours pas ?
— C’est juste que… je ne l’ai jamais vu.
— Je ne l’ai vu que deux fois, expliqua Farah. Il reste discret le plus possible.
— Pourquoi fait-il ça ? Je veux dire, masquer son visage.
— Les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Pourquoi crois-tu que pratiquement personne n’a pu le photographier depuis tout ce temps ?
— Il existe, au moins ? questionna un quatrième homme.
— T’es bête ou quoi ? Tu crois que Djamel s’en serait sorti si Black Death n’avait pas voyagé à bord de ce train ?